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Classiques Garnier

Humanisme et Réformation

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HISTOIRE (à suivre)

I. HUMANISME ET REFORMATION Thomas Morus, De optimo reip[ublicae] statu deque nova insula Utopia, Hildesheim - Zurich - New York, Olms-Weidmann, 2016, 168 pages, ISBN 978-3-487-15361-9. é é Uber Thomas Morus ' Utopia. Herausgegeben von Joachim Starbatty. Mit ein- leitenden Essays von Otfried HofFe und Joachim Starbatty und einer Ûbersetzung von Klaus J. Heinisch, Hildesheim - Zurich - New York, Olms-Weidmann, 2016, LXV+ 127 pages, ISBN 978-3-487-15363-6, 98 €. À Toccasion du 500'' anniversaire de la parution de la célèbre Utopie de Thomas More (Louvain, décembre 1516), J. Starbatty, professeur émérite à l'Université de Tubingen, a eu l'excellente idée de faire éditer par les éditions 01ms, spécialisées dans la publication de reprints et de beaux livres, le fac- similé de l'exemplaire la première édition bâloise (Johannes Froben, mars 1518) que lui-même avait acquise il y a une vingtaine d'années. Ce fac-similéj qui reproduit avec beaucoup de soin l'original, contient la brève préface qu'Erasme a rédigée pour ce volume en septembre 1517 (p. 2). On relèvera que le livre est paginé en continu de 1 à 163 ; la page 163 n'a pas de numéro de page ; la page correspondant à la page 165 est numé¬ rotée 164, et les deux pages suivantes ne sont pas numérotées. Le volume qui accompagne ce fac-similé reprend la traduction allemande que Klaus J. Heinisch avait donnée de V Utopie en 1960, dans le volume Der iitopische Staat, Reinbeck bei Hamburg, p. 7-110. Cette traduction, qui se fonde également sur l'édition bâloise de 1518, n'est pas annotée, et il est un peu dommage que n'ait pas été signalée, entre crochets ou en marge, la pagination de l'édition originale. En tout cas, cette traduction omet tant la préface d'Erasme que celle, plus longue, de Guillaume Budé (p. 3-10). La préface de l'Éd. (p. Vll-x) et son essai sur les questions économiques dans VUtopie (p. xxxvii-LXi) sont un peu décousus. En revanche, l'introduction d'O. Hoffe (p. xi-xxxv), professeur émérite de philosophie à l'Université de Tubingen, est de grande qualité. Elle nous apprend que, par son essai, More a créé un genre littéraire nouveau. Elle nous rappelle les principales étapes de la vie de l'auteur, exécuté en 1535 par Henry VHI pour s'être opposé à l'Acte de suprématie. Elle présente les grandes lignes de son ouvrage, sans taire les « déficits » de la société prônée par More : une société statique, qui n'a pas

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d'histoire et ne connaît pas d'évolution ; une société fermée, dont les membres n'ont guère de libertés (ainsi, il ne leur est pas possible de s'abstenir de pratiquer une religion) ; une société close sur elle-même, sans éehanges avee le monde extérieur. À lire ces critiques, on comprend aisément pourquoi, au siècle passé, les utopies, marquées notamment par le communisme, étaient vouées à l'échec. M Arnold Irene Dingel, Reformation. Zentren - Akteure - Ereignisse, Gôttingen, Vandenhoeck & Rupreeht, 2016, 308 pages, ISBN 978-3-7887-3032-1, 34 €. Professeur à l'Université de Mayence et directrice de l'Institut d'Histoire européenne de la même ville, Irene Dingel est l'auteur de nombreux travaux sur divers aspeets de la Réformation, notamment la question des controverses confessionnelles et des concordes au sein même du mouvement réformateur. Elle dirige par ailleurs, dans le cadre de l'Institut de Mayence, d'importants projets de reeherche qui portent notamment sur les paix religieuses au début de l'époque moderne. Elle était donc fort bien plaeée pour relever le défi de rédiger une synthèse sur la Réformation qui renouvelle ce genre littéraire. Son ouvrage est agencé en trois sections : 1. Contextes ; IL La Réformation ; IIL La diffusion de la Réformation. La première section (p. 15-44) prend soin de camper le contexte politique, soeial et juridique du Saint-Empire romain-germanique vers 1500, avant de traiter de la vie religieuse. Outre l'état - souvent préoeeupant - du elergé et la piété - dans ses aspects les plus élevés, la mystique et la Devotio moderna, comme dans ses expressions populaires - à la fin du Moyen Âge, l'A. présente les mouvements de renouveau antérieurs à la Réformation : les Vaudois, les Lollards et les Hussites, puis l'humanisme. Conformément au sous-titre de l'ouvrage, la section centrale (p. 47-248) traite des différents centres, des aeteurs et des principaux événements de la Réformation. Le propos de l'A., qui a consacré plusieurs études à Calvin et à Melanchthon, est de montrer, comme elle l'avance dès l'introduction de son ouvrage (p. 11 sq.), que la Rèformation ne se réduit pas à Wittenberg (et moins eneore à Luther, comme en témoignent les pages consacrées à Melanchthon, p. 66-76). C'est ainsi qu'elle traite de Zurich (p. 85-99), de Strasbourg (p. 149-162), en rappelant l'influence de Bucer dans le sud de l'Allemagne, et de Genève (p. 229-247). Les dissidents (anabaptistes, spiri- tualistes - Mùntzer, Schwenckfeld et Franck - et antitrinitaires) ne sont pas oubliés (p. 120-148). On a appréeié le fait que les ehapitres eonsaerés aux différents centres et aux grandes figures de la Réformation alternent avec des ehapitres plus syn¬ thétiques, qui traitent des controverses au sein de la Réformation (p. 100-119 : des troubles de Wittenberg en 1521-1522 aux controverses antinomistes de 1537-1538), de l'éducation (p. 163-172), des conséquences politiques de la Réformation (p. 173-195), des efforts pour trouver des eonsensus (p. 195-205 : de la Concorde de Wittenberg en 1536 au dialogue de Ratisbonne en 1541) et enfin de la guerre et de la paix (p. 206-228 : de la guerre des Paysans aux guerres de religion en France).

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La dernière section ne se contente pas d'exposer la diffusion de la Réformation dans les grands pays monarchiques (Angleterre, France, Espagne) : elle brosse un tableau extrêmement complet, qui va de l'Ecosse jusqu'à la Moravie et des pays Scandinaves jusqu'à l'Italie. Les notes infrapaginales et l'importante bibliographie (p. 277-295 ; la lit¬ térature en français n'est pas négligée) attestent l'érudition de cette somme. Irene Dingel réussit le tour de force de donner une présentation à la fois extrêmement complète et originale de la Réformation, dans son unité et dans sa diversité - en insistant peut-être davantage sur la seconde. Plusieurs index (personnes, p. 296-302 ; lieux, p. 303-307 ; citations bibliques, p. 308) facilitent la consultation de cet ouvrage, qui se lit très agréablement. M. Arnold Reinhard Schwarz, Martin Luther. Lehrer der christlichen Religion, Tubingen, Mohr Siebeck, 2015, xlll + 544 pages, ISBN 978-3-16-151880-5, 39 €. Reinhard Schwarz, né en 1929 et auteur d'une biographie de Luther parue en 1986 qui fait toujours autorité, est l'un des plus grands connaisseurs de la pensée du Réformateur. À Tûbingen, il a été l'élève de Hanns Rûckert et de Gerhard Ebeling. Le présent ouvrage, « fruit tardif » selon ses propres termes (p. vii), constitue une présentation à la fois très originale et remarqua¬ blement bien informée de la théologie de Luther. L'ouvrage est agencé en neuf grands chapitres. Après s'être livré à des considérations de méthode (chap. 1), l'A. traite de la manière dont Luther et les Réformateurs ont compris l'Écriture (chap. 2 ; c'est dans ce chapitre que S. présente les écrits de Luther relatifs aux juifs), puis de « la religion chré¬ tienne dans ses relations élémentaires » (chap. 3 ; relation au Christ par la foi, au prochain par l'amour). Les chapitres suivants développent le double thème de la relation à Dieu et au prochain : « L'être humain responsable, en tant que créature, devant Dieu et devant les hommes » (chap. 4 ; ΓΑ. traite notamment de la distinction entre deux régnes ou royaumes et parle du « double usage de la Loi » chez Luther) ; « L'être humain, libéré et conduit au Salut par l'Évangile » (chap. 5) ; « Jésus-Christ, Sauveur des êtres humains » (chap. 6) ; « La puissance de vie de la foi chrétienne » (chap. 7) ; « L'éthique chrétienne de l'amour du prochain » (chap. 8) ; « L'Église chrétienne et sa mission » (chap. 9). Le propos de l'A. part le plus souvent des textes, cités longuement et examinés en tenant compte de la chronologie. Nous avons fort apprécié l'attention que S., suivant en cela des recherches récentes, accorde à l'éthique chez Luther (voir chap. 3, 4 et 8). Mais il est quelque peu dommage qu'il ne fasse pas son profit du remarquable traité que Luther a rédigé en 1527 à propos de la peste : Si l'on peut fuir devant la mort (WA23, 339-379). L'important index des citations (p. 531-544) confirme la très grande variété des sources sur lesquelles S. se fonde. L'A. ne néglige aucune période de l'activité littéraire de Luther ni aucun genre littéraire, y compris les moins connus (voir par exemple le recours à la préface de VInstruction pour les visiteurs..., 1528, p. 418.ç^.). Tout au long de cet opus magnum, cours, traités théologiques et disputations, petits écrits pastoraux et sociétaux, écrits

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liturgiques, catéchismes et cantiques, sermons, lettres et propos de table sont exploités à bon escient. Un seul regret : la bibliographie (p. 517-524) néglige pratiquement toute la recherche francophone relative à Luther. Il est significatif que l'A. ne cite pas, en lien avec les ehap. 3 et 6, les travaux de Mare Lienhard sur la christo- logie de Luther et qu'il ignore, en lien avec les ehap. 4, 7 (ee chapitre traite notamment de la « tentation [Anfechtung] » et de la prière) et 8 les travaux consacrés au troisième usage de la Loi, à la prière, au réconfort ou encore à l'équité chez le Réformateur. L'A. ne prétend nullement couvrir la théologie de Luther de manière exhaustive - l'attention qu'il porte à la pneumatologie est relativement limitée. Toutefois, il nous en propose une présentation extrêmement eohérente et eonvaincante : lorsque, par la foi, l'être humain aceepte l'offre divine de grâee proclamée par l'Évangile, il ressent dans son cœur et dans sa conscience la libération du péché et de la mort ; libéré de toute préoccupation de soi-même, il peut vivre désormais pour son proehain en suivant les exigences du Sermon sur la montagne. M. Arnold Norbert Mecklenburg, Der Prophet der Deutschen. Martin Luther im Spiegel der Literatur, Stuttgart, J. B. Metzler, 2016, x + 313 pages, ISBN 978-3- 476-02684-2, 59,95 €. Dans ce livre très documenté, l'A. expose la manière dont la littérature de langue allemande a présenté Luther. Il s'agit d'une étude critique, atten¬ tive à la qualité littéraire des diverses œuvres, mais s'interrogeant aussi sur la mesure dans laquelle eelles-ci ont bien saisi et transmis la pensée religieuse de Luther. Les quatorze chapitres vont de la littérature du xvf siècle à celle du XX® et du XXI® siècle. Le premier chapitre évoque les écrits de propagande en faveur de Luther ou de son rejet au XVI® siècle, en particulier les innombrables libelles (Flug- schriften). Luther y apparaît comme héros national et prophète des Allemands, expression utilisée par le Réformateur, mais sans eonnotation nationaliste. Ses adversaires le pourfendent avec violence. Selon l'A., le message de Luther retient plus l'attention que sa personne. Est-ce bien le cas ? Le second cha¬ pitre traite de la folie que Murner attribue à Luther et du chantre pro-luthérien Hans Sachs. Le troisième chapitre montre eomment, au temps de l'orthodoxie luthérienne, en particulier chez Martin Rinekart, Luther est partie prenante dans l'histoire du salut, cependant que ses adversaires sont diabolisés. L'A. estime qu'une distanee eroissante à l'égard de Luther s'opère au temps des Lumières, de la littérature classique et du romantisme, même si la production allemande de cette époque est marquée pour une large part par le protestantisme. Une attention partieulière est apportée à Gottfried Arnold, piétiste et spiritualiste, sensible aux faiblesses de Luther, auquel il reproehe notamment l'alliance avec les princes. En général, les Lumières respectent sa personne et son action, mais s'éloignent de son message. Il est à l'origine de la liberté de pensée, et son génie linguistique a préparé le chemin à une littérature allemande nationale. Comme éerivain, mais aussi eomme prophète de la Parole de Dieu, il retient l'attention de Johann Georg Hamann et de

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Herder. À partir de la fin du xvilf siècle, il incarne la grandeur, la patrie ou l'âme allemandes. Ni Schiller ni Goethe ne se sont intéressés aux idées religieuses de Luther. Seul Heinrich von Kleist avec sa nouvelle Michael Kohlhaas a, d'après ΓΑ., créé une œuvre littéraire de valeur. Tout au long du XIX® siècle, l'image de Luther est soit celle du héros national, soit celle du brave bourgeois cher à ce que l'A. appelle la « poésie pastorale » (p. 113). Le sixième chapitre rend compte de la manière dont le séjour de Luther à Rome est mythifié pour opposer l'Allemagne à la Babylone welsche. L'A. trouve plus intéressante la façon dont C. F. Meyer présente la personne de Luther comme une sorte de champ de bataille. Un chapitre bien étoffé expose le culte nationaliste qui lui est voué dans l'Empire allemand et le lien établi avec Bismarck ; mais au « Luther de fer » s'oppose pour un temps un Luther plus intime. Selon ΓΑ., l'instrumentalisation nationaliste de Luther pendant et après la Première Guerre mondiale, puis sous le nazisme, n'a guère conduit à des œuvres littéraires de valeur. Le chapitre neuvième traite de la littérature pendant la première moitié du XX® siècle. A part Ricarda Huch et Jochen Klepper, on serait loin de Luther ou on le soumettrait à la critique. L'A. fait ici l'éloge de la littérature française en citant, sur la base du livre de Gerhard Wolf, des auteurs tels que Michelet, Jaurès, Anatole France et Bernanos. Febvre est également évoqué, mais l'A. apprécie surtout son approche sociohistorique, alors qu'il aurait pu souligner sa rupture avec une vision allemande réductrice de Luther. Le chapitre dix, intitulé « L'Allemand démoniaque », traite de Thomas Mann et du regard changeant qu'il a porté sur Luther, à la suite notamment de Nietzsche. Les trois derniers chapitres évoquent l'image de Luther en RDA (« Du rebelle au traître ») et sa démystification chez des auteurs tels que Osborne et Hochschuth. L'A. apprécie par contre la pièce de Dieter Forte, Luther und Thomas Mûntzer, tout en regrettant que Luther y soit réduit à un objet de forces économiques. C'est surtout la pièce de Stefan Heym, Ahasver (1981), qui est ici louée pour ses qualités littéraires, mais aussi parce qu'elle évoque le thème cher à l'A. qu'est l'antisémitisme de Luther, qu'il relativise seulement une fois en parlant de son écrit de 1523. En conclusion, un bilan plutôt négatif semble s'imposer. Il se pourrait que le medium poétique ne soit pas fait pour rendre compte d'un phénomène tel que Luther, même si l'A. ouvre une porte au roman historique. D'après lui, il faut admettre que Luther ne constitue pas un défi intellectuel pour la littérature récente (p. 2) ; il faut donc le laisser à ce qu'il appelle la « rhéto¬ rique pastorale étrangère aux préoccupations du monde » (p. 11). « Peut-être qu'au-delà des frontières confessionnelles et de l'agitation du jubilé, Luther ne dit rien au temps présent » (p. 12). M. Lienhard r Martin Luther, Une anthologie 1517-1521. Edité par Frédéric Chavel et Pierre- Olivier Léchot. Textes traduits et annotés par Jean Bosc, René Esnault, Maurice Gravier et Pierre Jundt, Genève, Labor et Fides, 2017, 336 pages, ISBN 978-2-8309-1618-8, 20,90 €. Les éditions Labor et Fides mettent à profit le jubilé de 2017 pour rééditer, en un volume qui présente une judicieuse sélection, des textes importants de

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Luther parus il y a plusieurs décennies dans les tomes I, II, VII et VIII de la série « Martin Luther, Œuvres » (MLO). On retrouve ainsi des disputationes des années 1517-1518 (controverse contre la théologie scolastique, les « 95 thèses », la controverse tenue à Heidelberg), de grands écrits de l'année 1520 (La papauté de Rome, A la noblesse chrétienne..., La liberté chrétienne), mais aussi un sermon prononeé à Erfurt en 1521, ainsi que le discours du 18 avril 1521 tenu devant l'Empereur et les États réunis à Worms. Une quinzaine de lettres, dont plus de la moitié ont été adressées à Georges Spalatin, le ehapelain de Frédéric le Sage, documentent la biographie de Luther dans ees années de rupture. Le traité sur La captivité babylonienne de l'Église (1520) n'a pas été repris, car il a fait l'objet d'une traduction revue dans un volume séparé, qui a paru en 2015 chez Labor et Fides. Les introductions à ces textes, qui de toute manière auraient dû être actualisées, n'ont pas été reprises, et l'annotation est assez limitée. Toutefois, l'excellente introduction rédigée par les Éd. (p. 7-34), qui fait son profit de la littérature la plus récente eonsaerée au Réformateur, permet au lecteur de situer ees textes dans la vie de Luther. Elle présente également avee elarté les lignes de force de la théologie de Luther. Ce volume, dont on recommandera sans réserve la lecture à tous ceux qui souhaitent découvrir la pensée de Luther, est dépourvu d'index. Une « table de eorrespondanee des textes » (p. 333-334) permet de retrouver les écrits ici publiés dans l'édition MLO. M. Arnold

Martin Luther, Von der Freiheit eines Christenmenschen. Herausgegeben und kommentiert von Dietrich Korsch, Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2016, 170 pages (GroBe Texte der Christenheit 1), ISBN 978-3-374- 04259-3, 9,90 €. Le célèbre traité de Martin Luther, La liberté du chrétien (1520), inaugure, dans sa version allemande, la eolleetion des « grands textes de la chrétienté », qui comportera des écrits allant - à lire la quatrième de couverture - des traités d'Augustin jusqu'à des œuvres de Karl Earth. Ce volume a été eonfié à l'un des meilleurs spéeialistes de la pensée de Luther, qui a déjà édité ee texte dans le premier des trois tomes de la Deutsch- Deutsche Studienausgabe (DDSt) des œuvres de Luther (Leipzig, 2012, p. 277-315). L'Éd. reprend le texte de cette grande édition, donnant sur les pages paires le texte de l'édition de Weimar, et sur les pages impaires sa propre version du texte en allemand moderne. Mais, à la différence de la DDSt, il fait suivre ce texte (p. 12-67) d'un ample commentaire (p. 70-164), qui se earaetérise à la fois par sa profondeur théologique et par son earactère très aeeessible. Après une brève présentation des circonstances de rédaction de La liberté du chrétien - K. se refuse à prendre part au débat sur l'antériorité de la version latine ou de la version allemande : pour lui, ee qui est décisif, c'est que Luther a exposé les mêmes idées à l'attention de deux publics différents, p. 73 -, il analyse par le menu

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ce texte très dense. Sans rien dissimuler de la distance qui nous sépare de Luther, LÉd. excelle à montrer en quoi le texte du Réformateur parle encore aujourd'hui. On a apprécié les exeursus consacrés au terme <<' fromm », que K. rend par « recht » ou « gerecht » (p. 94), et à la manière dont Luther recourt à l'Écriture sainte (p. 125 sq.). Quant aux p. 131-136, qui traitent du « sacerdoee universel », on en recommandera la lecture à tous ceux qui pensent encore que Luther a fait de chaque chrétien baptisé un pasteur. Les annexes (p. 166-170) renferment un plan détaillé de La liberté du chrétien, une petite bibliographie et une chronologie. Ce bel opuscule constitue un utile complément au commentaire, de nature plus historique et destiné à un public spécialisé, que R. Rieger a publié en 2007 (Tubingen, Mohr Siebeek). M. Arnold

Martin Luther, Von den Juden und ihren Lûgen. Neu bearbeitet und kommen- tiert von Matthias Morgenstern, Berlin, Berlin University Press, [2016], XVII+ 328 pages, ISBN 978-3-7374-1320-6, 19,90 €. Peu de temps après la première édition française scientifique de l'ouvrage Les Juifs et leurs mensonges (1543 ; voir notre eompte-rendu, RHPR 96, 2016, p. 477-480), M. en donne une nouvelle édition allemande, afin d'apporter une contribution critique au jubilé de 2017 (voir p. IX, la préface de H. Bedford-Strohm) et de compléter l'apparat critique de ce texte dans l'édition de référenee de Weimar (WA), qui date pour eet écrit de 1920 (voir p. xv). Toutefois, de manière assez étonnante, M. n'entend pas donner, dans les notes, les références des textes que Luther auraient connus et qui l'auraient influencé, mais les textes et les motifs, tirés du Talmud et de la tradition juive, qu'un leeteur juif savant de l'époque de Luther aurait pu avaneer (p. xv). Lorsqu'on lit ces notes (elles sont au nombre de 978 !), on s'aperçoit rapidement qu'elles remplissent plusieurs fonetions : outre l'identification des personnages que Luther eite ou auxquels il fait allusion, elles servent notamment à éclairer les choix de traduction - M. présente en effet une version modernisée du texte de Luther, dans laquelle il introduit par ailleurs de nombreux intertitres destinés à faeiliter la lecture -, et n'hésitent pas à donner fréquemment le texte de la WA. Elles ne manquent pas non plus de souligner les écarts entre les références de Luther à des sources juives et ces sources elles-mêmes (ainsi, p. 8, à propos de la bénédiction qui ouvre la prière du matin, « Béni sois-tu, notre Dieu, roi du monde, de ne m'avoir pas eréé non-juif... » ; voir aussi, p. 41, à propos du reproche selon lequel les juifs maudiraient Dieu). M. redonne ainsi la parole aux juifs contemporains de Luther, avec lesquels ce dernier n'entendait plus discuter. Enfin, il établit des parallèles entre Luther et ses contemporains, affirmant, par exemple, que la eonfiscation du Talmud et des livres de prières juifs, à laquelle Luther exhorte les autorités, rappelle les mesures prônées quelques décennies auparavant par le converti Johannes Pfefferkorn (p. 197).

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Cette édition eomporte plusieurs annexes. Tout d'abord, d'importantes « eonsidérations sur un doeument de la honte » (p. 251-276) esquissent d'une part l'histoire de la réception de ce texte et rappellent d'autre part que les « mensonges » que Luther reproche aux juifs - on peut songer à la littérature relative aux « Toledot Jeschu », qui soulignait la « bâtardise » de Jésus (p. 259) - sont des « mensonges liés à l'interprétation de la Bible » (p. 257). On regrettera simplement que, dans les pages consacrées à « la haine et l'absence de logique, sédiments de l'anti¬ sémitisme », M. affirme un peu rapidement ne pas trouver chez le Réfor¬ mateur le moindre mot sur la constance des juifs (p. 268) ; nous le renvoyons sur ce point à l'étude de N. de Laharpe, Image de Vautre et image de soi (Paris, 2002), qui a établi, au contraire, l'existence de tels propos chez Luther dans ses dernières années - ce qui ne signifie nullement que ces affirmations invalident les tirades haineuses de l'écrit Les Juifs et leurs mensonges. Un précieux glossaire (p. 276-306 ; de « Aleinu-Gebet » à « Zekhut avot », en passant par « Brunnenvergiftung », « Gottesmord », « Hostienfrevel », « Proselytenmacherei », et « Vernunft » - les considérations de M. sur le lien entre la raison et la foi chez Luther, p. 303, ne sont pas convaincantes) et plusieurs index (personnes, citations bibliques et talmudiques, p. 315-328) facilitent la consultation de cette belle édition, qui eomporte en outre une bibliographie (p. 307-314). M. Arnold Thomas Kaufmann, Les juifs de Luther. Traduction de l'allemand par Jean-Marc Tétaz, Genève, Labor et Fides, 2017, 228 pages (Histoire), ISBN 978-2- 8309-1616-4, 25 €. L'A., professeur à l'Université de Gottingen, est l'un des meilleurs connais¬ seurs de Luther en Allemagne. Depuis quelques années, il se consacre notam¬ ment aux écrits du Réformateur relatifs aux Juifs. C'est ainsi qu'il a publié Luthers « Judenschriften ». Ein Beitrag zu ihrer historischen Kontextualisierung (Tûbingen, 2011 ; 2® éd., 2013 ; voir notre compte rendu, RHPR 92, 2012, p. 670), resté inédit en français. Il a agencé sa matière d'une manière différ¬ ente et développé quelques hypothèses neuves dans Luthers Juden (Stuttgart, 2014), dont la traduction paraît à l'occasion du jubilé de 2017. K. ne cherche pas, comme un certain nombre d'ouvrages du siècle der¬ nier, à présenter de manière exhaustive les propos de Luther sur les juifs. Il se concentre sur les principaux d'entre eux, en particulier Que Jésus-Christ est né juif (1523) et Les juifs et leurs mensonges (1543), dont il donne à chaque fois une analyse détaillée et très fine (voir p. 69-82 et p. 122-149). Auparavant, il a pris soin de présenter la condition des juifs à la fin du Moyen Age et au début de l'époque moderne (« Les juifs dans les marges du monde de Luther ») ainsi que « La perception théologique des juifs chez le jeune Luther », en particulier dans ses deux cours sur les Psaumes, montrant que, dans les années 1520-1521, Luther s'est démarqué de la tradition qui visait à marginaliser les juifs. Il examine, à chaque fois, le contexte précis dans lequel les écrits de 1523 et de 1543 ont été rédigés (ainsi, le second viserait aussi les hébraïsants

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chrétiens), et ne manque pas d'étudier leur réception chez les contemporains de Luther. Plus fondamentalement, il essaie de comprendre l'évolution qui a mené le Réformateur d'un plaidoyer pour un comportement amical à la rédaction de sa « solution finale de la question juive » (p. 117), une expression qui nous paraît d'autant plus malheureuse que K. lui-même reconnaît que r« antisémitisme » de Luther ne visait nullement à tuer les juifs, mais à pra¬ tiquer la ségrégation (voir p. 16 et 193). Pour ΓΑ., Luther aurait entre 1523 et 1543 mis entre parenthèses les influences hostiles aux juifs du monde ambiant, qui l'avaient marqué au même titre que ses contemporains ; mais « à la fin » - dans le cadre de la eonfessionnalisation et de la volonté d'avoir des territoires homogènes sur le plan religieux -, « la mentalité de l'époque fut plus forte » (p. 154). Un chapitre conclusif détaillé est consacré à la « réception de l'attitude de Luther face aux juifs du xvf au XX® siècle » : dès le Catéchisme anti¬ sémite de Theodor Fritseh (1887), des extraits des éerits tardifs de Luther furent largement diffusés en Allemagne ; diffusés également sous forme d'extraits dans les années 1930, les traités haineux de 1543 ne constituèrent pas, selon K., une « source de l'antisémitisme éliminatoire du Troisième Reich », mais contribuèrent à favoriser la Shoah, en paralysant « tout eourage eivil au sein de la population luthérienne » (p. 178). On a apprécié, comme dans le reste des publieations de l'A., la grande qualité de son information (voir l'importante bibliographie, p. 203-220) et ses propos le plus souvent fort nuancés. Certes, quelques-unes des hypothèses qu'il émet sont extrêmement fragiles, comme l'idée qu'en commençant la rédaction des Juifs et leurs mensonges quelque temps après la mort de la fille Madeleine, à l'automne 1542, Luther aurait voulu se « déeulpabiliser » faee à Dieu qui l'avait puni en lui enlevant sa fille. Les lettres par lesquelles Luther réagit au décès de Madeleine ne vont nullement dans le sens de cette inter¬ prétation, et quand, en 1542, le Réformateur publie un traité visant à réconforter les femmes qui ont fait une fausse couehe, il éearte toute idée de punition divine en lien avee la mort de leur enfant. Surtout, ce n'est qu'incidemment, dans la belle conclusion de l'ouvrage, « Un homme faillible », que l'A. établit un parallèle entre les écrits de Luther contre les juifs et sa polémique - ainsi que la « démonisation » de ses adver¬ saires - contre l'Église traditionnelle ou eneore les <<' Schwàrmer ». Or, il aurait fallu replacer Les Juifs et leurs mensonges - et, plus largement, les trois traités contre les juifs de 1543 - dans le cadre des années 1540 et des traités, extrêmement violents, dirigés contre d'autres cibles, à commencer par la papauté. En isolant les éerits eontre les juifs du reste de eette production polémique, on donne l'impression, fausse, que Luther aurait été obsédé par les juifs, et que sa vindicte les concernerait eux seuls. Mais ces remarques n'enlèvent rien à la qualité de la synthèse de K., qui, pour longtemps sans doute, sera l'ouvrage de référence sur l'attitude de Luther face aux juifs. Un index des noms et des lieux (p. 221-226) en facilite la consultation. M. Arnold

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[Jean Calvin], Pro G. Farello et collegis ejus adversus Petri Caroli theologastri calumnias defensio Nicolai Gallasii. Édité par Olivier Labarthe. Pierre Caroli, Refutatio blasphemiae Farellistarum in sacrosanctam Trinitatem. Édité par Olivier Labarthe avec la collaboration de Reinhard Bodenmann, Genève, Droz, 2016, xxlx + 282 pages (loannis Calvini Opera omnia denuo reeognita IV/6É ISBN 978-2-600-04723-4, 67,99 €. La Défense... de Guillaume Farel, que Jean Calvin fit paraître en juillet- août 1545 sous le nom de son secrétaire, est bien connue depuis que, en 1994, Jean-François Gounelle en a donné une traduction dans la collection des Études d'Histoire et de Philosophie religieuses. Toutefois, elle n'avait pas encore fait l'objet d'une édition scientifique dans la série de référence des Opera omnia... publiée par les éditions Droz. Grâce à O. Labarthe, cette lacune est désormais comblée. De plus, non seulement L. donne le texte de la Défense, mais encore, avec la collaboration de R. Bodenmann, il édite la Réfutation de Caroli (mai- juin 1545), qui fait l'objet de la vive réaction calvinienne. On connaît l'existence de ce texte depuis 1980 seulement (Bibliothèque municipale de Troyes), et les Éd. en ont repéré, en 2013, deux autres éditions (Gand et Paris). Ée texte de la Défense a été établi à partir de deux exemplaires, conservés respec¬ tivement à Genève et à Lucerne - l'exemplaire qui se trouve à la BNU, à Strasbourg, n'a pas davantage été eollationné que celui de la BNF. Celui de la Réfutation se fonde sur les trois exemplaires existants. Dans une importante « présentation générale » (p. xi-xxix), L. brosse un état de la question, avant d'exposer avec clarté le « combat de titans » (mais Caroli était-il un titan?) qui a opposé, de 1537 à 1545, les théologiens au sujet de la doctrine de la Trinité, Caroli accusant, alors qu'il était premier pasteur de Lausanne en 1537, ses collègues Viret, Farel et Calvin, de tenir des propos inspirés tant par Arius que par Servet ! L. établit en quoi le récit de Calvin corrige celui de Caroli, puis examine les fondements théologiques de la querelle, estimant que Calvin aurait usé, dans son Instruction et confession de foy... de 1537, d'une «formulation trop imprécise» pour exprimer le dogme trinitaire (p. xxv). Chacun des deux textes fait l'objet d'une introduction spécifique, qui expose les circonstances de rédaction et consiste pour l'essentiel en un précieux résumé (p. 7-20 et 147-162). L'annotation, abondante, éclaire les aspects tant historiques que théologiques du conflit ; elle est érudite sans être pédante. Pour le second traité, les notes de L. portent sur la section plus théologique de l'écrit (p. 191-227), celles de B. sur les parties historiques qui l'encadrent (p. 170-190 et 227-242). Il est dommage que les deux Éd. n'aient pas harmonisé leur manière d'identifier les citations et allusions bibliques. Par ailleurs, certaines notes biographiques sont développées, tandis que celles consacrées à Martin Bucer (p. 36 n. 75) ou à Carlstadt (p. 57 n. 172) font une ligne à peine. Enfin, on corrigera la datation de la « rencontre de Strasbourg » : elle a eu lieu en octobre 1539 (et non pas en octobre 1537, p. 26 n. 18 ; dans le reste du volume, la date est correcte), et l'on enlèvera le pédagogue Jean Sturm du nombre des « pasteurs de Strasbourg » (p. 38 n. 85). Ces quelques remarques n'enlèvent cependant rien à la très grande qualité de cette édition, qui comporte une importante bibliographie

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(p. 247-262), un index des noms (p. 263-273) et un index des citations bibliques (p. 275-278). M. Arnold Heinrich Bullinger, Briefwechsel. Band 16 : Briefe von Janiiar bis Mai 1546. Bearbeitet von Reinhard Bodenmann, Alexandra Kess, Judith Steiniger. Unter Benutzung der Abschriften von Emil Egli und Traugott Schieb. Philologische Beratung durch Ruth Jôrg, Zûrich, Theologischer Verlag Zurich, 2014, 443 pages, ISBN 978-3-290-17760-7, 108 €. L'édition de la eorrespondance de Heinrich Bullinger, 1'« Autistes » de Zurich, progresse à un rythme soutenu, alors même que, d'année en année, le nombre de ses lettres ne cesse de croître. C'est ainsi que, pour la première fois, les Éd. sont contraints de consacrer un volume à moins d'une année de sa correspondance : seuls les einq premiers mois de l'année 1546 sont pris en compte (soit 134 lettres sur un total de 420 !) ; y dominent les thèmes de la mort de Luther (18 février 1546), de la guerre de Smalkalde qui s'annonce et des débuts du Concile de Trente (voir par exemple n° 2371). Comme les tomes précédents, ce volume, qui comporte une importante introduction de R. Bodenmann (p. 11-46), se caractérise par le soin apporté à l'édition des textes (22 lettres ne sont hélas données que sous forme de longs résumés, car elles ont été publiées ailleurs de manière satisfaisante ; e'est le cas, notamment, de l'importante lettre que B. adresse à Melanchthon le 1®^ avril 1546, n° 2404) et par l'érudition de l'apparat critique. En cette année du 500^" anniversaire de la Réformation, on s'attardera sur le dossier de la mort de Luther. Dès le 1®^ mars, Johannes Haller, qui se trouve à Augsbourg, avertit B. qu'une lettre de Nuremberg annonce que Luther est décédé le 17 février (n° 2364). Le 4 mars, toujours depuis Augsbourg, Hans Welser reprend cette information et la commente : ce décès servira la cause de l'unité des Églises, car Satan aura de la peine à trouver quelqu'un qui s'oppose de la même manière que Luther à la Céne (n° 2369) ! Ée 6 mars, depuis Constanee, Ambroise Blaurer, l'un des correspondants privilégiés de B. en cette année 1546, évoque plus sobrement cette nouvelle, qui lui vient également d'Augsbourg (n° 2370). L'information parvient plus tard à Bâle, puisque les 4 et 6 mars^ Johannes Gast eritique encore Luther, qui ne cesse de tempêter (n° 2368). Écrivant le 10 mars à Oswald Myeonius, Bullinger juge d'ailleurs peu crédible l'annonce de cette mort, car elle n'aurait pas pu arriver à Augsbourg en si peu de temps (n° 2375 ; le 14 mars, Myeonius met également la nouvelle en doute, n° 2379). Il n'en mentionne pas moins, dés le lendemain et à A. Blaurer, la lettre de Welser, en exprimant le souhait que le Seigneur rappelle à lui également Martin Bucer, car nul n'a débattu de la Cène de manière plus obscure que lui (n° 2376 ; voir la réaction de Blaurer, n° 2385). Le 12 mars, il écrit à Johannes Haller que, si Luther est bien déeédé, il espère qu'il a eu une bonne mort : malgré ses erreurs sur les images, la confession aurieulaire et la Céne, il y a chez lui de nombreuses choses dignes de louanges (n° 2377). B. réitère ces appréciations le 22 mars, alors qu'un éloge funèbre, qu'il juge de qualité médiocre, lui est parvenu (n° 2387). Le jugement de Joaehim Vadian sur Luther est également nuaneé (14 mars, n° 2380), tandis que d'autres eorrespondants espèrent qu'après son

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décès, il sera plus facile de parvenir à l'unité, voire que sa « doctrine grossière » s'éteindra rapidement (voir n° 2382, 2389, 2392, 2395). C'est le 27 avril seulement que B. peut adresser à Eberhard von Rùmlang quelques lignes sur les circonstances de la mort de Luther, qui s'est éteint en invoquant le nom du Christ ; sans doute le Seigneur lui a-t-il pardonné, par miséricorde, ses erreurs (n° 2433). Chaeune des lettres fait l'objet d'un important résumé en allemand, et l'annotation se caractérise par sa elarté et son érudition. Un volumineux index facilite la consultation de cette édition exemplaire, dont on attend avec impatience les volumes à venir. M. Arnold Philipp Melanehthon, Briefwechsel. Band T17 : Texte 4791-5010 (Juli- Dezember 1547). Bearbeitet von Matthias Dall'Asta, Heidi Hein und Christine Mundhenk, Stuttgart - Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 2016, 356 pages, ISBN 978-3-7728-2579-8, 298 €. Avec une régularité impressionnante, les Éd. de la correspondance de Philippe Melanehthon (1497-1560) poursuivent leur labeur érudit, pour le plus grand profit de la communauté scientifique. Ce seeond tome de l'année 1547 - eette année eonstitue, avec plus de 500 lettres, un sommet sur le plan quan¬ titatif, et il a donc fallu scinder sa publication en deux tomes - comporte 232 lettres (dont 30 seulement reçues par M.). Vingt-six parmi elles, soit plus de 10 %, sont publiées iei pour la première fois dans leur intégralité. Les trois Éd. se sont partagé le travail de manière très équitable, ehacun d'entre eux ayant édité plus de 70 documents. À la différence d'autres grandes éditions (ainsi, les correspondances de Martin Bucer ou d'Heinrich Bullinger), l'édition des lettres de M. ne comporte hélas pas de grandes introductions donnant, pour chaque tome, un aperçu d'ensemble des lettres publiées, avec leurs prineipaux thèmes. Il faut donc se plonger dans les textes, édités comme à l'accoutumée de manière très soignée, pour les découvrir. Jusqu'à la mi-juillet, M. continue d'éerire depuis Nordhausen, où il a mis sa famille en sécurité après la défaite, à Muhlberg, de l'Éleeteur Jean Frédéric, qui a été fait prisonnier par les impériaux. Le 28 juillet, il se trouve à Zerbst et, le V août, il est de retour à Wittenberg. Ses lettres ont, naturel¬ lement, trait à la grande politique. Dans sa lettre de réconfort, adressée en allemand le 10 août à Philippe de Hesse, qui se trouve lui aussi en captivité, il interprète le « grand malheur » qui frappe le prinee eomme une humiliation et une punition divines « pour nos nombreux péchés à tous ». « Mais nous connaissons également cet authentique réconfort, à savoir que Dieu ne nous rejettera pas si nous nous tournons vers lui, déplorons notre péehé et nous réconfortons en lui et en son Fils Jésus-Christ. » (N° 4844 ; dans sa réponse - n° 4863 -, Philippe reprend à son compte l'interprétation de M.) L'intérêt de M. se porte surtout sur les questions éducatives. Le 10 juillet, à Weimar, il rédige un mémoire pour les ducs Jean Frédéric de Saxe et Jean Guillaume de Saxe, fils de l'Électeur déchu, où il discute la question de savoir s'il faudrait « ouvrir une école dans un endroit calme de la Thuringe » (n° 4800).

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Lui-même préférerait l'Université de Wittenberg - si elle venait à être restaurée - à toute autre université. (Il n'y a pas de traee de eorrespondanee entre M. et son aneien souverain.) Dès le 19 juillet, il n'hésite pas à s'adresser à Maurice de Saxe - sa trahison, durant la guerre de Smalkalde, lui a valu d'être nommé Électeur à la place de son cousin Jean Frédéric - pour faire valoir qu'il est « très nécessaire que les deux universités, Leipzig et Wittenberg », puissent demeurer en Saxe (n° 4813). « J'ai été rappelé à notre Aeadémie », écrit M. le V août au duc Albert de Prusse, avec lequel il a des échanges épistolaires nourris (n° 4824 ; voir aussi n° 4853, au même correspondant ; n° 4831, à Johannes Mathesius ; n° 4840, à Johannes Koch ; n° 4867, à Caspar Aquila). Les cours reprendront dès le mois d'oetobre, avec M. - et au grand dam des théologiens restés fidèles à Jean Frédéric (voir ainsi n° 4881) : pour M., la loyauté à l'Université de Wittenberg prime sur tout. C'est pourquoi, il se met au service du nouveau souverain. Le 14 octobre, il adresse à Maurice un mémoire au sujet des conciles, en lien avec les pres¬ sions exercées par Charles Quint et la tenue du Concile de Trente. « Dans leurs déerets, s'indigne-t-il, ils louent encore l'eau bénite et les indulgences ! » (N° 4920.) Auparavant, le 6 septembre, il a mis sa plume au service du prince Georges Anhalt, qui écrit à Nicolas Granvelle pour obtenir la clémence de Charles Quint (n° 4890). M. est sollicité également pour des questions liturgiques (voir n° 4822 et 4823) et matrimoniales (voir n° 4956), rédige des préfaces aux écrits de ses eollègues (voir n° 4856, 4875), un important mémoire pour l'Université de Franefort-sur-l'Oder (n° 4924) et des lettres de recommandation (voir n° 4893, 4917, 4962 et 4963) À l'instar des volumes préeédents, le tome T17 ne eomporte pas de liste ehronologique des lettres publiées, mais une liste alphabétique des eorres- pondants (p. 341-343). Il renferme également de précieux index des citations bibliques (p. 344-346) et des auteurs aneiens et modernes (p. 347-356). M Arnold f [Jean Calvin], Praelectiones in libriim prophetiarum Hieremiae. Edité par Nicole Gueunier avec la collaboration de Max Engammare, Genève, Droz, 2016, 2 vol., XL+ 1886 pages (loannis Calvini Opera omnia denuo reco- gnita II/6), ISBN 978-2-600-01798-5, 249 €. Du début de 1559 au 9 janvier 1563, Jean Calvin a donné, à raison de trois eours d'une heure chaeun par semaine, des leçons (praelectiones : leçons prononcées avant d'avoir été écrites, à la différence des commentaires) sur Jérémie et sur les Lamentations. Sténographiées par Jean Budé et Charles de Jonvilliers, elles furent éditées par Jean Crespin en juillet-août 1563, avee une importante dédicace de Calvin à l'Électeur Palatin (voir p. 1-10). Dans une brève préface au lecteur, Crespin précise que, pour des raisons de coût, il ne lui a pas été possible de transcrire entièrement le texte biblique en hébreu (voir p. 11, 1. 16-21). Traduit en français dès 1565, ce volumineux ouvrage n'a été réédité que deux fois au XVÉ siècle (1576 et 1589) et il a paru aux tomes 37 à 39 des Opera Calvini (les références aux colonnes des OC figurent dans les marges du texte).

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