Jacqueline Hecht (1932-2020),
une héritière des Lumières

À un moment ou un autre, tous les chercheurs qui s’intéressent de près ou de loin au xviiie siècle, ont nécessairement croisé dans leur parcours Jacqueline Hecht : soit dans le cadre de l’un des divers colloques qu’elle a organisés ou auxquels elle a participé, soit par l’entremise de l’un des ouvrages qu’elle a édités ou encore de l’un de ses nombreux articles. Elle était une figure incontournable de l’étude des idées, des débats et surtout des principaux auteurs qui ont joué un rôle essentiel dans la naissance et le développement de l’économie politique en France au siècle des Lumières.

Héritière des Lumières, Jacqueline Hecht a certes inlassablement œuvré à la conservation de cet héritage, mais elle a aussi largement contribué à le faire fructifier au profit des jeunes générations travaillant dans le domaine de l’histoire de la pensée économique. L’ensemble de sa carrière professionnelle témoigne en effet de ce souci permanent de favoriser l’accès des historiennes et des historiens de la pensée économique aux textes fondamentaux de cette discipline.

Jacqueline Hecht, née Rousseau, a vu le jour le 31 mars 1932 à Paris1. À la suite de l’obtention en 1952 de son diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris, elle débute sa carrière en 1953, en qualité de chargée de mission, à l’Institut national d’études démographiques (INED), fondé en 1945 à l’initiative d’Alfred Sauvy. Elle poursuit également des études de sociologie pour obtenir sa Licence en 1966, puis son Diplôme d’études supérieures, équivalent d’un Master actuel.

Très tôt elle s’intéresse aux liens entre économie et démographie et contribue dès 1954 à la traduction de l’ouvrage de Joseph Spengler, 20French Predecessors of Malthus, paru aux États-Unis en 1942, qui est publié comme premier volume d’un ouvrage intitulé : Économie et population. Les doctrines françaises avant 18002. Le second volume, consacré à une bibliographie générale commentée rassemblant environ cinq mille titres tirés du catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque nationale de France, est réalisé par Jacqueline Hecht en collaboration avec Claude Lévy et publié deux ans plus tard3. Parallèlement, elle commence à travailler avec Alfred Sauvy, alors Directeur de l’INED, à la réédition d’ouvrages classiques liés à la pensée économique et démographique du siècle des Lumières, projet auquel le fondateur de l’INED était très attaché, ces textes, pour la plupart, étaient devenus quasiment inaccessibles.

C’est ainsi qu’en 1952 Alfred Sauvy entame ce projet en faisant publier par l’INED l’ouvrage de Richard Cantillon, Essai sur la nature du commerce en général, dont l’édition originale remontait à 17554. Six ans plus tard, Jacqueline Hecht contribue à la première édition moderne des œuvres économiques du « Divin docteur », en deux volumes intitulés François Quesnay et la physiocratie (Paris, INED, 1958). Dans le premier volume, elle publie un article sur « La vie de François Quesnay » (p. 211-294) et un commentaire des « Principaux ouvrages et articles biographiques, médicaux et économiques relatifs à François Quesnay » (p. 317-392)5. Ce travail engagé sur François Quesnay trouvera son aboutissement quelques années plus tard dans un colloque international, « Tricentenaire de la naissance de François Quesnay (1694-1774) », tenu à Versailles en 1994.

Jacqueline Hecht participe à une autre édition majeure, celle des œuvres de Pierre le Pesant de Boisguilbert, également en deux volumes, intitulés Pierre de Boisguilbert ou la naissance de l’économie politique (Paris, INED, 1966). Dans cet ouvrage, elle prend en charge toute la deuxième 21partie du premier volume, qui traite de la biographie, de la correspondance et de la bibliographie de Boisguilbert (p. 121-579). Dans le prolongement de cette édition, elle contribue à l’organisation d’un colloque international intitulé « Boisguilbert parmi nous », qui se tient à Rouen en mai 1975 et dont les actes seront publiés sous sa direction par l’INED en 1989. Puis, elle s’intéresse aux Lumières hors de France avec une volumineuse étude sur le pasteur, statisticien et démographe d’origine germanique, Johann Peter Süßmilch (1707-1767), qui dure en tout cinq ans6. C’est également de cette période que date sa participation au Conseil d’administration de l’Association Charles Gide pour l’Étude de l’Histoire de la Pensée Économique (ACGEHPE), dont elle a été membre de sa création en 1983 jusqu’en 1997, puis de nouveau sur la période 2002-2007, renforçant ainsi les collaborations scientifiques entre l’INED et les historiens de la pensée économique.

Entre temps, à partir des années soixante-dix, Jacqueline Hecht devient responsable de l’Unité « Doctrines et politiques de population ». Elle continue ses recherches historiques et ses activités d’enseignement à l’Institut de démographie de l’Université de Paris. Elle est également chargée de suivre l’évolution générale des politiques de population à travers le monde, et plus particulièrement en Europe et en France.

En 1997, Jacqueline Hecht fait valoir ses droits à la retraite, mais elle n’en poursuit pas moins ses activités puisque la même année, elle participe à l’organisation du Colloque international « Adolphe Landry : économiste, démographe et législateur », qui se déroule à l’Université de Corte, en septembre 19977. De même, son intérêt pour le siècle des Lumières ne s’émousse pas, car, après Quesnay, après Boisguilbert, elle collabore à l’organisation du Colloque international « Turgot (1727-1781), notre contemporain ? » qui a lieu à l’Université de Caen en mai 20038.

Tout au long de sa carrière, Jacqueline Hecht a eu une activité de recherche soutenue qui, en plus des ouvrages et des colloques en France 22et à l’étranger, s’est en particulier traduite par la publication d’un très grand nombre d’articles, dans des revues françaises et étrangères, portant aussi bien sur l’histoire de la pensée économique que sur des sujets relevant de la démographie. Il est possible de se faire une idée de l’ampleur de cette activité de recherche et de ses publications en consultant la bibliographie que lui a consacrée Christine Théré, en 1998, dans la revue Population9. Comme le rappelait Patrick Festy dans l’introduction de ce même numéro à propos de la démographie, « Jacqueline Hecht, accompagnant, élargissant et poursuivant le travail d’Alfred Sauvy, a considérablement enrichi notre patrimoine d’auteurs anciens10 ». C’est cette même contribution au patrimoine de la pensée économique qui a encouragé le développement des travaux d’histoire de la pensée économique en incitant de jeunes chercheurs à suivre son exemple.

Le comité éditorial