Aller au contenu

Classiques Garnier

« C’était une espèce d’apôtre » Pauline Roland et « la commune associée »

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2022 – 1, n° 13
    . varia
  • Auteurs : Ferraton (Cyrille), Frobert (Ludovic)
  • Résumé : Ancienne saint-simonienne mais critique de l’orientation élitiste prise par l’école avec Prosper Enfantin, Pauline Roland (1805-1852) se rapproche de Pierre Leroux et de sa doctrine de l’Humanité. Elle explore les alternatives possibles au capitalisme inégalitaire et réfléchit aux liens entre socialisme et République. Ce texte détaille les caractéristiques de la République démocratique et sociale qu’entrevoit Pauline Roland au sein des pratiques associatives ouvrières.
  • Pages : 213 à 240
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406132547
  • ISBN : 978-2-406-13254-7
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13254-7.p.0213
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/06/2022
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : association, enquêtes ouvrières, République, socialisme, religion
213

« CÉtait une espÈce dapÔtre1 »

Pauline Roland et « la commune associée »

Cyrille Ferraton

Université Paul Valéry-Montpellier 3

ART-Dev – UMR CNRS 5281

Ludovic Frobert

ENS-Lyon

Triangle – UMR CNRS 5206

Convertie au saint-simonisme au tournant 1830 puis rebutée notamment par le sectarisme et la philosophie capacitaire et hiérarchique de lÉcole dEnfantin, Pauline Roland (1805-1852) suivit par la suite la trajectoire des nombreux penseurs et/ou militants réfléchissant aux liens à explorer puis exploiter entre socialisme et république2. Elle se rapprocha de Pierre Leroux et de son cercle. Leroux dont les principaux pans de la doctrine – perfectibilité, triade des qualités sensation/sentiment/connaissance, Association, Humanité, solidarité – emportèrent sa conviction3. Leroux expliquait quon devait croire activement laffirmation suivant laquelle « nous sommes entre deux mondes ; entre un monde dinégalité qui finit et un monde dégalité 214qui commence4 ». Roland participa aux aventures de lEncyclopédie nouvelle, puis de la Revue indépendante. Là furent répétés les credo de la doctrine de lHumanité et explorées les multiples dimensions politique, économique, religieuse… à la fois dun idéal à viser et des chemins possibles, dès à présent, pour sorienter dans sa direction. Lidéal nétait pas ici fantaisie ou fantasme mais guidait laction. Cétait le sens même de lutopie et le rêve était réhabilité. Comme lécrivait superbement George Sand – autre « disciple fanatique5 » de Leroux – « Descartes disait, “je pense donc je suis”. Les rêveurs de mon espèce pourraient dire aujourdhui, “je rêve donc je vois” » (LÉclaireur de lIndre, 14 sept. 1844).

Que verra Pauline Roland – tout autant que Sand – lorsquelle se retournera sur les cruciales années entourant la révolution de 1848 ? Elle verra ce que les études récentes6 signalent, à savoir quen de bien sombres temps cette révolution trop oubliée aujourdhui exprima et en partie réalisa en quelques mesures lespoir dalternatives possibles à un capitalisme inégalitaire et synonyme de ploutocratie7. Et, selon Roland peu avant le moment où le pouvoir jupitérien du président bientôt empereur Louis-Napoléon Bonaparte la condamna et lexila en Algérie, le vecteur des quelques victoires remportée entre 1848 et 1850 par la république démocratique et sociale face à une adversité massive – des timorés aux réactionnaires en passant par les conservateurs – fut le fait des associations ouvrières. Deux étapes correspondant à deux groupes de textes permettent de jalonner la réflexion (et laction) très informée(s) de Pauline Roland sur les associations. La première couvre les années 1847 et 1848 dont le bilan est tiré par un ensemble étoffé darticles intitulés « Lettres à Pierre Leroux sur lassociation ». Ces Lettres, Roland les signe à partir du 27 novembre 1848 dans le journal de Pierre-Joseph Proudhon, Le Peuple. Cest ici un premier diagnostic qui est tiré et dans lequel elle formule lidéal associatif/communautaire que dessine la 215doctrine de lHumanité et le confronte aux évènements des deux années précédentes : soit les prodromes de la Révolution de février (y compris en province), le printemps prometteur puis le tournant dramatique des journées de juin 1848. Un peu plus dune année plus tard, alors que le contexte est pourtant bien plus sombre encore – élection présidentielle de décembre 1848, Législative de 1849, répression suite aux insurrections de mai-juin 1849 – Pauline Roland se concentre pourtant sur les progrès et promesses du mouvement associatif et engage une véritable enquête ethnographique sur les associations urbaines parisiennes, confrontant là lidéal lerouxien de lassociation à ces expériences pratiques et tentant dans ces allers-retours de faire progresser la réflexion : elle publie donc pour cela, entre janvier 1850 et janvier 1851 un autre groupe darticles qui paraît dans le journal de Théophile Thoré, La République8.

I. Les Lettres À Pierre Leroux

Les six lettres que Pauline Roland adresse à Pierre Leroux paraissent de novembre 1848 à mars 1849 ; elles sinterrompent, inachevées, le journal Le Peuple cessant de paraître au moment de linsurrection de juin 1849. Pauline Roland rédige la plupart de ses Lettres de Boussac et les adresse à Pierre Leroux, alors à Paris.

Leroux est à Paris car, le 4 juin 1848 il a été élu représentant de la Seine à la Constituante. Il a quitté Boussac dont il était maire depuis les journées révolutionnaires de Février. Membre de la minorité Montagnarde, il a prononcé après « laffreux égorgement » des journées des 22-26 juin des discours courageux contre la transportation des condamnés, pour le maintien de la liberté de la presse, pour la défense du droit au travail. En septembre, devant une Assemblée hostile le présentant comme « la négation personnifiée », il a détaillé le projet dune Constitution démocratique et sociale, reflétant sa doctrine de lHumanité, sattirant à la suite quolibets, injonctions et injures. Leroux touche là, justement dans une Assemblée où devrait se trouver le cœur de la République, les 216limites tant de la représentation que de lÉtat (Leroux 1848). Et il peut penser au premier discours quil a fait à lAssemblée, avant les journées de juin, où évoquant lAlgérie, il prônait une colonisation basée sur limplantation de « communes républicaines ».

Pauline Roland, elle, est à Boussac. Depuis 1844 se développe ici, au cœur de la Creuse, une communauté animée par Pierre Leroux et ses frères (dont surtout Jules Leroux)9 et autour duquel gravitent, après conversion, les turbulents socialistes du Limousin et du Centre10. La Communauté de Boussac, cest une imprimerie diffusant la Doctrine et ses textes (livres et revues), et cest aussi une ferme appliquant le principe lerouxien du circulus11 : cest une communauté de travail et une communauté de vie, ce que recouvre de fait ici le terme utilisé par Pauline Roland : lAssociation. Dans la première de ses Lettres à Leroux, Roland souligne que ce nest pas dans les grandes villes, Paris au premier chef, que doit sexpérimenter lassociation et sépanouir le socialisme, mais dans les déserts, tel Boussac. Que ce fut très exactement le projet et le résultat partiel de leur communauté : « Non ! Nous laffirmons, il ne fut pas un vain rêve cet espoir que nous conçûmes de donner au monde lexemplaire de la véritable commune, de fonder la Cité de Dieu » (Le Peuple, 27 novembre 1848). Ce nest pas dans lincroyance et la « désassociation humaine » caractérisant les grandes villes converties à la naturalité libérale de la compétition entre individus que peut naître lespoir de (la foi en) lassociation, mais dans les campagnes et provinces. Triple critique en sourdine et bienveillante quelle adresse à son « maître et ami », Pauline Roland insiste sur le fait que cest là, à Boussac et non à Paris, ici, au bon niveau de la commune et non à 217celui de lEtat, et, maintenant, activement et concrètement (et non dans les discussions vouées à léchec de lAssemblée ou même dans des réflexions trop doctrinales), quil faut progresser. Il faut, explique-t-elle à Leroux, « entrer dans la pratique, réaliser lassociation » et, par elle, « la formule révolutionnaire et divine, Liberté-Fraternité-Egalité » (id.). Quil convient sans doute dapprofondir la Doctrine, y compris dans sa dimension métaphysique, mais surtout fournir un guide à laction permettant de modifier de façon militante les individus et leurs milieux, famille et société. Et ce guide doit détailler successivement le credo (soit au sens religieux, un abrégé du dogme12), les règles et les statuts devant caractériser toute association.

Le credo de lassociation procède de la constatation quau temps dune république proclamant liberté-fraternité-égalité toute religion, toute foi ne peuvent plus procéder de la soumission mais au contraire doivent résulter du libre-examen et de la libre discussion. Le credo de lassociation comprend alors des vérités métaphysiques, morales et matérielles. Mais, à la différence du Christianisme, on conçoit que le ciel de légalité, fraternité et liberté est à conquérir dès à présent, sur terre13. Religion et foi se résument chez Roland traduisant Leroux au rappel du caractère recteur (et non dominant) du sentiment (expression de la fraternité) qui conduit à lélection de la solidarité (conciliant liberté et égalité) comme principe appelant les connaissances et qui régit les actions, tant entre les hommes (et les femmes) quentre ceux-ci et leur environnement naturel14. Ainsi, sur le chapitre des « vérités morales » 218et « vérités matérielles » rappelant la triade lerouxienne de légale présence des qualités humaines, sensation/sentiment/connaissance si contraire à lidée ambiante de capacité, Roland explique que linégalité ne peut y chercher le moindre fondement et que cela sape le principe de la propriété individuelle et son expression dans le salariat, fondement de « lexploitation de lhomme par lhomme » ; que la propriété doit être commune, lactivité tournée vers les besoins, des besoins qui pour éviter la destruction de la nature doivent se définir par la suffisance et non labondance, quen matière de justice, doit prévaloir dans lassociation la règle, « à chacun selon ses forces… À chacun selon ses besoins ». Expression des thèses de Pierre Leroux, mais, et il faut y insister, thèses elles-mêmes sinspirant largement des idées économiques de Jules Leroux15.

Le credo permet alors de détailler les règles, règles débattues et non imposées. Lavenir, en marche, doit frayer un chemin entre despotisme et anarchie. Les règles des communautés à venir ne peuvent que très partiellement sinspirer des formules incomplètes des communautés passées. La règle de Saint-Benoit, par exemple, ne valide que la fraternité (sentiment) et méconnaît égalité (connaissance) et liberté (sensation) entre membres. Au présent, la communauté pensée par les fouriéristes ne met en avant que la sensation (les passions au sein du phalanstère) et oublie le sentiment, plus encore que la connaissance. Or, la nouvelle « vie communautaire, ou plutôt communioniste » (Le Peuple, 18 décembre 1848) signale Pauline Roland doit assurer à toutes et tous fraternité, mais aussi liberté et égalité. Il faut alors une utilisation pragmatique de la triade lerouxienne, et assurer que, dans la communauté nouvelle, au triple niveau de lindividu, de la famille et de la société, et cela tant sur le plan matériel, que moral ou encore intellectuel, des devoirs et des droits soient formulés. Dans le détail, impossible à détailler ici, Pauline Roland souligne, en matière de devoirs, lengagement fort nécessaire, et 219limplication des membres (quelle va qualifier « dathlètes ») dans la vie communautaire ; et en matière de droits elle prévoit ce que permettra le développement dun milieu nourricier, protecteur et cultivant le bonheur de toutes et tous, un milieu que caractérise, non labondance, mais une raisonnable suffisance népuisant ni les hommes, ni leurs milieux naturels.

Découlant du credo puis des règles, les statuts de lAssociation dessinent nettement le plan et larchitecture. La vie sociale est un composé de fonctions couvrant les domaines de lindustrie, de lart et de la science. Il ny a, à aucun niveau, hiérarchie de fonctions et ainsi toutes et tous les associé(es) sont fonctionnaires et égaux « Tout être humain a droit au travail qui assure sa subsistance ; tout être humain doit son travail à la société. Dans lassociation, chacun se charge du travail qui lui est confié à titre de fonctionnaire. La société lui remet les instruments de son travail. Tout membre de lassociation est fonctionnaire » (Le Peuple, 25 février 1849). Ce qui gouverne cet ensemble de fonctions, cest alors un réseau imbriqué dassemblées et conseils relevant des domaines complémentaires de « lexécutif ou administratif », du « judiciaire éducateur » et du « législatif ». À chacun de ces niveaux, Pauline Roland tente de maintenir la règle de trois (triade)16 faisant que gouvernent alors en dialogue et à égalité des personnalités (homme ou femme) complémentaires, lune à dominante de sentiment, la seconde à dominante de sensation et la troisième à dominante de connaissance. Lautre point essentiel de son argumentation est que toutes ces instances de gouvernement sont désignées à la suite de discussions, délibérations et élections démocratiques : comme elle le résume en quelques mots, « toute fonction se confère à lélection » (Le Peuple, 5 mars 1849) et simbrique ainsi, dans lassociation, le politique et léconomique.

Comme la opportunément souligné Loïc Rignol (2005, 2014), concevoir la société comme un ensemble de fonctions – et le couple fonction/fonctionnaire commande ici toutes les idées économiques et les développements sur travail, propriété, production, consommation, 220répartition etc. – est commun aux premières écoles socialistes. Toutefois une distinction doit être opérée, surtout au tournant 1840 entre les partisans de lassociation et ceux de la communauté. La tradition de lassociation, que Rignol rattache aux écoles saint-simoniennes (et fouriéristes à moindre titre), déploie sur cette base une vision fondamentalement hiérarchique : les fonctions, différentielles relevant de capacités repérables et classables de façon ordinale, constituant la base dinégalités indiscutables, ce que traduit la formule canonique saint-simonienne, « à chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres ». En revanche, procédant dun héritage des Lumières radicales et révolutionnaires attentive à lessor des catégories de fonctionnaires et de fonctions publiques, les partisans de la communauté vont mobiliser une analyse en termes de fonctions mettant par contraste en avant un égalitarisme radical. Les fonctions sont considérées comme diverses mais complémentaires et non hiérarchisables en raison notamment de la diversité des qualités humaines, la satisfaction des besoins de chacun, y compris le besoin primordial de se développer, jugée essentielle, et la communauté devient ainsi le lieu propice à lapprentissage tant de légalité, que de la liberté et de la fraternité. Esquissant un plan de la communauté, plus donc que de lassociation, les Lettres que Pauline Roland adresse à Pierre Leroux font écho à cette seconde tradition et tente même den prolonger lesprit : cest le sens de lusage du terme communionisme17. À ce titre, Roland traduisant et faisant évoluer (vivre) la doctrine lerouxienne se situe dans la proximité de titres communistes néo-babouvistes tel le Code de la communauté (1843) de Théodore Dézamy ou plus encore De la loi sociale (1842) que Richard Lahautière avait dédié dailleurs à Leroux (Maillard, 1999). Mais ce moment communiste de 1840 fut aussi celui de lexpression ouvrière, des pamphlets et journaux rédigés principalement par des ouvriers/artisans communistes fleurissant alors partout (Fourn, 2003). Et, un peu plus tard, le moment où Roland rédige ses Lettres, est également celui où réfléchissant essentiellement à partir de lexpérience de Boussac et de la doctrine exprimée abstraitement par Leroux, elle prend connaissance des réalisations ouvrières du printemps 2211848. Et notamment de lexpérience des ateliers sociaux (des coopératives de production), impulsés à la Commission du Luxembourg par Louis Blanc, Constantin Pecqueur et François Vidal18. Dès lors, il savérait nécessaire de confronter la « pure utopie » (Le Peuple, 11 décembre) sur lassociation quelle confesse avoir tâtonnée dans ses Lettres à la réalité des luttes et avancées sociales postérieures à février 1848.

II. Ce quenquÊter veut dire (et donc faire)

Depuis au moins les années 1830, les enquêtes ouvrières prolifèrent. Des économistes, des philanthropes ou encore des réformateurs en réalisent. Les ouvriers, eux-mêmes, souvent qualifiés, par lintermédiaire de leurs journaux, programment de mener de vastes enquêtes sans quils naient toujours les moyens de les achever, à linstar du journal LArtisan, journal de la classe ouvrière à lautomne 1830 ou encore plus tardivement de LAtelier à partir de lautomne 1840. Contester lautorité des chiffres ou les propos développés par les économistes, les philanthropes ou des acteurs proches du pouvoir constitue lenjeu majeur de ces enquêtes ouvrières réalisées par les ouvriers19. Mais ces enquêtes sociales sinscrivent dans une « “mise en texte” du social » beaucoup plus large à laquelle contribue prioritairement la littérature (romans, romans-feuilletons, etc.) ; mise en texte du social rendue nécessaire face à une société devenue illisible, après les changements majeurs intervenus depuis la fin du xviiie siècle (Lyon-Caen, 2004, p. 304-305)20. Cette ample littérature dinvestigation décrit, catégorise, voire cherche à donner 222des clés de compréhension des transformations en cours et des solutions possibles aux problèmes sociaux. Si ces textes offrent une très grande hétérogénéité, ils partagent des procédés identiques de description et de déchiffrage des réalités sociales étudiées (Lyon-Caen, Ibid.)

Lenquête menée par Pauline Roland lui révèle létendue du travail qui reste à accomplir pour atteindre lidéal visé. Elle étudie les associations des travailleurs du cuir, de cuisiniers, de cordonniers, de chapeliers et dinstituteurs qui dans lensemble, à lexception de ces dernières, si lon suit Gustave Lefrançais, ami proche de Roland, sont généralement communistes (Lefrançais, 1902). Il sensuit la publication de six textes publiés dans La République entre janvier 1850 et janvier 1851. Cette enquête sera interrompue par son incarcération au début de lannée 1851 pour avoir participé avec Jeanne Deroin en particulier, à la création de lUniondes associations fraternelles ouvrières (voir plus bas). Elle perçoit très bien la complexité des modes de fonctionnement des métiers investis. Chaque secteur dactivité de par son histoire, les qualifications requises, et la faible ou forte activité qui sy déploie est un cas particulier, ce dont rend finement compte Pauline Roland. Elle a parfaitement conscience des différentes contraintes auxquelles sont confrontées les associations ouvrières selon leur secteur dactivité. Par exemple, lexercice du métier de cordonnier requiert des qualifications limitées et un apprentissage moins long que pour dautres métiers conduisant lindustrie cordonnière à avoir un nombre douvriers trop élevé par rapport à la demande. Elle souligne ainsi « le paysan qui, lassé du labeur des champs, ou désireux de participer à la vie des villes, sans ressources, vers quelque grand centre de population ; le soldat qui sort du régiment après ce terrible service de sept années qui, le prenant adolescent le rend homme à la société, sans lui avoir enseigné rien dautre chose que la charge en douze temps, pouvant après le moindre apprentissage obtenir quelque gain, se précipitent dans une industrie dans les abords sont si faciles » (La République, 30 juin 1850). Il en résulte des conditions de travail précaires avec des journées de travail très longues, des salaires faibles et des périodes de chômage fréquentes. Concernant les chapeliers, la situation est également difficile mais pour une toute autre raison. Dans une industrie parmi les plus importantes de Paris (entre 1200 et 1500 membres pour la Seine suivant le décompte réalisé par Roland), en dehors des patrons, Pauline 223Roland distingue deux classes : les « prolétaires » et les « privilégiés ». La politique patronale peut être très différente dun atelier à lautre. Le critère discriminant est bien souvent la taille de latelier ; plus il est petit et plus les conditions de travail sont pénibles. Les inégalités de salaire sont également très fortes (dans un rapport de 1 à 6 selon Roland). De leur côté, les instituteurs et surtout les institutrices (car de nombreuses femmes travaillent dans ce secteur dactivité sans bénéficier dun traitement équivalent à leurs collègues masculins, (Viennot, 2020, p. 63)) sont confrontés à dautres problématiques victimes régulières de la puissance publique : il sagit de lune « des corporations les plus injustement soumises aux oppressions et aux malheurs de notre ordre social, une de celles aussi qui, par ses sentiments démocratiques, a le plus particulièrement attiré sur elles les foudres du gouvernement » (La République, 21 octobre 1850). Les autres corps de métiers étudiés, les cuisiniers et les travailleurs du cuir, semblent moins concernés par les problèmes mentionnés précédemment. Lobjectif premier de cette enquête est documentaire en recueillant des informations à partir dobservations directes. Mais Pauline Roland noublie pas que la configuration présente des métiers et des associations ouvrières est le produit de lhistoire ce dont elle rend parfaitement compte. Il ne sagit pas den rester au seul diagnostic, à linventaire des types associatifs ou encore au déchiffrement des mécanismes économiques et sociaux en jeu. Il est également question dindiquer la voie à suivre pour tendre vers le socialisme véritable.

Lenquête menée par Pauline Roland lui permet dobserver concrètement les différents obstacles auxquels est confronté le projet socialiste. Trois thèmes font lobjet dun traitement relativement détaillé dans les textes publiés : la place du travail et du capital, la « gouvernance » ou la question de la gérance, et la situation des femmes dans les associations ouvrières.

II.1. La place du travail et du capital

Pauline Roland fait sienne très tôt la formule « à chacun selon ses forces » en matière de règle du travail matériel, moral ou intellectuel, et « à chacun selon ses besoins » pour principe de rétribution, formule seule à même de respecter la devise républicaine (Le Peuple, 27 novembre 1848). Elle trouve dans les métiers parisiens des exemples qui sen 224rapprochent21, mais également qui sen éloignent comme le montre le secteur de la chapellerie (La République, 6 janvier 1851). Les associations ouvrières étudiées montrent dans leur ensemble une volonté de limiter les écarts de salaire et daméliorer les salaires versés. Celle-ci dépend de deux facteurs principalement : des règles et des pratiques développées en interne à lassociation, et, du statut réservé au capital dans lassociation. Ainsi, lorsque le travail aux pièces est généralisé sans concertation collective sur les tarifs, consacrant la victoire des plus forts, les travailleurs aux capacités inégales peuvent choisir de se regrouper afin de percevoir une rémunération collective quils se partagent égalitairement (La République, 7 janvier 1850). Pauline Roland est favorable à la suppression de la propriété privée du capital, et donc à toute forme de rétribution liée à la détention du capital. Dès lors, se pose la question du statut des bénéfices. Certaines associations ouvrières parisiennes ont choisi une répartition, non pas proportionnelle aux salaires, mais égalitaire entre les associés. Des associations, parfois les mêmes, réservent une partie de leurs produits à la constitution et à la progression du capital social. Ainsi, lassociation des manufacturiers de cuirs et peaux, corroyeurs, selliers et bourreliers regroupant 150 sociétaires de Batignolles-Monceaux, créée au début de lannée 1849 a opté pour un plafonnement des salaires afin dalimenter le capital social de lassociation nécessaire pour lacquisition du cuir au coût onéreux22. Pour la corroyerie, « les travailleurs des diverses sections ont réuni leurs forces, et, lorsquà la fin de la semaine on règle le prix de louvrage fourni par chaque section, latelier perçoit collectivement la somme gagnée, qui se répartit égalitairement entre tous les sectionnaires » (La République, 3 février 1850). La rémunération du travail est donc plafonnée, mais égale pour chaque associé en fonction du travail collectivement fourni.

Mais Pauline Roland peut laisser apparaître une conception beaucoup plus radicale quant au statut des bénéfices. Il faut tout simplement œuvrer à leur disparition. Elle fait ici principalement référence aux associations de cuisiniers qui dégagent des bénéfices florissants. Pourquoi cette 225préconisation ? Car, souligne-t-elle, ils résultent dans ce secteur dactivité, dun travail excessif des associés. Il faut, au contraire, privilégier une réduction du temps de travail afin daméliorer le « bien-être » des associés et également leur permettre de consacrer leur temps à léducation et à leur vie familiale : « Léconomie politique socialiste ne saurait admettre de bénéfice net, puisque ce bénéfice ne peut être obtenu quaux dépens du producteur, ou bien à ceux du consommateur » (La République, 31 mars 1850)23. Lassociation ne peut donc se réduire à sa dimension matérielle. Il est nécessaire quelle travaille à la transformation morale des ouvriers qui fait, selon Pauline Roland, encore largement défaut et qui explique les échecs répétés des différentes pratiques ouvrières démancipation depuis 1830 : « que chaque Association soccupe de la conversion des âmes au moins autant que du bien-être matériel : car, pas dassociation véritable sil ny a point dassociation de toute la vie, sil ny a quassociation des bras, association dans le labeur de la production » (La République, 6 janvier 1851).

Lexpérimentation associative peut tourner court comme en témoigne léchec dun collectif de cordonniers parisiens qui a tenté de mettre en place légalité des salaires, de créer une association de consommation et de développer des cours pour ses associés, de constituer en somme « une sorte de communauté » (La République, 30 juin 1850). Dautres exemples dassociations des chapeliers étudiées montrent la voie quelle préconise. Par exemple, lassociation Au travailleur créée en mai 1849, qui recherche « laffranchissement des travailleurs, par labolition du salariat » énonce en effet dans son acte fondateur que « tout produit vient du travail, et que tout capital est improductif ». Les associés peuvent décider de ne pas verser dapport en capital et préférer un versement 226en « obligation de travail » financée par des prélèvements sur le prix de leur travail. Ils peuvent aussi décider, en cas de départ, de ne pas récupérer leur apport et le céder à un nouvel entrant (La République, 6 janvier 1851). Elle rappelle, dans la continuité de la conception buchézienne de lassociation, limportance de lindivisibilité du capital social car, en son absence, « lassociation serait impossible, puisquil suffirait du caprice de quelques sociétaires pour jeter la perturbation dans toutes les transactions sociales » (La République, 6 janvier 1851).

II.2. La question de la « gouvernance »

Pauline Roland manifeste, comme on la vu, une hostilité constante à lencontre de lexercice isolé du pouvoir que ce soit au niveau des associations, mais également au niveau de lÉtat. Il ny a association que sil y a égalité absolue entre les membres associés et quaucune hiérarchie ou décision ne soit imposée.

Elle est favorable à une gestion collective, par la base, du pouvoir. Le pouvoir de la « gérance » doit être fortement limité comme le montre, par exemple, lassociation des manufacturiers de Batignolles-Monceaux mentionnée précédemment, où toutes les fonctions administratives sont déférées à lélection et les administrateurs constamment révocables et rééligibles. Les associés exercent une surveillance continue sur les décisions prises par les administrateurs. Ainsi, quotidiennement, des informations leur sont données sur les opérations réalisées le jour précédent (transactions, achats, ventes, etc.) (La République, 3 février 1850).

Les associations ont fréquemment recours aux conseils de surveillance dont les membres sont élus en Assemblée générale à la majorité des suffrages. Dans lassociation de chapeliers Au travailleur, deux gérants ont été nommés, mais ils doivent rendre compte à lAssemblée générale tous les trimestres de leurs actions. Ce contrôle est complété par le conseil de surveillance ajouté au fait que les gérants sont révocables à tout moment.

Dautres comme lassociation dinstituteurs étudiée (qui est en fait lassociation que Pauline Roland a contribué à créer et qui porte le nom dAssociationfraternelle des instituteurs, institutrices et professeurs socialistes – voir plus loin), créée en 1849, a choisi de ne pas avoir de gérance ou dadministrateurs. Il existe bien un conseil général, mais ses membres sont nommés pour une année et sont toujours révocables. Elle souligne 227ainsi « la souveraineté nest jamais aliénée, mais encore elle ne peut même être considérée comme déléguée. Les neuf membres du conseil sont les commis de lAssociation dont ils font partie » (La République, 21 octobre 1850).

Pauline Roland trouve donc dans cette enquête des exemples qui se rapprochent de son idéal où le « peuple des associations est véritablement souverain » (La République, 30 juin 1850) et permet dassurer une gestion distribuée et collective du pouvoir. Mais celle-ci ne peut réellement fonctionner et permettre le changement social quune fois transformées les motivations ouvrières vers un sens plus aigu du collectif et de la solidarité. Elle ne fait ici que réaffirmer son credo religieux lié à son engagement saint-simonien du début des années 1830 et son adhésion à la doctrine de lhumanité de Pierre Leroux. La religion socialiste nest pas dogmatique ni ne peut être déclarée « dorigine divine et produit(e) en dehors de lHumanité ». Elle repose sur la liberté, légalité et la fraternité et sur une « foi profonde en lHumanité » : « la société de lavenir sera, dans son unité, à la fois pape et empereur ; [] lhomme de lavenir, est pour ainsi dire à lui-même son pape et son empereur » (Le Peuple, 27 novembre 1848). Lassociation ne présuppose pas légalité absolue, mais également une solidarité complète, proche du dévouement, entre les membres associés, qui vienne se substituer à lindividualisme ou légoïsme contemporain (La République, 3 février 1850).

II.3. La situation des femmes

Connue pour son engagement « féministe24 », mère sans être mariée et militant pour une égalité conjugale, un « mariage nouveau [] où, par son travail comme par son caractère, la femme se sent indépendante » (La liberté de penser. Revue démocratique, 1851), Pauline Roland se montre très critique vis-à-vis des associations ouvrières parisiennes réservant des fonctions subalternes aux femmes et reproduisant le conservatisme ambiant (Riot-Sarcey, 1994). Ainsi, les statuts de lassociation de cordonniers de la rue Saint-Honoré sont opposés au vrai socialisme. Ils prévoient bien que tous les associés aient voix délibérative à lAssemblée 228générale mais en exclut les femmes sociétaires. Mais ce cas nest pas exceptionnel, on le retrouve chez les chapeliers. Le même « sophisme » est régulièrement avancé : pourquoi sen plaindre alors que la situation des femmes associées sest améliorée ? (La République, 6 janvier 1851). Les raisons réelles de cette exclusion reposent, selon les associés hommes, sur lincapacité des femmes à exercer de telles fonctions. Cette incapacité relève du manque déducation, de raison ou bien de leur « caractère léger, capricieux, fantasque » qui déboucherait inévitablement sur la dissolution des associations. La réponse de Pauline Roland est cinglante :

Affranchis dhier, ayant conquis hier la liberté et légalité politiques, les travailleurs des Associations qui doivent se tenir à la tête du mouvement émancipateur, continueront-ils donc à considérer la femme comme un être intime, vouée par sa nature même à une minorité perpétuelle ? Quant à nous, nous le leur disons dune voix quils savent amie, ils ne sont pas dignes de ce quils ont conquis, si au fond de leurs Associations, là où, libres de leur action, ils peuvent et doivent établir légalité de rapports la plus complète, ils ne savent traiter la femme quen mineure (La République, 6 janvier 1851).

III. RÉpublique et association

Pauline Roland nest pas quune observatrice minutieuse. Elle expérimente à nouveau après Boussac les principes socialistes avec les créations de lAssociationfraternelle des instituteurs, institutrices et professeurs socialistes et lUniondes associations fraternelles ouvrières qui ne peuvent être menés jusquà leur terme du fait de la répression continue dont les projets socialistes font alors lobjet par le pouvoir bonapartiste

Guidée et assurée par la Doctrine de lHumanité, Pauline Roland juge prometteuses, bien quinachevées et partielles les expériences dassociation se rapprochant de lidéal communioniste, tant à Boussac que même dans les réalisations en termes dateliers sociaux du printemps 48. Ces précédents invitent à laction renouvelée et non à la résignation. Elle sinvestit alors dès les premières semaines de lannée 1849 dans de nouveaux projets. Elle participe dabord à la création avec Perot et Gustave Lefrançaisde lAssociationfraternelle des instituteurs, institutrices et professeurs socialistes puis à celle de lUnion des associations 229de travailleurs (ou Union des associations fraternelles), vaste projet de fédération dassociations à linitiative de Jeanne Deroin. Il sagit de poser les bases de la « république de lavenir » mais en tenant compte des raisons pour lesquelles le socialisme a échoué jusque-là (La liberté de penser. Revue démocratique, 1851). Cette république sera associative, mais elle nécessite au préalable laffermissement des croyances collectives capables de surmonter lindividualisme de la société contemporaine. La « religion nouvelle » doit sinspirer du message originel du christianisme qui « base sa sublime doctrine sur la Fraternité, doù devrait naturellement découler lÉgalité et la plus pure Démocratie ». Mais ce message a été perverti par les institutions religieuses qui sont devenues « aristocratiques ou monarchiques ». Cette religion ne peut pas reposer sur des vérités transcendantes, mais sur la société, une « foi profonde en lHumanité » (Roland, Le Peuple, 11 décembre 1848). Et cest aussi au socialisme dincarner ces nouvelles croyances car « le Socialisme est une religion ; ou pour mieux dire, le Socialisme est le développement nouveau de la Religion » (Revue sociale ou Solution pacifique du problème du prolétariat, 1850, p. 84). Comme le souligne Gustave Lefrançais, pour Pauline Roland, « la foi en Dieu peut seule réaliser dans lhumanité lidéal de justice et damour poursuivi par les socialistes. Mais cest du peuple seul, de la foule des opprimés, des travailleurs, que surgira la véritable conception de lordre social nouveau » (Lefrançais, 1902, p. 96)

III.1. LAssociationfraternelle

Lenseignement, après léchec en juillet 1848 du projet décole du peuple porté par Hippolyte Carnot qui introduisait la gratuité et lobligation scolaire dans le primaire pour les filles et les garçons, fait face à une réaction conservatrice très vive. Les enseignants sont alors placés sous le contrôle des préfets, et peuvent être suspendus sils sont accusés de diffuser des idées politiques républicaines (Condette, 2017). Lenseignement privé en profite avec un enseignement religieux qui progresse significativement. Cest notamment pour contrer ce dernier que Pauline Roland élabore le projet dAssociationfraternelle des instituteurs, institutrices et professeurs socialistes. Face au scepticisme suscité par ce projet dassociation denseignement socialiste, elle joue un rôle décisif. 230Devant un parterre de sympathisants socialistes encore peu convaincus, elle déclare :

Si nous ne pouvons [] moins encore que les ouvriers, mettre fin à nos souffrances par lassociation, pourquoi, puisque nous nous sommes rencontrés grâce à linitiative du citoyen Perot, nen profiterions nous pas pour examiner ensemble si notre enseignement est bien conforme à ce quil devrait être, étant données les aspirations actuelles vers un état social plus équitable, plus soucieux de la liberté de ses membres, plus respectueux de leur dignité, plus vraiment égalitaire enfin ? Ne serait-ce pas peut-être le vrai moyen pratique de reconquérir pour nous-mêmes la dignité, lindépendance et aussi le bien-être auxquels nous avons droit comme tous, et qui, sans cette rénovation sociale, menacent de nous être enlevés sans remède, vous venez de le constater vous-mêmes ? (Lefrançais, 1902, p. 80-82)

La République démocratique et sociale, et surtout la « conversion des âmes », que présuppose le socialisme ne pourront se réaliser si ses principaux promoteurs (journalistes, écrivains, enseignants, médecins, etc.) bien souvent éloignés du nouveau monde industriel, ne sappliquent pas à eux-mêmes les remèdes quils préconisent dadministrer aux catégories ouvrières. La personnalité de Pauline Roland a également très probablement fini de convaincre les derniers réfractaires : comme le souligne Gustave Lefrançais, ouvertement hostile à toute doctrine religieuse, « cette citoyenne ma inspiré une profonde estime à cause de sa droiture et de la sincérité de son dévouement à la cause socialiste » (Lefrançais, Ibid.)

Lassociation réunit des acteurs aux orientations doctrinales variées de Jules Viard, proche de Pierre-Joseph Proudhon, à Jules Leroux, en passant par Constantin Pecqueur ou encore le docteur Guépin. Toutefois, ils saccordent sur linjustice de la société actuelle et sur la nécessité dune transformation économique et sociale vers une plus grande socialisation des moyens de production. Un programme déducation est publié en 1849 (Lefrançais, Perot & Roland, 1849), très probablement rédigé par Pauline Roland, mais signé également par Gustave Lefrançais et Pérot. Il est précédé par un ensemble de principes et dobjectifs. Outre son insistance sur la nature religieuse du socialisme, ce qui était loin de faire lunanimité chez les membres fondateurs de lassociation, on retrouve la référence marquée à la devise républicaine, à légalité complète : « Nous croyons quil ne doit plus y avoir ni riches, ni pauvres, ni privilégiés, 231ni déshérités, ni supérieurs, ni inférieurs, ni enfin dautre hiérarchie que celle qui est nécessaire pour le jeu des diverses fonctions que nous reconnaissons comme étant toutes égales entre elles ». Lenseignement tel quil est pratiqué dans la société contemporaine perpétue la distinction entre prolétariat et bourgeoisie : « [A]ux enfants du pauvre, linstruction primaire, à ceux de la bourgeoisie, linstruction secondaire ». Plus aucun traitement différencié entre catégories sociales ne peut être accepté ; avec léducation socialiste, chacun se trouve sur un même pied dégalité. Léducation doit être ouverte à tous. De même, ne peut-on plus faire de différences entre les « professions libérales, dun côté, et des professions serviles, de lautre ». Lécole a pour tâche de former le futur citoyen et doit « développer dans chacun une certaine universalité ». Il suit un programme détaillé déducation distinguant quatre périodes de formation entre la naissance et 18 ans où doivent être développées les facultés physiques, intellectuelles et morales de lenfant.

La tentative dapplication de « gouvernement direct » au sein de lAssociationfraternelle dont la taille est relativement réduite (lassociation compte huit membres fondateurs, même si elle accueillera de nouveaux sociétaires par la suite) est évaluée assez négativement par Pauline Roland. Emprisonnée, elle confie à Gustave Lefrançais que lactivité quasi stoppée de cette association est en grande partie imputable à ce choix du « gouvernement direct » et dabsence de gérance. Cette alternative ne peut fonctionner quune fois la « conversion des âmes » réalisée. Elle souligne :

Je persiste dans ce que vous appelez mon esprit évangélique. Je ne veux pas de vengeances ; et si nous ne sommes pas plus justes et meilleurs que nos ennemis, je ne demande pas le triomphe pour nous. Je crois que nous avons péri par nos fautes plus que par lhabileté de lennemi. Comme idée, je crois que celles de dictature du gouvernement direct, de Jacquerie nous ont été tout à fait fatales ; parce quelles étaient contraires à la raison et à la justice. Nous avons péri parce que nous ne sommes pas républicains, et Bonaparte a trouvé son appui dans notre manque de vertu (Correspondance – lettre du 16 janvier 1852).

III.2. LUniondes associations

LAssociationfraternelle est une tentative dapplication partielle des principes socialistes, tel nest pas le cas de lUniondes associations marquée 232par sa grande ambition. Ce projet part du constat de la faible efficacité et de limpact limité des associations ouvrières. Leur union, idée déjà développée dès 1833 par louvrier coordonnier Éphraem, et dix ans plus tard par Flora Tristan (LUnion ouvrière), doit permettre daccroitre leur influence. Un programme détaillé est publié par Jeanne Deroin dans LOpinion des femmes en août 1849. Il sinspire dans une grande mesure des projets associatifs antérieurs de lorganisation du travail de Louis Blanc, aux propositions de Pierre-Joseph Proudhon, dEtienne Cabet ou encore de lécole fouriériste, à la différence près quil sadresse également aux femmes. Le changement social ne peut être imposé, mais doit provenir de la population ouvrière elle-même. Mais une condition préalable doit être remplie : le dépassement de lindividualisme par le développement de motivations plus solidaires. On retrouve sur ce point un des leitmotivs de Pauline Roland partagé par Jeanne Deroin :

Lassé de souffrir et dêtre victime des révolutions et des réactions, et le jouet de lambition de ceux qui aspirent au pouvoir, il est temps que le peuple songe à faire ses affaires lui-même, afin de réaliser la République, le gouvernement de tous par tous et pour tous ; il est temps que les travailleurs sunissent pour vaincre lennemi commun. Or, lennemi, ce nest pas seulement la réaction ni les réactionnaires, il est aussi parmi nous et en nous, cest légoïsme, et le capital est son plus puissant auxiliaire ; nous sommes encore sous le joug de lignorance et des préjugés du passé (Deroin, « projet dassociation » dans Lopinion des femmes, août 1849, cité dans Riot-Sarcey, 1994, p. 256).

Plusieurs droits sont affirmés :

Droit à la consommation selon les besoins de chacun

Droit au travail par la répartition des moyens de production nécessaires à la production

Droit de souveraineté « au moyen du concours égal de tous, sans distinction de sexe, à lélection des travailleurs fonctionnaires, à lélaboration des règlements et au vote de répartition des instruments et produits du travail »

Droit à léducation égale et obligatoire pour tous et à lenseignement professionnel.

Outre la remise en cause de la propriété privée, deux objectifs sont explicitement distingués : une répartition équitable des produits du 233travail sans que cela ne se traduise pas une égalité absolue des salaires, et, léquilibre entre la production et la consommation (Ranvier, 1908). Le projet prévoit le développement des transactions entre les associations adhérentes par lintermédiaire de bons déchange, mais également avec des acteurs extérieurs (des agriculteurs en particulier) afin dapprovisionner lUnion en matières premières. Un vaste ensemble de mesures est également programmé portant sur le contrôle de la qualité des biens de consommation, sur la limitation de la journée de travail (qui ne doit pas excéder 10 heures), sur la pénibilité du travail (la durée du travail sera dautant plus faible que le métier exercé est pénible), sur la mise en place de crèches et de bains publics, sur la disponibilité de logements pour les travailleurs des associations, sur lassistance aux vieillards, malades, ou encore sur lenseignement. Le projet ne se limite donc pas à la production et à la consommation, mais touche à la quasi-intégralité de la vie des ouvriers-associés. Lorganisation est confiée à une commission centrale qui reste dépendante de lAssemblée générale dont il est prévu quelle se réunisse tous les trois mois. Cette commission centrale comprend les délégués membres des associations membres de lUnion. Par ailleurs, le projet prévoit un ancrage territorial, au niveau du quartier, des activités de lassociation, parce que les associés entretiennent des relations dinterconnaissance et que la conciliation vie professionnelle et vie privée est plus aisée à ce niveau (Riot-Sarcey, Ibid., p. 257).

Lorsque le projet se concrétise avec quelques modifications par rapport au projet initial rédigé par Jeanne Deroin en octobre 1849, Pauline Roland est déléguée de lAssociation des instituteurs, institutrices et des professeurs socialistes. 104 associations participent à la fondation de lUnion, mais son existence sera brève. En effet, très rapidement, lUnion fait lobjet dun contrôle serré des autorités publiques. Des démarches judiciaires sont entamées en mars 1850 au motif que lUnion poursuit un but politique et non uniquement commercial. Ses membres fondateurs sont jugés en novembre 1850. Les peines sont lourdes et se traduisent par lemprisonnement de 25 prévenus, dont Pauline Roland et Jeanne Deroin, sur 29 (voir les débats relatés dans la Gazette des Tribunaux, des 13, 14 et 15 novembre 1850).

234

Conclusion

Même après la répression de linsurrection ouvrière à Paris en juin 1848 et les déconvenues qui suivirent, Pauline Roland croit encore et toujours dans la révolution et la « République démocratique et sociale ». Mais sil convient de la poursuivre, il faut également lorganiser. La structuration des associations ouvrières est un préalable indispensable, car cest grâce à elle que « saccomplira lentière destruction de la féodalité industrielle ; labolition des droits seigneuriaux de loisiveté capitaliste, cest-à-dire de lusure et de lexploitation de lhomme par lhomme (que) se fera lœuvre démancipation du prolétariat » (La République, 7 janvier 1850). Cette République doit reposer sur lassociation et plus précisément sur la « commune associée » que Pauline Roland décrit dans la lettre du 10 mai 1850 adressée à Ange Guépin reproduite dans Philosophie du socialisme ou étude sur les transformations dans le monde et lhumanité (1850)25.

Quatre grands principes sont rappelés par Pauline Roland :

La liberté pour tous les associés, en y incluant les femmes à la différence de nombreux réformateurs de lépoque, implique « des limites pour chacun [] des droits et des devoirs des sociétaires ».

Légalité suppose la suppression de toute forme de pouvoir lié à la détention du capital. La propriété capitaliste doit disparaître ; la seule propriété individuelle légitime relève des besoins individuels. Les positions hiérarchiques dans les associations doivent être limitées au maximum afin quelles ne puissent « dégénérer en patronat ». Roland naura de cesse de souligner les problèmes posés par la « gérance » dans les associations ouvrières qui fréquemment 235conduit à une monopolisation du pouvoir. Le collectif associatif par lintermédiaire de lassemblée générale doit rester souverain.

La fraternité est identifiée à « lamour, le dévouement de chacun à tous et de tous à chacun, labsence de légoïsme ».

Enfin, chaque associé doit tendre vers la même « unité daspirations morales » et rechercher la même « science unitaire », identifiée à la religion, qui recouvre à la fois lindustrie, lart et la science (Roland cité dans Guépin, p. 694-695).

Si les croyances autour dune même religion immanente et populaire, car cest « la démocratie qui doit décréter la religion » (Roland, Le Peuple, 11 décembre 1848), font encore défaut empêchant la réalisation de la République démocratique et sociale, Pauline Roland noublie pas les problèmes matériels et financiers auxquels doivent faire face les associations ouvrières : le manque de capital est mentionné à légale de la question de létendue et de la part de laction de lÉtat vis-à-vis des associations ouvrières. Sur ce dernier point, Roland conserve la même ligne insistant sur limpératif de préserver la diversité et les libertés des associations ouvrières. Le changement social ne saurait être imposé par le haut, insiste-t-elle, il doit résulter pacifiquement des associations par la force de lexemple. Et même si certaines ont connu quelques errements en contrôlant mal la gérance par des conseils de surveillance ou par lAssemblée générale et donné lieu à des abus de pouvoir et laccession dun « roi au petit pied » à leur tête (La République, 7 janvier 1850). La question de lÉtat est abordée, mais, à linstar dautres courants socialistes ou communistes, français ou non, elle est traitée à minima26. Si les travailleurs sont tous fonctionnaires, et lÉtat propriétaire des instruments de travail, son organisation concrète nest quasiment pas traitée.

Demeure lidée centrale dun État dont les prérogatives seraient fortement réduites au profit des associations. Sur ce dernier point, la correspondance de Pauline Roland entre 1850 et 1852 témoigne de son grand intérêt pour la thématique du « gouvernement direct » qui, à la 236faveur de la publication du texte intitulé La législation directe par le Peuple ou la véritable démocratie de Moritz Rittinghausen en décembre 1850, est très discutée au moins jusquau coup dÉtat de décembre 1851. Louis Blanc, Victor Considerant, Constantin Pecqueur, Charles Renouvier, Charles Fauvety, ou Alexandre Ledru-Rollin parmi dautres participent aux débats (voir notamment Rougerie, Op. cit., p. 280-284). Pauline Roland adhère aux idées exprimées dans la Feuille du peuple et reprises en partie dans le texte Gouvernement direct. Organisation communale et centrale de la République (1851) publié par un collectif dauteurs, Charles Fauvety, et surtout Charles Renouvier étant les principaux contributeurs (Roland, Correspondance – Lettre du 14 mai 1851)27. Parmi les propositions centrales, figurent la suppression du pouvoir exécutif, même si subsiste la délégation de fonctions spéciales (juges, officiers, etc.), et labsence de délégation du pouvoir législatif remplacée par un lien direct entre ladministrateur et ladministré avec la création de comités composés de mandataires ayant une assise communale. Car cest principalement au niveau de la commune quest assurée ladministration des services publics avec un périmètre relativement large, puisque Charles Renouvier prévoit notamment des services dintermédiation de lemploi, dassistance auprès des chômeurs, denseignement et même bancaires. Pauline Roland semble donc reprendre à son compte cette organisation administrative reposant principalement sur une base communale, ce qui cadre dailleurs parfaitement avec ses références à la « commune associée » et ses critiques répétées de lexercice isolé du pouvoir ou de ce quelle désigne par « principe monarchique ou aristocratique par lequel un homme commande à un ou à plusieurs autres hommes » (Roland, Le Peuple, 27 novembre 1848).

237

RÉFÉRENCES BibliographiQUeS

Écrits de Pauline Roland

« Lettre à Pierre Leroux. Sur lassociation. I », Le Peuple. Journal de la république démocratique et sociale, 27 novembre 1848, no 10, p. 4-5.

« Lettres à Pierre Leroux. Sur lassociation. II », Le Peuple. Journal de la république démocratique et sociale, 11 décembre 1848, no 24, p. 6-7.

« Lettres à Pierre Leroux. Sur lassociation. III », Le Peuple. Journal de la républiquedémocratique et sociale, lundi 18 décembre 1848, no 31, p. 6-7.

« Lettres à Pierre Leroux. Sur lassociation. III », Le Peuple. Journal de la république démocratique et sociale, lundi 25 décembre 1848, no 38, p. 6-7.

« Lettres à Pierre Leroux. Sur lassociation. III », Le Peuple. Journal de la république démocratique et sociale, dimanche-lundi 25-26 février 1849, no 99, p. 6-7.

« Lettres à Pierre Leroux. Sur lassociation. III », Le Peuple. Journal de la république démocratique et sociale, lundi 5 mars 1849, no 105, p. 7-8.

« Variétés. Des associations ouvrières », La République, 7 janvier 1850, 3e année, no 7.

« Variétés. Revue des associations ouvrières », La République, 3 février 1850, 3e année, no 34.

« Variétés. Revue des associations ouvrières », La République, 31 mars 1850, 3e année, no 90.

« Variétés. Revue des associations ouvrières. Les cordonniers », La République, 30 juin 1850, 3e année, no 181.

« Associations ouvrières. VII. Instituteurs, institutrices et professeurs socialistes », La République, 21 octobre 1850, 3e année, no 294.

« Diner de famille des Instituteurs et Institutrices socialistes », Revue sociale ou Solution pacifique du problème du prolétariat, 1850, 3e année, no 5, p. 84.

La République Lundi 6 janvier 1851, 4e année, no 6 « Associations ouvrières. VII. Les chapeliers », La République, 6 janvier 1851, 4e année, no 6.

« Morale socialiste : Lettres dune prisonnière : I. Des devoirs de lhomme. À mon fils Jean-François Roland », La liberté de penser. Revue démocratique, 1851, 43e livraison, tome huitième, p. 66-79.

« Morale socialiste : Lettres dune prisonnière : II. Au citoyen Suin, Avocat-général », La liberté de penser. Revue démocratique, 1851, 43e livraison, tome huitième, p. 372-385.

Correspondance avec Gustave Lefrançais en ligne (disponible sur le site de lInternational Institute of Social History : https ://search.iisg.amsterdam/Record/ARCH00459#A64dc7507d2, consulté le 29/01/2022).

238

1981. Bagnes dAfrique. Trois transportés en Algérie après le coup dÉtat du 2 décembre 1851, Pauline Roland, Arthur Ranc, Gaspard Rouffet, Paris, Maspero.

Autres rÉfÉrences

Abensour, Miguel [2012], Le Procès des maîtres-rêveurs, Paris, Sens & Tonka.

Bouchet, Thomas, Bourdeau, Vincent, Castleton, Edward, Frobert, Ludovic & Jarrige François [2015], Quand les socialistes inventaient lavenir (1825-1852), Paris, La Découverte.

Condette, Jean-François [2017], « 1848 : un éphémère printemps de lécole du peuple ? La République, lInstruction publique et les instituteurs (février 1848-mars 1850) », Revue dhistoire du xixe siècle, 55, p. 75-92.

Corbin, Alain [1975], Archaïsme et modernité en Limousin (1845-1880), 2 vol. Paris, Rivière.

Crossley, Ceri [2008], « Pierre Leroux and the Circulus : Soil, Socialism and Salvation in Nineteenth-Century France », dans Louise Lyle et David McCallam, Histoires de la Terre : Earth Sciences and French Culture 1740-1949, Amsterdam-NewYork, Rodopi, p. 105-118.

Dayen, Daniel [2003], « LImprimerie de Pierre Leroux à Boussac », Mémoires de la Société des sciences naturelles, archéologiques et historiques de la Creuse, XLIX, p. 163-188.

Drolet, Michael & Frobert, Ludovic [2022], « Dune philosophie économique barbare. Jules Leroux », introduction à Une économie politique humaine : Jules Leroux, Lormont, Le Bord de leau.

Fourn, François [2003], « Les brochures socialistes et communistes en France entre 1840 et 1844 », Cahiers dhistoire, 90-91, p. 69-83.

Frobert, Ludovic [2014], « What is a Just Society, The Answer According to the Socialistes Fraternitaires, Louis Blanc, Constantin Pecqueur, François Vidal », History of Political Economy, vol. 46, no 2, p. 281-306.

Frobert, Ludovic & Sheridan, Georges [2014], Le Solitaire du ravin. Pierre Charnier (1795-1857), prudhomme tisseur, Lyon, ENS-Editions.

Gribaudi, Maurizio & Riot-Sarcey, Michèle [2008], 1848, La Révolution oubliée, Paris, La Découverte.

Hayat, Samuel [2014], 1848. Quand la République était révolutionnaire, Paris, Seuil.

Jarrige, François & Le Roux Thomas [2019], « Naissance de lenquête : les hygiénistes, Villermé et les ouvriers autour de 1840 », in Eric Geerkens, Nicolas Hatzfeld, Isabelle Lespinet, Xavier Vigna, Les enquêtes ouvrières dans lEurope contemporaine, Paris, La Découverte, p. 39-52.

Lauricella, Marie [2016], Une république dassociés. Histoire et analyse de la doctrine buchézienne (1825-1863), thèse de sciences économiques et dhistoire, Université de Lyon.

239

Le Bras-Chopard, Armelle [1986], De légalité dans la différence. Le socialisme de Pierre Leroux, Paris, FNSP.

Le Bras-Chopard, Armelle [1993], « Proudhon, Louis Blanc et Pierre Leroux : polémique sur la question de lEtat », 1848. Révolutions et mutations au 19e siècle, vol. 9, p. 45-56.

Le Bras-Chopard, Armelle [2020], Le féminisme de Pierre Leroux, Loches, La Guépine.

Lefrançais, Gustave, Pérot & Roland, Pauline [1849], Programme déducation. Association fraternelle des instituteurs, institutrices et professeurs socialistes. (Disponible dans Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109893c.image, consulté le 29/01/2022).

Leroux, Pierre [1848], Projet dune Constitution démocratique et sociale, Paris, Sandré.

Lyon-Caen, Judith [2004], « Saisir, décrire, déchiffrer : les mises en texte du social sous la monarchie de Juillet », Revue historique, t. 306, fasc. 2 (630), avril, p. 303-331.

Maillard, Alain [1999], La communauté des égaux. Le communisme néo-babouviste dans la France des années 1840, Paris, Kimé.

Offen, Karen [1987], « Sur lorigine des mots “féminisme” et “féministe” », Revue dhistoire moderne et contemporaine, T. 34, no 3, p. 492-496.

Peillon, Vincent [2003], Pierre Leroux et le socialisme républicain, Lormont, Le Bord de leau.

Ranvier, Adrien [1908], « Une féministe de 1848 : Jeanne Deroin », in La Révolution de 1848. Bulletin de la Société dhistoire de la Révolution de 1848, tome 4, Numéro 24, janvier-février, p. 317-355.

Rey, Lucie [2013], Les enjeux de lhistoire de la philosophie en France au 19e siècle : Victor Cousin et Pierre Leroux, Paris, LHarmattan.

Rignol, Loïc [2004], « Épistémologie des théories de la science sociale. Association et communauté dans lorganicisme du premier 19e siècle », Cahiers Fourier, no 15.

Rignol, Loïc [2005], « Épistémologie des théories de la science sociale. Association et communauté dans lorganicisme du premier 19e siècle », Cahiers Fourier, no 16.

Rignol, Loïc [2014], Les Hiéroglyphes de la nature. Le socialisme scientifique en France dans le premier 19e siècle, Dijon, Les presses du réel.

Riot-Sarcey, Michèle [1994], La démocratie à lépreuve des femmes. Trois figures critiques du pouvoir. 1830-1848, Paris, Albin Michel.

Rougerie, Jacques [2014], « Entre le réel et lutopie : République démocratique et sociale, Association, commune, Commune », in Laurent Colantonio, Caroline Fayolle, Genre et utopie. Avec Michèle Riot-Sarcey, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, p. 273-292.

240

Simmons, Dana [2006], « Waste Not, Want Not : Excrements and Economy in Nineteeth-Century France », Representations, vol. 96, No 1, p. 76-98.

Thibert, Marguerite [1925], « Une apôtre socialiste de 1848 : Pauline Roland », Revue dhistoire du xixe siècle, 1925, no 110 et no 111, p. 478-502 et p. 524-540.

Thomas, Édith [1956], Pauline Roland : Socialisme et féminisme au xixe siècle, Paris, Rivière, 1956.

Thuillier, Guy [1967], « Le “Gouvernement direct” de Charles Renouvier », La Revue administrative, 20è année, no 117, mai-juin, p. 262-268.

Viard, Bruno [1997], À la source perdue du socialisme français. Pierre Leroux, Anthologie, Paris Desclée de Brouwer.

Viennot, Eliane [2020], Lâge dor de lordre masculin. La France, les femmes et le pouvoir 1804-1860, Paris, Cnrs Editions.

1 Dans son recueil Les Châtiments (1853), Victor Hugo consacre une partie du poème « Les Martyres » à Pauline Roland. Il évoque sa transportation dans des conditions terribles en Algérie et un exil dont elle ne reviendra que pour mourir à Lyon le 15 décembre 1852. Sur ce point, voir les lettres de Pauline Roland dans (Roland, Ranc, Rouffet, 1981).

2 Sur Pauline Roland (Thibert, 1925-1926 ; Thomas, 1956).

3 Sur Pierre Leroux tout ne peut être cité, mais, outre les travaux précieux de Jean-Pierre Lacassagne, voir notamment pour la période récente, Abensour (2012), Le Bras-Chopard (1986), Peillon (2003), Viard (1997), Rey (2013).

4 Phrase en exergue du volume De légalité publié à Boussac en 1848. Le texte reprend lentrée « Égalité » signée par Leroux dix and plus tôt dans le volume IV de lEncyclopédie nouvelle.

5 Expression quemploie lécrivaine dans une lettre à Ferdinand Guillon le 14 février 1844.

6 Voir ici notamment, Gribaudi et Riot-Sarcey (2008) ainsi que Hayat (2014).

7 Leroux publie dabord De la ploutocratie dans la Revue sociale puis en volume dans son imprimerie de Boussac. La Ploutocratie, cest « le gouvernement des riches », la collusion complète entre pouvoir économique et politique. Dans le Salut du peuple Constantin Pecqueur personnifiera cela en expliquant que cest lalliance de « Malthus et Thiers ».

8 Sur les journaux socialistes de la période, voir Bouchet, Bourdeau, Castleton, Frobert & Jarrige (2015).

9 Jules Leroux est capital ici : cest en effet lui qui développe la partie économique de la Doctrine lerouxienne, tâtonnant sa vie durant autour dune sorte danti-Traité déconomie politique (quil ne publiera pas, ses contributions demeurant dispersées) layant conduit à reformuler jusquà renversement les catégories traditionnelles en proposant une économie politique communioniste. De fait les arguments économiques de Pierre Leroux (propriété, travail, besoin, fonction, etc.) reprennent les idées de Jules. Nous renvoyons ici à Drolet et Frobert, 2022.

10 Sur limprimerie de Boussac, Dayen (2003). Sur le socialisme dans la région, le « pèlerinage de Boussac », et linfluence de Leroux, voir ici les remarques de Corbin (1975, vol. 2).

11 Sur cette question capitale du circulus, renvoyant à une théorie du besoin et de la consommation centrés sur la suffisance, à une critique radicale du malthusianisme, et à une philosophie de la nature basée non sur lexploitation mais sur ladaptation, voir les articles de Simmons (2006) et Crossley (2008).

12 Il faut au départ, « un symbole de foi commun, un credo » pour que « des hommes religieux puissent aujourdhui sassocier pour vivre en commun » (Le Peuple, 27 novembre 1848).

13 « Un Credo ne doit donc plus aujourdhui exprimer seulement les vérités métaphysiques, il doit comprendre les rapports des hommes entre eux, et les rapports de lhumanité à la nature » (27 novembre 1848).

14 Contre une interprétation faisant automatiquement des socialismes, y compris des premiers socialismes, des zélateurs du productiviste et partisans de la mécanisation, quelques interprétations récentes ont souligné quau contraire on pouvait y remarquer, dans certains cas, les premières réflexions écologistes. Cest ici le cas, et lécole de Leroux insistera non seulement sur le circulus mais aussi sur la nécessaire suffisance des besoins et appliquera ses idées de propriété commune à lenvironnement naturel. Cette suffisance assumée des besoins entraine un autre rapport qualitatif et quantitatif de lhomme au travail, mais aussi un autre rapport de lhomme à la nature. Dans ses Lettres, Pauline Roland évoque le rapport à la terre (la nature) en ces termes : « Nous croyons que lhomme doit considérer la terre, non comme un lieu dexil momentané, mais comme sa véritable demeure, comme un domaine qui lui a été donné par une Providence juste et bienfaisante, avec charge de laméliorer en même temps que den jouir. Cette terre à laquelle il appartient, en même temps quelle lui appartient, elle et tous les êtres qui la peuplent nest point une propriété propre et particulière dont il puisse user et abuser » (11 décembre 1848).

15 Jules Leroux a développé ses idées dabord vers 1832-1834 dans plusieurs articles du Peuple souverain (journal républicain de Marseille) et de la Revue encyclopédique, puis en signant les principales entrées économiques de lEncyclopédie nouvelle, dont « économie politique », « Adam Smith », « Commerce », « travail », « Douane », « Sully », « Banque », « Consommation »….

16 Pauline Roland ne cesse de déclarer son adhésion à la doctrine de Leroux, mais tout en mettant en pratique lesprit même de cette doctrine : au temps présent dune Humanité se cultivant dans tous et dans chacun, chaque adhésion doit être réfléchie, discutée, doit vivre même de la discussion. Ainsi il est révélateur que concernant le respect de la triade dans toute association pratique, elle vienne à ajouter, « mieux vaut [] labsence de la triade que son fonctionnement imparfait » (Le Peuple, 25 décembre 1848)

17 Concernant ce terme, Pierre Leroux observant le tournant communiste de 1840 écrivait à George Sand, « sans le savoir vous êtes communiste et je suis communiste ». Mais il ajoutait que pour « exprimer une doctrine sociale fondée sur la fraternité », une « république où légalité règnerait », il aurait préféré le terme « communionisme » (Histoire dune amitié, p. 127).

18 Lexpérience des ateliers sociaux expérimentés à partir des discussions de la Commission du Luxembourg, et fortement influencé par les idées de Louis Blanc, Constantin Pecqueur et François Vidal ne doit bien sûr pas être confondue avec celle des ateliers nationaux. Sur Blanc, Pecqueur, Vidal et lexpérience du Luxembourg, voir par exemple Frobert (2014).

19 Voir sur la naissance de lenquête, Jarrige et Le Roux (2019), sur les enquêtes menées par le journal LAtelier, Lauricella (2016) ou dans le milieu des ouvriers en soierie de Lyon, Frobert et Sheridan (2014, ch. 8).

20 Comme le souligne Judith Lyon-Caen, en cette période où les sciences sociales et en premier lieu la sociologie, sont encore à leurs balbutiements, « la littérature formerait la matrice même de tout discours sur le social » (Ibid.)

21 Cest le cas en particulier lorsque la rémunération du travail relève dun système mixte entre travail à la journée et travail à la pièce ; ce dernier est conservé mais suivant « un tarif reconnu et accepté par les travailleurs » (La République, 7 janvier 1850).

22 Les bénéfices dégagés ou les cotisations prélevées sur le produit de lassociation peuvent non seulement permettre laugmentation du capital social, mais également servir à financer des caisses de secours mutuels ou de retraite comme elle lobserve chez les cordonniers.

23 Largument est identique dans le texte consacré aux associations de cordonniers, réputées pour leurs conditions de travail précaires : « Lorsque le producteur sera compté, ainsi quil doit lêtre, comme la plus noble des créatures sociales, et non comme un instrument destiné à satisfaire les fantaisies de loisif consommateur, lart, la science et lindustrie soccuperont moins dinventer des objets de jouissance factice qui, en réalité, najoutent rien au bonheur, que dassainir, de perfectionner les industries de première nécessité ; alors seront rendues à la vie normale, à cette vie où le cœur aime, où lintelligence travaille en même temps quagissent les bras, ces myriades dhommes qui aujourdhui satrophient, sils ne meurent complètement dans un labeur impie. Lassociation trouvera, adoptera des systèmes de travail à la fois plus prompts et moins meurtriers qui, – la concurrence, mère de la baisse de prix, disparaissant, – mettront louvrier à même de vivre dun travail régulier et modéré » (La République, 30 juin 1850).

24 Les termes féministe et féminisme nentrent dans le discours public quà la fin du xixe siècle (Offen, 1987). Radical, le féminisme de Pauline Roland se développe et se diversifie à partir de réflexions présentes dès les premiers travaux de Leroux. Sur le féminisme de Leroux, Le Bras-Chopard (2020).

25 Sur les liens entre association et commune et lassociation communale, voir Jacques Rougerie (2014). Dans une lettre inédite du 6 août 1848 que Pierre Leroux adresse à Philippe Faure, il écrit « lidée que nous poursuivons est toujours celle de lassociation étendue à toute une commune ». Voilà, poursuit-il, « la solution religieuse, politique et économique » de lorganisation future, là où lÉtat et la représentation nationale ont échoué : « aucun gouvernement ne parvient à mener la société », tout gouvernement est « fatal » alors quon constate que « le vrai gouvernement en Europe, cest aujourdhui largent ».

26 Traitée à minima, mais dans une perspective ne pouvant se comparer aux arguments proudhoniens. Là encore la position de Roland traduit et interprète celles dauteurs comme Pierre Leroux ou Louis Blanc alors en débat avec Proudhon sur la question de lÉtat. Blanc et Leroux étaient favorables non tant à un État impulseur et coordinateur, mais à un État protecteur de lessor du mouvement par en bas venant des associations et des communes. Sur ce débat Proudhon, Blanc, Leroux, voir Le Bras-Chopard (1993).

27 Le titre complet est Gouvernement direct. Organisation communale et centrale de la République. Projet présenté à la nation pour lorganisation de la Commune, de lEnseignement, de la Force publique, de la Justice, des Finances, de lÉtat. Le texte est préfacé par Charles Fauvety et Charles Renouvier. Les autres auteurs cités sont H. Bellouard, Benoit, F. Charrassin, A. Chouippe, Erdan, Gilardeau, Sergent. Voir sur la contribution de Renouvier, Thuillier (1967)