Hommage À Rolande Borrelly
(16 juillet 1942 – 11 janvier 2022)

La Revue d’histoire de la pensée économique éditée par les Classiques Garnier doit son existence à Rolande Borrelly. La naissance ne fut pas chose aisée. Elle se fit en deux temps (et beaucoup de mouvements).

Le premier temps participait de la volonté de Rolande Borrelly de défendre les revues économiques en langue française. L’aventure commença avec le numéro 43 de la Série PE. Histoire de la pensée économique de la revue Économies et Sociétés. Cahiers de l’ISMÉA, paru en décembre 2010.

La Série avait été créée bien avant, comme l’indique son numéro. Elle était le fruit d’une convergence entre trois projets distincts : celui de Gérard Destanne de Bernis, celui de Hubert Brochier et de Gilbert Faccarello et celui de Claude Ménard. En 1982 de Bernis succéda à François Perroux, le fondateur, à la Présidence de l’Institut de Sciences Mathématiques et Économiques Appliquées (ISMÉA), il ouvrit l’éventail des Séries d’Économies et Sociétés. Cahiers de l’ISMÉA à de nouveaux champs de recherche et problématiques, ce furent les Séries Régulation, Monnaie et Pensée économique, d’autre part il y eut le désir d’Hubert Brochier et de Gilbert Faccarello de créer leur propre revue insistant sur l’épistémologie ; enfin, l’intention de l’équipe de l’ISMÉA « Méthodes et méthodologie » avec Claude Ménard de créer une revue en méthodologie économique. Le premier numéro de la Série PE fut publié en mars 1984 sous la direction d’Hubert Brochier, avec un double titre, Œconomia et Histoire de la pensée économique. Histoire-Épistémologie-Méthodologie. La composition du Comité de rédaction varia au gré des départs et des venues, la revue publiait articles, symposium et actes de colloques, bref la vie d’une revue. De Bernis, assuma la Présidence de l’ISMÉA jusqu’en 2008, puis ce fut Rolande Borrelly de 2008 jusqu’à sa fin.

Le changement de la Direction de la Série PE se fit au numéro 43, d’ailleurs ce ne fut pas tant un changement qu’une rupture : l’ensemble 16du Comité de direction d’alors, au printemps 2010, s’en fut vers d’autres rivages. Rolande Borrelly, toute à la défense des revues économiques en langue française, n’entendait pas que disparût ainsi une revue de l’ISMÉA, d’autant qu’en matière d’histoire de la pensée économique, bien que cette discipline ait perdu de son importance dans le cursus universitaire, l’intérêt des chercheurs n’a pas faibli. C’est qu’à un certain niveau toute recherche un tant soit peu théorique en économie implique nécessairement un retour sur l’histoire des théories et des doctrines économiques ; journées, colloques, symposium où l’on s’interroge sur le sens et la portée des discours économiques sont présents plus que jamais. L’économie, les théories économiques avec la compréhension de leur portée sont plus que jamais nécessaires. L’histoire de la pensée économique n’est pas, ne peut pas être la revue des idées mortes, comme on pourrait dire d’une revue des troupes. Aussi elle sollicita la création d’un nouveau Comité éditorial.

Le nouveau Comité éditorial, du numéro 43 de décembre 2010 au numéro 52 d’avril-mai 2015, la Série PE. Histoire de la pensée économique de la revue Économies et Sociétés, assura ponctuellement la parution de deux numéros par an. En novembre-décembre 2014, fut publié un numéro spécial retraçant trente ans de la revue, sa création et ses enjeux.

Rolande Borrelly, cependant, était déjà on ne peut plus pessimiste quant à l’avenir des revues. Elle exprima tout son pessimisme dans une Note au titre prémonitoire, L’avenir improbable des revues françaises de sciences humaines et sociales, où elle concluait par la phrase : « Au bout du compte on n’aurait vraiment plus besoin des revues françaises qui ont servi jusqu’ici le développement de nos disciplines ». Elle en tira la conclusion que les revues étaient devenues inutiles. À l’été 2015 les jeux étaient faits. Les Presses de l’ISMÉA arrêtaient la publication de toutes les revues : la revue phare qu’était Économie appliquée. Archives de l’ISMÉA, la revue Économies et Sociétés qui, avec ses quinze ou seize Séries, couvrait l’ensemble du domaine économique : la monnaie, la régulation, le travail, l’énergie, la philosophie, les systèmes agro-alimentaires, etc. ainsi que la revue Informations et Commentaires. C’était la fin.

Les membres du Comité éditorial n’ont pas partagé ce pessimisme. À l’unanimité ils décidèrent de poursuivre. Ce fut le second temps. De la fin de la Série PE naquit une nouvelle revue.

D’abord, ils affirmèrent la continuité de la ligne éditoriale, c’était la leur, ils l’avaient défendue numéro après numéro pendant quatre ans. Ensuite ils décidèrent que ce ne serait plus une des composantes d’une Revue tentaculaire mais une revue à part entière, qui leur serait propre, avec un tout nouveau titre : la Revue d’histoire de la pensée économique. Enfin ils partirent à la recherche d’un éditeur. Les Classiques Garnier, qui ont une très forte tradition d’édition de revues littéraires et une surface éditoriale conséquente, désiraient élargir leur offre aux revues de sciences économiques, humaines et de gestion. Ils accueillirent la toute nouvelle revue. Le 27 juillet 2016 parut le premier numéro. Depuis le Comité éditorial s’est agrandi et rajeuni, certains sont partis, d’autres sont arrivés, la Direction de la Revue s’est elle aussi renouvelée et rajeunie, le rythme s’est maintenu toujours scrupuleusement deux numéros par an sont publiés.

Aux deux temps de la création de la Revue d’histoire de la pensée économique se trouve donc Rolande Borrelly, d’abord parce qu’elle fit confiance à un tout nouveau Comité éditorial qui se transforma en un efficace collectif de travail, ensuite parce qu’elle le lança sur les chemins d’une indépendance assumée.

Le Comité éditorial