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Classiques Garnier

XVIe siècle - XVIIIe siècle

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IV. XVI^-XVIII^ SIÈCLE

Ulrich A. Wien (éd.), Judentum und Antisemitismus in Europa, Tubingen, Mohr Siebeck, 2017, xvl + 360 pages, ISBN 978-3-16-155151-2, 29 €. Dorothea Wendebourg, Andreas Stegmann, Martin Ohst (éd.), Protestantismus, Antijudaismus, Antisemitismus. Konvergenzen und Konfrontationen in ihren Kontexten, Tubingen, Mohr Siebeck, 2017, lX + 556 pages, ISBN 978-3-16-155102-4, 89 €. Le 500^^ anniversaire de la Réformation approchant, plusieurs eolloques, en Allemagne, se sont intéressés à la question, que certains écrits de Martin Luther soulèvent, de Tantijudaïsme voire de l'antisémitisme. Les actes de deux séries de eonférenees ont paru en 2017 aux Éditions Mohr Siebeek (Tubingen). Le volume de petit format (18 χ II em) dirigé par U. Wien, qui enseigne à l'Institut de Théologie protestante de l'Université de Coblence-Landau, rassemble les textes de onze conférences données à Landau durant le semestre d'été de 2016 sous le titre « Konflikt ohne Toleranz ? Judentum und Anti¬ semitismus in Europa ». Ces textes ne concernent pas uniquement le pro¬ testantisme ni même l'époque moderne, puisqu'ils embrassent les attitudes hostiles aux Juifs en Europe sur une très longue période, qui va de l'Antiquité - M. Tilly traite de 1'« hostilité envers les Juifs (Judenfeindschaft) » dans le paganisme antique, et A. M. Ritter brosse les portraits de Chrysostome et Augustin, représentants d'un ehristianisme entre la eonfrontation avec le judaïsme et la faseination pour ce dernier - à l'époque contemporaine : l'article de Th. Brechenmacher s'interroge sur un « antisémitisme latent » dans l'Église catholique - 50 ans après Nostra Aetate -, la contribution de G. Hubinger se rapporte à l'antisémitisme allemand au début du XX® siècle, eelle de D. Sehuster étudie I'« élimination de l'influence juive » mise en œuvre par les « Deutsche Christen », tandis que R Ullrich aborde la question de l'antisémitisme qui a cours actuellement en Allemagne - « notamment dans les gauehes politiques » en lien avec le eonflit israélo-palestinien - et de son traitement médiatique et juridique ; Ullrieh eonelut son exposé, dont maintes conclusions valent sans doute également pour la France, en rappelant que l'antisémitisme est une menace non seulement pour les Juifs, hommes et femmes, « mais eneore pour la démocratie, l'égalité et les droits de l'homme » (p. 309). G. Wenz met en évidenee les jugements ambivalents du Coran sur les Juifs, et L. Bluhm brosse le large panorama des Juifs et du judaïsme dans la littérature allemande des deux derniers siècles. Trois contributions ont trait au siècle de la Réformation : Y. Leppin replace l'écrit Que Jésus-Christ est né juif (1523) de Luther dans le contexte des débats sur les Juifs au début du XVI® siècle, A. Kohler traite de Charles Quint et des Juifs dans le Saint-Empire et en Espagne, tandis que l'article de K. Molitor, qui, sans doute en raison de sa dimension régionale, conclut ce volume, évoque plusieurs figures qui ont œuvré pour la rencontre entre Juifs et protestants dans l'Alsace et le Palatinat du XVI® siècle : Hans Denck, le médecin de Landau Alexander Seitz ou encore Josel de Rosheim.

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Toute ces études se caractérisent par leur érudition et leur clarté, et l'introduction de U. Wien (p. vii-xvi), qui rappelle qu'on peut se poser légiti¬ mement la question de l'emploi du terme « antisémitisme (Antisemitismus) » pour qualifier l'hostilité aux Juifs avant le xix'' siècle, s'emploie à faire le lien entre les diverses contributions. Sur le plan des thèmes et de la chrono¬ logie, ce passionnant volume, dont la consultation est facilitée par plusieurs index (noms de personnes et de lieux, références bibliques, coraniques et des auteurs antiques), n'en reste pas moins assez disparate. L'imposant ouvrage édité sous la direction de D. Wendebourg et A. Stegmann, qui enseignent tous deux à l'Université de Berlin, ainsi que de M. Ohst, professeur à Wuppertal, constitue les actes du colloque éponyme, qui s'est déroulé du 5 au 7 octobre 2015 à Berlin. Les 23 contributions qu'il renferme sont agencées en trois sections : les contemporains de Luther et les Juifs ; protestantisme et judaïsme de la fin du xvllL siècle jusqu'au début du XX® siècle ; la scène internationale. Les six contributions de la première section ont le mérite de rappeler de manière bien informée les prises de position de grands contemporains de Luther, mais elles ne font pas nécessairement preuve d'une grande origi¬ nalité, nombre d'études très complètes ayant été publiées il y a quelques années (ainsi, A. Detmers, Reformation und Judentum, 2001). Après que H.-M. Kirn a campé les rapports entre l'Église de la fin du Moyen Age et le judaïsme, M. Schulze, Th. Kaufmann, Ch. Strohm et D. Garrone traitent res¬ pectivement de Johannes Eck, des humanistes allemands, de Martin Bucer et de Jean Calvin. En ce qui concerne Bucer, Ch. Strohm juge qu'on décèle chez le Réformateur strasbourgeois moins une évolution radicale entre son exégèse de Rm 9-11 et le Judenratschlag de 1538 qu'une continuité théolo¬ gique. La section se conclut par une étude d'A. Null sur les Juifs dans la polémique de la Réformation anglaise. Avec ses dix contributions portant sur la fin de l'époque moderne et l'époque contemporaine, la deuxième section constitue le centre de gravité de l'ouvrage. Des sujets fort divers y sont abordés. D. Wendebourg traite de la réception des « Judenschriften » - une telle désignation a été contestée - de Luther au XIX® et au début du XX® siècle, ses écrits hostiles aux Juifs étant longtemps restés peu connus ; A. Beutel examine les liens ambivalents entre les Lumières allemandes et le judaïsme. Plusieurs études traitent de l'hostilité aux Juifs chez tel ou tel intellectuel : l'historien Friedrich Ruhs et son contra¬ dicteur Jakob F. Fries en 1815-1816 (S. Gerber) ; le vétérotestamentaire Franz Delitzsch en 1882 (M. Friedrich) ; l'historien Heinrich von Treitschke (« les Juifs sont notre malheur ! »), protagoniste de la controverse antisémite berlinoise de 1879-1880 (A. Stegmann) ; les théologiens Adolf Stoecker et Reinhold Seeberg à la fin du XIX® et au début du XX® siècle (M. Ohst) ; le tristement célèbre antisémite Paul de Lagarde (N. Slenczka), pour lequel le stéréotype négatif du «juif» est indispensable à la construction de son opposé, l'idéal de 1'« allemand (das Deutsche) » ; les théologiens libéraux Adolf von Harnack, Martin Rade et Friedrich Naumann, qui opposent Jésus à 1'« étroit nationalisme juif » (G. Nottmeier) ; les spécialistes de Luther Emanuel Hirsch et Paul Althaus, dans les années 1920 et au début des années 1930 (A. von Scheliha). J. Wallmann, qui traite du luthéranisme et du sionisme sous la République de Weimar, conclut son étude en affirmant avec

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force que l'Eglise protestante allemande s'est rendue coupable de n'avoir pas pris la défense des Juifs en 1933. Les sept contributions de la dernière section constituent un rapide tour d'horizon, non exhaustif, des pays européens voire nord-amérieains : la Franee, des Lumières à la Première Guerre mondiale (P. Birnbaum) ; l'Autriche, au XIX® et au début du XX® siècle (A. Schweighofer) et la Russie à la même époque (T. Grill) ; le luthéranisme au Danemark (M. Schwarz Lausten), en Norvège (V. L. Haanes), en Suède-Finlande (R. Saarinen) et en Amérique du Nord (F. Sherman). Compte tenu de la richesse et de la grande variété des textes qu'il rassemble, ce volume, qui est dépourvu de conclusion générale, méritait bien mieux qu'une introduction de deux pages pour faire le lien entre les différentes eontributions et seetions (quel est, par exemple, le lien entre l'antisémitisme des XIX® et XX® siècles et l'hostilité envers les Juifs à l'époque de la Réformation ?) et nouer ainsi la gerbe : en mettant en évi¬ dence, par-delà les temps et les lieux, les eonstantes et les ressorts profonds de l'antisémitisme, sans doute est-il possible de le combattre plus efficacement. M. Arnold

Helga Schnabel-Schule (éd.). Reformation. Historisch-kulturwissenschaftliches Handbuch, Stuttgart, J. B. Metzler, 2017, x + 378 pages, ISBN 978-3- 476-02593-7, 119,99 €. Ce manuel d'histoire culturelle, publié dans une typographie serrée, a été rédigé par une vingtaine de contributeurs, dont la moitié, à l'instar de l'éditrice du volume, enseignent à l'Université de Trêves. À quelques pages de l'Éd. consacrées aux eonditions eeclésiales, politiques et intellectuelles du « processus de la Réformation » succèdent quatre sections plus développées. On a apprécié, dans la section « Discours théologiques » rédigée par A. Lexutt, outre l'attention portée aux principaux genres diseursifs, les onze pages de « textes elés » de la Réformation (depuis la Dispute contre la théologie scolastique de Luther en 1517 jusqu'à l'Épitomé de la Formule de Concorde de 1577) ; toutefois, nombre de ces extraits sont beaueoup trop brefs (ainsi, 6 lignes des Ordonnances ecclé¬ siastiques de Calvin, 1541, et 2 lignes du Commentaire sur les Galates de Luther, 1535) pour être significatifs. La section «Acteurs et réseaux», rédigée par plusieurs auteurs, a le grand mérite de consacrer des notices biographiques non seulement aux prineipaux théologiens, mais encore aux juristes, aux imprimeurs (e'est dans eette catégorie que figure le franciscain Thomas Murner) et aux artistes, que les synthèses sur la Réformation ont généralement tendance à négliger. À défaut d'être toujours originales, les quelque 170 pages de la seetion « Lspaees réformateurs», bien informées, couvrent un très large panorama et se prêtent aisément à la consultation. Quant à la section « Oralité et écrit », rédigée également à plusieurs mains et qui traite principalement des « Flugschriften » et de la musique, elle complète parfaitement la section sur les genres diseursifs. Sans doute les genres plus proprement théologiques, tels que la prédication, les catéchismes voire les traductions de la Bible, auraient-ils mérité une attention plus soutenue. La

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demi-douzaine de pages de la section conclusive (« Les conséquences à long terme du processus de la Réformation ») ne peuvent qu'esquisser ces conséquenees, notamment dans les domaines de Lédueation - Timpaet de la Réformation sur l'instruction féminine n'est guère mis en évidence - et de la politique. Les index des personnes et des lieux rendront d'utiles services, mais un index des thèmes aurait été le bienvenu. Surtout, on regrettera que les auteurs de ce bel ouvrage ignorent la plupart des travaux de leurs collègues français, même lorsque ces derniers sont les spécialistes des thèmes qu'ils abordent : ainsi, alors pourtant que Strasbourg est à l'honneur dans plusieurs sections - Bucer a droit à plusieurs pages dans la sous-section consacrée aux théologiens, et la Réformation à Strasbourg est traitée dans le eadre du Rhin supérieur -, on ne trouve nulle part mention des importants ouvrages de Marc Lienhard ou de Jean Rott sur cette ville libre d'Empire au xvf siècle. Pareillement, on eherehera en vain les études fondamentales d'Olivier Millet dans les bibliographies relatives aux Réformateurs ou à la Réforme en France. En revanche, des publications de moindre importance ont droit de cité, pourvu qu'elles aient paru ou aient été traduites en allemand ou en anglais... En dépit de ees regrets, on saluera la parution de ce « manuel d'histoire culturelle » qui est un ouvrage important sur le plan seientifique : il constitue un très utile eomplément aux nombreux dictionnaires et encyelopédies centrés davantage sur l'histoire des idées ou sur les notions théologiques qui ont paru en lien avee le jubilé de la Réformation. M. Arnold

Christine Weide, Georg Spalatins Briefwechsel. Studien zu Uberlieferung und Bestand (1505-1525), Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2014, 293 pages (Leucorea-Studien zur Geschiehte der Reformation und der lutherisehen Orthodoxie 23), ISBN 978-3-374-03626-4, 48 €. L'humaniste Georges Spalatin (1484-1545) a joué un rôle très important dans les débuts de la Réformation : secrétaire particulier et chapelain de l'Électeur Frédéric le Sage, il fut l'intermédiaire privilégié entre Martin Luther et le souverain saxon, et a soutenu le Réformateur durant les années de sa rupture avee Rome. Le présent ouvrage, publieation d'une thèse de doctorat soutenue en 2011 à l'Université de Kiel et primée par la même Université, entend constituer une étape préparatoire à la publication de sa correspondance, qui eompte près de 2 000 lettres. Après un intéressant chapitre consacré à l'état de la question (p. 9-23), le chapitre II (p. 59-98) se fonde étroitement sur la correspondance pour exposer la vie de Spalatin jusqu'en 1525, année qui marque une césure importante dans son existenee : à la mort de Frédérie le Sage, Spalatin quitta le serviee des Éleeteurs de Saxe pour se marier et œuvrer en tant que Réfor¬ mateur à Altenburg. Le chapitre m (p. 61-98) expose de manière détaillée l'histoire de la transmission de ces lettres (les premières collections remontent aux années 1510-1515) et présente les endroits où elles sont eonservées ; on trouve ainsi une lettre à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat (eorrespondance de Beatus Rhenanus), tandis que la Bibliothèque Nationale et Universitaire

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de Strasbourg renferme cinq copies dans le Thesaurus Baumianus. Le cha¬ pitre IV, de loin le plus développé de l'ouvrage (p. 101-258), donne la liste ehronologique de ees lettres, les références des endroits où elles ont été publiées (136 sont totalement inédites, voir p. 254-258) et, pour les auto¬ graphes et les copies, le lieu où elles sont conservées ainsi que leur cote. La liste des eorrespondants montre que Spalatin a été en relation avee pas moins de 112 épistoliers, 86 lui ont adressé des lettres, et il a envoyé des lettres à 48 d'entre eux ; la différence entre le nombre des expéditeurs et celui des destinataires s'explique par le fait que Spalatin a pris plus de soin que ses correspondants dans la préservation des eourriers qui lui étaient adressés. Alors que des centaines de lettres de Luther et de Melanchthon nous ont été conservées, constituant près de la moitié des lettres reçues par Spalatin, seules six lettres de Spalatin aux deux Réformateurs sont connues. Outre ces listes, le tableau ehronologique des lettres constitue un outil fort utile. Le bref chapitre conclusif (p. 261-264) constitue un plaidoyer eonvaincant pour l'édition complète des lettres de Spalatin qui compléterait nos informations sur son rôle dans le domaine de la politique, des questions ecclésiales et dans l'Université de Wittenberg. Une importante bibliographie (p. 267-291), qui renferme non seulement tous les travaux relatifs à Spalatin, mais encore une sélection représentative d'études sur le genre épistolaire, eonclut eette étude exemplaire. M. Arnold

Max Engammare, Prêcher au xvf siècle. La forme du sermon réformé en Suisse (1520-1550), Genève, Labor et Fides, 2018, 270 pages (Histoire), ISBN 978-2-8309-1662-1, 19 €. Sans prédieation, pas de Réformation. Et pourtant, trop rares sont les monographies consacrées aux sermons des Réformateurs. La présente étude est d'autant plus bienvenue que nul, sans doute, n'était mieux placé que Max Engammare, découvreur et éditeur de longue date des sermons de Jean Calvin, pour proposer une synthèse sur la prédieation réformée en Suisse au xvf siècle. Trois des six chapitres (les chap. 2, 3 et 4) de son ouvrage reprennent, en les retravaillant, des articles publiés récemment dans des revues mais qui ont été conçus de prime abord comme des parties de ce livre ; les trois autres ehapitres sont entièrement inédits. Le sous-titre de eet ouvrage en dit l'objet, même s'il est trop modeste : tout en traitant les trois grandes formes de la prédieation (la lectio continua, qui expose tout ou partie d'un livre biblique et qui plonge ses raeines dans l'Antiquité, la prédication qui suit un lectionnaire, caractéristique de l'Église traditionnelle, et la prédication thématique ou topique), l'A. est amené, néeessairement, à aborder des questions liées aux genres voire au eontenu. C'est le cas en particulier lorsqu'il analyse les « sermons de bataille (Feldpredigten) » du Zurichois Heinrich Bullinger (p. 112-117) ou lorsqu'il examine plus brièvement le sermon de mariage de Rudolf Gwalther (p. 111 sq.). Par ailleurs, si le terminus ante quem de l'étude est donné par la multiplication, dans les années 1550, des traités d'élaboration des sermons, souvent le propos de l'A. ne s'arrête pas à ce terme, mais il nous renseigne sur les évolutions de la prédication réformée tout au long du xvf siècle.

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Le chapitre premier traite d'Erasme et de Melanchthon, « précurseurs des réflexions sur la prédication moderne ». De fait, VEcclesiastes d'Érasme, paru en 1535 et qui traite surtout de la construction du discours (les 14 matières à traiter, elles, ne mettent pas vraiment la foi en valeur...), n'a guère influencé la première génération des prédicateurs évangéliques, et dans une lettre du 2 août 1535, Bullinger écrit : « Tout Érasme me déplaît. Me déplaisent les choses qu'il a écrites dans le Prédicateur. » (P. 38.) Melanchthon n'était pas davantage un praticien de la prédication d'Érasme (voir infra, p. 494, notre compte rendu d'Andréas J. Beck, Melanchthon und die reformierte Tradition), mais TA. attire notre attention sur quatre brefs exposés (entre 1529 et 1552) du Wittenbergeois sur la prédication et Tart de composer des sermons. Comme Érasme, Melanchthon s'intéresse presque exclusivement aux questions de dialectique et de rhétorique. Le chapitre II, consacré à Bâle, traite essentiellement d'Œcolampade, après avoir examiné la prédication bâloise dans les décennies qui ont précédé la Réformation. Il apparaît que, dans les années 1520, Œcolampade tantôt suivait un lectionnaire, tantôt prêchait selon la lectio continua. Dans les décennies qui suivirent sa mort en 1531, alors que s'effectua à Bâle le passage de la lectio continua à une prédication topique, on continua, dans la cité rhénane, de prêcher à l'occasion de fêtes telles que Noël, le janvier ou encore la circoncision de Jésus, voire des fêtes liées à Marie. De même à Zurich (chap, iii, où les prédicateurs Zwingli, Jud et Bullinger sont mis en exergue), la lectio continua puis la prédication sur les « lieux » théologiques coexistèrent avec les sermons sur les principales fêtes chrétiennes : la circoncision de Jésus, la Passion, la Résurrection, l'Ascension, la Pentecôte et Noël. Tout au long du XVÉ siècle, on continua également de célébrer le 11 septembre la Kilbi, la fête de la ville. Les sermones synodales attestent, eux aussi, la permanence d'une prédication appuyée sur un lec¬ tionnaire, ce dernier fût-il épuré. En ce qui concerne Berne (chap, iv), le Réformateur strasbourgeois Wolfgang Capiton est à l'honneur : c'est lui qui rédigea les actes du Synode de 1532, oû est abordée la question de la prédication. Mais TA. se fonde également sur une collection de sermons manuscrits anonymes du milieu XVÉ siècle de la Burgerbibliothek qui, peut-être, sont de la main de Johannes Haller, ainsi que sur une collection de prédications d'Abraham Musculus (1563-1573). Ces sources témoignent de ce que, à l'instar de Bâle et de Zurich, Berne n'abandonna pas totalement l'usage du calendrier liturgique puisqu'elle conserva les fêtes liées à Jésus-Christ (voir, p. 149-154, la liste détaillée des sermons prononcés par A. Musculus à l'occasion de fêtes). Seule Genève (chap, ν), après avoir conservé des fêtes chrétiennes dans les années 1540, finit par les supprimer en totalité, en les repoussant au dimanche le plus proche. Il convient de lire la justification qu'en donne Calvin - TA. rappelle à bon droit, p. 162-170, combien il fut influencé par Bucer, qui avait prêché dès 1525 selon la lectio continua -, précisément à la fin d'un sermon : « Ce sera tout un ce sera égal] quand nous ferons mémoire de la nativité de notre Seigneur le mercredi, le jeudi ou quelque autre jour. [...] nous ne trouverons point étrange que ce jour ici soit ôté, et que dimanche on célèbre la Cène, et qu'on récite l'histoire de la Nativité de notre Seigneur Jésus Christ. » (25 décembre 1550, après avoir prêché sur Mi 5 ; p. 191 sq.)

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Pour Lausanne (Pierre Viret) et Neuchâtel (Guillaume Farel ; chap, vi, où ΓΑ. fait observer l'absence de sermon funèbre dans les années 1560), les sources sont rares. Elles nous indiquent cependant que, comme à Genève, on accorda la priorité à la lectio continua mais que, plus tard que dans la ville de Calvin, on supprima la célébration du jour de Noël. Max Engammare montre, à rencontre de l'opinion commune et de manière extrêmement convaincante, que le choix exclusif, à Genève, de la lectio continua pour la prédication constitua non pas le modèle pour la prédi¬ cation réformée, mais bien plutôt l'exception : jusque tard dans le xvi® siècle, tant à Bâle qu'à Zurich et à Berne, on conserva nombre de fêtes chrétiennes. On signalera aussi l'hypothèse suggestive, qu'il conviendrait de creuser, selon laquelle à chaque forme de prédication correspond un type de temps précis : un temps linéaire pour la lectio continua ; un temps « faisant davan¬ tage émerger le kairos » (p. 245) pour la prédication topique ; un temps liturgique, circulaire, pour la prédication usant d'un lectionnaire. Ouvrage de première main, fondé sur les sources - souvent inédites - les plus diverses, ce livre allie l'érudition aux qualités d'écriture. On se plaît à souhaiter que, dans quelques années, l'A. nous donne pour la Suisse du XVI® siècle une somme telle que celle qu'Hervé Martin a consacrée, il y a trente ans, à la prédication en France à la fin du Moyen Age. M. Arnold Martin Luther, Von der Freiheit cines Christenmenschcn. Kommentiert und herausgegeben von Jan Kingreen mit einer Einleitung von Ruth Slenczka, Tûbingen, Mohr Siebeck, 2017, XI + 103 pages (UTB 4884), ISBN 978- 3-8252-4884-0, 9,99 €. La version allemande de La liberté du chrétien (1520) a connu de très nombreuses éditions. La dernière d'entre elles a été publiée en 2016 par Dietrich Korsch à Leipzig, et, en 2007, c'est aux éditions Mohr Siebeck que Reinhold Rieger a fait paraître un commentaire détaillé de cet écrit réformateur. La présente édition n'en rendra pas moins service aux étudiants, auxquels elle est destinée. Elle reprend, sur les pages de gauche, le texte original (édition de Rhau-Grunenberg) et, sur les pages de droite, la version en allemand contemporain établie par D. Korsch en 2012 pour le tome 1 de la Deutsch-deutsche Studienausgabe. Le traité La liberté du chrétien est précédé, aux p. 2-23, de l'épître dédicatoire à Léon X. Les notes, placées en marge, ont trait d'une part à l'identification de citations et de personnages (marge de gauche), et d'autre part à des commentaires historiques, littéraires et théologiques. Pour chacun des trente paragraphes du traité, l'Ed. propose un titre qui en résume le contenu de manière pertinente. M Arnold Mario Biagioni, Lucia Felici, La réforme radicale en Europe au xvf siècle. Traduction de Liliane M. Izzi, Genève, Droz, 2017, 166 pages (Varia 25), ISBN 978-2-600-04729-6, CHF 32. On comprend aisément que l'ouvrage La Riforma radicale nelVEuropa del Cinquecento fasse, cinq ans après sa parution, l'objet d'une traduction en

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français : il s'agit d'un ouvrage de dimensions modestes, qui se caractérise par ses qualités de synthèse et d'éeriture. Les A. reprennent à leur eompte l'expression « Réforme radieale » (on trouve dans le titre « réforme radieale », et dans le corps de l'ouvrage parfois « Réforme Radicale »), introduite il y a plus de soixante ans dans le débat historiographique par G. H. Williams, qui publia ensuite, en 1962, l'ouvrage The Radical Reformation. En même temps, dès l'introduction, les A. parlent d'idées « non conformistes » (p. 8). Ce sont des individus et des groupes extrêmement divers - à tort ou à raison, ils ont été regroupés sous l'expres¬ sion « Réforme radicale », alors même qu'ils présentent entre eux autant de différenees que de points eommuns dans leur rapport à l'Ecriture ou à la violenee - que les A. entendent présenter en cinq chapitres : les origines ; le baptême ; l'esprit et la lettre ; universalisme et tolérance ; la Trinité. Le premier chapitre rappelle, à la suite de nombreux travaux, que les « radieaux » ne sont pas seulement des groupes ou des personnes qui ont « radicalisé » le message de Luther, mais que, à certains égards, ils sont plus conservateurs que lui : il faut chercher leurs racines non seulement chez Érasme - Marc Lienhard Ta montré il y a quelques années dans les colonnes de cette revue, voir RHPR 78, 1998, p. 261-279 -, mais encore au Moyen Âge. Cette question de l'héritage médiéval aurait pu être traitée de manière plus approfondie, en étudiant par exemple Thomas Mùntzer et Andreas Karlstadt. Le chapitre ii, « Le baptême », cherche moins à présenter la manière dont les différents types de « radieaux » ont pris position par rapport au baptême - et notamment au pédobaptisme - qu'à camper les origines et les développements de Tanabaptisme, y compris sous ses formes violentes eomme à Mùnster-en-Wesphalie en 1534-1535. Les pages consacrées à « anabaptisme et antitrinitarisme en Italie » (p. 54-59) sont d'autant plus intéressantes que Tanabaptisme y est moins connu que dans l'Empire ou en Suisse. Le chapitre m, « L'esprit et la lettre », qui traite notamment des spiri- tualistes (les A. rangent Karlstadt parmi eux, p. 66-68), ne manque pas de s'attarder sur la ville de Strasbourg, où séjournèrent notamment Brunfels, Denck, Franck, Hoffman et Schwenckfeld (seules les idées de Franck et de Sehwenekfeld sont exposées avec quelque ampleur). Ce chapitre porte éga¬ lement sur quelques personnages de la seconde moitié du XVÉ siècle, comme le pasteur luthérien Valentin Weigel, dont l'œuvre est en eours de publiea- tion, et le Néerlandais Hendrik Niclaes, fondateur de la Famille de l'amour. Le spiritualisme en Italie fait l'objet d'un traitement détaillé. Fallait-il conclure ce chapitre sur le « Nicodémisme », et notamment sur la polémique de Calvin contre les « Nicodémites » ? Concédons aux A. que Ton peut tenir Brunfels pour l'un des théoriciens du « Nicodémisme », en lien avec sa « conception spiritualiste de l'Église » (p. 85). Mais loin s'en faut que tous les tenants d'une adaptation extérieure aux rites romains broeardés par Calvin comme « Nicodémites » aient été des spiritualistes. La tolérance, à laquelle les A. eonsaerent déjà quelques pages au eha- pitre II (p. 59-63), constitue l'objet du chapitre iv, « Universalisme et tolé¬ rance ». Ce thème constitue - cela ne surprend guère - Toceasion pour les A. d'exposer longuement le cas de Servet. Mais il permet également de traiter des idées universalistes de Guillaume Postel et de Celio Seconde Curione. Les A. rappellent, après Silvana Seidel Menchi, le succès rencontré par le De immensa Dei misericordia d'Érasme dans l'Italie des années 1540 et 1550.

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Servet reparaît au chapitre v, « La Trinité » (mais le rejet de la Trinité a- t-il constitué un bien commun de la « Réforme radicale » ?), qui consacre aussi de longues pages aux antitritinaires en Pologne dans la seconde moitié du XVI® siècle, en lien avec les écrits de Lexilé siennois Fausto Sozzini. Les quelques pages conclusives sont consacrées à la postérité des « réfor¬ mateurs radicaux ». Elles rappellent que, si la majorité d'entre ces « radicaux » n'a pas fondé d'Église, nombre de leurs idées ont influencé la pensée occidentale jusqu'à nos jours, en particulier grâce à leur réception par les Lumières. L'ouvrage est dépourvu de notes mais il comporte, rejetée en fin de volume, une importante bibliographie (p. 143-156) agencée chapitre après cha¬ pitre. La présence des travaux d'André Séguenny et, en plusieurs endroits, de la Bibliotheca dissidentium éditée par Martin Rothkegel et lui, ou encore des publications de Jean Rott, atteste l'importance des travaux du GRENEP dans la recherche sur les non conformistes religieux au cours des quarante der¬ nières années. Mais il est un peu dommage que la traduction française de cet ouvrage n'ait pas constitué l'occasion d'une mise à jour de cette bibliogra¬ phie : ces dernières années ont vu paraître de grandes biographies de Thomas Mûntzer, ainsi que l'édition de référence de ses écrits ; nombre de travaux importants ont été consacrés également à Michel Servet (ainsi, les volumes collectifs dirigés par Valentine Zuber). Or ces ouvrages ne figurent pas dans la bibliographie. De même, les recherches fondamentales de Hubertus Lutterbach sur les anabaptistes de Munster ne semblent pas connues des A. Le présent volume renferme quelques erreurs, dont plusieurs sont sans doute imputables à la traduction : si Luther a, probablement, affiché ses 95 thèses contre les indulgences, il est certain que ce n'est pas sur la porte de « la cathédrale » de Wittenberg (p. 30), mais sur celle de la Schlosskirche ; mieux vaut qualifier Nicolas Storch de drapier que de « tisseur » (p. 41) ; le nom du Réformateur bâlois Œcolampade est demeuré dans sa version italienne (« Ecolampadio », p. 114) ; la graphie « Bucer », utilisée le plus souvent dans l'ouvrage, cède parfois la place à « Butzer » (p. 86 et 97). Il est contestable d'affirmer que, «à la mort de Luther, Melanchthon (1497-1560) devint le chef de l'Église » (p. 33), lorsque l'on sait combien le compagnon de Luther a été contesté par les gnésio-luthériens. Tout à leur volonté de prouver l'unité de la « Réforme radicale », y compris dans le « refus des moyens de coercition », les A. affirment que ceux parmi les radicaux qui « eurent recours à la force, comme Mûntzer, le firent presque toujours induits par les circonstances » (p. 60). N'eût-il pas été plus prudent d'affirmer que, en dépit de leurs tendances socio-révolutionnaires communes, les « radicaux » se sont divisés au sujet de la violence ? Mûntzer, qui s'identifiait avec prédilection à Gédéon et souhaitait, avant même la guerre des Paysans, passer les « impies » par le glaive, peut difficilement être mis sur le même plan que les anabaptistes non violents, dont le Sermon sur la Montagne était le texte de référence. Enfin, cet ouvrage ne traite pas - ou seulement en passant - un certain nombre de sujets qu'une synthèse de ce type appelait, nous semble-t-il : c'est le cas, notamment, de la question, controversée, de la polygenèse des idées radicales ou de leur diffusion par contamination, du thème des bonnes œuvres ou de l'éthique chrétienne (ainsi, la « discipline » anabaptiste) ou encore du rapport des « radicaux » aux autorités civiles.

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Les questions qu'elle soulève, on le voit, témoignent du caractère extrê¬ mement suggestif de la synthèse de M. Biagioni et de L. Felici. Constituera- t-elle désormais l'ouvrage de référence en français sur la question ? Gageons en tout cas qu'elle contribuera à stimuler les recherches sur ce que nous préférons appeler « les réformes radicales » ou « les dissidents et non conformistes religieux du xvL siècle ». M. Arnold

Michel Servet, Apologie contre Leonhart Fuchs. Texte établi et traduit par Jean Dupébe, Genève, Droz, 2017, cxLViii + 49 pages (Cahiers d'Huma¬ nisme et Renaissance 143), ISBN 978-2-600-05836-0, 29 €. Vers la fin de 1536, Michel Servet, qui étudie la médecine à Lyon depuis 1533 sous le pseudonyme de Michael Villanovanus, publie un bref écrit, In Leonardum Fuchsium Apologia. Il y prend la défense de son maître, le très catholique Symphorien Champier, dans la dispute qui l'opposait à propos de plusieurs questions au médecin luthérien allemand Leonhart Fuchs. Ce dernier avait attaqué Champier l'année précédente dans ses Paradoxa. C'est ainsi que Villanovanus traite de la scammonée, purgatif connu depuis l'Antiquité et qui faisait l'objet de controverses médicales ; Champier la condamnait comme une drogue vénéneuse, provenant des contrées dominées par les « Mahométans ». Villanovanus défend aussi les positions, pourtant assez confuses, de Champier sur le « mal français ». Surtout, soucieux de donner à son maître des gages de catholicisme, il commence son écrit en traitant du rapport entre la foi et les œuvres : le chrétien est certes justifié par la foi, mais il l'est également par les œuvres, en proportion desquelles les hommes seront châtiés ou récompensés au jour du Jugement. L'intérêt de cette édition réside moins dans ce petit traité - la plupart du temps, Villanovanus y développe des idées qui ne sont guère moins confuses que celles de son maître Champier - que dans l'importante biographie de ce dernier (p. xx-cxvill) que l'Ed. donne dans sa très longue introduction, annotée abondamment. La traduction du texte latin de Villanovanus est remar¬ quable, et l'index (noms propres et thèmes) extrêmement complet. Une biblio¬ graphie et une liste des abréviations employées auraient été les bienvenues, mais peut-être figurent-elles dans les 370 pages d'appendices qui se trouvent uniquement dans la version PDF vendue en ligne par les éditions Droz. M. Arnold

Heinrich Bullinger, Briefwechsel. Band 18 : Briefe von Oktober bis Dezem- ber 1546. Bearbeitet von Reinhard Bodenmann, Alexandra Kess und Judith Steiniger. Unter Benutzung der Abschriften von Emil Egli und Traugott Sehieh. Philologische Beratung durch Ruth Jôrg, Zurich, Theologiseher Verlag, 2017, 491 pages (Heinrich Bullinger Werke), ISBN 978-3-290- 17889-5, 140 €. Ce ne sont pas moins de 130 lettres que renferme ce tome 18 - le 3® pour l'année 1546, contemporaine des débuts de la guerre de Smalkalde. Cette dernière préoccupe autant les correspondants de B. que ce dernier, et leurs

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lettres renferment les descriptions détaillées des forces en présence et des opérations militaires, ainsi que des renseignements précis sur les sommes eolossales dépensées par les belligérants. Comme à l'aeeoutumée, une introduction très détaillée (p. 14-46) nous livre de préeieuses informations sur les correspondants de B. (O. Myeonius, de Bâle, A. Blarer, de Constance, J. Haller et G. Frôlich, d'Augsbourg, sont ceux qui lui écrivent le plus), sur la transmission de ses lettres et sur leur eontenu à la fois historique et théologique. De manière assez eonvenue, B. interprète la guerre comme une oecasion de repentance ; mais il ajoute que, dans le eas de l'Éleeteur de Saxe, Dieu risque de ne pas accorder d'issue favorable parce que le Saxon persécute ceux qui ne veulent pas dire « que le vrai pain et le vrai sang sont dans le pain » (n° 2606, à A. Blaurer). Les jugements sur Charles Quint, « pire que la tyrannie turque » (n° 2613, de G. Frohlich ; voir aussi n° 2632, de Myeonius), sont encore bien plus sévères. De son côté, le Landgrave Philippe de Hesse s'emploie de convaincre B. et les quatre Cantons protestants qu'ils devraient porter secours à leurs coreligionnaires, ee qui eontraindrait l'ennemi à diviser ses forces (n° 2616) ; quelques mois plus tard, alors que la situation des pro¬ testants s'est fortement détériorée, Martin Bucer délivre, non sans amertume, le même message à B. et à Bibliander (n° 2710). Depuis Augsbourg, Haller peut dépeindre à B. les horreurs de la guerre (n° 2619) et lui adresser de longs rapports. La répression des protestants français par François ainsi que les exécutions ordonnées par Henry VIII ne manquent pas de scandaliser B. et ses correspondants (voir ainsi n° 2645, de Blarer). Dès le 5 novembre, B. rapporte - mais sans y eroire - des bruits relatifs au fait que Maurice de Saxe aurait trahi son eousin Jean-Frédèrie (n° 2659 ; voir aussi n° 2662, de G Frôlich, n° 2663, de J. Haller, et n° 2671, de Myeonius). En dépit de son importance, la guerre de Smalkalde n'obère pas les questions plus spécifiquement religieuses. Depuis Strasbourg, où il veut pour¬ suivre ses études, Ludwig Lavater tente de convaincre B. que les pasteurs de la ville d'Empire sont des gens fréquentables ; ils n'ont nullement exigé qu'il renie sa foi au sujet de la cène (n° 2629). Dans la lettre que B. adresse le 14 novembre 1546 à Theobald Thamer (n° 2675, déjà éditée ailleurs - elle est hélas publiée ici sous la seule forme d'un résumé, tout comme la lettre de Bucer, Hédion et Martyr Vermigli du 6 déeembre, n° 2704), il explique qu'il a toujours estimé Luther, car Dieu a fait beaueoup de bien par lui ; toutefois, il lui est impossible de partager la conception grossière de la cène que Luther a encore réaffirmée dans sa Brève confession de foi, conception qu'il discute longuement. Relevons eneore la lettre que B. adresse à une femme - peut- être la Bâloise Elisabeth Hoeklin - qui lui a demandé des livres et qui est une sympathisante de Schwenckfeld (n° 2687). Tome après tome, cette édition soignée confirme l'importance de la correspondance de B. sur le plan tant de l'histoire des idées que de la grande politique. M. Arnold

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Registres du Consistoire de Genève au temps de Calvin, Tome XI : 20 jan¬ vier 1556 - 4 février 1557, Publiés par Jeffrey R. Watt et Isabella M. Watt, Genève, Droz, 2017, XLii + 393 pages (Travaux d'Humanisme et Renaissance 578), ISBN 978-2-600-05799-8, 115 €. L'année 1556 marque, après la victoire définitive de Calvin contre le parti des « Enfants de Genève », la consolidation du pouvoir de Calvin et du Consistoire. Ce dernier continue d'intervenir dans d'innombrables cas de mésentente conjugale et d'adultère ou, plus largement, de relations sexuelles illégitimes (voir l'entrée « paillardise » de l'index des sujets). Comme le relèvent les Éd. dans leur introduction fort détaillée (p. xi-xxvii), certains pasteurs sont eux- mêmes à l'origine de scandales. C'est le cas de Jean Fabri, membre du Consistoire depuis février 1550. En 1555, ses dénégations avaient amené le Consistoire à classer sans suite la plainte d'une nourrice résidant dans sa maison, victime d'attouchements nocturnes. Mais un an plus tard, les accusa¬ tions d'une femme mariée finissent par lui arracher des demi-aveux : c'est Satan qui l'a poussé à « l'avoir eu sollicitée », mais Marguerite Jaequème lui a « occasionè des tentations [... en raison de sa] trop grande familiarité» (p. 31) ! Fabri sera relevé de sa charge de ministre, mais 18 mois plus tard, le Petit Conseil l'autorisera - avec l'assentiment de Calvin - à accepter l'invitation de « certains gentilhommes de Piedmont » pour être prédicateur dans cette région... Même quand leur parole est crue, c'est au même titre que leurs tourmen- teurs que les femmes victimes de violences conjugales sont admonestées par le Consistoire. Le 30 juillet 1556, Antonia Conte est convoquée avec son mari Gabriel, « lequel confesse qu'il l'a battu [sic] de sorte qu'elle en porte les marques au visage » ; Gabriel affirme qu'elle « luy dicippe dissipe] tout son bien et l'otrage fort », et tous deux sont privés de la cène (p. 174) ! Or ce cas est loin d'être isolé, et, à Genève comme en maint territoire pro¬ testant, la violence n'est pas reconnue comme un motif de divorce suffisant. Vigilant en matière de mœurs, le Consistoire continue de l'être égale¬ ment au sujet de la doctrine. Le 16 avril 1556, une veuve est entendue pour avoir affirmé « que personne n'a esté en paradis pour sçavoir qui estoilt saulvé et que tous estient saulvé par nostre euvres » (p. 77 sq.) ; comme elle s'excuse en prétendant être peu instruite, le Consistoire décide qu'on l'inter¬ rogera à nouveau d'ici la prochaine cène. Croyances et pratiques catholiques concernent même Jacques Stordeur, le beau-fils de Calvin : il « confesse qu'il a eu esté à la messe et prins pris] le dieu de paste l'hostie] en ung village d'Allemagne » (p. 183, 6 août 1556) ; en conséquence, défense lui est faite de prendre la cène. On pourrait multiplier les exemples, tragiques pour les uns, plutôt co¬ miques pour les autres : ainsi, nombreux sont les cas de chansons interdites (« chansons villaines », « chansons deshonnestes », « chansons dissollues »...) et de blasphèmes. Tous montrent à la fois la tentative du Consistoire de régenter la vie et les croyances et - en retour - les résistances durables de maints Genevois, y compris à une époque où le pouvoir de Calvin s'est affermi. À l'image de Bernarde Chappelle, qui se plaint de ce que « le diable et le Consistoire ne dorment jamais » (p. 134), les femmes ne sont pas les dernières à regimber.

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Un glossaire et des index très complets (matières, noms de lieux et de personnes) facilitent la consultation de ce tome qui nous plonge au cœur de Genève il y a 460 ans. M. Arnold

Andreas J. Beck (éd.), Melanchthon und die reformierte Tradition, Gottingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2016, 250 pages (Refo500 Academic Stu¬ dies 6), ISBN 978-3-525-55031-1, 85 €. Ce volume de quatorze contributions (neuf en allemand, cinq en anglais) publie les actes d'un colloque organisé en novembre 2010 à la Bibliothèque Johannes a Lasco (Emden), en coopération avec la Faculté de Théologie protestante de Leuven et la Melanchthon-Akademie de Bretten. Le délai entre la tenue du colloque et l'édition de ces actes explique qu'un auteur tel qu'A. Muhling ait donné entretemps au Melanchthon-Handbuch son texte, dont il reprend de larges extraits dans le présent volume. Le lien entre Melanchthon et la tradition réformée apparaît plus ou moins étroit dans les treize contributions qui suivent le bilan que G. Frank dresse de l'année 2010, laquelle a marqué le 450^" anniversaire de la mort du Réfor¬ mateur. Frank juge extrêmement satisfaisant ce bilan, qui montre qu'en 2010 on a associé Melanchthon principalement à l'œcuménisme, à l'éducation et à la philosophie. Ce lien avec la tradition réformée apparaît de façon manifeste dans l'étude sur « Melanchthon et les théologiens de Zurich » (A. Mûhling y qua¬ lifie, de manière un peu surprenante, d'« irénique » Heinrich Bullinger, qui demandait en 1546 qu'après avoir rappelé à lui Luther, Dieu fît de même avec l'inconstant Bucer), dans celle sur « Melanchthon et la piété réformée », marquée notamment par les livres, l'éducation, la prière, le réconfort et la Cène (M. H. Jung), dans l'article sur « Melanchthon et la scolastique réfor¬ mée » (A. J. Beck) ou encore dans l'étude de N. Strieker sur « Melanchthon et la tradition réformée en France » ; ce dernier article passe très rapidement - et sans la moindre référence à la correspondance épistolaire - sur les relations entre Melanchthon et les protestants français, pour s'attarder sur Moïse Amyraut (1596-1664) en tant qu'élève du Réformateur. Ce lien est également très fort lorsque l'on considère l'influence de Melanchthon sur l'école de Sarospatak, institution particulièrement représen¬ tative de l'Eglise réformée hongroise (A. Sazbo), quand on étudie la manière dont le piétiste réformé néerlandais Simon Oomius (1630-1706) se réfère à Melanchthon dans ses Institutiones theologiae practicae (F. van der Pol), ou encore lorsque l'on examine les débats réformés sur le jubilé de la Confession d'Augsbourg en 1830 (J. Hund) et la place de Melanchthon dans la tradition réformée qui va de Schleiermacher à Barth (M. Freudenberg). Quelques-unes parmi les contributions se concentrent, nous semble-t-il, davantage sur des pans de l'activité de Melanchthon ou sur des thèmes théo¬ logiques de sa pensée, sans que ces derniers attestent une relation particulière au protestantisme réformé : c'est le cas de l'étude sur 1'« apocalyptique Melanchthon » (M. van den Berg montre que non seulement Luther mais encore Melanchthon ont accordé un intérêt soutenu au livre de Daniel), de la

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contribution sur l'homilétique de Melanchthon (K. de Groot rappelle que Melanchthon n'a jamais prêché à proprement parler - « Ego concionari non possum » -, mais que les leçons dans lesquelles, le dimanche matin, il expo¬ sait des livres bibliques aux étudiants incapables de suivre le culte allemand se rapprochaient fort des sermons) ou encore de l'article sur Melanchthon et le protestantisme anglais durant les cent ans qui ont suivi sa mort (A. Milton). Il en va de même des deux eontributions qui traitent des Loci communes : celle consacrée au libre-arbitre, qui établit une évolution entre les Loci de 1521 et ceux de 1535 (A. Vos), et celle qui étudie la relation entre parole et esprit dans les Loci (H. van den Belt). Ces quatorze eontributions de qualité sont suivies par une importante bibliographie (p. 217-241) et par un index des noms de personnes (p. 243-250 ; un index des œuvres citées de Melanchthon aurait été bienvenu), qui contri¬ buent à faire de ce volume collectif un ouvrage de référence sur Philippe Melanchthon. M. Arnold

Correspondance de Théodore de Bèze. Tome XLIII : 1603-1605. Recueillie par Hippolyte Aubert, publiée par Alain Dufour, Hervé Genton, Kevin Bovier et Claire Moutengou Barats avec la collaboration de Béatriee Nieollier, Genève, Droz, 2017, XXVII+ 185 pages (Travaux d'Humanisme et Renais¬ sance 571), ISBN 978-2-600-05810-0, 105 €. En dépit des 39 lettres - dont près de la moitié pour l'année 1563 et 10 rédigées par B. - que ce volume renferme, sa publieation constitue un événement : non seulement paree qu'il eontient de nombreux inédits, mais surtout parce qu'il s'agit du 43^" et dernier tome de la correspondance du Réformateur genevois Théodore de Bèze (f 13 octobre 1605). 11 paraît 57 ans après le premier tome (1960), ce dernier ayant été lui-même préeédé de 57 années de travaux préparatoires... Une partie de l'introduction (p. xil-xvil) est consacrée aux origines de cette publication. On y apprend que la mention « recueillie par Hippolyte Aubert », présente sur la page de titre des 43 tomes, se justifie par le fait que ce chartiste genevois (1865-1923), direeteur de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève, une fois libéré de ses fonctions rassembla et eopia la correspondance de Béze avant de vendre ses copies au Musée historique de la Réformation ; or ces copies - à l'instar du Thesaurus Baumianus pour Strasbourg - ont été précieuses lorsqu'il a fallu déehiffrer des originaux difficiles à lire ou lorsque ces originaux avaient disparu suite à leur entrée dans des collections privées. La correspondance de B. pour l'année 1563 reste marquée par la ten¬ tative, en déeembre 1602, de l'armée savoyarde de s'emparer par surprise de Genève. Aussi Bèze et La Paye reeherchent-ils du soutien en tous lieux : ils écrivent au nom de la Compagnie des pasteurs à Elisabeth Ρ d'Angleterre - Satan accable de sa haine l'Église de Genève (n° 2759) - et à l'Église flamande de Londres (n° 2760) ; ils eorrespondent également avec Duplessis- Momay (n° 2763), avec les Réformés allemands afin qu'ils sollieitent le soutien de leurs princes (n° 2765), avec le duc de Lesdiguiéres (n° 2772) ou encore

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avec les pasteurs de Brème (n'^ 2774). « Nous avons besoin de l'aide de tous ceux qui nous aiment », eonfie B. à Charles de Zérotin l'Aneien (n° 2771). En dépit de son grand âge (il a 86 ans le 24 juin 1605), B. reste un eonseiller recherché : en juin 1605, le Landgrave Maurice de Hesse lui soumet plu¬ sieurs questions de politique ecclésiastique (n° 2787). De son côté, c'est à Jacques Γ^, roi d'Angleterre, que B. adresse la dernière lettre portant sa signature : il prie le souverain d'intervenir auprès de la justice britannique car l'un de ses sujets, William Blower, fait valoir l'absence de consentement de ses parents pour annuler les promesses de mariage qu'il a échangées avec la fille d'un syndic de Genève (n° 2789). La correspondance de B. dans les dernières années de sa vie n'a pas trait seulement à la grande politique ou aux questions religieuses et théologiques. Il s'agit aussi d'une correspondance familiale : le décès de Gabrielle Cavet, son arriére-petite-nièce dont il est l'héritier universel, entraîne l'échange d'un certain nombre de lettres avec Jean Colon, le notaire chargé de la suceession, ainsi qu'avec des parents de B. qui l'exhortent à leur abandonner cet héritage (n° 2779, 2780, 2783, 2784 et 2790). On relèvera, au nombre des « piéees annexes » publiées dans ce volume, l'oraison funèbre prononeée par Gaspard Laurent à l'oceasion de la mort de B. (p. 106-125) ainsi que plusieurs poèmes funèbres (p. 127-143). Parmi les addenda aux tomes précédents, mentionnons deux billets de Henri de Navarre à B. (n° 1859bis et 2791) fort difficiles voire impossibles à dater. Les listes des addenda et des illustrations pour l'ensemble des 43 tomes ainsi qu'un important index des noms de personnes et de lieux pour les années 1603- 1605 concluent ce beau volume. f Les Ld. n'ont pas manqué, à la fin de leur introduction, de remercier les Editions Droz pour leur fidélité et le Ponds National de la Reeherehe Suisse pour ses 57 années de soutien (on se plaît à rêver d'une telle aide en France, par exemple en faveur de l'édition de la correspondance de Bucer...). À notre tour, nous leur adressons l'expression de notre profonde gratitude pour l'aehèvement exemplaire de eette grande entreprise et saluons la mémoire d'Alain Dufour, qui a été l'infatigable maître d'œuvre de l'édition de la correspondanee de Béze. M. Arnold

Correspondance de Pierre Bayle. Tome XIV : Décembre 1706 — avril 1732, lettres 1742-1791. Publiées et annotées par Elisabeth Labrousse (f), Antony McKenna, Wiep van Bunge et al, Oxford, Voltaire Foundation, 2017, xxvii + 475 pages, 14 illustrations, ISBN 978-0-7294-1070-0, 144 €. Correspondance de Pierre Bayle. Tome XV : Bibliographie et Index général. Publié par Elisabeth Labrousse (f), Antony McKenna, Wiep van Bunge et al, Oxford, Voltaire Foundation, 2017, viii + 393 pages, ISBN 978-0- 7294-1201-8, 144 €. Avec ces deux derniers tomes s'achève l'édition critique de la corres¬ pondance de Bayle, initiée par Elisabeth Labrousse et réalisée depuis le début du siècle sous la direetion d'Antony McKenna (voir RHPR 97, 2017, p. 485). Mener à bien en l'espace de dix-huit ans la publication de ces quinze volumes.

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aussi remarquables par leur élégance que par leur qualité scientifique, est un exploit qu'il convient de saluer. Ils ont d'ailleurs été distingués par un prix de l'Académie française. La correspondance proprement dite du philosophe de Rotterdam prenait fin avec la mort de Bayle en décembre 1706, mais les Éd. ont eu la bonne idée de recueillir les réactions épistolaires suscitées par sa disparition, d'autant que son œuvre a eontinué de paraître avec des ouvrages posthumes comme les Entretiens de Maxime et de Thémiste, la dernière partie de la Réponse aux questions d'un provincial, et surtout la troisième édition du Dictionnaire historique et critique (1720) pour laquelle il avait préparé des adjonetions. Dans les années qui suivent paraîtront les quatre volumes des Œuvres diverses, ainsi qu'une partie de sa correspondance et sa biographie par Pierre Des Maizeaux en tête de la quatrième édition du Dictionnaire (1730). Les suppléments recueillis dans le tome XIV, qui vont jusqu'en 1732, rassemblent ainsi einquante lettres éehangées entre ses proches et quelques précieuses annexes. Les échanges de lettres concernant Bayle sont surtout le fait de très proches, comme son plus fidèle ami Jacques Basnage, désigné comme exécuteur testamentaire. Pasteur et historien, auteur d'une assez remarquable Histoire des Juifs, Basnage avait, sur le plan philosophique, une pensée bien plus timide que son ami, mais il voyait clairement que les convictions de Bayle étaient « une chose dont on parlera dans toute l'Europe et peut-être dans les siècles à venir avec beaucoup d'incertitude », eomme il l'éerit au duc de Noailles. Les témoignages convergents sur le fait que la mort de Bayle s'est inscrite dans la droite ligne de la simplicité de sa vie sont impressionnants, de même que les mots émus de Shaftesbury sur celui qu'il eonsidère eomme un maître : « Quel mal pouvait faire au monde un homme qui pratiquait une telle quête de la vérité avee tant de modération, de générosité, d'intégrité et d'innocence de mœurs, je ne le sais pas, mais je sais et je sens le bien qu'il a fait ». L'édition de ses dernières œuvres fait l'objet de nombreux éehanges dans lesquels interviennent notamment son éditeur Reinier Leers et son biographe Pierre Des Maizeaux. On trouve en annexes de ce tome XIV un texte de Leibniz donnant son avis sur le Projet d'un Dictionnaire critique publié avec des fragments en 1692, où le philosophe, lecteur et admirateur de Bayle, prodigue des eonseils sur la manière de réaliser eette vaste entreprise. On y trouve également deux lettres inédites de Bayle et d'un correspondant au sujet d'une œuvre d'érudition de Johann Deckherr (1686) sur les ouvrages anonymes ou pseudépigraphiques, dont les illustrations 13 et 14 reproduisent des pages annotées par Bayle. Les annexes IV et V seront particulièrement utiles à l'étude approfondie du Dictionnaire historique et critique, l'une recensant tous les passages de la Correspondance qui éclairent l'élaboration des divers articles du Diction¬ naire, l'autre présentant avec beaucoup d'acribie les éditions suecessives du Dictionnaire m milieu du xviif siècle, avee une table des artieles dans chaque édition. On trouve enfin comme à l'accoutumée bibliographie, listes des lettres et des correspondants, index des noms de personnes, mais aussi des Errata et addenda portant sur l'ensemble des tomes précédents. Le tome XV met un point final à cette remarquable entreprise en fournissant une bibliographie générale des travaux critiques exploités dans

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l'ensemble de l'édition, suivie d'un index général des noms de personnes, qui constitue un instrument de travail très utile à la reeherehe. Il faut rappeler que cette belle édition imprimée se double d'une édition électronique, eom- portant certains suppléments, consultable en ligne sur le site http://bayle- correspondance.univ-st-etienne.fr. Outre l'éclairage décisif qu'apporte cette Correspondance sur l'œuvre et la personnalité de Bayle, elle constitue un tableau vivant de la République des Lettres à l'âge classique, mais aussi du Refuge protestant, de ses débats et de son destin. Ph. de Robert

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