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Classiques Garnier

Théologie et Histoire de l’art

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THÉOLOGIE ET HISTOIRE DE L'ART

Josef Engemann, L'art romain tardif et paléochrétien de Constantin à Justinien. Traduit de Tallemand par Aude Virey-Wallon, Paris, Pieard, 2014, 270 pages dont 230 reproduetions en quadriehromie (Histoire de l'art romain 5), ISBN 978-2-7084-0967-5, 89 €. Depuis les deux volumes d'André Grabar publiés dans la eélébre col¬ lection « L'univers des formes » fondée par André Malraux, aucune étude n'avait paru sur Tart paléochrétien, qui fût à la fois sérieusement documentée et artistiquement présentée. Cet ouvrage, véritable livre d'art rehaussé d'un très grand nombre de photographies en pleine page dû à un érudit allemand, commissaire de l'exposition « Constantin le Grand » à Trêves en 2007, vient combler ce manque. Après avoir donné un aperçu historique sur la Rome antique, qui va du règne de Dioclétien (élevé au rang d'auguste en 284) jusqu'à la mort de Justinien (565), l'A. présente plusieurs œuvres d'art de différents types : les commandes d'empereurs et de consuls, l'art funéraire chrétien, les sanc¬ tuaires chrétiens et leurs décors, les édifices profanes et leurs décors, les arts artisanaux et précieux. Un important développement est consacré à l'art impé¬ rial qui prolonge directement Tart romain. Il pourrait sembler fastidieux, n'eût été le fait qu'il prouve le rôle politique de Tart, lequel est mis au service de la toute-puissance impériale et de sa prétention à être divinement instituée. On notera à ce propos la découverte relativement récente d'une tête en marbre de l'empereur Constantin, exhumée en 2005 d'un égout aux environs du forum Trajan à Rome. « L'"impérialisation" de Tart chrétien est le miroir de la ehristianisation de la Rome impériale » (p. 255). Concernant le patrimoine paléochrétien - le plus important d'un point de vue quantitatif - on trouvera une présentation très complète de ce qui a échappé aux destructions des siècles. L'A. insiste sur l'originalité de la pro¬ duction de cet art et, pour ce qui est des petits objets, qui avaient une fonc¬ tion thaumaturgique et dévotionnelle plus qu'artistique, ses liens avec les pèlerinages : Rome, Jérusalem, Constantinople, Antioche, Abu Mina en Egypte (tombe de Saint Ménas). Des éléments moins connus sont mis en valeur, comme des fonts baptismaux décorés de mosaïques comportant des motifs christiques, trouvés à Demna, Kélibia, et exposés au musée du Bardo à Tunis ; les premiers motifs de la crucifixion, de la résurrection et de l'ascension ne se trouvent ni dans des manuscrits ni dans les décors d'églises, mais dans des ampoules servant à rapporter des huiles miraculeuses récoltées dans les lieux de pèlerinages (ampoules de la collection C. Schmidt, Munich).

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L'ouvrage est de teneur strictement iconographique : il veut donner à comprendre les différentes formes d'art à partir du contexte historique et social de leur époque de production. Souvent, le rapport texte-image est inversé : il n'y a pas de textes en amont des images mais ce sont celles-ci qui produisent des textes, d'abord ceux qui les accompagnent graphiquement, puis ceux qui les commentent et viennent apporter un éclairage historique. Une absence est étonnante : les œuvres montrées ne sont pas datées dans la légende. S'agit-il d'un oubli ? C'est en tout cas gênant. La bibliographie est conséquente avec - une fois n'est pas coutume - de nombreux titres en français et en italien. S'agissant des productions dispersées dans tout le monde méditerranéen, ainsi qu'en Gaule et en Bretagne romaines, un index thématique et topographique aurait été utile. J. Cottin

Philippe Gruson, Sylvie Bethmont-Gallerand, Bénédicte Delelis, Visages de la Bible. Préface d'Éliane Goudinet-Wallstein, Paris, Mame, 2015, 157 pages, ISBN 978-2-7289-2060-0, 32 €. Un bibliste et deux historiennes de l'art se sont réunis pour proposer un livre méditatif et un livre d'art sur quelques grands personnages de la Bible : vingt pour l'Ancien Testament (Adam et Eve, Gain et Abel, Noé, Abraham et Sara, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse, Ruth, Anne, David, Salomon, Élie, Esther, Job, Jérémie, Jonas), quinze pour le Nouveau Testament (Jésus - sous trois états différents -, Jean-Baptiste, Marie, Joseph, la Samaritaine, Zachée, Jean, Pierre, Matthieu, les pèlerins d'Emmaus, Lazare, Pilate, Marie Madeleine, Etienne et Paul). Chaque personnage a droit à quatre pages : d'abord une présentation du personnage, puis un détail du personnage dans l'œuvre d'art choisie, ensuite l'œuvre dans son intégralité, et pour finir quelques versets bibliques qui le concernent. Le commentaire des œuvres ne se trouve pas dans le corps du texte, mais sous l'image (sous le titre). Il est, forcément, des plus succincts. Le choix des œuvres est classique ; elles sont des plus connues (vocation de Matthieu, du Caravage), avec quelques nouveautés : un lavis rehaussé de gouache du xviC-xvllC siècle dû à Alexandre Ubelesqui et représentant la rencontre de Jésus avec Zachée. Une seule œuvre du xxC siècle figure ici : un Emmaûs d'Arcabas (un de plus !) - on aurait pu trouver plus original. On regrette que seules deux œuvres du xx'' siècle soient présentées : Otto Dix (Job) et Marc Chagall (Anne, mère de Samuel). On aurait pourtant pu faire droit aux surprenants et nombreux crucifiés qui ont inspiré la plupart des grands artistes du siècle dernier, lesquels s'inspiraient souvent du retable d'Issenheim. Cet ouvrage ne traite pas non plus des expressionnistes alle¬ mands, dont plusieurs ont abondamment revisité les récits bibliques (Nolde, Beckmann, Schmitt-Rottluff). Au total, le livre est de belle facture sur le plan technique, mais il est peu original quant à ses choix ; il est destiné à un grand public peu informé des récits bibliques, qu'il vise à accompagner dans la découverte de quelques personnages attachants de l'Écriture. J. Cottin

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François Boespflug, Emanuela Fogliadini, La nativiîà di Cristo nell'arîe d'Oriente e d'Occidente, Milano, Jaca Book, 2016, 136 pages, ISBN 978- 88-16-41374-0, 18 €. Les deux A. nous proposent des lectures de 26 œuvres d'art d'Orient et d'Oceident, s'étendant du iv® sièele à 1975 et représentant la nativité du Christ. L'originalité de l'ouvrage tient à ce qu'on a opté pour une progression chronologique, et non un plan bipartite (Orient et Occident). Il apparaît ainsi de manière évidente que les deux traditions ont des origines communes - une peinture murale du ix® siéele dans l'église Santa Maria Foris Portas, à Castelseprio, Varese, pourrait être orientale ; même eonstat pour Duceio -, et que les deux traditions picturales vont progressivement en s'autonomisant et en divergeant toujours plus. On découvre aussi que la tradition orientale, tout en n'étant pas aussi diverse que l'occidentale, est variée, tant au niveau des motifs que des aires géographiques (Serbie, Turquie, Arménie, Crète, Macédoine, Russie). Parmi les joyaux de cette sélection : la Nativité de Georges de la Tour (1648, Rennes) et, moins connue, La nuit de Noël de Fritz von Uhde (1911, eolleetion privée), peintre protestant mêlant réalisme soeial et mystique christique. Il est dommage que l'ouvrage ne présente que peu d'œuvres du XX® siècle. Même si ce thème a moins inspiré les artistes contemporains que celui de la erueifixion, on eonnaît quelques bijoux, eomme l'un des volets latéraux du polyptique La vie du Christ d'Lmil Nolde (1911), seule représentation de la Nativité où l'on voit l'enfant Jésus porté à bout de bras par sa mère sur fond de nuit ètoilèe. Le vitrail d'Lmil Wachter pour l'église d'autoroute (Auto- bahnkirche) de Baden-Baden (1975) ne méritait pas, nous semble-t-il, de figurer dans une telle séleetion : il témoigne plus d'une incapacité contem¬ poraine à renouveler le langage iconographique de la nativité que d'une queleonque eréativité en la matière. J. Cottin

François Boespflug, Lmanuela Fogliadini, Ressuscité. La résurrection du Christ dans Vart. Orient-Occident, Paris, Mame, 2016, 166 pages, ISBN 978- 2-7289-2262-8, 39,90 €. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'existait pas, avant eet ouvrage, de livre d'iconographie chrétienne consacré à Févènement fondateur du christianisme. Pourtant, le christianisme, tant en Orient qu'en Occident, a produit une profusion d'images de la résurreetion de grande qualité. Sous ee vocable, il faut aussi bien entendre les apparitions du Ressuscité que des images montrant le Christ ressuscitant (ce que la Bible ne raconte pas). Les auteurs nous présentent 35 œuvres relatives à la résurrection, du v® au XXI® siècle, de toutes faetures et sur tous supports, même si la peinture se taille la part du lion. Nous tenons avec ce volume un véritable livre d'art qui fournit des reproductions en grand format et d'exeellente qualité. Le texte n'est pas en reste, qui est le fait de deux spécialistes de l'ieonographie des deux sphères géographiques du christianisme historique (Orient et Occident). La chose

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explique la présence d'un certain nombre de représentations orientales / iconiques du ressuscité, dont on sait l'importance pour les Eglises orthodoxes (cependant que l'Oceident a privilégié les représentations de la eroix). En ee qui concerne l'iconographie de ce motif, les auteurs disent leur dette à l'égard de l'étude déjà ancienne (1971) de Gertrud Schiller: Ikonographie der christlichen Kunst (tome III), à eertains égards indépassable. Les représentations de la résurreetion ne remontent pas à la plus haute antiquité : celle de l'Anastasis (descente aux enfers, privilégiée en Orient) n'est guère attestée avant le vllE siècle, et celle du Christ sortant du tombeau n'apparaît qu'au xlC. On cherchera en vain une explication thèologique ou dogmatique de ces phénomènes : l'histoire des images de Dieu poursuit sa logique propre, irréduetible à eelle des textes écrits, de quelque nature qu'ils soient. On découvre une œuvre émouvante et peu connue - elle n'a été restaurée qu'en 2005 -, en l'espèce d'une belle Anastasis datant de la fin du IX® siècle (4), qui se trouve sous l'église médiévale S. Clemente à Rome. Les représentations du Christ ressuscitant de la Renaissanee italienne (14, 15, 17, 18, 20, 21) sont particulièrement remarquables, esthétiquement et anthropo- logiquement parlant. Celle du Greco (22) est mystique et unique ; celle de Rubens (23) eharnelle et érotique ; celle de Rembrandt (24) mystérieuse et presque aniconique. Les A. poursuivent leur enquête au-delà des siècles de 1'« art chrétien » et repèrent des thèmes nouveaux comme celui du Christ ressuscitant sur la croix (même si l'on connaissait le thème ancien du Christ bien vivant sur la croix, ne souffrant pas, paisible et les yeux ouverts). Les représentations modernes du xix® et du XX® sièele souffrent de faiblesses esthétiques ; eelles présentées par les A. (29, 30, 33, 34, 35) sont loin d'être convaincantes. Rouault et Manessier (31 et 32) constituent d'heureuses exceptions. On regrette que les A. n'aient pas attiré notre attention sur quelques représentations fortes de ce thème produites par les expressionnistes allemands - on pense en particulier à Dix, Nolde ou Beckmann. Servi par un texte éclairant, l'ouvrage constitue un beau support à une méditation en images. J. Cottin

François Boespflug, Jésus a-t-il eu une vraie enfance ? L'art chrétien en procès, Paris, Cerf, 2015, 208 pages, ISBN 978-2-204-10426-5, 20 €. Cet ouvrage s'interroge sur les représentations de l'enfance de Jésus ; il cite et eommente plus de 200 œuvres d'art sur ce thème, même si une trentaine seulement fait l'objet d'une reproduetion (en quadrichromie et de bonne qualité). L'A. commence par s'étonner que les nombreuses représentations de Jésus dans son âge tendre montrent en général un enfant qui n'en est pas un, étant bien plutôt un adulte en miniature. Il poursuit deux objectifs. Il s'agit en premier lieu de constituer un corpus solide documentant ce thème, en pre¬ nant en compte les quatre grandes périodes de la vie de Jésus qui précèdent son ministère public (Jésus bébé ; Jésus de 2 à 7 ans ; Jésus de 7 à 12 ans ; Jésus adolescent ou jeune adulte). En second lieu, l'A. - plus théologien ou

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anthropologue qu'iconographe - met en évidence les enjeux de ces repré¬ sentations : montrent-elles quelque chose de l'enfance véritable, du devenir adulte, ou illustrent-elles au eontraire l'idée que Jésus était, dès le début, parfaitement adulte et un adulte parfait ? Il en arrive à proposer un plan non pas chronologique mais guidé par ces trois options : 1. Jésus savait dès son plus jeune âge qui il était et quel était le sens de sa mission ; 2. Jésus fut un enfant (presque) comme les autres ; 3. Jésus pressentait qu'il aurait un destin particulier. S'agissant des textes, ΓΑ. scrute non seulement les évangiles de l'enfance, mais aussi les récits apocryphes qui nous montrent un enfant doté de pouvoirs surnaturels (eommander aux arbres, donner vie à l'argile, tuer un opposant), ainsi que les écrits spirituels relevant de la dévotion à l'enfant Jésus (Bernard de Clairvaux, Ludolphe le Chartreux, Gerson, Bérulle et Madame Guyon, Thérèse de TEnfant-Jésus, Edith Stein). On découvre des œuvres étonnantes et peu connues, non bibliques et pourtant profondément nourries des Eeritures, comme Saint-Joseph père nourricier du Christ de Benjamin Constant (fin xix'' siècle). Le Christ dans la maison de ses parents de John Everett Millais (vers 1850), ou L'enfant Jésus se piquant à la cou¬ ronne d'épines de Murillo (vers 1630). L'A. aurait pu se confronter plus qu'il ne l'a fait (p. 110) à la thèse de Leo Steinberg {La sexualité du Christ dans l'art de la Renaissance et son refoulement moderne). Mais sans doute a-t-il voulu éviter les débats, souvent laborieux, entre érudits. Tel quel en tout eas, l'ouvrage est passionnant et original. J. Cottin Laurence Brugger, Poitou roman, Paris, Zodiaque, 2015, 395 pages, ISBN 978- 2-73690-313-8, 39,90 €. Éditée par l'abbaye de La Pierre-qui-Vire (Yonne), la célèbre collection « Zodiaque », dont chaque volume porte sur les édifices romans que compte un territoire donné, renaît de ses eendres avee une nouvelle mise en page et surtout un nouveau texte. Le trésor des photographies en noir et blanc dans lequel l'ancienne col¬ lection « La nuit des temps » avait puisé est réutilisé dans eet ouvrage. Toutes n'avaient pas été publiées alors ; plus de la moitié d'entre celles qui figurent dans le présent ouvrage sont, pour la première fois, portées à la connaissance du public. Le livre constitue la reprise de deux anciens volumes de la collection : Poitou roman (paru en 1957) et Vendée romane (paru en 1975 et centré sur le Haut-Poitou). La première partie donne des bases historiques et iconogra¬ phiques utiles à l'appréhension de cette région et de son art roman aux XÉ et XIÉ sièeles. Sont présentés quelques monuments « préromans », d'autres « en ruine » et ceux parmi les plus célèbres du Xlf siècle (Saint-Savin, Saint-Hilaire, Sainte-Radegonde, Notre-Dame-la-Grande et Saint-Jean-de-Montierneuf à Poitiers). Sont ensuite détaillés sept itinéraires qui sont autant de pérégri¬ nations, visites et études préeises des édifices suivants : Poitiers, Chauvigny, Saint-Jouin-de-Marnes, Melle et Aulnay, Civray, Niort, La Roche-sur-Yon. On comprend que l'éditeur ait voulu garder le fonds photographique exceptionnel de photos en noir et blanc. On regrettera toutefois l'absence de

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quadrichromie - qui avait fait timidement son entrée dans les précédents volumes -, surtout en ee qui concerne les fresques de Saint-Savin : les reproduire en noir et blane est un non-sens. Par ailleurs, s'il est légitime de se concentrer sur le style roman, il l'est moins de faire l'impasse sur les créations contemporaines qui peuvent se trouver dans ces joyaux romans, surtout quand elles sont réussies eomme e'est le eas dans deux des églises (Saint-Savinien et Saint-Hilaire) de Melle. Ces bâtiments ne sont pas des musées : ils ont une vie culturelle et artistique qui déborde la seule période romane. J. Cottin

Jan Harasimowicz (éd.), Protestantischer Kirchenbau der Frûhen Neuzeit in Europa. Grundlagen und neue Forschungskonzepte. Protestant Church Architecture in Early Modem Europe. Fundamentals and New Research Approaches, Regensburg, Sehnell & Steiner, 2015, 352 pages, ISBN 978- 3-7954-2942-3, 76 €. Cet ouvrage collectif réunissant les contributions de 27 auteurs, magni¬ fiquement illustré, présente les architectures protestantes de toute l'Europe (avec une prédominance pour l'Europe centrale et du Nord), les approchant sous l'angle formel, théologique et soeiopolitique. Il s'agit de l'aboutissement d'un programme de reeherehe piloté par le Département des arts de la Renaissance et de la Réforme de l'Université de Wroclaw (ancienne Breslau) en Pologne. Le projet est unique car pour la première fois sont étudiées des architectures de bâtiments (mobilier, objets liturgiques et espaees symboliques y eompris) qui sont protestants depuis les origines - on pense en particulier à eertains espaces géographiques quasi¬ ment inconnus en Europe occidentale tels que les territoires de Nieder- et Oberlausitz (Basse et Haute Lusace), Vor- et Hinterpommern (Poméranie occi¬ dentale et orientale), Ost- et West Preussen (Prusse orientale et occidentale), Nieder- et Oberschlesien (Basse et Haute Silésie). Mais de nombreux autres lieux, marqués par l'architecture protestante de la première modernité (xvf-xvllE siècles), font également l'objet d'une attention soutenue, comme l'Eeosse, les pays baltes, la Slovaquie, la Finlande, la Bohème, la Moravie, etc. Le style qui domine à cette époque est le baroque, jusques et y compris en contexte calviniste, aussi étonnante que la chose puisse paraître de prime abord. Une autre surprise attend le lecteur : l'effet, sur l'architecture, des liens avec le pouvoir politique, dans les territoires régis par le prineipe du cujus regio ejus religio ; des moyens arehiteeturaux et artistiques considé¬ rables furent donnés, évidemment accompagnés d'une visibilité du pouvoir. L'entorse pratique aux principes d'une théologie évangélique indépendante des hiérarchies, pouvoirs et riehesses terrestres est iei patente. Nombre de ces églises protestantes furent en effet des ehapelles palatines ou ducales. Parmi les études les plus intéressantes figurent celles portant sur quelques inscriptions et retables luthériens dans des églises de Saxe-Palatine (Ruth Slencza) ; sur des églises luthériennes construites par des hobereaux en Estonie (Krista Kodres) ; sur les églises luthériennes de style Renaissanee dans les territoires de la ligue de Smalkalde (Ernst Badstùbner) ; sur les églises

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huguenotes à Berlin et dans le Brandebourg (Sibylle Badstûbner-Grôger) ; sur les églises simultanées et les eonflits eonfessionnels dans les villes et lieux bi-confessionnels (Eva-Maria Seng), les exemples les plus remarquables étant constitués par la cathédrale (catholique et luthérienne) de Bautzen et l'église simultanée S. Martin de Biberach (dans la partie protestante de laquelle figure une étonnante fresque de plafond baroque). Quelques ineongruités sont à déplorer, telle l'étude d'un temple réformé des Grisons (Ardez) dans le eadre d'un article eonsaeré à l'église S. Pierre et Paul de Landeshut en Silésie. On regrette également l'absence d'un index des lieux ainsi que de cartes qui auraient permis de mieux visualiser des villes et villages d'Europe centrale possédant d'importantes minorités protestantes, et donc des édifiées remarquables, quand ceux-ei ne furent pas détruits au eours de la Seconde Guerre mondiale. Il n'en demeure pas moins que ce volume, qui a bénéficié d'un important soutien d'institutions et de fondations alle¬ mandes, est dans l'ensemble remarquable. J. Cottin

Claude Lorentz (éd.), Maritain et les artistes. Rouault, Cocteau, Chagall..,, Strasbourg, Bibliothèque Nationale et Universitaire, 2016, 285 pages, ISBN 978-285-92-30-654, 39 €. La BNU de Strasbourg a acquis en décembre 2014 le fonds d'archives du couple exceptionnel constitué par Jacques et Raïssa Maritain, philosophes, catholiques convertis (elle du judaïsme, lui du protestantisme libéral), mécènes et amis de nombreux artistes, dont les plus célèbres furent Rouault, Coeteau et Chagall. Moins de deux ans après, eette même institution a mis en plaee une remarquable exposition dont nous avons ici le catalogue. Sous la direction de Claude Lorentz, plusieurs plumes qui nous sont connues ont collaboré à l'ouvrage. On en mentionnera deux. Madeleine Zeller propose une belle synthèse, aceompagnée d'archives montrées, des relations entre le eouple Maritain et le couple Chagall - l'origine juive et russe des deux épouses, Raïssa et Bella, a sous ce rapport joué un rôle non négligeable. Est mise en évidence l'influence du peintre sur le philosophe et la poétesse, et réeiproquement (p. 219-248). Isabelle Saint-Martin retrace les rapports de Maritain à 1'« art sacré/l'art chrétien » en une magnifique synthèse (p. 63-68). La liberté de pensée de l'auteur de Art et scolastique (1920) peut être résumée par cette belle injonc¬ tion : « Si vous voulez faire une œuvre chrétienne soyez chrétien et ne cherchez pas à faire une œuvre belle, où passera votre cœur, ne cherchez pas à "faire ehrétien" ». Dans la ligne de Maurice Denis et du Père Couturier, Maritain soutient l'innovation artistique en contexte chrétien ; l'artiste doit être « libre en tant qu'artiste, et saint en tant qu'homme » (p. 64). Sa fidélité absolue à l'Eglise et au dogme limite quelque peu eette liberté dans la pra¬ tique : quand l'art devient trop dérangeant, voire conflietuel, le philosophe défend l'Église et non les arts. De nombreux autres artistes connus dans des milieux plus restreints firent partie du « cerele Maritain », eomme Gino Severini, Jean Hugo, Guy de Chaussac, Marie-Alain Couturier, Henri Ghéon, ainsi que les éerivains et

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poètes Max Jacob, Maurice Sachs ou les musiciens Georges Auric, Manuel de Faya, Igor Stravinsky, Nicolas Nabokov, Arthur Lourié. Mentionnons pour finir les artistes rencontrés aux Etats-Unis, tels Théodore Brenson, André Girard et John Howard Griffin. Certains d'entre eux embrassèrent, immé¬ diatement ou par la suite, une vocation religieuse. De ces artistes, le catalogue présente non seulement quelques-unes des œuvres, souvent marquées par l'empreinte chrétienne, mais aussi les éehanges épistolaires, billets, rencontres, photos avee dédicaees, qui eonstituent des témoignages vivants et émouvants. L'ouvrage se clôt par une réflexion plus théorique de Maritain sur la philosophie et la spiritualité de l'art, qui se situe dans la ligne de la pensée thomiste. Tel est, à notre sens, l'aspect le plus vieilli de eette pensée brillante. On regrettera que le titre de l'exposition et le visuel n'aient pas laissé une place à Raïssa, car c'est bien le couple en tant que tel qui fut le promoteur de ce dialogue avec les artistes, et Raïssa ne fut pas en reste pour ee qui eoneerne la produetion littéraire. On aurait aussi aimé avoir plus d'éelairages sur les racines protestantes de Jacques (qui reçut une éducation religieuse protestante, dispensée par le pasteur libéral Jean Réville), les¬ quelles expliquent sans doute ses positions atypiques de laïc influent au sein du eatholieisme d'alors, obéissant certes à l'Église romaine, mais gardant toujours une pensée libre et en dialogue, donc féconde. J. Cottin

Nathalie Dietschy, Le Christ au miroir de la photographie contemporaine, Neuchâtel, Éditions Alphil - Presses universitaires suisses, 2016, 352 pages et 155 photos en quadriehromie, ISBN 978-2-88930-088-4, CHF 59. Cet ouvrage, autant d'art que d'érudition, est issu d'une thèse de doc¬ torat que l'A. a soutenue en 2012 à l'Université de Lausanne (Faculté de Lettres, section Histoire de l'art). On mesure le patient travail qui a présidé à son édition sitôt qu'on découvre le nombre et la qualité des visuels, dont eertains ont dû demander de longues négociations pour pouvoir être repro¬ duits. L'A. a analysé la production de 45 artistes photographes reconnus sur la scène artistique internationale et qui se sont inspirés de la figure du Christ. Les plus connus d'entre eux sont Renee Cox, Olivier Christinat, Wim Delvoye, David LaChapelle, Marcos Lopez, Adi Nés, Elisabeth Ohlson Wallin, Pierre et Gilles, Bettina Rheims, Greg Semu, Andres Serrano, Joel-Peter Witkin. Un certain nombre de clichés ont déclenché des polémiques, en raison des retournements et détournements dont a fait l'objet la figure ehristique, souvent guidés par un parti-pris militant. C'est le eas avee Renee Cox, qui se photographie elle-même en Christ nue célébrant la Cène, ou encore avec Elisabeth Ohlson Wallin qui photographie un Christ (sympathisant) homo¬ sexuel ; sa série Ecce Homo (1996-1998) fut du reste exposée dans un eertain nombre d'églises protestantes en Europe. Greg Semu représente une Céne cannibale pour dénoncer l'alliance entre christianisme et colonialisme dans les îles du Pacifique dont il est originaire, tandis que Rauf Mamedov pho¬ tographie une Cène où Jésus et ses disciples sont trisomiques. Sans parler de la photographie Piss Christ, d'Andrès Serrano, qui fut vandalisée à Avignon

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en 2011. Des photographies de presse qui ont fait le tour du monde et dont on juge qu'elles comportent un contenu christique sont analysées, telle la « Pietà du Kosovo » (1990) de Georges Mérillon ou la « Madonne algérienne » (ou «pietà de Bentalha », 1997) de Hocine Zaourar. Parfois, la publicité est englobée dans cette création, comme la Cène féminine de Brigitte Niedermaier, pour la firme de vêtements Girbaud (2005). Il s'en faut pourtant de beaucoup que l'ouvrage se réduise à l'analyse de photographies qui furent fortement médiatisées. Il propose (partie I) une réflexion sur le statut artistique, on pourrait presque dire « ontologique », du médium photographique, à partir du précurseur que fut Fred Holland Day (1898), mais aussi des images acheiropoïètes, que certains considèrent (abu¬ sivement) comme les premières « photographies ». La partie II (« De la citation à la narration ») se concentre sur différentes thématiques esthétiques et ehristiques, tandis que la partie III (« De l'identification à la revendica¬ tion ») porte sur les autoportraits en Christ, les images militantes et provo¬ cantes (ou tenues pour telles). On regrettera que, à propos de Che Guevara, seule la photographie du Che mort de Freddy Alborta (1967) soit étudiée et non celle, autrement célèbre et également « christique », d'Alberto Corda, qui, reprise en sérigraphie, donna lieu à l'inusable image ieonique que l'on connaît. On se demande par ailleurs ce que vient faire l'étude du tableau de Chris Ofili, The Holy Virgin Mary (1996), dans cette sélection. Mais ce sont là des détails, Fensemble de ce corpus, encore jamais étudié esthétiquement et historiquement, constituant un fonds documentaire remarquable. J. Cottin François-Xavier de Boissoudy, Résurrection, miséricorde. Lavis d'encres sur papier, 2014-2016. Texte de François Boespflug, Cliehy, Corlevour, 2016, 77 pages, ISBN 978-2-37209-023-0, 28 €. François Boespflug nous fait découvrir un « artiste chrétien » - il en existe encore -, c'est-à-dire un artiste qui n'hésite pas à mettre son art au service de sa foi, laquelle est en l'occurrence née tardivement, suite à une expérience spirituelle faite par Boissoudy en 2004 - il est né en 1966. Il s'agit done d'une forme d'art résolument opposée aux mouvements artistiques contemporains, en ce qu'il suppose une double continuité par rapport à la tradition artistique : il est figuratif et biblique. À ce titre il intéressera le lecteur de la Bible, qui cherche, souvent sans les trouver, des échos visuels contemporains aux textes bibliques qu'il scrute. Cet art est également en noir et blanc, fait de lavis d'encre sur papier. Les aquarelles sont en une seule couleur (le noir et ses dérivés : gris sombre, gris clair et son contraire : le blanc) ; la fluidité et la trace de l'eau sur le papier sont visibles. Les vides et la blancheur du papier sont alors aussi importants que les pleins et les noirs. C'est là une esthétique connue des protestants, constituée par la mise en avant des deux « non couleurs » que sont le noir et le blanc, ce que l'historien Michel Pastoureau a appelé le « ehromoelasme » des protestants. On est toutefois troublé par le fait que le commentateur évoque conti¬ nuellement des « toiles », alors qu'il est question, dans le titre de l'ouvrage,

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