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Classiques Garnier

Théologie systématique

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Une transcription, sur une quarantaine de page, de la première soirée d'échange avec le public, ainsi qu'une postface éclairante rédigée par Olivier Abel et Alberto Romele clôturent l'ouvrage. Représentatif du goût de Ricœur pour une parole chrétienne libre, qui s'expose (dans tous les sens du terme) et cherche à être comprise sans technicité, le présent ouvrage pourra être lu avec profit et sans difficulté par tous ceux qu'intimiderait l'œuvre imposante du philosophe. D. Frey THÉOLOGIE SYSTÈMATIOUE

Jacques Ellul, Mort et espérance de la résurrection. Conférences inédites de Jacques ElluL Préface de Claude Baty, Lyon, Olivétan, 2016, 224 pages, ISBN 978-2-35479-364-7, 20 €. Vingt-trois ans après sa mort, et en dépit d'une œuvre pléthorique publiée de son vivant, Jacques Ellul nous offre et nous offrira encore de nouveaux textes : cours reconstitués à partir des notes de ses étudiants (La pensée marxiste, Les successeurs de Marx, Les classes sociales...), manuscrits non publiés (Théologie et Technique, la seconde partie de Le Vouloir et le Faire, Éthique de la sainteté...), et surtout innombrables conférences et études bibliques enregistrées sur bandes magnétiques et décryptées par une équipe d'elluliens assidus (premier volume publié en anglais : On Freedom, Love and Power). Le présent volume a fait le choix d'une compilation thématique, qui mêle par conséquent cinq articles déjà publiés (mais dont l'un, intitulé : « Une facilité », p. 207-208, était absent des bibliographies), trois conférences, quatre études bibliques et une lettre. L'A. expose donc, dans un langage très accessible, quand ce n'est pas en style parlé, sa compréhension du mystère de la mort et de la résurrection dans une perspective biblique : refus de toute interprétation de la résurrection en termes mythologiques ; dépassement des apparentes contradictions entre les textes bibliques sans recourir ni au principe de couches rédactionnelles, ni à celui d'une révélation progressive (« seule la Bible explique la Bible », p. 85) ; affirmation de la disparition totale de la personne, corps et âme, dans la mort (récusation, par conséquent, de toute idée de réincarnation ou de transmigration) ; compréhension de la mort comme de la destruction de la puissance d'autonomie de l'homme, abandonné à la seule grâce de Dieu ; conséquences éthiques pour les vivants, qui peuvent désamorcer la dimen¬ sion terrifiante de la mort par la dé-préoccupation de soi et l'entrée dans la non-puissance ; interprétation du jugement comme d'une reprise de sa vie selon le regard de Dieu, puis de la traversée d'un feu qui ne retiendra que les œuvres choisies par Dieu (y compris chez Hitler ou Staline : p. 138, 141, 162) ; et enfin, confession de foi dans le salut universel (p. 51-53, 118-119, 130-151, 153-166). Ce dernier point avait déjà été exposé dans différents textes de Jacques Ellul, notamment dans Ce que je crois (Grasset, 1987, p. 249-274). Mais l'A. ressaisit ici l'ensemble de ses arguments, dans le contexte inédit d'une

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controverse avec son public, qui s'avère parfois coriace. Le préfacier, Claude Baty, pasteur libriste, ancien président de la Fédération protestante de Franee, se doit lui aussi d'exprimer ses rétieences vis-à-vis de la sotériologie ellu- lienne (p. 5-8). On retrouve aussi ici les deux dialectiques, récurrentes chez notre auteur, entre « Vérité » et « Réalité » (p. 19, 24), et entre « Royaume de Dieu» et «Royaume des cieux » (p. 155, 160, 197). D'autres thématiques, rarement abordées par Ellul, comme le suieide (p. 45, 73, 100), l'euthanasie et l'acharnement thérapeutique (p. 205-208), sont ici traitées en conjuguant fermeté sur les principes et souci pastoral. Cette dimension pastorale, absente des éerits polémiques de l'A., s'exprime en partieulier dans la lettre adressée à son ami Philippe Louiset, après le déeès de son fils (p. 209-210). On appré¬ ciera aussi la référence implicite à son autre ami Bernard Charbonneau, agnostique mais assidu à la récitation quotidienne du « Notre Père »... (p. 162). Le choix éditorial de publier l'intégralité de ces treize documents ne pouvait éviter un certain nombre de redites. Elles ne sont guère gênantes lorsqu'elles offrent diverses déclinaisons d'une même idée-force. On s'étonnera néanmoins de la mise en exergue de longs auto-plagiats (p. 64-72 / 91-98, et p. 73-74 / 101), qui, pour être beaueoup mieux tolérés à l'époque de Jaeques Ellul qu'aujourd'hui, tendent à présent à gâter quelque peu son image. On déplorera une trentaine de coquilles (y compris, dans un titre, la confusion entre la mort et le mort : p. 177) et regrettera que les notes en bas de page concernant des versets bibliques mentionnent généralement la traduction de Louis Segond, mais jamais eelle de la NBS qui résout pourtant la difficulté soulevée (par exemple n. 28 p. 50, et n. 47 p. 140) ; qu'une note voulant préciser une référence faite par Ellul indique un texte de dix ans postérieur (n. 29 p. 129) ; qu'une autre mentionne un ouvrage de 1958 lorsque la bibliographie le situe en 1947 (n. 56 p. 145). Ces imperfections formelles n'affeetent en rien le profond intérêt des thèses défendues par Jaeques Ellul, ne serait-ce qu'à titre de contribution singulière et corrosive à un débat théologique qui s'apparente à un ehantier toujours ouvert. Enrichi d'un index des mots-clés (p. 211-212), d'un index des références bibliques (p. 213-216) et d'une bibliographie (p. 217-220), ce livre ne peut que stimuler la réflexion et la méditation de tous ceux qui se savent mortels. F. Rognon Jean-Philippe Barde (dir.), Crise écologique et sauvegarde de la Création. Une approche protestante, Paris, Éditions Première partie, 2017, 158 pages, ISBN 978-2-36526-114-2, 16 €. r Les Eglises protestantes françaises ont été très lentes à prendre la mesure des enjeux civilisationnels de la crise écologique. En 1989, l'impulsion du processus conciliaire « Justice, Paix et Sauvegarde de la Création » (JPSC) avait été reçue avec scepticisme ; elle avait même suseité la parution d'un petit livre, intitulé L'agitation et le rire, signé par plusieurs figures d'autorité du protestantisme français, qui cherchait à discréditer la théologie de la Création en la réduisant à une théologie naturelle. Un quart de siècle plus tard, en déeembre 2014, un grand eolloque s'est tenu à Paris sous les auspiees de la Fédération protestante de Franee ; une petite partie des Aetes a

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été publiée l'année suivante sous le titre : Terre créée, terre abîmée, terre promise... Ecologie et théologie en dialogue. Trois des contributeurs au Colloque (dont deux professeurs et un doetorant à la Faeulté de Théologie protestante de l'Université de Strasbourg) ont alors décidé de réaliser un ouvrage plus approfondi, qui cherche à combler quelque peu le retard accu¬ mulé en vingt-cinq ans sur le plan de la théologie de la Création. Le présent volume s'inserit offîeiellement dans le eadre des célébrations du Jubilé : « 2017. 500 ans de réformes ». Il appert en effet que le souci des générations futures vient rééquilibrer une commémoration tendanciellement tournée vers le passé. Préfacé par Olivier Abel, introduit par Robin Sautter, l'ouvrage est dirigé par Jean-Philippe Barde. Celui-ci en signe le premier ehapitre, sous le titre : « Crises écologiques, interpellations bibliques et engagement des chrétiens » ; il fixe le cadre scripturaire, théologique et ecclésial de la réflexion et du débat. Otto Sehaefer s'y insère ensuite par l'angle des réalités dernières ; sa eontribution est intitulée : « Le royaume de Dieu eomprend la délivranee de la créature : inspirations eschatologiques de l'environnement » ; il y trace les enjeux théologiques de la dévastation de la planète et en dégage les implieations éthiques. Stéphane Lavignotte revient au eadre de la Réforme du xvL siècle ; sous le titre : « Pistes de réflexion éthiques sur la question de la nature, à la lecture de VInstitution chrétienne de Calvin », il ne craint pas de discerner dans les textes du Réformateur des ressources pour relever les défis d'aujourd'hui. Un théologien contemporain est à son tour convoqué, dans le ehapitre signé par Frédéric Rognon : « Écologie et teehnologie : quelle dialectique ? Le regard de Jacques Ellul » ; ce texte fait droit à la vive critique énoncée par le professeur de Bordeaux à l'endroit du concept de « développement durable ». Le cinquième ehapitre est intitulé : « Défi éco¬ logique et pensée économique » ; son auteur, Arnaud Berthoud, indique combien les théories économiques classiques ont montré leurs limites face à l'épuisement des ressources et n'hésite pas à en appeler à une réinvention de la notion même d'éeonomie. Enfin, Jérôme Cottin laboure un double ehamp quelque peu négligé par les débats sur l'environnement, y eompris en milieu chrétien : l'esthétique et la liturgie ; sa contribution s'intitule : « Écologie, art et spiritualité : du Land Art aux expressions liturgiques » ; il y instaure une vigoureuse dialectique entre célébration et protestation. Dans son « Post Seriptum », Jean-Philippe Barde rappelle que la crise écologique est fonda¬ mentalement une erise de sens ; e'est pourquoi elle interroge tout parti¬ culièrement les théologiens, et plus largement les chrétiens. F. Rognon

Christophe Chalamet, Une voie infiniment supérieure. Essai sur la foi, l'espérance et l'amour, Genève, Labor et Fides, 2016, 254 pages (Lieux théologiques), ISBN 978-2-8309-1606-5, 24 €. L'on ne pourra plus, après avoir lu cet ouvrage, reprocher aux théolo¬ giens la eomplaisance au jargon ou le eonfmement dans des abstractions éloignées de la foi et de la vie actuelle. Cet Essai sur la foi, l'espérance et l'amour est à mettre entre toutes les mains qui cherchent à comprendre le sens de la foi ehrétienne au cœur de leurs questionnements quotidiens. L'A., professeur de théologie systématique à la Faculté de Théologie protestante de

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rUniversité de Genève, fort de son expérience d'enseignement et de recherche à l'Université Fordham de New York, y présente une démarehe à la fois uni¬ versitaire et croyante, conjuguant l'apport de théologiens importants (en trois langues) à sa recherche personnelle marquée par les fondements réformés, et dans une ouverture œcuménique. Le sujet concerne la démarche chrétienne dans son ensemble, déployée ici comme une « voie », une dynamique de quête théologique et spirituelle, soucieuse de penser et de renouer les relations à Dieu, à autrui, au monde et à soi-même. L'affirmation centrale (valorisée par la Réforme) est que la « voie supérieure » (référence k 1 Co 13) n'est pas le ehemin que les humains essaient de parcourir vers Dieu, mais celui que Dieu a pris pour aller à leur rencontre dès les origines ! Ainsi la voie humaine n'est pas celle de l'effort, mais de l'accueil des dons de l'Esprit Saint, qui sont à « reeonnaître » : la foi, l'espéranee et l'amour. Le terme « vertu » ne renvoie pas ici à la moralité des croyants, mais aux fruits de la puissance d'action de Dieu, qui libère des craintes de Vego. Le premier chapitre, éclairant la « voie », fait valoir que les chemins humains avec Dieu et avec autrui sont des réalités en mouvement (pas tou¬ jours en eroissance), où l'on « n'a » pas la foi, pas plus qu'on « n'a » l'amour ni l'espérance ; tout juste ees réalités se laissent-elles eonnaître et reconnaître. L'itinéraire dans les trois chapitres suivants suit chacun des trois pôles, mais précisément dans leurs articulations et interactions. En chemin, de nombreux malentendus, voire contresens, se voient clarifiés. Un exemple : la foi n'est pas la construetion de la volonté ou une simple adhésion humaine, mais d'abord l'expression de la « fidélité » de Dieu lui-même, qui seule peut fon¬ der la réponse de foi qu'est la « confiance » (en latin : Xdi fides). La fidélité de Dieu en quête de l'humain, racontée dans les récits bibliques, est de nature à suseiter la eonnaissanee et la « reeonnaissanee » (au double sens du terme), si bien que la foi ne peut pas se limiter à un ensemble de dogmes à eroire, mais déploie une relation mutuelle, engagée dans l'expérience quotidienne avec ses contingences. L'itinéraire construit ainsi des repères de théologie réformée et chrétienne solides, pour une foi saine. Accessible à tout lectorat, il est qui plus est servi par une belle plume, ce qui ajoute le plaisir aux trois vertus ! r E. Parmentier Antoine Nouis, Lettre à ma belle-fille catholique pour lui expliquer le pro¬ testantisme, Genève, Labor et Fides, 2016, 116 pages, ISBN 978-2-8309- 1613-3, 14€. Un ouvrage de plus sur le protestantisme, dira-t-on peut-être. Certes, mais les qualités pédagogiques d'A. Nouis, théologien et pasteur, auteur de nom¬ breux ouvrages de vulgarisation qui portent en même temps le seeau d'une réflexion très personnelle, en font un outil préeieux pour expliquer cette approche de la foi chrétienne, à des catholiques comme à des protestants. L'A. présente ici le protestantisme, non seulement en différence avec le catho¬ licisme, mais aussi en proximité (ce à quoi l'invite l'adresse à sa belle-fille eatholique), à la fois dans son histoire et dans son aetualité, dans ses prineipes et dans sa réalité.

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Il commence par poser trois grands principes du protestantisme : « un principe théologique », celui de la justification par la foi (c'est la formule qu'il retient ; le mot grâce apparaît là une seule fois, même si l'idée est bien présente) ; « un principe anthropologique », la « prééminence de la respon¬ sabilité individuelle » qu'il présente à travers la protestation de Luther ; un principe qu'il dit « médiologique », l'importance centrale donnée à la Bible dont la lecture travaille le cœur humain. L'A. propose ensuite un chapitre historique - centré sur la France - en montrant les conséquences sur « l'éthos protestant français » des siècles de persécution et en retraçant les évolutions plus récentes : les débats théo¬ logiques du xix'' siècle, la laïcisation aux xix'' et xx'', et, au siècle dernier, l'apparition de nouvelles Églises ainsi que la naissance de l'œcuménisme. Il termine ce chapitre par quelques constats relatifs aux recompositions actuelles du protestantisme français, en soulignant la vitalité du protestantisme évangélique. Le troisième chapitre, le plus important peut-être, explicite « les vraies différences » entre catholicisme et protestantisme. En leur cœur se tiennent, non pas la question de la justification, mais « la place et le rôle de l'Église ». Cela conduit à une articulation différente entre la spiritualité, l'Église et le salut, que l'A. explique à travers la tension entre Moïse et Abraham qu'avait développée Franz Leenhardt, et celle entre principe et substance qu'a pro¬ posée Tillich. Les questions sensibles sont ensuite évoquées : la relation entre Église et Écriture, la différence entre prêtres et pasteurs, la compréhension de l'eucharistie, la sacramentalité du mariage ou encore la question de Marie. L'A. sait expliquer les logiques propres à chaque approche sans les caricaturer. Le dernier chapitre est le plus personnel. L'A. y dit d'abord ce qu'il aime dans l'Église catholique, soulignant son universalité qui l'aide parfois à ne pas se conformer aux pouvoirs locaux, valorisant la façon de vivre la tension entre unité et diversité, la formation aujourd'hui exigeante des prêtres et l'engagement social de l'Église. Il achoppe cependant sur la conviction catholique de l'infaillibilité de l'Église, qui fait oublier la contradiction au cœur de toute Église : « les institutions génèrent des jeux de pouvoir alors que Jésus a toujours privilégié le pouvoir de l'amour à l'amour du pouvoir » (p. 107). D'où son attachement à « une Église protestante qui dit d'elle-même qu'elle est un rassemblement de pécheurs-pardonnês » (p. 106). L'œcuménisme qu'il prône en conclusion n'est pas recherche d'un consensus, mais à la fois hospitalité qui accueille les différences, et dispute théologique, « œcuménisme de l'objection », qui évite à chaque Église de « tomber du côté où elle penche » (p. 112). Ce que fait très bien ce petit ouvrage, qui refuse tant un concordisme factice qu'une opposition stérile. 1. Grellier

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