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Classiques Garnier

Éthique

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ÉTHIQUE

Hans Joas, Comment la personne est devenue sacrée. Une nouvelle généa¬ logie des droits de l'homme. Traduit de rallemand par Jean-Marc Tétaz, Genève, Labor et Fides, 2016, 320 pages (Le champ éthique 64), ISBN 978-2-8309-I6II-9, 29 €. Traduction d'un ouvrage publié en allemand en 2011, ce livre met à la disposition du lectorat francophone les matériaux d'une thèse qui fait déjà amplement débat outre-Rhin. L'intention de l'A., professeur de sociologie de la religion à l'Université Humboldt de Berlin, et professeur de sociologie et pensée sociale à l'Université de Chicago, est de tenter de reconstituer une généalogie des droits de l'homme susceptible de dépasser la dichotomie clas¬ sique entre l'héritage des Lumières et la filiation judéo-chrétienne. Pour ce qui concerne cette dernière, il n'hésite pas à qualifier de « tour de passe-passe » (p. 27) la thèse d'une conquête de sa propre tradition par une religion qui a bafoué le respect de la personne humaine durant dix-sept siècles. Il lui oppose l'hypothèse d'un processus de sacralisation de cette personne, c'est-à-dire de l'émergence contingente et de 1'« avènement » (Entstehung) de valeurs nou¬ velles du fait de l'accumulation d'expériences subjectives, tant tragiques (torture, violence esclavagiste, meurtres de masse) que positives (requêtes universalistes). Le judéo-christianisme, tout aussi bien que l'humanisme séculier du XVIIÉ siècle, a été mis au défi par ces valeurs, qui peu à peu s'imposaient avec évidence, de se réinterpréter lui-même. Lt cette incor¬ poration de l'innovation axiologique dans la tradition judéo-chrétienne a été elle-même un long processus, puisque l'Église catholique n'a inscrit les droits de l'homme dans le droit naturel qu'après la Seconde Guerre mondiale et que les protestants sont longtemps restés sceptiques devant ce qui pouvait apparaître comme la « Magna Charta de l'autonomie humaine » (p. 213). La position de l'A. présente l'intérêt de renouveler les termes du débat quant à l'histoire des droits de l'homme. Fortement inspirée par l'œuvre d'Lrnst Troeltsch, elle évite de tomber dans un relativisme de facture nietzschéenne, puisqu'elle rend compte d'une généalogie affirmative, et non d'un ressentiment. Le recours à la notion de réinterprétations créatives permet d'éclairer l'universalisation des droits de l'homme et leur appropriation par toute culture, comme ce fut le cas dans nombre de pays du monde lors de la Déclaration de 1948. Il semble néanmoins, même si l'A. reconnaît que l'idée chrétienne de la vie comme un don du Créateur a pu dresser un rempart « contre son instrumentalisation » (p. 256), qu'un certain nombre de ferments symboliques spécifiquement bibliques (le motif d'imago Dei, la septième parole du Décalogue, l'impartialité divine, le commandement d'amour des ennemis, l'universalité de l'œuvre du Christ) se trouvent ici minorés pour mieux nourrir la thèse de la sacralisation et de la réinterprétation. Outre la préface de la première édition (2011), cette traduction comprend la préface de l'édition de poche (2015), une bibliographie conséquente (p. 289-312) et un index des patronymes. F. Rognon

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REVUE DES LIVRES

Sarah M. Grimké, Lettres sur l'égalité des sexes. 1838. Introduction, tra¬ duction et notes par Michel Grandjean, Genève, Labor et Fides, 2016, 278 pages, ISBN 978-2-8309-1604-1, 23 €. Miehel Grandjean, professeur d'histoire du christianisme à la Faculté de Théologie protestante de l'Université de Genève, fournit ici la première traduetion française des 15 lettres écrites par l'Américaine Sarah Grimké, entre juillet et octobre 1837. Ces lettres s'avèrent surprenantes de puissance d'argumentation et de langage pour défendre la dignité des femmes. Sarah et sa sœur Angelina, de 13 ans sa cadette (dont on trouve aussi deux lettres en annexe), nées en Caroline du Sud, avaient grandi dans un milieu où l'esclavage existait encore et s'étaient engagées dans une lutte active pour son abolition en 1835, soutenues par les quakers qu'elles avaient rejoints en 1821. Dans ces Lettres, qui sont des plaidoyers destinés à un lectorat large, mais envoyées à Mary Parker, la présidente de la Soeiété féminine anti¬ esclavagiste de Boston, Sarah lutte pour les droits des femmes à l'aide des mêmes arguments que ceux employés en vue de l'abolition de l'esclavage : la dignité des êtres humains créés à l'image de Dieu. Elle se fonde « exclusi¬ vement sur la Bible », « avec l'aide du Saint-Esprit, sans se laisser diriger par les opinions d'un homme, quel qu'il soit, ni d'aueun groupe d'hommes » (p. 51) ! Ce ton ineroyablement courageux traverse les lettres, notamment lorsque Sarah rappelle aux femmes qu'elles se font du tort à elles-mêmes en acceptant de ne pas être considérées et de ne pas avoir de respect pour elles-mêmes (lettres 2 et 8). Elle en appelle à des réformes juridiques (1. 13) et même à une ouverture du ministère pastoral aux femmes (1. 14). Tout aussi préeieuse que la traduction de ees plaidoyers est la partie historique de 35 pages qui les préeéde, à laquelle s'ajoutent les abondantes notes de bas de page qui replacent ce débat dans son vaste contexte histo¬ rique ainsi que dans l'histoire du féminisme naissant, avec de multiples détails que d'autres ouvrages traitant de cette période ne fournissent pas. En somme, c'est à un véritable travail de bénédietin que M. Grandjean s'est livré. Les études de genre lui en sauront gré. E. Parmentier

Lytta Basset, Vivre, malgré tout, Genève, Labor et Fides, 2016, 187 pages, ISBN 978-2-8309-1587-7, 18 €. Cet ouvrage est la reprise de sept articles parus entre 2006 et 2015 dans la revue La Chair et le Soujfle - aujourd'hui arrêtée - qu'a longtemps dirigée Lytta Basset. Ils sont préeédés d'une introduction dans laquelle l'A., revenant sur son histoire personnelle, explicite son choix de « Vivre, malgré tout ». 11 n'est guère utile de présenter ΓΑ., théologienne et accompagnatrice spirituelle, une figure appréciée par beaucoup de personnes en recherche aux carrefours de la théologie, de la spiritualité et des questions de sens. Les articles réunis dans cet ouvrage s'inscrivent bien dans la ligne existentielle et spirituelle qui est la sienne. Elle y chemine entre relecture des textes bibliques, dimension psychologique et référenees philosophiques, le tout appuyé sur son expérience personnelle, comme en témoigne l'introduction.

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