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Les évolutions de l’enseignement religieux en droit local alsacien mosellan De la catéchèse à l’interreligieux

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LES ÉVOLUTIONS
DE L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX
EN DROIT LOCAL ALSACIEN MOSELLAN
De la catéchèse à l'interreligieux
Francis Messner

UMR 7354 Droit, religion, entreprise et société (DRES)
MISHA — 5 allée du Général Rouvillois — CS 50008 — F-67083 Strasbourg


Résumé : L'enseignement religieux relevant du statut local en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle a, au cours de ces dernières décennies, été remodelé en profondeur. IZ a progressivement abandonné la dimension catéchétique et confessante au profit d'un contenu articulé autour de la connaissance des religions. La dynamique qui a porté cette évolution se prolonge avec la mise en place d'une expérimentation avec un enseignement sur l'interreligieux ouvert à tous et sans procéder à la séparation des élèves par confession. Son portage est assuré par les cultes statutaires qui répondent ainsi à des défis sociétaux comme l'inculture en matière religieuse et la montée des intégrismes et des radicalismes.
Abstract : Religious education in schools according to the local laves in force in the French `départements' of Bas-Rhin, Haut-Rhin and Moselle has been profoundly remodelled in recent years. It has progressively abandoned its catechetical and denominational loyalties in favour of a syllabus constructed around general religious knowledge. The forces which set this evolution in train have continued by setting up experiments with interfaith religious edu- cation open to all and not involving the division of pupils into separate faith groups. These achievements are underwritten by the religions recognised by local Statute which are trying to respond to current social challenges such as the general lack of religious knowledge in the population, as well as the rise of fundamentalism and radicalisation.
L'enseignement religieux dans les établissements d'enseignement publics s'est, depuis des décennies, progressivement adapté aux nou- veaux contextes socioreligieux en Europe, en essayant de dépasser le modèle classique de la catéchèse et de la transmission de la foi.
Il fait par ailleurs, depuis quelques années, figure de remède aux différents maux qui minent le religieux contemporain. Les phéno-
mènes de radicalisation, l'inculture en matière religieuse, la montée des intégrismes et le retour à des interprétations littéralistes des textes fondateurs pourraient être contrecarrés grâce à des approches

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inclusives, rationnelles et distanciées du phénomène religieux. De nombreux chercheurs ont étudié ces processus 1. L'objectif de cette contribution est de présenter un exemple relevant du cadre français. Il privilégie les développements de l'enseignement religieux en droit local alsacien-mosellan en présentant son statut actuel (II) auquel est adossé un projet de création d'un enseignement interreligieux (III) qui s'inscrit dans les évolutions de l'enseignement religieux en Europe (I).
I. LES ÉVOLUTIONS DE L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX EN EUROPE
1. Des modèles diversifiés

L'enseignement religieux dans les écoles publiques en Europe relevait jusqu'à une période récente d'un modèle qui existait dans tous les pays aux xvllle-xlxe siècles et au début du xxe siècle, celui de l'enseignement confessionnel de la religion. Il était, et est encore dans de nombreux États, organisé en coopération avec les groupements religieux et constituait une matière mixte (res mixta 2) du droit ecclésiastique. Des évolutions récentes ont cependant eu tendance à remodeler progressivement cette ancienne architecture. De nouvelles interrogations et demandes ont été générées par la sécularisation de la société européenne, laquelle a entraîné une perte de connaissances religieuses et url désintérêt relatif pour la religion, notamment au sein de la jeune génération 3. Par ailleurs, les cultes récemment implantés sur le territoire national affichent des taux importants de pratique cultuelle et url fort sentiment d'appartenance4 religieuse.
Ces évolutions continuent cependant d'être influencées par les conceptions de la transmission religieuse propres à chaque confes- sion. Pour les Églises protestantes historiques, la transmission de la foi relève des paroisses et non des établissements scolaires publics, alors que l'Église catholique défend, en application de son droit ecclésial 5, le droit à une éducation religieuse dans les écoles publiques. Dans les États sociologiquement orthodoxes, les cours
1 Voir notamment Willaime, 2014.
2 Les matières mixtes, ou affaires communes, étaient et sont encore, dans certains États européens, des éléments du droit des relations État/religion gérées à la fois par l'État et les Églises comme l'enseignement religieux, les facultés de théologie, les lieux d'inhumation. Ce mécanisme a disparu en France à l'issue de la Révolution.
3 Voir le site du projet EUREL : rubrique «Europe > Données socio-religieuses »
(http://www. eurel. info/spip.php?rubrique572).
a Voir Messner, 2017.
s Code de droit canonique, canons 796 à 806.

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de religion dans les écoles publiques sont organisés dans le cadre de relations supposées harmonieuses entre l'État et l'Église appelées symphonie des pouvoirs ».
Actuellement, un enseignement confessionnel de la religion dispensé séparément pour les élèves de chaque religion concernée 6 dans les établissements d'enseignement public subsiste notamment en Italie, en Espagne, au Portugal, en Belgique, en Autriche, en France pour l'Alsace-Moselle et en Allemagne. Dans ce cas, les autorités religieuses rédigent les programmes et proposent pour nomination les enseignants de cette matière. Les autorités publiques agréent les programmes, nomment et rémunèrent les enseignants de religion qui sont, selon les cas, fonctionnaires ou contractuels. Des efforts en faveur de l'égalité de traitement entre les différentes reli- gions ont, sauf exception, entraîné à la fin du xxe siècle une multi- plication de cours d'enseignement religieux ouverts à des religions minoritaires sur le modèle des religions majoritaires Ainsi, en Belgique, la reconnaissance légale d'un culte entraîne l'obligation pour l'administration scolaire d'organiser url enseignement religieux confessionnel. Elle est tenue d'honorer les demandes émanant des parents, ne serait-ce que pour un seul élève. Cette situation est régu- lièrement critiquée, mais aucune réforme n'a pu aboutir jusqu'à présent en raison de tensions politiques. En Autriche, l'ensemble des cultes organisés dans le cadre des collectivités de droit public ont le droit d'organiser un enseignement religieux confessionnel. De même, en Espagne, les religions qui ont conclu une convention avec l'État espagnol dispensent un enseignement de ce type. Ce modèle historique de l'enseignement religieux n'échappe pas à la critique. Les élèves sont séparés par religions. L'administration se heurte à des difficultés liées à la gestion d'un emploi du temps éclaté. La confection des programmes échappe parfois au contrôle des pouvoirs publics. Les modes de formation des enseignants ne sont pas toujours précisés. Si les enseignants français, allemands et autrichiens de religion sont tenus d'être titulaires des mêmes diplômes que leurs collègues professant les matières profanes, il n'en va pas de même en Italie, en Espagne et en Belgique où la caution de l'autorité religieuse est considérée comme suffisante. Se pose également une question de fond, celle de la définition de ce cours : s'agit-il d'une transmission des croyances et de la foi ou d'une transmission de connaissances religieuses, et avec quelles méthodes ?

6I1 s'agit le plus souvent, dans les États européens, non pas de toutes les religions mais des cultes reconnus, conventionnés ou encore des Églises dites nationales.

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Ce modèle historique a néanmoins évolué, puisque nombre d'États, en accord avec les groupements religieux concernés ou malgré leurs réticences, ont instauré des cours de religion inter- confessionnels ou encore des cours de religion neutres, c'est-à-dire non confessionnels. En Angleterre et au Pays de Galles, l'ensei- gnement religieux obligatoire, avec une possibilité de dispense, est interconfessionnel. Il ne s'agit pas, dans ce cas, de catéchiser les élèves, mais plutôt de leur fournir de manière pragmatique des éléments de connaissance de leur religion et de celles des autres élèves scolarisés dans le même établissement. Les programmes fixés à l'échelon local prennent en compte, depuis 1988, le christianisme et les principales religions non chrétiennes représentées en Grande- Bretagne par le biais d'une collaboration entre l'administration scolaire, l'Église anglicane établie en Angleterre et désétablie au Pays de Galles et les autres religions concernées. Cette volonté de promouvoir le dialogue interreligieux dans le système éducatif se retrouve également dans nombre de cantons suisses où des cours de «Culture et religion » et d'« Éthique et religion » ont progressi- vement remplacé l'enseignement religieux confessionnel'. Le gou- vernement fédéral suisse a initié une réflexion sur la création d'un cours de religion «inclusif» associant l'ensemble des acteurs parents d'élèves et élèves, représentants des religions, associations d'enseignants, représentants de l'administration scolaire. Les pays nordiques, la Suède en particulier, ont depuis le milieu du xxe siècle abandonné l'enseignement protestant confessionnel pour dévelop- per des cours obligatoires de connaissance du christianisme, des principales religions et des philosophies non religieuses, sans inter- vention des Églises luthériennes populaires ou nationales dans la rédaction des programmes et la nomination des enseignants. Cette formule a également été retenue par l'État du Grand-duché de Luxembourg où l'enseignement religieux dans les écoles publiques à destination des seuls élèves catholiques était organisé par l'administration, de concert avec l'archevêché qui fixait le contenu des cours et proposait pour nomination les enseignants du primaire et du secondaire. Il sera remplacé à la rentrée 2017 par un cours obligatoire intitulé «Vie et société »dans le respect des procédures en vigueur au ministère de l'Éducation nationale luxembourgeois pour les autres disciplines. Ce cours, rangé parmi les matières obli- gatoires, sera dispensé par un enseignant ou un chargé de cours pour l'enseignement fondamental (primaire) et par les enseignants actuels pour le secondaire ; en d'autres termes, par les professeurs actuels de religion catholique, qui seront progressivement remplacés

~ Voir Furer, 2012.

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à la suite de leur départ à la retraite ou de leur reconversion par des «enseignants spécialisés » g. Cet enseignement est non confession- nel, mais l'administration est tenue de recueillir un avis non conforme relatif aux programmes auprès du Conseil des cultes conventionnés regroupant statutairement toutes les religions ayant signé un accord avec le gouvernement de l'État du Grand-duché 9.
Il convient de souligner que les systèmes d'enseignement de la religion des États européens ne sont pas toujours monolithiques et que diverses combinaisons sont possibles dans url même État, comme l'illustre le cas de la Lettonie où un enseignement du christianisme est organisé par les protestants et les orthodoxes, alors que l'Église catholique peut créer, en sus de cet enseignement interconfessionnel, url enseignement religieux confessionnel catholique dans le cadre des écoles publiques. De même, la ville-État de Hambourg a chargé l'Église territoriale protestante, qui a renoncé à son enseignement confessionnel du protestantisme, de créer un cours de religion ouvert à tous les élèves tout en maintenant, dans le respect des principes constitutionnels 10, des cours de religion confessionnels pour les religions qui le souhaitent comme le catholicisme et l'islam.
L'enseignement religieux en Europe peut donc être confession- nel, interconfessionnel/interreligieux ou encore neutre confession- nellement.
2. Islam et enseignement religieux

L'institutionnalisation de l'islam en Europe a accéléré le remo- delage du statut de l'enseignement religieux. Les pouvoirs publics des pays européens comprenant un nombre significatif de musul- mans souhaitent intégrer les élèves de cette confession dans les dispositifs en vigueur, et cela, en dépit des difficultés existantes. En l'absence, le plus souvent, d'établissements d'enseignements supé- rieur de théologie musulmane 11, les enseignants formés font défaut. L'approche académique et distanciée de la religion, sa présentation dans le cadre de la méthodologie mise en oeuvre dans les établis- sements scolaires n'est pas toujours acceptée par les communautés

a Voir Messner, 2015a. Convention entre l'État du Grand-Duché de Luxembourg et l'Église catholique du Luxembourg concernant l'organisation du cours commun «éducation aux valeurs » du 26 janvier 2015.
9Articles 12 et 13 de la Convention entre l'État du Grand-Duché du Luxembourg et l'Église catholique du Luxembourg du 26 janvier 2015.
10 Yertrag zwischen der Freien und Hansestadt Hamburg, dem DITIB-Landesverband Hamburg, SCHURA —Rat der Islamischen Gemeinschaften in Hamburg und dem Yerband der Islamischen Kulturzentren, 2012. Une convention similaire a été conclue entre les communautés musulmanes et la ville-État de Brême.
ii Messner, 2015b.

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religieuses et les modes de représentation institutionnelle des communautés musulmanes ne correspondent pas aux critères fixés par les autorités publiques. Malgré ces difficultés, certains États ont créé un enseignement religieux musulman ; citons l'Autriche, l'Allemagne et la Belgique. En conséquence, ces États ont égale- ment établi des centres pour la formation des maîtres. L'Allemagne a ainsi instauré cinq instituts de théologie musulmane dans des universités publiques ; l'Autriche prévoit de fonder en 2017 une faculté de théologie musulmane à l'Université de Vienne et la Belgique a, depuis peu, développé des masters en théologie musul- mane au sein des universités de Leuven et de Louvain-la-Neuve.
La création d'un enseignement religieux confessionnel suppose l'existence d'instances religieuses représentatives des religions concernées. Elles représentent des communautés dont les activités sont majoritairement cultuelles et qui exercent une fonction théo- logique. Les cultes habilités à organiser un enseignement religieux confessionnel dans les États européens sont en principe des religions auxquelles les pouvoirs publics ont conféré un statut particulier comme les cultes reconnus, les cultes conventionnés ou encore les cultes enregistrés. En RFA, cette contrainte n'existe pas, mais l'administration retient pour l'organisation de l'enseignement reli- gieux grosso modo les mêmes critères que ceux nécessaires à la création d'une corporation de droit public représentant une société religieuse 12. L'instauration d'un enseignement religieux suppose également l'existence de mécanismes de collaboration entre les religions et l'État. Il s'agit de combiner la liberté d'organisation des cultes avec l'organisation et la pédagogie de l'enseignement public. Cet équilibre est difficile à atteindre. En Allemagne, seuls deux États fédérés ont jusqu'à présent instauré un enseignement religieux musulman au sens de l'article 7 de la loi fondamentale de 194913 : la Rhénanie du Nord-Westphalie en 2012 et la Basse- Saxe en 2013. Un enseignement de la religion musulmane a été mis en place dans quelques Lünder par l'administration sous la forme d'un enseignement non confessionnel (Islamische Unterweisung). Les enseignants de religion musulmane en Belgique sont nommés par l'Exécutif des musulmans de Belgique (EMB) ;nombre d'entre
12 Le groupement demandeur doit correspondre aux critères retenus pour qualifier une communauté religieuse en droit allemand : la communauté doit être organisée et struc- turée, son objectif est la pratique commune de la religion, les croyances font l'objet d'un consensus entre les membres et son objet religieux doit être parfaitement identifié.
13 Article 7 § 3 de la Loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne «L'instruction religieuse est une matière d'enseignement régulière dans les écoles publiques à l'exception des écoles non-confessionnelles. L'instruction religieuse est dispensée confor- mément aux principes des communautés religieuses, sans préjudice du droit de contrôle de l'État. Aucun enseignant ne peut être obligé de dispenser l'instruction religieuse contre son gré. »

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eux rencontrent cependant des problèmes linguistiques et n'ont pas les titres requis. Certains ont certes le niveau d'études exigé, mais aucune formation en islamologie et en pédagogie, alors que la reli- gion musulmane figure dans les programmes scolaires depuis 1974.

II. LE STATUT ACTUEL DE L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX
EN DROIT LOCAL ALSACIEN-MOSELLAN

En droit français 14, l'État garantit aux élèves et aux représen- tants légaux des élèves mineurs la liberté de conscience et de culte, dont le droit à l'enseignement religieux dans les établissements d'enseignement publics est une des facettes. La liberté d'instruction religieuse est cependant mise en oeuvre selon différentes modalités, en droit général, qui distingue les écoles primaires de l'enseignement secondaire, et en droit local alsacien-mosellan : vacation d'une journée hebdomadaire pour les élèves des écoles primaires 15 et pos- sibilité de création d'aumôneries dans les établissements secondaires, en droit général 16 et dans les droits locaux d'outre-merl' ; oblig- ation pour l'administration d'organiser un enseignement religieux intégré dans les programmes des écoles, des collèges et des lycées, en droit local alsacien-mosellan.
Les règles relatives à l'enseignement religieux 18 dans les éta- blissements d'enseignement privés et publics des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle comportent des textes d'origine française 19 et des textes d'origine allemande 20. Cet arsenal juridique a été maintenu en vigueur à titre provisoire par une loi du 12 octobre 1919, puis définitivement par la loi du 1 er juin 1924 21. Ces dispositions particulières régissant l'enseignement demeurent en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle conformément au Code de l'éducation 22. Aux termes de

ia Voir Messner — Woehrling, 1996, ainsi que Messner — Prélot — Woehrling, 2013.
15 Article L141-3, Code de l'éducation.
16 Article L141-2, R141-2 — 141-7 du Code de l'éducation.
'~ Il n'existe pas de dispositions spécifiques relatives à l'enseignement religieux dans
les territoires et départements d'outre-mer.
18 La loi du 15 mars 2004 qui interdit aux élèves le port de tout signe religieux osten-
sible mais qui autorise le port de symboles discrets s'applique dans les départements du

Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
iv Loi du 15 mars 1850 dite loi Falloux.
20 Loi du 12 février 1873 sur l'enseignement public et privé et article l0A de son ordon- nance d'application du 10 juillet 1873 modifié par l'ordonnance du 16 novembre 1887 et règlement du 20 juin 1883.
21 Conseil d'Etat (abrégé dorénavant en CE), 6 avri12001, n° 219379. ~ Article L481-1 Code de l'éducation et CE, 6 juin 2001, n° 224053.

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la jurisprudence du Conseil d'État 23, l'administration est tenue d'organiser l'enseignement religieux dans les établissements d'ensei- gnement public, mais cette obligation s'impose différemment selon qu'il s'agit du premier ou du second degré. Le cycle préélémentaire, quant à lui, ne comporte pas d'enseignement religieux obligatoire. Un éveil religieux peut cependant être organisé dans les écoles maternelles par les seuls instituteurs ou professeurs des écoles ~`. En l'absence d'enseignant volontaire, l'éveil religieux n'est pas assuré.
L'enseignement dispensé à l'École supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE) de l'Université de Strasbourg comprend, dans le cadre du Parcours de professionnalisation aux métiers de l'enseignement (licence), une unité d'enseignement optionnelle intitulée «Questions morales et religieuses ». Les enseignants sont des laïcs et, plus rarement, des ministres du culte dont la nomina- tion ne relève pas de l'autorité religieuse. Depuis la rentrée 2016, un maître de conférences d'histoire des religions de la faculté de théologie catholique est affecté à mi-temps à l'ESPE pour l'ensei- gnement des «questions religieuses ». Dans l'ESPE de Lorraine, où seul le département de la Moselle est concerné par le statut scolaire local, aucune unité d'enseignement de religion n'a été mise en place depuis la disparition des Écoles normales 2s.
La question de l'organisation d'un enseignement des religions pour les cultes non statutaires et, plus particulièrement, pour l'islam s'est posée de manière récurrente depuis plusieurs décennies sans jamais déboucher sur une solution concrète. Une décision du Conseil constitutionnel de 201126 qui entérine le maintien du droit local comme « un principe fondamental reconnu par les lois de la République », en précisant que d'éventuelles modifications ne doivent pas accroître les différences de traitement qui pourraient en résulter ni augmenter leur champ d'application, semble constituer un frein supplémentaire à la création de nouveaux enseignements religieux confessionnels. Pour l'administration, la jurisprudence Somodia mais également la «non-reconnaissance » du culte musulman font obstacle à l'extension de l'enseignement religieux confessionnel. À l'inverse, le président de l'Institut du droit local alsacien-mosellan considère que c'est à tort que l'on invoque la jurisprudence Somodia.

~ CE, 6 juin 2001, Archevêque de Strasbourg et autres, requêtes n° 224053 ; CE, 6 avri12001, Syndicat national des enseignements du second degré SNES, n° 219379, 221699, 221700.
za Décret du 21 mars 1855.
zs Aucun texte constitutif des IUFM qui ont remplacé les écoles normales ne fait réfé- rence au statut scolaire local. Il en est de même pour les ESPE. Voir Messner — Prélot Woehrling, 2013, p 1818-1819.
z6 Conseil constitutionnel, 5 août 2011, n° 2011-157 QPC, Société Somodia.

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Il ne s'agit pas, selon lui, de créer de nouvelles règles mais d'appliquer des règles existantes. Par ailleurs, l'enseignement reli- gieux ne constituerait pas un droit lié au statut des cultes reconnus. En effet, les textes datant de la fin du xlxe siècle ont généralisé l'obligation d'assurer un enseignement religieux. Cette générali- sation est la seule voie compatible avec le principe de neutralité religieuse de l'État 27.
L'enseignement religieux dans les écoles, collèges et lycées publics des trois départements de l'Est ne soulève pas de problèmes particuliers. La population y est globalement favorable. Force est cependant de constater une érosion constante de l'inscription à ces cours, érosion qui atteint un niveau élevé dans les lycées, sans pour autant épargner les écoles primaires. Il est jusqu'à présent dispensé dans un climat apaisé. Les relations entre les autorités rectorales et les autorités religieuses sont organisées grâce notamment à la tenue annuelle d'une conférence rassemblant les partenaires institutionnels, c'est-à-dire les recteurs de Strasbourg et de Nancy et les autorités des cultes statutaires catholique, protestant et juif.
Il convient de distinguer l'enseignement religieux dispensé dans les écoles de l'enseignement religieux donné dans les lycées et les collèges, au regard des sources juridiques, du nombre des élèves inscrits, de la nature de la dispense, des différentes modalités d'enseignement et du statut des enseignants.
1. L'enseignement primaire

L'article 36 de la loi du 15 mars 1850 (loi Falloux) dispose que les écoles primaires publiques sont confessionnelles. Cette norme tendant à instaurer des séparations en fonction des appartenances religieuses dans les écoles est atténuée par l'article 15 de la même loi qui autorise les communes « à raison des circonstances et pro- visoirement, àétablir ou conserver des écoles primaires dans les- quelles seront admis des enfants de l'un ou l'autre sexe, ou des enfants appartenant à un culte différent ». Il n'existe plus à l'heure actuelle de différences entre les écoles primaires confessionnelles et interconfessionnelles. L'affiliation religieuse des élèves et des enseignants 2s n'est plus prise en compte dans l'organisation et le fonctionnement des établissements, exception faite pour l'enseigne- ment religieux. Mais même dans ce cas, les parents inscrivent leurs enfants dans un des cours de religion organisés par l'administration, sans que celle-ci puisse vérifier leur affiliation religieuse. L'inscription
27 Voir Woehrling, 2017.
2a Décret du 3 septembre 1974 et décret du 6 septembre 1990.

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dans la loi de la distinction entre écoles confessionnelles et inter- confessionnelles ne se justifie plus. Elle a été supprimée en fait et en droit par les décrets des 3 septembre 1974 et 6 septembre 1990.
Un enseignement religieux confessionnel relevant des cultes catholique, protestants (UEPAL) et juif fait partie intégrante des programmes scolaires. Cet enseignement, mis en place avec l'accord des autorités religieuses des cultes statutaires, est d'une heure, intégrée à l'emploi du temps hebdomadaire. Cet horaire peut être porté à deux heures pour les trois dernières années de l'école élé- mentaire par décision du recteur d'académie 29. Cet enseignement est obligatoire en tant qu'il est lié à l'obligation scolaire en général, mais les parents d'élèves peuvent en dispenser leurs enfants qui doivent alors suivre un cours de substitution. Dans la pratique, les parents ne demandent pas une dispense, mais remplissent tous une fiche d'inscription. Les élèves sont soit inscrits dans un cours de religion catholique, protestante, juive ou dans un cours de religion interconfessionnel (catholique et protestant), soit reçoivent un com- plément d'éducation morale assuré par les professeurs des écoles 30 L'enseignement moral et civique enseigné sur l'ensemble du terri- toire français depuis 2015 conformément à la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République s'ajoute au complément d'enseignement moral donné aux élèves dispensés de l'enseignement religieux 3l
Les élèves de différentes classes et d'une même confession peuvent être regroupés pour le cours d'enseignement religieux aux fins de constituer un groupe suffisamment important. Les deux cultes chrétiens organisent, dans certains cas, des cours de religion communs Le taux de participation des élèves est passé de 71 en 2007 à 58 % en 2014. L'académie de Nancy fait état, pour le département de la Moselle, d'un taux de participation similaire
L'enseignement religieux à l'école élémentaire, initialement dispensé par les instituteurs, maintenant professeurs des écoles, est depuis plusieurs décennies progressivement assuré par un ministre du culte, notamment pour le culte protestant, ou le plus souvent par

zv Article D481-2 du Code de l'éducation. Cette possibilité n'est plus que rarement utilisée.
so Articles D481-2 à D481-6 du Code de l'éducation. Le régime de la dispense fixé par l'article D481-6 du Code de l'éducation est appliqué de manière très souple. Les parents d'élèves cochent sur un document intitulé «Eléments de la fiche d'inscription à l'école élémentaire remplie par les familles » une des cases suivantes : enseignement religieux catholique, protestant, juif ou enseignement de morale. La case «enseignement de morale » comprend une précision indiquant que cet enseignement est délivré en cas de dispense, sans que les parents ne soient tenus de produire une dispense écrite.
si Question n° 36576, Journal Officiel Assemblée Nationale, 7 janvier 2014, p. 241.

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url laïc qualifié appelé «intervenant de religion » (IDR) 32. Il est proposé pour nomination par l'autorité religieuse et rémunéré sur la base d'indemnités horaires. 843 ministres du culte et intervenants de religion (668 catholiques, 172 protestants et 3 israélites) assu- raient 133 890 heures de religion rémunérées dans l'Académie de Strasbourg en 2014. Les IDR sont formés selon des procédures fixées par chaque culte. Les IDR de religion catholique sont en principe tenus de suivre les cours d'un diplôme d'université, le DU-FAPER créé par l'Université de Strasbourg dans le cadre de la Faculté de théologie catholique. L'UEPAL (Églises luthérienne et réformée) exige que les IDR soient titulaires au minimum d'un diplôme d'université incluant un module de pédagogie, délivré par la Faculté de théologie protestante de l'Université de Strasbourg. Une formation complémentaire comprenant des périodes de stage et des contrôles pédagogiques est assurée par les services de cette union d'Églises. Les candidatures sont validées par une commis- sion d'agrément. Cette procédure pourrait servir de modèle pour l'ensemble des IDR de religion. Les cultes statutaires regrettent l'absence de statut attractif pour les IDR. Ils sont rémunérés à la vacation et ne perçoivent pas une rémunération mensuelle sur l'année. Cette absence de statut serait un obstacle à la profession- nalisation de ces personnels. Mais la création d'un statut spécifique incluant une mensualisation de la rémunération des IDR se heurte à des difficultés particulières liées à cette fonction et à l'érosion de la participation à l'enseignement religieux. Les IDR ne sont pas poly- valents àl'instar des enseignants du primaire et assurent des vaca- tions dans plusieurs établissements 33
L'enseignement religieux dans les écoles primaires a depuis quelques décennies pour objectif la seule transmission de connais- sances religieuses. Cette position est clairement affirmée par les autorités religieuses. Il ne s'agit plus d'une démarche à caractère catéchétique dans un objectif de transmission de la foi ou de pré- paration aux sacrements au sein de l'école publique.
L'enseignement religieux dans les écoles primaires est, aux termes des textes en vigueur, dispensé séparément, par confession religieuse, par les professeurs des écoles, les ministres du culte et les IDR. Les ministres du culte et les IDR sont mandatés par les autorités de chaque culte statutaire. Un enseignement religieux interconfessionnel/oecuménique (catholique et protestant) visant à répondre à de nouvelles demandes religieuses et sociales et à une
sz Article 2 du décret du 3 septembre 1974 modifié et article 7 de l'arrêté rectoral du
9 se~ltembre 1974.
3 Réponse ministérielle n° 12342, Journal Officiel Sénat Q, 21 avri12005, p. 1141.

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logique de mutualisation des compétences a été instauré dans un certain nombre d'écoles. Il s'agit d'une modalité de l'enseignement religieux confessionnel prévu par le Code de l'éducation et dont la mise en place est autorisée par les autorités religieuses des cultes concernés. Elles informent à cet effet le conseil d'école et adressent une demande d'organisation à la direction des services départemen- taux de l'Éducation nationale. Cet enseignement interconfessionnel relevant des autorités religieuses n'est pas un enseignement obliga- toire de culture religieuse.. L'inscription à l'enseignement religieux interconfessionnel s'opère en principe en cochant conjointement les deux cases catholique et protestant du formulaire d'inscription.
Dans nombre d'écoles primaires des quartiers périphériques des grandes villes, en raison notamment de la forte présence d'élèves de religion musulmane qui n'est pas un culte statutaire, les cours d'enseignement religieux ne sont pas assurés. L'absence d'ensei- gnement religieux dans ces établissements est critiquée par des parents d'élèves musulmans, en tant qu'elle faciliterait la réception de représentations littéralistes et intégristes de cette religion et ne favoriserait pas la connaissance des autres religions. Cette situation, qui met en péril une cohabitation religieuse apaisée, inquiète égale- ment les autorités municipales de Strasbourg qui souhaitent trouver une solution adaptée dans le cadre du droit local. Les cultes sta- tutaires étant actuellement les seuls habilités à co-organiser avec l'administration l'enseignement religieux dans les écoles publiques, il convient de réfléchir à la création d'un enseignement interreli- gieux porté par les cultes statutaires dans les établissements où l'enseignement religieux n'est plus organisé. Dans cette hypothèse, les IDR de religion des écoles primaires concernées devraient pouvoir bénéficier d'une formation articulée autour d'un socle commun de connaissances organisée par l'ESPE et/ou les facultés de théologie catholique et protestante de l'Université de Strasbourg, aux fins notamment de développer à long terme un enseignement ouvert potentiellement àtous les élèves, et cela quelle que soit leur reli- gion ou conviction.
2. L'enseignement secondaire

Les établissements d'enseignement secondaire et technique (collèges et lycées) ne relèvent pas de la loi Falloux. Les débats sur la confessionnalité des établissements ne les concernent pas. L'enseignement de la religion dispensé sous la responsabilité des cultes statutaires (catholique, protestants, juif) fait partie inté- grante des programmes de ces établissements. Cet enseignement est obligatoire pour l'administration rectorale qui est tenue de

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l'organiser34. À l'occasion de la rentrée scolaire, les parents et les élèves majeurs remplissent un formulaire intitulé «Inscription pour l'enseignement religieux ». L'inscription peut être annulée en cours de scolarité. Dans ce cas, url formulaire de désinscription est transmis aux parents ou aux élèves majeurs qui en font la demande expresse. Ils choisissent de s'inscrire à l'enseignement religieux catholique, protestant ou israélite sans qu'ils soient tenus de fournir une attes- tation d'affiliation à la confession concernée. Des élèves catholiques suivent des cours de religion protestante et des élèves protestants suivent des cours de religion catholique. Ils peuvent également faire le choix de ne pas s'inscrire à l'enseignement religieux sans avoir à motiver leur décision. Contrairement aux écoles primaires, il n'existe pas de cours d'éducation morale de substitution en cas de non-inscription à l'enseignement religieux.
L'enseignement religieux, une heure hebdomadaire pour un groupe optimal de 15 élèves, est normalement assuré par classes ou groupes d'élèves de même niveau. Si le nombre d'élèves est trop faible, il peut être procédé à un regroupement d'élèves par niveau conjoint (4e-3e ; 6e-Se par exemple) ou, à titre exceptionnel, sur l'ensemble du cursus.
Les cours d'enseignement religieux dispensés dans les établis- sements d'enseignement secondaire sont confessionnels, mais sans pour autant relever de la démarche catéchétique. L'épithète confes- sionnelle a, dans ce cas, un caractère plus institutionnel que doc- trinal. Il signifie que l'enseignement religieux est organisé sous la responsabilité des autorités religieuses. Par contre, les élèves ne sont pas tenus de suivre l'enseignement de leur religion d'appartenance et le contenu des cours dispensés n'est pas confessionnel stricto sensu. Les professeurs de religion protestante donnent des cours de culture religieuse articulés au socle commun de connaissances et de compétences «tout en prenant en compte l'être humain dans sa dimension spirituelle en abordant des questions existentielles 3s ». Les programmes d'enseignement religieux protestant articulés autour de quatre thèmes : lecture et approche des textes bibliques, la religion dans la cité, les différentes religions et enfin l'éthique, sont validés par les autorités de l'UEPAL. Les programmes de l'ensei- gnement religieux catholique privilégient une présentation du chris- tianisme et des autres religions «dans une démarche réflexive visant à mieux percevoir son identité et celle des autres 36 ». Ils

sa CE, 6 avri12001.
ss UEPAL Direction de l'enseignement religieux, 2014, texte dactylographié.
se Archevêché de Strasbourg. Direction diocésaine de 1 `enseignement. Aumônerie de
l'enseignement public, 2014, texte dactylographié.

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développent le sens critique des élèves qui sont préparés à « dis- tinguer le savoir et le croire, le scientifique et le symbolique 37 » ainsi que la construction d'espaces de dialogue, afin notamment de contrecarrer «les discours de haine et d'intolérance et de favoriser le vivre ensemble 3s ». Les professeurs d'enseignement religieux juif, peu nombreux, enseignent pour l'essentiel l'histoire juive et l'hébreu. Les programmes d'enseignement religieux dans les éta- blissements d'enseignement secondaire font l'objet d'une présen- tation lors de la conférence annuelle regroupant autorités civiles et autorités religieuses.
Les effectifs des élèves inscrits à l'enseignement religieux sont en baisse depuis des années. Pour l'ensemble du second degré, 21 %des élèves ont suivi ces cours en 2013-2014, soit 26,31 % au collège et 13,56 % au lycée. Ils étaient 23,20 % en 2012.
L'enseignement religieux n'était pas assuré en 2013-2014 dans un collège sur 147 et dans 4 lycées sur 69. 132 supports de postes ETP (équivalent temps plein) ont été mis à la disposition de l'académie de Strasbourg en 2013-2014. Ils sont occupés par 180 per- sonnels répartis entre des certifiés titulaires (87 + 17 stagiaires), des contractuels (28), des maîtres-auxiliaires (9), des ministres des cultes (30 dont 26 pasteurs) et 1 vacataire. Le nombre important de titu- laires et de futurs titulaires s'explique par la mise en place de mécanismes de résorption de la précarité dans la fonction publique. Des concours réservés du CAPES sont régulièrement organisés au profit des maîtres-auxiliaires et des contractuels remplissant cer- taines conditions. Les enseignants de religion sont proposés par l'autorité religieuse pour nomination par l'administration.
Au cours de ces dernières années, des enseignements d'éveil culturel et religieux (ECR) se sont développés notamment dans les lycées. Notons que les cours d'éveil culturel et religieux constituent une modalité particulière de l'enseignement religieux et, à ce titre, ne peuvent être généralisés et imposés aux élèves. Cet enseigne- ment, dont les élèves peuvent donc être dispensés, est donné par les professeurs d'enseignement religieux dans le cadre des moyens qui sont affectés aux enseignements de religion des cultes statutaires. La création d'un cours d'ECR se fait à l'initiative d'un enseignant ou d'une équipe d'enseignants porteurs d'un projet qui doit être approuvé par le chef d'établissement et l'autorité religieuse, le conseil pédagogique ayant rendu un avis. L'ECR fait le plus souvent partie du projet d'établissement, et cela à la demande du proviseur. À ce titre, il n'entraîne pas d'inscription à l'instar des cours classiques
37 Ibidem.
3a Ibidem.


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d'enseignement religieux juif, catholique et protestant mais est intégré dans le projet d'établissement. L'ECR, qui se développe, est souvent le seul «enseignement religieux » dispensé dans certains établissements. Dans quelques rares cas, il est organisé conjoin- tement avec un enseignement religieux catholique et/ou protestant. Enfin, dans les lycées où l'enseignement religieux n'est pas assuré, des heures dites «d'accueil et d'animation »peuvent être mises en place à titre transitoire, en vue de faciliter la mise en place de cet enseignement.

III. LA CRÉATION D'UN ENSEIGNEMENT INTERRELIGIEUX


1. Un enseignement en consonance
avec les demandes contemporaines

L'organisation de l'enseignement religieux fixé par le droit local alsacien-mosellan correspondait jusqu'à une période récente aux demandes des populations, aux revendications des autorités religieuses et aux souhaits des autorités publiques. Les attaques des opposants au statut scolaire local se sont, par le passé 39, essentiel- lement cristallisées autour de la confessionnalité des écoles primaires publiques. Dès le début du xxe siècle, de nombreuses écoles situées dans les villes ont été interconfessionnalisées. Par la suite, le statut confessionnel des écoles a été vidé de son contenu et ne constitue plus actuellement une pierre d'achoppement. Actuellement, les contestations portent essentiellement sur la dispense et le caractère obligatoire/optionnel de l'enseignement religieux. L'Observatoire de la laïcité, qui s'est fait l'écho de ces demandes, préconise dans un avis du 12 mai 2015 d'inverser les modalités du choix pour l'enseignement religieux. L'élève ou son représentant légal ne sol- liciterait plus une dispense, mais exprimerait le choix de suivre l'enseignement religieux. L'obligation de recevoir un complément d'enseignement moral pour les élèves du primaire ne suivant pas l'enseignement religieux serait supprimée, un enseignement moral et civique ayant été instauré pour tous les élèves en 2015 sur le territoire national. Enfin, l'enseignement religieux viendrait en sup- plément du temps de l'enseignement scolaire commun, ce qui sup- pose une modification par voie réglementaire de l'article D481-2 du Code de l'éducation. Les «autorités religieuses concordataires d'Alsace Moselle 40 », en réagissant à ces préconisations, ne
sv Fin du xD~` siècle, début du xx` siècle.
40 Archevêque de Strasbourg, évêque de Metz, président de l'UEPAL, président de
l'EPRAL, grand rabbin du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

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s'opposent pas à un abandon de la procédure de demande de dispense qui serait remplacée par une inscription. Ce qui dans la pratique est déjà le cas. Elles sont par contre fermement opposées à la sortie de l'enseignement religieux du temps scolaire commun. Les horaires «hors du temps scolaire commun » seraient défavo- rables et dissuasifs tant pour les élèves que pour les intervenants de religion. L'Observatoire de la laïcité considère que l'heure de religion intégrée dans les programmes scolaires prive les élèves d'Alsace et de Moselle d'une heure d'enseignement hebdomadaire par rapport aux élèves du même degré d'enseignement scolarisés dans le reste du territoire français. Les autorités religieuses préc- itées considèrent au contraire «qu'ils sont enrichis d'une contri- bution dont sont privés leurs camarades des autres départements ». On ne peut que l'espérer car si l'enseignement religieux dans les trois départements n'enrichit et ne développe pas les connaissances des élèves, il n'a pas sa place dans l'enseignement publical qui le finance. Ce débat pose à juste titre la question de «l'utilité » de l'enseignement religieux. En effet, les trois départements de l'Est n'échappent pas aux évolutions constatées partout ailleurs en Europe sécularisation de la société, perte d'influence des confessions reli- gieuses sur les populations, pluralisme religieux, recul significatif des connaissances religieuses, développement de courants religieux fondamentalistes, littéralistes et radicaux. Face à ces évolutions, les attentes des différents acteurs, bien que convergentes sur le fond, ont leurs propres spécificités. Les parents d'élèves souhaitent une transmission distanciée et non partisane du fait religieux et une bonne connaissance des autres religions, les autorités religieuses mettent l'accent sur une approche «vécue » de la religion, prenant en compte le pluralisme des religions et des croyances, alors que les pouvoirs publics misent sur la création de lien social entre les élèves des différentes religions — le vivre et le faire ensemble — et une présentation distanciée de la religion et du fait religieux. L'enseignement religieux de droit local doit prendre en considéra- tion les demandes émanant de ces trois acteurs en veillant, et c'est le rôle des autorités religieuses des cultes statutaires, à accorder dans cette réflexion une place aux cultes non statutaires les plus représentatifs comme l'islam et le bouddhisme.
L'enseignement religieux de droit local s'est progressivement adapté aux évolutions socioreligieuses. Les cours de catéchèse ont été abandonnés au profit d'un enseignement intégré dans la métho- dologie mise en oeuvre par l'Éducation nationale. Des cours de

4' Ce même argument avait été utilisé en 1936 pour justifier la suppression de l'ensei- gnement religieux dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

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religion interconfessionnels (catholique et protestant) sont organisés depuis des décennies dans les écoles primaires. Un enseignement d'« éveil culturel et religieux» (ECR) est depuis quelques années dispensé dans les établissements secondaires. Il s'agit, rappelons- le, d'une modalité particulière de l'enseignement religieux de droit local qui est enseignée par les professeurs d'enseignement religieux désignés pour nomination par les autorités religieuses des cultes statutaires, dans le cadre des moyens affectés à cet enseignement par l'administration.
Les autorités religieuses des cultes statutaires, conscientes de leurs responsabilités découlant de leur statut particulier au sein de la République, ont décidé en 2015 de faire un pas de plus et de réfléchir à la création d'un enseignement de religion privilégiant la démarche interreligieuse et interculturelle intitulée «Enseignement à l'éducation au dialogue interreligieux et interculturel » (EDII). Il s'agit de pallier les déficits en matière de connaissance religieuse, de rendre attentif au pluralisme religieux de nos sociétés, d'intégrer les élèves musulmans et bouddhistes et de favoriser le vivre et l'agir ensemble en ne séparant pas les élèves en fonction de leur appartenance religieuse lors des cours de religion.
2. La mise en ct'uvre de l'EDII

Une commission de rédaction des programmes a dégagé un projet pour les collèges et un projet pour les lycées, qui écartent l'hypothèse d'une présentation religion par religion. Il s'agit en effet d'un programme d'enseignement de la dimension interreligieuse de la religion. La connaissance de chaque religion est dispensée au prisme de cette approche. Ces programmes sont articulés autour des éléments suivants : les croyances, les pratiques, les textes, les valeurs, les patrimoines, les expériences et les communautés.
Dans les collèges, la thématique s'appliquant aux croyances se concentre sur la réalité contemporaine du pluralisme religieux et la diversité des croyances en prenant en compte leurs divergences et convergences. Les pratiques religieuses seront évoquées par exemple par une présentation contextualisée des principales fêtes religieuses et de leur mise en oeuvre concrète dans les différentes religions. Les différents textes fondateurs, leurs sources, leurs niveaux de lecture feront l'objet d'études comparatives. La présentation des valeurs propres à chaque religion sera déclinée par thèmes comme la fra- ternité, les critères d'un agir juste et les grandes questions de la vie. Les traces archéologiques et historiques, les formes et symboles de grands monuments religieux, les personnalités religieuses mar- quantes constitueront les éléments du cours sur les patrimoines.

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L'enseignement sur les expériences privilégiera des démarches concrètes :élaboration d'un projet solidaire, observation et analyse des pratiques religieuses, les relations vécues dans un contexte apaisé. Enfin, l'étude des communautés mettra l'accent sur les mécanismes conduisant à la radicalisation et sur les aspects liés à la régulation normative des institutions religieuses et des institutions publiques, avec un travail sur les textes organisant la vie en société. Les enseignants mettront en valeur la potentialité pacificatrice des différentes religions.
Dans les lycées, la thématique des croyances sera abordée par le biais de la distinction entre savoir et croire, de la question du croire dans une société sécularisée, des activités à caractère sectaire et des nouvelles religiosités. Les pratiques seront traitées grâce à l'analyse des rituels, des liturgies et des fêtes religieuses alors que les cours sur les textes fondateurs privilégieront le contexte de leur rédaction, les problèmes liés à leur traduction et le rapport des individus croyants aux textes. Les interrogations sur les liens entre valeurs religieuses et valeurs républicaines, la déconstruction des postures liées au racisme et une réflexion sur la mise en cohérence entre paroles et actes formeront le contenu de l'enseignement sur les valeurs. Les cours sur les patrimoines s'appliqueront aux rela- tions entre religion, arts musicaux, arts cinématographiques et arts visuels alors que ceux sur les expériences aborderont le religieux vécu de manière radicale, les expériences spirituelles et mystiques et la place de la prière dans les activités religieuses. La lutte contre les différentes discriminations sera enseignée dans le cours intitulé «communautés ».
L'organisation, le suivi de la rédaction des programmes et la proposition de nomination des enseignants de religion qui assurent le cours d'Éducation au dialogue interreligieux et interculturel (EDII) pourrait relever d'une commission regroupant les autorités des cultes statutaires ou leurs représentants. Les autorités des cultes statutaires associeraient aux travaux de cette commission des res- ponsables des cultes non statutaires, soit le président ou un repré- sentant du CRCM Alsace (Conseil régional du culte musulman d'Alsace) désigné par le bureau de ce conseil et le responsable ou un représentant des communautés bouddhistes faisant partie de l'Union bouddhiste de France désigné par le bureau de l'association représentant cette communauté. La commission ainsi constituée pourra décider d'associer à ses travaux des responsables ou repré- sentants d'autres cultes non statutaires. La commission sera présidée par un représentant d'un des cultes statutaires élu en son sein et sera chargée du suivi de l'organisation générale de l'enseignement interreligieux et interculturel. Elle suivra la mise en place de cet

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enseignement dans les lycées et les collèges. Elle validera l'archi- tecture des programmes et le contenu des cours interreligieux et interculturel transmis par la commission des programmes après avoir recueilli l'avis d'un comité de parrainage. Elle transmettra à l'autorité du culte statutaire concerné protestant ou catholique les candidatures à la fonction d'enseignant de l'EDII dans un collège ou un lycée pour nomination par l'administration. La commission des autorités religieuses veillera, en concertation avec le comité de parrainage, à la formation des enseignants au sein de l'Université de Strasbourg qui devrait créer un diplôme d'université en vue de la formation permanente des enseignants et une licence et un master en vue de leur formation initiale.
L'EDII constitue un changement de paradigme et devrait pouvoir se développer grâce à un large consensus qui pourrait s'opérer par le biais d'un comité de parrainage comprenant les représentants des cultes statutaires et non statutaires, le préfet de Région, les recteurs de l'Académie de Strasbourg et de Nancy, des représentants des élus d'Alsace et de Moselle, du Sénat et de l'Assemblée nationale, du président de l'institut du droit local, du président de la sous- commission droit public et droit des cultes, du président de la commission de droit local, du président de région, des présidents des conseils départementaux du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, du président de l'Université de Strasbourg, des repré- sentants des parents d'élèves et des experts nommés en raison de leur compétence dans le domaine des sciences des religions et de l'enseignement religieux.
Les programmes de l'EDII seraient rédigés par une commission comprenant les directeurs de l'enseignement religieux des trois cultes statutaires (protestant, catholique, juif) ainsi que des représentants désignés par les CRCM Alsace et l'association représentant la com- munauté bouddhique. Elle associerait à ses travaux un représentant de la faculté de théologie catholique, un représentant de la faculté de théologie protestante et un représentant de l'ESPE désignés par les directeurs de ces composantes de l'Université de Strasbourg et les IPR (chargé de mission d'inspection). La commission pourra également associer des universitaires et des personnalités qualifiées dans le domaine de l'histoire des religions, de l'islamologie et de la pédagogie religieuse. La commission serait chargée de la rédaction des programmes de l'EDII dans le cadre de la méthodologie mise en oeuvre par l'Éducation nationale avec le souci de répondre aux demandes de connaissances religieuses et de mise en oeuvre effective du vivre ensemble.



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