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Classiques Garnier

Nouveau Testament

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qui était initialement celle d'Azazel ; il finit par accéder dans le Saint des Saints céleste (18) ; il est présenté en filigrane eomme l'offrande visant à purifier le sanctuaire pollué. L'enquête, convaincante, bien menée et informée des publications en français sur le sujet, mérite la plus grande attention. Ch. Grappe

III. NOUVEAU TESTAMENT

Lizia Sutter Rehmann, Wut im Bauch. Hunger im Neuen Testament^ Gutersloh, Gtitersloher Verlagshaus, 2014, 464 pages, ISBN 978-3-579-08182-3, 39,99 €. L'A., théologienne réformée marquée par la pensée féministe, est Pro¬ fesseur de Nouveau Testament à l'Université de Bâle. Cette étude sur la faim dans le NT est le fruit d'un séminaire de reeherehe, mené dans cette Uni¬ versité, sur « Les repas communautaires, lieu de l'identité et de la pratique religieuses dans le judaïsme du Second Temple et dans le christianisme primitif ». L'A. part du constat que les textes bibliques ne parlent pas souvent de la faim ; il faut souvent savoir lire entre les lignes pour débusquer ce thème. La raison en est que la faim était une réalité courante à eette époque ; elle affaiblit, réduisant au silence ceux qui en sont les victimes, et avilit l'être humain. Il convenait donc de n'en pas trop parler. Pourtant, grâce à « une herméneutique de la faim », l'A. arrive à traquer les textes bibliques qui, parfois en creux ou de manière allusive, parlent de la faim. Elle élabore ainsi des « marqueurs textuels » qui signalent la présence du motif de la faim. L'A. tient que ce motif est sous-jacent lorsqu'un texte 1. évoque des repas (le plus souvent sans détailler le eontenu de l'assiette), 2. évite de parler de la faim là où ee thème est attendu, 3. eite des passages de ΓΑΤ qui font état de l'expérience de la faim, 4. mentionne ou laisse deviner une ambiance émo¬ tionnelle typique de la faim : tension, agressivité, colère, panique. Jésus, comme on sait, fut eonfronté à la faim, la sienne, celle du peuple et eelle des disciples. L'étude se eoneentre sur un eertain nombre de textes bibliques révéla¬ teurs de cette question : Me 2,23-28 ; Me 3,14-20 ; Me 6,34-40 ; Le 4,16-30 ; Le 7,22 ; Le 24,39 ; Ac 10-12 ; 1 Go ; Dn grec. L'A. les aborde de manière surprenante, proposant souvent de nouvelles interprétations qui reposent sur des traduetions bibliques retravaillées, voire eorrigées (cf. p. 87-91 : « Ûber- setzungsprobleme »). Ainsi, en Le 7,22, la forme moyenne du verbe « annon¬ cer » ne doit pas être transposée au passif : les pauvres sont bel et bien le sujet de l'annonee de l'Évangile. La faim dont souffrent Jésus et ses disciples (Mt 12,1 sq ; Me \\,\2 sq.) est à prendre au sens propre et non figuré, et n'est pas au service d'une polémique antijuive. L'étude d'Ac 10-12 montre qu'une famine était présente dans l'Est de l'Empire romain et que les communautés juives et ehrétiennes y ont répondu par la pratique de la solidarité. En Me 6,34-40, le mot utilisé pour le regroupement de la foule sur

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l'herbe verte est le même que celui qui désigne une plantation de légumes dans un potager (cf. p. 398-403 : « Lauchbeete auf grûnem Gras »). Durant le dernier repas (Me 14,17-26), le terme « eeci » (dans « ceei est mon corps ») est un pronom neutre, lequel ne peut donc par conséquent se référer au pain - artos est masculin en grec -, mais à l'ensemble de l'action de ce repas communautaire (p. 412-415). « Qu'avons-nous à opposer à la faim ? » L'agir eonsistant non seulement à partager la nourriture, à devenir vivants en Christ, mais aussi, symbolique¬ ment, à devenir soi-même nourriture. Les solutions ne sont à chercher ni dans des miracles ni dans la bienfaisance romaine, mais dans la re-création du peuple de Dieu nourri par la Parole et l'Esprit, et eapable d'agir de manière solidaire. J. Cottin

Jorg Frey, Enno Edzard Popkes (éd.) (en eollaboration avec Sophie Tâtweiler), Jésus, Pauhis und die Texte von Qumran, Tubingen, Mohr Siebeek, 2015, x + 519 pages (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe 390), ISBN 978-3-16-153212-2, 99 €. Fruit d'un congrès qumrânien qui s'est tenu en novembre 2009 à l'Aea- démie catholique de Sehwerte, l'ouvrage, dédié à la mémoire du regretté Friedrieh Avemarie et dûment introduit par Jorg Frey qui brosse une magistrale histoire de la recherche avant de mettre brièvement l'ensemble en perspective, rassemble quinze contributions réparties en quatre sections. Il est d'abord question de Jésus. F. Doering situe sa relation au sabbat à la lumière des textes de Qumrân pour la eomprendre finalement à partir de Jubilés 50,9, où il est question du sabbat en tant que «jour du saint Royaume » ou « saint jour du Royaume », mais dans une perspective escha- tologique, au sens où Jésus rétablirait le jour du repos dans la plénitude originelle. A. Hogeterp se penche sur l'esehatologie du Nazaréen en insistant sur l'importance de 4Q215a et de 4Q521 pour éclairer respectivement le lien entre dimensions présente et future du Royaume et le motif de la eonsidé- ration divine pour les pieux, les justes et les pauvres. U. Schattner-Rieser se penche, dans une contribution aussi fouillée que savante, sur le Notre Père et propose une nouvelle reeonstruction de son substrat araméen en prenant en compte les textes de prières araméens retrouvés à Qumrân. H. Lichtenberger étudie le logion de Mt 18,10 à la lumière de l'angélologie qumrânienne et conclut que l'on n'y trouve pas de parallèle à l'idée selon laquelle les anges des plus petits ont aceès à la présenee de Dieu. Vient le tour de Paul. Ch. Metzenthin s'intéresse à sa maîtrise de l'Ecriture et à son rapport à elle, et note des correspondances avec les textes de Qumrân dans trois champs : la manière de citer plus ou moins littéralement l'Ecriture ; la référence préférentielle aux même écrits (Tora, prophètes. Psaumes) ; une même propension à l'emprunt et à l'allégorisation d'éléments isolés. F. Avemarie se demande s'il existait une gezera schawa prérabbinique. Il constate que les liens établis entre divers textes scripturaires revêtent la même fonction chez Paul et à Qumrân mais qu'il reste eneore bien du chemin â parcourir pour parvenir à la gezera schawa rabbinique. F. F. Popkes se penche, de manière

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plus spécifique encore, sur la réception des Psaumes dans le champ esséno- qumrânien et chez Paul, et montre que leur interprétation se fait respecti¬ vement en fonetion du présent de la eommunauté et de la destinée du Christ. G. Brooke compare l'usage de métaphores corporelles en Rm 3 et dans les Hymnes, et F. Zanella l'usage du lexique de la justice chez le Tarsiote et à Qumrân tout en invitant à user des ressemblanees avec grande prudence. J. Newman traite enfin du renouvellement de l'Allianee et du rôle transfer- r mateur alloué aux Ecritures en 2 Go et dans les Hymnes. Suivent quatre études proprement qumrâniennes. M. Becker s'interroge sur la signification qui revient aux repas dans la Communauté et fait valoir qu'elle est d'abord soeiale et eommunautaire, même si on ne peut évaeuer les dimensions eultuelle et esehatologique ou messianique. J.-S. Rey traite de l'apport de 4QInstruction à la compréhension des écrits chrétiens primitifs, notamment pour ce qui est de l'arrière-plan sémitique de l'emploi de certains termes ou expressions. R. Asehenbaeh eomprend 11 QMelki-Zedek à la lumière d'És 61, la Communauté ayant voeation à se reeonnaître en ceux qui sont appelés prêtres du Seigneur au verset 6. J. H. Charlesworth présente un manuscrit de la mer Morte inédit correspondant à Dt 27,4 et faisant mention non pas du mont Ebal mais, comme le Pentateuque samaritain, du mont Garizim. Il s'interroge, à partir de ce fragment, sur la Vorlage de ce verset et propose qu'elle ait, de fait, mentionné le Garizim. Vient enfin une dernière contribution, due à H. W. Kuhn, qui propose des réflexions sur Jésus à lumière de la communauté de Qumrân et sur le projet, qui lui est cher, intitulé « Qumrân und Paulus ». L'ouvrage, très soigneusement édité, est eomplété par deux index des textes anciens et des auteurs modernes cités, et par un index thématique extrêmement complet. Ch. Grappe Loren T. Stuckenbruck, Gabrielle Boccaccini (éd.), Enoch and the Synoptic Gospels. Reminiscences, Allusions, Intertextuality, Atlanta, SBL Press, 2016, XII+ 447 pages (Early Judaism and Its Literature 44), ISBN 978- 0-884I4-II7-4, $ 62,95. Issues du septième Enoch Seminar qui s'est tenu à Camaldoli en juillet 2013, ce volume rassemble, outre une introduction qui traite de l'intérêt du sujet et de questions d'ordre méthodologique et qui met le volume en perspective, quatorze contributions. A. Gagné traite des descriptions narratives d'états altérés de conseienee en 1 Hénoch et dans la tradition synoptique et les rapporte, comme toute autre expérience extracorporelle, à des productions du cerveau qu'expliquent les seiences cognitives. D. Gurtner s'intéresse pour sa part aux expériences visionnaires que l'on rencontre dans le Livre des Veilleurs et dans la tradition synoptique tout en se situant dans la même veine. Suivent deux contributions qui ont trait aux évangiles de l'enfance. A. Richter aborde les naissances insolites et met en parallèle l'évangile de l'enfanee matthéen et la naissanee de Noé en 1 Hénoch, tandis qu'A. K. Petersen s'interroge, à partir des caté¬ gories weberiennes d'autorité traditionnelle et charismatique, sur la portée de

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la présence ou de l'absence d'un récit de l'enfance chez Matthieu et Luc, d'une part, et ehez Paul, Mare et en 1 Henoch, d'autre part. K. Coblentz Bauteh se demande pourquoi les anges sont peu présents ehez Matthieu et dans les évangiles canoniques en général et impute ce phénomène à la volonté de garantir la prééminence de Jésus dans le récit. Quatre contributions s'attachent ensuite à montrer l'apport possible du Livre des Paraboles à la compréhension de traditions évangéliques. L. Baynes le fait en rapport avec la parabole lucanienne du riche et de Lazare, et relève une parenté toute particulière avec 1 Hénoch 62-63 où il est question de puissants suppliant en vain de se voir épargner le Jugement qui revêt notamment l'aspect de la flamme du tourment du Shéol. G. Boceaceini rapproehe le message de repen¬ tance que lance Jésus d'7 Hénoch 50,1-5 où, à l'horizon de la fin, le Seigneur des Esprits adresse, à ceux qui ne prennent rang ni parmi les justes ni parmi les péeheurs, un ultime appel à se convertir en vue de leur faire grâee et, ainsi, de les sauver. L. Grabbe revient sur l'expression « Fils de l'Homme » et fait valoir que les parallèles fournis par le Livre des Paraboles invitent à considérer qu'elle fonctionne comme un titre messianique pour Jésus dans les évangiles et dans les Actes. D. Assefa étudie le jour du jugement ehez Matthieu en lien avec les Paraboles et relève bien des ressemblanees tout en notant que l'élément de surprise attesté en Mt 25,31-46 n'est pas présent en 1 Hénoch. A. Wright compare ensuite la démonologie d'7 Hénoch et celle des évangiles, et suggère l'existence d'une tradition, relative aux esprits mauvais qui prennent possession du corps humain, qui se développe du Livre des Veilleurs, en passant par livre des Jubilés et une partie des manuscrits de la mer Morte, jusqu'au NT. H. Drawnel éclaire la structure d'7 Hénoch 6-11 à la lumière de l'incantation mésopotamienne à Marduk-Ea et dresse ensuite une série de parallèles possibles avec les réeits d'exoreismes dans les synoptiques. J. Angel et B. Wold proposent, respectivement, que, d'une part, les portraits brossés de figures sacerdotales en 7 Hénoch et dans la documentation qum- rânienne et, d'autre part, la présentation du maskil en 4QInstruction puissent éelairer notamment Mt 11,25-30. Enfin, A. Orlov s'attaehe à montrer que, dans le récit matthéen de la Tentation de Jésus, le motif de la vénération de la divinité est déconstruit par rapport à la façon dont il est décliné en 2 Hénoch 21-22 et par la Vie latine d'Adam et Eve Une bibliographie eumulée et deux index des textes aneiens et des auteurs modernes cités complètent cet ouvrage aussi bien édité que stimulant et éelairant. Ch. Grappe

François Vouga, Henri Hoffer, André Jantet, Dieu sans religion. Les origines laïques du christianisme, Genève, Labor et Fides, 2016, 254 pages (Essais bibliques 51), ISBN 978-2-8309-1600-3, 24 €. L'ouvrage, issu d'un long dialogue conduit au sein de l'atelier théo¬ logique de Mont-Roland à Dole, revêt la forme d'un plaidoyer traversé par l'affirmation selon laquelle « l'Évangile se présente eomme la bonne nouvelle de l'annonce d'un Dieu dont la transcendanee libère de la religion », le christianisme se définissant « comme une foi qui trouve ses origines, laïques.

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en dehors de toute médiation du sacré, des temples, des sacrifices et du sacerdoce » (p. 9). Les A. développent en fait une eonviction eommune, qu'ils exposent comme suit : « Nous pensons que les Églises ne se sauveront pas en améliorant leur image ou leur organisation, mais qu'elles sont appelées à se libérer du carcan religieux dans lequel elles se sont enfermées pour répondre à leur vocation, dans le monde, d'un serviee eréateur d'identité, de sens et de solidarité pour les hommes et les femmes qui l'habitent. Car nous eroyons précisément que l'Évangile apporte une réponse non religieuse aux questions que l'humanité cherche à résoudre avec ses religions » (p. 8). Le parcours proposé est jalonné par une question qui fait en quelque sorte office de fil rouge : qu'est-ce que l'Église ? Il commence avec le Jésus des paraboles conçues ici comme fables dont la puissance créatrice réside dans le recours à l'humour et au grotesque et qui invitent à l'édification d'une Église de liberté, d'humour et de reconnaissance. Il continue en eompagnie du Jésus mangeur et buveur qui proelame la présenee réelle du Royaume autour d'une table, attitude qui pousse à « l'invention d'une société ecclésiale formée par des relations intersubjectives de reconnaissance, de gratuité et de réciprocité » (p. 74). Le chapitre se prolonge par une réflexion relative aux eonflits de Jésus à propos de la Loi, de la terre et du Temple, réflexion qui aboutit à l'affirmation selon laquelle la promesse de la reconnaissance apparaît désormais comme l'accomplissement de la Loi, alors que la Terre promise se trouve universalisée et qu'est érigé un non-temple sans sacerdoce et sans frontières. Puis, e'est la mort et la résurreetion de Jésus, « mise en évidenee de l'imposture des médiations religieuses par l'expérience de la présence immédiate de Dieu » (p. 10), qui sont abordées, avant que le baptême, la cène et le lavement des pieds ne le soient à leur tour en tant qu'aetes symboliques de la présence de l'événement, dont la ritua- lisation est eonçue comme langage thérapeutique et résistanee à la religion et au cléricalisme. Est proposée enfin, avant le chapitre conclusif et à partir de Rm 12-13, une réflexion sur le Ressuscité présent comme corps au sein de l'Église servante des hommes. Ce parcours original, décapant et militant se situe à l'entrecroisement des diseiplines tout en se mettant à la portée d'un large public. 11 revêt une grande force et fait retentir à sa manière la radicale nouveauté de l'Évangile. Ch. Grappe

Risto Uro, Ritual and Christian Beginnings. A Socio-Cognitive Analysis^ Oxford, Oxford University Press, 2016, VII+ 230 pages, ISBN 978-0-19- 966117-6, £ 55. S'inscrivant dans le cadre d'un projet de recherche collectif soutenu par l'Académie de Finlande, conduit à l'Université d'Helsinki et intitulé « rituel et émergenee de la religion chrétienne primitive : une analyse soeio-cognitive », l'ouvrage proeède en six étapes. Dans la première, l'A. brosse un état de la recherche antérieure et s'emploie à montrer en quoi le recours aux théories cognitives du rituel peut s'avérer

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fécond. Il introduit ensuite son lecteur à la science cognitive de la religion, aux courants qui la traversent, au dialogue qu'elle permet entre scienees naturelles et humaines et à l'apport qui peut être le sien pour rendre compte, tant au niveau cognitif que social, de la religiosité humaine. 11 se focalise ensuite sur la figure du Baptiste et l'envisage sous l'angle de l'innovation rituelle, son baptême étant expliqué comme un geste unique, individuel et personnel, à earaetère hautement émotionnel, imprégnant à long terme la mémoire des participants et faisant office, dès lors, de signal d'engagement, tout cela sans que soit envisagée son éventuelle portée subversive par rapport aux rites du Temple. L'activité thérapeutique et exorciste de Jésus est ensuite envisagée en pendant de l'innovation rituelle de Jean, l'acte de guérison étant compris comme un type spécifique d'action rituelle centrée sur la perfor¬ mance, mais sans que soit pris en compte le lien établi par Jésus lui-même entre exoreisme et irruption du Royaume (Mt 12,28 // Le 11,20). La manière dont le rituel peut s'avérer un facteur facilitateur de la vie soeiale et incitant à une forme de coopération est encore étudiée, dans la ligne de la théorie fonctionnaliste durkheimienne, à l'aune de la vie rituelle des communautés pauliniennes : l'A. fait valoir que l'engagement respeetif des membres de la communauté n'est nullement exelusif de tensions éventuelles. 11 s'intéresse enfin à la façon dont le rituel peut générer et eommuniquer un savoir religieux, qu'il soit incorporé, partagé ou qu'il ait vocation à être étendu. 11 fait valoir que les pratiques baptismales ont pu susciter implicitement, aux origines ehrétiennes, un nouveau savoir quant aux relations de pouvoir et que, avec le développement qu'elles ont connu par la suite (eatéchuménat, confessions de foi, récits, représentations picturales, création de structures et d'une architecture spécifiques), elles ont pu exercer un pouvoir cognitif dans un spectre de plus en plus large. L'ouvrage est clair et constitue une fort bonne introduction à l'analyse socio-cognitive et à son application aux origines chrétiennes. Reste à savoir, comme l'ont suggéré les remarques que nous avons faites au passage, s'il n'aurait pas pu aller plus loin encore sans trahir la démarche adoptée, laquelle serait d'ailleurs apparue encore plus clairement si le choix éditorial quelque peu surprenant de ne retenir que les têtes de chapitre dans la table des matières n'avait pas été fait, ee qui empêehe le lecteur de se faire une idée rapide et précise du cheminement proposé par l'A. Ch. Grappe Andriana Destro, Mauro Pesce, Le récit et l'écriture. Introduction à la lecture des évangiles. Traduit de l'italien par Viviane Dutaut, Genève, Labor et Fides, 2016, 197 pages (Christianismes antiques), ISBN 978-2-8309- 1610-2, 24 €. Voilà un ouvrage quelque peu déconcertant, dont le sous-titre pourra légitimement intriguer le lecteur dès lors qu'il est accueilli non pas dans une collection comme les « Essais bibliques », mais dans « Christianismes antiques » et qu'il traite certes d'une leeture des évangiles, mais pas de eelle qui s'impose le plus naturellement aujourd'hui. À rebours, en effet, des efforts effectués désormais pour lire ees évan¬ giles en faisant droit à l'analyse narrative, il s'agit en fait d'une manière de

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revisiter les classiques histoires de la tradition et de la rédaction, et de s'interroger sur la façon dont « les narrations sur Jésus et sur les premiers groupes de ses disciples passent à travers des phases temporelles, à travers des lieux et des groupes différenciés, en un processus articulé de divulgation à visages multiples » (p. 8). Au passage, il est proposé de raisonner non pas en termes de tradition mais de transmission et de mémoire, et de partir en quête de « traces d'un passé effacé ou transformé » (p. 95), cela afin qu'il soit « possible de reconstruire les faits que présuppose le texte » (p. 96). Finalement, pour les deux Α., « sur la double base a) des localisations que les récits des apparitions de Jésus font apparaître, et b) des différents emplacements présents dans les quatre évangiles, on peut tracer un tableau hypothétique de la présence de groupes d'adeptes de Jésus sur la Terre d'Israël et dans les territoires limitrophes, au cours des années qui ont suivi immédiatement la mort de Jésus» (p. 167). Différents groupes sont ainsi identifiés à l'arrière-plan de chaque évangile, qui « ne constituaient eertaine- ment pas une unité compaete » et qui étaient « earaetérisés par différentes tendances fondamentales, et par des expériences diverses par rapport au message de Jésus » (p. 168). Les deux A. ajoutent que « leur présence et leur distribution sur le territoire offrent une vision utile et réaliste des premiers pas du mouvement de Jésus postpascal » (ibid.). C'est sur de telles considérations qu'est laissé le lecteur dont on peut légitimement se demander en quoi il sera, pour autant, mieux introduit à la lecture des évangiles. Ch. Grappe John M. Vonder Bruegge, Mapping Galilee in Josephus, Luke, and John. Critical Geography and the Construction of Ancient Space, Leiden - Boston, Brill, 2016, χ+ 235 pages (Aneient Judaism and Early Chris¬ tianity 93), ISBN 978-90-04-31732-1, 104 €. L'ouvrage résulte de l'adaptation d'une thèse préparée et soutenue à l'Université de Yale en 2011. Son A. est eonvaincu qu'une lecture géographique des textes met moins enjeu la réalité spatiale ou régionale que la perception de cette réalité dans l'esprit de l'auteur. Il étudie done la Galilée ehez les trois auteurs qu'il retient selon deux grandes trajectoires : l'une, dédiée à la théorisation de l'espace, au développement d'une approche critique de la spatialité, à une leeture géographique créatriee des textes, qui est celle qu'il privilégie et qui prend en compte l'idéologie et le projet d'un auteur ; l'autre, dévolue à la représentation de la Galilée du f siècle, à une compréhension en profondeur de son peuple et de sa culture, et, partant, à une lecture critique responsable des textes, qui est le corollaire de la première et constitue en quelque sorte le socle sur lequel elle s'appuie. Pour ce qui est de Josèphe, il travaille à partir d'une distinction, qu'il emprunte à Edward Soja, entre « espace premier » (le territoire en lui-même tel qu'il est mesurable et représentable sur une carte), « espace second » (le territoire tel qu'il est représenté non seulement tel qu'il est mais aussi tel qu'il est imaginé dans le discours social, en fonction d'une approche plus

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conceptuelle et symbolique que matérialiste) et « espace troisième » (le territoire conjointement réel et imaginé, en fonetion d'une position et d'une expérience qui se trouvent à eheval entre les deux premières). Il montre que Josèphe oscille entre ces trois types de représentation de l'objet Galilée et fait valoir qu'il faudrait prendre en compte ce fait pour toute utilisation de son œuvre dans une perspective historique. Pour ce qui est de Luc, l'A. s'emploie à montrer comment il imagine la Galilée dans son contexte géographique et comment la Galilée de Luc fonc¬ tionne au sein du macro-réeit. Il relève que Lue réduit l'aeeent plaeé sur la Galilée par rapport à Marc et qu'il lui aeeorde en fait une importanee mineure, au profit de Jérusalem, mais sans être dépréciatif pour autant, ce qui paraît attester qu'il ne minore pas l'importance de Galilée en raison de sa théologie mais de sa géographie, sans doute quelque peu déficiente. Par ailleurs, il note que, pour Lue, Jésus est en Galilée bien plus longtemps que les commen¬ taires le reconnaissent en général (au moins jusqu'en 17,39), dès lors qu'une localisation galiléenne apparaît alors même que l'on se trouve « officielle¬ ment » dans la seetion du voyage en Samarie. Il relève enfin que Luc peut intervertir Galilée et Judée sans que cela ne crée de contradiction à ses yeux. Pour ce qui est enfin de Jean, il relève que domine la notion de monde, monde dans lequel Jésus vient et qui est sa destination contrairement à ee qui se passe dans les synoptiques, où il s'agit de Jérusalem, et qu'il en résulte en même temps une fusion de la Galilée et de la Judée et une approche univer¬ salisante de tout territoire (Jn 4,20-21 ; 10,16 ; 11,49-51...), Jean ne créant une histoire avec des frontières que pour mieux les transcender par la suite. Une approche souvent technique, mais brillante, et qui nous paraît beau¬ coup plus féconde que celle proposée dans l'ouvrage qui précède dans ce lot de reeensions. Ch. Grappe James Keith Elliott, A Synopsis of the Apocryphal Nativity and Infancy Narratives. Second Edition, Revised and Expanded, Leiden - Boston, Brill, 2016, vii +234 pages (New Testament Tools, Studies and Docu¬ ments 51), ISBN 978-90-04-31119-0, 104 €. L'ouvrage prend la suite de la première édition, parue en 2006 dans la même eolleetion sous le numéro 34. Il propose, en dix sections successives (la naissance et l'éducation de Marie ; l'annonciation ; la visite de Marie à Elisabeth ; la grossesse de Marie et son explication ; la naissance de Jésus ; l'adoration de Jésus après sa naissanee ; la présentation au Temple ; les mages ; le massacre des innoeents et la fuite en Egypte ; Jésus enfant) une « synopse » des récits de l'enfance de Jésus, canoniques et apocryphes. Dix-huit écrits non canoniques sont désormais pris en compte contre onze auparavant (les nouveaux entrants sont suivis iei d'un astérisque) : le Protévangile de Jacques ; V Evangile de Γ enfance selon Thomas (selon le texte grec de type S et non plus B) ; VÉvangile du pseudo-Matthieu ; le manuscrit Arundel 404 (désormais Compilation « J ») ; le De Nativitate Mariae ; VHistoire de Joseph le charpentier ; le Papyrus Cairensis 10735 ; deux textes eoptes sahidiques fragmentaires* ; le Discours de Demetrius'^ ; Du sacerdoce de Jésus'^ ; VÉvangile arabe de l'enfance ; VÉvangile arménien de l'enfance* ; le Récit

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versifié irlandais de l'Evangile de l'enfance de Thomas ; le Leabhar Breac ; le Liber Flavus Fergiisianum"^ ; la Révélation des Mages'^ ; la Légende d'Aphroditianus"^ ; une version éthiopienne de VEvangile de l'enfance selon Thomas. Ils font tous l'objet d'une brève présentation dans la nouvelle introduction. En raison du nombre d'éerits pris en compte - et sans doute aussi de la disparité assez importante entre les textes, argument qui n'est toutefois pas évoqué -, la « synopse » qui est proposée ensuite n'en est pas vraiment une. Toutefois, un résumé de la section narrative concernée est systématiquement fourni, avec les scènes successives et, immédiatement après l'indication de chaque seène, la mention des écrits pris en eompte dans laquelle elle est attestée. Suit une liste des écrits pris en considération et des scènes que cha¬ cun comporte, chaque scène ayant été désignée par une majuscule latine pour éviter des énumérations fastidieuses. Par la suite, et scène par scène, chaque écrit est cité dès lors qu'il est eoncerné. Le leeteur aura eompris qu'il pourra disposer ainsi d'un instrument des plus commodes en vue de la eomparaison entre les textes et d'une étude aussi large et approfondie que possible des récits canoniques ou non de l'enfance de Jésus. Ch. Grappe \ Daniel Marguerat, Jésus et Matthieu. A la recherche du Jésus de l'histoire, Genève - Montrouge, Labor et Fides - Bayard, 2016, 312 pages (Le monde de la Bible 70), ISBN 978-2-8309-1589-1, 21,90 €. L'ouvrage, dont le titre doit être lu de telle manière que Jésus et Matthieu ne sont pas mis en relation systématique mais eonstituent en fait les deux pôles autour desquels il s'organise, regroupe quatorze contributions, dont dix ont été publiées une première fois entre 2007 et 2013 et quatre sont inédites. 11 est d'abord question de Jésus. « Jésus, maître de sagesse » le présente parmi les sages puis dans sa sin¬ gularité, avec son refus de la violenee mimétique et une rhétorique de l'excès qui appelle à donner parce que l'on a tant reçu ; un sage aussi, qui va être reconnu par les premiers chrétien (Q) comme la sagesse personnifiée et, par Paul, comme eelui qui, dans l'abaissement de la croix, révèle, en opposition à la sagesse du monde, l'ultime et paradoxale sagesse de Dieu. 11 est ensuite question de la judaïté de Jésus et, à l'heure où la troisième quête veut immerger à tout prix Jésus dans son milieu, l'A. insiste sur le fait qu'il faut conjuguer en fait judaïté et singularité du Galiléen. Vient le tour de « Jésus le prophète », tel qu'il apparaît dans la souree Q (en tant que dernier prophète, à la fois rejeté et Fils de l'Homme), en Luc-Actes (en tant que prophète rejeté) et chez Matthieu (en tant que Fils de l'Homme et juge du monde), avant que Ton assiste, très vite, à l'effaeement du titre. « Jésus, Dieu et la violenee » permet d'évoquer suceessivement les eolères de Jésus, dénonciatriees de la violence mortifère, une violence subie dont l'Apocalypse montre qu'elle se déploie aux dimensions du monde mais que la mort de Jésus a signé sa défaite, la croix signant elle-même la fin du Dieu violent, et le Sermon sur la montagne celle de la spirale de la violence. L'A. fait encore valoir que, loin

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d'opposer Jésus historique et Christ de la foi, le travail de l'historien, à la fois exégète et théologien, a vocation non pas à saper la foi mais à en tracer les contours. Enfin, il met en tension les images respectives du Dieu de Jésus (un Dieu si intensément proche qu'il rend présent un règne à la fois productif et paradoxal), de Paul (un Dieu dont la sagesse ultime se révèle dans la folie de la croix) et de Jean (un Dieu qui s'incarne et dont la croix signe le triomphe qui se confond avec la glorification du Fils), images qui conjuguent dimension eschatologique et caractère paradoxal de la venue de Jésus. La deuxième partie traite de Matthieu. « Jésus, le maître d'Israël », per¬ met une présentation générale de cet évangile à la fois imprégné du judaïsme et très dur à son égard, enraciné à Antioehe et proclamant Jésus à la fois comme Messie d'Israël, maître de la Torah et Seigneur de l'Eglise. « Matthieu et le judaïsme. Un conflit entre frères ennemis » montre que Mt représente un judéo-christianisme qui revendique sa légitimité dans l'héritage d'Israël et est en lutte pour l'affirmer en usant des mêmes catégories et moyens que les autres partis juifs à même époque. Un parcours matthéen est proposé ensuite autour du motif de l'esprit de famille, décliné en tension entre famille généa¬ logique (descendance d'Abraham) et suivanee du Christ (avec la rupture des liens du sang qu'elle suppose et la création d'une famille élective qu'elle occasionne). Puis, c'est la façon dont se conjuguent indicatif du salut et impératif éthique qui est étudiée, le second devenant le lieu de vérification du premier. Est explorée également la manière dont s'articulent mise en récit et mise en discours de Mt 18, et cela tant à l'échelle du chapitre que du macro-récit. Les lectures juives et chrétiennes de la ruine de Jérusalem effectuées respectivement par Matthieu, par les rabbins, par la littérature apocalyptique et par Flavius Josèphe sont encore étudiées, qui font apparaître un même schéma de rétribution mais traduisent soit un refus de la respon¬ sabilité pour la rejeter sur d'autres, soit une compréhension des faits en termes de divorce entre Dieu et son peuple. Le chap. 13 se livre ensuite à un éloge de la douceur à partir de Mt 5,5 et jusqu'à l'Apocalypse, conçue, en fonction de sa finale, comme une apologie de la douceur. Une prédication sur Mt 1,18-25 intitulée « Joseph, ou l'oubli du père » vient nouer la gerbe et rappeler, à sa manière, que l'exégète, le théologien et l'historien, n'a pas vocation à saper la foi mais à en tracer les contours. Une bibliographie générale et un index des textes anciens cités complètent ce magnifique ensemble frappé du sceau de l'acribie scientifique, de la clarté et de la pédagogie de l'A. Ch. Grappe Matthias Konradt, Das Evangelium nach Matthàus. Ubersetzt und erklàrt, Gôttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2015, xvi + 507 pages (Das Neue Testament Deutsch 1), ISBN 978-3-525-51341-5, 50 €. En un temps où les commentaires prennent souvent une ampleur impressionnante, l'A. réussit le tour de force de présenter en un volume un parcours de la plus grande rigueur scientifique, tout étant par ailleurs concis et clair, à travers l'Evangile selon Matthieu. 11 se contente d'une introduction d'un peu plus de vingt pages pour faire entrer le lecteur dans la logique de l'œuvre. 11 fait d'emblée valoir que Mt est

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un tout harmonieux, remarquablement construit, qui peut se concevoir comme un réseau intratextuel à maillage serré qui noue par ailleurs des relations intertextuelles non moins serrées avee TÉeriture, dans le but de renforcer les destinataires dans la conviction qu'ils sont les véritables mandataires des traditions théologiques d'Israël. Autre caractéristique, Mt est une histoire inclusive, en ce sens que les destinataires sont appelés à se reeonnaître en elle, à travers notamment la figure des diseiples ou encore eelle des petits. L'A. y distingue, outre la suscription (1,1), six parties : prologue : présenta¬ tion de Jésus comme messie davidique et Fils de Dieu (1,2-4,16) ; l'activité de Jésus en Israël et l'envoi de ses diseiples à Israël (4,17-11,1); entre opposition et confession messianique, réaetion à l'activité de Jésus en Israël et à ses suites (11,2-16,20) ; la Passion au cœur du chemin du Messie - souf¬ france et service comme signature de la suivance du Christ (16,21-20,34) ; règlement des comptes de Jésus avee ses adversaires et Jugement dernier (21,1-25,46) ; Passion et résurreetion de Jésus, et commissionnement des disciples pour la mission universelle (26,1-28,20), proposant ainsi, ajoutons- le au passage, un plan qui recoupe très largement celui que proposait J.-C. Ingelaere en 1979. L'A. mentionne, comme grandes lignes de la théo¬ logie matthéenne : la tension entre représentation de Jésus, d'une part en tant que Fils de David tourné vers Israël et, d'autre part, en tant que Fils de Dieu tourné vers toutes les nations ; l'insistance sur le fait que l'Emmanuel (Dieu avec nous) qu'est le Christ continue d'œuvrer parmi les siens et qu'il est présent dans la eommunauté ; le lien établi entre Jésus docteur, et la Torah dont il se fait Fherméneute ultime. Si l'auteur de l'œuvre reste inconnu, son enracinement dans le judaïsme est manifeste. Lui et sa communauté sont en eonflit avec les pharisiens, dans la mesure où ils chassent sur les mêmes terres, ce qui ne fait qu'exacerber la polémique. L'A. se rallie par ailleurs à la théorie des deux sources et considère donc que, outre son bien propre, Mt a utilisé Me et Q. Il situe enfin, comme cela est habituellement le cas, la rédaction de Mt en Syrie, que ce soit à Antioehe, ou, plus vraisemblablement peut-être, dans une ville du sud du pays, eomme Damas, et la place dans les années 80. Chaque périeope est commentée après qu'a été donnée sa traduetion, établie pour les besoins de la cause, en allemand ; aux articulations du plan sont ajoutés des éléments permettant au lecteur de mieux situer les passages qui se suceèdent dans la logique même du déploiement de l'œuvre. Ainsi qu'on l'a déjà mentionné, le commentaire est à la fois concis, clair et préeis, qui met en lumière les grandes lignes de la théologie matthéenne telles qu'elles ont été définies d'emblée. Complété par un fort utile index des textes anciens cités, il fera partie désormais des commentaires majeurs de Mt. Ch. Grappe Matthias Konradt, Studien zum Matthâusevangelium. Herausgegeben von Alida Euler, Tiibingen, Mohr Siebeck, 2016, vlll + 488 pages (Wissenschaftliche Untersuehungen zumNeuen Testament 358), ISBN 978-3-16-153886-5, 139 €. La publication du présent volume a été proposé à FA. par l'éditeur après la parution de son commentaire. 11 rassemble quinze études publiées initiale¬ ment entre 2003 et 2015, réparties en trois sections.

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La première situe Matthieu dans son contexte. Est d'abord proposé un inventaire relatif à la question des relations de la communauté matthéenne au judaïsme, qui insiste notamment sur la nécessité de concilier orientation vers Israël et universalisme, et d'articuler inscription de Mt, d'une part, au sein du pluralisme inhérent au judaïsme de son temps et, d'autre part, au sein du christianisme naissant. Suit une présentation de Mt comme contre-proposition à l'Évangile selon Marc, qu'il aurait considéré comme inacceptable et qu'il aurait corrigé notamment en insistant sur la thématique de la Torah et la christologie du Fils de David, cela pour promouvoir un christianisme certes ouvert aux païens, mais à des païens soumis à la Torah dans la relecture qu'en propose Jésus. L'A. fait valoir ensuite que, contrairement à une thèse assez répandue, Mt ne peut être tenu pour le témoin d'un christianisme anti- paulinien mais plutôt pour celui d'un christianisme non paulinien, dans la mesure où rien ne montre qu'il ait une connaissance quelconque de Paul. Enfin, il compare le commandement d'amour, chez Mt, chez Jacques et dans la Didachè, et estime que ces trois écrits représentent deux branches du christianisme syrien antique, la Didachè, dans sa forme finale, se situant à une étape ultérieure au christianisme matthéen. La deuxième section de l'ouvrage traite de la christologie et de la théologie d'Israël à laquelle on a affaire chez Mt. L'A. étudie d'abord l'envoi respectif à Israël et aux nations à la lumière de la christologie narrative qui met en tension Fils de David et Fils de Dieu. Il approfondit ensuite cette dernière polarité en relevant notamment que la figure du messie davidique se trouve, chez Mt, dépourvue de tout trait guerrier ou militaire alors qu'il apporte, en revanche, la guérison. Il interroge ensuite la demande des fils de Zébédée et la fin de non-recevoir qui lui est opposée en Mt 20,20-22 et y trouve une attestation particulière du fait que, à travers les deux personnages, la communauté elle-même est appelée à un renversement pacifique des représentations traditionnelles. Quant au récit du baptême en Mt 3,13-17, à l'occasion duquel le Fils de Dieu se subordonne à la justice et à la volonté de Dieu, il a lui aussi valeur exemplaire pour les chrétiens. Enfin, pour l'A., la destruction de Jérusalem et du Temple est interprétée par Mt à la lumière notamment de Jérémie. Il y voit à la fois la manifestation du châtiment des adversaires de Jésus et la confirmation du fait que Jésus a bel et bien renouvelé l'Alliance et institué de nouveaux bergers. La troisième partie aborde enfin le lien entre foi et action. L'A. étudie d'abord la façon dont la foi s'articule, dans les récits de guérison, avec la reconnaissance du fait que Jésus est le Messie davidique en lequel s'accomplit l'espérance de salut d'Israël (Mt 9) et qui apporte le salut aux nations (Mt 8,5-13 ; 15,21-28). Il rend compte de la façon dont se conjuguent conflit avec les pharisiens et plein accomplissement de la Loi et de la volonté de Dieu, rendu possible par Jésus au sein de la communauté conçue elle-même comme véritable mandataire de l'héritage théologique d'Israël. Il montre encore comment est à la fois reçu et interprété le Décalogue qui vient provoquer l'homme, de façon à la fois positive et radicale, quant à son comportement dans les champs majeurs de l'éthique sociale. Il propose des remarques relatives à la logique du renoncement à la violence et de l'amour des ennemis en Mt 5,38-48, conçus tous deux notamment à la fois comme chances pour l'instauration d'un vivre ensemble et comme corollaires de la suivance. Il replace l'instruction éthique au sein du discours communautaire

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de Mt (ch. 18) dans son contexte narratif en insistant sur la cohérence dudit discours, sur le fait que les exigences radieales s'y trouvent en tension avec la prise en compte de l'existence du péché et l'appel à une attitude miséri¬ cordieuse envers les pécheurs, tout cela étant en cohérence avec le macro¬ récit lui-même. Enfin, à partir de Mt 5,7, il illustre la façon dont compassion et miséricorde sont eonstitutives de l'agir éthique en Mt et sont appelées à trouver leur inspiration et leur modèle dans l'image de Dieu et dans l'exemple du Christ. Quatre index, des textes anciens et des auteurs modernes eités, théma¬ tique et des termes grees paraehèvent ee volume qui vient lui-même eompléter et illustrer le commentaire de la façon la plus heureuse. Ch. Grappe Akiva Cohen, Matthew and the Mishnah. Redefining Identity and Ethos in the Shadow of the Second Temples Destruction, Tiibingen, Mohr Siebeek, 2016, xlx + 636 pages (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe 418), ISBN 978-3-16-149960-9, 119 €. Version révisée d'une thèse préparée sous la direetion de Miehael Mach et soutenue en 2008 à l'Université de Tel Aviv, l'ouvrage, monumental, prend à bras le corps la question suggérée par son sous-titre et se focalise sur le rapport au Temple que Ton observe chez Matthieu et dans la Mishna et sur les programmes bien distinets que ees deux éerits tracent à la suite de la destruction du sanctuaire jérusalémite. L'enquête, extrêmement minutieuse et fouillée, aboutit au constat suivant : Matthieu et la Mishna prennent tous deux en compte le fait que le Temple a été détruit, et chaeun des deux écrits s'emploie, à sa manière, à le reeonstruire. Pour Matthieu et les pharisiens matthéens - TA. situe Matthieu et sa communauté dans la mouvance pharisienne -, le Temple est conçu et remé¬ moré comme lieu de la résidence divine, mais il est bel et bien détruit comme l'illustre l'épisode de la déehirure du voile au moment de la mort de Jésus. Toutefois, sa saeralité est désormais étendue, par la foi en Jésus-Christ et à travers le baptême, conçu ici comme immersion rituelle dans le nom trine de Dieu, à la synagogue pharisienne matthéenne dont la trajectoire va conduire aux ekklèsiai de Jésus parmi les nations, l'intégration soeiale des non-juifs se traduisant par leur assoeiation à la eommunauté de table, elle-même culminant dans le partage du repas du Seigneur. Pour la Mishna, le monde fondé sur le Temple d'Israël est restauré, que ce soit à l'échelle de la maison, des marchés, des maisons d'enseignement ou des synagogues, ces dernières pouvant d'ailleurs être appelées petits temples. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, le voile du Temple est virtuellement reconstitué chaque fois qu'est lu le traité Yoma. La vie peut en quelque sorte continuer comme si de rien n'était, même si une subversion a bel et bien eu lieu : il n'y a plus ni véritables prêtres ni véritables saerifices, et tout Israël est désormais habilité à entrer dans les parvis saerés du discours, centré sur le Temple, de la Mishna. Cette analyse en profondeur nous paraît tout à fait stimulante et perti¬ nente. On peut regretter que TA. n'ait pas eu accès à la littérature en langue

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française sur la question car il aurait assurément pu y trouver des suggestions intéressantes pour son travail. Par ailleurs, pour ce qui est du parcours qu'il propose à travers l'Évangile selon Matthieu en vue d'étudier son rapport au Temple, il est un peu dommage qu'il n'ait pris en compte ni Mt 5,14-16 ni Mt 16,17-19, passages qui peuvent se comprendre sur Tarrière-plan des repré¬ sentations liées à Jérusalem et à son sanetuaire. Cela étant, la façon dont il rend eompte de la subversion du eulte chez Matthieu tout en la confrontant à la perspective de la Mishna, étudiée quant à elle avec une érudition et un maîtrise impressionnantes, font de cet ouvrage, complété par une bibliographie imposante et par deux index des textes aneiens et des ouvrages modernes cités, une somme pénétrante qui mérite la plus grande attention et qui fera date. Ch. Grappe

Jifi Dvofâcek, The Son of David in Matthew s Gospel in the Light of the Solomon as Exorcist Tradition, Tiibingen, Mohr Siebeck, 2016, xll + 258 pages (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe 415), ISBN 978-3-16-154094-3, 79 €. Version aetualisée d'une thèse préparée sous la double direetion d'Ulrich Luz et de Jin Mrâzek et soutenue en 2008 à la Faeulté de Théologie de l'Université Charles de Prague, l'ouvrage se donne pour but de justifier, en approfondissant l'enquête pour lui donner la dimension d'une thèse, le bien- fondé de l'hypothèse, déjà avancée précédemment, selon laquelle la tradition relative à Salomon en tant qu'exorciste eontribue à éelairer, avee l'attente d'un messie Fils de David, les passages de l'Évangile selon Matthieu dans lesquels Jésus est précisément désigné comme Fils de David. Après une introduction qui consiste principalement en un état de la recherche, TA. se lance dans l'étude des textes en choisissant de combiner à la fois approche exégétique de type synchronique et lecture de type diachronique. Il passe d'abord en revue les textes dans lesquels Salomon est présenté comme exoreiste et guérisseur, qu'ils soient juifs (1 R 5,9-14 ; Sg 7,15-21 ; llQApPs^ ; Livre des antiquités bibliques 60,3 ; Josèphe, Antiquités juives 8,42-49) ou qu'il s'agisse encore de textes de la bibliothèque de Nag Hammadi (Apocalypse dAdam ; Testament de vérité ; Second traité du grand Sem ; De l'origine du monde), du Testament de Salomon, de textes magiques araméens ou enfin de papyri grecs magiques. Il met ainsi en évidence une tradition qui, établie dès le tournant de notre ère, se perpétue et se développe pendant six siècles, et qui assoeie scienee et pouvoir exoreistes et thérapeutiques du person¬ nage, d'autres se servant de son nom, de ses ineantations, voire d'une bague comportant une racine prescrite par lui, pour agir dans le même sens que lui. L'A. mène ensuite une autre enquête, moins originale sans doute, à propos de l'appellation « Fils de David » en tant que désignation messianique dans les Psaumes de Salomon, dans les manuserits de la mer Morte, en 4 Esdras, dans le Shemone Esre et dans les textes rabbiniques traitant du messie ben David. Il y relève trois éléments principaux : l'ascendance davidique du futur souverain ; la relation Père-fils existant entre Dieu et le descendant de David ; la promesse de pérennité pour la dynastie et le pouvoir davidiques. Il note encore que le Messie fils de David peut porter différents noms : fils de David,

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rejeton de David, « mon fils » ou encore « Messie », et qu'il est fondamen¬ talement dépeint comme roi eschatologique, restaurateur d'Israël. L'A. aborde enfin les textes dans lesquels Jésus est appelé Fils de David chez Matthieu. Son enquête fait apparaître que la principale aetivité du Fils de David messianique est d'ordre thérapeutique et que des versets comme Mt 9,28 (question de Jésus « croyez-vous que je puisse faire cela ? » en réponse à un appel à l'aide qui lui est lancé en tant que Fils de David), 9,33 (« Personne n'a jamais vu cela en Israël »), 12,23 (réaction à la guérison d'un possédé aveugle et muet : « Celui-ci n'est-il pas le Fils de David ? »), 12,42 (« Il y a ici plus que Salomon »), 15,22 (appel à l'aide de la femme cana¬ néenne : « Aie pitié de moi, fils de David ! »), 21,15 (Jésus salué en tant que Fils de David alors qu'il vient d'aceomplir des guérisons dans le temple) paraissent tous faire écho à la tradition relative à Salomon thérapeute ou exorciste. Cela étant, Jésus est aussi et simultanément - notamment en Mt 21 où les deux traditions s'entrelacent - le Fils de David messianique, humble et doux - et non pas guerrier et conquérant -, qui surpasse Salomon, fils de David, le roi puissant, exorciste, guérisseur et sage (Mt 12,42 à nouveau). L'A. conclut que Matthieu, qui n'avait trouvé chez Marc qu'un passage opérant un lien entre l'activité thérapeutique de Jésus et un appel lancé à lui en tant que Fils de David, a eonseiemment multiplié les références à ee motif, créant ainsi l'image susmentionnée tout en déplaçant l'espérance messianique du plan politique au niveau humain. Un ensemble bien construit, qui, sans être vraiment nouveau, constitue un dossier à la fois bien eonçu et solide. Ch. Grappe Gabriella Gelardini, Christus Militans. Studien zur politisch-militàrischen Semantik im Markusevangelium vor dem Hintergrund des erstens jûdisch- rômischen Krieges, Leiden - Boston, Brill, 2016, xll + 985 pages (Supple¬ ments to Novum Testamentum 165), ISBN 978-90-04-28234-6, 226 €. Version légèrement retouchée d'une thèse d'habilitation soutenue à Bâle en 2013, l'ouvrage, monumental, se situe dans le cadre des études qui, accordant toute son importance au fait que Marc a été rédigé dans le sillage de la catastrophe qu'a représentée la Première Guerre juive et de la montée en puissance des Flaviens, s'attachent à comprendre cet évangile comme une forme de réaction, critique vis-à-vis de l'Empire, voire anti-impériale, à ce désastre et à cette aseension et eomme relevant, en eonséquence, de la litté¬ rature de réaction. Cela étant, et la ehose eontribue grandement à l'originalité de sa démarche, l'A. ne s'en tient pas seulement aux discours et aux logiques de pouvoir, mais s'intéresse également aux aspects militaires et à la séman¬ tique guerrière, cela en fonetion de l'importance que revêtaient l'armée et la guerre elle-même en vue du maintien ou de la prise du pouvoir dans l'Antiquité, surtout dans les périodes sensibles ou de transition comme celle qu'a repré¬ sentée le passage de la dynastie judéo-claudienne à celle des Flaviens. L'A. dresse d'abord un état de la question en y intégrant des approehes post¬ coloniales et féministes de Mare (I) puis définit sa méthode (II). L'évangile va être parcouru dans un troisième temps d'un bout à l'autre, à partir d'une

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segmentation qui s'effectue épisode par épisode, chaque épisode étant divisé en un certain nombre de scènes, en fonction de critères proehes de eeux qui sont utilisés en analyse narrative, tout en étant simultanément compris dans le cadre de l'épisode et de ce qui en assure la cohésion ou la cohérence. On passe ensuite au contenu, évalué à l'aune : des acteurs, des noms et des titres ; de la loealisation et de la temporalité ; de la rhétorique et de caraetéristiques thématiques ; de l'action et des mots-elés ; du profil politico-militaire, ee dernier aspect étant celui qui revêt ici la plus grande importance. Elle trouve en fait, dans chacune des scènes qu'elle distingue - quatre-vingt-quatre au total -, un encodage politico-militaire, sous forme d'indiees caehés (hidden transcripts), plus d'un tiers du lexique mareien pouvant, selon elle, être interprété dans cette perspective. La quatrième partie vient récapituler, sous forme de tableaux cumulés, les données recueillies dans les différentes rubriques, les tableaux dévolus aux lexèmes à connotation militaire oecupant à eux seuls plus de 60 pages. Dans sa einquième partie, intertextuelle, ΓΑ. ne s'appuie pas seulement sur les classiques que sont Flavius Josèphe, Tacite, Suétone..., mais reeourt aussi aux historiens militaires. Elle interprète ensuite les données recueillies précédemment autour des rubriques suivantes : les causes de la guerre ; la divination ; le droit de faire la guerre (réservé à l'empereur) ; les armées ; la conduite de la guerre ; les suites de la guerre. Sans pouvoir entrer dans le détail, on se contentera d'évoquer quelques aspects saillants de la lecture à laquelle l'A. parvient. Elle estime que le changement de dynastie, ponctué par le triomphe des Flaviens, survenu à Rome, se trouve, de quelque manière, transposé dans l'Évangile selon Marc qui présente, quant à lui, autour de la figure du protagoniste qu'est Jésus, un autre changement de dynastie, le passage la dynastie hérodienne à la dynastie messianique davidique. Elle propose ainsi, on le devine, une lecture nouvelle de nombre de passages. Elle parvient enfin à la eonclusion selon laquelle Marc n'est pas seulement un évangile de la Croix, même si la mort sur la croix peut être le symbole par excellence de la défaite militaire, mais qu'il est aussi - et de manière cryptée - un évangile de la gloire où, de manière paradoxale, la mort de Jésus devient offrande triomphale. Comme on le voit, l'ouvrage, qui aurait assurément gagné à être plus court, dont on peut regretter qu'il fasse totalement l'impasse sur la littérature francophone, mais dont on doit aussi signaler qu'il est accompagné d'index bienvenus, est aussi original que novateur - et provocateur. Il mérite, à ce titre, d'être salué et eompté au nombre des publieations marquantes sur l'Évangile de Marc. Ch. Grappe Jean Zumstein, Das Johannesevangelium ûbersetzt imd erklàrt, Gôttingen, Vandenhoeek & Rupreeht, 2016, 795 pages (Kritiseh-exegetischer Kom- mentar iiber das Neue Testament 2), ISBN 978-3-525-51638-6, 120 €. Nous avons souligné, lors de sa parution en deux volets {RHPR 88, 2008, p. 371-372 ; 95, 2015, p. 388-389), l'importance du commentaire de ΓΑ. et souligné, dès ce moment-là, le sens aigu de la eoncision, de la

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synthèse, de la formule et de l'essentiel qui le caractérise. L'honneur lui est fait désormais d'être traduit en allemand et de prendre, dans la prestigieuse série qui l'aecueille, le relais de celui de Rudolf Bultmann, auquel est rendu un hommage appuyé dans la nouvelle préface. Par rapport à l'édition française, le choix a été fait, pour limiter l'ampleur du volume, de renoncer aux sections conclusives qui, au terme de l'étude de chaque péricope, venaient proposer une synthèse tout en mettant en évidence les enjeux théologiques. Ce choix peut paraître quelque peu dommageable quand on sait précisément le sens de la synthèse de l'A. et sa capacité d'aller en quelques phrases à l'essentiel, mais cet essentiel est déjà présent dans les autres rubriques qui, elles, sont reprises. L'introduction générale est reproduite, tout en étant un peu plus teehnique (ajout de quelques notes et mention, entre parenthèses, de mots grecs importants qui ne figuraient pas dans l'édition française...). La bibliographie générale a été quelque peu réarrangée et très sensiblement amplifiée. Quant à la bibliographie relative à chaque péricope, elle a été mise à jour, ce qui est bienvenu, surtout pour la deuxième partie du commentaire, parue la première. Cela étant, on retrouve toutes les qualités de l'ouvrage français et on peut se réjouir que l'exégèse francophone se trouve ainsi honorée à travers un auteur qui, tout en ayant enseigné pendant vingt ans à Zurich, a tenu à publier son magnifique commentaire, qui trouve iei une belle reconnaissance, dans sa langue maternelle. Ch. Grappe Jean-Marie Sevrin, Le quatrième évangile. Recueil d'études. Édité par Gilbert Van Belle, Leuven - Paris - Bristol, Peeters, 2016, xlv + 281 pages (Bibliotheca Ephemeridum Theologiearum Lovaniensium 281), ISBN 978- 90-429-3313-2, 86 €. C'est une initiative particulièrement bienvenue qu'ont prise Gilbert Van Belle et l'éditeur en proposant de rassembler un recueil des études relatives au quatrième évangile qu'a publiées l'A. entre 1989 et 2012. Elles viennent apporter un précieux eomplément à sa monographie, Le Jésus du quatrième évangile, paru en 2011. Elles sont réparties ici en cinq groupes, le choix effectué de faire figurer, dans la table des matières, non seulement le titre de chaque contribution mais aussi son plan s'avérant tout à fait opportun, dans la mesure où il offre la possibilité au lecteur de se faire rapidement une idée générale de l'ensemble. Il est tout d'abord question de l'intrigue. Une contribution au titre évo- cateur, « L'intrigue du quatrième évangile, ou la christologie mise en récit », conclut que tout concourt finalement à une intrigue thématique où chaque épisode eontribue à symboliser l'acte libre par lequel, en union avee le Père, Jésus fait don de sa vie et la donne, éternelle, à ceux qui eroient en lui. Suit une variation sur le même thème, « L'ombre de la croix, ou les anticipations de la mort de Jésus dans le quatrième évangile ». On passe alors au commencement du quatrième évangile, conçu comme prologue et prélude qui « explicite que celui qui est à la fin, l'oméga, est aussi au début, l'alpha » (p. 40). On en vient enfin aux deux finales qui bouelent respeetivement

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l'intrigue de la foi (Jn 20) et l'intrigue, conséquente, de l'envoi à la suite de Jésus, l'intrigue de Jésus se coneluant, pour sa part, à la croix avec la resti¬ tution et la transmission concomitante de l'Esprit (Jn 19,30). Après l'intrigue, les figures. Sont étudiés successivement : la mère de Jésus, qui, à Cana, conduit à son fils, et qui, à la croix, légitime le disciple bien-aimé et l'évangile qui lui est lié, ouvrant ainsi à l'imaginaire et au croire ; Nicodème, situé dans un entre-deux qui laisse une ouverture aux juifs dans leur relation à Jésus ; Pierre, qui figure le lecteur, dans la mesure où il confesse en Jésus l'envoyé de Dieu, sans parvenir à accepter pour autant la croix et, partant, la christologie du quatrième évangile ; les personnages impliqués dans la séquence des « Je ne suis pas » (Jean Baptiste et Pierre) et des « Je suis » (Jésus), séquence qui construit Jean, en tant qu'envoyé, et Pierre, en tant que disciple, dans leur rapport respectif à Jésus, « souverain dans son œuvre eonsommée à la eroix » (p. 93) ; le Prince de ce monde, à mains humaines, que vient eombattre et vainere, à mains eharnelles, le Verbe de Dieu, qui ne se déchiffre en fait que dans l'histoire des hommes et « n'est dit, dans le quatrième évangile, qu'en contrepoint de l'histoire de Jésus, qui met fin à son empire » (p. 128). On passe ensuite au lecteur et aux incertitudes devant lesquelles le placent les passages à double entendre, un lecteur incertain et pourtant guidé vers ce qui est au cœur même du quatrième évangile, le mystère de la croix, et qui peut seul le conduire à saisir l'unité du Fils unique avec le Père. On en vient à la christologie et à la théologie avec : un retour sur le pro¬ logue ; une réflexion, à partir de Jn 1,29, sur le péché, « déjà là, qui a partie liée avec la mort et la maladie qui le symbolisent » (p. 180) et avec lequel les disciples, quoique désormais purs, ont à combattre parce devenir disciple est simultanément un don et une tâche ; une étude sur Jésus et le sabbat, Jn 5 et 9 venant exprimer, à son propos, le conflit entre l'œuvre créatriee de salut et le repli autour de la Loi ; une contribution sur la fin, dont Jésus est le « Facteur », et sur le temps, qu'elle vient surplomber tout en s'y inscrivant ; un développement sur la paradoxe de la foi qui n'a d'autre certitude que celle de « l'amour qui se risque librement et s'offre à la liberté » (p. 231). L'ensemble s'achève par des questions de méthode, l'écriture du quatrième évangile étant conçue comme phénomène de réception à partir de l'étude de Jn 6 et l'hypothèse gnostique relative à l'origine de l'œuvre étant éeartée du fait même que le quatrième évangile est antérieur au gnostieisme proprement dit. Le style et l'argumentation ciselés de l'A. qui va toujours, en peu de mots et avec un sens inné de la formule, à l'essentiel, font de ce recueil, eomplété par un index des référenees bibliques, une aide préeieuse à une eompréhension en profondeur du quatrième évangile. Ch. Grappe r Yves-Marie Blanchard, Voici l'homme. Eléments d'anthropologie johannique, Paris, Artège - Lethielleux, 2016, 181 pages (Théologie biblique), ISBN 978-2-249-62379-0, 22 €. Le présent ouvrage se donne pour objet, eomme son sous-titre l'indique, l'étude de l'anthropologie johannique. Il la eonduit autour de l'étude de

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différents couples de notions : chair et esprit ; lumière et ténèbres ; amour et vie ; justice et péehé ; voir et eroire ; eonnaître et témoigner. L'approehe est d'ordre sémantique et contribue à montrer que l'anthro¬ pologie johannique se veut finalement positive, voire optimiste, et que sa clé réside en ce que « la référence indépassable, pour l'homme en quête de sa vérité, ne saurait être autre que la personne de Jésus Christ, le Fils envoyé du Père, considéré selon le paradoxe de la Croix » (p. 156). Ch. Grappe

Brian Neil Peterson, John s Use of Ezechiel. Understanding the Unique Perspective of the Fourth Gospel, Minneapolis, Fortress Press, 2015, xiv + 241 pages, ISBN 978-1-4514-9031-2, $ 39. r Spéeialiste de ΓΑΤ et notamment du livre d'Ezéehiel, l'A., qui fait preuve de modestie en indiquant qu'il omettra peut-être l'un ou l'autre article ou monographie alors même qu'il se limite strictement à la littérature écrite ou traduite en anglais, propose, dans eet ouvrage, que les deux premières séquences visionnaires d'Ezéehiel (Ez 1-3 et Ez 8-11) servent d'arrière-plan au ministère public de Jésus (Jn 1-12), et les deux dernières (Ez 37 et Ez 40-48) à Jn 13-21. 11 met en lien le prologue avec Ez 1-3 (principalement en raison de la présence commune des motifs de la Parole, de la gloire et de l'ouverture des cieux, de l'introduction de la figure d'un prophète et de l'usage de l'expression « Fils de L'Homme ») et l'importance dévolue, de manière générale, aux signes chez Jean avec la forte présence des actes prophétiques chez Ezéchiel. 11 comprend le placement anticipé de la purification du Temple à la lumière d'Ez 8-11 et du départ de YHWH du sanetuaire pour se rendre en exil avant de revenir pour inaugurer une nouvelle alliance. Il lit les paroles du Jésus johannique en « Je suis » en fonction de nombre des thèmes présents en Ez 12-39, les chap. 17 et 20 à partir d'Ez 37 (en lien avec les thèmes de l'unité, de la résurreetion et de l'insufflation) et la résurrection de Jésus, présentée dès lors eomme le Nouveau Temple, sur l'arrière-plan d'Ez 40-43. L'A. en conclut que Jean a façonné son évangile à partir des visions, des actes prophétiques et des oracles d'Ezéehiel, sans doute parce qu'il consi¬ dérait que la vie et l'expérience du prophète trouvaient un écho dans les temps troublés où il vivait, temps marqués par un refus d'écouter le message de l'envoyé, refus sanctionné par la destruction du sanctuaire, même si le dernier mot ne revient pas à cette dernière. Si la démonstration ne manque pas de eohérenee et si les parallèles proposés sont souvent stimulants, la thèse générale aura sans doute quelque mal à convaincre ear la riehesse et le symbolisme foisonnants du quatrième évangile se résolvent difficilement dans l'application d'un modèle unique auquel, qui plus est, l'évangéliste ne se réfère pas explicitement. Ch. Grappe

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Susan Elizabeth Humble, A Divine Round Trip. The Literary and Christo- logical Function of the Descent/Ascent Leitmotif in the Gospel of John., Leuven - Paris - Bristol, Peeters, 2016, xii +226 pages (Contributions to Biblical Exegesis & Theology 79), ISBN 978-90-429-3243-2, 110 €. Fruit d'une thèse soutenue à l'Université de Denver, à VIliff School of Theology, l'ouvrage adopte une méthodologie thématique structurale pour étudier les motifs respectifs et conjoints de la deseente et de l'aseension du Fils dans le quatrième évangile. Le motif de la descente, élargi à ceux de la venue et de l'envoi, et celui de l'ascension, incorporant ceux du départ et de son corollaire (ce que l'on quitte) sont érigés au rang de leitmotiv et de clé en vue de la compréhension de la ehristologie. Une ehristologie qui s'appuie notamment sur l'origine (la préexistenee), l'identité (Fils, Fils de Dieu, Fils de l'Homme) et l'autorité (rabbi, docteur, discours en « Je suis ») de Jésus, qui ne se comprend qu'en fonction de la relation de Jésus au Père, qui se déploie dans le réseau constitué par les multiples façons dont sont corrélés et se déclinent les deux motifs étudiés et qui, toute verticale qu'elle soit, vient, de quelque manière, embrasser la terre qui se trouve arrachée à la seule horizontalité. L'ensemble, assez bref et qui ignore superbement la littérature qui n'est pas disponible en anglais, est complété par de trop nombreux appendices (18), dont on aurait pu imaginer qu'ils soient intégrés dans une argumentation qui est conduite de manière eohérente et rigoureuse et qui rejoint finalement les conclusions auquel peut parvenir tout lecteur attentif à la ehristologie aussi haute que riche du quatrième évangile. Ch. Grappe Jan G. van der Watt, R. Alan Culpepper, Udo Schnelle (éd.), The Prologue of John. Its Literary, Theological, and Philosophical Contexts. Papers read at the Colloquim loanneum 2013, Ttibingen, Mohr Siebeck, 2016, XXII+ 342 pages (Wissenschafliche Untersuchungen zum Neuen Testa¬ ment 359), ISBN 978-3-I6-I54771-3, 134 €. Fruit d'un eolloque qui s'est tenu sur l'île de Patmos, l'ouvrage rassemble, en deux parties, quatorze contributions relatives au prologue du quatrième évangile. Il s'agit d'abord de se confronter aux défis que représente, pour tout interprète, le prologue. A. Culpepper l'aborde en tant qu'introduction théo¬ logique à l'ensemble de l'œuvre, dans la mesure où il décline cinq initiatives divines (l'œuvre de Création à travers le Logos, le don de la Loi par Moïse, l'envoi de Jean le Baptiste, la venue de la Lumière eonçue eomme incar¬ nation du Logos, la naissance des enfants de Dieu) qui concourent à ce que la Vie soit donnée en abondance. J. Ashton se demande, quant à lui, si le pro¬ logue en est vraiment un et fait sienne la thèse selon laquelle il se trouve en tension avee le reste de l'œuvre et a été composé à partir d'un hymne au Logos primitif, hymne qui aurait célébré la sagesse dans la chair et qui serait infléchi par l'auteur pour magnifier la gloire divine du Christ. W. Loader, partisan pour sa part de la cohérenee du prologue avec le reste de l'œuvre, s'intéresse à son apport à la sotériologie johannique et fait valoir qu'il signale d'emblée qu'il s'agit en fait de répondre à la Parole de Dieu pour

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accéder à la Vie. J. van der Watt se focalise sur Jn 1,1 et estime que le caractère énigmatique de ce verset est voulu. C. Williams s'intéresse, à partir du verset 18, au thème du voir, à la lumière de la eitation d'Ésaïe en Jn 12,41, et conclut qu'il s'agit de voir Jésus lui-même en tant que lieu de la gloire divine. R. Zimmermann se penche sur la figure du Baptiste qui fait fonction de figure liminaire, à la jonetion entre le temporel et l'éternel, l'humain et le divin, Jean étant d'emblée mis en lumière pour mieux disparaître progres¬ sivement ensuite et assumer ainsi son rôle. M. Theobald étudie la thématique du témoignage et des témoins en lien avec le « nous » de l'école johannique, qui retentit à des moments stratégiques, et fait apparaître cette école elle-même comme une eommunauté de témoins. Ch. Karakolis montre, à l'exemple de Jn 5,1-18, comment le prologue initie une ironie dramatique qui va parcourir l'ensemble de la narration. La deuxième partie s'emploie à situer le langage et les concepts mis en œuvre dans la Prologue dans leur contexte philosophique. U. Schnelle défend la consistance du quatrième évangile sur le plan philosophique et estime qu'il reconfigure notamment des eoneepts eomme le Logos et la Vérité. J. Frey se demande précisément comment, entre Torah et Stoa, les lecteurs ont pu comprendre le Logos johannique et propose que ce soit sur un horizon plus large que le seul judaïsme hellénistique et sa tradition relative à la Sagesse. C. Koester étudie le motif du pneuma et relève qu'il est conçu en tension avec le pneuma des stoïeiens, dans la mesure où ee dernier est inhérent à l'humain alors que, chez Jean, il est extérieur à la personne et émane d'une source divine. G. Parsenios compare la franchise (parrhèsia) mise en œuvre par le Jésus johannique et par les aneiens orateurs et philosophes et trouve nombre de points de ressemblanee, Jésus payant, eomme Socrate, son franc- parler au prix de sa vie, tout en restant pour sa part muet devant ses accusa¬ teurs. M. M. Thompson se penche sur la notion de lumière et trouve, elle aussi, de nombreuses similitudes avec l'usage qui en est fait dans la littérature hellénistique, et notamment chez Philon, étant entendu que, en loealisant la lumière en la personne du Christ, l'auteur donne au concept une signification plus riche et plus complexe à la fois. Enfin, J. Zumstein traite des signes à partir du modèle théorique relatif à l'interaetion du signe, de l'objet et de l'interprète développé par Pierce. Il trouve des similitudes avee la philo¬ sophie grecque mais aussi une singularité johannique qui réside dans une concentration christologique, une nécessité d'interprétation christologique et une fonction révélatrice qui n'est aecessible que par le croire. Un ensemble très riehe et soigneusement édité, eomplété par deux index des textes auteurs aneiens et modernes eités et qu'aurait pu rehausser encore la présence d'un index thématique. Ch. Grappe David Alan Blaek, Jaeob N. Cerone (éd.), The Pericope of the Adulteress in Contemporary Research, London - Oxford - New York, Bloomsbury T&T Clark, 2016, xvii+195 pages (Library of New Testament Stu¬ dies 551), ISBN 978-0-567-66579-9, S 114. La péricope de la femme adultère (Jn 7,53-8,11) pose un problème bien connu du fait de son absence dans les manuscrits les plus anciens qui nous

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sont parvenus du quatrième évangile, ce qui amène fort logiquement l'immense majorité des spécialistes à conclure au caractère secondaire de son insertion, ici ou ailleurs, dans le quatrième évangile, voire dans l'évangile selon Lue - la péricope est insérée selon les cas, outre après Jn 7, à dix autres endroits dans Jn et à deux autres chez Luc, dans la tradition manuscrite en notre possession. Le présent volume, issu d'une colloque qui s'est tenu au Southern Baptist Theological Seminary à West Forest, se propose, dans une perspective que l'on devinera assez conservatrice, de se demander si la péricope ne pourrait pas être originale au sein du quatrième évangile et s'il convient ou non de l'écarter. J. D. Punch défend son authenticité en prétendant que des scribes, gênés par son contenu quelque peu scabreux, l'aurait écartée et en essayant d'argu¬ menter, contre l'évidence, que le style et le vocabulaire seraient ceux du qua¬ trième évangile dont elle constituerait l'un des passages les plus importants. Avec raison, T. Wasserman fait valoir que ce point de vue est hautement improbable et reprend la thèse de l'interpolation secondaire d'un agraphon comme il y en a beaucoup d'autres. J. Knust revient sur l'hypothèse d'une omission intentionnelle et montre, à partir du témoignage des Pères, qu'elle est en fait intenable. Ch. Keith, auteur d'une monographie importante sur le sujet (cf. RHPR 95, 2015, p. 391), reprend et résume ici sa thèse relative à une insertion bien réfléchie visant à montrer, à une époque où le christia¬ nisme et son fondateur étaient dénigrés pour être dépourvus d'éducation, la capacité d'écriture de Jésus, en même temps que sa connaissance des Écritures et de la Loi. M. Robinson prétend à son tour que le nombre de liens existant entre la péricope et le reste de l'évangile doit conduire à reconnaître l'authenticité de la péricope et son importance au sein du quatrième évangile. Enfin, L. Hurtado conclut élégamment l'ensemble en indiquant les raisons qui le conduisent à défendre la thèse de l'interpolation. Une bibliographie cumulée et deux index, des textes anciens cités et thématique, complètent l'ensemble, fort soigneusement édité. Ch. Grappe Reimund Bieringer, Barbara Baert, Karlinjn Demasure (éd.), Noli me tangere in Interdisciplinary Perspective. Textual, Iconographie and Contemporary Interpretations, Leuven - Paris - Bristol, Peeters, 2016, xxii + 517 pages (Bibliotheca Ephemeridum Theologiearum Lovaniensium 283), ISBN 978- 90-429-3328-6, 89 €. Fruit d'un colloque international et interdisciplinaire organisé conjoin¬ tement en 2009 par les Facultés d'Histoire de l'art et de Théologie de l'Université catholique de Louvain, l'ouvrage rassemble pas moins de vingt- trois contributions réparties en trois sections traitant du texte biblique dans ses interprétations respectivement textuelle, iconographique et contemporaine. R. Bieringer se concentre sur l'apostrophe de Marie Madeleine (rabbouni) et la comprend, à la lumière des autres occurrences de rabbi dans l'œuvre et surtout en 1,38, comme une façon de la présenter comme vraie disciple qui parvient à voir en Jésus son Maître. O. Lehtipuu se focalise sur la raison de

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l'ordre, donné par Jésus à Marie Madeleine, de ne pas le toucher et la trouve dans le fait que le corps Glorifié du Fils reste hors d'atteinte du toucher humain. M. Steegen s'interroge sur le rôle implieite qui serait alloué à l'Esprit en Jn 20,17. A. Taschl-Erber voit en Marie Madeleine la figure de la communauté croyante appelée à montrer que la relation nouvelle et durable au Ressuscité se fait sous le double mode de la présence absente et de l'absence présente. W. de Pril et A. Dupont s'intéressent à l'exégèse que proposent les Pères latins de Jn 20,17, confirmant au passage que Grégoire le Grand a été le premier à identifier Marie Madeleine avec la pécheresse de Le 7,36-50. K. Coyle traite de l'interprétation que proposent respeetivement du passage les maniehéens, dans le premier psaume d'Héraelide, et Augustin, dans un sermon dirigé contre eux. G. Dinkova-Bruun se penche sur la place que l'épisode occupe dans les récits bibliques versifiés latins, les hymnes litur¬ giques et les épigrammes de la fin du Moyen Âge. G. Juhâsz montre que, au début du xvfi sièele, de nouvelles lectures, traductions et interprétations du passage apparaissent, et J. Eickmeyer se concentre sur sa réception dans les élégies néo-latines de la Renaissance et de l'époque baroque. On passe ensuite au volet ieonographique. B. Baert s'intéresse au défi que représente la restitution en image du récit et notamment au rendu de l'énergie qui se dégage de la scène, et ce en s'appuyant entre autres sur une herméneutique du regard, de la spatialité et de la temporalité. G. Noag-Banai s'interroge sur l'existenee de représentations du Noli me tangere avant le Vllfi siècle et sur la place à accorder à la Capsella de Brivio (début du V® siècle), conservée au Louvre, dans ce dossier. B. Dtimpelmann étudie, entre visuel, textile et tactile, comment le mystère eonsistant à toueher l'intouchable est rendu tant dans la liturgie pascale que dans les œuvres d'art. Dans une contribution très intéressante, B. M. Eggert étudie la présence du motif du Noli me tangere au dos de vêtements liturgiques médiévaux et sa profonde signification, un diacre étant appelé à le toucher au moment de l'élévation de l'hostie pour exprimer précisément que, dans le mystère de la messe et de la transsubstantiation, l'intouchable devient « touchable ». B. de Klerck s'intéresse à l'apparition de représentations dans lesquelles le Christ est vêtu en jardinier au début du Cinquecento et à l'effet qu'elles produisent sur le spectateur informé, quant à lui, de sa véritable identité. U. Muller-Hofstede fait une incursion dans le champ des représentations sculptées, et E. Benay s'intéresse à l'évolution respective des figurations du Noli me tangere et du doute de Thomas, appelé quant à lui à toucher le Ressuseité. Viennent enfin les interprétations contemporaines. T. Beattie propose une approche féministe. K. Demasure intervient en tant que théologienne pratique et étudie les liens entre toucher, tabou, impureté, souffrance et punition. M. de Kesel met en lien l'expérience du Dieu intouchable et celle de l'inimaginable Shoah, qui toutes deux mettent Dieu en question. K. Rondou propose une leeture narrative des silenees du récit biblique. S. Roll traite, dans une perspective inspirée par les gender studies, des enjeux respectifs du toucher réel (completed) et inaccompli (uncompleted) dans la liturgie catho¬ lique romaine. A. Liégeois aborde la dimension taetile que peut revêtir la pastorale, et E. K. Jones envisage le caraetère intouchable de la mortalité maternelle en tant qu'enjeu théologique. Ce bel ensemble, qui ne fait toutefois à aueun moment place à une inter¬ prétation de la scène comme surgissement d'une nouvelle création au sein de

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laquelle le Ressuscité vient assumer le rôle du Jardinier, est remarquablement édité et complété par différents index, des auteurs modernes et des artistes cités, ainsi que des passages bibliques et non bibliques. Ch. Grappe Christoph Heilig, J. Thomas Hewitt, Miehael F. Bird (éd.), God and the Faithfulness of Paid. A Critical Examination of the Pauline Theology of N. Τ Wright, Ttibingen, Mohr Siebeck, 2016, vlll + 833 pages (Wissen- schaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe413), ISBN 978-3-16-153851-3, 129 €. N.T.Wright a publié en 2013 une monographie, en deux volets, inti¬ tulée Paul and the Faithfulness of God, dont le titre se trouve ici renversé. Il y défend, en 1658 pages, des thèses très nettes : depuis Texil, les juifs vivaient en exilés et attendaient le retour de Dieu qui s'est produit avec Jésus ; l'obsession des règles de pureté avait empêehé Israël d'aceomplir sa voeation d'être lumière des nations, ce qui va radicalement changer avec Paul qui a été l'inventeur de la théologie chrétienne ; son eschatologie n'a rien d'apocalyptique et se réalise dans la eoncrétude de la ehristologie et de l'éthique... Ses thèses sont ici discutées dans quelque trente contributions suivies d'une réaction (60 pages) de Wright. r En guise de prologue, les trois Ed. introduisent le volume, et B. Schliesser situe l'ouvrage de Wright parmi d'autres théologies pauliniennes (Bultmann, Dunn, Sehreiner, Wolter, Schnelle). Le débat avec Wright commence avec des enjeux méthodologiques. O. Wischmeyer interroge son herméneutique scripturaire qui aboutit à une synthèse grandiose, laquelle peine toutefois bien souvent à rendre compte des textes eux-mêmes. A. Loseh questionne son réalisme critique. Th. et Ch. Heilig mettent à l'épreuve sa méthodologie historique, résolument « abductive » et synthétique. E.-M. Becker regrette une prise en compte insuffisante, sur certains points comme l'activité thaumaturgique du Tarsiote, du témoignage des Aetes. S. Moyise estime que la façon dont Wright eomprend l'usage que fait Paul de l'Écriture ne tient pas suffisamment eompte des teehniques d'exégèse juive. J. White discute son approche narrative et remet notamment en question l'idée, si importante pour la reconstruction de Wright, d'un exil continu dans lequel les juifs auraient eu conseience de vivre. On aborde ensuite le contexte, à savoir l'environnement philosophique, politique et religieux. J. H. Charlesworth salue l'importance que Wright accorde au judaïsme du Second Temple mais interroge, sur de nombreux points, la reconstitution qu'il en propose. G. Sterling appréeie, quant à lui, la plaee qu'il aceorde à la philosophe hellénistique, tout en relevant aussi eertaines absences. J. G. Hanges pense que Wright a tendance à majorer l'influence des formes de culte romaines, dans le cadre notamment des cités grecques. S. Kim reste seeptique quant à l'importance aecordée par Wright à un message anti¬ impérial de Paul. Suivent les questions exégétiques. G. Tatum craint que les présupposés de Wright entaehent en fait son traitement de questions aussi fondamentales que l'Alliance et la Loi, et S. Grindheim qu'il se méprenne sur la voeation

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d'Israël, vocation plus cultuelle que messianique. J. Dunn regrette que les apports de la nouvelle perspective sur Paul soient balayés d'un revers de main par Wright, tandis que P. Stuhlmaeher, nettement plus nuaneé, estime toutefois que sa conception de la justification nécessite une révision complète. A. Lee pense que le fait de comprendre le messianisme en fonction de l'élection, et non pas du monothéisme, est problématique. Th. Hewitt et M. Novenson relèvent l'intérêt de la eoneeption partieipative du messianisme que met en œuvre Wright tout en estimant qu'il parvient à une conclusion juste par un raisonnement erroné. L. Hurtado interroge la thèse, que Wright défend, selon laquelle la eonvietion que le retour de YHWH à Sion se serait aecompli à travers la venue de Jésus serait à l'origine même de la ehristologie. J. Levison passe au crible la pneumatologie de Wright et estime qu'elle va trop loin sur certains points, comme le fait que l'habitation de l'Esprit au sein de la commu¬ nauté signifierait le retour de la Shekinah. T. Jantseh interroge la théologie que Wright impute à Paul au miroir des reeherehes conduites sur Rm, tandis que J. Frey remet en question la neutralisation de l'apocalyptique qu'opère Wright en gommant tout horizon futur. R. Bell entre en dialogue sur la question de l'esehatologie individuelle en lien avee la question du Jugement dernier et de la vie après la mort. V. Rabens aborde l'éthique paulinienne et consonne avee la pereeption qu'en a Wright, même s'il considère que ce dernier mini¬ mise en l'occurrence la place qu'il convient d'accorder à la justification. Viennent enfin les implications. A. McGowan traite de l'ecclésiologie ; J. Crossley et K. Edwards étudient la manière dont l'analyse de Wright fonc¬ tionne dans le eadre de la postmodernité. F. Maeehia revient sur l'ecelésiologie de Wright et trouve sa force dans le fait qu'elle est résolument englobante. S. Ensminger compare la théologie de Wright à celle de Barth. E. Humphrey se penche sur le rôle et la signification qu'il assigne aux sacrements, et E. Schnabel explore la façon dont il considère et eomprend la mission. Les réponses de Wright closent eet ensemble que complètent plusieurs index, des textes anciens et des auteurs modernes cités, des pages du double opus de Wright qui sont commentées au fil de l'ouvrage, et, enfin, thématique. Ch. Grappe

Nieholas A. Meyer, Adam s Dust and Adam s Glory in the Hodayot and the Letters of Paul. Rethinking Anthropogony and Theology, Leiden - Boston, Brill, 2016, viii + 291 pages (Supplements to Novum Testamentum 168), ISBN 978-90-04-32291-2, 125 €. Version révisée et complétée d'une thèse préparée sous la direction de Stephen Westerholm et d'Eileen Schuller à McMaster University, l'ouvrage compare, comme l'indique son titre, les traditions anthropogoniques que l'on trouve dans le Rouleau des Hymnes à Qumrân et eelles que l'on reneontre chez Paul. Il se penche sur les Hymnes et y note la présence de traditions de deux ordres : celles qui ont trait à l'Adam fait de poussière (Gn 2,6-7), qui relèvent du motif de l'auto-abaissement et remettent fondamentalement en cause, dans le présent, les privilèges inhérents à l'éleetion ; celles qui visent l'Adam de gloire, créé à l'image de Dieu (Gn 1,26-28) et de peu inférieur à Elohim

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(Ps 8), et qui sous-tendent la vision d'une humanité exaltée à l'horizon eschatologique et recouvrant alors la gloire d'Adam. La tension entre ces deux représentations est bien réelle, et finalement imputable au plan divin reflété par la structuration même du cosmos et caractérisé par le règne temporaire du mal et de l'Esprit de ténèbres, cela même si la nature humaine peut être purifiée et si les élus peuvent s'associer aux anges et être ainsi en communion avec la sphère céleste dans le culte de la communauté qui s'identifie elle-même à la Plantation divine, et donc au jardin d'Eden. L'A. passe ensuite à Paul, mais en deux temps. Le premier est dévolu aux écrits autres que Rm (Ga 3,28 ; 1 Co 11,7-12 ; 15,20-28.45-50 ; 2 Go 3,18 ; 4,4-6 ; Ph 2,6-11 ; 3,20-21) puis à cette dernière épître (Rm 5,12-21 ; 7,7-12 ; 8,18-23). Il fait valoir, à propos des premiers, que Paul prend en compte, dans le présent, le statut normatif de l'ordre de la Création, marqué par l'incomplétude, mais qu'il anticipe simultanément l'assimilation à l'image de Dieu sur le modèle de l'image céleste du Christ ressuscité qui vient réconcilier la Création et qui prend la tête d'une humanité nouvelle conformée précisément à son image céleste. Il relève que Rm insiste davantage sur les conséquences de la chute mais s'avère en cohérence avec le modèle présent dans les autres épîtres. Il n'envisage à aucun moment l'hypothèse selon laquelle Rm 8,2, qui parle de la Loi de l'Esprit de la vie libératrice de la Loi du péché et de la mort, puisse faire allusion à une tradition elle-même adamique, cela dans la mesure où, en 4 Esdras 3,4-5, il est indiqué qu'Adam, créé à l'état de corps mort, a accédé à la vie par l'Esprit de vie, ce qui serait pourtant allé dans le sens de sa démonstration, laquelle est menée de manière à la fois nuancée, rigoureuse et méthodique. Ch. Grappe r Frantisek Abel, The Psalms of Solomon and the Messianic Ethics of Paul, Tubingen, Mohr Siebeck, 2016, xv + 355 pages (Wissenschaftliche Unter- suchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe 416), ISBN 978-3-16-153991-6, 89 €. Dans le présent ouvrage, ΓΑ., qui enseigne à la Faculté de Théologie luthérienne évangélique de l'Université Comenius à Bratislava, s'emploie à montrer que les Psaumes de Salomon, et plus particulièrement les chap. 17 et 18 en leur sein, constituent, dans une très large mesure, l'arrière-plan sur lequel s'est formée et s'est développée l'éthique messianique paulinienne, y compris sa doctrine de la justification. Il commence par situer la littérature deutérocanonique dans le contexte du judaïsme du Second Temple puis présente les Psaumes de Salomon en lien avec les conceptions messianiques juives. Il analyse ensuite tant les Psaumes de Salomon que le message de Paul dans le contexte de ce qu'il considère être l'éthique messianique, avant de contextualiser l'éthique messianique de Paul en lien avec les Psaumes de Salomon. Il nous faut avouer notre perplexité devant la thèse présentée qui associe, dans la lecture effectuée des Psaumes de Salomon, venue du Messie et Jugement dernier, comme si cela relevait de l'évidence, et qui donne, à nos yeux, la fâcheuse impression que tout est dans tout et réciproquement, ce que pourra illustrer la conclusion suivante : « l'usage que fait Paul des concepts

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de justice, de justification et de grâce [...] se rapporte, comme dans les Psaumes de Salomon, à tous les thèmes majeurs de la tradition religieuse juive fondée sur la compréhension de la justice de Dieu et de la grâce, ce qui est le thème des pécheurs et des justes, du péché et de l'expiation, de l'alliance et de la loi, avec une concentration sur l'apogée finale que constitue le Jugement dernier qui, dans le eontexte de la pensée théologique de Paul, est liée à la parousie du Christ, le Messie davidique » (p. 254). Elle reflète selon nous une tendance à la confusion ou à l'assimilation hâtive des concepts qui nous paraît malheureusement grever l'ensemble de l'ouvrage, lequel aura sans doute du mal, malgré le souhait exprimé par ΓΑ., à « introduire quelque chose de vraiment neuf dans le champ de la théologie de Paul » (p. 285). Ch. Grappe

Caria Swafford Works, The Church in the Wilderness. Paul's Use of Exodus Traditions in 1 Corinthians, Tubingen, Mohr Siebeck, 2014, xlll + 205 pages (Wissensehaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe 379), ISBN 978-3-16-153605-2, 64 €. Cet ouvrage est la révision d'une thèse de doctorat soutenue à Princeton. Il porte sur la manière dont Paul s'est servi de la tradition juive de l'exode pour exhorter les frères et les soeurs de Corinthe - pour la plupart d'origine polythéiste - à vivre en tant qu'Eglise de Dieu. Après avoir brièvement campé au chap. 1 l'atmosphère religieuse bigar¬ rée dans laquelle baignait alors la eité isthmique et rappelé que toute paideia contribuait à affûter le sens identitaire d'un groupe, l'A. focalise son atten¬ tion tout d'abord sur 1 Co 10,1-22 - au motif que les allusions à l'exode y sont plus marquées -, puis sur 1 Co 5,6-8, intéressée qu'elle est par la manière dont le Tarsiote réinterprète la tradition de l'exode en fonction de la croix. Non sans se demander dans quelle mesure les destinataires corinthiens étaient préparés à suivre cette nouvelle et subtile relecture. Intitulé « Un "nouveau" passé », le chap. 2 scrute la façon singulière dont Paul adapte en 1 Co 10,1-13 les différents éléments empruntés au récit identitaire de l'exode afin qu'ils parlent à ceux qui sont présentés comme des descendants pour le moins indireets de la génération du désert et leur évitent de tomber dans les mêmes travers que eette dernière. Au chap. 3, l'A. s'intéresse à la stratégie en trois temps déployée en 1 Co 10,14-22 pour rendre consciente la communauté corinthienne des impli¬ cations possibles de repas pris dans des temples d'idole. Elle analyse en conséquence la manière Paul dont rappelle le sens ultime du repas du Seigneur (v. 16-17), insiste sur la eommunion avee l'autel ou avee les démons (v. 18.19-20) et évoque la jalousie de Dieu (v. 21-22). Au chap. 4, ce sont avant tout les aspects christologiques et identitaires d'I Co 5,6-8 qui sont mis en avant dans ce qui veut être l'argument décisif en faveur de l'exclusion de l'homme qui vit avec sa marâtre afin que la commu¬ nauté « soit » effectivement qui elle « est » par l'appel de Dieu. Ce travail jette indéniablement un éelairage intéressant sur les deux pas¬ sages étudiés, et l'on ne peut que reeommander sa consultation. On regrettera

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toutefois que l'enquête n'ait pas été poussée davantage, ce qui aurait permis d'offrir des résultats un peu plus pointus. D. Gerber

Régis Bumet, Didier Lueiani, Geert Van Oyen (éd.), The Epistle to the Hebrews. Writings at the Borders, Leuven - Paris - Bristol, Peeters, 2016, VIII+ 266 pages (Contributions to Biblical Exegesis & Theology 85), ISBN 978-90-429-3322-4, 58 €. Fruit d'un colloque qui s'est tenu à Louvain-la-Neuve en avril 2014, l'ouvrage rassemble douze contributions. En ouverture, R. Burnet s'interroge, à la lumière de l'histoire de la recherche, sur les frontières que traee Hébreux, que l'écrit ait été ou soit conçu à la frontière entre judaïsme et christianisme, entre judéo-christianisme et pagano-christianisme, voire entre helléno-chrétiens eux-mêmes, ou encore à la lumière des frontières internes au judaïsme et, désormais, de plus en plus, aux frontières de l'identité et aux eonfins de 1'« apatridité ». La première partie s'intitule « Hébreux et les frontières internes du judaïsme ». P. Tomson fait valoir qu'He contribue grandement à la reconsti¬ tution de la carte du monde antique en tant que témoin d'un judaïsme helléno- phone dont presque toute la littérature a été perdue. S. Belanger fait valoir que la présence et le traitement de la figure de Melkisédeq illustrent que, loin d'être un écrit marginal. He se situe pleinement à l'intérieur des frontières du judaïsme. G. Steyn se propose d'explorer, à l'aune du chap. 1, une hypothèse selon laquelle les destinataires auraient pu se trouver en Egypte, à Léontopolis, ville dans laquelle, selon Josèphe, Onias IV avait érigé un temple juif au if siècle avant notre ère. G. van Oyen compare He et Me et constate que, malgré leurs différences, il s'agit bien de deux écrits qui se situent à la frontière. La deuxième partie traite d'He et des frontières de l'identité. K. Berthelot étudie le déplaeement qu'opère He 11 de la terre promise vers la eité céleste, du eulte terrestre au eulte eéleste et envisage que l'on puisse voir là non seulement une polémique vis-à-vis du culte juif mais aussi un rejet du système cultuel de l'Empire romain. J.-M. Carrière caractérise, à la lumière d'He 4,11 ; 9,8 ; 11,16 et 13,13 - il y a en fait une erreur dans le titre de sa contribution -, la vie chrétienne qu'He conçoit comme une vie à la frontière car, s'il s'agit d'entrer, il s'agit d'accéder en même temps en dehors de la ville et du camp. G. Campbell fait valoir que le Christ est conçu en fait, à la suite de son aeeès au sanetuaire eéleste, eomme le pionnier ou le premier de cordée de pèlerins assurés d'avoir part dès lors au culte céleste. La troisième partie aborde He et la vie à la frontière. G. Gelardini étudie la spatialité critique d'He qui promeut, en s'adressant à des chrétiens margi¬ nalisés, une existenee au-delà des frontières dans une forme de contre-espaee qui requiert, dans le présent, une forme de résistance, à l'horizon de l'aeeès futur à la Jérusalem céleste. E. Aitken se concentre sur la transformation de la liminalité à laquelle on assiste au sein du discours qui part du constat de la multiplicité pour inviter les destinataires à n'avoir d'autre ancrage que la singularité de la parole que Dieu leur adresse en le Fils. Enfin, B. Bourgine effectue une relecture théologique d'He dans le contexte de la modernité tardive

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et réaffirme sa force, qui consiste à mobiliser la foi et à ancrer l'existence dans le ciel d'une espérance. Un bel ensemble, à la fois divers et cohérent, soigneusement édité et complété par un index des textes anciens cités. Ch. Grappe Gabriella Gelardini, Harold Attridge (éd.), Hebrews in Contexts, Leiden - Boston, Brill, 2016, xxlll + 385 pages (Ancient Judaism and Early Chris¬ tianity 91), ISBN 978-90-04-31168-8, 135 €. L'ouvrage présente une sélection de dix-huit contributions parmi les soixante-six qui ont été présentées dans le cadre des séminaires consacrés à Hébreux lors des rencontres annuelles de la Society of Biblical Literature de 2005 à 2014. Quatre grands contextes sont envisagés. Tout d'abord, le contexte juif. D. Boyarin fait valoir qu'il pourrait y avoir un grand intérêt à lire He en tant qu'exemple ancien d'une forme de midrash. D. Kim montre que, comme He 3, le targum du Ps 95 effectue un lien entre repos et sanetuaire, et J. Lierman que la présentation de Moïse en tant que prêtre et apôtre [sic] en He 3,1-6 a de nombreux parallèles dans la littérature juive. E. Mason met enfin en lien He 1,7.12 et les traditions juives relatives à l'origine des anges. On passe ensuite aux contextes gréco-romain et critique vis-à-vis de l'Empire. F. Graf rattache He 5,11 à la rhétorique de propagandistes itinérants et propose que l'auteur d'He ait été lui-même un prophète itinérant. J. Rtipke et H. Maier, qui situent tous deux la rédaetion d'He à Rome, proposent respec¬ tivement que les innovations apportées par les Flaviens dans la conception du sacerdoce et que l'iconographie flavienne relative au sacrifice impérial et l'expérience concrète de la reconstruction de la capitale de l'Empire après la Guerre civile s'y reflètent. Dans une perspective semblable, J. Whitlark estime que l'association des notions de paix et de victoire, eommune dans la propa¬ gande impériale, se retrouve en He 13,20-21 et soit préparée dans les premiers chapitres pour contrer ladite propagande. Viennent alors les contextes spatiaux. J. Berquist applique une théorie de la spatialité pour éelairer, à partir de notions eomme le Temple et le corps de Jésus conçus simultanément comme étant absents et pourtant permanents, la rhétorique d'He qui conduit hors les murs et dans le cœur. La regrettée E. Aitken propose qu'He reconfigure l'espace rituel et que, au niveau de l'espaee troisième (réel et imaginé), l'écrit promeuve une forme radicalement nouvelle de citoyenneté, celle de la cité à venir, pour faire pièce à l'espace rituel, sacrificiel et monumental de Rome. G. Gelardini applique à son tour les méthodes de l'analyse spatiale à He 13, et surtout aux versets 11-13, et considère que trois espaces s'y superposent (Jérusalem, le eamp du désert et Rome). K. Schenck procède à une archéologie de l'imagerie du Tabernacle en He, et D. Moffitt met en avant le concept d'analogie pour expliquer au mieux la façon dont se superposent entrée du grand prêtre dans l'espaee sacré terrestre du Temple et entrée de Jésus dans l'espaee saeré ultime au sein du sanctuaire céleste.

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La dernière partie traite des contextes de l'histoire de la réception et de l'herméneutique. H. Attridge montre que la lecture canonique que les Pères effectuent d'He est une sorte d'épée à double tranchant qui peut tordre le texte mais aussi en montrer toute la force, comme c'est le cas quand Chrysostome interprète à la lumière d'He et de Jn l'efficacité de la mort sacrificielle du Christ. G. Koester montre avec brio qu'He est interprété de bien des manières, en fonction des confessions et des circonstances, à l'époque contemporaine. J. Svartik étudie l'histoire de la réception d'He 8,13 et plaide, en empruntant le motif du pèlerinage, en faveur d'une lecture non pas en termes de supé¬ riorité (suprasessionist) mais de continuité. P. Eisenbaum propose quant à elle, en reprenant les catégories de Jonathan Smith, de substituer une lecture utopique d'He à une lecture locative. Enfin, E. et W. Stegemann interrogent les lectures de type suprasessionist et se demandent si elles relèvent de la signification du texte ou de la construction de l'interprète. Un bel ensemble qui a notamment le mérite de présenter de nouvelles voies explorées par la recherche et de donner à réagir et à penser. Ch. Grappe

Ole Jakob Filtvedt, The Identity of God's People and the Paradox of Hebrews^ Tubingen, Mohr Siebeck, 2015, xiii + 312 pages (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe 400), ISBN 978-3-16- 154013-4, 89 €. Version légèrement révisée d'une thèse préparée sous la direction de Reidar Hvalvik et soutenue à la Norwegian School of Theology durant l'été 2014, l'ouvrage s'intéresse à la façon dont Hébreux comprend ce que signifie le fait d'appartenir au peuple de Dieu et de s'identifier comme en en faisant partie ainsi qu'à la manière dont l'identité en tant que membre du peuple de Dieu y est façonnée par l'événement Jésus-Christ. Après une solide introduction dans laquelle l'A. montre comment a été envisagée, dans la tension entre continuité et nouveauté, la question du judaïsme et de l'identité juive, dans la recherche relative à He, entre théories du conflit, théories du repoussoir et théories internes (In-House Theory), il pose le cadre de sa propre enquête, qui se veut alternative, en creusant la notion d'identité, le concept et les théories d'identité sociale et en s'interrogeant sur la construction de l'identité en He. L'enquête elle-même procède en cinq étapes. Il est d'abord question de Jésus en tant que représentant idéal du peuple de Dieu, Jésus qui, climax des Écritures et simultanément représentant idéal du peuple, a accompli un voyage, de la souffrance à la glorification, et a été conduit par son Père à l'héritage, le monde à venir, qui est le pendant du pays de la promesse. La radicale nouveauté d'He s'inscrit ainsi d'emblée dans le registre de la conti¬ nuité, et c'est ce qui fait le paradoxe de cet écrit. Le concept de Nouvelle Alliance est ensuite exploré en lien avec l'identité du peuple de Dieu. L'A. fait ici valoir que la notion d'Alliance a pour fonction-clé de rendre compte de la signification de l'événement Jésus-Christ sur le plan horizontal. La Nouvelle Alliance s'inscrit dans la continuité tout en étant également différente, mais elle s'adresse au peuple de Dieu, alors même que les contours de ce

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peuple ne sont jamais définis avec précision, l'essentiel étant d'imaginer à frais nouveaux ce que signifie appartenir au peuple de Dieu. Le ehapitre suivant, qui traite du peuple de Dieu célébrant en présenee de Dieu, dès lors que le Christ a donné accès à Lui en tant que pionnier, vient donner la réponse. L'appartenance au peuple de Dieu est définie par l'adhésion au Christ, si bien que le eulte, la vie entière et l'identité sont eonçus en fonction de lui, sans pour autant que le eulte soit complètement détaehé de l'aneien système sacrificiel, qui est soumis à la critique, non pas pour avoir été inapproprié, mais pour n'avoir pas été efficace. L'A. en vient alors à la façon dont He commémore le réeit d'Israël et fait valoir que la relation qui en est faite se foealise sur l'aeeomplissement des promesses de Dieu et sur la question de savoir si le peuple va, ou non, y répondre par la foi. C'est à nouveau l'événement Christ qui fait fonction de clé herméneutique et, dès lors, ce récit peut aisément s'aceommoder d'une coneeption ouverte, éthique et non plus ethnique, du peuple de Dieu. Le parcours s'achève en compagnie du peuple de Dieu, appelé à sortir de son propre camp (He 13,13), en subver- tissant le culte, par Jésus, et en reconfigurant la carte rituelle dans le cadre d'un culte eélébré non plus à Jérusalem mais dans l'attente de la eité à venir. L'A. opte finalement pour un modèle qui se situe entre théories internes et théorie du conflit, ou plutôt les dépasse toutes, en eonjuguant à la fois continuité et nouveauté et en ne renonçant jamais à aucune des deux. Un ouvrage plein de finesse et de richesses, complété par des index des textes anciens et des auteurs modernes cités et par un index thématique. Ch. Grappe

Markus-Liborius Hermann, Die « hermeneuîische Stunde » des Hebràerbriefs. Schriftauslegung in Spannungsfeldern, Freiburg im Breisgau, Herder, 2013, xii + 401 pages (Herders Biblische Studien 72), ISBN 978-3-451- 30775-1, 60 €. Version légèrement abrégée et révisée d'une thèse préparée sous la direc¬ tion de Claus-Peter Mârz à la Faculté de Théologie catholique de l'Université d'Erfurt, l'ouvrage étudie en profondeur l'interprétation de l'Éeriture d'Hébreux. Après une introduction qui porte sur He en général, une première partie est consacrée à l'interprétation de l'Ecriture d'He en tant que telle, une interprétation déterminée par une compréhension de l'Ecriture au service de la ehristologie et qui se déeline, selon les cas, en termes de typologie, ver¬ ticale (en lien avee le surpassement esehatologique survenu en Christ) ou horizontale (en termes d'histoire du salut), d'allégorie ou encore d'inter¬ prétation de caractère midrashique. L'A. relève ici que l'Ecriture revêt un caractère eonstitutif pour la théologie d'He, qui parle d'ailleurs un langage biblique, si bien que l'Ecriture revêt une importance telle qu'elle peut devenir la clé de compréhension de l'écrit. F L'A. situe ensuite l'interprétation de l'Ecriture d'He sur l'horizon de celle que l'on observe à l'éehelle du NT. 11 relève qu'une même importance est aeeordée à l'Éeriture interprétée elle-même à la lumière de la venue du Christ, mais relève aussi des différences, comme le fait que l'auteur reeourt à

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