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Classiques Garnier

Revue des livres

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2022 – 1, n° 13
    . varia
  • Auteurs : Boyer (Jean-Daniel), Ravix (Joël Thomas), Demeulemeester (Samuel), Friboulet (Jean-Jacques), Champs (Emmanuelle de), Hurtado (Jimena), Diatkine (Sylvie)
  • Pages : 425 à 458
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406132547
  • ISBN : 978-2-406-13254-7
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13254-7.p.0425
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/06/2022
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Daniel Diatkine, Adam Smith. La découverte du capitalisme et de ses limites, Paris, Éditions du Seuil, 2019, 336 pages.

Jean-Daniel Boyer

Université de Strasbourg, BETA – UMR CNRS 7522

Louvrage de Daniel Diatkine était attendu par ceux qui ont pu suivre ses interventions lors de colloques ou de journées détudes au cours de ces dernières années. Il permet de donner une vue densemble de ses travaux sur Smith et de rendre compte de son approche articulant, de manière originale, les perspectives économiques et politiques, sans oublier la philosophie morale.

Daniel Diatkine rappelle demblée que la Richesse des nations a été écrite pour les législateurs et les citoyens, « contre les privilégiés et les privilèges », contre le système mercantile et son caractère partial. Il souligne en outre que, pour Smith, « au-delà des expédients ou même de la corruption pure, il existe un lien daccointance intellectuelle entre les législateurs (et donc les citoyens) et les marchands (ou les capitalistes) » (Diatkine, 2019, p. 7-9). Les perspectives sont ainsi clairement établies et visent à faire de Smith un critique de léconomie politique de son temps et plus généralement du capitalisme.

Louvrage est articulé autour de trois parties.

La première dénommée « La justice et lenrichissement », ancre la Richesse des nations dans les réflexions morales et politiques de son auteur. Daniel Diatkine interroge dans un premier temps la nature des idées libérales de Smith (chapitre 1). Il rappelle au préalable que le libéralisme est une doctrine et revient brièvement sur la transformation de sa terminologie aux dix-huitième et dix-neuvième siècles comme sur la progressive affirmation de son sens économique. Malgré le caractère anachronique du terme, Smith peut apparaître comme un libéral dans un sens politique car il suppose que « personne ne connaît mieux ses intérêts privés que le citoyen concerné » (Diatkine, 2019, p. 36), défend le droit de propriété, critique les monopoles et les privilèges, et juge 426que la défense de la valeur dune monnaie sur le marché des changes est inutile. Néanmoins, des caractères len distinguent. Smith raisonne, en effet, en supposant lexistence de classes sociales dont lune, la classe marchande, parviendrait à faire croire que ses intérêts sont compatibles avec lintérêt général et le bien commun. Dans un deuxième moment, lauteur propose une réflexion sur les promesses et le sentiment dobligation (chapitre 2). En revenant sur le Traité de la nature humaine de David Hume, il suggère que lobéissance aux lois ne se fait pas pour une question dutilité générale. Il interroge alors les raisons de lobligation prise dans le jugement moral et le respect des règles générales. Il montre que Smith propose une réponse dissemblable de celle de Hume : elle est fondée sur la sympathie et le spectateur impartial. Par ce fait, elle transformerait la théorie de la justice et réhabiliterait la cupidité et, par extension, laccumulation du capital. La philosophie morale de Smith permettrait en outre de définir les règles des jeux sociaux, économiques et politiques tout comme celles du jeu du système capitaliste (chapitre 3). Le désir illimité des richesses est dès lors relié à des motivations relevant de lamour du système et non de lutilité. Cet amour du système animerait les grands hommes politiques comme les marchands. Il expliquerait laffirmation du système mercantile, produit de « la rencontre de deux amateurs de systèmes, celle des entrepreneurs et des hommes politiques » (Diatkine, 2019, p. 97).

Le seconde partie, véritable cœur de louvrage, est intitulée “The very violent attack I had made upon the whole commercial system in Great Britain”. Elle cherche à qualifier la teneur de la Richesse des nations et à centrer le propos sur ladversaire de Smith cest-à-dire sur le système mercantile, produit de lhistoire européenne et résultat non intentionnel des actions humaines (chapitre 4). Outre la recherche des excédents commerciaux posée comme objectif de politique économique, le système mercantile se caractérise par la promotion du commerce colonial de lexclusif et des compagnies à privilèges. Remettant en cause « lidentification désastreuse du marchand et du souverain » (Diatkine, 2019, p. 130), Daniel Diatkine rappelle que Smith était un fervent critique des politiques mercantiles de son temps. Il les considérait comme néfastes à lenrichissement général en témoigne lexemple historique du Bengale dans lequel le déclin économique se combinait avec les surprofits de lEast India Company. Si les excédents commerciaux ne 427pouvaient constituer un objectif de politique économique, le change ne devait pas non plus être lobjet de manipulations. Outre les effets relatifs à la structuration du système économique, lauteur les complète par lexamen des conséquences politiques du système des marchands (chapitre 5). Il en propose une contextualisation, évoquant les débats politiques de lépoque, le whiggisme et loriginalité des positions de Smith. Il revient égalementsur la crise économique et financière de 1772 en soulignant son aspect polymorphe, en relation avec le développement économique de la Grande-Bretagne, les projets de la Compagnie des Indes orientales, le Bengale et ce, non sans rappeler les effets quelle eut sur le soulèvement des colons américains. Daniel Diatkine évoque enfin les conséquences politiques dun surinvestissement dans la branche coloniale laquelle était de nature à engendrer lapoplexie du corps politique qui résultait « non pas de la suppression des marchés coloniaux [protégés], mais de lamplification politique procédant de lanticipation de cette perte » (Diatkine, 2019, p. 144). Il montre ainsi que lobjectif de Smith était de refonder lempire britannique sur un idéal : celui du système de la liberté naturelle ; celui dun empire représentatif valorisant la tolérance religieuse et prévenant la partialité comme la confusion des intérêts marchands avec lintérêt général expliquant que le législateur doive se situer à bonne distance des marchands.

La troisième partie revient sur « le marché et laccumulation de capital ». Elle rappelle que, dans une économie de marché, « les relations de chose à chose remplacent les relations dhomme à homme » (Diatkine, 2019, p. 194). Léconomie de marché est de ce fait caractérisée par lanonymat des rapports marchands qui la distingue de létat primitif des sociétés (chapitre 6). Le septième chapitre revient sur laccumulation du capital et ses dynamiques. Lauteur y souligne que Smith réhabilite partiellement le désir denrichissement via laccumulation de capital et quil cherche à prouver que « laccumulation du capital engendre une tendance à la baisse du taux de profit », « une augmentation des taux de rente et des taux de salaires », rendant nécessaire « le commerce extérieur pour éviter la baisse du taux de profit » (Diatkine, 2019, p. 225). Dans cette dynamique, Daniel Diatkine évoque les possibles « désordres de laccumulation du capital » (chapitre 8) en revenant sur le rapport salarial et sur le régime monétaire et financier comme sur le rôle du banquier et sa nécessaire prudence, devant être fondée sur des 428relations privées et directes, et sur un collatéral solide, expliquant sa défense dun taux légal de lintérêt à laquelle sopposera Bentham dans sa Défense de lusure de 1787.

À la lecture de louvrage de Daniel Diatkine, il apparaît très clairement, et de manière tout à fait convaincante, que Smith se pose en critique du système mercantile et, par extension, du capitalisme marchand peut-être trop rapidement dénommé « capitalisme ». Smith est en effet bien moins le critique dun capitalisme productiviste fondé sur la division du travail, laccumulation du capital, lépargne et le réinvestissement des profits ; caractères qui lui vaudront, dès 1804, la réprobation de Lauderdrale dans son Inquiryinto the Nature and Origin of Public Wealth.

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Victor Riqueti, marquis de Mirabeau, François Quesnay, Théorie de limpôt suivi de Supplément à la Théorie de limpôt, édités et présentés par Pierre Le Masne, Genève, Éditions Slatkine, 2020, 476 pages.

Joël Thomas Ravix

Université Côte dAzur, GREDEG – UMR CNRS 7321

Cet ouvrage est le quatorzième volume de la collection « Naissance de léconomie politique » des éditions Slatkine qui, depuis dix ans, réédite des textes anciens et rares déconomistes, principalement du xviiie siècle. Cette collection regroupe des ouvrages accompagnés dune présentation historique et analytique des textes et de leurs auteurs. Elle offre ainsi à ceux qui sintéressent à lhistoire de la pensée économique un outil irremplaçable, associant une grande précision éditoriale (concernant les variantes, les corrections, les diverses éditions, etc.) à une remise en contexte indispensable pour comprendre la genèse, les incidences théoriques et la portée socio-historique de chacun des textes. Lédition critique réalisée par Pierre Le Masne de la Théorie de limpôt (1760) et du 429Supplément à la Théorie de limpôt (1776) de Mirabeau et Quesnay, sinscrit pleinement dans cette perspective et vient enrichir cette belle collection.

Lintérêt de louvrage est double : dune part, il regroupe sous un même volume, les deux principaux textes physiocratiques sur la question centrale de limpôt ; dautre part, il est accompagné dun ensemble important de notes qui rendent en particulier possible lappréciation de la contribution précise de Quesnay. Publiés à seize ans dintervalle, ces deux textes permettent de se faire une idée complète des fondements, mais aussi de lévolution de la pensée physiocratique sur un des sujets importants qui ont animé les débats en France entre la fin du xviie siècle et la Révolution.

La présentation générale de 39 pages, rédigée par Pierre Le Masne, saccompagne dun index, dune bibliographie de plus de 150 références, dune annexe très utile puisque rappelant les principaux traits de la fiscalité française au milieu du xviiie siècle, ainsi que dune note sur les éditions retenues et les règles de transcriptions utilisées. Logiquement, cette présentation consacre une partie à chacun des textes.

La première partie porte sur la Théorie de limpôt, publiée en décembre 1760, sans mention de nom dauteur, de lieu dédition ou encore déditeur. Elle insiste sur le fait que louvrage a été rapidement attribué à Mirabeau, alors même que Quesnay en avait étroitement dirigé la rédaction, comme le confirment ses très nombreuses notes reproduites dans cette nouvelle édition. De même, trois autres contributeurs sont intervenus à des degrés divers dans le texte. Il sagit de Butré, Le Grand et Morin, dont les noms figurent donc sur la couverture comme auteurs secondaires. En mobilisant la correspondance de Mirabeau ainsi que dautres sources, Pierre Le Masne retrace en détails les conditions de la collaboration entre les deux principaux auteurs en montrant que « Mirabeau rédige, mais que Quesnay dirige » (p. 10). Il rappelle également quen dépit de cette étroite collaboration, seul Mirabeau sera inquiété par la publication de louvrage. En effet, arrêté le 17 décembre 1760 et incarcéré au château de Vincennes, Mirabeau est libéré le 24 décembre de la même année. Son emprisonnement ne dure donc que quelques jours, mais il est ensuite exilé hors de Paris, dans sa propriété de Bignon, jusquen février 1761. Le Pouvoir lui reproche son « ton trop libre vis-à-vis du roi » et « sa critique des fermiers généraux » (p. 12). Les deux éditeurs sont également condamnés, car « le livre na fait lobjet daucune demande de permission de publier » (p. 13).

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Pierre Le Masne considère que la Théorie de limpôt présente trois types dintérêts. Le premier est de proposer une présentation générale de la doctrine économique et fiscale de la physiocratie, dont loriginalité repose sur un impôt unique prélevé sur le produit net, cest-à-dire sur le seul revenu des propriétaires fonciers. La démarche retenue par Mirabeau et Quesnay sappuie en particulier sur une critique du système fiscal dAncien Régime et du rôle de la Ferme générale. Le deuxième intérêt concerne les tableaux chiffrés retenus par les auteurs qui sont « supérieurs à ce qua produit Vauban au début du xviiie siècle et constituent un progrès comptable important, avant la publication des Comptes dAntoine Laurent de Lavoisier en 1791 » (p. 15). Ces tableaux sinscrivent dans lhistoire de la comptabilité nationale et en marquent une étape importante. Le troisième type dintérêt est la place occupée par la Théorie de limpôt dans lhistoire de la période qui court jusquà la Révolution française. Pierre Le Masne rappelle en effet que « certaines idées physiocratiques sont reprises par la Révolution française et certains principes de la Théorie de limpôt se retrouvent dans la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 » (ibid.). Toutefois, les raisons de la persistance de certaines de ces thèses, alors même que le mouvement physiocratique nexiste plus, ne sont pas véritablement explicitées. Il semble que le clivage retenu renvoie à lopposition entre impôt sur le revenu et impôt sur la consommation, sans proposer de réflexion plus approfondie sur le concept même de revenu.

Il devient alors possible de montrer que linfluence de lidée physiocratique dun impôt unique portant sur le revenu parcours toute lhistoire de la pensée économique jusquà nos jours. Ainsi, Le Masne indique que Léon Walras fait explicitement référence aux physiocrates lorsquil justifie son idée dun impôt unique sur les fermages. De même, les socialistes de la seconde moitié du xixe siècle, et Proudhon en particulier, reprennent le principe dune fiscalité taxant les seuls revenus fonciers des plus aisés et non la consommation qui affecterait les plus modestes. Jusquà « la mise en avant par Keynes de limpôt sur le revenu [qui] est différente de celle des Physiocrates, mais il nest pas interdit dy voir [une] influence indirecte » (p. 27-28). On peut toutefois rester dubitatif face à cette volonté dattribuer aux Physiocrates la paternité dune conception triviale dont lorigine est certainement plus ancienne.

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La seconde partie de la présentation est consacrée au Supplément à la Théorie de limpôt, publié en 1776. Il est possible de remarquer que, dans lintervalle de seize années séparant les deux ouvrages, la question de limpôt na pas disparu. Elle reste largement débattue dans les milieux économistes, comme le montre par exemple le sujet sur « leffet de limpôt indirect sur le revenu des propriétaires de biens-fonds », proposé par Turgot au concours de la Société royale dagriculture de Limoges de 1767, au terme duquel ont été primés le mémoire physiocratique de Saint-Péravy, mais aussi celui anti-physiocratique de Graslin. Cette question anime également les mardis économiques organisés chez le marquis de Mirabeau puisque, la même année, dans une lettre adressée à Dupont de Nemours, Turgot écrit : « M. de Mirabeau ma proposé, mon cher Du Pont, daller entendre un Mémoire sur limpôt au mardi économique. Je vous prie de mexcuser auprès de lui. Mon rhume continue et je veux le vaincre par la famine1 ».

Cependant, Pierre Le Masne laisse cette perspective de côté pour se concentrer sur les difficultés de publication rencontrées par Mirabeau. Il montre que « le Supplément, à la différence de la Théorie de limpôt, na pas été un succès de librairie » (p. 28). Il analyse donc en détail les conditions de rédaction et de publication qui, selon lui, expliquent que Mirabeau se montre peu satisfait dune édition dont il na pas pu contrôler la réalisation matérielle. Mais, le point important est quen raison de son décès survenu en 1774, Quesnay na pas participé à la rédaction de louvrage. Il en résulte que le Supplément introduit un certain nombre de révisions par rapport à la Théorie de limpôt, à propos desquels Le Masne observe que « les apports sont plus substantiels en matière politique quen matière économique » et que « Mirabeau sexprime souvent de façon plus conservatrice que dans les travaux précédents écrits avec Quesnay » (p. 31). Ces deux aspects sont traités séparément alors quil est possible dy voir un retour de Mirabeau aux préoccupations politiques qui étaient les siennes avant sa rencontre et sa collaboration avec Quesnay. En particulier, le lien quil établit entre la dimension économique et la dimension politique de limpôt, explique sans doute pourquoi il revient à lidée dassemblées municipales quil avait déjà abordée dans son Mémoire concernant lutilité des États provinciaux (1750) et 432dans son Traité de la monarchie, resté à létat de manuscrit, avec des notes de Quesnay. Dans lédition quil en a donnée en 1999, Gino Longhitano2 précise la nature du clivage qui séparait Mirabeau et Quesnay dans leur manière dappréhender les questions politiques. Un approfondissement de ce clivage aurait pu permettre, peut-être, de mieux comprendre les raisons qui ont incité Mirabeau à publier un Supplément à la Théorie de limpôt, après la disparition de François Quesnay.

La présentation proposée par Pierre Le Masne, malgré toutes ses qualités et sa précision, napporte pas toujours de réponse aux diverses questions que cette double édition soulève. Elle pique néanmoins suffisamment la curiosité du lecteur pour linciter à approfondir le problème de la fiscalité au xviiie siècle, sujet important de lhistoire de la pensée économique.

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Irving Fisher, 100 % Monnaie. Édition française par André Tiran et Marc Laudet, Classiques Garnier, Paris, 2019, 283 pages, traduite depuis lœuvre originale : Irving Fisher, 100% Money, New Haven, City Printing Company, 1945 (1re édition, 1935).

Samuel Demeulemeester

ENS Lyon, Triangle –
UMR CNRS 5206

Cette édition en français du livre 100% Money dIrving Fisher, par André Tiran et Marc Laudet, constitue le dixième numéro de la collection Écrits sur léconomie des Classiques Garnier, qui vise à « redonner actualité à des textes majeurs de la science économique, du xive au xxe siècle3 ». Initialement paru en 1935 aux États-Unis, cet ouvrage connut deux rééditions du vivant de lauteur : une seconde édition, révisée, 433en 1936, et une troisième, identique à la seconde mais enrichie dun addendum, en 1945. Cest cette dernière édition qui a servi de base à la traduction française.

100 % Monnaie fut rédigé dans le contexte de la Grande Dépression des années 1930. Après que la quantité de monnaie scripturale aux États-Unis se fut contractée dun tiers entre 1929 et 1933, un groupe déconomistes de lUniversité de Chicago, emmené par Frank Knight et Henry Simons, entreprit de faire circuler un plan de réforme appelant à imposer 100 % de réserves derrière les dépôts bancaires en comptes courants. Ce « Plan de Chicago », combiné à ses propres réflexions, inspira à Fisher son livre de 1935. Ce dernier constitue, aujourdhui encore, lexposé le plus détaillé et le plus argumenté de cette idée de réforme. Le cœur de louvrage se compose de trois parties : la première donne un aperçu du système proposé ; la seconde détaille son fonctionnement ; la troisième en explique limportance pour stabiliser léconomie, ainsi que les implications pour les banques, les entreprises et lÉtat.

En quoi consisterait cette réforme « 100 % monnaie » ? Son essence, selon Fisher, est de « rendre la monnaie indépendante des prêts ; cest-à-dire séparer le processus de création et de destruction de la monnaie, des activités bancaires » (p. 59). Concrètement, les dépôts bancaires servant de moyens de paiement (transférables par chèque ou virement) seraient soumis à 100 % de réserves en monnaie légale (papier ou scripturale) émise par une Commission de la Monnaie nouvellement instituée (p. 71). Cela empêcherait que le volume de moyens de paiement ne saccroisse ou ne se contracte de façon procyclique, au gré de loctroi et du remboursement des prêts bancaires. La masse monétaire cesserait ainsi, selon lauteur, dêtre une source daggravation des booms et des dépressions (p. 161). Lautorité monétaire exercerait alors un contrôle parfait sur la quantité de monnaie, quelle régulerait selon le mandat qui lui serait confié – par exemple, stabiliser un indice du niveau des prix, de sorte à ajuster le volume de monnaie à la croissance de léconomie (p. 85, 212). LÉtat, bénéficiant de lintégralité du seigneuriage, pourrait réduire sa dette (p. 231). Le système de paiement, à labri des faillites bancaires, serait rendu parfaitement sûr (p. 73). Quant aux banques de prêt, celles-ci exerceraient une pure fonction dintermédiation entre épargnants et emprunteurs, sans pouvoir créer de moyens de paiement (p. 131). Cette 434réforme ne fut finalement jamais adoptée, bien que léconomiste de Yale la défendît jusquà la fin de sa vie.

Quelques mots maintenant sur les spécificités de cette édition française. Les éditeurs mentionnent en introduction une autre traduction récente du même ouvrage4, à laquelle ils reprochent son caractère incomplet et son manque de rigueur (« il nest pas jusquau titre, disent-ils, qui a été changé », p. 72). Sur ce dernier point, malheureusement, la nouvelle traduction proposée ici est elle-même loin dêtre irréprochable. La tournure des phrases est souvent inesthétique, les fautes de frappe et dorthographe sont nombreuses, et il nest pas jusquaux noms et prénoms des auteurs cités qui aient été écorchés (par exemple Aaron Director, Lauchlin Currie, Renato Cirillo ou encore Dalgairns Arundel Barker). Surtout, les approximations de la traduction altèrent parfois le sens du texte, par exemple lorsque le titre de la section The « Accommodation » of Business, évoquant les prêts aux entreprises, se trouve traduit par Les « Arrangements » daffaires (p. 175), ou lorsque la discrétion (discretion) de lautorité monétaire devient les « secrets » de celle-ci (p. 236). Certaines italiques présentes dans lédition originale ont également disparu. Il est donc difficile de ne pas regretter quun tel ouvrage nait pas fait lobjet dune traduction plus soignée.

Lon appréciera en revanche le caractère complet de cette édition, qui reproduit lensemble des éléments composant lédition finale de 1945. Les éditeurs ont adjoint au texte des notes de bas de page qui apportent un éclairage utile sur certains points. Dans une introduction éditoriale de près de trente pages, ils offrent également une mise en perspective historique de louvrage. Lon sétonnera toutefois que le regain dintérêt pour lidée de « 100 % monnaie » depuis la crise financière mondiale de 2007-2008, bien que conférant un sens particulier à une réédition de ce livre aujourdhui, ait à peine été noté. Lintroduction mentionne un rapport du FMI de 2012, ainsi quun référendum suisse de 2018, qui sen sont inspirés. Elle aurait gagné à préciser quun grand nombre déconomistes et de banquiers centraux se sont également intéressés à cette idée de réforme, qui a fait lobjet de nombreux articles académiques récemment. Lon peut aussi regretter labsence, dans la bibliographie générale, de deux références pourtant incontournables de la littérature 435secondaire sur le sujet : le livre de Ronnie Phillips sur lhistoire du Plan de Chicago5, ainsi que larticle de Robert Dimand sur Fisher et le plan 100 % monnaie6.

Certaines remarques des éditeurs, par ailleurs, appellent des commentaires. Ils affirment par exemple que « 100% money nest pas un ouvrage de théorie ou danalyse économique » (p. 7), alors quil contient pourtant dimportants développements analytiques. Ils estiment également que lutilisation de léquation des échanges (MVMV = PT) comme base de raisonnement rendrait la portée de lœuvre incompréhensible, au motif quelle supposerait la neutralité de la monnaie (p. 8). Fisher utilisait pourtant cette équation aussi bien pour analyser la neutralité de la monnaie à long terme (théorie quantitative) que sa non-neutralité à court terme (théorie des cycles), et celle-ci continue de sous-tendre son analyse dans 100% Money. Les éditeurs résument bien sa pensée, en revanche, lorsquils écrivent : « Pour Irving Fisher, en aucun cas la monnaie nest intrinsèquement neutre. La neutralité de la monnaie doit se construire et cest une nécessité de la construire, faute de quoi les dysfonctionnement[s] des systèmes monétaires [] sont susceptibles daggraver les crises » (p. 26). Ils rapprochent très justement, à cet égard, la pensée de Fisher de celle de Léon Walras (p. 28-31), et auraient dailleurs pu noter quen 1898, ce dernier avait également préconisé une couverture intégrale des dépôts en comptes courants7.

Cette nouvelle édition permettra, quoi quil en soit, aux lecteurs francophones de (re)découvrir les origines dune idée de réforme qui continue de faire débat aujourdhui.

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John Maynard Keynes, Comment financer la guerre. Un plan pour le chancelier de léchiquier, Traduction et édition critique de Marc Laudet avec la collaboration dAndré Tiran, Paris, Classiques Garnier, 2020, 253 pages.

Jean-Jacques Friboulet

Université de Fribourg

M. Laudet et A. Tiran offrent au public francophone une traduction de How to pay for the war publié par J.M. Keynes au printemps 1940. Lheure pour la Grande-Bretagne était particulièrement critique. Elle devait choisir une stratégie financière pour payer la guerre et ne pas sombrer dans linflation qui avait caractérisé la période 1918-1920.

Comme il lavait fait pour Lamonnaie et les finances de lInde (1913)et Les conséquences économiques de la paix (1919), J.M. Keynes se livre à un exercice de politique économique magistral qui entre curieusement en résonnance avec nos préoccupations daujourdhui. En cet automne 2021, le monde est confronté à un déséquilibre macroéconomique profond entre une demande globale stimulée par les crédits distribués durant le Covid 19 ajoutés à la reprise économique et une offre globale réduite par le même Covid en Asie et les problèmes du transport international. En 1940, la Grande-Bretagne allait se heurter à un écart croissant entre une demande macroéconomique stimulée par la hausse des salaires et les besoins de lindustrie de guerre, et une offre globale réduite par la mobilisation de larmée. Les deux chocs conjoncturels sont proches. Relisons donc Keynes pour mieux le comprendre.

Pour pénétrer dans le contenu de louvrage, M. Laudet et A. Tiran ne se contentent pas den offrir une édition bilingue. Ils laccompagnent dune longue introduction qui permet den cerner le contexte historique, les outils théoriques, la méthode et le contenu. Ils complètent ce panorama par un aperçu de laccueil qui a été réservé au livre par ses contemporains. Nous reprenons ici ces différents éléments en notant au passage leur parfaite pertinence eu égard au projet de J.M. Keynes.

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Le contexte tout dabord. Lauteur a été profondément marqué par les conséquences financières de la première guerre mondiale. Même si la Grande-Bretagne sen était mieux sortie que la France grâce à des prélèvements fiscaux plus élevés et au rôle de place financière de la City, elle est obligée de dévaluer fortement sa monnaie au sortir du conflit en raison des sorties de capitaux et de linflation. Le maître de Cambridge connaissait bien cette situation de lintérieur puisquil avait été chargé par le Trésor britannique des financements extérieurs durant la guerre. Il la connaît dautant mieux quil avait été, dans les années 1920, le grand adversaire du retour de la livre sterling à sa parité davant-guerre contre lavis du monde bancaire et de W. Churchill. Il ne veut pas que son pays connaisse de nouveau une telle situation de déséquilibre.

Pour ce faire il élabore une stratégie en deux temps. Il sait, depuis la crise des années 1930, le rôle de lopinion publique et des différents groupes de pression sur la politique économique. Il va essayer de les gagner à sa cause dans trois articles publiés dans le Times en novembre 1939. Il tient compte des réactions en modifiant son plan et en ne le publiant quen février 1940.

Ce plan a bien sûr un intérêt historique. Mais sa pertinence est surtout théorique et sa méthode devrait être portée à la connaissance de tous les étudiant(e)s en politique économique. Il sappuie sur des données statistiques fournies, pour lannée 1938, par Erwin Rothbarth. Celles-ci concernent les grands agrégats macroéconomiques que sont la production, les salaires, lépargne, les dépenses privées et gouvernementales, les importations et les exportations. À partir de ces données, lauteur raisonne en utilisant les grandes identités définissant loffre globale et la demande globale. Il démontre aisément que la guerre va engendrer un excédent de dépenses de consommation en raison de laugmentation des salaires et de laffectation de ressources aux dépenses darmement. La solution ne pourra être trouvée dans une augmentation des importations, sauf à créer un lourd déséquilibre des finances extérieures au moment où le pays devra massivement emprunter pour financer la guerre. Il faudra donc résorber cet excédent de demande. En théorie il nexiste que cinq méthodes et cela est toujours vrai aujourdhui : le rationnement, le contrôle des prix, limpôt, lépargne et linflation.

Le rationnement et le contrôle des prix paraissent être des mesures de bon sens. Mais ils ne peuvent être, dans les faits, généralisés dans 438une économie de marché. Le premier entraîne des détournements et du marché noir comme on la constaté en France durant les années de guerre. Le second nest jamais effectif sauf pour un nombre limité de produits de base, solution à laquelle lauteur se rattache dailleurs dans son plan. Il reste alors les vrais remèdes que lauteur développe dans la suite de son livre.

Limpôt doit être sollicité. Cest ce qui avait été fait en Grande-Bretagne durant la première guerre mondiale. Mais son augmentation au-delà dun certain seuil, se heurte au maintien nécessaire du pouvoir dachat pour les travailleurs. J.M. Keynes qui souhaite lappui des Trade-Unions à son plan, leur démontre quune augmentation trop forte de la masse imposable sen prendra fortement aux revenus des salariés et non à celui des seuls « profiteurs ».

Peut-on compter sur la seule épargne volontaire pour accompagner la hausse des impôts ? Celle-ci est précieuse et lauteur sait quelle est fortement suscitée en temps de guerre y compris avec des arguments abusifs comme lattractivité des taux dintérêt sur les bons du Trésor. Mais ici encore, instruit par son expérience, lauteur sait que la limite de captation de lépargne volontaire est très vite atteinte.

Il reste alors à examiner le rôle que peut jouer linflation. J.M. Keynes sait que, pour les politiciens, cest le chemin de la facilité. Il sait aussi que linflation est inévitable. Mais il veut la limiter autant que faire se peut en raison de ses effets redistributifs. Linflation accroît dabord les profits. Elle nest jamais accompagnée dune hausse équivalente des salaires sauf à tomber dans une hyperinflation ruineuse pour le pays. Lauteur veut en convaincre les syndicats pour accepter le remède quil propose : lépargne différée. Lauteur souhaite soumettre lensemble des travailleurs durant la guerre à un plan dépargne dont le remboursement serait reporté et garanti après le conflit par la création dun impôt sur le capital. Pour sassurer le soutien des Trade-Unions, il ajoute à son plan la création dun système dallocations familiales dès le début du conflit.

À sa parution, le plan est bien accueilli. Même F. Hayek même lui apporte son soutien. Seuls J.R. Hicks et M. Kalecki sont réservés. Le premier craint que les propositions de Keynes fassent « fuir » les riches, le second redoute limpact de lépargne reportée sur lépargne volontaire.

Ce qui frappe lobservateur aujourdhui cest la logique densemble et la cohérence de ce plan. Cest aussi son caractère innovateur à travers 439la mise en place dune épargne différée et des allocations familiales. Ce caractère va faire peur au gouvernement britannique qui ne le prend que partiellement en compte en 1940. Le budget national prévu pour 1941 montre quil na pas pris la mesure de ce que va coûter la guerre. Ce plan va donc rester un exercice en partie théorique.

Pourtant Stone, linventeur de la comptabilité nationale montrera durant la guerre que les chiffres sur lesquels sappuyait J.M. Keynes étaient très solides. Les enseignements de lauteur sur les faux remèdes, les limites de lépargne volontaire et les résultats de linflation ont été validés par les faits. Comme dans les années 1920, J.M. Keynes a joué les Cassandre. Peu écouté, il va consacrer son énergie à préparer larchitecture des finances internationales daprès-guerre, dès 1941.

En cette période où renaît linflation, loutil publié par M. Laudet et A. Tiran comble une double lacune. Une lacune dans lhistoire de la pensée parce que Comment financer la Guerre est à la manière des Conséquences économiques de la paix une excellente porte dentrée à lœuvre du Maître de Cambridge. On ne peut que conseiller sa lecture à ceux et celles qui ont envie de découvrir les richesses de la pensée keynesienne. Lacune également dans la macroéconomie contemporaine qui néglige tant les analyses densemble. Abreuvée de vues sectorielles, elle ne parvient plus à saisir les logiques qui gouvernent les politiques économiques en cette fin dannée 2021. La lecture de Comment financer la Guerre nous donne des explications sur le rationnement, le contrôle des prix, la fiscalité, lépargne et linflation qui restent parfaitement valides, même si le contexte de ce début de siècle na rien à voir avec celui de 1940.

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Christophe Salvat, Lutilitarisme, Paris, La Découverte, collection « Repères-Philosophie », 2020, 128 pages.

Emmanuelle de Champs

CY Cergy Paris Université, AGORA – EA 7392

Le propos de cet ouvrage, paru dans la collection Repères aux éditions La Découverteest doffrir une introduction précise et nuancée à lutilitarisme comme courant philosophique depuis Bentham jusquaux utilitaristes contemporains (Peter Singer, Derek Parfit notamment). Dans un petit format (128 pages dont 108 de texte et 13 de bibliographie), Christophe Salvat donne une synthèse problématisée et efficace des avancées récentes de la recherche et met en valeur leur contribution aux questions éthiques contemporaines.

Dans le paysage intellectuel anglophone, lutilitarisme occupe une place spécifique depuis le début du xixe siècle. Les idées de Jeremy Bentham, de John Stuart Mill puis de Henry Sidgwick ont été diffusées, commentées et attaquées, elles ont joué un rôle structurant dans les controverses de lépoque victorienne. Au xxe siècle, une riche tradition universitaire – notamment dans les départements de droit, de politique et de philosophie – a contribué à considérablement élargir les problématiques, au-delà de laffirmation fondatrice de lutilitarisme selon laquelle, dans les termes de Bentham, « le plus grand bonheur du plus grand nombre » doit être lobjectif unique de la morale et de la législation (Introduction aux principes de morale et de législation, 1788). Aujourdhui, létudiant.e français.e, qui na le plus souvent reçu quune introduction à la philosophie anglophone en général et à lutilitarisme en particulier, se trouve confronté.e à une production scientifique complexe et parfois décourageante où se bousculent les références à l« hédonisme », à « lutilitarisme de lacte », « lutilitarisme de la règle », la « conclusion répugnante », le rôle de l« archange et du prolos », « le fétichisme de la règle », « laltruisme efficace », « le principe dimpartialité », « le monstre dutilité »…. En proposant une introduction aux écrits utilitaristes et sur lutilitarisme, louvrage de Christophe Salvat fournit le vocabulaire, les concepts et les références (en français et en anglais) qui doivent permettre au lecteur de poursuivre des recherches autonomes.

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Le livre se concentre sur les enjeux éthiques plutôt que sur les questions politiques, juridiques et économiques qui occupent aussi les utilitaristes depuis le début du xixe siècle. Comme le remarque lauteur, ce parti pris correspond aux orientations actuelles de lutilitarisme car « sa dimension juridique, politique et institutionnelle est quasi absente et rarement assumée » dans les travaux depuis les années 1970 (p. 4). La question des rapports de léconomie, comme discipline, à lutilitarisme classique et contemporain aurait gagné à être traitée de façon plus directe dans louvrage : en effet, lauteur est spécialiste de philosophie économique et chargé de recherches CNRS au Centre Granger (Aix-Marseille Université) et est lauteur de nombreux travaux en philosophie économique. Dans cet ouvrage, il contribue à outiller la réflexion théorique sur des questions qui sont au centre des problèmes éthiques actuels : « la détérioration de lenvironnement, la malnutrition dune partie de la population mondiale, lextinction de certaines espèces, la souffrance animale ou encore le bien-être des générations à venir » (p. 107), mais qui intéressent aussi la réflexion des économistes.

Lintroduction définit lutilitarisme comme « une philosophie morale » reposant sur quatre piliers : conséquentialisme, hédonisme, impartialité et maximalisme. Cest finalement le conséquentialisme et lapplication du principe dimpartialité qui relient lutilitarisme classique à celui daujourdhui. Comme Christophe Salvat lexplique, dans léthique contemporaine, hédonisme et maximalisme sont considérablement nuancés voire progressivement abandonnés après Sidgwick. À la lecture de louvrage, le champ de lutilitarisme apparaît en reconfiguration constante et loin dun « système de pensée homogène » (p. 18). Si les auteurs qui se définissent comme utilitaristes sont finalement peu nombreux, lutilitarisme apparaît plus comme un espace de débats et de contestation quune école ou quun courant. Surtout, il est depuis le début du xixe siècle en prise directe avec les grands débats théoriques qui irriguent les sciences humaines et sociales, ce que le livre montre très bien en mobilisant des références plus larges que les auteurs identifiés comme utilitaristes.

La première partie est consacrée à lutilitarisme classique, celui de Bentham, Mill et Sidgwick qui sont présentés tour à tour. Appuyé sur une bibliographie solide, lauteur se concentre sur les enjeux théoriques des positions des trois philosophes. Bentham ambitionne de révolutionner 442la morale en déconstruisant les traditions et les fictions de léthique religieuse ou de celle du sens commun. Christophe Salvat met particulièrement en exergue le côté impartial et égalitaire de lapproche de Bentham, pour qui le principe dégalité des intérêts entre les individus est central. Les modalités du calcul de félicité (felicific calculus) sont présentées et discutées et ses difficultés sont soulignées : peut-on retenir un critère de mesure unique ou au moins uniforme ? comment juger des effets potentiels dune action ? (p. 16-17). Avec John Stuart Mill, lauteur pose la question, récurrente au fil de louvrage, de la compatibilité entre utilitarisme et libéralisme sur laquelle cette recension reviendra brièvement. Enfin, il présente la carrière et les idées de Sidgwick qui déjà se démarque fortement de ses prédécesseurs en refusant de condamner le recours à lintuition en matière morale. Pour brèves quelles soient, ces présentations sont claires et précises. Lauteur met en exergue ce qui constitue pour lui lessence de lapproche de Bentham, Mill et Sidgwick et leur contribution principale à lutilitarisme contemporain : laffirmation des principes hédonistes et légalitarisme, ce « principe dimpartialité » auquel il reviendra dans le chapitre 3 et dont il fait le pilier central de la pensée utilitariste aujourdhui à laquelle est consacrée le reste de louvrage.

Dans une deuxième partie, Christophe Salvat sintéresse aux questions de la quantification, de la classification et de la maximisation de lutilité et fait état des débats considérables qui portent sur chacun de ces termes depuis les années 1970. Il explique comment la critique de lhédonisme sest affirmée au fur et à mesure que les débats théoriques sur la mesure et sur la quantification du plaisir, ou du bien-être, achoppaient sur la variété des expériences et sur leur incommensurabilité. Ce chapitre fournit aussi loccasion de présenter les contributions dArrow, de Rawls et de Sen à la construction de lutilitarisme contemporain, leurs critiques ayant considérablement reconfiguré les fondements théoriques de lutilitarisme. Comment mesurer ou classer les utilités ? à quelle échelle géographique ou temporelle effectuer le calcul ? Lobjectif de maximisation de lutilité collective peut-il être remplacé par un optimum comme celui de Pareto ?

Les objections nombreuses au calcul de la valeur dutilité dun acte donné ont conduit les utilitaristes, comme lexplique Christophe Salvat dans la partie 3, à adopter progressivement un « utilitarisme de 443la règle » (rule utilitarianism), dont il propose la définition suivante : « Une action est bonne (right) si elle est conforme à une règle qui, si elle est suivie, produit au moins autant dutilité totale que nimporte quelle autre règle possible » (p. 56). Lutilitarisme contemporain, que ce soit dans les travaux de Hare, ou de Hooker et de Mulgan, contribue directement à une réflexion plus générale sur la normativité en matière morale. Quels sont les avantages de lutilitarisme de la règle ? Il fait peser une responsabilité moindre sur lagent, qui nest pas seul face à ses calculs et à ses choix et permet déviter les situations où un calcul donné conduirait à des situations perçues comme immorales, comme la justification du mensonge ou le sacrifice dun innocent. Pour préciser le propos de lauteur, on pourrait ajouter que ces interrogations ne sont pas lapanage des utilitaristes de la fin du xxe siècle, mais traversent également les travaux de leurs précurseurs : loin dêtre un strict « utilitariste de lacte » (p. 56), Bentham définit très vite quatre objectifs indirects de lutilitarisme : subsistance, abondance, égalité et sécurité qui prennent une importance croissante dans ses écrits à mesure quil développe les implications distributives de la maximisation du bonheur.

Consacré à la « théorie et critique » du principe dimpartialité, le chapitre 4 fait le point sur une question qui traverse lutilitarisme, comme le formulait déjà John Stuart Mill dans son article « Utilitarisme » : « Ce principe nest quun assemblage de mots sans signification rationnelle si le bonheur dune personne, supposé égal en intensité (avec part faite pour la qualité), nest pas compté exactement pour autant que le bonheur dune autre personne. » (Lutilitarisme). En refusant de faire primer les intérêts ou le point de vue dun individu sur les autres et en imposant un regard impartial, les auteurs utilitaristes entendent aller à rebours du primat accordé à la sympathie dans la construction de la morale (cest lun des combats de Bentham et de Mill), ou bien pour reprendre lexemple récent de Peter Singer, à accorder plus dattention à lenfant qui se noie devant nous quà celui qui meurt de faim loin des caméras de télévision. Face aux critiques de Bernard Williams, de Rawls, de Dworkin et plus récemment de Sen et de Nozick, les utilitaristes ont fortement défendu le principe dimpartialité tout en linfléchissant parfois, comme chez Hare.

À plusieurs reprises, lauteur aborde la question des liens entre utilitarisme et libéralisme. Dabord sur le plan historique : Mill est une 444figure fondatrice de lun et de lautre. Mais comme il le rappelle, le choix de lutilité comme principe fondateur a immédiatement achoppé sur la question des droits humains. Les positions de Bentham sont à cet égard particulièrement critiques (la Déclaration de 1789 étant ramenée à un « nonsense sur des échasses »), et Mill est tiraillé entre la préservation de lindividualité quil met au cœur de son système politique et les objectifs de maximisation. À la même époque, tandis que la tradition marxiste voyait dans lutilitarisme un épigone du capitalisme bourgeois, le rôle de lÉtat dans la poursuite du plus grand bonheur du plus grand nombre chez les utilitaristes classiques a fait lobjet de critiques importantes après la Seconde guerre mondiale, tant par Berlin que par Rawls. Christophe Salvat rattache clairement la question aux débats philosophiques sur limpartialité en montrant comment lutilitarisme de la règle a permis de réintégrer la question des droits individuels, ou au moins de disculper les utilitaristes de laccusation récurrente de ne pas attacher une importance suffisante à lintégrité de lindividu. Comme le précise lauteur, depuis les années 1970, ces critiques ont été reformulées et développées par Dworkin et par Nozick en ciblant lutilitarisme de la règle autant que celui de lacte. La dialectique entre droits et utilité apparaît ainsi comme un puissant moteur du débat contemporain autour de la justice politique et sociale et cest peut-être sur ce point que la contribution des utilitaristes est la plus significative. Tant pour Rawls que pour Sen, dont les idées sont discutées à plusieurs reprises dans louvrage, la confrontation avec les arguments utilitaristes sest révélée décisive. À cet égard, la section consacrée à la façon dont lutilitarisme contemporain sest attaché à « (ré)intégrer la notion de personne » (p. 92-98) est particulièrement éclairante.

Dans chaque chapitre, un encadré fait le point sur des problématiques qui se situent en marge de la démonstration de lauteur, mais les contraintes éditoriales imposées par le format des 128 pages laissent parfois le lecteur sur sa faim. Le premier, consacré à « John Stuart Mill et Harriet Taylor », introduit la question de légalité des sexes et revient rapidement sur celle de lattribution des œuvres de Mill. Il y aurait sur ce thème (repéré par Amartya Sen dès le début des années 1990) des ponts à tracer avec lutilitarisme contemporain, qui depuis les travaux de Jonathan Glover travaille les questions liées au contrôle de la fertilité. Au chapitre 2, les liens entre « mesure de lutilité et théories du 445bien-être » sont présentés en quatre colonnes très denses où se côtoient Lionel Robbins, Paul Samuelson, John Harsanyi, Kenneth Arrow, Peter Hammond, Charles Blackorby et enfin Amartya Sen sans que le cadre théorique qui relie les théories du bien-être à lutilitarisme soit explicité. Clarifier en quoi les théories utilitaristes sont à même de contribuer aux approches normatives de léconomie aurait pourtant permis dasseoir le propos de louvrage dans un cadre disciplinaire plus précis. Lencadré 3 porte sur « utilitarisme de la règle et généralisation utilitariste » et apporte un complément dinformation utile aux débats du chapitre 3. Au contraire, le dernier hors-texte sur « le système des enchères de Dworkin » nous éloigne un peu, par sa précision, du propos du livre.

Louvrage se clôt sur quelques cas déthique appliquée largement travaillés par lutilitarisme contemporain : les famines, le bien-être animal et léthique environnementale. Les figures de Peter Singer et de Derek Parfit se détachent par la force avec laquelle ils défendent un cadre danalyse et proposent des mesures concrètes : encourager les citoyens du monde riche à donner 10 % de leurs revenus à des ONG efficaces, adopter un régime végétarien ou quasi-végétarien, agir fortement dans les pays développés pour contrer le dérèglement climatique. Le traitement des enjeux contemporains peut sembler un peu rapide dans louvrage au regard du projet de lauteur mais contient les références qui permettent aux lecteurs daller plus loin. Il aurait été intéressant de développer aussi la façon dont lutilitarisme permet de poser ces questions non pas seulement dans le champ de léthique, mais aussi comme des questions politiques et économiques.

Cela aurait également permis de mettre en valeur la continuité, plus que la rupture, entre lutilitarisme classique et celui daujourdhui. Sur les questions économiques et politiques, les intuitions et le raisonnement de Mill gagneraient à être mieux connus par les utilitaristes contemporains. Quon pense aux derniers chapitres des Principes déconomie politique (1848), qui soumettent le progrès technique et la maximisation des ressources à lexigence morale démancipation individuelle, envisageant ainsi quune société puisse faire le choix de préserver un « état stationnaire », renonçant aux objectifs de croissance illimitée :

Il ny a pas grand plaisir à considérer un monde où il ne resterait rien de livré à lactivité spontanée de la nature, où tout arpent de terre propre à produire 446des aliments pour lhomme serait mis en culture : où tout désert fleuri, toute prairie naturelle seraient labourés ; où tous les quadrupèdes et tous les oiseaux qui ne seraient pas apprivoisés pour lusage de lhomme, seraient exterminés comme des concurrents qui viennent lui disputer sa nourriture ; où toute haie, tout arbre inutile seraient déracinés ; où il resterait à peine une place où pût venir un buisson ou une fleur sauvage, sans quon vint aussitôt les arracher au nom des progrès de lagriculture. Si la terre doit perdre une grande partie de lagrément quelle doit à des objets que détruirait laccroissement continu de la richesse et de la population, et cela seulement pour nourrir une population plus considérable, mais qui ne serait ni meilleure ni plus heureuse, jespère sincèrement pour la postérité, quelle se contentera de létat stationnaire longtemps avant dy être forcé par la nécessité. (Principes déconomie politique, livre IV, chap. vi, § 2)

Dense malgré sa concision, le livre de Christophe Salvat est bien construit et remplit le programme quil sest fixé en présentant de façon rigoureuse les concepts et les penseurs de lutilitarisme. Il bat ainsi en brèche limage dune philosophie marginale et autocentrée et démontre quelle occupe une place centrale dans la pensée contemporaine anglo-saxonne. Il serait dommage que la publication de louvrage dans la collection « Repères-Philosophie » et son orientation autour des enjeux éthiques fasse oublier la dimension politique et économique de lutilitarisme. En effet, par sa contribution à la réflexion sur les dilemmes éthiques contemporains, lutilitarisme mérite dêtre réinvesti par les disciplines qui se confrontent à la question de la normativité, du gouvernement et de la prospective.

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Samuel Ferey & Sylvie Rivot (dir.), Histoire de la pensée économique, Montreuil, Pearson, France, 2019, 550 pages.

Jimena Hurtado

Universidad de los Andes

Il peut paraître surprenant décrire un manuel sur lhistoire de la pensée économique aujourdhui, alors que ce domaine de léconomie est, au mieux, relégué et, au pire et très souvent, absent de la formation et du travail des personnes impliquées dans léconomie. Les directeurs de louvrage, Samuel Ferey et Sylvie Rivot, expliquent la pertinence de cet ouvrage collectif par le questionnement que la crise économique et financière de 2008 a fait subir à la discipline économique. Nous pourrions maintenant ajouter la crise sanitaire, économique et sociale sans précédent générée par la pandémie de Covid-19. Les crises de cette ampleur, comme le soulignent les directeurs dans leur introduction, remettent en question nos connaissances et la manière dont nous cherchons des explications et des solutions. Léconomie, en particulier, tombe dans lœil du cyclone non seulement pour sa prétendue incapacité à prévoir la crise, comme dans le cas de 2008, mais aussi pour sa supposée préférence pour la subsistance matérielle par rapport à la vie elle-même. Les difficultés et les défis structurels engendrés par la crise déclenchée par la pandémie mettent en évidence les limites de léconomie dans lanalyse et la réponse à la pauvreté et à linégalité, et remettent en question sa capacité à proposer des lignes daction qui donnent la priorité à la vie dans la dignité. Dans ce contexte de questionnement et de critique de léconomie, il est dautant plus important de noter, comme le rappellent Ferey et Rivot, linfluence de lhistoire de la discipline pour comprendre, dune part, quau sein de léconomie coexistent des « positions méthodologiques, théoriques et politiques » (p. ix) qui senracinent dans le passé et, dautre part, que cette histoire pèse et éclaire la manière dont léconomie, dans son hétérogénéité, étudie et cherche à agir sur le présent.

Bienvenue donc ce manuel, qui sera une référence pour les étudiants et les historiens de la pensée économique, avec son appel à voir lhistoire de la discipline au-delà de la chronologie et comme partie intégrante de léducation à la citoyenneté.

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Grâce à une analyse judicieuse et informée des textes originaux, ce manuel cherche à initier ses lecteurs à une manière spécifique daborder lhistoire de la pensée économique qui leur permettra de comprendre et de participer au débat civique qui est à la base de la discipline en tant que champ de discussion ouvert sur les projets de société. Cest pourquoi, au lieu de suivre un ordre strictement chronologique, le livre est organisé de manière thématique afin de montrer les thèmes et les discussions au fil du temps sur des questions qui ont été transversales à lhistoire de la discipline. Ainsi, quiconque lit ce livre, de manière systématique ou par chapitres, y trouvera des positions et des arguments actuels et pertinents, même sils font référence à des théories datant de plusieurs siècles. La méthode analytique du volume est un engagement clair des auteurs envers une manière spécifique et, dirons certains, obsolète ou inadéquate, daborder lhistoire des idées et des théories économiques. La recherche, tout au long de louvrage, des relations entre les faits économiques et lanalyse économique permet, comme le disent les directeurs, dintroduire la pluralité en économie ainsi que de participer à une conversation en temps présent.

Cette analyse thématique permet de trouver différents protagonistes dans des conversations diverses et parfois inattendues. Mais elle nous permet également daborder ces protagonistes de telle sorte que la complexité et la richesse de leurs théories et de leurs pensées puissent être explorées sous différents angles. On retrouve ainsi Léon Walras dans les chapitres sur la valeur (Jean Dellemotte), le fonctionnement du marché (Nathalie Berta et Claire Pignol) et la banque et la monnaie (Rebeca Gómez-Betancourt) où les auteurs de chaque chapitre intègrent le professeur de Lausanne pour explorer et répondre à des questions transversales de la pensée économique. En traitant de la valeur, par exemple, Jean Dellemotte, au chapitre 2, le fait en incluant des aspects moraux et politiques qui relient Thomas dAquin, Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx et les marginalistes, jusquà John Bates Clark. Mais dans le chapitre 3, Nathalie Berta et Claire Pignol, en approfondissant le fonctionnement du marché et le rôle central joué par le concept déquilibre chez les marginalistes, laissent Menger de côté pour suivre la ligne walrasienne et néo-walrasienne en se rattachant à Antoine Augustin Cournot, Alfred Marshall, Vilfredo Pareto et Francis Y. Edgeworth. Le fait de retrouver ces protagonistes dans différents 449chapitres offre également différentes lectures et interprétations selon lauteur du chapitre. Cest par exemple le cas dAdam Smith dans le chapitre précité de Jean Dellemotte sur la valeur et la répartition, dans le chapitre de François Allison sur la dynamique du capitalisme ou dans celui de Laurie Bréban sur, comme elle le montre dans son chapitre, la douteuse rupture chronologique entre lanalyse en classes sociales et lindividualisme. Le même penseur sur différents sujets et sous plus dune grille de lecture est dautant plus intéressant pour trouver des continuités et aussi des emphases différentes.

Ce volume est particulièrement ambitieux, non seulement en raison de son approche analytique, mais aussi de lampleur que cette même approche lui permet de traiter dans le temps. En traitant de questions et de thèmes transversaux, le volume va dAristote, dans lavant-propos de Rodolphe Dos Santos Ferreira, à léconométrie et léconomie expérimentale dans le chapitre dAriane Dupont-Kieffer, en passant par léconomie du bien-être et les théories économiques de la justice dans le chapitre dAntoinette Baujard et Herrade Igersheim. Cette ampleur et cette ambition signifient également que les auteurs font appel à dautres protagonistes, au-delà de ceux que nous considérons traditionnellement comme des « économistes », pour leur analyse. On retrouve lanthropologue Louis Dumont mobilisé par Laurie Bréban pour comprendre lémancipation supposée de léconomie du politique et lémergence de l« individu », ou encore Louis Blanc comme protagoniste des débats des socialistes utopiques dans le chapitre de Ludovic Frobert.

Et, en même temps, il nous permet de suivre, si lon veut, les discussions microéconomiques depuis labandon des classes sociales pour lindividualisme dans le chapitre de Laurie Bréban et lémergence et la remise en cause de la théorie du choix rationnel présentée par Cyril Hédoin, ou celles associées à la théorie de léquilibre général et à la théorie des jeux dans le chapitre de Jean-Sébastien Lenfant, et à la macroéconomie dans les chapitres sur son émergence par Sylvie Rivot, le modèle IS-LM jusquà la révolution des anticipations rationnelles par Goulven Rubin et la croissance et les cycles par Michaël Assous et Muriel Dal Pont Legrand. Bien entendu, il sagit là dune des nombreuses possibilités de regroupements ou de fils de lecture de ce manuel qui permet, je le répète, de suivre des thèmes plutôt que des courants ou des développements historiques.

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Les multiples possibilités de lecture reflètent un autre engagement méthodologique du volume, associé à sa méthode analytique. Il ny a pas de progrès linéaire de la science. La théorie économique daujourdhui ne reprend pas les idées, concepts et outils qui ont survécu à lépreuve du temps et qui ont prouvé leur pertinence et leur utilité dans lanalyse et lexplication des phénomènes économiques. Lhistoire de la pensée économique est un réservoir de sens et une conversation au présent ; son exercice ne se réduit pas à un exercice de mémoire ou de souvenir du passé ou à une archéologie des idées. Son exercice est un exercice de débat didées et dinterprétations du monde daujourdhui, avec tous ses changements et dans toute sa complexité.

Les chapitres consacrés à des sujets inhabituels dans ce type douvrage sont tout aussi rafraîchissants et novateurs. Les chapitres sur léconomie et la politique de lÉtat par Samuel Ferey, sur la guerre et la paix entre les nations par Victor Bianchini et Lucy Brillant, sur lutopie et lidéologie par Ludovic Frobert, sur la place des économistes dans le débat public au xxe siècle par Béatrice Cherrier, sur la construction dun ordre économique international entre 1919 et 1976 par Pierre-Hernan Rojas reflètent un spectre danalyse plus large de lhistoire de la pensée économique et une autre caractéristique fondamentale de louvrage : la recherche des liens entre économie et politique. Cela nous rappelle que léconomie, en tant quéconomie politique, en tant quanalyse des interactions sociales, est aussi une réflexion sur le pouvoir, sur la vie partagée dans la cité. Comme le soulignent Ferey et Rivot dans lintroduction, « faire lhistoire de la pensée économique, cest aussi faire lhistoire de la place sociale des économistes dans la cité et de leur rapport au débat public » (p. xiii). Lhistoire de la pensée nest donc pas lhistoire des idées du passé mais lengagement dans le débat civique des idées.

Il est difficile de rendre justice à la richesse de ce volume, dans lequel chacun des auteurs est un expert en la matière avec une longue histoire de recherche qui se reflète dans la synthèse sans simplification, réduction ou concessions contenue dans chaque chapitre. Il sagit dun volume exigeant car il va au-delà des informations chronologiques et biographiques avec un résumé de ce qui est traditionnellement considéré comme les principales contributions dun auteur ou dun courant à lanalyse économique. Chaque chapitre est une invitation à poursuivre la conversation, à relier le passé, le présent et le futur et dexplorer 451aujourdhui avec les questions, les pistes et les réponses construites à travers le temps en retrouvant des controverses et des approches qui imprègnent léconomie contemporaine.

Lanalyse thématique invite à une lecture engagée des discussions suscitées par des questions qui traversent la discipline. Ce manuel est lœuvre dune génération dhistoriens de la pensée économique française qui reprend la tradition de ceux qui ont fait de lhistoire de la pensée une façon de faire de la théorie économique, mais, en même temps, une génération qui trace de nouvelles voies interdisciplinaires, proches de la philosophie politique et de la philosophie et de la sociologie des sciences.

Cest peut-être lune des principales forces de ce volume, mais cest aussi sa faiblesse. Ce manuel nous présente peu de choses provenant dautres voix, dautres lieux et dautres expériences. On ne trouve dans le volume que peu douvertures vers lhistoire des idées économiques et les questions transversales de léconomie depuis dautres latitudes et avec des points de vue divers. Dans ce réservoir de sens que peut être lhistoire de la pensée économique, le sens de la diversité semble nous manquer lorsque nous promouvons le pluralisme, mais toujours à partir dinterprétations qui, bien que novatrices, traitent des mêmes auteurs depuis les mêmes lieux.

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Maria Cristina Marcuzzo, Ghislain Deleplace & Paolo Paesani (éd.), New Perspectives on Political Economy and Its History, Palgrave Studies in the History of Economic Thought, Palgrave Macmillan, 2020, 477 pages.

Sylvie Diatkine

Université Paris 1, PHARE –
EA 7418

I. Maria Cristina Marcuzzo, Université de Rome « La Sapienza », Italie, Ghislain Deleplace, Université de Paris 8, France, et Paolo Paesani, Université de Rome « Tor Vergata », Italie, collègues et amis 452de Annalisa Rosselli, Université de Rome « Tor Vergata », ont rassemblé les contributions et organisé la publication de ce livre en son honneur.

Lengagement dAnnalisa Rosselli en faveur dun pluralisme en économie est clair dans ses publications, son rôle académique en soutenant les jeunes chercheurs et en créant et dirigeant les institutions nationales, européennes et internationales qui ont donné un nouvel essor à lhistoire de la pensée économique. Cest pourquoi le livre est clairement centré sur lhistoire de la pensée économique mais inclut aussi des domaines adjacents qui ont constitué des centres dintérêt dAnnalisa Rosselli.

II. Comme le soulignent les éditeurs, dans leur introduction, Annalisa Rosselli ne considère pas lhistoire de la pensée économique comme la nostalgie dauteurs anciens qui seraient périmés mais comme la mise en évidence de débats toujours actuels et récurrents8. Les questions non résolues ou solutions non abouties que lon trouve dans les théories anciennes ne sont pas nécessairement le résultat derreurs mais plutôt des symptômes de difficultés que lon peut retrouver dans les théories actuelles ou qui sont communes, indépendamment des différents contextes, à la science économique passée et présente. Et cest cette conception qui assure lunité du livre.

Tout dabord, dans une première partie, Sheila Dow dans sa contribution intitulée « The methodological Role of the History of Economic Thought » présente la critique de la conception « whigiste » de lhistoire de la pensée économique qui lui semble pourtant gagner du terrain et selon laquelle les écrits anciens ne sont que des anciennes formulations des théories modernes.

Lauteur sinterroge ensuite sur le rôle de lhistoire des idées dans la méthodologie de A. Smith qui procède dune approche historique plus générale du savoir (dans le domaine des sciences sociales), typique de lÉcole écossaise (Scottish Enlightenment). Comment cette approche pourrait-elle nous éclairer aujourdhui ? Elle peut nous servir à comprendre la théorie économique moderne mais aussi à la critiquer ; cest pourquoi elle doit faire partie intégrante de léconomie.

Les contributions du livre reviennent sur Ricardo (partie III), Sraffa (partie IV), Keynes (partie V), auteurs particulièrement étudiés par Annalisa Rosselli, de même que sur la perspective classique de Quesnay, Stuart Mill, Smith et Marx (partie II).

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III. Un nouveau lien entre économie et histoire est recherché par lhistoire de la pensée économique et est présenté dans le livre. Il ne sagit pas dune simple contextualisation des théories ni de se tourner vers lhistoire comme critique de léconomie. Il sagit dune façon historique et analytique de faire de lhistoire de la pensée économique (« an historical-analytical way » selon les éditeurs). Cependant, lon voit à travers les différentes contributions rassemblées la difficulté de mettre en œuvre cette conception.

Celle-ci trouve un champ dapplication important dans la théorie monétaire

Dans louvrage écrit en collaboration avec Maria Christina Marcuzzo à propos de la théorie monétaire de Ricardo de létalon or, Annalisa Rosselli montre quil faut prendre en compte le fonctionnement précis du marché de lor et du marché des changes, le rôle des marchands et institutions pour comprendre lessentiel de la théorie de Ricardo et ne pas commettre derreurs dans linterprétation de ses textes9.

Carlo Benetti et Jean Cartelier, dans leur contribution intitulée « From Ricardo to Sraffa : Gold as Monetary Standard in a Classical Theory of Money », bien que reprenant la distinction entre étalon des marchandises et étalon monétaire chez Ricardo introduite par Marcuzzo et Rosselli (1991 ; 1994), cherchent plutôt à construire une théorie sraffaienne des prix monétaires et de la monnaie quà faire une analyse de Ricardo. La question centrale est celle de la régulation de la quantité de monnaie par les arbitrages sur le marché de lor lingot. Ils critiquent Deleplace (2017) qui explique la déviation du prix de marché du prix légal de lor (à la source des arbitrages) par laltération (« debasement ») des pièces. Selon eux, ce mécanisme ne peut sappliquer à une théorie classique de la monnaie entièrement composée de papier convertible en or (qui est aussi celle de Ricardo). Dans cette économie, ces facteurs ne peuvent expliquer la déviation ; lanalyse théorique ne permet pas de la mettre en évidence et de la relier à la quantité de monnaie et les deux prix ne peuvent donc différer (p. 251) ; ceci remet donc en cause le mécanisme ricardien spécifique. La régulation de la quantité de monnaie doit alors être envisagée autrement selon les auteurs (en revenant au mécanisme plus traditionnel du multiplicateur de monnaie vis-à-vis des réserves en or ; mécanisme non utilisé par Ricardo). Lanalyse économique ici 454ne sarticule pas à une nécessaire prise en compte des institutions du système économique.

Au contraire, José Luís Cardoso, dans sa contribution « Money, Banking and Politics in Early Nineteenth-Century Portugal », étudie les liens entre le développement historique du système bancaire (ici la création de la Banque de Lisbonne) et les débats théoriques sur les questions monétaires et financières, notamment la dette publique.

Les autres contributions de la partie 3 sur Ricardo envisagent ce dialogue entre histoire économique et analyse économique sous la forme de lhistoire intellectuelle. Il en est ainsi de lhistoire de lintroduction de Ricardo au Japon et de sa résonance différente selon les époques pour les économistes japonais (Masashi Izumo, Yuji Sato, and Susumu Takenaga « How Ricardo came to Japan ») ou de linfluence possible de Bentham sur Ricardo. Mais celle-ci savère introuvable selon Christophe Depoortère, André Lapidus et Nathalie Sigot (« Bentham et Ricardos Rendez-vous Manqués »).

Christian Gerhke, Heinz Kurtz et Richard Sturn, dans « Classics Today : Smith, Ricardo, Marx », sinterrogent sur lintérêt pour un lecteur contemporain détudier Smith, Ricardo ou Marx. Selon eux, celui-ci se situe au niveau de la dynamique dune économie capitaliste. Peut-on considérer quil y a une unité en ce domaine entre les trois auteurs ? Si Smith conçoit la croissance comme une interdépendance incluant économie, politique, système de gouvernement, par contre, Ricardo et les néo-ricardiens prolongent lidée des rendements croissants en articulant deux niveaux de demande effective (lun pour déterminer les prix, et lautre létendue du marché pour déterminer les quantités). Marx a repris le rôle de linfluence du développement des « machines » sur lévolution du taux de profit (et le sous-emploi) introduit par Ricardo mais en modifiant la détermination de celui-ci (rôle de la composition organique du capital). Sraffa donnera des précisions nécessaires à ce sujet.

IV. La partie IV propose des interprétations modernes de Sraffa, où lon retrouve des préoccupations de lier économie et histoire

La contribution de Jean-Pierre Potier intitulée « Dialogues Manqués Between Antonio Gramsci and Piero Sraffa on Ricardo, Classical Political Economy and “Pure Economics” », revient justement sur la liaison entre théorie économique pure et institutions et histoire que Gramsci cherche chez Ricardo (son historicisme), mais à tort selon Sraffa, qui pense, 455lui, que Ricardo est un tenant de « léconomie pure » car il ne se place jamais dans une perspective historique ; le seul élément culturel que lon y trouve est dérivé des sciences naturelles (p. 267).

Richard Arena dans « What can still be learnt from Sraffas Study of Prices in a Surplus Economy”, propose de réévaluer lapport de Sraffa aujourdhui, en insistant moins sur la théorie des prix et plutôt sur lorganisation dune économie de production où le concept de surplus est central et lié historiquement aux diverses institutions et règles de répartition, ce qui léloigne du monde néo-walrasien et même du monde de léconomie pure mais le rapproche dune analyse économique et historique. Sraffa sest montré soucieux de prendre en compte le contexte de la réalité sociale à partir de ses critiques de A. Marshall10. R. Arena cite aussi des conférences de Sraffa de 1929 et des années 1940 sur les banques et lorganisation de lindustrie, insistant sur les relations asymétriques et de hiérarchie, contrastant avec la vision marshalienne des marchés ; montrant la généralisation des marchés financiers. Cependant R. Arena reconnait que, « pour des raisons diverses », Sraffa na pas poursuivi dans cette voie et a choisi ultérieurement de limiter son analyse à une construction moins complexe (un « prélude »)

V. La partie V propose de nouvelles perspectives sur Keynes. Annalisa Rosselli sest intéressée à Keynes et aux keynésiens de plusieurs façons.

On retrouve ici une conception analytique et historique de lhistoire de la pensée comme elle a été définie plus haut. Ainsi la contribution de Mario Sebastiani, « The State and the Market in John Maynard Keynes and His Relevance Today », tente de préciser la vision de Keynes dun capitalisme « dirigé ». Il sagit donc dun projet politique de réforme du capitalisme. Revenant sur les « agendas » du gouvernement et sur les formes de gouvernement capables de les remplir, lauteur sinterroge sur ce que seraient les « agendas » selon Keynes aujourdhui. Quel serait lhéritage de Keynes dans lorganisation des économies de marché européennes ? Quelles sont les affinités et différences entre les propositions de Keynes et les politiques publiques européennes ? Quels sont les « services dintérêt économique général » selon la loi européenne vers lesquels il faut diriger les investissements ?

On peut prolonger ces interrogations sur laffectation des investissements en les rattachant à des contributions de la Partie 1 sur les dépenses 456publiques et leur impact sur les inégalités de « genre ». Ces contributions se situent dans la ligne des travaux dAnnalisa Rosselli qui a soulevé cette question en proposant les bases dune nouvelle méthodologie danalyse11. Car il sagit de faire sortir les questions dégalité de genre des marges de la théorie économique et de la politique économique en les intégrant au cœur des processus économiques et pour cela de repousser les frontières de la discipline économique ainsi que le tentent Elisabeth Klatzer and Angela OHagan, dans leur contribution « Moving Boundaries with Gender Budgeting : From the Margins to the Mainstream », p. 79). Il est alors possible de proposer des mesures de réaffectation des budgets et fiscales selon leur influence sur lallocation des ressources en se posant comme objectif dagir sur ces inégalités qui permette de faire avancer un point de vue féministe (gender budgeting).

Et lon retrouve aussi ici la nécessité de recourir à lhistoire pour mettre au jour les biais en ce sens des politiques économiques, y compris macroéconomiques. Paola Villa, dans « Family, Gender Inequality and Growth : History Matters », montre comment, en Italie, les structures et les normes familiales jouent un rôle déterminant sur les résultats économiques. Le haut niveau de production « domestique » réduit létendue du marché et conduit à peser sur la recherche demplois efficaces en termes de croissance et en réalité à une baisse du taux de fertilité. Dans les sociétés à liens familiaux forts, il y a un risque que la pression en faveur de politiques publiques efficaces soit faible.

Les liens entre Sraffa et Keynes sont soulignés à propos du taux dintérêt par Jan Kregel et Alessandro Roncaglia, dans « An Outline of a Keynesian-Sraffian Macroeconomics », pour lesquels il sagit dune variable de clôture du modèle. Sraffa considère que le taux de profit peut être déterminé, de lextérieur, par un taux dintérêt monétaire (mais dont il ne donne aucune « théorie ») et Keynes cherche à déterminer ce taux monétaire. On sait que cette détermination va poser problème et quil faudra introduire les institutions politiques et sociales.

Il en résulte selon Jan Kregel et Alessandro Roncaglia une commune volonté dapproche de la part de Sraffa et Keynes dune économie monétaire de production, concept construit à partir des Classiques et de leur approche en termes de surplus, augmentée de la notion keynésienne dincertitude et de liquidité et donc la prise en compte de la manière dont les facteurs 457financiers affectent léconomie et la répartition du revenu (p. 371). On obtient ainsi une vision dun système composé de différentes « briques ». Une brique supplémentaire pourrait être lanalyse de la liquidité et de la fragilité financière selon Minsky (1975) (p. 378). Cependant il nest pas précisé comment cette dernière analyse en termes de portefeuilles financiers sarticulerait avec la représentation de léconomie sraffaienne.

La notion de liquidité est revisitée dun point de vue dhistoire de la pensée par Luca Fantacci et Eleonora Sanfilippo, dans leur contribution « The Original Meaning of “Liquidity Trap” in the Early Discussion Between Roberston and Keynes ». La « trappe à liquidité » napparait plus comme un problème dinefficacité de la politique monétaire à un certain niveau du taux dintérêt (donc des formes des courbes doffre et demande de monnaie) mais comme un problème plus général dincertitude qui peut se manifester à différents niveaux du taux dintérêt sous forme de « préférence pour la liquidité » non temporaire fragilisant le système productif. Les auteurs montrent que cette conception keynésienne est élaborée au cours des échanges entre Robertson et Keynes et que ce dernier ne se réfère pas à la notion de « trappe à liquidité ».

On retrouve les mêmes préoccupations dans létude de Richard Van den Berg, « Keynes, Schumpeter. Mercantilism and Liquidity Preference : Some Reflections on How We Do History of Economic Thought ». Lauteur sinterroge sur la vision de Schumpeter de la préférence pour la liquidité de Keynes à partir de sa lecture dun passage de celui quil considère comme un prédécesseur de Keynes en la matière : Postlethwayt, en fait inspiré de Forbonnais (Schumpeter, 1954, p. 372, n. 15). En réalité, on doit prendre en compte le fait que Schumpeter est amené à faire cette interprétation car il écrit après la révolution keynésienne. Et ceci peut être le cas de plusieurs historiens de la pensée économique qui, cherchant à relier les théories et politiques à leurs origines intellectuelles, se croient exempts de toute méthodologie rétrospective et qui sont en fait les « esclaves » de quelques économistes qui sont leurs contemporains (p. 336). Pour éviter ce biais, il est nécessaire de prendre en compte les contextes historiques différents dans lesquels les auteurs écrivent comme la souligné Annalisa Rosselli.

La richesse des contributions de ce livre et les débats auxquels il introduit rendent compte du renouvellement et de lactualité de la recherche en histoire de la pensée économique qui se considère comme partie intégrante 458de la recherche en économie. Proposant une approche pluraliste et critique, louvrage met aussi en évidence une vision non conventionnelle ou même hétérodoxe qui peut être utile pour explorer les problèmes économiques contemporains dans des perspectives nouvelles. Ainsi ce livre intéressera des lecteurs qui ne sont pas des historiens de la pensée économique mais qui sont concernés par divers domaines du champ économique et social.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Ouvrages

Deleplace, Ghislain [2017], Ricardo on Money. A Reappraisal. Abingdon, Routledge.

Marcuzzo, Maria Cristina & Rosselli, Annalisa [1991], Ricardo and the Gold Standard : The Foundations of the International Monetary Order, London, Macmillan.

Marcuzzo, Maria Cristina & Rosselli, Annalisa [2002], Economics As History of Economics : The Italian Case in Retrospect”. In : E.R Weintraub (ed.), The Future of The History of Economics, Durham, NC, Duke University Press, p. 98-109.

Minsky, Hyman P. [1975], John Maynard Keynes. New York, Columbia University Press.

Schumpeter, Joseph A. [1954], History of economic analysis, London, Allen and Unwin.

Revues et contributions dans des ouvrages collectifs

Bettio, Fabio & Rosselli, Annalisa [2018], Gender Budgeting in Italy : A Laboratory for Alternative Methodologies ? In 0Hagan Angela & Klatzer Elisabeth (éd.), Gender Budgeting in Europe, Cham, Palgrave Macmillan, p. 100-220.

Marcuzzo, Maria Cristina. & Rosselli, Annalisa [1994], “The Standard Commodity and the Standard of Money”, Cahiers déconomie politique, vol. 23, no 1, p. 19-31.

Marcuzzo, Maria Cristina & Rosselli, Annalisa [2011], « Sraffa and His Arguments Against Marginism », Cambridge Journal of Economics, vol. 35, no 1, p. 219-231.

Rosselli, Annalisa [2013], “Economic History and History of Economics : in Praise of an Old Relationship”, The European Journal of the History of Economic Though, vol. 20, no 6, p. 865-881.

1 Turgot, « Lettre à Du Pont » de 1767, dans Gustave Schelle, Œuvres de Turgot et documents le concernant, tome deuxième, Paris, Félix Alcan, 1914, p. 678.

2 Marquis de Mirabeau, François Quesnay, Traité de la monarchie (1757-1759), édité et présenté par Gino Longhitano, Paris, LHarmattan, 1999.

3 Site des Classiques Garnier, consulté le 30/10/2021.

4 I. Fisher, [2015]100 % Monnaie. Changer de système monétaire pour sauver le capitalisme, Omnia Veritas.

5 R. J. Phillips, [1995]The Chicago Plan and New Deal Banking Reform, Armonk, NY, M.E. Sharpe.

6 R. W. Dimand, [1993] “100% Money : Irving Fisher and the Banking Reform in the 1930s.”, History of Economic Ideas, vol. 1, No 2, p. 59–76.

7 L. Walras, [1898] « La Caisse dépargne postale de Vienne et le comptabilisme social », Revue déconomie politique, vol. 12, No 3, p. 202-220.

8 Marcuzzo & Rosselli (2002).

9 Marcuzzo & Rosselli (1991).

10 R. Arena sappuie sur les arguments de Marcuzzo & Rosselli (2011).

11 Bettio & Rosselli (2018).