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Classiques Garnier

XVIIe siècle - XVIIIe siècle

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La présente édition se fonde sur le texte de 1563 (la pagination de cette édition originale est donnée dans le texte, entre crochets droits), mais en excluant les Lamentations. L'annotation réalisée par les Ed. est importante, sans toutefois se montrer envahissante. Elle a trait tant à des questions théolo¬ giques qu'à des problèmes historiques ou philologiques et rhétoriques. En effet, dans ses praelectiones, Calvin s'inspire du genus didascalicon (Melanchthon), qui expose le contenu de la Bible à l'aide des lieux communs de la théologie et des méthodes de la rhétorique et de la dialectique. Le Réformateur accorde une attention toute particulière à l'intention argumentative du texte et s'attache à démontrer la véracité des discours de Jérémie et, partant, la fausseté des positions de ses adversaires, qu'ils soient juifs ou païens. Les allusions à la Bible, aux auteurs de l'Antiquité et du Moyen Âge sont explicitées, et les Éd. comparent fréquemment l'interprétation de Calvin avec celle de ses contemporains Santé Pagnini, Sébastien Munster, Jean Œcolampade, Huldrych Zwingli et Heinrich Bullinger. L'édition proprement dite est précédée par une introduction substantielle (p. IX- xxvill). Èlle est attentive aux éléments rhétoriques (avec les « éléments d'oralité » des praelectiones) et théologiques des leçons, mais on aurait souhaité qu'elle situât plus finement ces cours dans le contexte des années 1559-1562 et qu'elle les comparât, fût-ce brièvement, aux autres grands travaux de Calvin durant cette période. La bibliographie (p. XXXI-XL) ne donne pas systématiquement les références des pages des articles cités (on rectifiera par ailleurs, p. xxxviii, « Peter, Rodolphe »). Outre un index des noms de personnes (p. 1857-1865) et un index des références bibliques (p. 1867-1882), on trouvera un précieux index des mots et locutions en français (p. 1883) : en effet, â une quarantaine de reprises, Calvin introduit dans son commentaire latin des termes ou des expressions en français (quemadmodum gallice dicimus) pour mieux expliquer le prophète à ses auditeurs. On saluera avec beaucoup de respect et de reconnaissance ce travail colossal d'édition. M. Arnold

IL XVIL - XVIIL SIÈCLES Eva Johanna Schauer, Prinzessin Antonia von Wiirttemberg und ihr Heilsweg auf der Teinacher Lehrtafel, Stuttgart, Schneidereditionen, 2016, 226 pages, 188 illustrations dans le corps de l'ouvrage + une reproduction, en trois volets, des différents panneaux de l'œuvre insérée dans une jaquette, ISBN 978-3-943305-20-3, 78 €. Le retable didactique de la princesse Antonia de Wûrttemberg (1613-1679) qu'abrite, en Forêt-Noire, l'église de Bad Teinach, fascine depuis sa réali¬ sation dans les années 1659-1663. Il a donné lieu très tôt â des commentaires, l'un de Johann Jacob Strôlin (1663) et l'autre, détaillé, revêtant la forme d'un poème latin d'une soixantaine de pages, intitulé Pictura docens, de Johann Laurentius Schmidlin. Il a fait l'objet, un siècle plus tard, d'approches diver¬ sifiées de la part de Georg Hârlin (théologique) et de Friedrich Oetinger (1763) (philosophique et ésotérique) et, plus près de nous, d'études à accentuations

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également diverses de la part notamment d'Otto Betz (biblique, iconographique, kabbalistique et théologique), Friedrieh HâuBermann (pansophique), Ernst Harnisehfeger (anthroposophique), Elisabeth Moltmann-Wendel (féministe)... L'A. revendique, quant à elle, une approche nouvelle et résolument glo¬ bale, inspirée par l'iconologie telle qu'elle s'est développée à partir des travaux d'Aby Warburg (Panofsky, Gombrich...) et qui se fonde sur la conviction selon laquelle toute tentative d'extraire une image de ses liens avee la religion, la poésie, le culte ou encore le drame équivaut à la priver de la sève qui lui permet de parler (p. 22). Le parcours qu'elle adopte illustre cette méthode. Elle commence par étudier le eontexte personnel et spirituel qui contribue à expliquer l'émergence de l'œuvre, qu'il s'agisse de la famille, de l'édueation, de la formation (musicale, botanique, linguistique, kabbalistique, gématrique...) ou encore de la personnalité de la princesse elle-même, mais aussi de ses lectures, connues grâce à la liste des livres qu'elle possédait et qui peuvent rendre compte de tel aspect de l'œuvre. Son ancrage intellectuel est évoqué à travers la présentation de l'Université de Tubingen et du cerele de eeux qui furent les eonseillers de la princesse et dont les quatre grands prophètes (Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel et Daniel) revêtent, respectivement et de manière personnalisée, les traits dans le retable : Johann Valentin Andreae, Johann Jakob Heinlein, Johann Jabob Strohlin, Johann Laurentius Sehmidlin. Enfin, le peintre lui-même, Johann Friedrich Gruber, qui pourrait avoir attribué son visage et celui de son fils aux deux chérubins qui se trouvent de part et d'autre du médaillon de la princesse, tout en haut du panneau central du retable. L'A. situe ensuite le retable dans le contexte théologique, culturel et artis¬ tique qui l'a vu naître. Une deseription extrêmement minutieuse des deux principaux panneaux (avec, selon le cas, les noms des personnages ou des numéros en surimpression, ce qui permet une lecture et un déchiffrement eommodes) est fournie, ainsi que des éléments illustrant à la fois la manière dont le retable, très original, a été pensé et eelle dont il a pu aussi puiser à des représentations antérieures et contemporaines, incluant les réinterprétations chrétiennes de la kabbale. Enfin, l'A. s'emploie, dans une perspeetive dramaturgique, à décoder l'œuvre et en trouve la elé dans la représentation du personnage qui, retable fermé, ouvre le cortège des femmes qui se rendent, en cinq rangées succes¬ sives, aux noces avec l'Époux, personnage qui n'est autre que le princesse elle-même. Elle lit dès lors le retable comme un drame en trois actes qui s'ouvre par le eantique en trois strophes prenant place entre ledit cortège et le chœur des anges. Le premier acte serait constitué par la rupture avec le monde profane que figurerait, sur le retable fermé, le fait que le cortège des femmes s'éloigne de la femme de Lot, qui se tient pétrifiée en bas et à droite, et s'élève à partir de là. Le deuxième acte serait représenté par les panneaux latéraux qui, avec la figuration en vis-à-vis de la fuite (nocturne) en Égypte, sur laquelle rayonne la figure du Christ, et du sauvetage (diurne) de Moïse des eaux, évoqueraient la nouvelle naissance. Le troisième acte serait illustré par le panneau central du retable ouvert montrant la princesse entrant dans le Jardin-sanctuaire et figurerait la résurrection et l'accès à une communauté nouvelle. L'épilogue serait représenté par le monogramme de la princesse qui eouronne ledit panneau central et exprime sa eonviction d'avoir atteint la forteresse de son salut. Le fait que plusieurs femmes du cortège, et même le

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Christ qui l'accueille, ainsi que les douze fils de Jacob et les quatre évangélistes, revêtent respectivement les traits des parents proehes d'Antonia, de membres de la eour de Wûrttenberg et de personnages eonsidérés eomme des phares de l'humanité, cela au sein d'un ensemble qu'irriguent les sephirôt, est inter¬ prété comme l'expression d'un mystère qui consiste à concevoir sa propre vie dans une perspeetive eultuelle et comme une forme de rite de passage conduisant à la communion plénière. Cela, en assoeiant le plus grand nombre à la destinée individuelle de la princesse, demeurée célibataire et pourtant convaincue que les convictions et les valeurs qui l'ont animée, et qu'elle a tenu à dépeindre sur ee qui peut être eonçu à la fois comme l'expression d'une mystagogie et comme une épitaphe, mènent ultimement à la vie. Un bel ouvrage, remarquablement pensé et magnifiquement illustré. Ch. Grappe Reinhard Gruhl, Die kabbalistische Lehrtafel der Antonia von Wûrttemberg. Studien iind Dokiimente ziir protestantischen Rezeption judischer Mystik in einem friihneuzeitlichen Geîehrtenkreis, Berlin - Boston, Walter de Gruyter, 2016, lx + 522 pages (Fruhe Neuzeit 172), ISBN 978-3-11- 046284-5, 149,95 €. Le propos du présent ouvrage est fort différent de celui du préeédent. Ici, nulle ambition de proposer une approche globale, mais le propos délibéré de formuler au mieux une série de questions et de difficultés relatives à Γ arrière-plan kabbalistique du retable, dans le but de faire avancer une recherche qui a, pour l'A., été balisée de façon décisive par l'ouvrage d'Otto et d'isolde Betz, Licht vom unerschajfenen Licht. Cela ne l'empêche pas de considérer, comme Sehauer avee laquelle il s'aeeorde pour y voir une sorte de dramaturgie de la piété, que l'œuvre doit se comprendre aussi comme une forme d'épitaphe de la princesse en raison notamment du consummatum est plaeé au cœur d'une couronne de laurier entre le Christ et Antonia sur le retable fermé figurant le eortège nuptial. Mais venons-en au contenu de l'ouvrage. L'A. commence par prendre en compte les travaux antérieurs de Strôlin, de Schmidlin et d'Oetinger, tout en les remettant en perspeetive les uns par rapport aux autres et en mettant en évidenee les dissonances que l'on observe parfois entre les deux premiers ou bien entre eux deux et le retable lui-même sur certains points de détail ou de plus grande importance. 11 présente ensuite le matériel kabbalistique que l'on trouve respective¬ ment dans le livre de prière de la princesse Antonia, donnant accès à sa piété quotidienne, dans les études kabbalistiques de Strolin et dans les avant-projets du retable au sein desquels l'assimilation des trois premières sephirôth à la Trinité et de la dixième au Christ, souree de grâce, s'avère particulièrement révélatrice. Il ressort, pour l'A., de l'étude de cette documentation, une sorte d'amalgame entre la kabbale chrétienne et la théologie luthérienne à l'époque où a été réalisé le retable. 11 se concentre enfin sur la représentation des ancêtres des douze tribus sur le panneau central du retable ouvert, qui peut donner lieu à des identifica¬ tions discordantes chez Strolin et Schmidlin, ou bien à des dissonances entre

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eux et le retable, et fait valoir qu'elles nous donnent accès à des conflits d'interprétation au sein même du eercle des conseillers d'Antonia, eercle qui ne se restreignait pas aux deux personnages susnommés. L'ensemble est complété par des documents d'archives qui sont reproduits et mis ainsi à la disposition des chereheurs : aneiennes deseriptions du retable didactique, lettres et brouillons de correspondances entre Antonia, Andreae, Wilhelm Koch, Schmidlin, Strôlin et Steudner, et quelques autres documents venant éelairer le sujet traité. Une étude précieuse, qui vient de manière heureuse compléter la documen¬ tation aisément accessible à ceux que passionne le retable ou qui s'intéressent aux formes de piété à l'époque de sa eoneeption. Ch. Grappe Correspondance de Pierre Bayle. Tome X : Avril 1696-juillet 1697, lettres 1100-1280. Publiées et annotées par Elisabeth Labrousse (f) et Antony McKenna, Hubert Bost et al, Oxford, Voltaire Foundation, 2013, xxvll + 709 pages, 15 illustrations, ISBN 978-0-7294-1026-7, 176 €. Correspondance de Pierre Bayle. Tome XI : Août 1697-décembre 1698, lettres 1281-1405. Publiées et annotées par Elisabeth Labrousse (|) et Antony McKenna, Hubert Bost et al, Oxford, Voltaire Foundation, 2014, XXVI+ 537 pages, 13 illustrations, ISBN 978-0-7294-1027-4, 162 €. Correspondance de Pierre Bayle. Tome XII : Janvier 1699-décembre 1702, lettres 1406-1590. Publiées et annotées par Elisabeth Labrousse (t) et Antony McKenna, Wiep van Bunge et al, Oxford, Voltaire Foundation, 2015, xxvi + 597 pages, 15 illustrations, ISBN 978-0-7294-1028-1, 169 €. Correspondance de Pierre Bayle. Tome XIII : Janvier 1703-décembre 1706, lettres 1591-1741. Publiées et annotées par Elisabeth Labrousse (|) et Antony McKenna, Wiep van Bunge et al, Oxford, Voltaire Foundation, 2016, XXX+ 625 pages, 15 illustrations, ISBN 978-0-7294-1069-4, 165 €. La parution de cette édition critique de la correspondance de Bayle se poursuit sous la diligente direction d'Antony McKenna - pour les tomes I à IX, voir les recensions dans RHPR 80, 2000, p. 543 sq. ; 86, 2006, p. 558 sq. ; 87, 2007, p. 491 ; 88, 2008, p. 554 ; 90, 2010, p. 112 sq. et 585 sq. ; 91, 2011, p. 598 sq. ; 93, 2013, p. 592 sq. Les volumes X à XII eouvrent les années 1696 à 1702, soit la période qui va de la première à la seeonde édition du Dictionnaire historique et critique, marquée par les remous que suscite la réception de cet opus magnum dont la réputation s'est rapidement étendue à toute l'Europe. Du côté pro¬ testant, e'est le eonsistoire wallon de Rotterdam, où l'influence de Jurieu est grande, qui s'émeut de certains articles, en particulier celui eonsacré à David, mettant en évidence les faiblesses du grand roi, ainsi que d'autres opinions non-conformistes sur l'athéisme, sur le manichéisme, sur le pyrrhonisme, et d'une liberté de ton sur la vie amoureuse et sexuelle des personnages étudiés où l'on voit des « obscénités ». On trouve dans ees volumes l'échange de correspondance entre le philosophe réformé et l'instance ecclésiastique qui

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entend censurer l'ouvrage : il a fait l'objet d'une monographie d'Antony McKenna et Hubert Bost : «L'Affaire Bayle » (Institut Claude Longeon, Saint-Etienne, 2006). On retrouve également en annexe à ehaque volume les étapes de cette « Affaire Bayle » dans les actes du consistoire de Rotterdam. Bay^le répondra avec habileté et fermeté à ces critiques dans les quatre « Eclaircissements » insérés dans la seconde édition. Du eôté catholique, le Dictionnaire est interdit en France à la suite d'un rapport très négatif de l'abbé Eugène Renaudot, et Jurieu s'empresse de rendre public ce texte en y ajoutant des extraits anonymes d'opinions hostiles : on trouve ce Jugement du public en annexe au tome X. Bayle réagit par de copieuses Réflexions (t. XI, p. 88-131) auxquelles Jurieu va répondre (t. XI, p. 239-248). Les réactions se font entendre aussi du côté des philosophes. Exact contemporain de Bayle, Leibniz est cité élogieusement dans le Dictionnaire à l'article « Rorarius ». Il réagit tout d'abord indirectement dans VHistoire des ouvrages des savons de Basnage de Beauval et dans une lettre à Malebranche, puis échange direetement avee Bayle, parfois par l'intermédiaire de Toland que Bayle avait reneontré à Rotterdam. Les lettres iei publiées de eet éehange - certaines sont perdues - révèlent une grande estime réciproque et surtout le désir désintéressé de eomprendre les objeetions de l'autre et de faire progresser le débat (tant sur les lois du mouvement que sur l'harmonie préétablie) pour approcher au mieux la vérité (voir les études de Martine de Gaudemar et de Rachel Remiatte dans I. Delpla et Ph. de Robert, dir., La raison corrosive, Paris, Champion, 2003). Une autre relation remarquable est celle que Bayle noue avec le jeune patricien britannique Shaftesbury, reneontré comme Locke au Club de la Lanterne animé par le quaker Benjamin Furly et dont il a souvent partagé la table. Grâce aux lettres de Bayle (les réponses de Shaftesbury étant perdues) et aux éehanges du lord avec Pierre Des Maizeaux, on prend la mesure de tout ee que le futur auteur de la Lettre sur l'enthousiasme a reçu de son commerce avec le philosophe de Rotterdam. Parmi la centaine de correspondants de toute origine présents dans ces tomes X à XII figurent quelques-uns parmi les proches que Bayle comptait encore après la mort de ses frères, au eomté de Foix ou en exil, essentiellement des cousins germains comme Gaston et Jean Bruguière de Naudis ou Jean de Bayze. On y voit le souci de garder eontact, d'avoir des nouvelles du pays, le plaisir de recevoir une barrique de pommes et de poires du Caria, l'espoir de pouvoir à nouveau « respirer l'air natal », le souhait qu'un auteur compétent entreprenne d'éerire l'histoire du eomté de Foix, à l'image de VHistoire du Béarn de Pierre de Marea, enfin l'intérêt pour des familles amies, en partieulier celle des Dusson du Mas d'Azil, protestants convertis avant la Révocation et dont l'un, François d'Usson de Bonrepaux, exerçait de hautes fonctions dont celle d'ambassadeur auprès des Provinces-Unies, ee qui avait permis à Bayle de le reneontrer et de le sollieiter pour certains de ses cousins. Dans les lettres à Jean Bruguière de Naudis, où Bayle s'exprime avec une grande liberté de ton, on note un éehange au sujet de Claude Brousson, qui avant son arrestation était passé dans le pays de Foix et s'était entretenu avee une tante de Bayle, regrettant l'article sur David. Bien que le sachant proche des idées de Jurieu, Bayle écrit : « il ne laisse pas de mériter que tous les partis le louent de son courage et de son zèle », et il rappelle l'intention positive de l'artiele « David » qu'il a promis eependant de refondre. Faee aux critiques adressées à son œuvre par les bien-pensants, il explique également à son

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cousin (lettre 1378) sa conception du philosophe chrétien et met en avant la nécessité de « tirer des eonséquences exactes de la différence que les théo¬ logiens ont toujours mise entre les objets de la seience et les objets de la foi ». Malgré sa réserve naturelle, on a l'impression de pénétrer dans l'intimité de sa vie quotidienne et de son caractère lorsqu'il fait part de ses difficultés matérielles et de la frugalité de son existence solitaire, dont il sait se contenter avee « l'indifférence des aneiens philosophes ». Avec le t. XIII, l'édition eritique de la correspondanee de Bayle atteint les quatre dernières années de la vie du philosophe de Rotterdam. Une intro- duetion érudite d'Antony McKenna expose le eontexte de ees lettres qui prennent place juste après la parution de la seconde édition du Dictionnaire historique et critique (1702), où Bayle a ajouté quelques articles, refondu certains autres, et a surtout répondu aux critiques par quatre « Eelaireissements » sur les maniehéens, les pyrrhoniens, les athées et les « obseénités » qu'on lui reproche (voir H. Bost et A. McKenna, dir.. Les « Éclaircissements » de Pierre Bayle, Paris, Champion, 2010). Ayant adopté une position fidéiste, que Jurieu ne peut guère contester, Bayle doit affronter désormais les critiques des théologiens protestants rationalistes, essentiellement Jean Le Clerc, Isaac Jaquelot, Jacques Bernard, ainsi que l'évêque William King sur l'origine du mal. Droit dans ses bottes, Bayle maintient sa position dialectique sur la foi et la raison en s'opposant à toute synthèse entre des réalités qui ne sont pas du même ordre. On retrouve parmi les eorrespondants de eette période des amis de toujours eomme les Basnage, Du Rondel, Minutoli, Turrettini, Aneillon, Larroque, celui qui deviendra son biographe (Pierre des Maizeaux), mais aussi Shaftesbury, et de façon indirecte Locke et Leibniz. On perçoit le vif intérêt que Bayle eontinue à porter à l'actualité philosophique, politique et littéraire, en même temps que celui qu'il suseite dans l'Europe savante de ee début du XVllC siècle. Aux quelques parents qu'il a gardés au pays de Foix, ou réfugiés à l'étranger, comme à eertains amis proehes, Bayle ne cache pas au eours de la dernière année un état de santé qui se dégrade et qu'il juge irrémédiable, exprimant un certain scepticisme à l'égard de la médecine et se préparant à la mort avec une grande égalité d'âme. La dernière lettre est un petit mot adressé au pasteur André Terson : « Je sens que je n'ai plus que quelques moments à vivre ; je meurs en philosophe chrétien persuadé et pénétré des bontés et de la miséricorde de Dieu, et vous souhaite un bonheur parfait. » Aux 250 lettres de ce volume, écrites par Bayle, adressées à lui ou le concernant, s'ajoutent en annexes deux lettres inédites, une consultation rédigée par le médeein de Louis XIV et le testament de Bayle. Comme dans chaque tome de cette édition soignée, on trouve en fin de volume la liste chronologique des lettres, celle des lettres perdues, la liste alphabétique des correspondants, la bibliographie et l'index des noms de personnes. Des documents complémentaires sont prévus dans le ou les volumes à venir. Enfin, il faut rappeler la préeieuse édition électronique de cette eorrespondance sous la direction d'Antony McKenna et Fabienne Vial-Bonacci, disponible main¬ tenant sur le site bayle-correspondance.univ-st-etienne.fr. Ph. de Robert

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