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Classiques Garnier

L’émergence des notions de tolérance et de liberté religieuses dans l’Antiquité chrétienne

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses
    2019 – 3, 99e année, n° 3
    . varia
  • Auteur : Aragione (Gabriella)
  • Résumé : Au début de notre ère, les communautés chrétiennes se trouvent confrontées à des situations où le religieux génère des troubles. Théologiens et autorités politiques essayent de résoudre les conflits et de garantir un modus vivendi acceptable. Les notions de tolérance et de liberté religieuses émergent-elles alors ? On se propose ici de réfléchir à cette question controversée à partir de l’analyse des expressions censées véhiculer ces deux principes : tolerantia et libertas religionis.
  • Pages : 349 à 374
  • Revue : Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
  • Thème CLIL : 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
  • EAN : 9782406096832
  • ISBN : 978-2-406-09683-2
  • ISSN : 2269-479X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09683-2.p.0019
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/09/2019
  • Périodicité : Trimestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Tolérance, intolérance, liberté religieuse, conscience, persécutions, dissidences, coercition, Édit de Milan, Cyprien, Tertullien
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Lémergence des notions
de tolérance et de liberté religieuses dans lAntiquité chrétienne

Gabriella Aragione

Université de Strasbourg – Faculté de Théologie Protestante (EA 4378)

Introduction

Au cours de ces vingt dernières années, les publications sur les notions de tolérance et de liberté religieuses dans lAntiquité tardive se sont multipliées de manière exponentielle. Les raisons principales de ce phénomène éditorial sont, nous semble-t-il, au nombre de deux : la commémoration du 17e centenaire de ce que lon appelle traditionnellement lÉdit de Milan1 (313) et le débat actuel sur le fait religieux en tant que facteur de trouble. Les événements dramatiques de ces dernières décennies ont en effet sollicité les historiens des mondes anciens à renouveler la recherche sur plusieurs aspects ayant trait au rapport entre politique, religion et société, et plus particulièrement au phénomène des cohabitations 350religieuses ainsi quaux questions de tolérance, dintolérance et de violence religieuses2.

À la lecture, certes non exhaustive, de la production scientifique à ce jour, il nous semble possible didentifier deux angles dapproche principaux. Le premier, qui a pour arrière-plan le modèle herméneutique binaire « polythéisme versus monothéisme », se fonde sur la comparaison des caractéristiques que les chercheurs considèrent comme constitutives de chacun de ces deux systèmes religieux. Le polythéisme, en loccurrence le polythéisme romain, est par définition inclusif, tolérant et ouvert : la capacité à penser à la fois et en même temps des divinités différentes, à les intégrer à lintérieur dun même système religieux ou à les mettre en correspondance entre elles pose les bases dune société où la relation entre religions nest pas conflictuelle3. Le monothéisme est, en revanche, structurellement exclusif, intolérant et fermé : la conviction quil ny a quun seul et unique Dieu élimine la possibilité de reconnaitre les dieux des autres et amène à la mise en place de procédés de condamnation et de répression. Ainsi, à la différence des Grecs et des Romains qui nont jamais mené de guerres pour des motifs de nature religieuse, les chrétiens sont passés du statut de persécutés à celui de persécuteurs, et dagneaux se sont transformés en lions4.

Ce modèle comparatif oppositif, qui en réalité remonte à la lecture idéalisée de lEmpire romain élaborée aux xviie et xviiie siècles5, a reçu un nouvel élan à la suite des publications que, dès la fin des années 1990, Jan Assmann a consacrées à la religion de lancien Israël : pour le chercheur allemand, le caractère exclusif des monothéismes plonge ses racines dans le principe quil nomme la « distinction mosaïque », cest-à-dire la répartition des champs religieux entre vérité et erreur. La séparation entre la vraie religion et les 351fausses religions, entre le vrai Dieu et les faux dieux, serait donc à lorigine de lintolérance religieuse6.

Le second angle dattaque privilégie une approche centrée sur les spécificités culturelles, politiques et religieuses de lépoque communément appelée Antiquité tardive. Lattentionse porte moins sur les caractéristiques structurelles dun système religieux donné que sur des situations ou des aspects précis, envisagés dans leur devenir historique et, le plus souvent, selon la perspective de lhistoire des idées. Les chercheurs qui sinscrivent dans cette démarche ont en commun le fait davoir abandonné une conception figée des phénomènes étudiés, en loccurrence de ce qui relève du religieux avec toutes ses implications, et de faire preuve dune plus grande sensibilité aux changements des mentalités qui traversent la société de lépoque impériale ainsi que dune vision complexe du devenir historique7. Le champ de leurs centres dintérêt est bien entendu très vaste, allant de la reconstitution historique dépisodes déterminés8 à lanalyse des modalités (acceptation, persuasion, répression) par lesquelles les intellectuels ainsi que les autorités politiques et ecclésiastiques ont affronté la question de la diversité religieuse ou dopinion9.

Malgré ces différences de méthode et dapproche, tous les chercheurs sont daccord sur un point : la complexité des sujets traités. En effet, on se confronte à des phénomènes, celui de la coexistence et des relations entre communautés religieuses différentes et celui des rapports entre politique et religion, en les étudiant par le biais de concepts, tels que la « tolérance » et la « liberté religieuse », qui, dans les sociétés antiques, nexistent pas, du moins pas de la façon dont nous les entendons aujourdhui. Les guillemets, que les chercheurs utilisent souvent pour des raisons de commodité, 352mettent certes en garde le lecteur, mais ils ne résolvent pas le problème de fond : si en effet le langage est un indicateur dune réalité donnée, il nen est pas moins un facteur déterminant de toute compréhension et décriture de lhistoire. Cette difficulté est dautant plus importante que tous les chercheurs nentendent pas ces notions de la même manière. Prenons par exemple le terme « tolérance » : pour les uns, il signifie « accepter, en les respectant, les opinions et les croyances autrui10 », alors que, pour les autres, il exprime lidée d« accepter avec indulgence ou condescendance ce quon désapprouve11 ». Une société tolérante est donc, pour les uns, une société respectueuse, pour les autres, une société qui, forcée par les circonstances, supporte, souffre ce quelle ne partage pas12. Il nest en outre pas rare de rencontrer des catégories hybrides : tolérance en apparence, tolérance pragmatique, prétendue tolérance, voire des formes mystifiées dintolérance. Ajoutons que les expressions tolérance et liberté religieuses sont souvent employées de manière interchangeable, comme sil sagissait de synonymes, alors que, comme nous le verrons, elles se réfèrent à des réalités différentes.

Ces brèves remarques montrent clairement, nous semble-t-il, que la façon dont les chercheurs utilisent les termes de tolérance et de liberté religieuses et la signification quils leur attribuent jouent un rôle majeur tant sur le plan de lanalyse que sur celui de la reconstitution historique. Dans la présente contribution, qui sinscrit dans un travail en cours sur la notion de liberté religieuse dans lAntiquité tardive, nous nous proposons damorcer quelques réflexions dordre méthodologique sur les catégories danalyse habituellement employées dans ce domaine détudes. Notre enquête, qui porte sur la chrétienté dexpression latine, se limitera ici à quelques études de cas.

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Une question préalable :
lanachronisme en histoire

Depuis que, en 1942, Lucien Febvre a alerté les historiens sur la tendance à interpréter le passé par ses propres catégories de pensée et de langage13, la question de lanachronisme en histoire a fait lobjet dimportantes réflexions épistémologiques14. Le refus radical du « péché des péchés, le péché entre tous irrémissible » du métier de lhistorien, comme lavait défini Febvre15, a progressivement laissé la place à une lente prise de conscience de son inéluctabilité. Dans une contribution de 1993, intitulée « Éloge de lanachronisme en histoire », lhelléniste Nicole Loraux observait que, puisque nous ne pouvons ne pas partir du cadre de pensée de notre temps, il nous revient dassumer les risques de cette situation, en faisant un usage volontaire et contrôlé de lanachronisme, à savoir fondé sur le respect dun certain nombre de règles : ne pas projeter sur le passé nos catégories de pensée de manière mécanique et acritique, ne pas vouloir chercher dans les époques anciennes des antécédents ou des signes annonciateurs de la notion qui fait lobjet de notre investigation, ne pas se laisser tromper par les similitudes apparentes entre passé et présent16. Revendiquant la portée heuristique de ce procédé, Loraux montrait aussi que le va-et-vient entre les notions contemporaines et les notions anciennes, suggéré par ailleurs déjà par Marc Bloch17, permettait de mieux prendre conscience de lautre (dans le temps) et du soi18.

La démarche de Nicole Loraux nous semble particulièrement féconde dans un domaine détudes comme celui qui nous occupe dans ces pages. Il ne sagit bien entendu pas détudier la société tardo-antique au miroir des idéaux qui sont les nôtres, mais dutiliser en 354connaissance de cause et de façon critique des catégories modernes, en étant conscient de la distance culturelle qui nous sépare de lobjet de notre étude et en restant vigilant aussi bien sur les modalités dapproche que sur les objectifs fixés.

Précisons dabord que la définition de la tolérance et de la liberté religieuses, deux notions qui naissent à lépoque moderne, nest pas aisée, en raison entre autres de lévolution sémantique dont elles ont fait lobjet19. La signification que nous leur prêtons aujourdhui est en fait le résultat dune réflexion philosophique, théologique et politique qui a duré plusieurs siècles et qui, sous leffet des événements, ne cesse dêtre réactualisée.

Dans notre tradition culturelle, ces deux notions se recoupent, mais ne sont pas identiques. Si par « tolérance » on entend aujourdhui l« attitude de quelquun qui admet chez les autres des manières de penser et de vivre différentes des siennes propres » et, en matière religieuse, fait preuve de « respect de la liberté de conscience et [d]ouverture desprit à légard de ceux qui professent une religion ou des doctrines religieuses différentes20 », la liberté religieuse, quant à elle, relève davantage du domaine des droits, aussi bien des individus que des collectivités. La liberté religieuse se décline en fait dans le droit de suivre la religion de son choix, de changerde religion ou de conviction, et dafficher sa religion ou sa conviction, seul ou en commun, tant en public quen privé, par lenseignement, les pratiques, le culte et laccomplissement des rites. Elle est à 355proprement parler un principe juridique, elle présuppose un État laïc, ou, du moins, un État neutrequi assure le rôle de garant des dits droits21.

Pour essayer de comprendre ce quil en était dans lAntiquité chrétienne, lanalyse des mots et des expressions qui pourraient véhiculer ces notions nous paraît une étape préalable fondamentale. Comme point de départ de notre recherche, nous avons choisi les deux termes qui sont censés les exprimer : tolerantia et libertas religionis.

Tolerantia

Ce dérivé du verbe tolerare, « supporter, endurer », de la famille du verbe tollere, nest attesté quà partir du ier siècle avant notre ère. Il exprime la capacité et la constance à supporter les res humanae22. Plus exactement, il désigne lattitude que lindividu exerce non à légard des autres, mais à légard de soi-même et qui concerne moins quelquun que quelque chose23. Dans le langage philosophique, notamment de lécole stoïcienne, la tolerantia est lune des vertus du sage : avec la perpessio et la patientia, dont elle est parfois tenue pour synonyme24, la tolerantia est lun des trois rameaux (rami) de la fortitudo, écrit Sénèque25. Le verbe tolerare a, quant à lui, un champ dutilisation plus large, mais toujours circonscrit au domaine éthique individuel : on « tolère » les difficultés de la vie militaire, une offense subie, le froid, etc. Il équivaut donc au verbe sustinere.

Un premier, mais léger, glissement sémantique a lieu en milieu chrétien dans la seconde moitié du iiie siècle. Alors que Tertullien, lecteur de Sénèque, garde lacception traditionnelle et présente la tolerantia comme la vertu du croyant, notamment du martyr26, 356Cyprien lui attribue déjà une portée sociale : de même que la patientia, la tolerantia garantit la pratique de la charité, qui à son tour préserve « le lien entre les frères », est « le fondement de la paix » et assure « le maintien et la consolidation de lunité27 ». Il en parle en ces termes dans le De bono patientiae, composé en 256, au beau milieu de la querelle autour du second baptême qui avait produit de fortes dissensions non seulement au sein de lÉglise africaine, déjà déchirée par la question des lapsi, mais aussi entre les évêques dAfrique, de Rome et dAsie Mineure28. Par cet opuscule, lévêque de Carthage suggère aux fidèles dont il a la charge pastorale de tolerare les différends internes à lÉglise, dans le but den préserver lunité. Il les invite à imiter la patientia Dei, qui fait lever la lumière du soleil sur les bons et sur les méchants29, et le Christ lui-même, qui paternam patientiam tolerantiae tenore seruauit30 et ne ferme son Église à personne31. La pratique de la patientia et de la tolerantia mutuelles, ajoute Cyprien, a été promue aussi par Paul : sappuyant sur 1 Co 13,4.5.7 et sur Ép 4,2b-3, le Carthaginois explique que, lors de son instruction sur la charité, lapôtre « lui a associé lendurance et la patience (cum de caritate loqueretur, tolerantiam illi et patientiam iunxit)32 » et a enseigné que « lon ne peut sauvegarder ni lunité ni la paix, si les frères ne sencouragent pas réciproquement par une endurance mutuelle (nisi se inuicem fratres mutua tolerantia foueant) et ne conservent pas le lien de la concorde par lentremise de la patience (patientia)33 ». 357Dans lappel final, lévêque exhorte enfin ses confrères à ne pas se laisser emporter par le désir de vengeance à légard de ceux qui, dans ces temps troublés, sacharnent contre eux, à savoir les juifs, les gentils et aussi les hérétiques (« haereticorum quoque34 »). Il les invite alors à attendre le Christ qui viendra comme juge et vengeur et, entretemps, grâce à leur endurance, à venir à bout de leurs persécuteurs.

Cette acception des mots tolerantia et tolerare se retrouve, plusieurs décennies plus tard, dans le cadre du schisme donatiste. Après de nombreuses, mais vaines, tentatives de résoudre le conflit qui affligeait les églises africaines et qui avait désormais atteint une phase aigüe, voire violente, Constantin en appelle au principe de la tolerantia : dans une lettre datée de 321 et adressée aux évêques et au peuple de lÉglise catholique, il leur demande de ne plus réagir à lobstination donatiste et de laisser la miséricorde de Dieu apaiser la situation. « En attendant que le remède céleste agisse », ajoute-t-il, « il nous faut modérer nos projets, afin de cultiver la patience et de tolérer avec calme et courage tout ce quils essaient de faire ou quils font insolemment, en raison de leur habituel dérèglement35 ». Il recommande de ne pas répondre à leurs injustices, puisque la uindicta revient à Dieu seul, mais de « supporter dun cœur ferme (constanti pectore sustinere) les assauts incontrôlés dhommes qui provoquent le peuple de la paisible loi36 ».

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La tolerantia demandée par Constantin est de toute évidence une mesure provisoire, un pis-aller qui obéit surtout à lexigence déviter dautres massacres dans lattente dune solution politique efficace et définitive. Il en va de même à lépoque dAugustin, où le motif de la tolerantia pour la paix et lunité de lÉglise, souvent à limitation de la patientia Dei, joue un rôle stratégique dans le débat entre catholiques et donatistes. Dans sa réfutation des lettres de lévêque donatiste Petilianus, Augustin retourne en fait contre ce dernier les appels à « tolerare in schismate malos » au nom de la paix37 et à suivre le modèle de Paul qui fut « falsorum fratrum tolerator38 ».

Aux alentours de 530, dans son Commentaire de lApocalypse,Apringius, évêque de Pax Julia, en Lusitanie (lactuelle Beja, au Portugal), identifie les malos homines dAp 2,2 aux hérétiques (« Hoc de haereticis sine dubio dictum accipimus »), dont lÉglise, écrit-il, a déniché le mensonge et la perversité, et à cause desquels elle a enduré beaucoup de maux (« Sed mendacium eorum et peruersitatem catholica fides inuenit, et per tolerantiam multa sibimet illata ab ipsis mala sustinuit39 »).

Ce bref aperçu de quelques occurrences du mot tolerantia dans la littérature chrétienne latine des six premiers siècles nous permet de formuler, à titre provisoire, les remarques suivantes. La tolerantia est lendurance face aux adversités et au mal dans toutes ses formes. Le champ lexical exprimant ce concept englobe les termes patientia359(et patior) et sustinentia (et sustineo)40. Même si le mot tolerantia ne perd pas sa signification première, puisque, de fait, le chrétien est invité à exercer lendurance face à lépreuve, selon lidéal de la vertu du sage, dès lépoque de Cyprien, il commence à revêtir un sens nouveau, puisque cette attitude est à tenir vis-à-vis non seulement des situations ardues, mais aussi des personnes qui les engendrent. La transposition de lusage de ce terme dans un champ dutilisation autre que celui dorigine amène progressivement à une redéfinition de son sens, si bien que, au ive siècle, la tolerantia est proposée comme la seule issue possible pour résoudre de manière non violente le problème des dissidences et des conflits internes à lÉglise. Tolerare les gentils, les schismatiques ou ceux qui sont considérés comme hérétiques ne signifie pas accepter la légitimité de leur existence, mais la souffrir, puisquelle est ou est ressentie comme menaçante. Deux autres aspects caractérisent, nous semble-t-il, lusage de ce(s) terme(s). Dune part, la tolerantia marque la supériorité morale de celui qui tolère ; elle est donc un concept actif et, dans le cadre des persécutions, peut être considérée comme une forme de résistance non violente41. Dautre part, le temps de la tolerantia a une durée limitée : ceux qui tolèrent attendent le retournement de situation, qui aura lieu à son heure, quand Dieu voudra42.

Libertas religionis

Lexpression libertas religionis renvoie à une notion radicalement différente. Le mot « liberté » (libertas, ἐλευθερία), qui occupe une place dhonneur dans la tradition philosophique, politique et juridique de Grèce et Rome, a une histoire longue et importante43. À notre connaissance, il na jamais été utilisé dans le cadre dun discours sur les cultes ou sur les dieux, ni na été associé, avant Tertullien, 360au terme religio. Lexpression libertas religionis apparaît en fait pour la première fois dans lApologétique (env. 197).

Après avoir retourné contre les Romains laccusation que ces derniers imputaient aux chrétiens, à savoir de lèse religion (laesae religionis)44, le Carthaginois avertit quôter la libertas de vénérer le dieu de son choix et contraindre à honorer celui que lon ne veut pas est une manifestation dirreligiositas :

Veillez en effet à ne pas encourir laccusation dirréligion en supprimant la liberté de religion et en interdisant la divinité de son choix, de sorte quil ne me soit pas permis dhonorer qui je veux et que je sois contraint dhonorer qui je ne veux pas. Personne ne voudra être honoré de mauvaise grâce, pas même un homme45.

Quelques années plus tard, en 212, sadressant au proconsul dAfrique Scapula, responsable dune recrudescence des mesures antichrétiennes, Tertullien formule des propos analogues :

La loi humaine et le droit naturel permettent à chacun dadorer ce à quoi il croit ; la religion de lun ne lèse ni ne favorise autrui. Mais la religion na pas à imposer la religion, qui doit être embrassée volontairement, non sous la contrainte, car cest avec lagrément de lâme que sont demandées les victimes sacrificielles. Cest pourquoi, même si vous nous forcez à sacrifier, vous ne satisferez nullement vos dieux : car ils ne désireront pas des sacrifices offerts à contrecœur, à moins quils naiment la violence. Mais Dieu naime pas la violence46.

De nombreux chercheurs lisent dans ces passages lacte de naissance de la notion de liberté religieuse47. Nous ne partageons 361pas cet avis. À proprement parler, Tertullien ne peut être considéré comme un défenseur de lidée de liberté religieuse. Tout dabord, dans le propos du Carthaginois, nous ne rencontrons aucun des principes qui constituent la notion qui nous occupe. Tertullien, qui plaide pour la cause chrétienne, fait appel à la prétendue isonomie en matière de cultes dont les autorités romaines sont censées être les garantes, pour que les chrétiens, citoyens loyaux, puissent eux aussi en bénéficier. Le recours à cet argument ne signifie néanmoins pas que Tertullien en approuve le fondement. Cest même le contraire qui est vrai. En maints endroits, le Carthaginois dénonce en effet laberration de cette libertas adoptandorum deorum, qui aboutit à des résultats risibles, comme dans le cas des Égyptiens48, ou paradoxaux, comme dans le cas des juifs49, ou décidément sacrilèges, puisque le choix dun dieu est fait au détriment dun autre50. Surtout, Tertullien ne reconnaît aucune légitimité aux religions de Rome, dont les dieux nexistent pas51 ou sont de nature démoniaque52 : il ny a quune seule et vraie religio, celle des chrétiens, dont le Dieu, quon le veuille ou non, est le Dieu de tout un chacun53. Si on élargit en outre lanalyse à lattitude que Tertullien adopte à légard de la religion juive et des dissidences internes aux communautés 362chrétiennes, on conclura assez aisément, nous semble-t-il, quil serait inapproprié de considérer le Carthaginois comme le précurseur, voire le fondateur, de la notion de liberté de religion.

Nous sommes en revanche davis que Tertullien prône un autre principe, dont les implications sont déterminantes pour la naissance, dans dautres contextes, de la notion qui nous occupe : le principe de non interférence54. Sollicité par des exigences apologétiques et circonstancielles bien précises, le chrétien élabore une ligne défensive très originale qui, de fait, lamène à formuler des critères susceptibles de redéfinir la relation entre individu, religion et pouvoir politique55. Comme il le dit explicitement dans un autre passage de lApologétique, les autorités de la cité nont pas à intervenir en matière de religion ; toute forme de contrainte de leur part, dénonce-t-il, nie le statut libre des individus :

Mais naturellement on jugerait injuste de forcer des hommes libres à sacrifier malgré eux (liberos homines inuitos urgeri ad sacrificandum) – car même ailleurs lexécution dun rite religieux requiert la bonne volonté (libens animus) ; on trouverait sûrement ridicule de voir un individu contraint par un autre à rendre hommage à des dieux quil devrait, dans son intérêt, apaiser de sa propre initiative, de telle sorte que cet homme ne serait plus en mesure de dire au nom du droit qui garantit sa liberté (iure libertatis) : « Je ne veux pas que Jupiter me soit favorable ! Qui es-tu, toi ? Que Janus, dans sa colère, me manifeste le visage quil voudra ! Pourquoi te mêles-tu de mes affaires56 ? »

Tu quis es ? Quid tibi mecum ? La religio relève désormais de lordre du privé. Cest peut-être ici laspect réellement novateur du discours de Tertullien : laffirmation de la séparation entre religion et État, entre sphère religieuse et sphère politique. Cette dissociation de deux instances qui, dans les sociétés gréco-romaines, ont toujours été strictement liées nest pas une pure stratégie apologétique, mais la conséquence dune conception nouvelle de la notion de religion. 363Comme la bien montré Maurice Sachot, chez Tertullien, religio ne désigne plus le cultus deorum, conformément à la tradition romaine, mais reçoit une charge sémantique nouvelle : le Carthaginois introduit dans la notion latine de religio la catégorie de vérité « au double sens de vérité philosophique et de vérité révélée57 ». La religio relève du domaine de la conscientia et nest désormais plus le champ de compétence de lautorité publique58. Et puisquelle appartient à la dimension privée de lindividu, toute ingérence extérieure, toute forme de contrainte, ne peut être considérée que comme illicite59.

Ajoutons que Tertullien non seulement resémantise ce mot, mais en outre il renverse lusage traditionnel des termes superstitio et religio : il range, en effet, du côté de la première, les religions traditionnelles de Rome et, du côté de la seconde, le christianisme, uera religio, à laquelle tout individu est libre dadhérer60. La resémantisation et le renversement de ces deux mots confirment, nous semble-t-il, le fait quici nous ne sommes pas en présence de la notion de liberté religieuse : Tertullien ne reconnait pas lexistence légitime des cultes dautrui, tout au plus, admet-il la liberté de se tromper à ses risques et périls.

Ces arguments seront repris et développés, presque un siècle et demi plus tard, par Lactance, qui présentera la religio comme le seul vrai espace de liberté : « religio sola est, in qua libertas domicilium collocauit61 ». En accentuant la séparation entre sphère religieuse et sphère politique, il réaffirme la dimension personnelle, libre et volontaire du choix religieux. « De fait », commente-t-il, « plus que tout le reste, elle [la religio] regarde la volonté, et la nécessité ne peut en être imposée à personne pour lui faire honorer ce quil 364ne veut pas. Il est peut-être possible de simuler, mais non de vouloir62 ». Ce témoin de la persécution de Dioclétien arrivera même à théoriser les principes du refus de la contrainte religieuse63 et de la résistance non violente64.

Pour les raisons que nous avons évoquées à propos de Tertullien, nous sommes néanmoins davis que Lactance non plus ne peut être considéré comme un partisan du principe de la liberté religieuse65. À notre sens, la première fois où ce droit est explicitement évoqué, cest dans un texte juridique contemporain de lauteur66, le soi-disant Édit de Milan (313) :

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Depuis longtemps déjà, considérant quil ne faut pas refuser la liberté de religion (τὴνἐλευθερίαντῆςθρῃσκείας), mais quil faut accorder à la raison et à la volonté de chacun la faculté de soccuper des choses divines, chacun selon sa préférence (ἀλλ ἑνὸςἑκάστουτῇδιανοίᾳκαὶτῇβουλήσειἐξουσίανδοτέοντοῦτὰθεῖαπράγματατημελεῖνκατὰτὴναὐτοῦπροαίρεσινἕκαστον), nous avions invité les chrétiens à conserver la foi de leur secte et de leur religion67.

Nous avons décidé daccorder aux chrétiens et à tous les autres le libre choix de suivre la religion quils voudraient (ὅπωςδῶμενκαὶτοῖςΧριστιανοῖςκαὶπᾶσινἐλευθέραναἵρεσιντοῦἀκολουθεῖντῇθρῃσκείᾳδἂνβουληθῶσιν)68.

Quelques remarques conclusives

Au terme de ce bref parcours, nous croyons pouvoir conclure que répondre par un simple oui ou non à la question de lémergence des notions de tolérance et de liberté religieuses à lépoque du christianisme naissant serait réducteur. Lanalyse des occurrences de tolerantia et de libertas religionis dans la littérature chrétienne des premiers siècles montre, nous semble-t-il, que les instances des auteurs étaient beaucoup plus complexes et articulées que ce que lon pourrait peut-être envisager à première vue. Certes, ni tolerantia ni libertas religionis ne renvoient aux principes que nous désignons aujourdhui par « tolérance » et par « liberté religieuse ». Létude du contexte dutilisation de ces termes aboutit néanmoins à des conclusions du plus haut intérêt. La tolerantia exprime essentiellement une vertu, que lon exerce soit pour atteindre un idéal de sagesse soit pour le bien de la collectivité. La libertas religionis, quant à elle, implique une autre perspective, car elle sous-entend une manière nouvelle denvisager la religion.

Le contexte de persécution dans lequel cette dernière notion plonge ses racines explique sans doute laccent mis sur le refus 366et la condamnation de la contrainte religieuse. Ce nest peut-être pas un hasard si, tout au long de lhistoire, ce principe réapparaît précisément dans les périodes de crise et dimpasse en raison des conflits religieux. Que lon pense au propos attribué au roi arien Théodoric, qui, autorisant en 509 la communauté juive de Gênes à reconstruire sa synagogue, déclare : « religionem imperare non possumus, quia nemo cogitur ut credat inuitus69 ».

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1 Parmi les monographies et les actes de colloques consacrés à Constantin, à sa politique religieuse et à lÉdit de Milan, il convient de signaler : Biscottini – Sena Chiesa, 2012 ; Guidetti, 2013 ; Schmidt, 2013 ; Turcan, 2014 ; Cuscito, 2014 ; Coppola – Ventrella, 2016 ; Wallraff, 2016 ; Macchioro, 2017 ; Dainese – Gheller, 2018. Cf. aussi Drake, 2000 ; Veyne, 2007 ; Schuller – Wolff, 2007 ; Girardet, 2010 ; Barnes, 2011 ; Maraval, 2014 ; Lenski 2016.

2 Cf. en particulier Hahn, 2004 ; Cancik, 2005 ; Gaddis, 2005 ; Baudy, 2006 ; Drake 2006 ; Baslez, 2007 ; Filoramo, 2007 ; Fernández Ubiña – Marcos, 2007 ; Marcos – Teja, 2008 ; Cancik, 2009 ; Kahlos, 2009 ; Sizgorich, 2009 ; Athanassiadi, 2010 ; Canella, 2010 ; 2011 ; Filoramo, 2011 ; Girardet, 2011 ; Hahn, 2011 ; Stroumsa, 2011 ; Zecchini, 2011 ; Drake, 2013 ; Marcos, 2013 ; Mayer – Neil, 2013 ; Baslez, 2014 ; Geljon – Roukema, 2014 ; Marcone – Roberto – Tantillo, 2014 ; Bettini, 2016 ; Shah, 2016 ; Canella, 2017 ; Van Nuffelen, 2018 ; Stroumsa, 2018. Dautres références bibliographiques seront fournies au cours de cet article.

3 Ainsi, selon Bettini, 2016, p. 74, « cette possibilité polythéiste de traduire entre elles les divinités appartenant à des populations et à des cultures diverses correspond à une attitude flexible, spontanément capable de créer une intégration et une fusion, et non pas une séparation, entre des systèmes religieux différents. »

4 Cf. Drake, 1996.

5 Cf. Stroumsa, 2002 ; Roda, 2007.

6 La thèse de Jan Assmann, 2001, énoncée pour la première fois en 1997, a provoqué de nombreuses réactions. Le chercheur a ensuite nuancé son propos, sans néanmoins modifier la conception de fond : cf. Assmann, 2007 et 2014.

7 De nombreux historiens ont envisagé la question de la tolérance et de lintolérance religieuses sur la longue durée : par exemple, Kahlos, 2009 (de 250 à 500) ; Filoramo, 2011 (du ier au ve siècle) ; Canella, 2017 (du ier au vie siècle).

8 Par exemple, le débat dAmbroise et Symmaque sur laffaire de lautel de la Victoire (Dassmann, 2003 ; Dionigi, 2006) ; l« intolérance » de lempereur Julien (Bouffartigue, 2007) ; lappel des intellectuels païens à la « tolérance » religieuse (Van Nuffelen, 2018) ; les épisodes de violence religieuse et de destruction des lieux de culte (Hahn – Emmel – Gotter, 2008 ; Shaw, 2011) ; la politique douverture des rois goths (Canella, 2017).

9 Cf. en particulier Van Nuffelen, 2018.

10 Cf. par exemple Canella, 2017, p. 6 : « il termine indica dal punto di vista sociologico, culturale e politico la capacità degli individui e delle comunità di accettare lesistenza di persone, opinioni, azioni diverse da quelle proprie. »

11 Cf. par exemple Garnsey, 1984, p. 1 : « Toleration implies disapproval or disagreement coupled with an unwillingness to take action against those who are viewed with disfavour in the interest of some moral or political principle. It is an active concept, not to be confused with indifference, apathy or passive acquiescence. »

12 Par conséquent, les chercheurs qui retiennent cette dernière définition arrivent facilement à la conclusion que Rome ne peut à proprement parler être considérée comme « tolérante », puisquelle ne désapprouve pas les cultes étrangers quelle intègre à son panthéon. Cf. Garnsey, 1984.

13 Febvre, 2003 [1942].

14 Cf. Rancière, 1996 ; Dosse, 2005.

15 Febvre, 2003 [1942], p. 15.

16 Loraux, 1993.

17 Bloch, 1974, p. 44-50.

18 Loraux, 1993, souligne la valeur et la place du présent dans le travail historique : « le présent est le plus efficace des moteurs de la pulsion de comprendre », il est « embrayeur de question » (p. 129) ; « pour ma part, je réfléchirai sur la méthode qui consiste à aller vers le passé avec des questions du présent pour revenir vers le présent, lesté de ce que lon a compris du passé » (p. 131). Cf. aussi plus récemment Van Nuffelen, 2018, p. 34.

19 Cf. surtout Lecler, 1994 ; Zagorin, 2003 ; Hermon-Belot, 2013.

20 Cf. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/tolerance, consulté le 3 avril 2019. La tolérance religieuse est en réalité une notion à géométrie variable, dont la signification varie selon les circonstances historiques, comme le synthétise parfaitement laffirmation que Lord Stanhope aurait prononcée en 1718 à la Chambre des Lords : « Il fut un temps où les dissidents, en suppliant, demandaient la tolérance, comme une grâce ; aujourdhui, ils la réclament comme un droit ; viendra le jour où ils la repousseront comme une insulte. » (Citation tirée de Lepape, 1996, p. 173-174.) Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que tous les dictionnaires ne donnent pas la même signification du mot « tolérance ». Le Dictionnaire de lAcadémie française, par exemple, conserve lacception restrictive qui remonte au latin tolerantia : « condescendance, indulgence, action de supporter ce quon ne peut empêcher ou quon croit ne devoir pas empêcher » (https://academie.atilf.fr/8/, consulté le 3 avril 2019). Le Trésor de la langue française distingue un sens général : « Fait de tolérer quelque chose, dadmettre avec une certaine passivité, avec condescendance parfois, ce que lon aurait le pouvoir dinterdire, le droit dempêcher » et des significations plus spécifiques : « Tolérance religieuse, théologique. Indulgence de lÉglise à légard de ceux qui professent des opinions différentes de la sienne touchant des points du dogme quelle ne considère pas comme essentiels. Tolérance civile. Liberté accordée de pratiquer sur le territoire dun État une religion autre que la religion officielle. » (http://atilf.atilf.fr/, consulté le 3 avril 2019.)

21 Cf. la Déclaration universelle des droits de lhomme, art. 18.

22 Cicéron, Les paradoxes des stoïciens IV, 27, éd. et trad. Molager, 1971, p. 112 : « Lâme du sage, avec sa grandeur dans les décisions, sa fermeté dans les vicissitudes (tolerantia rerum humanarum), son mépris de la fortune, avec, enfin, toutes les vertus qui lentourent comme dun rempart, sera vaincue et prise dassaut, elle que lon ne peut même pas chasser de la ville ? »

23 Cf. Schreiner, 2004 ; Filoramo, 2013.

24 Cf. Sénèque, Lettresà Lucilius 67, 5, éd. et trad. Prechac – Noblot, 1958, p. 136-137.

25 Cf. Sénèque, Lettres à Lucilius 67, 10, éd. et trad. Prechac – Noblot, 1958, p. 138-139.

26 Cf. Tertullien, Sur la patience 13, où il exhorte à « constantissime tolerare » la flagellation, les flammes, la croix, les bêtes. Fredouille, 1972, p. 363-410, relève larrière-plan stoïcien de la conception du Carthaginois. Cf. aussi Rambaux, 1979, p. 327-329.

27 Cyprien de Carthage, La vertu de patience 15, éd. et trad. Molager, 1982, p. 218-219, légèrement modifiée : « Enlève-lui [à la charité] la patience (Tolle illi patientiam) et, restée seule, elle ne subsiste pas ; enlève-lui le soutien du courage et de lendurance (tolle sustinendi tolerandique substantiam), et elle reste sans racines et sans forces. »

28 Cf. Molager, in Cyprien de Carthage, éd. et trad. Molager, 1982, p. 129-136.

29 Cyprien de Carthage, La vertu de patience 4, éd. et trad. Molager, 1982, p. 188-191.

30 Cyprien de Carthage, La vertu de patience 6, éd. et trad. Molager, 1982, p. 194-195. Dans ce même chapitre, Cyprien rappelle que Jésus a pu supporter Judas avec une longue patience (« longa patientia sustinere ») et a pu aussi endurer les Juifs (« In Iudaeis uero tolerandis aequanimitas quanta et quanta patientia »).

31 Cyprien de Carthage, La vertu de patience 8, éd. et trad. Molager, 1982, p. 200-201. Cf. aussi 20 et 24.

32 Cyprien de Carthage, La vertu de patience 15, éd. et trad. Molager, 1982, p. 218-219, légèrement modifiée.

33 Cyprien de Carthage, La vertu de patience 15, éd. et trad. Molager, 1982, p. 220-221, légèrement modifiée. Par ailleurs, continue-t-il, sans la patientia et la firmitas tolerantiae, il est impossible de pratiquer les enseignements du Christ sur les torts subis, sur lamour de ses ennemis, sur la prière pour ses persécuteurs (La vertu de patience 16, éd. et trad. Molager, 1982, p. 220-221). Cf. aussi lechapitre 13, où en appui à son propos il cite Mt 10,22b (« Celui qui aura supporté jusquau bout, celui-là sera sauvé (Qui tolerauerit usque ad finem hic saluus erit) », éd. et trad. Molager, 1982, p. 212-213).

34 Cyprien de Carthage, La vertu de patience 21, éd. et trad. Molager, 1982, p. 234-235.

35 Constantin, Lettres 11, 3, trad. Maraval, 2010, p. 26 ; éd. Ziwsa, 1893, p. 213 : « Uerum dum caelestis medicina procedat, hactenus sunt consilia nostra moderanda, ut patientiam percolamus et, quicquid insolentia illorum pro consuetudine intemperantiae suae temptant aut faciunt, id totum tranquillitatis uirtute toleramus. »

36 Constantin, Lettres 11, 4, trad. Maraval, 2010, p. 26 ; éd. Ziwsa, 1893, p. 213. Cf. aussi la lettre datée de 330 que lempereur envoie aux évêques catholiques de Numidie pour apaiser lénième conflit entre donatistes et catholiques en vue dela possession de la basilique de Cirta (Constantine, en Algérie) : « Ayant reçu la lettre de Votre Sagesse et votre Grandeur, jai appris que, poussés par leur méchanceté habituelle, les hérétiques ou schismatiques ont cru devoir semparer de la basilique de lÉglise catholique, que javais ordonné de construire dans la cité de Constantine, quils ont souvent été exhortés par vous comme par vos juges, sur notre ordre, et quils ont refusé de rendre ce qui nétait pas à eux ! Vous cependant, imitant la patience du Dieu très haut (uos tamen imitatores patientiae Dei summi), vous abandonnez à leur méchanceté ce qui est à vous par esprit de paix, et en compensation vous demandez plutôt un autre lieu pour vous, à savoir un lieu appartenant au fisc. » (Lettre 12,6, trad. Maraval, 2010, p. 29 ; éd. Ziwsa, 1893, p. 215.)

37 Augustin, Contre les lettres de Petilianus I, 28, 30, éd. et trad. Finaert – Quinot, 1967, p. 186-187 : « Prononcer le nom de la paix afin de pouvoir tolérer les mauvais dans le schisme et de sen faire au moins une ombre dapologie, cest avouer, sans aucun doute, le crime horrible et lacte indéfendable que constitue le fait de violer dans lunité du monde entier, la réalité même de la paix (quia, si nomen pacis ad tolerandos in schismate malos in qualemcumque umbram defensionis assumitur, procul dubio cum horrendo scelere et sine ulla defensione per unitatem orbis terrarum uera pax ipsa uiolatur). » Petilianus avait fait appel à la tolerantia pour résoudre des dissidences internes aux donatistes. De manière habile, Augustin retourne ce même argument contre lévêque schismatique.

38 Augustin, Contre les lettres de Petilianus II, 76, 170, éd. et trad. Finaert – Quinot, 1967, p. 426-427 : « Si donc tu voulais imiter Paul, tu supporterais les faux frères au-dedans et tu nirais pas au dehors calomnier les innocents (Si ergo uelles imitari Paulum, intus esses falsorum fratrum tolerator, non foris innocentium calumniator). » Cf. aussi Augustin, Compte rendu abrégé de la conférence avec les donatistes III, 8, 11, éd. et trad. Finaert – Lamirande, 1965, p. 156-159. Sur la position, controversée, dAugustin, cf. Joly, 1955 ; Brown, 1961 ; 1963 ; Lichner, 2014.

39 Apringius de Béja, Commentaire de lApocalypse I, 476-489, éd. Gryson, 2003, p. 48.

40 Cf. Augustin, Sermo 359 A : « siue patientia, siue sustinentia, siue tolerantia nominetur, pluribus uocabulis eadem rem significat » (PLS 2, p. 759).

41 Ce principe sera explicitement formulé par Lactance, qui toutefois nutilise pas le terme tolerantia, mais patientia, patior, perpessio et perpetior : « Il faut défendre la religion non pas en massacrant mais en mourant, non point par la cruauté, mais par lendurance (non saevitia sed patientia), non point par le crime, mais par la foi. » (Lactance, Institutions divines V, 7, 10, éd. et trad. Monat, 1973, p. 162-163).

42 Sur lévolution de cette notion à lépoque médiévale, cf. Bejczy, 1997.

43 Sur lhistoire du concept de libertas à Rome, cf. Arena, 2012.

44 Tertullien, Apologétique 24, 2, trad. Chapot, 2016, p. 879 ; éd. Waltzing, 1971, p. 60-61 : « Le reproche que vous nous faites retombera sur vous, vous qui rendez un culte au mensonge et qui, loin de vous contenter de négliger la religion vraie du Dieu vrai (ueram religionem ueri Dei), allez jusquà lattaquer, et commettez contre la vérité le crime dune véritable irréligion (crimen uerae irreligiositatis). »

45 Tertullien, Apologétique 24, 6, trad. Chapot, 2016, p. 880 ; éd. Waltzing, 1971, p. 61 : « Uidete enim, ne et hoc ad irreligiositatis elogium concurrat, adimere libertatem religionis et interdicere optione diuinitatis, ut non liceat mihi colere quem uelim, sed cogar colere quem nolim. Nemo se ab inuito coli uolet, ne homo quidem. »

46 Tertullien, À Scapula 2, 2 : « Tamen humani iuris et naturalis potestatis est unicuique quod putauerit colere ; nec alii obest aut prodest alterius religio. Sed nec religionis est cogere religionem, quae sponte suscipi debeat, non ui, cum et hostiae ab animo libenti expostulentur. Ita etsi nos compuleritis ad sacrificandum, nihil praestabitis deis uestris : ab inuitis enim sacrificia non desiderabunt, nisi si contentiosi sunt ; contentiosus autem Deus non est » (trad. in : Zehnacker – Fredouille, 1998, p. 358-359 ; voir aussi Tertullien, éd. Dekkers, 1954b, p. 1127.)

47 Par exemple Bélanger, 1985 ; Minnerath, 1999 ; Marcos, 2007 ; Arena, 2011 ; Giagnorio, 2015 ; Shah, 2016 ; Wilken, 2016. Plus prudents, voire opposés à cette interprétation : Cancik, 2005, Girardet, 2011, Kahlos, 2009, Filoramo, 2013, Stroumsa 1998.

48 Tertullien, Apologétique 24, 7, trad. Chapot, 2016, p. 880 ; éd. Waltzing, 1971, p. 61 : « Les Égyptiens se sont même vus accorder la liberté de pratiquer leur si vaine superstition (Atque adeo et Aegyptiis permissa est tam uanae superstitionis potestas) en divinisant les oiseaux et les bêtes. » Cf.Aux Nations II, 8, 7-8 : « Jusquoù a été poussée cette liberté dadopter les dieux, les superstitions des Égyptiens le montrent, qui adorent leurs animaux, les ibis, les crocodiles et le serpent (Haec libertas adoptandorum deorum quousque profecerit, <Aegy>ptiorum superstitiones docent, qui etiam bestias priuatas colunt, <ibes, c>orcodrillos et anguem suum). » (Trad. personnelle ; Tertullien, éd. Borleffs, 1954a, p. 53.)

49 Celle des juifs est une liberté de culte achetée moyennant le paiement dun tribut, affirme Tertullien ; elle est donc une vectigalislibertas (Apologétique 18, 9). Le Carthaginois fait ici allusion au tribut annuel que les juifs devaient payer à Rome après la seconde révolte juive.

50 Cf. Tertullien, Apologétique 13, 2-3, trad. Chapot, 2016, p. 856 : « En honorant tous des dieux différents, vous offensez bien sûr ceux que vous nhonorez pas : la préférence que vous accordez à lun ne peut être sans affront pour lautre, car il ny a pas de sélection sans élimination. Dès lors, vous méprisez ceux que vous éliminez et que vous ne craignez pas doffenser en les éliminant. »

51 Cf. Tertullien, Apologétique 10 ; 12 ; passim.

52 Cf. Tertullien, Apologétique 22-23 ; passim.

53 Tertullien, Apologétique 24, 10, trad. Chapot, 2016, p. 880 : « Heureusement quil est le Dieu de tous les hommes, auquel nous appartenons tous, quon le veuille ou non. Mais chez vous on a le droit dadorer nimporte quel dieu, sauf le vrai Dieu, comme sil nétait pas plutôt le Dieu de tous, celui à qui nous appartenons tous. »

54 Sur le principe de non interférence, voir déjà Arena 2011.

55 Nous nentrons pas ici dans la question, complexe, des sources philosophiques des affirmations de Tertullien, pour lesquelles nous renvoyons à Cancik, 2005, et à Girardet, 2011.

56 Tertullien, Apologétique 28,1, trad. Chapot, 2016, p. 885 ; éd. Waltzing, 1971, p. 68 : « Sed quoniam facile iniquum uideretur liberos homines inuitos urgeri ad sacrificandum - nam et alias diuinae rei faciundae libens animus indicitur -certe ineptum existimaretur, si quis ab alio cogeretur ad honorem deorum, quos ultro sui causa placare deberet, - ne prae manu esset iure libertatis dicere : “Nolo mihi Iouem propitium. Tu qui es ? Me conueniat Ianus iratus qua uelit fronte. Quid tibi mecum est ?” ».

57 Sachot, 2003. Cf. aussi Sachot, 1985 et 1991.

58 Nous ne pouvons pas développer cet aspect ici et nous bornons à signaler les passages les plus significatifs : Apologétique 29, 1 ; 35, 1 ; 39, 1. Cf. aussi 16, 24 ; 22, 2.

59 On pourrait peut-être parler de liberté de conscience, mais, dans lattente dune recherche spécifique sur cette notion, nous préférons pour linstant ne pas nous aventurer dans des hypothèses prématurées.

60 Il sagit par ailleurs dun motif bien répandu dans la littérature chrétienne des iie et iiie siècles. On rappellera ici Irénée de Lyon, qui consacre une section importante du livre IV du Contre les hérésies à la question de la liberté de lêtre humain, à qui tout est loisible, parce que Dieu ne le contraint pas : même lévangile, dit-il, « il est loisible de ne pas le suivre, si lon veut, encore que ce soit sans profit : car la désobéissance à Dieu et le rejet du bien sont au pouvoir de lhomme, mais comportent un préjudice et un châtiment non négligeables. » (Irénée de Lyon, Contre les hérésies IV, 37, 4, trad. Rousseau, 1984, p. 547.)

61 Lactance, Épitomédes institutions divines 49, 1, éd. et trad. Perrin, 1987, p. 192-193.

62 Lactance, Épitomédes institutions divines 49, 2, éd. et trad. Perrin, 1987, p. 192-193.

63 Lactance, Institutions divines V, 19, 11-13, éd. et trad. Monat, 1973, p. 232-233 : « Il nest pas besoin de violence et dinjustice, parce que la religion ne peut pas naître de contraintes (religio non cogi potest) ; il faut utiliser plutôt le verbe que les verges pour quil y ait acte volontaire (ut sit uoluntas). Quils dégainent toute lacuité de leur esprit ; si leur raisonnement est juste, quils le présentent. Nous sommes prêts à les écouter sils apportent un enseignement ; mais nous ne pouvons pas les croire sils se taisent, de même que nous ne pouvons céder, pas même à ceux qui nous font violence. Quils nous imitent et apportent la preuve de tout ; car nous navons pas recours aux sortilèges, comme ils nous le reprochent, mais nous proposons un enseignement, des preuves et des exemples. Cest pourquoi nul nest jamais retenu par nous malgré lui (nemo a nobis retinetur inuitus) – car il est inutile à Dieu celui qui na ni dévotion ni foi – et pourtant nul ne séloigne, car à elle seule la vérité retient dans nos rangs. »

64 Lactance, Institutions divines V, 19, 21-24, éd. et trad. Monat, 1973, p. 234-237 : « Mais ils se trompent dans la méthode de défense aussi bien que dans le choix de la religion même. Car il faut défendre la religion non pas en massacrant mais en mourant, non point par la cruauté, mais par lendurance (non saeuitia sed patientia), non point par le crime, mais par la foi. Car, de ces attitudes, les unes sont celles des méchants, les autres sont celles des gens de bien et lon doit trouver dans la religion le bien et non le mal. Car si lon veut défendre la religion par le sang, les tortures, le mal, on ne la défendra plus, on la souillera et on la violera. En effet, rien nest si librement voulu que la religion (nihil est enim tam uoluntarium, quam religio) : si lesprit de celui qui offre un sacrifice y éprouve de la répugnance, la voilà détruite, et inexistante. Le bon moyen de défendre la religion, cest daccepter la souffrance ou même la mort : la foi que lon conserve ainsi est agréable à Dieu même et donne encore de lautorité à la religion. »

65 Après avoir cité des vers dHorace sur lendurance du sage (Odes III, 3, 1-4 : « Lhomme juste et ferme en ses propos, ni lardeur des citoyens ordonnant le mal, ni le visage dun tyran qui menace ne lébranlent, son esprit reste ferme »), Lactance commente : « On ne peut rien dire de plus vrai, si on applique ces mots à ceux qui ne fuient aucun supplice, aucun genre de mort, pour ne pas sécarter de leur foi et de la justice, que ni les ordres des tyrans ni les armes des gouverneurs ne peuvent empêcher par la terreur de défendre avec une âme farouche la véritable et totale liberté (ueram et solidam libertatem) qui doit être défendue sur cette terre par le sage (quae in hoc solo tuenda sapienti est). » (Lactance, Institutions divines V, 13, 17, éd. et trad. Monat, 1973, p. 196-199.)

66 Nous nentrons pas ici dans la question de Lactance idéologue de Constantin, pour laquelle nous renvoyons àLettieri, 2013.

67 Eusèbe, Histoire ecclésiastique X, 5, 2, éd. et trad. Bardy, 1993, p. 104-105. Le texte latin donné par Lactance na pas les premières lignes de la version eusébienne, mais son contenu ne contredit pas nos conclusions. Cf. note suivante.

68 Eusèbe, Histoire ecclésiastique X, 5, 4, éd. et trad. Bardy, 1993, p. 104-105. Lactance, De la mort des persécuteurs 48, éd. et trad. Moreau, 1954, p. 132 : Constantin et Licinius donnent « aux chrétiens comme à tous, la liberté et la possibilité de suivre la religion de leur choix (liberam potestatem sequendi religionem quam quisque uoluisset) ».

69 Cassiodore, Variae II, 27, éd. Mommsen, 1981 [1894], p. 61-62. Cf. Canella, 2011.