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Classiques Garnier

Le lexique de l’édition française de The General Theory de Keynes

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2021 – 2, n° 12
    . varia
  • Auteur : Largentaye (Hélène de)
  • Résumé : Le lexique conçu par Jean de Largentaye se compose de 57 termes économiques français avec leurs équivalents en anglais. Il est le fruit de la correspondance des années 1938 et 1939 entre Keynes et Largentaye. À travers ce lexique, Largentaye a introduit de nouveaux termes dans le vocabulaire économique français tels que « le plein emploi », « la préférence pour la liquidité » ou « la propension marginale à consommer ». Seule l’édition française de The General Theory offre un pareil lexique.
  • Pages : 75 à 125
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406126157
  • ISBN : 978-2-406-12615-7
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12615-7.p.0075
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/12/2021
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Largentaye, traduction française, Keynes, The General Theory, lexique
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Le lexique de lÉdition française
de THE GENERAL THEORY de Keynes1

Hélène de Largentaye

Lœuvre essentielle de la Théorie générale, cest de donner des définitions et dintroduire des concepts nouveaux en économie. Les définitions que Keynes a données du revenu, de lépargne, et de linvestissement sont maintenant unanimement admises.

Avant la Théorie générale (publiée en février 1936), on avait des notions extrêmement confuses sur ces concepts, ce qui explique que les économistes se disputaient en vain et que les politiques des gouvernements étaient presque toujours à contre-sens.

Jean de Largentaye (entretien avec son fils Bertrand, 1968).

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Cette observation à la fin de sa vie montre limportance que Jean de Largentaye, traducteur de The General Theory, accordait aux définitions en langue française des termes et concepts économiques anglais.

Deux ans après sa parution en 1936 en Grande Bretagne, The General Theory nétait toujours pas traduite en français. Pourtant plusieurs ouvrages antérieurs de Keynes, The Economic Consequences of the Peace (1919), A Revision of the Treaty, (1921), A Tract on Monetary Reform (1922), The French Franc (1926 et 1928), Essays in Persuasion (1933), avaient été traduits respectivement par Paul Frank pour les trois premiers, René Lelu et Herbert Jacoby pour les deux derniers comme le précisa Keynes dans sa lettre du 22 juin 1939 (voir infra).

En 1936, la maison Payot avait décliné la proposition de léditeur anglais de publier une traduction française de The General Theory au motif quil ny aurait pas eu de lectorat français pour un ouvrage aussi technique et sa rentabilité par suite naurait pu être assurée. En revanche, le contrat de traduction en allemand avait été conclu dès 1935, avant même la publication de la version originale en Angleterre et lédition allemande était en vente dans les librairies dès décembre 1936 (voir Hélène de Largentaye, 2021).

Au début de lannée 1938, Jean de Largentaye, inspecteur des Finances chargé de mission sous lautorité de Jacques Rueff à la direction du Mouvement général des fonds du ministère des Finances, constatant que ses collègues de ladministration navaient pas lu la dernière œuvre de Keynes, pourtant bien connue à létranger, entreprit de la traduire. Largentaye nétait ni universitaire, ni traducteur professionnel mais un fonctionnaire comprenant langlais et fortement motivé. Il avait en effet été marqué personnellement par la grande dépression de 1929 qui lui avait fait perdre son emploi dingénieur. Chargé de suivre lactualité économique internationale au Mouvement général des fonds, il avait par ailleurs été impressionné par les bonnes performances de lAllemagne nazie en matière de production et demploi. Il était convaincu quune autre politique, capable daméliorer les résultats économiques, était possible en France à condition de bien comprendre les mécanismes de fonctionnement de léconomie, et en premier lieu les déterminants de variables telles que lemploi, la demande effective (ou production ou revenu national) et linvestissement. Louvrage de Keynes fournissait la juste analyse de ces phénomènes. Outre ses obligations professionnelles au ministère des 77Finances, Jean de Largentaye était donc prêt à consacrer le temps nécessaire à cette traduction. Il estimait de son devoir de faire connaître en France une théorie nouvelle, mettant en cause les principes considérés comme sacrés tels que létalon-or et léquilibre budgétaire et qui contraignaient les politiques économiques (voir Armand de Largentaye, 2021).

Lorsquil entreprit la traduction en 19382 certains concepts étaient inconnus et ceux qui ne létaient pas nétaient pas toujours bien traduits ni correctement définis. Largentaye comprit assez vite quun lexique – une sorte de petit dictionnaire fournissant les définitions des termes économiques de la Théorie générale – était indispensable à la compréhension de lœuvre de Keynes.

Le 31 janvier 1938, Largentaye écrivit à Keynes pour lui proposer ses services de traducteur (voir infra). Dans sa lettre, il lui annonça vouloir sadresser à un public français qui naurait pas été limité aux seuls économistes universitaires :

The wide distribution of your work in France, by contributing to dissipate the errors which are so deeply anchored in the public mind, would certainly facilitate a solution of the difficulties in the midst of which our country is at present struggling3.

Quelques mois plus tard, dans sa lettre à Keynes du 11 juin 1938, il confirma son intention de mettre The General Theory à la portée des fonctionnaires et autres personnes chargées de la politique économique :

My main preoccupation, indeed, was to make the translation as easy to understand as possible for readers who are not students of political economy. That is why I have as far as possible made use of words belonging to everyday, or to business language4.

À cet égard, Largentaye était conscient que le lectorat quil visait était différent de celui de Keynes qui écrivait pour ses condisciples, ardents 78défenseurs de lécole classique comme lui-même lavait été, et utilisant la même terminologie économique :

This book is chiefly addressed to my fellow economists (Keynes, 1936 [2007], p. xv).

Cette différence entre lectorat anglais et futur lectorat français de The General Theory doit être soulignée. En effet, elle signifie quun dictionnaire donnant en français les définitions de termes techniques était indispensable alors que les sens de ceux-ci étaient bien connus des lecteurs anglais, économistes professionnels. Auteur et traducteur en prirent conscience progressivement à mesure que la traduction avançait, de sorte quà la fin de celle-ci, en février 19395, Keynes commença sa préface pour la traduction française de The General Theory comme suit :

Pendant un siècle ou plus lÉconomie Politique a été dominée en Angleterre par une conception orthodoxe [] Mais nous-mêmes, en écrivant ce livre et un autre ouvrage récent qui la préparé, nous avons senti que nous abandonnions cette orthodoxie, que nous réagissions fortement contre elle, que nous brisions des chaînes et conquerrions une liberté. Cet état desprit explique certains défauts de louvrage ; il explique en particulier quil revête en divers passages un caractère de controverse, quil ait trop lair de sadresser aux défenseurs dune conception spéciale et pas assez à la Ville et au Monde. Nous avons voulu convaincre notre entourage et nous ne nous sommes pas adressés assez directement au grand public. Trois ans ont passé depuis lors, nous nous sommes habitués à notre nouveau vêtement et avons oublié jusquà la forme de lancien. Si nous devions récrire cet ouvrage, nous chercherions à éviter ce défaut et nous nous efforcerions dexposer avec plus de netteté notre propre manière de voir (Keynes, 1942, p. 9)6

Une traduction – toujours une transmission et une réécriture – peut parfois constituer aussi un enrichissement comme dans le cas présent, du fait du lexique que Largentaye a ajouté à la fin de la Théorie générale.

Keynes avait certes défini dans les quatre chapitres du livre II « Definitions and Ideas » de The General Theory certains concepts-clés 79de son œuvre – le revenu, linvestissement, lépargne, le coût dusage, la prévision (à court et long terme) – mais à la différence dun lexique, la liste complète des nouveaux concepts ny figure pas. Dautres concepts-clés tels que la propension à consommer, lefficacité marginale du capital et le taux dintérêt sont définis dans les chapitres ultérieurs. Enfin, un petit nombre de concepts, mais non des moindres – valeur monétaire ou préférence pour la liquidité par exemple – ne sont pas précisément définis.

En élaborant un lexique de la terminologie économique de la Théorie générale, Jean de Largentaye a présenté indirectement lessentiel de la logique keynésienne, faisant apparaître le sens des causalités en distinguant les variables indépendantes (ou exogènes) telles que la propension à consommer, lefficacité marginale du capital, le taux dintérêt, ou lunité de salaire, des deux principales variables dépendantes (ou endogènes), cest-à-dire la demande effective (ou le revenu ou le produit qui lui sont identiques) et lemploi.

Le traducteur avait ainsi fourni larmature linguistique du cadre théorique sur lequel étaient construites les politiques destinées à assurer le plein emploi ou du moins à faire reculer le chômage qui frappait durement la plupart des économies occidentales à la fin des années 1930.

Le lexique – à lorigine simple table de correspondance selon le souhait de Keynes – fut élaboré parallèlement à la traduction, au cours des vingt et un mois sécoulant davril 1938 à fin décembre 1939.

Comme nous le verrons dans une première partie, le fil conducteur de lévolution du lexique apparaît dans la correspondance entre Keynes et Largentaye présentée dans la dernière partie de ce dossier. Le choix, le nombre, lénoncé des traductions des termes techniques ainsi que les définitions de ceux-ci furent discutés en détail avec Keynes comme on le verra dans une deuxième partie. En conclusion, avec le recul de plus de quatre-vingts années depuis lachèvement de la traduction française (fin 1939), nous proposerons quelques évolutions qui nous paraissent souhaitables.

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I. Le lexique au cœur de la correspondance
entre Keynes et son traducteur

En élaborant le lexique, le traducteur poursuivait trois objectifs : répondre à la demande de Keynes, résoudre les désaccords avec lauteur, transformer la table de correspondance en un lexique.

I.1. Keynes demande une table de correspondance

Établir une table déquivalence entre termes techniques anglais et leur traduction en français : telle était lattente de Keynes, exprimée dans sa deuxième lettre au traducteur datée du 9 avril 1938 (voir infra).

The most important task, I think, is to obtain suitable equivalents for my set of technical terms. My German translator took particular trouble about this and in fact supplied, at the end of the volume, a table of the equivalents between English and German of the terms he had adopted. I think it might be useful if you would let me have a list of your suggestions in this respect7.

Commençons par définir respectivement les concepts de table de correspondance (table of equivalents), dindex, de dictionnaire et de lexique (lexicon ou glossary). Tout dabord, une table de correspondance, comme lindique Keynes ci-dessus, est une liste alphabétique de termes dans la langue dorigine, la traduction de ceux-ci dans la langue daccueil figurant en regard. Une telle table constitue une étape indispensable pour le traducteur mais figure rarement dans la publication finale de la traduction, le Vokabularium que lon trouve à la fin de la version allemande de The General Theory faisant exception. Deuxièmement, un index est une liste alphabétique de termes ou de noms propres accompagnés des numéros de pages où apparaissent ceux-ci. Par exemple, à la fin de The General Theory on trouve un Index de 18 pages (1936, p. 385-403) 81œuvre de D.M. Bensusan Butt8. Troisièmement, un dictionnaire fournit les définitions dune liste de termes classés par ordre alphabétique dans une langue donnée. Enfin, un lexique (ou son synonyme glossaire) est un dictionnaire donnant les définitions dun petit nombre de termes choisis en raison de leur technicité ou de leur usage peu courant. Dans le cas présent, le lexique à la fin de la Théorie générale est à la fois une table de correspondance français-anglais, un « mini dictionnaire » français de sept pages et un index pour les termes dont la définition est donnée par Keynes dans lédition dorigine en anglais.

Dans sa première lettre à Largentaye, Keynes avait à lesprit le Vokabularium que le traducteur allemand (Fritz Waeger9) avait ajouté à la fin de Allgemeine Theorie der Beschäftigung, des Zinses und des Geldes (1936), plus dun an avant le commencement de la traduction française.

Ce Vokabularium dune demi-douzaine de pages est une liste de termes dont le choix est inspiré de lIndex de D.M. Bensusan Butt. Il est classé selon lordre alphabétique anglais (ce qui est peu pratique pour le lecteur allemand) avec en vis-à-vis les traductions allemandes. Ainsi, on trouve à la première page du Vokabularium (voir p. 7), pour capital investment : Kapital investition ; pour commodity rate of interest : warenzinsfub ; pour user cost : gebrauchsk, etc.

Cest une simple table déquivalence selon la dénomination de Keynes qui ne constitue pas un dictionnaire puisquil ne comporte pas de définitions en allemand, ni même un index puisquil ne fait pas figurer à côté de chaque terme les numéros de pages où celui-ci se trouve. Son utilité pour le lecteur allemand est limitée.

De plus, cette table déquivalence denviron 200 termes comporte de nombreuses erreurs typographiques et détonnantes omissions (money value, own rate of interest in terms of a standard of value, schedule of liquidity preference…). Contrairement à lIndex anglais, le Vokabularium ne comprend 82pas tous les termes « dérivés », cest-à-dire ceux qui, après un premier terme commun, enchaînent un ou plusieurs autres termes.

Par exemple, dans lIndex anglais, « banking system » est suivi de six termes dérivés : and creation of credit, and rate of interest, and future of investment, its condition of lending, a suggestion reform in, and wage policy alors que, dans le Vokabularium, seul figure le terme allemand Banksystem. Il ne comprend pas non plus les noms propres tels quArmstrong Clement, Barbon N., Bentham J., Böhm-Bawerk E. von, Bonar Law A., etc.

Dans sa préface à la traduction allemande de The General Theory, Keynes avait formé le vœu quau-delà de son objectif immédiat, le Vokabularium, en enrichissant la terminologie économique allemande grâce à lapport du nouveau vocabulaire keynésien, pût être utile aux germanophones.

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Fig. 1 – Première page de lIndex de The General Theory (1936).

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Fig. 2 – Première page du Vokabulorium
de lAllgemeine Theorie der Beschäftigung des Zinses und des Geldes (1936).

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Quant à la traduction japonaise par le professeur Tsukuma Shionaya, terminée en 1936 (publiée en 1941)10 et préfacée par Keynes la même année, elle comprend un index de 37 pages dans lequel les termes japonais figurent en premier et sont suivis des mots anglais dorigine, mais sans leurs définitions.

Revenons à la traduction française. Le 8 mai 1938, Largentaye adressa une lettre à Keynes avec une première version de la table de correspondance – répondant de la sorte à la demande que lauteur lui avait adressée un mois plus tôt – et un projet de traduction du chapitre 11, Lefficacité marginale du capital (voir infra).

I.2. Discussions entre auteur et traducteur
sur le principe d
un lexique

Avant de répondre, Keynes consulta son ami Piero Sraffa dont il estimait que la connaissance du français était meilleure que la sienne. En effet, le français de Keynes était dun niveau scolaire alors que Sraffa, économiste italien réfugié en Grande-Bretagne11 connaissait mieux la langue française quil avait utilisée dans sa jeunesse, sa mère étant francophone.

La lettre du 2 juin 1938 de Keynes (voir infra) était plutôt circonspecte. Keynes donna deux conseils à Largentaye.

En premier lieu, laisser en anglais les nouveaux concepts économiques introduits par Keynes (liquidity preference, par exemple). En second lieu, rencontrer « M. Mantoux » qui avait publié dans la Revue déconomie politique (Mantoux, 1937) une note de lecture sur The General Theory, comprenant les traductions françaises de termes techniques12. Notons que Largentaye avait critiqué « M. Mantoux » dans son premier courrier adressé à Keynes :

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In consequence, I cannot do otherwise than deplore the fact that your work should be so little known and so ill understood in France, as is proved by the recent critical analysis by Mr. Mantoux in the “Revue déconomie politique” for December 193713.

Il semble que Keynes ait oublié cette remarque du traducteur et que Sraffa ne se fût intéressé quaux termes français utilisés par « M. Mantoux » pour exprimer les nouveaux concepts keynésiens tels que full employment, liquidity preference ou effective demand.

Keynes joignit en annexe à sa lettre du 2 juin 1938 les commentaires de son ami Sraffa (voir infra). Après avoir lu une première version de la traduction du chapitre 11 ainsi que la table de correspondance, Sraffa estima que Largentaye connaissait bien langlais, quil ne faisait pas de contre-sens mais quil nétait pas familiarisé avec les termes techniques en français. Il esquissa un essai de « glossary » (sic) dans lequel il mit en vis-à-vis la table de Largentaye avec les traductions dÉtienne Mantoux qui figuraient dans son article de 1937.

Quelques jours après, le 11 juin 1938 (voir infra), Largentaye annonça à Keynes quil allait lui envoyer ultérieurement une deuxième version de la table de correspondance, une fois achevée la première version de la traduction des vingt-et-un premiers chapitres de The General Theory. Ce travail était donc reporté à une date indéterminée.

La réponse de Keynes, manuscrite (voir infra), suivit six jours après (17 juin 1938). Léconomiste mit en garde Largentaye contre le risque de traduire certains concepts nouveaux à laide dun vocabulaire courant dans la langue de traduction. Il faut dans ce cas expliquer très clairement les nouveaux concepts en français, si nécessaire avec une périphrase, voire en gardant les termes anglais, ou en les « francisant » selon le néologisme de son ami Sraffa. On peut penser que Keynes, en définitive, suggérait alors un lexique plutôt quune simple table de correspondance.

À lautomne suivant, après une période de mobilisation, Largentaye rencontra Étienne Mantoux ; tous deux saccordèrent sur une liste de traductions françaises des termes techniques utilisés par Keynes (lettre de Largentaye à Keynes le 26 octobre 1938, voir infra). Il souligna les hésitations suscitées par la traduction de certains mots, en particulier 87« expectations », terme finalement traduit dun commun accord par « prévision ».

Keynes répondit le 22 décembre 1938 (voir infra) :

There remains your table of equivalent terms. Here again the penciled comments in the margin are my own. Pinned on the table are my friends comments. And here again the matter explains itself, I think14.

I.3. La table de correspondance devient un lexique

Nonobstant, Largentaye défendit son idée dun lexique figurant à la fin de louvrage pour faciliter la compréhension du lecteur français. Et Keynes proposa alors le 13 mars 1939 (voir infra) une présentation un peu différente lui permettant de distinguer les définitions énoncées par lauteur de celles provenant du traducteur, ces dernières devant toutefois être préalablement validées par lui-même. De plus, il exigea que le traducteur prît la responsabilité du Lexicon en précisant quil en était lauteur.

I should have no great objection to it if it is made entirely clear that it [the lexicon HL] is your work and not mine15.

Enfin, il fit observer que le choix des termes du projet de lexique était arbitraire et que leur nombre, cinquante-six, était trop réduit,

Moreover, the actual definitions you give are, of course, only a quite a small selection of all those occurring in the book. No doubt, you have chosen them from the point of view of helping the reader as much as possible, but surely, they remain rather an arbitrary collection out of the special terms which are used in the course of it16.

Dans sa réponse du 28 mars 1939 (voir infra), Largentaye avança une contre-proposition, une synthèse permettant de concilier les deux solutions (table déquivalence pour lauteur, lexique de type dictionnaire 88pour le traducteur). Il fit observer à Keynes que de nombreux termes techniques, tels que « terms of trade » ou « marginal » nétaient pas définis dans The General Theory sans doute parce que les lecteurs anglais, économistes professionnels, les connaissaient déjà, alors que, selon Largentaye, la plupart des futurs lecteurs français de la traduction les ignoraient.

La nouvelle version du lexique datée du 28 mars 1939 remplit les conditions posées par Keynes. Ainsi, à la première page du lexique figurait une note de bas de page indiquant que celui-ci était lœuvre du traducteur :

Le présent lexique, qui est lœuvre du traducteur, est uniquement destiné à faciliter au lecteur lintelligence du texte français. Beaucoup des définitions quil contient ont un caractère explicatif et il convient de ne pas leur accorder la même portée quaux définitions de lauteur qui figurent dans le corps de louvrage. Lorsque celles-ci ont été reproduites littéralement, elles sont entre guillemets et la référence au texte est indiquée (N. du T.)17.

La contre-proposition donna satisfaction à Keynes qui accepta le lexique dans ses grandes lignes et reconnût que celui-ci pouvait être dune grande aide pour les lecteurs français. Il aurait même souhaité quun nombre plus élevé de termes techniques figurât dans ce lexique (lettre de Keynes à Largentaye du 3 avril 1939),

Now, as regards the glossary : I feel very much happier about it in its revised form, with reference to its being the work of the translator, and with the English terms in brackets and page references to the main text of the book. In principle, I accept the lexicon on these lines, and agree with you that it may be very helpful to French readers. The difficulty is that perhaps fifty years have passed since any modern work on economics was actually composed in the French language ; though, from what you tell me, the absence of established technical terms for English phrases, which have not been invented by me but have been established in Anglo-Saxon economics for some decades, goes further than I had realized18.

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Largentaye revint sur les objections de Keynes à certaines traductions (comme « proceeds » traduit définitivement par « produit »). Keynes remercia son traducteur et approuva la dernière version du lexique qui comprenait 57 termes techniques en français, suivis de leur définition. Il avait clos ainsi la discussion de plus dun an entre auteur et traducteur au sujet du lexique.

La dernière version davril 1939 est celle qui allait être publiée dans lédition 1942 de Payot. Elle figure en annexe de cet article (voir infra) avec les annotations portées par Keynes et Sraffa.

Nous aborderons dans la section suivante les difficultés soulevées par la traduction et par la définition des termes techniques.

II. Surmonter les difficultÉs de traduction

La principale difficulté provenait de labsence de vocabulaire économique français keynésien dans les années 1930 comme nous le verrons dabord avant dexaminer comment Largentaye remédia à cette lacune.

II.1. labsence du vocabulaire de Keynes dans le vocabulaire Économique français des annÉes 1930

Comme on vient de le voir, au terme dun an déchanges avec Largentaye, Keynes finit par reconnaître le retard du vocabulaire économique français dans sa lettre du 3 avril 1939.

Ce retard était manifeste dans lexposé des motifs du projet de loi du 5 avril 1938 de Pierre Mendès France « tendant à donner au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour mettre la nation en état de faire face aux charges qui lui incombent et spécialement aux besoins de défense ».

Certes, comme lécrira plus tard Mendès France (1984, p. 797), ce programme de relance du second gouvernement du Front populaire était sous-tendu par la théorie keynésienne mais les nouveaux termes emblématiques de celle-ci – plein emploi, demande effective, revenu national – étaient absents. Et pour cause, puisquils nexistaient pas 90encore dans la terminologie économique française. De plus, cet exposé des motifs était marqué par la logique typique de lécole classique puisquil présentait lépargne comme un préalable à linvestissement, erreur dans le sens des causalités dénoncée à plusieurs reprises dans la Théorie générale.

Comment y remédier ? Nous allons voir tour à tour que, ni la formation de Largentaye, ni létat de la recherche économique dans les milieux universitaires, ni les publications en français comportant la terminologie keynésienne, ni les dictionnaires disponibles ne pouvaient fournir les traductions et définitions dun certain nombre de termes de The General Theory au moment où Largentaye allait se lancer en 1938 dans la traduction de celle-ci.

Voyons dabord la formation économique de Jean de Largentaye.

À lÉcole polytechnique où il avait été élève de 1921 à 1923, il avait suivi le cours Économie sociale et économie politique de Clément Colson qui lavait particulièrement marqué comme le montre son souvenir évoqué quarante ans après, lors dun dîner avec ses camarades de promotion (X21) en 1966 :

Colson était sans conteste linterprète le plus éminent en France de la théorie économique libérale, quon appelle maintenant Théorie classique. Dautres analysaient la production, la distribution et la consommation des richesses. Lui nhésitait pas à assembler ces mécanismes en une vigoureuse synthèse, impeccablement structurée. Il y avait, nest-il pas vrai, de quoi séduire de jeunes cerveaux, épris de logique. Pour ma part je lui sais gré de mavoir procuré les éléments du confort intellectuel19.

Cest sans doute dans ce cours déconomie politique quil puisa la plupart des termes économiques français lorsquil entreprit en 1938 la traduction de The General Theory. Et, à lévidence, le vocabulaire de Keynes nen faisait pas partie.

Lenseignement déconomie politique que Largentaye suivit à la Faculté de droit de luniversité de Paris en même temps que sa scolarité à lÉcole polytechnique, puis, lors de la préparation en 1930 du concours de lInspection générale des Finances, celui de lÉcole libre des sciences politiques, ne lui aura pas non plus permis de se familiariser avec le nouveau langage keynésien. En effet, dans les années 1930, ces formations 91étaient conformes à la tradition libérale française, celle qui accordait une place prépondérante à la loi du marché et dont les ouvrages les plus représentatifs étaient le manuel Principes déconomie politique de Charles Gide (1884, 25 rééditions) et lHistoire des doctrines économiques de Charles Gide et Charles Rist (1909, première de six éditions).

Maurice Halbwachs (1877-1945), sociologue et disciple dÉmile Durkheim, était cependant un des rares universitaires qui, en France, analysant la consommation ouvrière, sintéressa à lœuvre de Keynes et plus précisément au rôle de la demande effective et de lemploi. Halbwachs rédigea plusieurs articles relatifs à Essays in the Theory of Employment de Joan Robinson et à The General Theory de Keynes. Ces articles dans lesquels figuraient en français les nouveaux mots de la terminologie keynésienne furent publiés dans les Annales sociologiques en 1937, 1938 et 1940 (Halbwachs, 2017). Cependant, ni Keynes ni Largentaye ne firent état de ces publications dont ils navaient sans doute pas eu connaissance, leur diffusion étant restée limitée à un lectorat de sociologues.

À lexception notable des conférences organisées par « X-Crise » à partir de 193120 et auxquelles il ne semble pas que Largentaye ait participé, ni que The General Theory ait été présentée (Tortajada, 2021), il y avait peu déchanges entre enseignants et chercheurs universitaires sintéressant à Keynes dune part, fonctionnaires responsables de la politique économique française des années 1930 de lautre.

Prenons maintenant les Principles of Economics, lœuvre majeure dAlfred Marshall (1842-1924) publiée au Royaume-Uni en 1890. Cette œuvre avait été traduite en français en 1906 et la traduction avait permis dintroduire dans le langage économique français des termes marshalliens tels quélasticité, périodes courte et longue, prix coûtant et prix total, facteur de production, marginal, placement de capital etc., dont certains furent repris dans le lexique de Largentaye comme on le verra plus loin.

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Marshall avait fondé lécole déconomie de Cambridge ainsi que la Faculté déconomie (Keynes, 1933). Il était la principale autorité de cette discipline à lUniversité de Cambridge. Keynes avait été son élève au début du xxe siècle et avait gardé pour lui une grande estime malgré son évolution au moment de lélaboration de The General Theory marquée par la rupture avec les postulats néo-classiques conservés dans lœuvre de Marshall.

Interrogeons-nous maintenant sur la diffusion des écrits économiques de Keynes en France dans les années 1930. Hormis Essays in Persuasion, aucun de ses articles postérieurs à 1929 nétait traduit et publié en français. On trouve bien dans Essais de persuasion larticle « Un programme doutillage national21 » (Keynes, 1933, p. 84) mais il nexiste pas de traduction française de larticle intitulé « A Monetary Theory of Production » (1933), traduit en allemand la même année, non plus que de « The Means to Prosperity » (1933), deux textes annonciateurs de la Théorie générale utilisant déjà le langage keynésien pour exprimer de nouveaux concepts (le multiplicateur demploi par exemple).

Enfin, examinons les dictionnaires économiques qui sans nul doute ont été consultés par Jean de Largentaye lorsquil entreprit la traduction de The General Theory. Deux ouvrages de ce type existaient à lépoque, le Dictionnaire de léconomie politique (Charles Coquelin, Gilbert-Urbain Guillaumin, 1864) et le Nouveau dictionnaire de léconomie politique (Léon Say, Joseph Chailley-Bert, 1900). Ceux-ci contenaient-ils la terminologie keynésienne ?

Certes, on y trouve « capital » (« le capital est créé par lépargne » marqueur de la théorie classique), « capital fixe », « capital circulant », « consommation », « désutilité », « épargne », « marginal », « prévision », « produit », « revenu », « revenu net », « spéculation », « taux dintérêt », « valeur nominale ou monétaire » qui figurent tous dans le lexique. Cependant les définitions sont longues, confuses et incomplètes. Parfois, elles sécartent nettement de celles de Keynes, le point de vue individuel étant retenu par opposition à celui de léconomie tout entière. 93Et, dans le cas de spéculation et taux dintérêt, les aspects strictement financiers ne sont pas développés.

En revanche, on ne trouve ni coût dusage, demande effective, équipement ou investissement (on utilisait le terme « outillage »), ni multiplicateur dinvestissement, plein emploi, propension à consommer ou taux dintérêt spécifique etc., concepts économiques introduits par Keynes.

En bref, ces deux dictionnaires nont pu être dun grand secours pour traduire les principaux termes techniques keynésiens.

Concluons. La formation économique de Largentaye ne lui permettait pas de connaître le nouveau langage keynésien ; les chercheurs et universitaires français étaient peu ouverts aux nouvelles idées de Keynes et, de plus, ils communiquaient peu avec les milieux de ladministration ; les textes précurseurs de The General Theory que Keynes avait publiés à partir de 1933 nétaient pas traduits et enfin les dictionnaires économiques ne constituaient guère une ressource.

Après son premier essai infructueux pour présenter une table de correspondance de termes techniques, Largentaye suivit les conseils donnés par Sraffa et Keynes, et consulta de nouvelles sources.

II.2. Les influences de Marshall, Mantoux, Lerner et Moisseev

Dans lannexe à la lettre de Keynes à Largentaye du 2 juin 1938 (voir infra), Sraffa écrivit :

But obviously he is not acquainted with the technical terms : he seems to be trying to translate them with the help of a dictionary or by the usage of business. Yet most of these terms can be found in Marshalls Principles in French, Lerners article in I.L.O. Review, and Étienne Mantouxs Review of the General Theory in Rev. dEc. Pol. (Nov.-Dec. 1937). Mantoux, very sensibly, has « frenchified » your technical words – and it sounds quite well. I send you a glossary, which I made reading Mantoux (with page and line references to his article), which may be useful to your translator22.

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Prenons dabord Marshall. Seul un petit nombre de termes techniques du lexique de la Théorie générale, figurent dans la traduction des Principles de Marshall avec leurs définitions23.

Choisissons deux termes typiquement marshalliens – « désutilité », et « marginal » – et comparons les définitions respectivement chez Marshall et Largentaye.

La définition de lexpression « disutilité (sic) marginale » dans la traduction française des Principles de Marshall est longue et peu précise :

[D]ans la plupart des occupations, cette partie de la tâche qui donne plus de plaisir que de peine et qui doit être dordinaire payée au même prix que le reste ; le prix de la tâche entière est donc déterminé par la peine quexige du travailleur cette partie du travail quil exécute avec le plus de répugnance et quil est presque sur le point de se refuser à exécuter (Marshall, 1906, t. 1, p. 287)

celle du lexique de la Théorie générale est courte et précise :

La désutilité du travail ou de lemploi est lensemble des raisons qui font quon ne travaille pas pour un salaire dont lutilité pour soi est inférieure à un certain minimum.

Le concept anglais « marginal » que lon trouve chez Marshall est traduit en français par « limite » :

Lutilité-limite dune chose pour une personne diminue avec toute augmentation de la quantité quelle en possède déjà (Marshall, 1906, t. 1, p. 222),

et dans le lexique de la Théorie générale, la définition de « marginal » est la suivante :

Le montant marginal de lattribut dune chose est le montant de lattribut possédé par la dernière unité existante de cette chose, cest-à-dire par lunité qui disparaîtrait si la quantité de cette chose était réduite dune unité.

Regardons maintenant Abba Lerner. Dans son article dont la version française est parue en 1936, le terme « expectations » est traduit par 95« prévision », et non par « anticipation » comme Sraffa lavait proposé dans son essai de glossaire (voir infra).

Prenons, enfin, Étienne Mantoux qui a inspiré les remarques de Sraffa (voir infra). Largentaye les retient presque toutes. Seules font exception « emploi complet » (pour « full employment »), « préférence de liquidité » (« liquidity preference »), « rendement probable » (« prospective yields ») ; en définitive Largentaye remplacera ces termes respectivement par « plein emploi », « préférence pour la liquidité » et « rendements escomptés ». Quant à « anticipations » (traduction suggérée par Sraffa pour « expectations »), Largentaye maintint « prévision » (comme Lerner) non sans en avoir discuté à Paris avec Étienne Mantoux et sêtre finalement accordé avec celui-ci sur cette traduction.

Enfin, selon la recommandation que Keynes formula dans sa lettre du 22 décembre 1938 (voir infra) Largentaye consulta larticle de léconomiste belge francophone Moise Moisseev24 notamment pour la traduction du concept « liquidity preference » :

One other suggestion relating to the technical terms I may pass on. A Belgian economist, Monsieur Moiseef (sic), who reviewed my book, is of the opinion that in the case of « liquidity preference » it is better either to adopt my English term (perhaps in italics) or to replace it in French by a direct definition ; for example – « les hommes préfèrent conserver leur avoir en argent liquide ». At any rate the latter phrase might be included in the table, which might help the reader25.

Nonobstant, Largentaye conserva sa traduction initiale, « préférence pour la liquidité ».

Muni de ces quatre sources dinspiration conseillées par Keynes, Largentaye élabore quelques semaines plus tard une première version de son lexique (cest-à-dire la table de correspondance complétée par les définitions de chacun des termes) puis une seconde26 quil envoie à 96Keynes. Sraffa et Keynes annotent ces deux versions. Le résultat final est la version davril 1939 du lexique qui sera publiée dans lédition Payot 1942 de la Théorie générale (voir infra).

Examinons maintenant quelques exemples de ce lexique dans sa dernière version.

III. QUELQUES EXEMPLES DE TRADUCTION

Nous reprendrons, ci-après, par ordre alphabétique, neuf termes du lexique dont les traductions et définitions ont été les plus discutées, complétées le cas échéant par les traductions retenues par lun ou lautre des trois économistes ci-dessus (Lerner, Mantoux et Moisseev) et par les commentaires apportés par Sraffa et Keynes au début de lannée 1939 (transcrits intégralement dans lannexe27). Pour certains termes, nous avons formulé nos remarques ou suggestions personnelles. Les numéros de page entre parenthèses sont ceux de lédition Payot 2017 de la Théorie générale.

1. Le coût dusage (user cost) est « la diminution de valeur subie par léquipement au cours de la période considérée du fait de sa participation à la production ».

Ce terme, lun des plus complexes du lexique, est longuement défini dans le chapitre 6, « La définition du revenu, de lépargne et de linvestissement » de la Théorie générale et dans l« Appendice sur le coût dusage » à la fin de ce chapitre (p. 119 à 130).

À notre avis, il aurait été éclairant dajouter après la courte définition ci-dessus le fait que le coût dusage est simplement le « désinvestissement résultant de la production », affirmation que lon trouve dans la seconde phrase de la définition ci-après de « linvestissement courant ».

2. Investissement courant (current investment) est « laddition à la valeur de léquipement qui résulte de lactivité productrice de la période. 97Il est donc égal aux achats A1 faits par les entrepreneurs, diminué du désinvestissement résultant de la production, cest-à-dire du coût dusage : I = A1-U ».

Dans lannexe à la lettre de Keynes du 2 juin 1938 (voir infra), Sraffa commente comme suit la traduction du terme anglais Investment par « Placement ou capital28 » figurant dans la première version de la table de correspondance de Largentaye datée du 8 mai 1938 :

These words have only the Stock Exchange sense of investment. M. [Mantoux, HL] (and also Rist) use always « investissement » : why not follow them29 ?

Sraffa a ignoré ici une des plus grandes sources de confusion issues de la polysémie du terme anglais « investment » qui, à notre avis, explique largement, comme on va le voir, la mauvaise compréhension de linnovation majeure de lœuvre de Keynes, cest-à-dire légalité des montants globaux de linvestissement et de lépargne et le rôle moteur joué par la première grandeur, la seconde nétant quune résultante. Cette source de confusion justifie que lon approfondisse ci-après les sens du terme « investissement » dans les deux langues, en français et en anglais.

Dans la Théorie générale, Largentaye traduit « investment » par « investissement » ou « placement » selon le contexte, en anglais : « investissement » lorsquil sagit dune addition à léquipement en capital (Keynes écrit alors généralement, current investment) et « placement » lorsquil sagit de lacquisition de titres sur le marché financier. Ainsi, la définition de « linvestissement » dans le lexique se termine par la phrase suivante (voir infra) :

Le terme placement que lusage tend à distinguer du terme investissement a été réservé au marché financier (Keynes, 2017, p. 483-484).

Joan Robinson, économiste cambridgienne et membre du cercle rapproché de Keynes qui contribua à lélaboration de la Théorie générale, 98évite la confusion inhérente à la polysémie du mot « investment » en anglais, en empruntant au français le mot « placement » pour désigner « the purchase of securities », cest-à-dire lacquisition de titres financiers. Elle devait écrire plus tard dans son ouvrage The Accumulation of Capital (Robinson, 1956, p. 8) :

It is convenient also to borrow from France the term placement to mean the purchase of titles to debts or shares, whether out of new savings recently made or from the proceeds of selling some other property.

The term investment can then be confined to the sense of using finance to cause capital goods to be created30.

Richard Kahn, également membre du cercle rapproché de Keynes31, devait à son tour écrire en 1984 que Keynes lui-même néchappait pas à cette confusion :

Considerable confusion is caused – Keynes was not immune to this confusion – by the ambiguity of the word « investment » which is used to mean both real investment and the purchase of Stock Exchange securities (Kahn, 1984).

Malheureusement, on constate que lusage actuel en français est demployer le terme « investissement » au sens financier, anglicisme qui constitue en loccurrence un grave contre-sens : « placement » dans ce cas est la traduction juste comme on la vu, il importe de le souligner.

Dernière remarque, il serait utile dajouter à la suite de la définition de l« investissement net », celle du terme « désinvestissement » que lon trouve au chapitre 7, « Nouvelles considérations sur le sens des notions dépargne et dinvestissement » :

Si nous considérons la vente dun investissement comme un investissement négatif, cest-à-dire comme un désinvestissement, notre définition concorde avec lusage populaire, puisque les échanges dinvestissements anciens sont forcés de sannuler (Keynes, [1942] 2017, p. 132).

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3. le Plein emploi (full employment) « est une situation telle que les facteurs de production désireux de travailler soient tous employés ».

Dans son article de 1937 de la Revue déconomie politique Mantoux écrivit :

Lexpression de « full employment » est dune traduction malaisée, et son usage, dans la littérature économique contemporaine, est universel [] Ce nest que dans la première décade (sic) du siècle actuel quun « volume complet de lemploi » obtint légalité des droits avec laccroissement du revenu réel comme critère de lefficacité économique (Mantoux, 1937, p. 1562).

Sraffa proposa en juin 1938 (voir infra) de reprendre la traduction de Mantoux, « volume complet de lemploi », ce que Largentaye ne suivit pas.

Celui-ci inventa alors « plein emploi » pour traduire le concept anglais full employment et Keynes ne sy opposa pas. Par cette expression, Largentaye introduisit donc dans la terminologie économique française, ce nouveau concept-clé, objectif prioritaire des politiques économiques dites keynésiennes.

4. la Préférence pour la liquidité (liquidity preference) « est la préférence donnée à largent liquide sur les autres formes de richesse ».

Dans sa lettre du 11 juin 1938 (voir infra), Largentaye fit part à Keynes de son désaccord pour traduire liquidity preference par « préférence de liquidité » comme ce dernier le demanda, selon la traduction de Mantoux. Largentaye proposa « préférence pour la liquidité », ce qui finalement ne suscita pas dobjection de lauteur, et le définit brièvement (voir ci-dessus).

Ce concept avait été inventé par Keynes et nexistait pas jusquen 1942 dans le vocabulaire économique français : on utilisait « demande de monnaie » ce qui est différent.

Sans le définir – comme Largentaye allait le faire dans son lexique – Keynes lavait décrit succinctement, de façon indirecte et peu compréhensible au chapitre 13, « La théorie générale du taux de lintérêt », section ii :

La préférence pour la liquidité est une virtualité ou tendance fonctionnelle qui fixe la quantité de monnaie que le public conserve lorsque le taux dintérêt est donné (Keynes, [1942] 2017, p. 235).

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À la fin de ce chapitre, on trouve un éclairage intéressant à propos du concept de « préférence pour la liquidité » :

Le concept de thésaurisation peut être considéré comme une première approximation du concept de préférence pour la liquidité. À vrai dire, si on remplaçait la « thésaurisation » par « la tendance à thésauriser », les deux concepts seraient strictement identiques (Keynes, [1942] 2017, p. 242).

Par ailleurs, lanalyse des trois motifs de la préférence pour la liquidité – transactions, précaution et spéculation – au début du chapitre 15, « Les motifs psychologiques et commerciaux de la liquidité » – constitue une approche détaillée du concept (Keynes, [1942] 2017, p. 267-268).

Limportance et la subtilité de ce nouveau concept auraient mérité à notre avis une définition plus longue dans le lexique, inspirée des remarques ci-dessus.

5. la Prévision à court terme (short term expectations) « a trait au prix quun fabricant, au moment où il sengage dans une fabrication, peut espérer obtenir en échange des produits qui en résulteront ».

En soumettant à Keynes sa première version du lexique (voir infra), Largentaye souligna la difficulté à exprimer précisément léquivalent du substantif anglais « expectation » figurant dans le titre du chapitre 5, « Expectation as Determining Output and Employment » ainsi que dans le titre du chapitre 12, « The State of Long Term Expectation ».

Il écrivit le 26 octobre 1938 :

The word « expectation » was a very difficult one for me. As a result of long discussions, I believe that the French word « prévision » is the best to suit with your thought. This word was employed also by the translator of Lerner and by Mantoux. The present tendency is to give it in the singular a much wider meaning than before32.

Cependant, tout en utilisant « prévision » dans les différents chapitres de louvrage, Largentaye sétait abstenu de faire figurer ce terme dans les deux premières versions du lexique soumises à Keynes. Ce nest que dans le lexique de lédition Payot de 1942 que « la prévision à court 101terme » et « la prévision à long terme » apparurent avec des définitions spécifiques liées à la durée du cycle (courte période et long terme, notions marshalliennes qui se réfèrent au cycle de production de lentreprise).

Dans sa première table de correspondance (voir infra), Largentaye avait déjà traduit « expectation » par « prévision » et Sraffa, dans son commentaire à Keynes, remplaça « prévision » par « anticipation », tout en indiquant que :

This word probably cannot be worked in French so hard as “expectation” in English : in some cases, but not always, prévision may be substituted : but in general prévision means forecast, and stands for something too precise33.

Dans son article de 1937, Mantoux pour sa part utilisa parfois « anticipations » mais le plus souvent « prévisions » (au pluriel) pour traduire « expectations » :

Ici, Keynes fait désormais entrer en ligne de compte les anticipations et, tout au long de son livre, cest en termes de prévisions (sic) que les nouvelles unités sont définies [] Ici apparaissent les fameuses prévisions car ce sont les prévisions des entrepreneurs qui déterminent le volume des sommes à investir… Cest sur les dépenses probables de consommation que les prévisions sont basées (Mantoux, 1937, p. 12 et 16).

Moisseev, quant à lui, traduisit, « expectation » par « espérances » :

Les espérances à court terme sont celles qui concernent un prix que le producteur peut espérer obtenir dès le lancement du processus de fabrication pour ses produits finis ou bien quil se décide à faire produire à un moment donné avec loutillage existant.

Les espérances à long terme sont celles qui concernent les gains que lentrepreneur escompte réaliser en achetant (et même en produisant) des produits finis pour renforcer son « capital equipment ».

Les espérances sont basées, partiellement, sur des faits existants, par exemple, le stock existant des types variés des biens de capital, limportance de la demande de la part des consommateurs pour des marchandises dont la fabrication nécessite une plus large assistance du capital et, partiellement, sur des faits quon peut prévoir avec plus ou moins de confiance (Moisseev, 1938, p. 108).

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Aujourdhui, le terme « anticipations » est souvent utilisé pour traduire « expectation ». Toutefois, « anticipations » comprend en anglais comme en français lacte volontaire qui lui est associé, ce qui nest pas le cas d« expectation » ou de « prévision ». La théorie des « rational expectations », à laquelle font référence de nombreux articles publiés dans les années 1980 est traduite en français par la théorie des « anticipations rationnelles34 ». Cette traduction naurait probablement pas plu à lauteur de The General Theory qui ne lavait dailleurs pas retenue parmi les suggestions de Sraffa.

Moisseev avait choisi « espérances ». Le traducteur allemand avait traduit « expectation » par « erwartung » qui signifie en français « attente ». Dans les différents chapitres de la Théorie générale, le traducteur français a utilisé « attendu », « espéré » ou « escompté » selon le contexte pour traduire « expected ».

6. le Produit (proceeds) dun certain volume de lemploi est le montant en argent du « revenu global qui résulte de ce volume demploi, i.e. la somme du coût de facteur global et du profit global ».

Répondant aux objections récurrentes de Keynes relatives à la traduction de « proceeds » par « produits », Jean de Largentaye sobstina et dans sa dernière lettre à Keynes, le 30 avril 1939 (voir infra) proposa une dernière fois de maintenir « produit » (plutôt que « rendement », « revenu » ou « recettes ») car ce mot comprend deux acceptions, à la fois « produit en nature » et « produit en argent ». Cependant, concédait-il, « recettes » nest pas impossible si Keynes lexigeait.

Keynes finalement accepta « produit » pour « proceeds », invoquant le fait quil ignorait la double acception en français du terme « produit » (voir infra).

7. le Revenu (income) « est la valeur de la production due à lactivité de la période considérée. Il comprend le revenu de lentrepreneur et le revenu des autres facteurs de production. Le revenu de lentrepreneur 103est égal à la différence entre le chiffre daffaires et le coût premier, i.e. la somme du coût de facteur et du coût dusage. Le revenu des autres facteurs de production est égal au coût de facteur. Donc le revenu est égal à la différence entre le chiffre daffaires et le coût dusage. R = A - U ».

Dans la première version du lexique, celle du début 1939, Keynes avait indiqué en marge quil ne reconnaissait pas la définition de « revenu » comme la sienne.

Toutefois, Sraffa qui travaillait sur cette version du lexique – annotée une première fois par Keynes – défendit le traducteur et écrivit en rouge à la main : « page [53] in fine et [54] ». Ce passage correspond en effet au chapitre 6, « La définition du revenu, de lépargne et de linvestissement » et sénonce comme suit :

Nous pouvons dès lors définir le revenu de lentrepreneur comme étant lexcès de la valeur des produits finis quil a vendus au cours de la période sur son coût premier. Par suite, comme le revenu du reste de la communauté est égal au coût de facteur de lentrepreneur, le revenu global est égal à A - U (Keynes, [1942] 2017, p. 106 et 107).

Le terme « revenu global », à notre avis, aurait dû figurer dans le lexique au lieu de « revenu » pour traduire « aggregate income ».

Dans les deux premières versions du lexique du début 1939, on trouve, à la suite de la définition du « revenu », la phrase suivante formulée par Largentaye et que Keynes et Sraffa avaient conservée :

Le revenu global, le « produit » et la demande effective ne sont quune seule et même chose, envisagée sous trois angles différents.

Cette phrase de Largentaye met en exergue lidentité de la demande effective, du revenu (global) et du produit (global), triptyque que lon peut considérer comme un des éléments-clés de la Théorie générale. Malheureusement, Largentaye la supprima dans la version publiée en 1942.

Autre suppression regrettable, celle qui figurait dans la première version du lexique de 1939, conservée par Keynes et Sraffa :

On considère que dans la courte période, il ny a quun seul montant du revenu qui soit associé à chaque volume de lemploi.

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Largentaye supprima cette phrase dans la seconde version du lexique 28 mars 1939, ce qui est dommage car elle éclaire celle qui lui succède et qui a été gardée dans la version du lexique publiée en 1942 :

Le revenu et lemploi varient donc35 parallèlement et sont les variables dépendantes du système.

On pourrait enfin ajouter que les trois grandeurs, le revenu global, le produit global et la demande effective ont la même valeur et sont des variables dépendantes (ou endogènes).

8. le taux de troc extérieur (terms of trade) « ou rapport réel des échanges est une notion qui tient une place importante dans les études classiques ».

Largentaye définit cette expression par sa mesure : « le rapport entre lindex de prix importés et lindex des produits exportés » (Taussig) ou « le rapport entre une quantité de travail étranger et la quantité de travail national qui séchange contre la première sous forme de marchandises et de services » (Marshall).

Lannotation « not necessary » de Keynes en marge des mots « taux des échanges » dans la première version du lexique de début 1939 indiquait sans doute que lauteur ne jugeait pas utile dinclure « terms of trade » dans ce lexique.

Dans lédition 1969 de la Théorie générale (Petite Bibliothèque Payot)36, Largentaye traduisit « terms of trade » par « termes de léchange », expression qui était alors couramment admise en français. La définition (Keynes, [1942] 2017, p. 487) reste la même que celle du lexique de la première édition Payot (1942).

9. la vitesse de transformation de la monnaie en revenu (income velocity of money) « est un concept de lécole classique qui peut être défini par le rapport entre le revenu et la quantité de monnaie ».

La définition de cette expression dans le lexique de lédition Payot 1942 (et ultérieures) reprend à peu près celle que Keynes lui avait donnée 105au début du chapitre 15, « Les motifs psychologiques et sociaux de la liquidité » :

[C]ar cette vitesse de transformation mesure simplement la proportion de ses revenus que le public désire conserver sous la forme liquide (Keynes, [1942] 2017, p. 266).

Keynes annota en marge de cette expression : « Do I use this term ? » et « Better omit. This is not a term I use ». Pourtant, Keynes lavait utilisée sept fois au total dans la Théorie générale (Keynes, [1942] 2017, p. 266, p. 274, p. 282, p. 336, p. 375, p. 385, p. 391) mais il ne souhaitait pas quelle fît partie du nombre limité de mots du lexique français censés caractériser sa nouvelle théorie. Nonobstant, dans le lexique publié en 1942 et dans les éditions ultérieures de la Théorie générale, lexpression ainsi que sa définition seront conservées.

Les neuf termes du lexique qui ont été présentés donnent un aperçu des discussions qui ont eu lieu entre Largentaye, Keynes et Sraffa, ces deux derniers nayant dailleurs pas toujours eu le même point de vue. Le lecteur intéressé pourra se reporter à lannexe reproduite dans ce numéro pour prendre connaissance des échanges qui ont porté sur les autres termes.

Dans sa lettre du 3 avril 1939 évoquant pour la dernière fois le lexique, Keynes exprima avec emphase sa satisfaction suscitée par cette œuvre de son traducteur :

What a heavy work it has been ! I hope you have not felt overburdened by it. I much appreciate how much trouble you have taken, and the success with which you have tackled an awkward task37.

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Conclusion

Lélaboration de la table de correspondance qui allait devenir un lexique suivit un processus se déroulant pendant vingt mois, parallèlement à la traduction des vingt-quatre chapitres de la Théorie générale. Ce lexique, œuvre du traducteur à la fois audacieuse et singulière, sans équivalent dans les traductions allemande et japonaise de 1936, joue un rôle essentiel dans la compréhension de la Théorie générale et de ses nouveaux concepts ; il constitue une armature théorique soutenant lensemble de la traduction. Il introduit un nouveau vocabulaire dans le langage économique français grâce à de nouveaux termes, tous validés par Keynes.

Il reste à réviser régulièrement ce canevas de concepts et définitions, nécessairement incomplet et sujet à obsolescence, en restant fidèle à la pensée de ce grand économiste du xxe siècle afin de le rendre utile au lectorat francophone contemporain. Quelques pistes seront suggérées dans cette perspective.

Il nous semble dabord que le lexique français, qui ne comporte dans la dernière édition de la Théorie générale, celle de Payot 2017, que cinquante-sept termes, gagnerait à être enrichi comme Keynes en avait exprimé le souhait dans sa lettre du 3 avril 1939 (« I should have rather expected that there would be a larger number of terms in the complete version »)38. Trois termes en particulier auraient pu être ajoutés dès la première édition de 1942.

En premier lieu le terme « inflation » qui nétait pas employé dans le sens keynésien dans les années 1930 – on disait alors « reflation » (Armand de Largentaye, 2021) – absent du lexique, pourrait y être introduit. Sa définition est donnée au chapitre 21, « La théorie des prix » :

Lorsquun nouvel accroissement du montant de la demande effective ne provoque pas de nouvelle augmentation du volume de la production et se traduit par un accroissement de lunité de coût qui lui est pleinement proportionnel, on est parvenu à un état quon peut proprement qualifier dinflation véritable (Keynes, [1942] 2017, p. 390).

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Deuxièmement, plusieurs termes dérivés de « taux dintérêt » et qui se trouvent dans lindex anglais à la fin de The General Theory, auraient pu figurer dans le lexique français, en particulier « taux dintérêt déquilibre », « taux dintérêt à court terme », « taux dintérêt naturel », « taux dintérêt neutre » avec leurs définitions respectives. En effet, ce sont des concepts importants peut être encore plus aujourdhui quà lépoque de Keynes.

Le terme « thésaurisation » tel quil est présenté à la fin du chapitre 13, « La théorie générale du taux de lintérêt » (Keynes, [1942] 2017, p. 242), mériterait aussi dentrer dans le lexique et dêtre développé. Après la publication de The General Theory, ce terme a été au cœur de controverses portant sur le caractère exogène ou non de la quantité de monnaie et encore de nos jours son utilisation dans le langage courant peut être source de confusion par exemple, quand « thésauriser » au lieu de « tendance à thésauriser » (léquivalent de « préférence pour la liquidité ») est employé.

Par ailleurs, si les anglicismes et les « francisations » de termes anglais sont à éviter dune façon générale, constatons que certains termes économiques anglais ont fini par simposer dans la langue française et devraient aussi entrer dans le lexique. Ainsi, lexpression « animal spirits » que Keynes a utilisée en particulier dans le chapitre 12, « Létat de la prévision à long terme », est devenue un des emblèmes de la terminologie keynésienne. Elle a été traduite par « enthousiasme naturel » (édition 1942) puis par « dynamisme naturel » (1969). Aujourdhui, notamment depuis la publication dAnimal Spirits dAkerlof et Shiller en 2009, cette expression fait assurément partie du langage économique et financier français. Dans une nouvelle version du lexique, la définition pourrait sinspirer de celle de Joan Robinson pour qui les esprits animaux « incitent les entrepreneurs à prendre des risques dinvestissement » (Robinson, 1957, p. 523-538). Lexpression « esprits animaux » a dailleurs été reprise dans lédition 2017 de Payot de la Théorie générale (Keynes, [1942] 2017, p. 228) mais ne fait pas encore partie du lexique.

Le rassemblement de brèves notices sur les économistes figurant dans lindex anglais de The General Theory (Keynes, 1936, p. 385-403) formerait une « galerie de portraits » de condisciples de Keynes choisis et décrits par lui. Y figureraient des noms tels que Böhm-Bawerk, Hayek, Heckscher, Malthus, Marshall, Pigou, Walras… Ce recueil dont la singularité résulterait de la vision de Keynes de ces économistes et de 108leurs œuvres, en relation avec la Théorie générale, pourrait constituer un document distinct du lexique.

Dautres développements du lexique, rendus possibles par les technologies modernes et justifiés par linternationalisation des échanges, seraient souhaitables.

À linstar de lindex anglais, on pourrait indiquer les numéros des pages de la Théorie générale où apparaît chacun des termes définis, ce qui faciliterait lutilisation pratique du lexique pour le lecteur français.

À partir des traductions dans la douzaine de langues de la Théorie générale qui existent déjà39, on pourrait ajouter pour chaque terme du lexique français, les traductions dans quelques langues, comme cela a été fait par exemple pour la terminologie freudienne40. Cette variante multilingue de la table déquivalence rejoindrait ce que souhaitait Keynes en 1938, au début du processus de la traduction française. Chaque terme serait suivi de sa définition en français. Et ce dictionnaire multilingue de la terminologie keynésienne pourrait être mis en ligne sur internet facilitant ainsi les échanges à travers le monde déconomistes se réclamant de la Théorie générale.

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RÉfÉrences

Publications

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Gide, Charles & Rist, Charles [1909], Histoire des doctrines économiques, 5e éd., Paris, Sirey, 1926.

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Laplanche, Jean & Pontalis, Jean-Baptiste [1967], Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF.

Largentaye, Armand de [2021], « Jean de Largentaye, lardent traducteur de The General Theory », dans ce numéro.

110

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Documents inÉdits

Archive Centre, Kings College, Cambridge (England)

JMK/ GTE/ 3-3B Correspondance entre J.M. Keynes et J. de Largentaye (1938-1946)

– 18 lettres de J.M. Keynes à J. de Largentaye.

– 17 lettres de J. de Largentaye à J.M. Keynes.

111

Archives privées (famille Largentaye)

Projets de Lexique de la Théorie générale de J.M. Keynes, corrections manuscrites et commentaires de J.M. Keynes et de P. Sraffa (versions de début 1939 et du 28 mars 1939).

112

Annexe

Lexique de la Théorie générale annoté par Keynes et Sraffa

Remarques préliminaires

Les archives familiales du traducteur comprennent deux des dernières versions du projet de lexique. La première date de début 1939 sans quil soit possible den donner la date précise, la seconde accompagnait la lettre de Largentaye à Keynes datée du 28 mars 1939. Ces deux versions provisoires sur lesquelles Keynes et Sraffa ont porté leurs annotations manuscrites en anglais ont permis de reconstituer la version définitive du lexique figurant à la fin de la Théorie générale, publiée par Payot en 1942, et sur laquelle sappuie la présente Annexe.

Les annotations en anglais de Keynes et de Sraffa sont indiquées par un astérisque et sont suivies par leur traduction en français en petits caractères.

Par exemple : Le produit (proceeds)*

* Keynes : Proceeds is a sum of money. Saying “produit” is confusing in that sense since it suggests a result in terms of goods.Proceeds’’est une somme dargent. Dire « produit » prête à confusion en ce sens où ce terme suggère un résultat en termes de biens.

Selon les conventions conclues entre auteur et traducteur et rappelées au début du lexique41, lorsque la définition correspond à celle que Keynes a énoncée dans un des chapitres de son ouvrage, traduite en français dans lédition Payot, elle figure entre guillemets dans le lexique. Elle est suivie dans celui-ci, entre parenthèses, du numéro de la page de référence dans lédition française de la Théorie générale ; à cette fin, nous avons jugé plus pratique pour la présente annexe dutiliser la pagination de la dernière édition de la Théorie générale, celle de Payot 201742.

113

LEXIQUE

Le présent lexique, qui est lœuvre du traducteur, est uniquement destiné à faciliter au lecteur lintelligence du texte français. Beaucoup des définitions quil contient ont un caractère explicatif et il convient de ne pas leur accorder la même portée quaux définitions de lauteur qui figurent dans le corps de louvrage. Lorsque celles-ci ont été reproduites littéralement, elles sont entre guillemets et la référence au texte est indiquée (N. du T.)43.

Le mot capital ou équipement en capital (capital equipment) sapplique aux richesses utiles de toutes sortes. Le capital comprend par conséquent les moyens de production, loutillage, les stocks de marchandises, les maisons dhabitation, etc. En aucun cas ce mot nest pris dans le sens restreint de monnaie quon lui donne parfois, par exemple lorsquon parle de mouvements internationaux de capitaux.

Le capital fixe (fixed capital) est le capital qui existe sous une forme durable et dont les rendements séchelonnent sur une certaine période. Sa participation à la production nentraîne pour lui quune usure graduelle. Il comprend les immeubles, loutillage, etc.

Le capital circulant ou capital dexploitation (working capital) comprend les marchandises en cours de fabrication.

Le capital liquide (liquid capital) comprend les produits achevés prêts à être vendus.

La crise (crisis), au sens restreint du mot, est caractérisée par la baisse soudaine de lefficacité marginale du capital au début dune phase de dépression.

Lefficacité marginale dun type de capital (marginal efficiency of a type of capital) est le taux descompte qui rend la valeur actuelle de la série dannuités constituée par les rendements escomptés dune unité supplémentaire de ce capital égale à son prix doffre. (i.e. approximativement à son prix de revient).

« Lefficacité marginale du capital (marginal efficiency of capital) est la plus élevée des efficacités marginales des divers types de capital » (p. 200).

Lefficacité marginale du capital décroît lorsque, toutes choses égales dailleurs, linvestissement courant augmente.

114

La courbe de lefficacité marginale du capital ou courbe de la demande de capital (schedule of the marginal efficiency of capital or investment demand schedule) relie lefficacité marginale du capital au montant de linvestissement* courant. Cette courbe est une des trois variables indépendantes du système, cest-à-dire quelle change pour des causes autonomes.

*Keynes : during a given period or current (as the definition of current is given below, current is better, I think) (p. 136). « pendant une période donnée » ou « courant » (comme la définition de « courant » est indiquée ci-dessous, « courant » est préférable, je pense) (p. 200).

Le chiffre daffaires (sales-turnover) est le montant des ventes effectuées, tant aux consommateurs quaux entrepreneurs, pendant la période considérée.

La consommation (consumption). La dépense pour la consommation (expenditure on consumption) est « la valeur des biens vendus aux consommateurs durant la période considérée » (p. 115). Son montant global est égal au chiffre daffaires A diminué des ventes A1 faites aux autres entrepreneurs, cest-à-dire à A - A1. La ligne de séparation entre les entrepreneurs et les consommateurs peut être placée en un point arbitrairement choisi.

Ladjectif courant (current) désigne le montant dune grandeur variable à lépoque que lon considère ou encore pendant la période que lon considère si la grandeur qualifiée a la dimension dune quantité par unité de temps, comme le revenu, la consommation, lépargne ou linvestissement. Lorsquon a affaire à ces dernières grandeurs, on désigne leur mesure par le mot montant, étant entendu quil sagit du montant par unité de temps, ou dune façon plus précise par le mot flux.

Le coût de facteur (factor cost) dun certain volume demploi est « le montant payé par lentrepreneur aux facteurs de production (autres que les entrepreneurs) en échange de leurs services courants » (p. 73).

Le coût dusage (user cost) est « la diminution de valeur subie par léquipement au cours de la période considérée du fait de sa participation à la production » (p. 125)44. La différence entre G - B, valeur 115maximum quaurait pu avoir léquipement à la fin de la période sil était resté inactif et G valeur quil a réellement à la fin de la période provient dune part de la diminution de valeur U résultant de sa participation à la production, dautre part de laugmentation de valeur A1 résultant des achats au dehors*. On a donc :

(G – B) – G = U – A1

et, par suite :

U = (G – B) – (G – A1)45.

Lorsquà la fin de la période, la valeur réelle de léquipement dépasse, dun montant supérieur aux achats faits hors de lentreprise, la valeur maximum quil aurait pu avoir sil était inactif, le coût dusage est négatif.

*Keynes : isnt this, perhaps, an unnecessary repetition of the text ? Nest-ce pas, peut-être une répétition inutile du texte ?

Le coût premier (prime cost) est « la somme du coût de facteur et du coût dusage » (p. 105-106).

Le coût supplémentaire (supplementary cost) est « la diminution de valeur de léquipement qui ne dépend pas de la volonté de lentrepreneur mais que celui-ci peut prévoir. Cest encore lexcès de la dépréciation attendue sur le coût dusage » (p. 109). Le coût supplémentaire ne résulte pas de la participation de léquipement à la production, mais de la désuétude et des pertes assez régulières pour constituer dans lensemble de la communauté 116des risques assurables. On distingue le coût supplémentaire fondamental (basic) qui est déterminé à lorigine compte tenu du coût de léquipement et de sa durée prévue, et le coût supplémentaire courant (current) qui est réévalué ultérieurement sur la base de la valeur courante de léquipement et de lestimation courante de sa durée future dexistence.

La courbe de la demande globale (aggregate demand function) relie les divers volumes globaux de lemploi aux « produits »* que les entrepreneurs espèrent en tirer. Conjointement avec la courbe de loffre globale elle détermine la demande effective et lemploi.

*Keynes : souligne le mot « produits » ; “proceeds” is not produits. It means “sale proceeds46 ; “proceeds” nest pas « produits ». Ce terme signifie « chiffre daffaires ».

La demande effective (effective demand) est « le montant47 du “produit” attendu au point de la courbe de la demande globale où elle est coupée par la courbe de loffre globale » (p. 76). En dautres termes elle est la somme des dépenses de consommation et des dépenses dinvestissement, telles que les entrepreneurs les prévoient lorsquils fixent le volume de lemploi. La demande effective a la nature dune commande ou dune dépense et ne doit pas être confondue avec la demande potentielle qui intervient dans la loi de loffre et de la demande. De plus elle est une demande attendue et cest par là quelle se distingue du revenu.

La désutilité (disutility) du travail ou de lemploi est lensemble des raisons qui font quon ne travaille pas pour un salaire inférieur à un certain minimum. De même que lutilité est laptitude à satisfaire un besoin, la désutilité est laptitude à contrarier un besoin. Un travail ou un emploi est désutile parce quil empêche de se consacrer à une autre occupation, utile ou non, ou simplement parce quil contrarie le goût de ne rien faire. La désutilité se distingue de la nuisance par son caractère subjectif – elle nexiste que par rapport au travailleur lui-même – et aussi par le fait que normalement elle est compensée par une utilité qui lui est égale ou supérieure.

Lemploi (employment) est le nombre des unités de travail employées. Pour fixer les idées, on pourrait dire quil est le nombre dheures de 117travail fournies. Dans la définition plus précise donnée au chapitre 4, il est indiqué que chaque unité de travail est affectée dun coefficient de pondération égal au rapport entre sa rémunération et lunité de salaire. Lemploi est gouverné par la demande effective. Il varie parallèlement au revenu et ces deux quantités sont les variables dépendantes du système.

Le mot entreprise (enterprise) est généralement employé dans le sens ordinaire. Mais on lemploie aussi dans un sens restreint applicable au marché financier. Dans ce sens, il soppose au mot spéculation et désigne « lactivité qui consiste à prévoir le rendement des capitaux au cours de leur existence tout entière48 » (p. 225).

Lépargne (saving) est « lexcès du revenu sur la consommation » (p. 115).

Lépargne nette (net saving) est « lexcès du revenu net sur la consommation » (p. 115).

Equipement (equipment) : voir Capital.

Seul est considéré comme facteur de production (factor of production) dans le présent ouvrage le travail y compris les services personnels de lentrepreneur et de ses assistants.*

*Keynes : Delete. There is no such definition in the text. I do not want to exclude someone from calling a machine a factor of production49. Supprimer. Il nexiste pas une telle définition dans le texte. Je ne veux pas exclure quelquun qui appellerait une machine un facteur de production.

Lincitation à investir (inducement to invest) est le motif qui pousse à investir. « Elle dépend de la courbe de lefficacité marginale du capital et du taux de lintérêt » (p. 201)50.

118

Linvestissement courant (current investment) est « laddition à la valeur de léquipement qui résulte de lactivité productrice de la période » (p. 115-116). Il est donc égal aux achats A1 faits par les entrepreneurs diminués du désinvestissement résultant de la production, cest-à-dire du coût dusage,

I = A1 – U.

Linvestissement net (net investment) est « ladjonction nette à la valeur des équipements de toute nature, après déduction des variations de la valeur des anciens équipements qui entrent dans le calcul du revenu net51 » (p. 132).

I (net) = A1 – U – V.

Linvestissement et linvestissement net sont identiques respectivement à lépargne et à lépargne nette.

Le terme placement que lusage tend à distinguer du terme investissement a été réservé au marché financier.

La préférence pour la liquidité (liquidity preference) est la préférence donnée à largent liquide sur les autres formes de richesse. Elle se mesure par la valeur de ses ressources52 quon désire conserver à chaque instant sous forme de monnaie53.

La courbe de la préférence pour la liquidité (schedule of liquidity preference) est la courbe « indiquant le montant de leurs biens que les individus désirent conserver sous forme de monnaie en différentes séries de circonstances » 119notamment lorsque le taux de lintérêt varie, « ce montant étant calculé en unités de monnaie ou en unités de salaire54 » (p. 233)55.

Le montant marginal (marginal) de lattribut dune chose est le montant de lattribut possédé par la dernière unité existante de cette chose, cest-à-dire par lunité qui disparaîtrait si la quantité de cette chose était réduite dune unité. Par exemple, le salaire marginal ou la production marginale est le salaire ou la production de lunité de travail qui disparaîtrait si lemploi était réduit dune unité. Dans le calcul différentiel, le montant marginal de lattribut est le rapport des variations corrélatives de lattribut et de la chose à laquelle il se rapporte lorsque les deux variations tendent vers zéro.

Un procédé médiat (roundabout process) de production, est un procédé qui met en œuvre le capital*. Il se divise donc en plusieurs stades. Les stades primaires correspondent à la création du capital et les stades secondaires à lutilisation du capital pour la production des biens de consommation.

*Keynes : ch. 1656.

Le multiplicateur dinvestissement (investment multiplier) k « indique que, lorsque linvestissement croît, le montant du revenu augmente de k fois laccroissement de linvestissement » (p. 176)57.

120

Le multiplicateur de lemploi (employment multiplier) est le rapport entre laugmentation de lemploi total et laugmentation de lemploi primaire (cest-à-dire de lemploi dans les industries produisant les biens de capital)58 auquel il est associé (p. 176-177).

Le prix de loffre globale (aggregate supply price) de la production résultant dun certain volume demploi est « le produit attendu* qui est juste suffisant pour quaux yeux des entrepreneurs il vaille la peine doffrir ce volume demploi59 » (p. 74). On remarquera que « le coût dusage nest pas compris dans le prix de loffre globale » (p. 74, note 2).

*Keynes : No, attendu ; annotation à côté du mot « escompté » que le traducteur avait écrit dans la version du 28 mars 1939 du lexique et que Keynes avait souligné.

La courbe de loffre globale (aggregate supply function) relie les divers volumes globaux de lemploi aux prix de loffre globale de la production qui en résulte. Lemploi cesse de croître lorsque le prix de la demande globale est égal au prix de loffre globale, cest-à-dire lorsque le volume de lemploi est tel que le « produit » espéré* par les entrepreneurs est juste suffisant pour les décider à offrir ce volume demploi.

*Keynes a entouré le mot « escompté » utilisé dans la version du 28 mars 1939 du lexique et que le traducteur a remplacé par « espéré60 » dans la version finale.

Le prix doffre de courte période dune richesse (short period supply price) est égal « au coût premier marginal » (p. 122) cest-à-dire à la somme des valeurs marginales du coût de facteur et du coût dusage. Le prix doffre de courte 121période sapparente à ce quon appelle parfois le prix de revient partiel, encore que celui-ci ne paraisse pas comprendre lintégralité du coût dusage.

Le prix doffre de longue période (long period supply price) est supérieur au prix doffre de courte période. On y peut distinguer le coût premier, le coût supplémentaire, le coût de risque et le coût dintérêt (p. 122)*.

*Keynes : Not an exact quotation or definition Line 1861. Ce nest pas une citation exacte ni une définition. Ligne 18.

La courte période (short period) est une notion usuelle dans léconomie classique. Elle correspond à une période assez courte pour que le volume de léquipement ne puisse pas changer sensiblement*.

*Keynes : I think it is very useful to give to the French reader a definition of this concept. Perhaps would you prefer another. Quite satisfactory. Je pense quil est très utile de donner au lecteur français une définition de ce concept. Peut-être en préféreriez une autre. Très satisfaisant.

La longue période (long period) correspond à une période au cours de laquelle le volume de léquipement peut subir des variations appréciables.

La perte imprévisible (windfall loss) est « la diminution de valeur de léquipement qui est tout à la fois involontaire et, au sens large, imprévue » (p. 110). Elle peut être due à une variation des valeurs de marché, à une catastrophe, etc.

Le plein emploi (full employment) est une situation telle que les facteurs de production désireux de travailler soient tous employés. Elle se caractérise par le fait que laugmentation du montant de la demande effective ne saccompagne daucun accroissement des volumes de la production et de lemploi. Le plein emploi peut encore être défini « le volume maximum de lemploi compatible avec un salaire réel donné » (p. 62)62.

122

La prévision à court terme63 (short term expectation) « a trait au prix quun fabricant, au moment où il sengage dans une fabrication, peut espérer obtenir en échange des produits qui en résulteront (p. 98) ».

La prévision à long terme (long term expectation) « a trait aux sommes que lentrepreneur peut espérer gagner sous forme de revenus futurs sil achète (ou parfois sil fabrique) des produits finis pour les adjoindre à son équipement en capital (p. 98)64 ».

Le produit (proceeds)* dun certain volume de lemploi est le montant en argent du « revenu global qui résulte de ce volume demploi, i.e. la somme du coût de facteur global et du profit global » (p. 74). Le « produit » est le revenu global envisagé du point de vue des entrepreneurs, i.e. le chiffre daffaires diminué du coût dusage.

* Keynes : Proceeds is a sum of money. Saying “produit” is confusing in that sense since it suggests a result in terms of goods65. “Proceeds’’est une somme dargent. Dire « produit » prête à confusion en ce sens où ce terme suggère un résultat en termes de biens.

La propension à consommer (propensity to consume) est la relation fonctionnelle (ou potentielle) « entre un revenu global et la dépense de consommation à laquelle il donne naissance, les deux quantités étant mesurées en unités de salaire » (p. 148). Elle est en quelque sorte, la relation entre les divers volumes possibles du revenu réel et les volumes de la consommation réelle qui leur correspondent. La propension à consommer est la deuxième variable indépendante du système.

La propension marginale à consommer est « le rapport entre laccroissement du revenu et laccroissement corrélatif de la consommation, les deux quantités étant mesurées en unités de salaires » (p. 176)66.

Les ressources (resources) comprennent les facteurs de production, la richesse naturelle et le capital accumulé.

123

Le revenu (income) est la valeur de la production due à lactivité de la période considérée. Il comprend le revenu de lentrepreneur et le revenu des autres facteurs de production. Le revenu de lentrepreneur est égal à la différence entre le chiffre daffaires et le coût premier, i.e. la somme du coût de facteur et du coût dusage. Le revenu des autres facteurs de production est égal au coût de facteur. Donc le revenu est égal à la différence entre le chiffre daffaires et le coût dusage,

R* = AU.

Le revenu et lemploi varient parallèlement et sont les variables dépendantes du système.

Ajoutons que le revenu est égal à la somme de la consommation et de linvestissement.

*Keynes a entouré R et annoté : “Y is my usual symbol for income. Dangerous to change. I may use R for something else”. Y est le symbole que jutilise dhabitude pour revenu. Il est dangereux de changer. Je pourrais utiliser R pour autre chose67.

Le revenu net (net income) est égal au revenu diminué du coût supplémentaire, A – U – V. Il est égal à la somme de la consommation et de linvestissement net.

La spéculation (speculation), au sens boursier du mot, est « lactivité qui consiste à prévoir létat psychologique du marché financier » (p. 225).

Le taux de troc extérieur68 (terms of trade)* ou rapport réel des échanges extérieurs est une notion qui tient une place importante dans les études classiques et néo-classiques consacrées aux avantages respectifs que les pays tirent de leurs échanges. Plusieurs mesures de ce taux ont été proposées. Le taux net de troc de Taussig est le rapport entre lindex des prix des produits importés et lindex des produits exportés. Le taux de troc extérieur de Marshall est en gros le rapport entre une quantité de travail étranger et la quantité de travail national qui séchange contre la première sous forme de marchandises et de services.

124

*Keynes : “I am doubtful that this is an equivalent. Doesnt it suggest foreign exchange rates ? Perhaps les taux des marchés (internationaux)’’. « Je doute que cela soit un équivalent. Cela ne suggère-t-il pas des taux de changes ? Peut-être les taux des marchés internationaux ».

Le taux dintérêt dune richesse quelconque (own rate of interest), déterminé au moyen de cette richesse elle-même, est le pourcentage dexcès dune certaine quantité de cette richesse livrable à terme sur la quantité immédiatement disponible de cette richesse qui séchange contre la première.

Toute richesse durable a un taux dintérêt propre quon appelle son taux dintérêt spécifique.

Le taux dintérêt spécifique dune richesse, déterminé au moyen dun étalon de valeur quelconque, (own rate of interest in terms of a standard of value) est le pourcentage dexcès de la valeur dune certaine quantité de cette richesse livrable à terme sur la valeur de la quantité immédiatement disponible de cette richesse qui séchange contre la première quantité, les deux valeurs étant exprimées au moyen de létalon choisi.

Le taux dintérêt spécifique monétaire (own rate of money interest) est le taux dintérêt dune richesse, déterminé au moyen de la monnaie prise comme étalon de valeur.

Le taux dintérêt de largent (money rate of interest) est le pourcentage dexcès dune certaine somme de monnaie livrable à terme sur la somme immédiatement disponible qui séchange contre la première.

Le taux dintérêt de largent, qui est la troisième variable indépendante du système, est gouverné par la quantité de monnaie et par la préférence pour la liquidité

Lunité de travail (labour unit) est lunité qui sert à mesurer lemploi.

Lunité de salaire (wage unit) « est le salaire monétaire* de lunité de travail » (p. 92).

*Keynes : ? en monnaie.

La valeur nominale ou monétaire (money value) est le nombre des unités de monnaie* contenu dans une valeur ou un prix. La valeur monétaire et lemploi sont les deux seules grandeurs quantitatives utilisées dans lanalyse du système économique. Pour suivre les variations des valeurs réelles, il est souvent commode, en première approximation, de considérer les valeurs monétaires, mesurées en unités de salaire.

125

*Keynes a noté un point dinterrogation en marge à gauche et a entouré “ou de salaire”.

* Sraffa : cf., p. 9269.

La vitesse de transformation de la monnaie en revenu* (income-velocity of money) est un concept de lécole classique qui peut être défini par le rapport entre le revenu et la quantité de monnaie70.

*Keynes : Better omit. This is not a term I use71. À supprimer de préférence. Ce nest pas une expression que jutilise.

Sraffa : This term comes from Haberlers book “Prosperity and depression”72 translated very carefully by the Society of Nations. Cette expression vient du livre dHaberler, Prospérité et dépression traduit avec beaucoup de soin par la Société des Nations.

1 Larticle sappuie sur des documents inédits, dune part la correspondance de 24 lettres entre J.M. Keynes et Jean de Largentaye entre janvier 1938 et juin 1939, dautre part deux versions de la « table déquivalence » (ou « table de correspondance ») et deux versions disponibles du projet de « lexique », étant entendu quun certain nombre de versions intermédiaires de ce lexique ont disparu. La famille de Jean de Largentaye a légué en 1996 la correspondance et certains autres documents relatifs à la traduction française de The General Theory de Keynes à lArchive Centre de Kings College, Cambridge (R.U.), où ils peuvent être consultés (voir infra). Lautrice remercie chaleureusement les réviseurs ainsi que Ramón Tortajada pour leur examen approfondi de ce texte et pour leurs propositions damélioration dont elle a été conduite à tenir très utilement le plus grand compte. Sauf indication contraire, toutes les traductions danglais en français sont faites par lautrice de cet article.

2 Largentaye utilisa pour sa traduction la réimpression de décembre 1936 de The General Theory de Keynes. Louvrage est toujours dans la bibliothèque familiale. Il se létait procuré chez « BRENTRANOS Bookseller & Stationers, PARIS » comme lindique une étiquette en troisième de couverture. La librairie existe toujours.

3 « En contribuant à dissiper les erreurs si profondément ancrées dans lesprit du public, la large diffusion de votre œuvre en France faciliterait certainement la solution aux difficultés contre lesquelles notre pays se débat à présent ».

4 « Ma principale préoccupation, en effet, est de faciliter le plus possible la compréhension de la traduction pour les lecteurs qui ne sont pas des étudiants déconomie politique. Cest pourquoi, dans la mesure du possible, jai utilisé des mots de tous les jours ou du monde des affaires. »

5 Le texte original de la préface avait été perdu par léditeur anglais de Keynes de sorte que la version française fut traduite en anglais ; ce nest que dans les années 1970 que le texte original fut retrouvé par la famille Largentaye qui le remit à léditeur anglais. Il figure à présent dans The General Theory (Keynes, [1936] (2007), p. xxi-xiv).

6 Nous avons repris ici la première traduction revue mot à mot par Keynes et publiée dans lédition Payot de 1942 ; elle devait être légèrement modifiée lors de la révision de la traduction publiée en 1969 et dans les éditions postérieures.

7 « La tâche la plus importante, je pense, est dobtenir des équivalents convenables pour mon ensemble de termes techniques. Mon traducteur allemand sest donné un mal particulier à ce propos et a fourni en fait, à la fin de louvrage, une table déquivalents entre langlais et lallemand des termes quil avait adoptés. Je crois quil serait utile que vous puissiez me remettre une liste de vos suggestions à cet égard ».

8 David M. Bensusan Butt (1914-1994), étudiant puis assistant de Keynes à Kings College, est connu, notamment, en tant quauteur de On Economic Growth : an Essay in Pure Theory (Oxford, Clarendon Press, 1960).

9 Eduard Rosenbaum, choisi par Keynes dans un premier temps comme traducteur avait dû renoncer en mai 1935 à la traduction (voir H. de Largentaye, 2021). La maison dédition allemande Duncker & Humblot engagea alors Fritz Waeger. Celui-ci commença à traduire les chapitres de The General Theory qui étaient prêts dès lautomne 1935 et termina la traduction en décembre 1936. Pendant ces quinze mois, auteur et traducteur entretinrent une correspondance dune quinzaine de lettres.

10 Dans sa préface à lédition japonaise, le traducteur présenta ses excuses à léditeur pour le retard de cinq ans entre la fin de la traduction et la publication pour lequel il assumait lentière responsabilité due simplement, selon ses propres termes, à sa paresse.

11 Piero Sraffa (1898-1983), proche ami de Gramsci, quitta lItalie pour Cambridge (R.U.) en 1927 où il devait faire partie du premier cercle de Keynes (avec R. Kahn et J. Robinson notamment) ; il édita The Works and Correspondance of David Ricardo en onze volumes puis publia Production of Commodities by Means of Commodities. Prelude to a Critique of Economic Theory en 1960.

12 Keynes confondit lauteur de cet article, Étienne Mantoux (1913-1945), âgé alors de vingt-cinq ans, avec son père Paul Mantoux (1877-1956) interprète militaire de Georges Clémenceau et interprète officiel à la conférence de Versailles en 1919 où Keynes avait dû faire sa connaissance.

13 « Je ne peux que déplorer le fait que votre œuvre soit si peu connue et si mal comprise en France comme le prouve la récente analyse critique de M. Mantoux dans la Revue déconomie politique de décembre 1937. »

14 « Il reste votre table de correspondance pour les termes techniques. Ici à nouveau les commentaires au crayon portés à la marge sont les miens. Sur la table elle-même figurent les commentaires de mon ami. Et ici encore, ces commentaires nappellent pas dautres explications ».

15 « Je naurais pas dobjection de taille sil était tout à fait clair quil [le lexique, HL] est votre œuvre et pas la mienne. »

16 « En outre, les définitions que vous retenez constituent en fait, bien entendu, seulement une petite sélection parmi celles qui apparaissent dans louvrage. Sans doute les avez-vous choisies en vue daider le lecteur autant que possible mais elles restent assurément un ensemble arbitraire parmi les termes spéciaux qui sont utilisés tout au long du livre. »

17 « N. du T. » signifie « note de Jean de Largentaye ».

18 « En ce qui concerne le glossaire : je suis beaucoup plus satisfait par sa forme révisée, avec la mention indiquant quil est lœuvre du traducteur, et avec les termes en anglais figurant entre parenthèses ainsi que les références des numéros de pages où ils figurent [en français, HL] dans le corps du texte [de la traduction, HL]. En principe, jaccepte le lexique selon ces lignes et suis de votre avis quil peut être dune grande aide pour le lecteur français. La difficulté est que peut-être cinquante ans ont passé sans quaucun travail économique moderne nait été en fait élaboré en langue française ; bien que, daprès ce que vous me dites, labsence de termes techniques couramment acceptés pour des expressions anglaises qui nont pas été inventées par moi, mais qui, depuis des décennies, sont utilisées dans lenseignement de léconomie politique en langue anglaise est plus marquée que ce que je croyais ».

19 Archives privées de la famille de Jean de Largentaye.

20 Le groupe X-Crise est né en 1931 dune initiative de Gérard Bardet, André Loizillon et John Nicolétis, tous trois polytechniciens, pour susciter parmi leurs camarades des réflexions et des études relatives à la crise qui frappait alors la France, conséquence de la Grande Dépression. Le groupe détudes se développa rapidement pour atteindre 500 participants en 1933. Il se transforma alors en association loi 1901, le Centre polytechnicien détudes économiques (C.P.E.E.) qui comptait 2 000 adhérents en 1936. Il fut dissous par la défaite de 1940. Bien quaccueillant toutes les sensibilités politiques, la tendance dominante du groupe X-Crise puis du C.P.E.E. était de remettre en cause léconomie libérale et de prôner une « économie coordonnée » voire dirigée.

21 « Un programme doutillage national » est le titre français de lessai « A Programme of Expansion » de Keynes (mai 1929). « Outillage » était le terme le plus souvent utilisé en français pour exprimer les concepts d« equipment » ou d« investment » en anglais jusquà la parution de la traduction de la Théorie générale de Keynes en 1942 qui emploie investissement.

22 « Mais à lévidence, il nest pas familiarisé avec les termes techniques : il semble sefforcer de les traduire à laide dun dictionnaire ou par les termes en usage dans les milieux daffaires. Or, on trouve la plupart de ces termes dans lédition française des Principles de Marshall, larticle de Lerner dans la Revue internationale du travail, et la recension de The General Theory par Étienne Mantoux dans la Revue déconomie politique (nov.-déc. 1937). Mantoux, très raisonnablement, a “francisé” vos termes techniques – et cela sonne tout à fait bien. Je vous envoie un glossaire que jai constitué en lisant Mantoux (avec les références à la page et à la ligne de son article) qui pourrait être utile à votre traducteur ».

23 Les huit termes techniques trouvés à la fois dans le lexique français de la Théorie générale (57 termes) et dans les Principes déconomie politique, traduits par F. Sauvaire-Jourdan et F. Savinien-Bouyssy, sont : capital, capital fixe, capital circulant, consommation, désutilité, marginal, revenu net, taux dintérêt.

24 La famille Largentaye a retrouvé cet article de Moisseev dans les documents personnels du traducteur.

25 « Je pourrais vous faire part dune autre suggestion relative aux termes techniques. Un économiste belge qui a fait une recension de mon livre, est davis que dans le cas de ‘‘liquidity preference’’, il est préférable, soit dadopter mon terme anglais (peut-être en italiques), soit de le remplacer en français par une définition directe ; par exemple – ‘‘les hommes préfèrent conserver leur avoir en argent liquide’’. En tout état de cause, cette dernière phrase pourrait être incluse dans la table, ce qui pourrait aider le lecteur ».

26 Deux versions du lexique, la première datant de début 1939, la seconde du 28 mars 1939, annotées par Sraffa et Keynes ont été retrouvées dans les archives de la famille Largentaye.

27 Après la définition de chacun des neuf termes, nous avons ajouté, en chiffres écrits en petits caractères, les numéros des pages du lexique en annexe de cet article où ils figurent.

28 Sraffa sétait trompé en retranscrivant la traduction dinvestment par Jean de Largentaye – « placement ou capital » – qui figure dans la table de correspondance accompagnant la lettre de celui-ci à Keynes datée du 8 mai 1938 ; Sraffa retranscrivit « placement de capital » (« de » au lieu de « ou » HL) dans lannexe de la lettre de Keynes à Largentaye du 2 juin 1938, ce qui est une erreur.

29 « Ces mots ne traduisent Investment que dans le sens où il désigne le marché financier ; M. [Mantoux, HL] et aussi Rist utilisent toujours “investissement” ; pourquoi ne pas les suivre ? »

30 « Il est pratique demprunter à la France le terme placement pour signifier lachat de titres, obligations ou actions, que ce soit à partir dépargne récemment constituée ou à partir du produit de la vente dautres propriétés. Le terme investissement peut alors être limité au sens de lutilisation de la finance pour permettre la création de biens déquipement. »

31 Richard Kahn a collaboré étroitement à lélaboration de The General Theory notamment au titre de son invention du concept du multiplicateur de lemploi que Keynes avait présenté en 1929, en lempruntant à son ami, dans son article « Can Lloyd George do it ? » (Keynes, 1929, Nation and Athenaeum).

32 « Le mot “expectation” fut très difficile pour moi. Après de longues discussions, je crois que le mot français “prévision” est celui qui convient le mieux à votre pensée. Ce mot a été employé par le traducteur de Lerner et par Mantoux. La tendance actuelle est de lui donner au singulier un sens beaucoup plus large quauparavant. »

33 « Ce terme (anticipation) ne transmet pas aussi exactement en français le sens de “expectations” en anglais. Dans certains cas, mais pas dans tous, “prévision” peut sy substituer mais en général “prévision” signifie “forecast” et désigne quelque chose de beaucoup trop précis ».

34 La théorie des « anticipations rationnelles » est née de larticle de Muth John H. (1961), professeur déconomie à luniversité Carnegie Mellon (1930-2005). Elle a été par la suite développée notamment par léconomiste américain Robert G. Lucas. Elle est utilisée pour représenter les comportements des agents. Elle fait également partie de la théorie de lefficience des marchés et constitue un des principes fondateurs de léconomie néo-classique contemporaine.

35 Le terme « donc » qui est présent dans la première version du lexique disparaît dans celle du 28 mars 1939 et de lédition publiée en 1942.

36 En 1968, à la demande de Payot qui voulait publier la Théorie générale dans une collection de poche à un prix abordable, Largentaye révisa entièrement dans les mois suivants sa première traduction de 1939.

37 « Quel lourd travail cela a été ! Jespère que vous ne vous êtes pas senti trop accablé par ce fardeau. Japprécie beaucoup la peine que vous vous êtes donnée et le succès avec lequel vous avez mené une tâche ingrate. »

38 « Je me serais plutôt attendu à ce quil y ait eu un plus grand nombre de termes dans la version complète du lexique. »

39 Américain, allemand, japonais, français, espagnol, italien, serbo-croate, hindi, finlandais, roumain, hongrois et russe.

40 Voir Laplanche & Pontalis, 1967.

41 Voir la mention de Jean de Largentaye au début de la page suivante.

42 Il convient cependant de noter que comme la traduction a été entièrement révisée par Jean de Largentaye en 1968-1969, il y a parfois de légères différences entre les définitions dans le texte et celles reproduites dans le lexique de 1942.

43 « N. du T. » signifie « Note de Jean de Largentaye ».

44 La version du 28 mars 1939 du lexique se poursuit par la phrase suivante : « Soit G - B la valeur nette maximum quil eût été possible de conserver à léquipement sil était resté oisif au cours de la période, B représentant les dépenses damélioration et dentretien quil aurait été nécessaire deffectuer sur cet équipement et G la valeur quil aurait eue à la fin de la période au cas où ces dépenses auraient été faites. La différence entre G - B et la valeur réelle G de léquipement à la fin de la période provient, dune part de la diminution de la valeur U résultant de sa participation à la production, dautre part de laugmentation de valeur A1 résultant des achats au dehors ». Le maintien des définitions de B et G dans la version 1942 du lexique aurait facilité la compréhension de ce paragraphe, selon nous.

45 « On peut encore dire que le coût-usage U est égal “à la somme que lentrepreneur verse à ses collègues en paiement des achats quil doit leur faire, jointe au sacrifice quil consent en utilisant léquipement au lieu de le laisser inactif” (cf. première page du chapitre 3, “Le principe de la demande effective”) cest-à-dire à la somme de A1 et de la différence existant à la fin de la période entre la valeur maximum G-B que léquipement aurait pu avoir sil était resté inactif et la valeur G quil a réellement U = A1 + (G - B) - G ». Cette phrase figure dans la version du lexique du 28 mars 1939 mais a été supprimée dans la version publiée en 1942. On peut supposer que la remarque ci-dessus de Keynes notée après lastérisque, en marge des deuxièmes et troisièmes phrases de la définition du coût dusage (« nest-ce pas peut-être une répétition inutile du texte ? »), ait conduit le traducteur à alléger le texte. Pourtant les phrases supprimées paraissent plus claires que la définition, suivie des expressions algébriques finalement maintenues dans lédition 1942.

46 Keynes finira par accepter la traduction « produits » pour le terme anglais « proceeds » (cf. lettre de Keynes à Largentaye du 10 mai 1939 et cf. « produits », traduction de « proceeds » et sa définition ci-après dans le présent lexique).

47 « Le montant » a remplacé « la valeur » qui figure dans la version du lexique du 28 mars 1939.

48 La citation exacte du chapitre 12, « Létat de la prévision à long terme » est : « lactivité qui consiste à prévoir le rendement escompté des capitaux pendant leur existence entière. »

49 Keynes a barré en entier cette définition : nonobstant, le terme « facteur de production » figure bien dans le lexique de lédition Payot 1942. Largentaye a trouvé ce terme au début de la section ii du chapitre 16, « Observations diverses sur la nature du capital », défini comme suit : « Il est préférable de considérer le travail, y compris bien entendu les services personnels de lentrepreneur et de ses assistants, comme le seul facteur de production ; la technique, les ressources naturelles, léquipement et la demande effective constituant le milieu déterminé où ce facteur opère ». On observe que dans le lexique français, la définition ci-dessus du terme « facteur de production » est circonscrite au « présent ouvrage ». Le traducteur ne prétendait pas en faire une définition économique générale, sans doute pour tenir compte de la remarque de Keynes.

50 La citation exacte du chapitre 11, « Lefficacité marginale du capital » est : « lincitation à investir dépend en partie de la courbe de la demande de capital et en partie du taux de lintérêt ». Elle paraît préférable car elle est plus fidèle à la définition de Keynes : « the inducement to invest depends partly on the investment demand-schedule and partly on the rate of interest ».

51 La citation exacte du chapitre 7, « Nouvelles considérations sur le sens des notions dépargne et dinvestissement » est « ladjonction nette aux équipements en capital de toute nature, compte tenu des variations de valeur des anciens équipements qui entrent dans le calcul du revenu net ».

52 « des richesses… » dans la version du lexique du 28 mars 1939.

53 Le concept liquidity preference a été inventé par Keynes qui, sans le définir, la décrit succinctement, de façon indirecte au chapitre 13, « La théorie générale du taux de lintérêt », section II : « La préférence pour la liquidité est une virtualité ou tendance fonctionnelle qui fixe la quantité de monnaie que le public conserve lorsque le taux dintérêt est donné » (Keynes, [1942] 2017, p. 235). Á la section v de ce chapitre, Keynes éclaire le concept de « préférence pour la liquidité » en affirmant quil peut être remplacé par « tendance à thésauriser » (Keynes, [1942] 2017, p. 242). Par ailleurs, lanalyse des trois motifs de la préférence pour la liquidité – transactions, précaution et spéculation – au début du chapitre 17, « Les motifs psychologiques et commerciaux de la liquidité », constitue une approche détaillée du concept (Keynes, [1942] 2017, p. 266-269).

54 Dans la version du lexique du 28 mars 1939, la définition est la suivante « La courbe de la préférence pour la liquidité (schedule of liquidity preference) est la courbe indiquant la valeur des biens que les individus désirent conserver sous forme de monnaie en différentes séries de circonstances et notamment lorsque le taux de lintérêt varie, les quantités de valeur étant mesurées en unités de monnaie ou en unités de salaire. » Les mots en italiques (valeur, quantités de valeur, mesurées) ont été remplacés dans la version finale respectivement par « montant » deux fois et « calculé » ce qui est plus proche du texte anglais « amounts of his resources, valued in terms of money » ; ce changement a été effectué à linitiative du traducteur.

55 Le terme « prime à la liquidité » dune richesse (liquidity premium) a été supprimé par Keynes dans la version du 28 mars 1939 du lexique. La définition du traducteur était la traduction de celle de Keynes figurant au chapitre 17, section ii « Les propriétés essentielles de lintérêt et de la monnaie ». Elle était mise entre guillemets et sénonçait comme suit : « Nous appellerons prime de liquidité l dune certaine richesse le montant, mesuré au moyen de cette richesse elle-même, que les gens acceptent de payer pour la commodité ou la sécurité virtuelles procurées par le pouvoir den disposer (abstraction faite du rendement ou des frais de conservation qui lui sont propres » (Keynes, [1942] 2017, p. 301). On peut regretter lomission de ce terme voulue par Keynes.

56 Chapitre 16, « Observations diverses sur la nature du capital ».

57 La définition exacte dans le texte (p. 176) est : k « indique que, lorsquun accroissement de linvestissement global se produit, le revenu augmente dun montant égal à k fois laccroissement de linvestissement ».

58 Dans le texte p. 176-177 de lédition 2017 de la Théorie générale, le traducteur emploie lexpression « industries dinvestissement » au lieu d« industries produisant les biens de capital », traduction littérale du terme « investment industries » utilisé par Keynes dans ce passage à la fin de la section i du chapitre 10, « The marginal propensity to consume and the multiplier ». Le traducteur aurait donc pu faire le choix d« industries dinvestissement » dans le lexique de lédition Payot 1942, mais il a dû considérer à la fin des années 1930 que le mot français « investissement » était encore trop nouveau. Cette correction na pas été faite cependant dans le lexique de la Théorie générale révisée par Largentaye (Petite bibliothèque Payot, 1969) ni dans celui de la dernière édition Payot (2017).

59 « [T]he aggregate supply price of the output of a given amount of employment is the expectation of proceeds which will just make it worth the while of the entrepreneurs to give that employment » (Keynes, [1936] 2007, p. 24).

60 Le mot « attendu » au lieu d« espéré » aurait été plus logique car il a été utilisé dans la définition précédente.

61 Ligne 18 : « Ainsi le prix doffre de longue période est égal à la somme des divers composants que lon peut y distinguer, à savoir : le coût premier, le coût supplémentaire, le coût du risque et le coût dintérêt », cf. « Appendice sur le Coût dusage » du chapitre 6, « La définition du revenu, de lépargne et de linvestissement » (Keynes, 2017, p. 122). Dans la version du lexique du 28 mars 1939 que Keynes avait annotée, la définition du traducteur était simplement « la somme du coût premier, du coût supplémentaire, du coût-risque et du coût-intérêt ». Dans la dernière version du lexique publiée en 1942, Largentaye na donc pas repris mot à mot la définition de Keynes du prix doffre de longue période.

62 On constate que lusage est maintenant dinsérer un tiret entre les deux mots ce qui nest pas lorthographe que le traducteur a employé pour exprimer ce nouveau concept.

63 Le traducteur a introduit cette définition de Keynes dans la dernière version du lexique publiée en 1942.

64 Idem.

65 Tenant compte de la remarque de Keynes, le traducteur précise que « proceeds » dans ce contexte est exprimé en argent. Dans la version du lexique du 28 mars 1939, le traducteur avait ajouté la phrase suivante : « Le “produit” (proceeds) qui est identique à la demande effective, est la variable qui gouverne lemploi ». Il aurait été souhaitable à notre avis de garder cette phrase dans le lexique car elle constitue un élément central du raisonnement keynésien.

66 Le texte exact p. 176 est : « Nous proposons donc dCs/dYS comme définition de la propension marginale à consommer ».

67 Dans lédition Payot 2017 de la Théorie générale, la lettre majuscule Y pour symboliser le revenu a été utilisée conformément au souhait de Keynes.

68 Dans la version du lexique du 28 mars 1939, le traducteur écrit « Le taux des échanges ». Largentaye a utilisé « termes de léchange » pour traduire « terms of trade » lorsquil a procédé à la révision intégrale de sa traduction en 1968 et a repris cette expression dans le lexique.

69 Soit chapitre 4, « Le choix des unités », section III (Keynes, 2017, p. 92).

70 Dans la version du lexique qui précède celle du 28 mars 1939, on trouve une définition différente qui sénonce comme suit : « La vitesse de transformation de la monnaie en revenu mesure la proportion de son revenu que le public désire conserver liquide ». Cette définition est très proche de celle que lon trouve au début du chapitre 15, « Les motifs psychologiques et commerciaux de la liquidité » (Keynes, 2017, p. 266: « la vitesse de transformation de la monnaie en revenu mesure simplement la proportion de ses revenus que le public désire conserver sous la forme liquide ».

71 Remarquons que Keynes écrit dans le chapitre 21, « Théorie des prix » au troisième paragraphe de la section iv : « Mais la “vitesse de transformation de la monnaie en revenu” nest en soi quune expression qui nexplique rien. Il ny a aucune raison de la croire constante ; lanalyse précédente prouve quelle dépend dun grand nombre de facteurs complexes et variables. Lemploi qui en a été fait obscurcit, à notre avis, la nature réelle de lenchaînement causal et na été quune source de confusion » (Keynes, 2017, p. 386).

72 Livre publié en 1937 par léconomiste autrichien Gottfried Haberler (1900-1995), proche de Hayek et de Mises. Dans ce livre, Haberler critique The General Theory de Keynes publiée lannée précédente, dans la mesure où, par principe, il est opposé à lintervention de lÉtat, censée perturber le fonctionnement des marchés et provoquer des crises.