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Classiques Garnier

Preliminary Note

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Note liminaire

Ce numéro 12 de la Revue dhistoire de la pensée économique est dédié à une question dimportance : comment rendre compte en français de la pensée dun auteur qui publie en anglais (ou dans toute autre langue), bref lenjeu est la traduction. La difficulté nest pas neuve, elle hante les économistes, les diverses sciences sociales ainsi que les littéraires1.

Deux solutions sont souvent mises en œuvre.

La première, la plus simple, semble-t-il, est de ne pas traduire. Lisez lauteur dans sa propre langue, citez-le si le besoin sen fait sentir mais toujours en sa propre langue. Pour nombre déconomistes contemporains, citer lauteur dans sa propre langue, est devenu une pratique commune. Comme nous sommes dans lère de la domination linguistique de langlais (de Grande-Bretagne ou dAmérique) tout économiste un tant soit peu distingué cite lauteur anglais en anglais (même sil existe une traduction en français). Si lauteur, un ancien Grec, un Allemand, un Chinois ou bien un Arabe est traduit en anglais, par une sorte dentraînement, la citation se fait en anglais, non en grec ancien, en allemand, en mandarin, en arabe.

Lautre solution est de traduire. Elle nest pas aussi simple que la première mais, nous semble-t-il, plus robuste. Le traducteur mène un dialogue. Avec le texte, cela va de soi. Il doit sapproprier mot à mot, phrase par phrase, chapitre par chapitre, tout louvrage, car un mot ne prend pleinement son sens particulier, ne devient un concept structurant le raisonnement, quaccompagné des autres mots. La polysémie est là, telle une gargouille, prête à déverser sur le traducteur trop pressé faux-sens et contresens.

Parfois, le traducteur noue au cours même de sa traduction un dialogue avec lauteur. Ce nest pas fréquent, mais lorsquil sinstaure, le texte 18traduit devient dans une très large mesure un texte de lauteur dans la langue darrivée.

Une traduction est toujours marquée dune certaine asymétrie. Le texte de départ reste figé dans sa langue, par contre la traduction ne peut pas lêtre. Tout se met en œuvre pour que cela ne soit pas. Si louvrage traduit est une œuvre majeure, il induit des modifications dans la langue darrivée en suscitant lapparition de concepts nouveaux. De plus, toute langue est un produit social, elle change nécessairement avec les structures sociales et ces structures sont tout, sauf figées. Les conséquences sont connues : une traduction se doit dêtre remise à lordre du jour de temps en temps.

Le dossier « La Théorie générale de J.M. Keynes : une traduction française révélatrice » que publie la Revue sinscrit dans ce schéma. Cest lhistoire de la traduction de The General Theory of Employment, Interest and Money de John Maynard Keynes par Jean de Largentaye. Ce fut lhistoire dun dialogue épistolaire remarquable entre lauteur et le traducteur. Trente-huit lettres inédites à ce jour ont été regroupées, analysées et publiées par la famille du traducteur, Hélène et Armand de Largentaye, accompagnées dune mise en situation, dune biographie du traducteur, dune analyse des modalités de cette traduction et de ses premiers effets.

Louvrage de Keynes nétait pas neutre et ne lest toujours pas.

Il incita à de nouvelles mesures de politique économique. Au niveau international, ce fut la Conférence de Bretton Woods où ses idées durent plier devant le rapport de forces monétaire. En France, les thèses de Keynes donnèrent lieu à des ouvrages et suscitèrent un débat entre un homme politique, Pierre Mendès France, et un haut-fonctionnaire, Gabriel Ardant, intime de Jean de Largentaye, sur la possibilité de politiques économiques alternatives. Ce ne fut pas un débat de circonstance. Il se poursuivit à vingt ans de distance, de 1954 à 1973. En complément de lanalyse de la traduction de The General Theory, la Revue a souhaité publier « Action économique et lucidité politique. LÉconomie en République chez Gabriel Ardant et Pierre Mendès France » de Ludovic Frobert.

Le Comité éditorial

1 Lassociation des professeurs de langues vivantes (concernés, sil en est, par lenseignement des langues et du coup par les questions liées aux traductions), dédia deux numéros de suite (No 1-2, 2016) de sa revue, Les langues modernes, aux « Approches pratiques de la traduction ».