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Classiques Garnier

Moyen Âge

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noms divins, les rapports entre théologie platonicienne et théologie chré¬ tienne chez le Pseudo-Denys, et enfin les seolies, traductions et eommen- taires du corpus dionysien. Suit une imposante bibliographie (p. 219-306). La traduction du traité Sur les noms divins - qui se poursuit dans le second volume - s'accompagne d'un commentaire ample et très complet du texte. Le traité La théologie mystique, plus court, fait également l'objet, dans le seeond volume, d'une introduetion détaillée, dans laquelle Γ A. commente ses diverses sections ; suit à nouveau une traduction richement annotée, à laquelle succèdent des index (scripturaire, auteurs anciens et textes cités, mots grecs). Par leur richesse et leur technicité, ces deux volumes constituent une contribution de grande valeur à la recherche menée sur l'œuvre dionysienne et facilitent utilement son accès au public francophone qui, pour ces deux textes, ne disposait pas de traduction récente. R. Gounelle

III. MOYEN AGE Montse Leyra Curlâ, In Hebreo. The Vietorine Exegesis of the Bible in the Light of its Northern-French Jewish Sources, Turnhout, Brepols, 2017, 408 pages (Bibliotheea Victorina 26), ISBN 978-2-503-57542-1, 95 €. L'A. enseigne actuellement le latin et l'hébreu à l'Université San Dâmaso de Madrid, après avoir soutenu une thèse, préparée sous la direction de Sara Japhet, sur les références au texte hébreu ehez les exégètes de l'Ecole de Saint-Victor, au Xlf siècle, dans leurs commentaires sur le Pentateuque et les Prophètes. Dans cet ouvrage, l'enquête se poursuit avec l'étude des œuvres de Hugues et d'André de Saint-Victor et les origines des interprétations in hebreo dans leurs eommentaires sur la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Juges et les deux Livres de Samuel. Les sourees juives des Victorins sont identifiées depuis longtemps : il s'agit de Rashi, Joseph Qara, Samuel ben Meir, Joseph ben Isaae Beckhor Shor, Ibn Ezra et David Qimhi. Elles ont été étudiées par B. Smalley et R. Berndt (entre autres), et la similarité en matière d'exègèse entre les Victorins et les Juifs de la Franee du Nord l'a été partiellement par M. Signer et E. Touitou. Aueune analyse systématique des interprétations in hebreo n'avait toutefois été entreprise, et c'est là ce que cet ouvrage s'emploie à fournir. L'A. s'encquiert tout d'abord de la nature du lien (direet ou non) des Victorins avec le texte hébraïque et de la manière dont ils le eitent. Dans un deuxième temps, elle tente de mettre en évidence les interprétations in hebreo qui auraient échappé aux érudits qui l'ont précédée dans cette recherche. Enfin, elle tâche de montrer les parallèles systématiques entre l'exégèse vietorine et les Pashtanim. Pour répondre à ces interrogations, l'A. pose une série de questions préalables : les Victorins prennent-ils en compte les diffé¬ rentes leçons de la Vêtus Latina ? distinguent-ils la tradition manuscrite latine et eelle en provenanee des auteurs juifs ? eomprennent-ils le texte masso- rétique par eux-mêmes ou s'appuient-ils sur d'autres eommentateurs ? peut-on établir une distinction entre Hugues et André dans leur relation aux sources juives ?

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REVUE DES LIVRES

L'introduction retrace l'historiographie concernant les sources juives des Victorins, fournit une esquisse de la vie d'Hugues et d'André et précise la méthode employée, fondée sur une analyse littéraire et linguistique (paral¬ lèles lexicaux et techniques littéraires, similarité ou non du contenu). À l'issue de sa vaste et savante étude, l'A. parvient aux conclusions suivantes : Hugues et André ont reçu entre le quart et le tiers de leurs interprétations in hebreo de conversations directes avec des exégétes contemporains - ceci est perceptible, par exemple, dans la mention de traditions et rites juifs contem¬ porains absents des sources anciennes -, ceux de l'école du Peshat de la France du Nord : Joseph Qara, Rashbam, Beckhor Shor ou leurs étudiants. Un autre groupe d'interprétations in hebreo provient des citations de la LXX, du texte massorétique et de l'état du texte latin au x\f siècle : certaines inter¬ prétations in hebreo sont en fait des variantes de la version grecque, de la Vieille Latine ou des Vulgates ; Hugues et André attribuent parfois fausse¬ ment aux exégétes juifs ces leçons différentes. Une autre partie de l'étude s'attache aux sources latines de la transmission des in hebreo : Jérôme, le pseudo-Jérôme et la Glose ordinaire. Fondée sur une longue tradition historiographique, cette étude, qui, à n'en pas douter, fera date, approfondit et renouvelle de manière considérable la connaissance que les médiévistes pouvaient avoir des sources juives des deux Victorins. La méthode rigoureuse et l'intelligence des questionnements permettent d'affiner notre compréhension non seulement de l'apport de l'exégèse juive à l'exégèse chrétienne mais aussi des relations intellectuelles entre les deux communautés au xif siècle. A. Noblesse-Rocher

Henri Suso, L'horloge de la Sagesse, Traduction de Jean-Claude Lagarrigue, introduction de Marie-Anne Vannier, Paris, Les Belles Lettres, 2017, 343 pages (Sagesses médiévales 19), ISBN 978-2-251-44761-2, 35 €. L'horloge de la Sagesse, rédigée vers 1335, est l'ouvrage le plus diffusé de Suso, dominicain, disciple de Maître Eckhart, bien qu'il ne se trouve pas dans les Œuvres complètes rassemblées par Jeanne Ancelet-Hustache. Ce texte, souvent comparé à Vlmitation de Jésus-Christ, fait ici l'objet d'une introduction et d'une traduction dues respectivement à deux membres de r« Équipe de recherche sur les mystiques rhénans » (Université de Lorraine). Suso veut réhabiliter la sagesse, celle de son époque, oubliée, et la sienne propre, mise à mal par la tourmente du procès de Maître Eckhart. Écho des visions de Suso, l'ouvrage, qui se fonde sur le plan d'un écrit précédent, le Petit livre de la Sagesse éternelle, est un chemin spirituel compris dans le cadre d'une mystique de l'union. Il est aussi une défense indirecte d'Eckhart, auteur d'un commentaire sur le Livre de la Sagesse. Suso s'inspire de deux sermons d'Eckhart (?our la Fête de saint Augustin et Sermon 16b) et divise son ouvrage en deux parties : une relecture du Can¬ tique des cantiques à la lumière de la Passion du Christ et une présentation de la spiritualis philosophia, critique des écoles de théologie et de l'Université. Aux yeux de Suso, il existe trois types de lecture de l'Ecriture : charnelle (la lettre sans l'esprit), naturelle (le propre des écoles) et spirituelle. Dans la lignée des traités spirituels rédigés au milieu du xiv'' siècle, au passage de la

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Grande Peste, le Dominicain évoque aussi le détachement qu'il est nécessaire d'adopter pour se préparer à la mort. Une biographie de Suso et un dossier iconographique complètent l'intro¬ duction. La traduction est élégante et fidèle. Voici un bel ouvrage, utile à un large public. A. Noblesse-Rocher

Véronique Ferrer, Jean-René Valette (dir.). Ecrire la Bible en français au Moyen Age et à la Renaissance, Genève, Droz, 2017, 805 pages (Travaux d'Humanisme et Renaissance 579), ISBN 978-2-600-04770-8, 119 €. Les Éd., tous deux professeurs de littérature française à l'Université de Paris-Nanterre, spécialistes des relations entre littérature et piété réformée pour la première, du lien entre littérature et mystique pour le second, coor¬ donnent un ouvrage collectif, fruit de trois colloques organisés à Bordeaux en 2012 et 2013, puis à Nanterre en 2015, consacrés aux traductions médiévales et renaissantes de la Bible en français. L'ouvrage s'ouvre sur un préambule méthodologique et historiographique qui présente les questions fondamentales liées à la problématique des traduc¬ tions à ces époques charnières, des enjeux du choix de la langue vulgaire au xif siècle au délitement de la pensée théologico-biblique au XVIIÉ sièele, fin d'une strueture ecelésiale dominante (p. 13). Les traduetions du texte saeré participent toutes d'une même intelligence littéraire (concentration de type poétique) mais s'inscrivent aussi dans une conception de l'histoire, la période médiévale étant propiee aux rééeritures historiques de la Bible. Suit une importante introduetion signée par les Éd. sur les traductions de la Bible en français. Cette introduction présente une analyse des raisons de l'entrée pro¬ gressive (et laborieuse) de la langue française dans les traductions médiévales, et ceei en ses différentes formes : traductions, transpositions, adaptations, paraphrases ou translations, traductions-eommentaires. La Renaissanee, quant à elle, invente la traduction dans son acception philologique (p. 32). La paraphrase biblique s'impose aussi à cette époque : traduction libre, amplifi¬ cation explicative de la Bible ou amplification poétique. Dans eette diversité de formes, la traduetion engage une herméneutique autant qu'une poétique. Le corps de l'ouvrage comprend trois parties : « La langue de la Bible », « Bible et littérature » et « Bible et histoire ». Parmi les 38 contributions, citons celles de Gilbert Dahan sur les rééeritures de quelques récits mythiques de la Genèse, de Geneviève Hasenohr sur les traductions des épîtres et évangiles des dimanches (XIIÉ-XIV® siècles), de Max Engammare sur les traductions du comma Johanneum (1 Jn 5,7) dans les Bibles genevoises au XVÉ siècle et de Marie-Christine Gomez-Géraud sur les Dialogues sacrés de Sébastien Castellion. Il faut saluer ici une entreprise d'envergure, qui contient des contributions magistrales et propose une intelligente réflexion, cohérente et approfondie, sur le phénomène de la traduction en langue vulgaire, sa poétique et son herméneutique. A. Noblesse-Rocher

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