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Classiques Garnier

Théologie pratique

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THÉOLOGIE PRATIOUE

Laurent Schlumberger, A l'Eglise qui vient. Préface par Frère Alois, Lyon, Olivétan, 2017, 316 pages, ISBN 978-2-35479-387-6, 19 €. Durant son mandat de président de l'Église réformée de France puis de l'Église protestante unie de France, Laurent Schlumberger a été amené à présider des cultes, à faire des conférences, à présenter des rapports devant les synodes, etc., et ce sont une vingtaine de ces textes qui sont rassemblés dans cet ouvrage, témoignant de la compréhension que l'A. a de la foi et de la présence de l'Église dans la société. Nourris par un travail biblique et une réflexion plus systématique, ces textes sont enracinés dans la réalité du monde - il y est question du terrorisme, des mutations du travail, des migrations, de la montée des populismes... - comme dans celle de l'Église, en même temps qu'ils sont porteurs d'une vision à long terme façonnée par l'espérance. Ils allient qualités rédactionnelles et culture, témoignant d'une compréhension de la foi qui ne peut faire l'économie de l'intelligence. Mais l'intelligence reste modeste ; l'A. nous invite tous à être des « apprentis théologiens », en devenant « toujours plus et mieux, une lectrice, un lecteur critique, c'est- à-dire responsable » (p. 275). Et il précise : un lecteur des Écritures bibliques, « non seulement parce que les Écritures sont à la source de notre foi, mais aussi parce que, en protestantisme, elles en sont également l'instance critique par excellence. Un lecteur des théologiens d'hier et d'aujourd'hui, ensuite, car on ne pense que dans l'héritage, la discussion, le dépassement de pensées qui nous précèdent. Un lecteur de l'expérience, enfin, car la théologie vivante ne germe qu'au cœur de l'existence, de ses questions et de ses épreuves » (p. 276). C'est là ce qu'il fait lui-même à travers cet ouvrage, et s'il ne s'agit pas d'une thèse structurée - puisque ces textes sont liés à des cir¬ constances et des contextes divers -, s'y dessinent pourtant quelques grands axes de pensée. Concernant la foi, c'est un «Dieu libre, avec lequel il n'y a rien à négocier puisque tout est déjà donné » (p. 281) que l'A. propose, un Dieu qui nous fait confiance - et cette confiance incondi¬ tionnelle est «puissamment libératrice» (p. 91). Il plaide par ailleurs pour une Église qui ne se crispe pas sur sa tradition, mais qui ose vivre Éhospitalité (p. 83-84) et la solidarité, «une Église de témoins» qui acceptent « d'être vulnérables à l'Esprit de Dieu [et de se] rendre vul¬ nérables à l'autre » (p. 126). À l'Église qui vient : ce beau titre sonne comme une façon de rap¬ peler que nous ne pouvons pas enclore l'Église dans nos institutions - une réalité à ne jamais oublier quand on assume la responsabilité de présider l'une de ces institutions ecclésiales ; il est aussi comme une confession d'espérance dans cette période de mutations pour les Églises luthéro- réformées. /. Grellier

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Olivier Bauer, Les cultes des protestants. Méthodes originales pour appro¬ cher les rites, Genève, Labor et Fides, 2017, 143 pages (Pratiques 33), ISBN 978-2-8309-1621-8, 19 €.

Il s'agit d'un essai plus que d'un livre théologique : l'A. détaille les différentes sensations que l'on peut trouver dans un culte et au contact d'un bâtiment religieux. Il revalorise à juste titre les sens traditionnel¬ lement oubliés dans le culte protestant : la vue, l'olfaction, le toucher, le goût et le sens kinesthésique (le positionnement de notre corps dans l'espace). Le culte, on le sait, s'est concentré essentiellement sur l'ouïe, l'écoute, la parole. En cela, l'A. apporte d'utiles correctifs, lesquels avaient d'ailleurs été déjà proposés de manière plus approfondie dans l'ouvrage d'Ermanno Genre, Le culte chrétien. Une perspective protestante (Genève, Labor et Fides, 2008), ouvrage fondamental étonnamment absent de la bibliographie. X A l'époque d'une revalorisation des signifiants et des médiations symboliques, on ne peut qu'être en sympathie avec le projet de l'A. Mais rassembler à la hâte quelques articles ne suffit pas : la référence aux revues dans lesquelles ces articles ont été publiés pour la première fois n'a parfois pas même été corrigée (« vous voyez vos mains qui tiennent ce numéro d'ETR... », p. 64). L'A. s'auto-cite (trop) fréquemment, mais n'entre pas dans d'autres pensées, y compris quand elles vont dans son sens (on aimerait en savoir plus sur celles de Jossutis ou Wenz, par exemple). Les raisonnements qu'il mène sont souvent « binaires » : il y a deux solutions, deux perspectives, deux approches, deux territoires, et cela est décrété de manière souvent très professorale. Le chapitre 3, intitulé « Liturgie », traite en fait de l'aménagement du territoire cultuel. Il manque cruellement un chapitre qui détaillerait ce que la communauté fait symboliquement (et pas simplement spatialement) au cours d'un culte. Le chapitre 4, « Prédication », s'attarde sur des prédications qui mettraient enjeu le toucher, l'odorat et le goût, mais est quasiment silencieux sur les visibilités liées â la prédication (et au prédicateur). D'ailleurs, le sens de la vue est paradoxalement assez peu pris en considération : il n'est jamais question de couleurs, qui pourtant jouent un rôle important, non seule¬ ment d'un point de vue symbolique et liturgique (dans le luthéranisme tout au moins, une sensibilité cultuelle protestante absente de l'ouvrage), mais aussi physiologique et phénoménologique. Pour ne pas rester sur ces impressions mitigées, on notera que l'A. écrit avec un style alerte et vivant, rapporte des anecdotes marquantes avec, parfois, un agréable parfum exotique présent dans ses récits de cultes polynésiens. J. Cottin

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André Fossion, Jean-Paul Laurent, Lire pour vivre. Soixante-dix lec¬ tures de textes évangéliques. Tables liturgiques^ Bruxelles — Saint- Barthélemy-d'Anjou, Lumen Vitae - Éditions CRER, 2016, 272 pages, ISBN 978-2-87324-539-9, 24 €. Deux jésuites, l'un spécialiste de pédagogie et de catéchèse, l'autre d'études littéraires, nous proposent des méditations sur la plupart des péricopes (parfois tronquées !) proposées pour les homélies du Ac¬ tionnaire catholique (années A, Β et C) et toutes tirées des évangiles exclusivement. Ces méditations se veulent simples, proches du texte et visent à parler à toute personne croyante ou cherchant Dieu. De fait, une méthode « littéraire » ou « linguistique » est privilégiée : pas de détour par l'histoire (mais parfois, des corrections de traductions à partir des mots grecs) ; pas de renvois intertextuels selon le principe protestant de la Bible qui s'interprète elle-même ; pas d'actualisations trop risquées ou contextualisées non plus : tout juste des interpellations de nature existen¬ tielle, spirituelle ou éthique. On imagine volontiers que ces textes ont été dits en contexte homilétique avant d'être écrits. On saluera cette volonté de coller au plus prés du texte biblique, avec le risque qui lui est lié, celui d'aboutir à un commentaire qui tend à la paraphrase. Un théologien protestant, nourri par l'étude approfondie de la Bible en vue de la faire accéder au statut de Parole de Dieu, restera toutefois sur sa faim. Ces commentaires lui sembleront trop simples, trop explicatifs, trop apologétiques. Ils évacuent le recours à l'histoire et au sens originel des mots. La lecture proposée est trop sage, et la confrontation avec les textes, y compris dans leurs aspects obscurs, choquants et problématiques se fait attendre. Surtout, il manquera au lecteur protestant l'apport des autres textes bibliques (Ancien Testament et épîtres), sans lesquels les évangiles eux-mêmes ne sauraient dévoiler toute leur saveur. J. Cottin

Fritz Lienhard, La différenciation culturelle en Europe. Un défi pour les Églises, Lyon, Olivétan, 2017, 142 pages, ISBN 978-2-35479-407-1, 19 €. Les études sur les milieux, développées en Allemagne, restent peu fréquentes en France, et c'est un des mérites de l'ouvrage de F. Lienhard, Professeur à Heidelberg qui joue facilement le rôle d'un passeur entre les deux côtés du Rhin, que d'y donner accès aux lecteurs francophones. Ces études sur les « milieux » permettent d'élargir les lectures de la société en termes de classes sociales, en proposant des catégorisations plus fines, qui prennent en compte non seulement l'appartenance à telle classe sociale mais aussi l'attachement à des valeurs, éthiques ou

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esthétiques. L'A. s'attache à montrer qu'elles peuvent aider les Eglises à comprendre mieux leur place dans la société et à réfléchir à leurs façons de mettre en œuvre leur mission. Le premier chapitre présente les études réalisées en Allemagne, l'A. les situant sur l'arrière-plan des travaux de P. Bourdieu sur la distinction ; car les différents milieux se définissent en cherchant à se distinguer des autres. Les études allemandes répartissent les populations selon deux types de coordonnées, d'une part le rang social, de l'autre « l'orientation psychologique », répartie entre tradition, individualisme, modernisation et nouvelle orientation. Ce qui donne une dizaine de catégories : « conser¬ vateurs établis », « socio-écologiques » « hédonistes », par exemple. Le deuxième chapitre propose une approche théologique utile à l'interrogation des rapports de domination culturelle que ces études révèlent, domination qui existe bien évidemment dans les Églises comme ailleurs. Dans la conviction paulinienne selon laquelle Dieu a choisi « ce qui n'est pas », l'A. discerne la proposition d'une identité nouvelle « alternative à celle qui est liée aux marques de distinction » (p. 43). Cette « identité devant Dieu qui inclut sa propre faiblesse au lieu de l'exclure » (p. 44) n'est donc plus nécessairement facteur d'exclusion, car elle vient relativiser toutes nos particularités culturelles. Sous le titre « Éléments d'une humanité commune », le troisième chapitre s'interroge sur les réalités communes aux différents milieux, et l'A. s'appuie ici sur une étude portant sur les attentes qui s'expriment lors des actes pastoraux. Cette étude analyse les tensions qui peuvent appa¬ raître lors de la préparation de ces actes, des tensions qui, assumées, peuvent devenir fécondes, mais elle fait apparaître aussi des réalités communes à tous les humains : la contingence de nos vies où peuvent surgir aussi bien la souffrance que la joie, notre besoin d'éléments qui viennent interrompre l'ordre habituel des choses, en ouvrant à de l'autre. Le rite qui vient répondre à ces besoins, en offrant un langage pour porter et dire l'émotion, serait « le noyau dur du phénomène religieux » (p. 87). Mais, comme le montre l'A, le rite ne saurait se passer ni d'une institution, ni d'une parole théologique qui dépasse l'émotion, ni d'une réflexion éthique, ni de communauté. Le dernier chapitre, plus court, dessine quelques « propositions pra¬ tiques » : au niveau local, travailler avec, et non pour, des représentants de milieux autres que ceux qui sont attachés aux Églises, de façon à utiliser le langage qui est le leur ; renoncer à ce que le culte soit commun à tous et réfléchir à sa diversification en inventant d'autres lieux de rassemblement, etc. L'A. évoque aussi diverses stratégies possibles au niveau supra-local : parier sur la proximité géographique, spécialiser les paroisses en fonction des milieux ou développer des ministères spécialisés. L'ouvrage peut sembler un peu disparate, la longue réflexion du troisième chapitre sur rite et religion - par ailleurs passionnante - s'écartant un peu trop peut-être de la problématique des milieux. Mais

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l'ensemble, «détour» compris, est précieux pour penser la place des Églises dans des sociétés plurielles et pour éclairer leurs choix de vie. /. Grellier

Françoise Parmentier (dir.), Le care, une nouvelle approche de la solli¬ citude?, Paris, Artège Lethielleux, 2017, 179 pages, ISBN 978-2- 249-62408-7, 16,9 €. F Petit à petit, le concept de care, venu des Etats-Unis, se fait une place dans la réflexion philosophique et politique en France. Cet ouvrage, fruit d'un partenariat entre une dizaine d'associations proches du christia¬ nisme et initié par l'association Confrontations (« association d'intellectuels chrétiens », selon son site) que préside F. Parmentier, y contribuera pour le monde chrétien. Pourquoi parler de care, plutôt que de sollicitude ou de souci de l'autre ? É'introduction de la philosophe Nathalie Sarthou-Lajus définit ce concept à l'aide de ses initiatrices, Carol Gilligan et Joan Tronto. Elle montre que, au-delà d'une attitude psychique d'attention aux autres et de la pratique d'aide qui en découle, le care se veut porteur d'une dimension politique. Sa pratique comme sa conceptualisation sont souvent le fait des femmes, mais le care n'est pas une affaire de genre. E'un des fondements de cette réflexion est la conscience que « notre condition [est] marquée par la vulnérabilité », laquelle « révèle une interdépendance au fondement du lien social » (p. 17). Et l'objectif est bien d'entrer dans une certaine «forme de réciprocité» (p. 19) en aidant les personnes vulnérables à développer leur autonomie. E'ouvrage est divisé en quatre parties bien tracées. Dans la première, trois contributions (une d'un homme politique, Étienne Pinte, les deux autres de sociologues, Serge Guérin et Gilles Séraphin) explicitent les dimensions sociales et politiques du care : les métiers du care sont des métiers du vivre-ensemble, fondamentaux pour une société ; l'implication des aidants - catégorie dont l'émergence manifeste « la transformation d'un problème domestique en question politique » (p. 41) - vient déconstruire les discours dominants sur l'individualisme ; au-delà de la dimension individuelle, il s'agit de développer des politiques publiques favorisant cette solidarité active. Dans la deuxième partie, la parole est donnée à trois associations, actives dans le champ du care, l'une (ATD Quart Monde) développant davantage la dimension politique, la seconde (E'Arche de Jean Vanier) mettant l'accent sur l'éthique de l'accompagnement au quotidien, et la troisième (la Société de Saint Vincent de Paul) sur l'engagement spirituel. Ea troisième partie présente deux situations où le care est pratiqué sans être nommé : Jacques Sémelin retrace (trop brièvement !) l'entraide autour des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, tandis que Maurizio Ambrosini analyse la place des femmes migrantes dans le soin aux per¬ sonnes âgées dans l'Europe du Sud.

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La dernière partie s'attache à analyser le lien entre care et foi chré¬ tienne. Sur la base de quelques textes des évangiles, Nathalie Chaumet développe des caractéristiques du care : l'acceptation de la part émotion¬ nelle en soi, la prise en charge de l'humain dans sa globalité, avec l'importance du corps et celle de la parole qui libère et relie, la façon dont le care bouscule nos frontières personnelles et sociétales ; elle souligne le nécessaire travail intérieur que cela exige. Après des présen¬ tations très pertinentes du care et de la charité chrétienne, Jean-Guilhem Xerri relève des points de convergence - en particulier la place faite à la fragilité humaine - et il insiste sur une différence essentielle selon lui : la dimension de transcendance, avec la reconnaissance par le chrétien que « quelque chose de plus grand que lui habite ses gestes » (p. 158), l'appel qu'il entend, « à travers le don de soi [à] laisser Dieu se donner » (ibid.). On s'interroge cependant : ne sous-estime-t-il pas la liberté de l'Esprit en le liant trop étroitement à l'action des chrétiens ? Le care valorise la voix de toutes ces personnes qui mettent en œuvre le souci des autres, en même temps qu'il fait entendre la critique d'une société qui les reconnaît si peu. Cet ouvrage à la fois théorique et pratique pourra y sensibiliser le monde chrétien et favoriser les synergies. /. Grellier

Rémy Bethmont, Martine Gross (dir.). Homosexualité et traditions mono¬ théistes. Vers la fin d'un antagonisme ? Préface de Philippe Portier, Genève, Labor et Fides, 2017, 387 pages, ISBN 978-2-8309-1623-2, 24 €. Les monothéismes, qui ont largement contribué à imposer une normativité hétérosexuelle, sont aujourd'hui confrontés aux changements culturels des sociétés occidentales dans le domaine de la sexualité. Cet ouvrage analyse la façon dont les trois grandes traditions monothéistes se laissent travailler, tant dans leurs discours que dans leurs pratiques, par la question de l'homosexualité. Les évolutions dans le monde chrétien anglo- saxon, qui ont débuté depuis plusieurs décennies, étaient déjà assez bien étudiées, mais celles que connaissent les traditions juives et musulmanes, plus récentes, l'étaient beaucoup moins, et c'est une des grandes richesses de cet ouvrage que de leur faire pleinement place. Soulignons aussi la présence de plusieurs contributions plutôt centrées sur le monde anglo- saxon qui permettent de décentrer le regard de la France. L'étude est menée sur quatre niveaux qui fournissent le plan de l'ouvrage. La première partie analyse la manière dont se heurtent et se conci¬ lient, au niveau des individus comme des groupes, les identités reli¬ gieuses et les identités LGBT. L'étude introductive d'Andrew Yip, fondée sur une enquête menée au Royaume-Uni, pose de façon large la question des rapports entre religions et sexualité. L'islam a la part belle dans cette partie, avec trois des six contributions, l'une centrée sur les associations

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de Queer Muslims en France (J.-F. Brault), et les deux autres concernant les pays musulmans : l'une porte sur la situation des transsexuels dans divers pays musulmans (C. Fortier), et l'autre sur l'expression, dans certaines productions littéraires marocaines, d'une homosexualité vécue comme compatible avec la religion (J. Zaganiaris). Pour le monde chré¬ tien, M. Durand étudie l'association David et Jonathan qui met en œuvre une double logique : coopération avec les réseaux chrétiens contestataires et intégration dans les paroisses. Et M. Chapman analyse les conflits qui traversent la Communion anglicane à propos de l'homosexualité, conflits qui condensent un ensemble de problèmes plus généraux. La deuxième partie, à dominante herméneutique, étudie le rapport aux textes fondateurs et la façon dont ils peuvent être réinterprétés. C. Meredith esquisse une interprétation originale de l'épisode de Sodome en termes de géopolitique des frontières. J. Harding propose une histoire de la réception de la relation entre David et Jonathan dans l'exégèse au cours des siècles et dans des romans du début du XX^ siècle. J. Hammer étudie des midrashim modernes qui permettent aux personnes LGBT de se réapproprier la Torah. A.-L. Zwilling analyse les positionnements exé- gétiques qui permettent aux protestants français d'aboutir à une grande diversité d'opinions à partir de l'affirmation commune de l'autorité des Écritures. Une troisième partie est consacrée à des « réappropriations de l'histoire religieuse ». D. Lett étudie le « vice sodomite » au Moyen Âge et les différentes lectures qui en ont été faites récemment. J.-P. Gay ana¬ lyse les discours théologiques tenus dans l'espace catholique à l'époque moderne, montrant la coexistence entre une vive condamnation de la « sodomie » et une casuistique beaucoup plus souple. D. Jaspers, pour sa part, propose de s'inspirer pour aujourd'hui de l'esprit de tolérance qu'il croit trouver dans les écrits des théologiens carolins anglais au XVIÉ siècle. La dernière partie s'intéresse aux «réappropriations de la tradition liturgique ». J. Vilbas étudie les rites des paroisses et groupes inclusifs - particulièrement la bénédiction des couples de même sexe -, qui se veulent signes de l'accueil de Dieu. C. Béraud montre comment des catholiques pratiquants vivant en couples de même sexe investissent le mariage civil et comment certains prêtres répondent à leurs demandes d'accompagnement ou de ritualisation de leur union. Une dernière contribution (R. Alpert) analyse la situation complexe dans le judaïsme aux États-Unis, la cérémonie traditionnelle de kidouchin - que la loi de certains États conduirait à élargir aux couples de même sexe - étant profondément inégalitaire. On peut souligner encore la richesse de l'introduction des deux directeurs de l'ouvrage, R. Bethmont et M. Gross, la clarté de la préface de Ph. Portier et la présence d'une bibliographie nourrie. Cet ouvrage sera donc très précieux pour saisir en finesse les évolutions des insti¬ tutions religieuses face à la réalité de l'homosexualité. /. Grellier

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Yvan Bourquin^ Joan Charras Sancho (éd.), L'accueil radical Ressources pour une Eglise inclusive. Préface de Thomas Rômer, Genève, Labor et Fides, 2015, 226 pages, ISBN 978-2-8309-1579-2, 23 €. Cet ouvrage ne se contente pas de proposer des « ressources » pra¬ tiques et pastorales pour aider les Églises à faire pleinement place aux personnes homosexuelles, il aborde aussi les fondements bibliques et théologiques d'un accueil inconditionnel. Il s'agit d'un ouvrage militant - le « pour » du titre l'indique bien -, ce qui ne l'empêche nullement d'être en même temps un travail scientifique, abordant des questions de fond avec toute la rigueur nécessaire ; car, pour les auteurs, le message chrétien appelle à un « accueil radical » de tous et toutes, sans distinction de race, de classe sociale ou d'orientation sexuelle. C'est la question de l'orientation sexuelle qui est ici privilégiée - c'est d'ailleurs à ce propos que le terme « inclusif » est le plus souvent utilisé aujourd'hui -, mais beaucoup des contributions valent aussi pour l'accueil d'autres personnes discriminées socialement, même si chaque accueil a ses exigences propres. L'ouvrage est divisé en quatre parties qui correspondent presque aux quatre grands champs des études de théologie. La première partie, qui offre un état des lieux de l'inclusivité, a une forte dominante historique. Jean Vilbas - pionnier en France de la réflexion théologique sur l'inclusivité - trace, dans une belle contribution, une « brève histoire » du mouvement chrétien inclusif, depuis les groupes. Églises ou paroisses (catholiques ou évangéliques) propres aux personnes LGBT jusqu'à une ouverture des grandes confessions à l'inclusivité. Stéphane Lavignotte retrace la façon dont l'inclusivité a été vécue entre 2006 et 2013 dans la Fraternité de la Maison Verte, avec une volonté d'accueillir le mieux possible toutes les différences, celle des personnes LGBT comme celle de personnes en situation de handicap. Muriel Schmid présente les grands axes de la queer theology, qui se nourrit des réflexions sur le genre, les¬ quelles interrogent la production des identités sexuelles, et des théologies féministes, et qui vise à déconstruire le lien étroit entre théologie chré¬ tienne et hétéronormativité. Une contribution de Jean-Biaise Kenmogne présente enfin son combat pour faire reconnaître les droits des personnes homosexuelles dans son pays, le Cameroun, et pour changer le regard si négatif que les Églises en Afrique portent aujourd'hui sur l'homosexualité. La deuxième partie s'ouvre sur une contribution exégétique d'Elian Cuvillier qui montre la « tension féconde » que Paul établit à travers les codes culturels de son époque. Valorisant les choses viles (1 Co 1,18-25), Paul déconstruit les représentations traditionnelles de la religion ; en même temps, à travers son «comme non» (1 Co 7,29-31), il invite à relativiser toutes nos identités humaines. Cette réflexion est très pré¬ cieuse, les écrits pauliniens étant souvent utilisés dans une lecture litté¬ rale pour rejeter l'homosexualité. Yvan Bourquin plaide, pour sa part, pour un Dieu inclusif, en interrogeant les images que nous nous faisons du Dieu biblique. Une troisième partie regroupe des contributions d'ordre pastoral : Jurgen Grauling analyse les débats qui ont eu lieu sur Internet, pour ou

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contre la bénédiction des couples de même sexe, et il dit les chances et les risques de ce type d'échanges. Marina Zuccon mesure les évolutions de l'accueil des personnes LGBT dans les Églises luthériennes et réformées en Europe, leur possibilité d'y exercer un ministère ou d'y voir leur couple béni. Et Joan Charras Sancho réfléchit à des liturgies qui pourraient dire mieux «l'amour extravagant de Dieu» pour tous et se montrer effectivement accueillantes à chacun dans sa singularité. La conclusion est assurée par Pierre Bûhler, qui interroge l'usage fait d'une théologie de la création pour condamner l'homosexualité, et plaide pour un « (Saint) esprit d'inclusivité » qui vise à faire fructifier les différences dans la rencontre. Cet ouvrage constitue une aide précieuse à la réflexion que les Églises sont appelées à mener quant à leur propre positionnement en termes d'accueil des personnes EGBT tout en dépassionnant le débat. /. Grellier

François-Xavier Amherdt, L'animation biblique de la pastorale. 120 pro¬ positions pratiques, Namur, Eumen Vitae, 2017, 183 pages, ISBN 978- 2-87324-570-2, 18,5 €. Ce sont effectivement 120 propositions pastorales concrètes qui sont rassemblées dans cet ouvrage par le Professeur de Fribourg, avec le but de favoriser une pratique des Écritures telle que « la Parole de Dieu [devienne] une vraie nourriture et une source inépuisable de renouveau pour les communautés chrétiennes locales » (p. 6). Elles sont regroupées en trois grands chapitres, l'un orienté plutôt vers la vie personnelle, le deuxième concernant davantage la vie en Église (avec une attention particulière à la prédication et à la catéchèse) et le troisième relatif à la façon de faire connaître les Écritures dans la société. Certaines de ces propositions sont effectivement très concrètes (« apprendre par cœur des textes », « mettre les textes dominicaux à la disposition des fidèles », par exemple), d'autres ouvrent à des méthodes plus complexes (« s'essayer aux outils de l'analyse rhétorique »...), d'autres encore indiquent plutôt des orientations de compréhension (« percevoir la Parole dans sa dimen¬ sion consolatrice, miséricordieuse et guérissante »...) ; certaines peuvent paraître assez banales, d'autres sont plus originales ou plus ambitieuses (« tracer dans la nature des "chemins bibliques" »...) Une introduction situe la démarche ici adoptée dans la ligne de la constitution Dei Verbum et de l'encyclique de Benoît XVI Verbum Domini, souvent citées, dont ce recueil veut faciliter la mise en œuvre. Les chapitres et sous-chapitres sont eux aussi introduits de façon plus théorique, pour donner pleinement sens aux propositions pastorales. Un petit lexique est proposé, destiné à éclairer le lecteur non initié que cet ouvrage cherche à toucher. Soulignons quelques orientations qui se dégagent de ces propositions : la volonté de faire place à une appropriation du texte par le lecteur sans

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négliger les lectures savantes ; le souci de favoriser la formation de tous, clercs et laïcs ; l'attention portée aux nouveaux médias, entre autres. Cet outil sera bienvenu dans le monde protestant comme dans le monde catholique. Qu'on permette cependant à la théologienne protestante d'exprimer un petit malaise face à l'équivalence qui semble être faite parfois (dans les citations plus que dans le texte même, d'ailleurs) entre « la Parole de Dieu » et les textes bibliques. /. Grellier

Henri Derroitte, Diane du Val d'Eprémesnil (dir.), Un cours de religion pour quoi ? Vécu et attentes des élèves du secondaire en Belgique francophone, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2017, 111 pages (Religio), ISBN 978-2-87558-544-8, 17,50 €. Ce collectif rassemblant les contributions de six auteurs analyse les résultats d'une enquête menée par le centre de recherche « Éducation et religion » de l'Université catholique de Louvain auprès des élèves des classes supérieures du secondaire en Belgique francophone à propos des cours de religions, fortement remis en question, en Belgique comme ailleurs. 1644 élèves âgés de 17 à 19 ans, principalement issus de l'enseignement scolaire catholique (85%), ont répondu au questionnaire. L'enquête a été conduite en 2015, juste après les attentats contre Charlie Hebdo, et a été exploitée l'année suivante. Nous possédons donc des éléments précieux et récents pour évaluer l'état de l'enseignement du religieux en général, du catholicisme en particulier, dans les établisse¬ ments scolaires de la Belgique francophone. On peut raisonnablement penser que les résultats pour un public français seraient assez semblables, les situations des deux pays (de forte tradition catholique, mais très sécularisés et traversés aujourd'hui par des courants religieux et convic- tionnels multiples) étant analogues. Cette enquête succède à une autre, réalisée auprès des enseignants de religion en 2013. L'analyse des données recueillies s'est faite avec l'aide de profes¬ sionnels des exploitations d'enquêtes. On trouvera de nombreux tableaux et « camemberts », mais aussi des « nuages de mots » qui reprennent les mots et les thèmes les plus fréquemment utilisés dans les réponses d'élèves, la taille d'un mot indiquant l'indice de sa fréquence. Ées résultats de l'enquête sont restitués en quatre grandes thématiques : ce qui concerne le sens de la vie (partie 1), « les représentations religieuses », c'est-à-dire essentiellement chrétiennes (partie 2), la manière dont les jeunes perçoivent et vivent leur cours de religion (partie 3), « Comprendre et aborder la diversité » (partie 4). Les thèmes plus spécifiquement chrétiens réservent parfois quelques surprises. L'image d'un Dieu tout-puissant et justicier est largement rejetée, mais celle d'un Dieu d'amour et de pardon ne recueille qu'un peu plus de la moitié des réponses. Un Dieu créateur est rejeté à presque 60 %. Si une majorité a déclaré être croyante, 62 % déclarent que Dieu ne

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peut intervenir dans leur vie. Plus de 68 % des élèves déclarent n'entendre ou ne lire un texte de la Bible qu'une fois par an ou même moins, alors que, dans le programme des cours de religion catholique, « lire et analyser un texte biblique » est l'une des principales compétences visées. Presque 70% des réponses nient que « Jésus est Dieu », seulement 66% des sondés pensent que Jésus a existé. Les réponses contestant le fait que Jésus soit ressuscité et monté au ciel (35,6%) l'emportent sur celles qui l'affirment (22,9%). Concernant les représentations liées à Noël, le sapin (1 124 réponses) devance la crèche ou un personnage la constituant (1 006 réponses). On voit par là que la déchristianisation et la sécula¬ risation frappent également de plein fouet les institutions scolaires catholiques. Impossible de rendre compte de toutes les problématiques soulevées et de toutes les réponses analysées. Ce travail fait bien ressortir des questions classiques (peut-il y avoir un enseignement « neutre » des religions ? doit-on mettre toutes les religions sur le même plan ou conti¬ nuer à accorder un statut spécifique au christianisme ?) et des aspects plus étonnants (les attentes entre filles et garçons ne sont pas identiques en ce qui concerne les cours de religion, ni celles entre enseignants et élèves). Sont confirmées des tendances que l'on voit ailleurs dans la société : la montée de l'indifférence religieuse - agnosticisme et athéisme ne sont à notre sens pas assez distingués -, l'intérêt pour les religions orientales (bouddhisme surtout). On regrettera que l'ouvrage ne distingue pas assez entre confession et religion, les autres confessions chrétiennes (protestantisme, anglicanisme, orthodoxie) étant souvent considérées comme des « religions » et le christianisme implicitement identifié au seul catholicisme. J. Cottin

Jacques Matthey, Vivre et partager l'Evangile. Mission et témoignage, un défi. Bière (CH), Éditions Cabédita, 2017, 92 pages, ISBN 978-2- 88295-797-9, CHF 22. Fort de son expérience au département missionnaire de Suisse romande et au Conseil œcuménique des Églises, l'A. nous invite à relire quelques textes et situations bibliques qui fondent la mission chrétienne. 11 s'attache d'abord à trois personnages bibliques (Jean, Philémon et Nicodème) et, après avoir montré leurs forces et leurs limites, en fait trois modèles missionnaires (respectivement « le militant radical », « le chef de PME » et « le disciple caché »). Il aborde ensuite, toujours d'un point de vue strictement biblique, les thématiques classiques de la mission : la koinonia et le rôle du Saint-Esprit, le local et l'universel (la mission au près et au loin), le ministère de guèrison et de réconciliation, la parole proclamée et partagée, et termine par une relecture de Mt 28,16-20. Il souligne bien les deux dynamiques opposées (mais vécues ensuite comme complémentaires) des Églises de Jérusalem et d'Antioche (Ac 13-14).

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REVUE DES LIVRES

Cet aperçu biblique est simple ; on en déplore cependant le style par trop oral et l'on aurait parfois souhaité quelques approfondissements. L'ouvrage est cependant important, qui rappelle aux Eglises et aux chré¬ tiens que la mission fait partie de l'être de l'Église et qu'elle n'est pas réservée aux seuls courants enthousiastes, charismatiques et pentecôtistes du christianisme. J. Cottin

Angela Kaupp (éd.), Raumkonzepte in der Théologie. Interdisziplinâre und interkulturelle Zugànge, Stuttgart, Matthias Grûnewald Verlag, 2016, 242 pages, ISBN 978-3-7867-3089-7, 28 €. Cet ouvrage collectif est original à plusieurs titres. 11 n'est écrit que par des femmes (17 au total), rassemblant en effet les actes d'une ren¬ contre organisée en 2015 par «AGENDA, Forum des théologiennes catholiques ». Il s'agit d'un travail interdisciplinaire qui va au-delà d'une seule approche théologique. Enfin, une importante contribution de théolo¬ giennes argentines ouvre cette réflexion à Γ interculturel : on ne perçoit pas forcément les questions d'espace de la même façon dans l'hémisphère sud. Alors que la théologie protestante parle volontiers d'un « tournant esthétique » {âsthetische Wende / esthetic turn), intervenu durant les deux dernières décennies, la théologie catholique semble lui préférer la notion de spatial turn. Mais l'idée est assez semblable : revaloriser la catégorie de l'espace face à celle du temps, s'intéresser à la forme et pas sim¬ plement au fond, compléter l'éthique par l'esthétique, la proclamation par la scénographie (Inszenierung). Si, pour certains, s'intéresser à l'espace n'est qu'une question secondaire, il s'agit, pour les A. de cet ouvrage, d'un changement de paradigme. Ce spatial turn caractérise du reste sur¬ tout l'architecture (Christina Hilger), les sciences sociales et culturelles, la théologie (Susanne Rau). S. Rau note l'apport original des protestants français à cette notion : le tableau du Temple de Paradis de Lyon (1564-1567) joue à ce propos un rôle paradigmatique (p. 36-38). 11 est intéressant que les A. aient pris comme mot-clé « espace » (Raum), et pas simplement « lieu » ou « bâtiment » : la notion inclut en effet aussi les espaces intérieurs et les espaces naturels, pas simplement ceux délimités par des constructions humaines. Si l'architecture est l'un des marqueurs de l'espace, elle n'est pas la seule : il y a, du point de vue biblique, mais aussi anthropologique, des espaces invisibles et des espaces non maîtrisés par l'humain. Deux articles ont plus particulièrement retenu notre attention, à com¬ mencer par celui de Hildegard Kônig (p. 113-125), qui s'intéresse à deux réalisations d'art contemporain dans des églises : le vitrail de Gerhard Richter sur la façade de la cathédrale de Cologne et un retable mural (Altarwandbild) dans l'église St. Hedwig à Stuttgart-Môringen, exécuté par Ben Willikens dont les réalisations artistiques sont très marquées par sa formation d'architecte. Angela Kaupp (p. 126-144) s'intéresse à cette

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