The God of the Philosophers in Medieval Exegesis
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses
2019 – 3, 99e année, n° 3. varia - Author: Dahan (Gilbert)
- Abstract: Does the «God of the philosophers» have a place in the conclusions of medieval exegetes? Wisdom 13:1-9 and Romans 1:18-23 discuss the ways in which the pagans were able to apprehend the existence of a single creator God. But through observation of the natural world and through their own reflections, were they able to apprehend anything other than the external characteristics through which God makes himself known? Were they even able to perceive the Trinity, to knowledge of which the essential attributes of the divine being could lead?
- Pages: 375 to 399
- Journal: Journal of Religious History and Philosophy
- CLIL theme: 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
- EAN: 9782406096832
- ISBN: 978-2-406-09683-2
- ISSN: 2269-479X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09683-2.p.0045
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-10-2019
- Periodicity: Quarterly
- Language: French
- Keyword: Medieval exegesis, knowledge of God, philosophical paganism, Psalm 13 (14), Wisdom, Romans, the world as a book
Le Dieu des philosophes
dans l’exégèse médiévale
Gilbert Dahan
CNRS-EPHE-PSL – LEM / Institut d’études augustiniennes
Évidemment, tout le monde a présente à l’esprit l’apostrophe de Blaise Pascal dans « l’écrit trouvé dans son habit après sa mort » : « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants ». Précisément, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est celui qui se manifeste dans l’histoire, celui à qui l’on peut s’adresser, celui à qui on peut même prêter des émotions – tout en sachant qu’Il transcende toutes nos réalités et toutes nos pensées, acceptant tout de même de se faire connaître par Sa présence, qu’elle soit la shekhinah de la pensée juive ou l’Incarnation en la personne du Christ Jésus dans la pensée chrétienne. Le Dieu des philosophes et des savants serait la transcendance même, la réalité au-dessus de toute réalité, l’Être dans son absolu. Il me semble que l’une des meilleures manières d’opposer le Dieu de la Bible et le Dieu des philosophes pourrait être d’observer l’emploi des genres du participe qui le désignent1 : τὸὄν, « l’étant », au neutre, est le Dieu des philosophes, ὁὤν, « celui qui est », au masculin, étant le Dieu de la Bible. A priori, il y a peu de chances de rencontrer dans la Bible le Dieu des philosophes : bien sûr, on peut penser à la fameuse définition donnée à Moïse au buisson ardent (Ex 3,14) אהיה אשר אהיה, ἐγώεἰμιὁὤν, Ego sum qui sum2. On le sait, il n’y a pas d’accord entre les interprètes pour y voir une « métaphysique de l’Exode ». 376Mais je laisserai de côté ce verset auquel le « Centre d’étude des religions du Livre » avait déjà consacré deux volumes3. Le Dieu des philosophes apparaît dans des textes plus récents, nés dans un milieu saturé de culture hellénique, que ce soit le judaïsme hellénisé d’Alexandrie ou les premières communautés chrétiennes, qui connaissent la pensée grecque et en subissent peut-être l’influence4. Je m’intéresserai donc aux commentaires médiévaux de deux textes principalement issus de ces deux milieux, un passage du livre de la Sagesse (13,1-9) et un passage de l’épître de Paul aux Romains (1,18-23), passages qui présentent beaucoup de points de contact entre eux. Bien entendu, mon propos ne sera pas l’exégèse même de ces textes, mais je me demanderai dans quelle mesure les exégètes du Moyen Âge y ont perçu l’influence de la pensée hellénique et comment ils ont pu décrire le « Dieu des philosophes » auquel les deux textes réfèrent. Cependant, dans une sorte de démonstration a contrario, je traiterai brièvement des commentaires d’un texte beaucoup plus ancien, le Ps 13 (hébreu 14),1.
Psaume 13 (hébreu 14),1
אמר נבל בלבו אין אלהים
Εἶπεν ἄφρων ἐν καρδίᾳ αὐτοῦ Οὐκ ἔστιν θεός
Dixit insipiens in corde suo Non est Deus.
D’une manière générale et depuis au moins Cassiodore, l’insipiens est identifié au juif et l’expression « il n’y a pas de dieu » est interprétée en conséquence d’une manière relative : « il (c’est-à-dire le Christ) n’est pas Dieu ». Ce sont évidemment les interprétations absolues qui nous intéressent davantage5 ; là encore on se rappellera un débat ancien, notamment autour du livre de Lucien Febvre sur l’incroyance au xvie siècle6 : était-il possible, dans le monde ancien et médiéval, de penser l’inexistence de Dieu ou des dieux ? Pour le Ps 13 (14),1, les commentateurs anciens qui évoquent cela font de l’insipiens un gentil ; mais Augustin souligne la difficulté de cette affirmation absolue :
377Même des philosophes sacrilèges et détestables qui ont sur Dieu des idées perverties et fausses n’ont pas eu l’audace de dire : Il n’y a pas de Dieu. Aussi l’insensé a-t-il dit cela en son cœur, car personne n’a l’audace de le dire, quand bien même il a osé le penser7.
Gilbert de la Porrée reprend et paraphrase cela, après avoir donné l’interprétation voyant dans l’insipiens le juif :
L ’ insensé, païen, a dit que Dieu n’est pas. Mais il ne l’a pas dit avec des mots mais seulement dans son cœur. Les philosophes sacrilèges eux-mêmes, qui ont pensé des choses fausses à propos de Dieu, n’ont pas osé dire « Dieu n’est pas ». Il est ajouté dans son cœur, parce que personne n’ose dire cela, même s’il a osé le penser8.
Mais, précisément, quelles sont les « idées sacrilèges et détestables » de ces philosophes ? Quelques commentateurs des Psaumes ont tenté de les caractériser mais généralement sans s’attarder sur ce point. L’idolâtrie apparaît dans le commentaire de Bruno de Würzburg : « On dit également que l’insensé est un gentil, qui pense que Dieu n’est pas ; son esprit est corrompu, lui qui se fait un dieu d’un morceau de bois9. » Odon d’Asti nous met sur une autre piste : « Les païens ont affirmé qu’il n’y a pas d’autre dieu que le hasard et l’âme10. » Cela nous mène du côté des Épicuriens. Chez Pierre le Chantre, l’identification reste implicite et est mêlée à d’autres choses :
Il n ’ y a pas de Dieu : c’est par la fortune, non par Dieu, qu’est régi le monde, dont on voit qu’il est composé d’atomes et de vide, comme le disaient certains. D’autres disaient : « Jupiter est tout ce que tu vois, tout ce qui est mû » et ils se constituaient des dieux divers avec des réalités diverses, les uns vénérant le soleil, d’autres la lune, d’autres d’autres créatures, alors que les uns et les autres peuvent parvenir à la connaissance de Dieu par les réalités visibles11.
378On verra que ce thème est amplement traité dans nos deux textes de référence. Épicure est précisément nommé par Nicolas d’Amiens :
C’est le gentil qui a parlé, qui a nié davantage l’essence de l’être que le juif, qui niait que le Christ fût Dieu et non pas que Dieu fût. Ce gentil, ce fut Épicure, qui pensait que tout arrivait par la chute fortuite des choses12.
Le commentaire de Thomas d’Aquin va nous mettre sur une autre piste encore, mais il s’agira moins du Dieu des philosophes que d’une notion philosophique de Dieu, dont il retrace clairement les origines :
Peut-on penser que Dieu n’est pas ? Anselme affirme que personne ne le peut. De même, Jean Damascène13 : « La connaissance de Dieu est donnée naturellement à tous : nul ne peut penser que des choses connues naturellement ne soient pas. » Mais il faut savoir que nous pouvons parler de deux façons de la connaissance de Dieu, en soi ou par rapport à nous. Selon le premier mode, on ne peut certainement pas penser qu’il ne soit pas […]. Qui parle de Dieu en soi dit qu’Il est, et en soi on ne peut pas penser qu’Il n’est pas, et ainsi l’affirmation du Damascène est-elle justifiée : ce qui est naturellement donné est connu d’une manière indéterminée, et ainsi <on sait> que Dieu est, mais ce n’est pas la même chose pour ce que Dieu est, qui est connu par la foi14.
La reportation est très imparfaite (il n’est plus question du second mode), mais nous sommes dirigés vers les deux textes qui jouent au xiiie siècle un rôle majeur dans la réflexion sur la possibilité ou non de penser que Dieu n’est pas. Bien entendu, le Proslogion a posé le problème d’une manière fondamentale et on se rappelle que le 379verset dont nous parlons sert de point de départ à sa démonstration ; la défense de l’insensé par Gaunilon puis la réponse d’Anselme à cette défense approfondissent la question15 – mais cela nous éloigne peut-être de notre sujet, qui ne concerne pas l’existence de Dieu ou non mais bien plutôt ce qu’est le Dieu des philosophes, ce que nous allons retrouver avec les deux péricopes qui constitueront le cœur de cet exposé.
Sagesse 13,1-9
Le livre de la Sagesse (ou Sagesse de Salomon) fait partie des deutérocanoniques ; dès l’Antiquité, l’attribution à Salomon est considérée comme fausse ; Jérôme, suivi par plusieurs auteurs du Moyen Âge, avance le nom de Philon, ce qui est loin d’être sot16. Le livre a été rédigé en grec, probablement vers la fin du ier siècle avant l’ère chrétienne, par un juif d’Alexandrie excellent connaisseur de la Bible juive (par la traduction des Septante). Les exégètes contemporains, dont les principaux en français sont Chrysostome Larcher17 et Maurice Gilbert18, ont insisté sur la connaissance que l’auteur a de la philosophie grecque et ont mis en relief dans leurs études les allusions à celle-ci, voire ses influences ici et là, notamment le fait que l’auteur soit sensible à la beauté des choses. La modération dont il fait preuve à l’égard des penseurs païens est également remarquable, comme cela apparaît dans la péricope dont nous allons étudier les commentaires médiévaux : les païens dont il parle, qui ne sont pas parvenus à une véritable connaissance de Dieu, « ne méritent qu’un léger blâme » (Sg 13,6) ; ils sont « vains » certes, mais ne sont pas aussi coupables que ceux qui ont « placé leurs espoirs dans des objets sans vie » (cf. Sg 13,17). Je m’en tiendrai à la première partie du chapitre, qui concerne ces penseurs 380(et laisserai donc de côté la condamnation de l’idolâtrie, v. 10-19 et la suite). Plusieurs expressions sont intéressantes, notamment celle qui désigne la divinité, τὸνὄντα, qui est (13,1), pour laquelle les commentaires renvoient à Ex 3,14 ; ou l’Artisan, τὸντεχνίτην, artifex (même verset), ou l’auteur de la création, γενεσιουργός, creator (13,5). La tradition d’exégèse de la Sagesse est tardive ; même si Augustin utilise assez fréquemment ce livre19, le premier commentaire connu en latin est celui de Raban Maur20 (c. 780-856). Au xiie siècle, outre la Gloseordinaire21, qui utilise surtout Raban Maur, on relève le commentaire de Pierre le Chantre22. Au xiiie siècle, j’utiliserai les commentaires de Hugues de Saint-Cher23 et le groupe de quatre commentaires dont fait partie celui de Bonaventure24, dont l’attribution n’est plus considérée comme certaine : Jean de Varzy25, Guillaume de Tournai26 et Nicolas de Gorran27, puis ceux de Maître Eckhart28 (un peu décevant pour la péricope), Robert Holkot29, Nicolas de Lyre30 et, plus tard, Denys le Chartreux31.
À titre préliminaire, on observera que, d’une manière générale, les païens visés par le livre de la Sagesse ne sont pas identifiés précisément dans les commentaires médiévaux : seul Raban Maur attribue aux Stoïciens une sorte de panthéisme : « Le monde entier dont les Stoïciens s’efforcent de montrer qu’il est animé et sage n’est pas Dieu32 » ; mais cette suggestion n’est pas reprise et les commentateurs parlent vaguement des « philosophes » ou des « philosophes païens », gentiles philosophi. En revanche, on le verra, les commentateurs les plus tardifs appellent certains philosophes à la rescousse de leur démonstration : Aristote (chez Nicolas de Lyre, 381Robert Holkot et Denys le Chartreux33), Avicenne (Robert Holkot34) et Platon (Denys le Chartreux35). Notons aussi que Nicolas de Lyre, toujours préoccupé par le sens littéral, voit dans les païens visés les Cananéens36.
La connaissance de Dieu est possible. Les exégètes médiévaux reprennent l’idée de la Sagesse que la connaissance de Dieu est possible, notamment à travers les créatures, leur beauté et leur grandeur. Cependant, ils vont bien mettre en relief le fait que, s’il est facile de savoir que Dieu est (quod est), il n’est pas possible de comprendre ce qu’il est (quid est) : le constat est fait ici et là dans les commentaires, mais il est formulé nettement dans une questio qui relève une apparente contradiction entre ce qui est dit en Sg 13,9, quomodo huius Dominum non facile invenerunt, et Sg 9,16, difficile aestimamus quae in terra sunt […] quae autem in caelis sunt quis investigabit ? Voici comment Hugues de Saint-Cher résout le problème :
Il semble que Philon se contredise, puisqu’au-dessus, en 9.d [16], il a dit : Nous envisageons avec difficulté ce qui est sur la terre, ce qui est dans le ciel qui le recherchera ? Et ici il dit : Comment n’ont-ils pas trouvé trop facilement le Seigneur <de toutes ces créatures magnifiques> ? Il aurait dû dire ‘trop difficilement’ : en effet, Dieu est incompréhensible, les créatures sont accessibles à l’intelligence. Solution. C’est une chose de comprendre Dieu et une autre de comprendre que Dieu est. Le premier est impossible ou du moins très difficile […]. Le second est facile, parce que sous la conduite de la raison chacun peut comprendre que Dieu est, ce qui est affirmé ici37.
382La question figure également chez Bonaventure38 (dont la solution est moins intéressante) et chez Robert Holkot, qui ne part pas de la contradiction avec Sg 9,16 mais arrive à la même conclusion, « c’est une chose de comprendre de Dieu qu’il est et une autre ce qu’il est39 ». En dehors de cette question, Nicolas de Lyre, à propos du v. 13,1, observe que le vrai Dieu ne peut pas être connu a priori, mais qu’il est connaissable a posteriori, par les effets de sa création40. Denys le Chartreux commence son commentaire du chapitre en distinguant trois types d’hommes selon la connaissance qu’ils peuvent avoir de Dieu :
–certains ont non seulement une connaissance naturelle mais aussi théologique et surnaturelle, mais ils n’ont pas la science de Dieu, qui est un don et qui est toujours liée à la charité (il s’agit des mauvais catholiques et des hérétiques) ;
–certains ont seulement une connaissance philosophique, ignorant l’Écriture sainte et manquant de foi (les incroyants) ;
–certains ignorent qu’il y a un unique principe au-dessus de tout et sont privés de toute connaissance de la divinité (les idolâtres)41.
Il reprend l’idée de Nicolas de Lyre d’une connaissance a priori et a posteriori, à propos de Sg 13,5, cognoscibiliter poterit horum creator videri :
Leur créateur, c’est-à-dire comprendre que Dieu est la cause de tout. Bien qu’il soit incompréhensible quant à ce qu’il est (quid sit) et ne puisse être connu par la cause, c’est-à-dire a priori, cependant, il est connaissable parce qu’il est, a posteriori par ses effets, puisque toute chose causée porte une certaine similitude avec sa cause42.
383Le moyen de connaître Dieu est donc, comme l’affirme le texte de la Sagesse, d’examiner sa création. Tous les commentateurs insistent sur ce point et je ne citerai que deux d’entre eux. Tout d’abord, Raban Maur, qui emploie l’expression intéressante de fabrica mundi :
La connaissance de Dieu est manifeste à partir de la fabrique du monde. En effet, pour que Dieu, qui est par nature invisible, puisse être aussi connu visiblement, son ouvrage a été fait par lui de manière à manifester son artisan par sa visibilité43.
Le thème de l’artifex est important ; on a vu que la Vulgate (en fait une vieille latine) avait traduit le terme grec τεχνίτης par artifex, qui a une consonance plutôt platonicienne ; mais l’essentiel est, pour les commentateurs, de passer de l’ouvrage réalisé à son ouvrier. Bonaventure emploie une autre expression significative :
Le monde tout entier est comme un livre dans lequel le Créateur peut être connu par la puissance, la sagesse et la bonté qui se reflètent dans les créatures44.
C’est le thème bien connu du monde-livre, totus mundus est quasi liber quidam, qui est aussi l’un des fondements de l’exégèse médiévale45.
À partir de leur investigation de la nature, les meilleurs des philosophes sont arrivés à une perception de l’existence d’un Dieu unique, créateur de l’univers. Comment peut-on définir ce Dieu ? Déjà Raban énonce les caractères majeurs : à partir des œuvres bonnes, ils [le sujet n’est pas explicité] ont pu connaître le bon ouvrier (artifex), qui est au sens propre, qui possède seul l’immutabilité, qui habite la lumière inaccessible, qui est éternel, tout-puissant, sans commencement ni fin et régit et gouverne tout46. 384Les exégètes, en s’inspirant ou non de Raban, reprennent ces termes mais tentent de définir ce qu’est Dieu à partir de la mention de qui est au v. 1, à propos de laquelle tous renvoient à Ex 3,14. Voici ce que dit Bonaventure :
Celui qui est, c’est-à-dire Dieu, dont l’être est substantiel et non accidentel. Dont l’être est toujours présent, jamais passé ou futur […]. Dont l’être est pur, puisque tout ce qui est en lui est lui-même […]. Dont l’être ne vient pas d’un autre […]47.
Par la suite Bonaventure parle de la toute-puissance, du libre-arbitre, de l’immutabilité et de l’éternité de Dieu. Nicolas de Gorran reprend ce texte, qu’il illustre par des citations d’Augustin et de Jérôme48. Nicolas de Lyre donne une interprétation relative de l’expression : « qui est, c’est-à-dire bon par essence49 ». Il en est de même pour Robert Holkot, « Dieu, qui est bon au plus haut point50 ». À propos de qui est, Maître Eckhart renvoie à son commentaire de l’Exode51.
Un notandum de Nicolas de Gorran permet, par une démarche a contrario, de contribuer à cette définition de Dieu :
Il faut noter qu’ils ne devaient pas prendre les créatures pour des dieux :
– du fait de la composition de leur substance. En effet, Dieu est simple […]
– du fait de leur nature corporelle. Dieu est esprit […] Il n’est pas représentable […]
– du fait de leur puissance déterminée et limitée à certains effets. Dieu est tout-puissant […]
– du fait du caractère nécessaire et inévitable des réalités naturelles. Dieu est maître du libre-arbitre […]
– du fait du mouvement local. Dieu est immobile, puisqu’il est le principe de tout mouvement […]
– du fait de leur manque d’éternité. Dieu est éternel, les créatures manquent de l’éternité52.
385Certes, c’est aussi le Dieu des chrétiens qui est ainsi défini ; mais cette caractérisation de la divinité est aussi le minimum commun auquel adhèrent les meilleurs des philosophes.
Précisément, est-il possible d’aller plus loin et de se rapprocher encore plus du Dieu du christianisme ? Plusieurs commentateurs affirment que la connaissance de la Trinité est accessible également à travers la création. Hugues de Saint-Cher le dit nettement, à propos de 13,5 :
Le créateur de ces réalités pouvait être connu visiblement, c’est-à-dire compris. Non seulement Dieu mais toute la Trinité, de sorte que la grandeur réfère à la puissance et ainsi au Père ; la beauté à la sagesse et ainsi au Fils ; la création à la bonté et ainsi à l’Esprit saint53.
La Postille de Nicolas de Lyre est plus réservée sur ce point :
Bien que, à travers les créatures, Dieu ne puisse pas être connu quant à la distinction des Personnes divines, on peut cependant le connaître à travers elles quant aux attributs essentiels, la puissance, la sagesse et autres, dans lesquels <Dieu> transcende sans proportion commune toute nature des créatures de ce monde54.
Le fait qu’il n’énumère pas trois attributs essentiels, disant « et autres » au lieu de la bonté, interdit sans doute d’aller trop loin. Mais il semble bien que la connaissance de la Trinité par les philosophes soit le plus souvent indiquée d’une manière implicite : on a repéré ainsi dans le texte de Bonaventure sur le livre-monde les trois attributs majeurs, qui, implicitement, renvoient à la Trinité.
Quelques remarques diverses pour en terminer avec Sg 13,1-9. Les meilleurs philosophes ont pu arriver à une certaine connaissance de Dieu et les commentateurs ont recours à eux pour conforter leurs démonstrations. Aristote apparaît ainsi chez Nicolas de Lyre comme garant de l’existence d’un premier moteur immobile (il renvoie au 8e livre de la Physique)55. Chez Robert Holkot, c’est le début de 386la Métaphysique qui est cité, à propos de la connaissance par les créatures : les hommes ont commencé à philosopher en s’étonnant des merveilles de ce monde ; il cite également Physique III56. Denys le Chartreux reconnaît à Aristote d’avoir déterminé que la création dépend tout entière d’une puissance supérieure57. Le même auteur cite le livre III du De anima, ainsi que le Timée de Platon à propos de l’existence d’un créateur (artifex) du monde58. Enfin, je relève chez Robert Holkot un renvoi à la Métaphysique d’Avicenne, livre I, à propos de la simplicité absolue et de l’unité de l’être auteur de la création59.
Mais les philosophes n’ont pas été jusqu’au bout : les commentateurs se demandent s’ils sont excusables ou non, n’ayant reçu ni les Écritures saintes ni le message de Jésus. Ils n’ont pas su aller au bout de leur réflexion et, pour certains, ont refusé de tirer les conclusions qui s’imposaient. Cela parce que la science de Dieu s’accompagne de la foi ou, plutôt, comme l’affirment Hugues de Saint-Cher et d’autres, est la foi même60.
Il y aurait beaucoup de richesses à relever encore, notamment dans les commentaires les plus tardifs de la Sagesse. Mais l’objectif était de cerner ce qui concernait le Dieu des philosophes.
387Romains 1,18-23
Ma démarche sera semblable avec Rm 1,18-23, qui décrit les péchés des païens61, notamment à propos de la connaissance qu’ils ont pu avoir de Dieu, et qui est, malgré sa plus grande sévérité à l’égard des Gentils, un texte parallèle à celui de la Sagesse – le rapprochement a été fait par les commentateurs, aussi bien de la Sagesse que de Romains62. Avec les épîtres pauliniennes, nous sommes encore dans un monde saturé de culture hellénique ; les travaux les plus récents soulignent tout ce qui rapproche saint Paul des philosophes « populaires » de son temps et s’efforcent de montrer que la connaissance de la langue grecque en Palestine au premier siècle est bien plus grande que ce que l’on pensait autrefois63. La formation rabbinique de Paul n’empêche donc absolument pas son ouverture à la culture profane contemporaine.
Ici, la tradition d’exégèse est abondante et ancienne, puisque l’on trouve des commentaires des épîtres (notamment de Romains) dès l’époque patristique, avec Augustin, l’Ambrosiaster ou Pélage. Dans le haut Moyen Âge, plusieurs auteurs commentent les épîtres, et cette tradition ne fait que s’accentuer au xiie siècle, où les épîtres, tout en continuant à être commentées dans les monastères (Guillaume de Saint-Thierry nous livre l’un des commentaires les plus intéressants sur la péricope), constituent l’un des textes fondamentaux dans l’enseignement des écoles urbaines, le mouvement se prolongeant au xiiie siècle avec l’exégèse de l’université64. C’est dire que je ne pourrai pas prendre en compte l’ensemble de ce vaste corpus : je me limiterai à une vingtaine de commentaires, dont les plus tardifs sont ceux de Nicolas de Lyre et de Denys le Chartreux.
L’ensemble de Rm 1,18-32 constitue donc une condamnation des erreurs des païens : pour n’avoir pas su rendre hommage au Dieu qu’ils connaissaient, ils sont livrés aux pires passions, notamment 388sur le plan sexuel mais aussi dans leur comportement à l’égard du prochain – l’un des points passionnants étant de savoir pourquoi ces perversions sont une punition de leur méconnaissance de Dieu, le texte insistant bien sur cette conséquence : διό, propter quod, διὰτοῦτο, propterea viennent rythmer le discours. Mais nous ne prendrons en compte ici que la première partie de cette péricope, les v. 18 à 23, où, sans examiner tous les problèmes exégétiques, nous rechercherons uniquement ce qui peut nous aider à trouver une caractérisation du « Dieu des philosophes ».
Car, pour les commentateurs, ce sont bien les philosophes des gentils qui sont visés : presque tous parlent en général des philosophi gentiles. Hatto de Verceil nomme Socrate, Platon, Aristote, Zénon mais aussi les poètes des nations, tels que Virgile, Caton ou Ovide65. Le pseudo-Bruno le Chartreux et le commentaire de Cambridge se réfèrent à Platon, Abélard à Platon et Cicéron66, Gilbert de la Porrée à Hermès Trismégiste67 ; le commentaire de Guillaume de Saint-Thierry comporte toute une partie consacrée à la critique des philosophes68. Encore une fois, Nicolas de Lyre évoque le contexte historique : ce sont les Romains en général (pas seulement les philosophes) qui sont en cause ici, eux qui brillaient par leur raison et leur génie pratique (industria naturalis), qui leur ont permis de dominer le monde plus que la force ou le nombre69. Pour tenter une synthèse des nombreuses informations livrées par les commentaires du passage, je suivrai la divisio textus fournie par Thomas d’Aquin : 1oquid de Deo cognoverunt, 2oa quo 389cognoverunt, 3oper quem modum – sans pour autant me conformer à ses développements.
1. Quid de Deo cognoverunt. Plusieurs auteurs affirment que les philosophes ont connu Dieu d’une connaissance véritable. C’est ainsi le cas de Gilbert de la Porrée :
Les nobles philosophes ont fait des recherches au moyen de la raison naturelle et <du fait de> la beauté de l’univers, comme si c’était une voix qui leur répondait, à partir de l’art, ils ont connu l’artisan, ex arte artificem cognoverunt70.
C’est un argument qui apparaît souvent. Le commentaire de Cambridge demande si les Gentils ont eu une connaissance véritable de Dieu : oui, dit-il, ils possèdent « cette connaissance que nous avons maintenant de Dieu, de son unité, de sa Trinité71 ». De même, Pierre Lombard estime que les philosophes détiennent une connaissance véritable de Dieu, puisqu’elle s’est spontanément offerte à eux : « Tu as trouvé Dieu, ô toi païen, ô toi philosophe, et tu adores une idole72. » Citons encore Thomas d’Aquin, qui s’inscrit dans la ligne du Lombard :
Ils ont détenu la vérité de Dieu. Il y eut en eux une véritable connaissance de Dieu quantum ad aliquid[…] ce qui est connaissable de Dieu par l’homme grâce à la raison, du fait d’une lumière intérieure73.
On l’a vu, le commentaire de Cambridge mentionne la Trinité et pose ainsi la question de ce qui peut être connu du Dieu. Commençons par le plus simple, ce qui ne peut pas être connu. « Multa sunt quae de Deo per naturam sciri non possunt », comme le dit Pierre Lombard. Si Abélard répond que c’est l’Incarnation et Hervé du Bourg-Dieu 390l’Incarnation et la Passion, presque tous s’accordent pour parler de la rédemption et de l’Incarnation, en se fondant souvent sur un texte de Grégoire le Grand repris dans la Glossa : c’est le cas de Pierre Lombard, Thomas d’Aquin, Pierre de Jean Olieu ou Nicolas de Gorran. Bien sûr, on retrouve aussi le thème déjà rencontré à propos de Sagesse 13 : « dans cette vie présente est ignoré de l’homme ce qu’est Dieu, quid est Deus », comme le dit Thomas, ou comme le précise Nicolas de Gorran, « ce qui est inconnu de Dieu est la structure (ratio) de sa substance ou de sa nature, qui échappe à toute créature ». Mais on verra qu’il y a des nuances à apporter.
C’est à propos du terme invisibilia que les commentateurs sont amenés à déterminer ce qui peut être connu et ce qui ne peut pas l’être – je laisse de côté le problème posé par le pluriel de ce terme, qui semble en contradiction avec la simplicité de Dieu. Rm 1,20 affirme bien que les invisibilia sont perçus au moyen de ce qui a été créé. Haymon d’Auxerre reste dans le vague en parlant des secrets (sacramenta) de Dieu74. D’autres commentateurs énumèrent les caractères de la divinité : éternité, puissance (virtus), toute-puissance ; on trouve cela chez Hervé du Bourg-Dieu75 ; Nicolas de Lyre parle des attributs essentiels comme la sagesse, la bonté et autres semblables76. Pierre de Jean Olieu note que par invisibilia « sont désignées les qualités essentielles prises abstraitement, comme le fait que Dieu soit infini, immuable, éternel etc. », en faisant observer que ces termes sont « privatifs » puisque leur connaissance se fait par le mode de la privation (nous dirions de la négation) et du « super-excès77 ». Denys le Chartreux voit dans invisibila « la nature divine incorporelle, simple et indivisible et ses perfections qui peuvent être connues par voie naturelle, sa justice, sa puissance, sa providence etc.78 ». Bruno le Chartreux suggère rapide391ment qu’il s’agirait des invisibilia de l’essence divine79 – ce qui semble en contradiction avec l’impossibilité de connaître le quid est de Dieu. Mais, comme nous le voyons chez Pierre de Tarentaise80, il ne faut pas surinterpréter cette indication et y voir plutôt une connaissance de l’existence de Dieu et de ses attributs essentiels : « quantum ad essentiam et attributa essentialia », essentia me semble signifier ici l’existence même de Dieu, son esse ; le texte cité de Pierre de Jean Olieu conforte cette interprétation.
Mais à propos encore des invisibilia, les commentaires engagent des développements sur la Trinité. Robert de Melun affirme tout nettement qu’il s’agit des personnes de la Trinité : « que l’on ne s’étonne pas, dit-il, que l’Apôtre enseigne que les philosophes des nations ont eu une connaissance de la Trinité », et il relève que saint Augustin l’a bien montré81. Hugues de Saint-Cher ne le dit pas aussi explicitement, mais il identifie ces invisibilia à la sagesse, la puissance et la bonté, qui sont les appropriations des personnes de la Trinité82. En fait, la discussion sur la Trinité englobe plus généralement l’ensemble du v. 20, et ce que l’on trouve le plus souvent est le schéma suivant, fourni par la Glossa et repris par de nombreux auteurs :
invisibilia > Pater
virtus > Filius
divinitas > Spiritus sanctus
ou bien, schéma que Robert de Melun juge préférable :
invisibilia > Spiritus sanctus (du fait des sept dons invisibles de l’Esprit saint)
virtus > Filius
divinitas > Pater83.
392Abélard, quant à lui, reprend les attributs classiques potentia, sapientia, benignitas. Cette connaissance naturelle de la Trinité est justifiée par les exemples classiques du sceau et de l’âme tripartite (Robert de Melun84). Pierre de Tarentaise pose une question à ce sujet :
La Glossa indique que par les invisibilia on comprend le Père, par la puissance le Fils, par la divinité l’Esprit saint. Donc les philosophes ont eu connaissance de la Trinité au moyen des créatures. Ce à quoi s’oppose une glose sur le chapitre 8 de l’Exode, dans laquelle Augustin dit que les philosophes n’ont pas connu la troisième personne de la Trinité, l’Esprit saint. Réponse : ils n’ont pas connu ce qui est propre (propria) aux Personnes mais les appropriations, c’est-à-dire la puissance, la sagesse <et la bonté>, et ils ont parlé de ces attributs comme des trois personnes85.
2. A quo cognoverunt. Par qui les philosophes païens ont-ils eu cette connaissance ? La question peut surprendre, mais elle dirige vers la nécessité de l’aide de Dieu. Je serai rapide sur ce point, il n’y a pas énormément d’éléments à ce sujet dans mon corpus. Le pseudo-Bruno accompagnait son affirmation que « Platon et certains philosophes ont naturellement connu qu’il y a un seul créateur de tout », de la remarque que « la grâce coopérante de Dieu » (adiutrice gratia) était nécessaire86. Hugues de Saint-Cher mentionne le don de connaissance, donum scientiae87. Pour Pierre de Jean Olieu, la manifestation de Dieu (v. 19) se fait
en donnant <aux Gentils> la lumière naturelle de l’intelligence et en leur montrant les effets extérieurs par lesquels ils puissent être conduits par la main (manuduci) vers la connaissance de Dieu, et encore par une providence spécifique dirigeant leurs intellects vers la connaissance de Dieu88.
393Un point particulier est lié à cela. Il apparaît sous forme de questio chez Pierre de Tarentaise et chez Nicolas de Gorran ; la question est provoquée par la difficulté que nous avons brièvement signalée de ces réalités invisibles qui sont perçues (invisibilia conspiciuntur). Je traduis Nicolas de Gorran :
Les réalités intelligibles sont perçues. Glossa : il y a une vision corporelle, imaginaire et intellectuelle. La perception dont il est question ici est du troisième type. En sens contraire : La vision intellectuelle est le troisième ciel, comme le dit la Glose sur 2 Co 12 [il s’agit du « rapt » de saint Paul jusqu’au troisième ciel]. Donc les philosophes ont été emportés (rapti) jusqu’au troisième ciel, ce qui est faux. Réponse : ‘vision intellectuelle’ est pris ici au sens large, c’est-à-dire quand une chose est comprise par sa forme extérieure (species) qui demeure dans l’intellect. D’une autre manière, on prend l’expression au sens strict quand une chose est comprise par sa propre forme extérieure qui n’est pas autre chose que son essence, et ainsi parle-t-on de troisième ciel. Les philosophes n’ont pas compris ainsi, bien qu’ils aient pu comprendre selon le premier sens89.
Il ne s’agit donc pas d’une perception directe de l’essence mais d’une perception médiatisée par les concepts et les représentations mentales. Mais en elle-même la question est intéressante dans la mesure où les commentateurs peuvent aller très loin dans la définition de la connaissance de Dieu que peuvent les philosophes.
3. Per quem modum. Justement, comment les philosophes païens peuvent-ils avoir cette connaissance de Dieu ? Nous ne redirons pas ce qui concerne l’aide divine et nous ne reprendrons pas le thème de la connaissance par les œuvres – je mentionnerai très rapidement le motif des « vestiges du Créateur » chez Hervé du Bourg-Dieu et celui de la « créature image de Dieu » chez Robert de Melun et Denys le Chartreux90. Je me contenterai de relever 394des listes de moyens de connaître Dieu qui sont données dans les commentaires. Passons rapidement sur le couple per naturam et per rationem, chez Pélage, dans la Glossa ou chez Abélard91. De même, Robert de Melun parle de la raison naturelle et du don de grâce92.
Haymon donne une liste plus importante93 : Dieu peut être connu par la beauté de la création, par l’intelligence naturelle et par une recherche poussée ou bien par une inspiration « occulte ». Thomas d’Aquin donne une liste différente ; Dieu peut être connu de trois façons à partir des créatures :
–par la causalité ;
–par la voie de l’excellence ;
–par la voie de la négation ;
dans les trois cas, la connaissance est acquise grâce à la lumière de la raison qui a été infusée94.
Dans un notandum, Pierre de Tarentaise précise que l’on lit que certains sont parvenus à la connaissance de Dieu par de nombreux moyens :
–par la raison naturelle ;
–par l’infusion de la grâce ;
–par la considération des créatures ;
–par l’étude des Écritures ;
–par les miracles95.
395Bien sûr, seuls les trois premiers concernent les non-croyants. Il en est de même pour la liste que donne Denys le Chartreux :
Dieu a révélé la vérité aux hommes de différentes manières :
– par l’infusion de la sagesse ;
– par une révélation angélique ;
– par l’instruction des saints ;
– par la raison naturelle ;
Selon Jean Damascène, la connaissance de l’existence de Dieu est inscrite naturellement chez tous les hommes96.
Je terminerai encore plus rapidement en citant un texte de Guillaume de Saint-Thierry, que je n’ai guère exploité malgré la richesse et l’intérêt de son commentaire :
Ces philosophes, que la renommée place à bon droit au-dessus de tous les autres, ont vu qu’aucun corps n’était Dieu. Aussi, dans leur quête de Dieu, ont-ils dépassé tous les corps. Ils ont vu que le Dieu suprême n’était rien de ce qui change. Aussi, dans leur quête du Dieu suprême, ont-ils dépassé toute âme et tout esprit sujets au changement. Puis ils ont vu que, dans une réalité changeante, quelle qu’elle soit, la forme par laquelle elle est ce qu’elle est, de quelque façon et de quelque nature que ce soit, ne peut être que par celui qui est véritablement, parce qu’il est sans changement […]. Et ils ont compris qu’en raison de ce non-changement et de cette simplicité, Dieu a fait toutes les choses changeantes, tandis que lui-même n’a pu être fait par personne97.
De même, Thomas d’Aquin résume ainsi ce que les philosophes ont connu de Dieu : ils ont connu par la voie de la négation, et à travers des similitudes, les qualités de Dieu (et non son essence) ; sa puissance, par la voie de la causalité ; Dieu comme fin ultime vers laquelle tout tend, par la voie de l’excellence98.
Aussi Hervé du Bourg-Dieu peut-il à bon droit exalter l’apport des philosophes :
Certains d’entre eux non seulement ont œuvré à l’institution des arts très utiles et à l’enseignement des disciplines libérales, mais ils ont tendu leur esprit également à la recherche du bien suprême et ont perçu les 396réalités invisibles de Dieu en les comprenant à travers les choses créées. Mais ils n’ont pas rendu grâces à Dieu […]99.
À leur manière et selon leurs moyens les philosophes des nations ont contribué à faire évoluer la connaissance de Dieu. On est proche de l’esprit de la Sagesse. Sans doute faudrait-il poursuivre l’enquête et exploiter d’autres textes, comme les commentaires de Maître Eckhart, notamment celui de Jean et celui de l’Exode ; en lisant Maître Eckhart, nous mesurons l’importance d’un auteur dont il n’a pas été question dans cette étude, Maïmonide, le Rabbi Moyses des Latins, qui, en voulant guider ceux que l’opposition entre l’Écriture et Aristote laissait perplexes, a aussi contribué à introduire dans la pensée théologique (et dans l’exégèse) le Dieu des philosophes. Mais ce sont encore d’autres pistes à explorer.
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1 Voir Gilbert, 1973, p. 43.
2 Voici quelques traductions françaises : Bible du Rabbinat, « Je suis l’Être invariable » ; Bible de Jérusalem, « Je suis celui qui est » ; Nouvelle Bible Segond, « Je serai qui je serai » ; Traduction œcuménique de la Bible (2010), « Je suis qui je serai » ; H. Meschonnic, « je serai que je serai ».
3 Dieu et l ’ être, 1978 ; Celui qui est (Libera – Zum Brunn, 1986).
4 Voir notamment Malherbe, 1989.
5 J’utiliserai ici les résultats de mon étude, Dahan, 1990.
6 Febvre, 1962.
7 Augustin, Enarrationes in Psalmos, éd. et trad. fr. Dulaey, 2009, p. 504-505 : « Nec ipsi enim sacrilegi et detestandi quidam philosophi, qui peruersa et falsa de Deo sentiunt, ausi sunt dicere : Non est Deus. Ideo dixit in corde suo, quia nemo hoc audet dicere, etiam si ausus fuerit cogitare. »
8 Ms. Troyes 488, fol. 16r : « Insipiens gentilis dixit quod deus non est. Sed hoc non uerbis sed tantum in corde dixit. Neque ipsi sacrilegi philosophi qui falsa de Deo senserunt ausi sunt dicere : Non est Deus, et ideo adiunctum est in corde suo, quia hoc nemo audet dicere, etiamsi ausus fuerit cogitare. »
9 PL 142, 81 : « Insipiens etiam gentilis dicitur, Deum non esse putans, qui corruptus est mente, lignum sibi deum faciens. »
10 PL 165, 1172 : « Gentiles alium deum non esse affirmaverunt nisi fortunam et animam. »
11 « Non est Deus : fortuna non Deo regitur mundus, qui constat ex athomis et inani, ut quidam dicebant. Alii dicebant : “Iupiter est quodcumque uides, quodcumque mouetur”, et diuersos diuersis sibi constituebant deos, alii solem, alii lunam, alii alias creaturas uenerantes, cum tamen tam hii quam illi per uisibilia ad cognitionem Creatoris possint pertingere » (Dahan, 1990, p. 26).
12 Ms. Alençon 22, fol. 22vb : « Dixit gentilis, qui plus negavit essentiam esse quam iudeus… Iste gentilis fuit Epicurus, qui ex fortuito rerum casu omnia contingere putabat. »
13 De fide orthodoxa I, 3 ; cf.PG 94, 793-796 ; Jean Damascène, La foi orthodoxe, éd. Ledrux, 2010, p. 142-145.
14 Thomas d’Aquin, Expositio in Iob et in primam Davidis quinquagenam, éd. de Naples, 1857, p. 186 : « Sed numquid potest cogitari Deum non esse ? Anselmus dicit quod nullus potest. Item Damascenus. Cognitio Dei naturaliter omnibus est inserta ; naturaliter cognita nullus potest cogitare non esse. Sed sciendum quod de cognitione Dei dupliciter loqui possumus, scilicet secundum se vel quoad nos. Si primo modo sic procul dubio non potest cogitari non esse […]. Ergo qui dicit Deum secundum se, dicit ipsum esse, et ideo secundum se non potest cogitari non esse, et verbum Damasceni solvitur : quia quod naturaliter insertum est, indeterminate scitur, scilicet quod Deus sit, sed non idem quod Deus <est>, sed per fidem habetur. »
15 Anselme de Cantorbery, Proslogion, chap. 4, éd. et trad. fr. Corbin, 1986, p. 246-249.
16 Prologue Iungat epistola, Biblia sacra, 1994, p. 957 : « […] Secundus [liber = Sapientia] apud Hebraeos nusquam est, quin et ipse stilus graecam eloquentiam redolet ; et nonnulli scriptorum veterum hunc Iudaei Filonis adfirmant. »
17 Larcher, 1969.
18 Gilbert, 1973. – Pour des commentaires plus récents, voir Winston, 1979 ; Hübner, 1999 ; Albrecht, 2015. Je remercie Christian Grappe de m’avoir communiqué ces références.
19 Cf. La Bonnardière, 1970 (p. 302-303 pour les utilisations du chap. 13).
20 PL 109, 671-762.
21 J’utilise la réimpression de l’édition de Strasbourg, 1480-1481, Turnhout, Brepols, 1992.
22 Ms. Paris, BnF lat. 15565, fol. 126ra-135rb.
23 Hugues de Saint-Cher, 1669, t. III, fol. 139ra-171rb.
24 Bonaventure, 1893, p. 107-233.
25 Ms. BnF lat. 14259, fol. 226ra-306rb.
26 Ms. BnF lat. 14260, fol. 133ra-204vb.
27 Ms. BnF lat. 14251, fol. 318ra-365va.
28 Voir Théry, 1928 et 1929-1930.
29 Robert Holkot, 1506.
30 Biblia sacra, 1634, t. III, col. 1895-1986.
31 Denys le Chartreux, 1989, p. 451-562.
32 PL 109, 731 : « Quod si neque coelum neque terra neque mare, quae mundi partes sunt, dii esse possunt, ergo nec mundus quidem totus Deus est, quem ipsi Stoici et animantem et sapientem esse contendunt […]. »
33 Biblia sacra, 1634, t. III, col. 1955 : « Cum igitur omnes creaturae visibiles sint mutabiles aliquo modo, potuerunt venire ex illis ad cognitionem primi motoris omnino immobilis, sicut Philosophus deducit 8. Physic. » Robert Holkot, lectio 155, 1506, fol. 144vb : « Sicut etiam Aristoteles per viam motus nisus est probare unum primum mouens esse impartibile et infinitum, nullam habens magnitudinem corporalem, viii. Phisicorum. »Cf. Denys le Chartreux, 1898, p. 530.
34 Robert Holkot, lectio 144, 1506, fol. 142vb : « Cum enim viderent creaturas esse bonas, potuerunt arguisse ad unum per se bonum deveniendum, sicut arguit Auicenna i. sue methaphisice […]. »
35 Loc. cit.
36 Biblia sacra, 1634, t. III, col. 1951 : « Haec est pars incidentalis in qua occasione idololatriae Chananaeorum tractat generaliter de idololatria gentium. »
37 Hugues de Saint-Cher, 1669, t. III, fol. 161vb : « Sed videtur quod Philo sibiipsi sit contrarius ; supra enim 9.d dixit : Quae in terris sunt difficile aestimamus, quae in caelis sunt, quis inuestigabit ? Hic dicit : Quomodo huius Dominum non facilius inuenerunt ? Imo deberet dicere ‘difficilius’. Deus enim incomprehensibilis est, creaturae vero comprehensibiles intellectu. Solutio. Aliud est comprehendere Deum, aliud est comprehendere quod Deus est. Primum impossibile vel nimis difficile est. Et de hoc dictum est supra 9. Secundum facile est, quia ductu propriae rationis potest quilibet comprehendere quod Deus est, hoc dicitur hic. »
38 Bonaventure, 1893, p. 194 : « Sed contra : Difficile aestimamus quae in terra sunt, quae autem in caelis sunt, quis investigabit ? Dicendum quod non vult dicere quod facilius potuerunt cognoscere Deum esse horum auctorem simpliciter, sed ipsum potius esse Deum quam ea quae colebant. »
39 Robert Holkot, lectio 156, 1506,fol. 144va : « Dicunt doctores quod aliud est comprehendere de Deo quia est et aliud quid est. »
40 Biblia sacra, 1634, t. III, col. 1953 : « Attendentes agnoverunt quis esset artifex, scilicet Deus verus, qui licet a priori non possit cognosci, cognoscibilis tamen est a posteriori, scilicet ab effectibus. »
41 Denys le Chartreux, 1898, p. 529.
42 Ibid., p. 530 : « Cognoscibiliter poterit creator horum videri, id est Deus omnium causa intelligi. Quamvis incomprehensibilis sit, quantum ad quid est nec cognosci possit per causam, id est sciri non possit a priori, tamen cognoscibilis, quia est, et a posteriori per suos effectus, cum omne causatum sit quaedam similitudo suae causae. »
43 PL 109, 732 : « Notitia Dei manifesta est ex mundi fabrica. Ut enim Deus, qui natura invisibilis est, etiam visibilis possit sciri, opus factum ab eo est, quod opificem visibilitate sua manifestaret […]. »
44 Bonaventure, 1893, p. 193 : « Totus mundus est quasi liber quidam in quo Creator potest cognosci per eius potentiam, sapientiam, bonitatem, relucentes in creaturis. »
45 Voir Curtius, 1956, p. 390-399 ; Brinkmann, 1980 ; Dahan, 2009.
46 PL 109, 731 : « Ex bonis operibus enim potuerunt cognoscere bonum artificem, qui proprie est, quia semper immutabilis est, qui solus habet immortalitatem et lucem habitat inaccessibilem, qui semper idem est et cuius anni nunquam deficient, qui aeternus est et omnipotens sine initio et sine fine semper in se manens, secundum voluntatem suam regit ac gubernat omnia. »
47 Bonaventure, 1893, p. 192 : « eum qui est, id est Deum, cui esse est substantiale, non accidentale. Item cui esse semper praesens est, nunquam praeteritum aut futurum […]. Item cuius esse purum est, quia quidquid in eo est ipse est […]. Item cuius esse ab alio non est […]. »
48 Ms. BnF lat. 14251, fol. 359va.
49 Biblia sacra, 1634, col. 1952 : « Non potuerunt intelligere eum, qui est, scilicet bonus per essentiam. »
50 Robert Holkot, lectio 154, 1506, fol. 142vb : « Eum qui est, id est Deum qui est summe bonus. »
51 Théry, 1928, p. 337-338.
52 Ms. BnF lat. 14251, fol. 359vb : « Notandum quod non debuerunt creaturas putare deos : 1o propter substantie compositionem ; Deus enim simplex est […]. »
53 Hugues de Saint-Cher, 1669, t. III, fol. 161va : « Cognoscibiliter poterit Creator horum videri, id est intelligi, non solum Deus, imo tota Trinitas, ut magnitudo referatur ad potentiam, et ita ad Patrem ; species ad sapientiam, et sic ad Filium ; creatio ad benegnitatem, et sic ad Spiritum sanctum. »
54 Biblia sacra, 1634, t. III, col. 1954 : « […] licet per creaturas non possit cognosci Deus quantum ad distinctionem personarum diuinarum, potest tamen per eas cognosci quantum ad essentialia attributa, scilicet potentiam, sapientiam et huiusmodi, in quibus improportionabiliter transcendit omnem naturam creaturarum mundi. »
55 Texte cité supra n. 33. Cf.Phys. VIII, notamment chap. 10, 267b 6-17.
56 Robert Holkot, lectio 155, 1506,fol. 143va : « Igitur si virtutem et opera eorum [corpora celestia] mirati sunt (quia propter mirari ceperunt homines philosophari, i. Metha.) […]. »Cf.Métaph. I, 2, 982b 12. Voir aussi texte cité supra n. 33.
57 Denys le Chartreux, 1898, p. 530 : « Aristoteles ait : Oportet hunc mundum esse contiguum lationibus superiorum, ut tota eius virtus inde gubernetur. »Cf.Météorologiques A 2, 339a 21-23, Aristote, 1982, p. 3-4. Voir aussi la traduction de Guillaume de Moerbeke, éd. Vuillemin-Diem, 2008, p. 10.
58 Ibid. : « In primo Timaei Plato inducit opificem universi […]. Aristoteles quoque tertio de Anima solem appellat patrem virorum ac deorum. »
59 Robert Holkot, lectio 154, 1506,fol. 142vb : « Cum enim viderent creaturas esse bonas, potuerunt arguisse ad unum per se bonum deveniendum, sicut arguit Avicenna i. sue Metha. »
60 Hugues de Saint-Cher, 1669, t. III, fol. 161rb : « Scientia Dei, id est scientia de Deo, id est fides qua Deus agnoscitur. Et bene dicitur subest, quia fides est fundamentum totius aedificii spiritualis. » Raban Maur, PL 109, 730, ajoute la crainte : « Scientia Dei, hoc est timor et reverentia Dei » ; de même Robert Holkot, lectio 154, 1506, fol. 142vb.
61 La péricope Rm 1,18-31 a été étudiée lors de la quinzième « journée biblique » organisée par l’EA 4378 (Faculté de théologie protestante, Strasbourg) et l’UMR 8584 (Laboratoire d’études sur les monothéismes / Institut d’études augustiniennes). J’utilise quelques éléments de ma propre communication, mais la perspective est différente.
62 Gilbert 1973, p. 1-2 ; Romaniuk, 1967-1968.
63 Malherbe 1989 ; Lieberman, 1994.
64 Affeldt, 1969 (p. 256-285, liste des commentaires de Rm jusqu’à Nicolas de Lyre) ; Dahan, 2009.
65 PL 134, 140 : « Obscuratum est insipiens cor eorum […]. His verbis denotat Apostolus philosophos et redarguit poetas gentium, Socratem, Platonem, Aristotelem, Zenonem, Virgilium, Catonem, Ovidium Nasonem et caeteros qui divinitatis honorem mortuis hominibus impendebant. »
66 Pseudo-Bruno, PL 153, 24 : « Plato et quidam philosophi naturaliter cognoverunt esse unum Creatorem omnium, non tamen sine adiutrice gratia Dei » ; Commentarius Cantabrigiensis, 1937, p. 21 : « Per hanc suam picturam, id est mundum, a philosophis cognitus est <Deus>. Unde Plato noym et mentem a Deo natam et animam omnia replentem predicabat » ; Abélard, PL 178, 804 : « Unde et Plato ipse, cum de genitura mundi ageret, in tantum divinae potentiae et sapientiae bonitatem extulit, ut astrueret Deum nullatenus potuisse mundum meliorem facere quam fecerit […]. Tullius in primo Rhetoricae suae mundum ipsum providentia non fortuitu regi valida ratione monstravit […]. »
67 Ms. BnF lat. 12028, fol. 5ro : « Nam Hermes Trimegistus ait quod sicuti summus Deus aliquos ad similitudinem sui deos fecit eternos, sic homo deos suos ex sui cultus similitudine figuravit. »
68 Guillaume de Saint-Thierry, éd. Verdeyen, 2011, p. 156-163.
69 Biblia sacra, 1634, t. VI, col. 23 : « Ostendit per hoc quod Romani vigebant ratione et industria naturali […]. »
70 Ms. BnF lat. 12028, fol. 4vo : « Quia nobiles philosophi per naturalem rationem quesierunt et omnium rerum speciem tanquam uoce sibi respondente, ex arte artificem cognouerunt. »
71 Commentarius Cantabrigiensis, 1937, p. 21 : « Veramne de Deo notitiam habuerunt ? Revera. Quia, quod notum est Dei, id est illa notitia quam modo de Deo habemus vel de unitate vel de trinitate, sed de incarnatione nichil. »
72 PL 191, 1326 : « Invenisti enim Deum, o tu gentilis, o philosophe, et colis idolum […]. »
73 Thomas d’Aquin, éd. Cai, 1953, p. 21-22 : « Veritatem Dei detinuerunt <sapientes gentilium>, fuit enim in eis quantum ad aliquid vera Deo Dei cognitio, quia quod notum est Dei, id est quod cognoscibile est de Deo ab homine per rationem, manifestum est in illis, id est manifestum est eis ex eo quod in illis est, id est ex lumine intrinseco. »
74 PL 117, 374 : « Invisibilia sacramenta omnipotentis Dei a creatura mundi, id est ab homine maximeque a philosophis gentium, per ea quae facta sunt sunt visibilia, intellecta sive percepta et cognita conspiciuntur, non oculis corporeis, sed oculis mentis intelliguntur […]. »
75 PL 181, 610 : « Nam invisibilia ipsius, id est aeternitas, virtus, divinitas et omnipotentia conspiciuntur a creatura mundi[…]. »
76 Biblia sacra, 1634, col. 24 : « Quod notum est Dei, id est in conditionibus divinis per rationem naturalem cognitis, cuiusmodi sunt essentialia attributa, ut sapientia, bonitas et similia. »
77 Pierre de Jean Olieu, éd. Boureau, 2010, p. 56 : « Possunt etiam per hoc significari diversa, ut per invisibilia designentur essentialia in Deo abstracte sumpta, ut quod Deus est infinitus, immutabilis et eternus et consimilia ; hec autem convenienter designantur per nomen privativum […] quia istorum notitia valde exigit modum cognitionis qui est per privationem et superexcessum. »
78 Denys le Chartreux, 1901, p. 15 : « Invisibilia ipsius, id est divina natura incorporea, simplex et invisibilis et perfectiones eius quae naturaliter sciri possunt, videlicet iustitia, potentia, providentia etc. »
79 PL 153, 24 : « Nam invisibilia ipsius divinae essentiae conspiciuntur a creatura mundi, nec obscure sed lucide intellecta, per illa quae facta sunt. »
80 Pierre de Tarentaise, 1617, p. 18 : « Invisibilia enim ipsius etc. Uno modo de cognitione Dei quantum ad essentiam et attributa essentialia. Alio modo quantum ad personas. »
81 Robert de Melun, éd. Martin, 1938, p. 24 : « Invisibilia enim. Personarum Trinitas secundum quasdam glosas hic distinguitur. Et non mireris si Apostolus docet philosophos Gentium noticiam habuisse Trinitatis […] cum Augustinus in libro Confessionum et in libro De civitate Dei propriis auctoribus eos de cognitione Trinitatis convincat. »Cf.Conf. VII, 9 ; De civ. Dei VIII, 10-11.
82 Hugues de Saint-Cher, 1669, t. VII, fol. 13ra : « Invisibilia Dei, id est Deus invisibilis, vel id est sapientia, potentia, bonitas. »
83 Robert de Melun, éd. Martin, 1938, p. 25 (cite d’abord le schéma habituel, puis le sien, « quod melius est »).
84 Robert de Melun, éd. Martin, 1938 p. 26 : « Sunt enim in eadem anima tria hec : mens, sapientia, gaudium, quemadmodum in essentia divina tres persone » ; p. 27 : pour l’image du sceau. Abélard donnait quant à lui l’image d’une statue de bronze (PL 178, 804).
85 Pierre de Tarentaise, 1617, p. 20 : « Glossa : per invisibilia Pater, per virtutem Filius, per divinitatem intelligitur Spiritus sanctus ; ergo philosophi per creaturas cognoverunt Trinitatem. Contra, Exod. 8, glossa Augustini quod Philosophi non cognoverunt tertiam personam in Trinitate, id est Spiritum sanctum. Resp. : Non cognoverunt propria personarum sed appropriata, scilicet potentiam et sapientiam <et bonitatem>, et de his tribus attributis quasi de tribus personis sunt locuti. »
86 Cf. supra n. 66.
87 Hugues de Saint-Cher, 1669, t. VII, fol. 13ra : « Philosophi cognoscunt Deum per donum scientiae sive intellectus […]. »
88 Pierre de Jean Olieu, éd. Boureau, 2010, p. 56 : « Deus enim illis manifestavit, dando scilicet eis naturale lumen intellectus et exhibendo exteriores effectus per quos possent in Dei noticiam manuduci, et item per specialem providentiam dirigendo intellectus eorum ad noticiam Dei. »
89 Ms. BnF lat. 15277, fol. 9ra : « Intellecta conspiciuntur. Glossa : Est visio corporalis, ymaginaria et intellectualis ; de tercio genere est visio ista, quam hic commemorat apostolus. Contra : Visio intellectualis est tercium celum, ut dicit Glosa II. Cor. xii. Ergo philosophi rapti fuerunt usque ad tercium celum, quod falsum est. Responsio : Visio intellectualis hic accipitur large, quando scilicet aliquid intelligitur per speciem suam relictam in intellectu. Alio modo accipitur stricte secundum quod aliqua res intelligitur per speciem suam que non est aliud quam essencia rei, et sic apellatur tercium celum, et isto modo non intellexerunt philosophi, licet primo modo intelligere potuerunt. »
90 Hervé du Bourg-Dieu, PL 181, 610 : « Vestigia quippe Creatoris sunt mira opera invisibilis creaturae, quoniam per haec quae ab ipso sunt, imus ad ipsum » ; Robert de Melun, 1938, p. 26 : « Omnis enim creatura imago Dei est in agnitione sui resultans : quelibet enim creatura suum creatorem demonstrat » ; Denys le Chartreux, 1901, p. 15 : « Cum omnis creatura sit quidam radius sui creatoris […]. »
91 Pélage, éd. Souter, 1926, p. 14 : « Cognouerunt Deum siue per naturam siue per facturae rationem » ; Glossa interlin. : « Qui cum cognovissent] per naturalem rationem et creaturae revelationem » ; Abélard, PL 178, 802 : « […] etiam sine scripto a gentibus per naturalem legem Dominum antea notum fuisse, ipso eis de seipsis per rationem quam dederat, hoc est legem naturalem […]. »
92 Robert de Melun, éd. Martin, 1938, p. 24 : « Duobus modis veritatem Dei detinebant, scilicet naturalem ratione […] et dona gratie. »
93 PL 117, 373-374 : « Ex pulchritudine visibilium operum cognitio opificis et maiestas innotuit philosophis […]. Sive per naturale ingenium et rationum donum atque acumen studii, sive per occultam inspirationem revelavit Deus eis quia non hoc est Creator quod creatura, quia Creator est Deus, creatura vero est factura Dei. »
94 Thomas d’Aquin, éd. Cai, 1953, p. 22 : « Potest tamen homo ex huiusmodi creaturis Deum tripliciter cognoscere […] per causalitatem […] per viam excellentiae […] per viam negationis. »
95 Pierre de Tarentaise, 1617, p. 18-19 : « Notandum quod multis modis leguntur aliqui pervenisse in Dei cognitionem. Per naturalem rationem […]. Per gratiae infusionem […]. Per creaturarum considerationem […]. Per Scripturarum inspectionem […]. Per miraculorum operationem […]. »
96 Denys le Chartreux, 1901, p. 15 : « Pluribus modis Deus revelavit hominibus veritatem, videlicet per sapientiae infusionem, per angelicam revelationem, per Sanctorum instructionem, per naturalem rationem. Secundum Damascenum quoque omnibus naturaliter inserta est cognitio existendi Deum. »
97 Guillaume de Saint-Thierry, éd. Verdeyen, 2011, p. 158-159.
98 Thomas d’Aquin, éd. Cai, 1953, p. 21-24.
99 PL 181, 612 : « Cum quidam eorum non solum ad instituta utilissimarum artium et doctrinam liberalium disciplinarum sed etiam ad inquisitionem summi boni aciem mentis intenderint, et invisibilia Dei per ea quae facta sunt, intellecta conspexerint, non agentes tamen gratias Deo […]. »