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Classiques Garnier

Johann Plenge et « Les idées de 1914 » Vers un socialisme national ?

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2020 – 2, n° 10
    . varia
  • Auteurs : Eggers (Christian), Laurent (Alain)
  • Résumé : Par nécessité, l’Allemagne organise dès 1914 la planification des ressources disponibles. Cette nouvelle réalité d'une économie planifiée reste à théoriser, ce qui va générer une littérature qui enterre la pensée libérale. Ce courant, lié aux « idées de 1914 », est notamment alimenté par les écrits de J. Plenge (1874-1963). Professeur d'économie à l’université de Müntser, il développera en 1914-1915 sa très optimiste vision d'avenir. La guerre ouvrira la voie vers un nouvel âge d'or sous l'égide de l'économie planifiée (ou « organisée ») et mènera l'Allemagne au socialisme. Comment Plenge a-t-il été reçu par ses contemporains ? Si Plenge s’inscrit dans la théorisation d’une troisième voie entre capitalisme et socialisme, il paraît excessif d’en faire un précurseur de l’organisation économique du régime nazi et, bien que connu de Lénine, sa pensée n’a pas eu sur lui d’influence décisive.
  • Pages : 209 à 247
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406110644
  • ISBN : 978-2-406-11064-4
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11064-4.p.0209
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 14/12/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : École historique allemande, Première Guerre mondiale (Allemagne), histoire économique allemande, Johann Plenge, Planification, coordination et réforme dans les systèmes capitalistes, économie politique des systèmes capitalistes, antilibéralisme, Troisième voie
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Johann Plenge et « les idÉes de 1914 »

Vers un socialisme national ?

Christian Eggers

Université Grenoble-Alpes

ILCEA4 – EA 7356

Alain Laurent

Université Grenoble-Alpes

CREG– EA 4625

Dans tous les pays, à la fin de lété 1914, les questions de fond posées par lirruption de la guerre sont les mêmes. La mobilisation intellectuelle en Allemagne nest pas fondamentalement différente de celle des autres nations qui entrent en guerre. Les intellectuels allemands – parmi eux des économistes (bien que la discipline nexistât pas encore en tant que telle) – serrent les rangs, respectent lunion sacrée, discutent les buts de guerre, abordent les questions dordre moral, cherchent un sens au conflit, tentent de justifier les sacrifices quil demande ou les horreurs que le pays commet et subit. Cependant, compte tenu de la situation particulière du pays, le débat en Allemagne prendra une tournure qui lui sera propre et quil sagit pour nous de mieux cerner, à travers les écrits de Johann Plenge (1874-1963), économiste, sociologue et philosophe. LAllemagne se projette dans une guerre des civilisations1, une guerre des cultures, au sens large : culture politique, culture économique. Pour approvisionner en munitions cette « guerre des philosophes » (Hoeres), des universitaires vont intensifier après 1914 la recherche dune « troisième 210voie » entre libéralisme/capitalisme (assimilé généralement à loccident libéral, notamment la Grande-Bretagne) et socialisme/marxisme ; Johann Plenge sera lun des protagonistes les plus actifs de ce débat (section I).

Sur le plan économique, la situation de lAllemagne à légard des contraintes de leffort de guerre est hautement spécifique et fondamentalement différente de celle des pays alliés. Son modèle économique mis en place lors de lindustrialisation la rend largement dépendante du commerce extérieur, des importations en denrées alimentaires dabord, mais surtout en matières premières de toutes sortes pour son appareil industriel (Importabhängigkeit). De lentrée en guerre résulte la nécessité vitale de planifier lemploi et la répartition de toutes les ressources disponibles, et déjà les contemporains voient que cela crée une tendance profonde vers une économie de plus en plus planifiée. Fin 1914, cen est fini de léconomie de marché en Allemagne – du moins pour ce qui touche de près ou de loin à leffort de guerre. Sur le plan intellectuel, cette nouvelle réalité appelle à être pensée et théorisée, avec des prolongements sur ses conséquences sociétales et les perspectives daprès-guerre. On va donc assister à lémergence de toute une littérature sur les bienfaits de léconomie planifiée dont lun des contributeurs importants sera Johann Plenge (section II).

Sur le plan politique, cette recherche dune « troisième voie » aurait mené droit au fascisme et au nazisme, en Allemagne et ailleurs, en inspirant la « Révolution conservatrice » des années de Weimar2. Il convient de sinterroger sur le bien-fondé de cette vision, que lon trouve par exemple dès 1944 chez Hayek3, en ce qui concerne Plenge. Du reste, pour Hayek, sil le voit comme un précurseur dHitler, Plenge est avant tout un socialiste4. Il est donc légitime de sinterroger également sur sa réception du côté de la gauche révolutionnaire (Section III).

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I. Johann Plenge dans les dÉbats de son temps

Plenge est aujourdhui pratiquement oublié. Pourtant, au début des années 40, dans le 12e chapitre de La route de la servitude, intitulé « Les racines socialistes du nazisme », Friedrich von Hayek le compte parmi les cinq auteurs dont il analyse les écrits5. Redécouvrir et lire Plenge aujourdhui (I.1) signifie dabord simmerger dans la mobilisation des intellectuels allemands entre 1914 et 1918 au service de leffort de guerre6. Dautre part, si lon suit Hayek, on aborde des questions fondamentales de lévolution intellectuelle en Allemagne et en Europe (I.2) et qui touchent les continuités et ruptures entre libéralisme, marxisme et fascisme.

I.1. RepÈres biographiques

Johann Plenge, fils dune famille patricienne de Brême7, était économiste, mais aussi sociologue, une polyvalence pas rare à son époque8. Ayant étudié pour lessentiel à lUniversité de Leipzig – économie nationale (wirtschaftlicheStaatswissenschaften), histoire et philosophie – cest auprès de Karl Bücher, le fondateur des sciences journalistiques (Zeitungswissenschaft), quil soutient en 1898 une thèse sur « Les marchands ambulants et colporteurs dans la région du Westerwald » (Westerwälder Hausierer und Landgänger). Ensuite, ce seront les années de voyage. Autour de 1900, il va passer plusieurs années en France et en Belgique, mais aussi aux États-Unis9, pour parachever ses études. Un résultat de ces années sera sa thèse dÉtat, soutenue 1903, sur La fondation et lhistoire du 212Crédit Mobilier en France. Sa réputation grandira rapidement et sera basée dune part sur ses recherches, publiées en 1903, sur la Verkehrswirtschaft (expression surannée signifiant à lépoque tantôt « économie basée sur léchange » tantôt simplement « économie de marché »), dautre part sur ses travaux portant sur les marchés financiers. En 1913 il publiera Von der Diskontpolitik zur Herrschaft über den Geldmarkt (De la politique de lescompte au contrôle du marché monétaire), une étude en rapport direct avec la réforme des finances publiques en 1913. La Reichsbank se serait inspirée des idées de Plenge pour son pilotage monétaire10. Mais le sujet qui le préoccupera tout au long de sa vie de chercheur, ce sera lintégration sociale à lépoque de la société industrielle et technique.

En 1914, Plenge est un quadragénaire ambitieux et conscient de sa valeur. Il se pose la question de la chaire universitaire. Max Delbrück, qui le considère comme « excellent parmi les jeunes économistes11 », ainsi que Max Weber, vont le recommander. Plenge vise dabord Leipzig, où il voudrait succéder à son maître Bücher, mais son caractère difficile est connu, et ce sera sans succès. Sans plus de réussite, il tente ensuite Giessen et Breslau, et ce nest finalement quen 1913 quil obtient la consécration tant désirée auprès de la jeune université de Münster, qui le nommera Ordinarius der wirtschaftlichen Staatswissenschaften (Titulaire de la chaire des Sciences dÉtat et dadministration publique, avec une spécialisation en économie). Désormais, lambition de Plenge sera de peser en-dehors de la tour divoire universitaire, dêtre un homo politicus – ce quil va réussir dans une large mesure, entre 1913 et 1923 notamment.

Il est passé à la postérité surtout pour avoir forgé le terme des « idées de 191412 », dans une tentative de donner du sens à leffort de guerre allemand. Il le fait dans la continuité de ses travaux antérieurs, notamment de Marx und Hegel13. Dans cet essai de 1911, Plenge se focalise surtout sur le concept d« organisation ». Cest bien entendu un sujet qui est dans lair du temps. Il est généralement admis quen comparaison avec les autres pays industrialisés, léconomie allemande était avant la première guerre mondiale marquée par un phénomène de concentration, matérialisé notamment par le poids des trusts, cartels, conglomérats et 213corporations14. Pour désigner ces particularités, on emploie communément le concept de « capitalisme organisé15 » quon doit à léconomiste et homme politique socialiste Rudolf Hilferding. Si ce dernier ne parle quà partir de 1915 du « organisierter Kapitalismus », les contemporains constatent depuis le tournant du siècle le poids croissant de lorganisation dans les entreprises16.

Dans Marx und Hegel, le propos de Plenge, cest de dépasser le capitalisme autant que la doxa social-démocrate, restée essentiellement marxiste17. Il voit venir la « Révolution mondiale » – et dira après 1914 que la guerre est cette même révolution. Il lui importe que cette révolution naboutisse ni au règne universel de la démocratie parlementaire à loccidentale (et de son corollaire, léconomie capitaliste), ni au renversement prolétaire prôné par lorthodoxie socialiste. Ce quil appelle de ses vœux, cest une « troisième idéologie » (dritte Weltanschauung) entre lidéalisme allemand dune part et le matérialisme de la théorie marxiste dautre part. Il développera ensuite une intense activité de publication pendant la guerre qui perdure jusque dans les années 1920, toujours autour de lidée de la recherche de cette « troisième voie ». Il essaiera dinfluencer en ce sens laile droite de la social-démocratie, avec un certain succès, tout en gardant ses distances avec la République de Weimar, dont il dénonce lincompétence économique.

En 1919, il obtient pourtant de la jeune République la création de son propre institut à Münster, Staatswissenschaftliches Institut, un outil rêvé pour travailler notamment sur la théorie et lhistoire du marxisme – mais il le perdra dès 1923 lors dune intrigue universitaire18. En 1925, il obtient en remplacement un Institut für Organisationslehre und vergleichende Soziologie (Institut des Sciences des organisations et de sociologie comparée) et se consacrera à des recherches désormais plus théoriques sur les bases dune « Science des relations sociales et dune ontologie générale des sociétés » (Grundlegung einer Beziehungslehre und 214einer allgemeinen Sozialontologie). Il développera par ailleurs une théorie de la propagande quil tentera de mettre à lépreuve, contre les forces franco-belges, lors de loccupation de la Ruhr en 1923-1924. à partir de 1923, il prendra progressivement ses distances avec la politique et se retirera dans ses recherches sociologiques ou encore sur lhistoire de lart19. En 1933, il va revendiquer la paternité conceptuelle du Troisième Reich, au grand déplaisir du nouveau pouvoir. En 1935, les nazis ferment son institut, lui-même est mis à la retraite doffice, et on lui envoie un message clair : « Estimez-vous heureux quà part cela, on vous laisse tranquille20 ». Après 1935, Plenge se montre déçu par les nazis qui auraient perverti son idée de la « grande synthèse, du socialisme chrétien et organisationnel ». Jusquà sa mort en 1963, dans lisolement et loubli, Plenge a été persuadé davoir tenu entre ses mains « la clef universelle pour les questions et missions élémentaires de lépoque et de lhistoire » (Müller)21.

I.2. « Les idÉes de 1914 »

La première guerre mondiale ouvre à Plenge la possibilité de mettre en œuvre ses théories : ce seront « Les idées de 1914 ». En août 1914, la France proclame lUnion sacrée ; en Allemagne, ce même phénomène sera appelé Burgfrieden (la paix à lintérieur de la forteresse assiégée). Nombreux sont les témoignages qui indiquent pour ce mois daoût un état de bonheur, de communion, dunité nationale enfin trouvée, dans ce Reich construit par Bismarck dont on a pendant des décennies déploré le manque dunité intérieure. Le vécu collectif est celui dun tournant dépoque (Zeitenwende). Plus de Bavarois ou Prussiens, plus de protestants, catholiques ou juifs, plus de paysans, capitaines dindustrie ou ouvriers : « plus de parties, seulement des Allemands », comme dit lEmpereur. Cest cela que les contemporains appellent « lesprit de 1914 » – der Geist von 1914 – ou encore Augusterlebnis (le vécu daoût). On a souligné à juste titre ce que le Augusterlebnis a didéalisé, sous 215cette forme maintes fois colportée – il est néanmoins beaucoup plus quune légende22. Et il inspirera tout une littérature ainsi quun débat qui durera toute la guerre et au-delà : comment perpétuer cet état dexception, cette soudaine unité ? Cest au fond la recherche dun prétendu modèle allemand, qui transcendera forcément tous les clivages, y compris de classe sociale.

Il faudrait ici donner un aperçu de ce que cest que lAllemagne intellectuelle de 1914, ce qui est impossible dans le cadre imparti23. Constatons juste que cest un paysage extrêmement multiforme, que le débat est vif, que les disciplines et chapelles sont multiples, que les universitaires y ont une place prépondérante, que le débat prolonge des débats dAvant-guerre, mais que la discipline qui sans contestation revendique la première place est ce quon appelle alors wirtschaftliche Staatswissenschaften, léconomie nationale, et quà lintérieur de cette discipline domine la « jeune école historique ».

Un tournant dépoque, cela implique bien entendu la sphère économique. La pensée libérale avec son moteur, légoïsme individuel, semble avoir définitivement vécu, comme le caractère sacré de la propriété individuelle, qui désormais ne semble rien face à lintérêt collectif de la nation. De « lesprit de 1914 » vont naître « Les idées de 1914 » – on doit le terme à notre Johann Plenge. « Lesprit », cest cette nouvelle cohésion sociale et nationale née du dépassement des clivages politiques, sociaux et de confession, où, comme lécrit Plenge « tous vivent avec une part égale24 ». Ce qui lui importe, cest que « cet esprit ne sévaporera pas sans inspirer pour les années à venir la vie de lâme allemande25 ». Lui et dautres développent une vision davenir basée sur lentente entre bourgeoisie et social-démocratie, où tous les Allemands, sans égard de classe, confession ou religion seraient intégrés dans une « communauté populaire ». Cest cette vision que lon commence à appeler avec Plenge vers fin 1914 « Les idées de 1914 ». « Lesprit », le terme désigne donc rétrospectivement la nouvelle posture centrée sur la communauté que beaucoup avaient vécue en août 1914 ; les « idées », cest le programme 216de réformes politiques censé faire perdurer cet esprit corporatiste et communautaire.

Bruendel a souligné la nécessité, pour lAllemagne, de se singulariser, didentifier lennemi (créer des Feindbilder26, des « images de lennemi »), en somme de se doter dune position spécifiquement allemande face à lOccident, notamment la France. Le programme de réformes y répond, et Plenge jouera, là aussi, un rôle important, en opposant les « idées de 1914 » aux « idées de 1789 » : on voudrait construire le « nouvel État allemand » (Plenge) sur « Les idées de 1914 ». Face à « liberté - égalité - fraternité », on positionne « liberté allemande - camaraderie - socialisme ». La « liberté allemande27 », cela signifie une insertion volontaire dans lensemble de la nation. La base de cette redéfinition du concept de liberté est la conviction que chaque individu est de toute façon inséré de multiples manières dans des liens de dépendance et des cadres, que la liberté absolue est donc de toute façon impossible, si on ne veut pas finir dans lanarchie et le chaos. Par conséquent, un argument de taille pour cette « liberté allemande » consiste à affirmer quelle nest pas imposée, mais basée sur une conviction profonde et un acte dadhésion. La « camaraderie » (dont le prototype était le vécu des soldats et officiers) est ainsi posée en face de légalité occidentale honnie, que lon refuse parce quelle nivelle les individualités. Partant du postulat dune inégalité naturelle entre les personnes, on prône comme idéal lépanouissement personnel par le biais de la Bildung de tous les individus dans leurs différences. Le capitalisme de concurrence de facture occidentale doit être aboli par lengagement de tous (Volksgenossen – « camarades populaires ») au service de la communauté, et la « fraternité du vrai socialisme » (Plenge) doit permettre de réaliser les idées corporatistes et dengagement de la « liberté allemande ». Le socialisme finalement, le « socialisme dÉtat » (Troeltsch, Seeberg) ou encore « socialisme national » (Plenge) est considéré comme la forme spécifiquement allemande de « fraternité et unité » (le théologien von Harnack).

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II. La guerre, catalyseur de la socialisation

Le débat intellectuel en Allemagne, supposé donner un sens à la guerre, à ses sacrifices et horreurs, sorganisera autour de deux pivots : lexpérience dun grand sentiment dunité nationale en août 1914 (qui débouchera ensuite sur ce quon appellera avec Plenge « Les idées de 1914 »), et lorganisation de léconomie de guerre sous légide de lindustriel et homme de lettres Walter Rathenau28. Elle jettera les bases dune économie planifiée (II.1) et donnera à ce dernier les pouvoirs dun « dictateur des matières premières29 » (Hayek), à la tête dun système « déconomie totalitaire » (Hayek, toujours), du moins pendant une courte période. La nécessité de conceptualiser cette nouvelle donne, et peut-être aussi le désir de prendre appui sur elle, inspirera à Plenge, parmi dautres auteurs, une série dessais, souvent dérivés de cours universitaires, et dont le premier sera La guerre et léconomie nationale (II.2).

II.1. La Kriegsrohstoffabteilung
et les dÉbuts d
une Économie planifiÉe

À la nécessité vitale – dans le contexte du blocus maritime anglais – de planifier lemploi et la répartition de toutes les ressources disponibles et employables dune manière ou dune autre pour leffort de guerre répond la mise en place de la Kriegsrohstoffabteilung (KRA). Elle se fera sous légide de lindustriel-intellectuel Walther Rathenau30 dès lautomne 1914 – sans cela, lAllemagne aurait perdu la guerre avant Noël 1914. Telle est en tout cas la vision de Rathenau quil réussit à imposer aux décideurs politiques et militaires. Début août, il entre contact avec 218le chef du département général au ministère de la guerre (Allgemeines Kriegsdepartement), le colonel Scheüch. Le 10, il voit le Ministre, le général von Falkenhayn ; le 13, lOffice est créé, et Rathenau le dirige, avec le rang de général31. Lorsque la Kriegsrohstoffabteilung commence son travail, elle compte cinq collaborateurs, pour la plupart originaires de la AEG, comme Rathenau lui-même et son bras droit, Wichard von Moellendorff (pour éviter toute jalousie, on a pris soin de recruter aussi un dirigeant du concurrent Siemens). Ensuite, le développement est fulgurant. En novembre, lOffice compte 60 personnes, lorsque Rathenau démissionne en mars 1915, on en compte 500 (ce qui en fait la troisième administration centrale, après le ministère de la Guerre et les services des chemins de fer), et à la fin de la guerre, 2 50032.

Quant à Rathenau, il démissionne de son poste au bout de huit mois, non sans sassurer que la succession sera organisée en accord avec ses vues, et en laissant des postes clefs occupés par des proches. Les raisons semblent avoir été multiples, le civil (juif de surcroît) avec rang de général crée des envies ou se voit reprocher des conflits dintérêt, car il est tout de même le dirigeant de lun des principaux conglomérats. La crainte quil utilise cette position pour mettre en œuvre son programme de transformation économique et sociétale ne lui simplifie pas non plus lexercice de ses fonctions. Et surtout, ce qui semble avoir été décisif : Rathenau est fondamentalement opposé à la guerre. Cest donc un passage fulgurant, mais qui laisse des traces profondes jusquen 1918 et qui impressionne par sa manière. On est également frappé par la sagesse des militaires, qui sassurent des compétences organisationnelles des managers des conglomérats de la grande industrie, et notamment de lAEG.

Il est généralement admis que Rathenau et surtout von Moellendorff sont à lorigine33 de la Gemeinwirtschaft (Social Economy / économie sociale), et que Lénine se serait largement inspiré de leur expérience34. Lengagement de Rathenau, personnage clef de cette « mobilisation totale » et donc de léconomie de guerre, est la suite conséquente de ses écrits des années précédentes. Ces derniers développent la vision dune « époque 219mécaniste », dune « mécanisation du monde », dont les circuits de distribution népargnent plus rien ni personne35. Pour Rathenau, comme pour dautres représentants des élites de lAllemagne wilhelminienne et notamment de sa modernité industrielle, la guerre ouvre un champ dexpérimentation et de développement de la modernisation technologique et organisationnelle. Il fait non seulement fructifier ses expériences dans le domaine de lorganisation, en tant que dirigeant de lAEG, lun des principaux conglomérats allemands, mais il met en même temps en pratique et à lépreuve ses réflexions théoriques sur les grands systèmes des sociétés modernes et leur fonctionnement en réseau. On a analysé la pensée de Rathenau comme étant au fond inspirée par les modèles utilisés dans lindustrie biochimique36. Dans ses écrits davant-guerre, Rathenau applique la pensée des flux des matériaux dans lindustrie, notamment dans lindustrie chimique, à la société. Désormais cette vision commande la politique, en particulier la politique économique.

Toutes les ressources du pays devaient suivre la contrainte. Plus rien ne devait suivre sa propre volonté ou son propre arbitraire. Chaque matière, chaque produit semi-fini devait sécouler de sorte que plus rien naboutisse dans les voies du luxe ou des besoins secondaires. Leur cheminement devait être endigué par la violence, afin quils aboutissent de manière automatique dans ceux parmi les produits finis ou les formes dutilisation dont larmée avait besoin, (Rathenau devant la Deutsche Gesellschaft von 1914, le 20 décembre 1915)37.

Ou, comme le dit Walter Delabar : « en dautres termes, léconomie de guerre que Rathenau avait contribué à imposer à un poste clef, administrativement et en tant quorganisateur, devient le paradigme de lorganisation de la société de masse38 ».

La mission de la KRA est multiple. Elle doit gérer les ressources domestiques afin dassurer leur répartition équitable, dans une situation de pénurie. Elle doit organiser lapprovisionnement en matières premières dans les territoires occupés, ainsi que dans les pays neutres, et favoriser le développement de produits de remplacement39. Elle doit 220établir des prévisions en termes de pénuries à venir, afin de prendre des contre-mesures. Sur la base juridique du Kriegsrecht prussien (létat de siège), la Kriegsrohstoffabteilung a le droit de réquisitionner toutes les ressources considérées comme indispensables : par exemple elle réquisitionne dès lautomne 191440 tous les stocks de métaux dans quelque 5000 entreprises. De facto, dans une large mesure, la propriété privée est abolie. Rathenau met laccent sur les réquisitions dans les territoires occupés, contraires au droit international – son adjoint, le colonel Oehme, sera pour cela envoyé en Belgique41 – tandis que von Moellendorff développera des conceptions pour administrer dans une situation de pénurie les ressources disponibles, par le biais dun mélange de dirigisme étatique et dautogestion de lindustrie, ce qui aboutira à la création denviron 200 Kriegsrohstoffgesellschaften, organismes mixtes État/privé, organisés par branches42.

Rathenau et von Moellendorff, originaires de la grande industrie, se méfient dun trop grand dirigisme étatique. Ils cultivent une sorte damalgame des entreprises privées et publiques. Ces Kriegswirtschafts-Gesellschaften, dotées dun statut dutilité publique, ressemblaient structurellement à des sociétés anonymes (AG), mais navaient ni le droit de faire des profits, ni de verser des dividendes. Leurs comités de direction étaient composés de dirigeants dindustrie qui connaissaient parfaitement les besoins de leurs entreprises, ainsi que de représentants de lÉtat qui avaient un droit de veto43. Ces sociétés étaient sous contrôle de lÉtat, mais fondamentalement des organes dautogestion, avec une mission spécifique44.

Un trait caractéristique de ce que Rathenau et von Moellendorff mettent en place est lintégration des cartels et syndicats, donc des organisations patronales, dans les structures de réglementation et de pilotage. Ce mélange de dirigisme étatique et dautogestion de lindustrie devait créer des synergies entre dune part lintérêt commercial des industriels et dautre part les objectifs de lÉtat en temps de guerre. Cela permettait de limiter lappareil administratif et donc de juguler la lourdeur potentielle du système. Les acteurs étaient potentiellement de 221bonne volonté, et cela dautant plus que les producteurs se trouvaient ainsi dans une position leur permettant de dicter des prix élevés, ce qui accessoirement favorisait la tendance inflationniste45. Rapidement, la KRA sest attiré le reproche de favoriser les profiteurs de guerre46, reproche occasionnellement teinté daccents antisémites, lorsque les critiques constatent que Rathenau et la AEG feraient les meilleures affaires et que la KRA « serait pleine de nez crochus47 ».

Déjà les contemporains se sont aperçus de ce que les innovations de Rathenau et von Moellendorff marquaient une profonde césure. On a ensuite appelé cette forme dorganisation un « socialisme de guerre ». Rathenau était conscient que ces méthodes évoluaient dans la direction des socialistes et communistes, mais sous des auspices contraires à ces mouvements48. La guerre, pour Rathenau, mène la société moderne vers des contrées extrêmes, mais lui ouvre en même temps des perspectives daccélération. Ou, dans ses termes : « la guerre anéantit définitivement la liberté de léconomie privée et prépare des formes futures déconomie collective (Gemeinwirtschaft), en mettant en évidence le fait que les questions économiques dun État civilisé ne sont pas laffaire dindividus, mais laffaire de tous49 ». Lui-même aspire fondamentalement à « domestiquer le capitalisme » : pour lui, lenjeu est « lunité et la solidarité de la société humaine, et une prise de conscience de responsabilité éthique et doptimisme divin50 ».

II.2. Johann Plenge, La guerre et l Économie nationale (1914-1915)

Quand éclate la guerre, le débat autour des questions économiques en Allemagne est depuis des décennies dominé par les Kathedersozialisten (les « socialistes de la chaire »)51, ceux quon appelle en français généralement « lécole historique des économistes allemands ». En effet, les 222sciences économiques dans les pays de langue allemande sont, depuis le milieu du xixe siècle, presque exclusivement dominées par le paradigme de la pensée dans lhistoire52 – une démarche qui se montre réservée vis-à-vis de la théorie classique quelle considère comme une abstraction insuffisamment liée au vécu réel, et qui prône à la place une vision centrée sur les évolutions complexes de la politique, des rapports sociaux et des facteurs culturels et anthropologiques53. Le moment du fondement institutionnel de cette « école », cest 1872 et la création du Verein für Socialpolitik54 – Association pour une politique sociale – à la fois think tank et mouvement politique. On distingue un courant plus ancien (dont les personnages centraux seraient Roscher et Knies), plutôt orienté vers labstraction et lélaboration de modèles, de la « jeune école historique » à proprement parler qui est au faîte de sa gloire à laube de la guerre, et dont les figures de proue sont Gustav Schmoller55, Werner Sombart ou encore Max Weber. Pour ces derniers, qui sont marqués par lomniprésence de la question sociale, la modernisation à marche forcée quopère le capitalisme appelle une réponse morale et notamment une politique sociale active des pouvoirs publics. De nombreux aspects de la société industrialisée sont perçus comme menaçants : les antagonismes économiques, la désintégration sociale, laliénation des individus opérée par le travail industriel et lomniprésence technologique. Les Kathedersozialisten aspirent à une éthique sociale qui ne justifierait la réussite matérielle des individus quau service de la communauté nationale et du progrès culturel en général. On a constaté « un certain anticapitalisme des classes cultivées dont cette perspective ainsi que le postulat de la réforme sociale sont teintés56 ».

En simplifiant, on peut distinguer trois ailes : droite, centre et gauche57. à droite, on trouve une aile social-conservatrice, dont le chef de file est Adolph Wagner, considéré par certains comme un « socialiste dÉtat » : elle prône la nationalisation de certains secteurs clefs de léconomie 223(transports, ravitaillement, banques). Sa maxime est « la supériorité de lensemble étatique sur lindividu58 ». Vis-à-vis du commerce extérieur, elle défend par ailleurs, dans la tradition du geschlossener Handelsstaat59 du philosophe Fichte, des conceptions dautarcie, qui vont dans le sens des intérêts des Junker prussiens, ces aristocrates grands propriétaires terriens. Au centre, nous trouvons le gros des troupes, groupées autour de Gustav Schmoller, ceux quon a qualifiés de « conservateurs réformistes » : ils se soucient de lintégration des ouvriers dans le jeune État-nation monarchique, et prônent une réforme sociale de lÉtat bureaucratique. La « gauche » finalement, cest laile sociale-libérale, groupée autour de Lujo Brentano, qui voit « la prospérité et le bien-être de lindividu comme la condition du fonctionnement du système dans son ensemble » et se distingue surtout par la défense de la liberté syndicale. Ses tenants sont adeptes du libre-échange. Dans une époque intellectuellement dominée par trois pôles – le marxisme, le libéralisme, le conservatisme – les membres du Verein für Sozialpolitik réussissent le tour de force de pouvoir se positionner sur tout léventail des positions possibles, que ce soit à tour de rôle ou simultanément, par le jeu des courants, sur le plan politique autant que sur le plan universitaire (à lexception toutefois des « pôles », cest-à-dire des positions idéologiquement pures). Si la performance impressionne, il faut aussi constater que lemprise sur le réel tend vers zéro – cela se passe pour lessentiel dans la tour divoire universitaire60. Bien entendu, tout ceci nest pensable quen présupposant auparavant lémergence de la question sociale et du marxisme, mais pendant longtemps, ce dernier est contourné, au prix de quelques contorsions, ou tout juste refusé en bloc car trop « objectiviste ». Mais cela va changer avec la génération des Max Weber, Werner Sombart ou encore Ferdinand Tönnies. Plenge suivra à son tour leurs traces.

Cest dans un paysage dominé par cette puissante école que Johann Plenge mène sa carrière universitaire prometteuse. En fait, dès 1913 et lobtention de la chaire tant convoitée, il va commencer à se brouiller avec lécole historique quil considère comme incapable de mener une recherche appliquée visant à préparer intellectuellement les changements 224nécessaires dans les structures organisationnelles61. Quand éclate la guerre, il marquera sa différence dans une série de conférences publiques dans son université de Münster, publiée début 1915 sous le titre Der Krieg und die Volkswirtschaft (La guerre et léconomie nationale)62. Cest un ouvrage curieux qui fait plonger dans une excitation pour nous assez étrange. On nest pas vraiment à luniversité, on se sent plutôt dans une église protestante, à écouter le sermon du pasteur63. « [Plenge] ne cite personne, sauf lui-même. Il polémique pour prouver sa paternité de chaque idée. Il ne prouve pas, il prêche64 … ». Pour Plenge, la guerre est la conséquence de lévolution de léconomie mondiale. Les origines de la guerre seraient de nature économique (vision alors dominante)65 – si guerre il y a, cest que lAngleterre a essayé de se débarrasser définitivement du concurrent allemand. LAngleterre mène une « guerre daffaires66 » contre lAllemagne qui sest progressivement imposée comme son rival commercial principal. Dailleurs, tout au long de lhistoire, guerre et économie auraient entretenu une relation particulière : « la guerre crée léconomie, léconomie crée la guerre67 ». Cette nouvelle guerre aurait en outre une dimension téléologique. La nécessité historique y aurait mené, depuis les guerres de religion, en passant par léclatement des états princiers grâce à la révolution bourgeoise jusquà lexplosion des forces économiques au xixe siècle. Ce long chemin aurait mené de palier en palier, en augmentant à chaque fois le degré dorganisation, pour arriver à la Grande Guerre qui ouvre une nouvelle ère, laccès à un degré dorganisation encore supérieur.

Plenge nest pas un cas isolé. Dès lavant-guerre, la vision dun capitalisme proche de sa fin, sur le point dêtre remplacé par un ordre économique caractérisé par un maximum dordre et dorganisation et 225un minimum de libre-échange68, avait pris de limportance. Mais la trame du développement de Plenge, cest lidée dun avenir radieux. La guerre69 ouvrira la voie vers un nouvel âge dor sous légide de léconomie planifiée (ou « organisée », comme Plenge préfère lappeler) et mènera lAllemagne au socialisme. « Avant la guerre, léconomie nationale, cétait le capitalisme, après la guerre – ne vous effrayez-pas ! – elle sera le socialisme70 ». Le xixe siècle, le siècle du capitalisme, a pris fin avec la guerre71. La liberté des marchés a vécu. Dans ce domaine, la guerre ne fait que parachever ce que les trusts et cartels ont amorcé. Mais ces derniers avaient tenté de court-circuiter les marchés pour des intérêts privés : désormais les marchés sont sous domination dans lintérêt général.

Cela aboutit à un programme récurrent dinterventions sur les marchés. Loffre et la demande devaient utilement être unifiées et permettre des prix appropriés. Comment dominer le marché ? Cest ladministration de guerre qui devait prendre le pouvoir sur les marchés, alors que ladministration en temps de paix les abandonne pour lessentiel à eux-mêmes. En 1870, cela aurait été une pensée tout à fait inouïe. Aujourdhui, elle nous paraît évidente, car lépoque des cartels et trusts nous a habitué à ce que, partout, on aspire à « dominer les marchés ». Les syndicats des producteurs le font pour des intérêts privés. Ladministration de guerre doit le faire pour le bien commun72.

Pour Plenge, le mot clef pour définir ce quil entend par « socialisme », cest « lorganisation73 ». Ce nest pas un hasard si la transformation au début de la guerre sest opérée rapidement et sans frictions dans les domaines et branches, où le « capitalisme organisé » est particulièrement présent, sous la forme de cartels, trusts ou lobbys74.

Là où des cartels ou des trusts dominaient un segment de marché, la tâche administrative était assez simple. On pouvait influer sur ces organisations. Donc, ni les prix de gros du pétrole, ni ceux du charbon ou du fer nont posé de difficulté particulière à ladministration de guerre, outre que ces marchés particuliers auraient pu connaître une évolution dangereuse, sil y avait eu une libre concurrence75.

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Certes, la guerre est destruction et menace, mais elle est surtout un formidable vecteur de construction, car elle oblige à tout organiser « La guerre fera ressentir encore pendant longtemps ses effets constructifs en renforçant toutes nos organisations76 ». Et organiser, les Allemands savent le faire, ils ont justement prouvé depuis septembre 1914 quils sont « un peuple dorganisateurs », notamment avec la Kriegsrohstoffabteilung77. « Nous étions un peuple de poètes et de penseurs. [] Si lon transfère la pensée et la poésie sur le plan pratique, cela signifie : organiser ». Contrainte dorganiser son économie, lAllemagne a franchi, presque à son insu, le palier entre capitalisme et socialisme ; et la guerre porte en elle une promesse davenir.

Et cest justement parce que nous sommes un peuple de lorganisation que la transformation dun État intégré dans les riches connexions de léconomie mondiale en un État commercial fermé, sobre et autosuffisant, ne fait pas que nous appauvrir. En apparence, elle rend plus étriquée notre vie économique, mais au fond elle apporte un enrichissement infini : la promesse dun nouvel avenir. Sans que nous nous en soyons vraiment aperçus, lensemble de notre vie politique, étatique comme économique, est monté dun palier. LÉtat et léconomie ont fusionné pour constituer une nouvelle entité78.

Ce que, contrainte et forcée, lAllemagne a mis en place est amené selon Plenge à servir de modèle universel. LAllemagne qui sortira de la guerre sera le modèle de lÉtat et de léconomie du futur.

LÉtat économique du futur est né en tant que forme augmentée de lÉtat-nation allemand. Il na pas aboli les antagonismes de classe – comment laurait-il pu ! – mais les a dépassés par une idée supérieure. Et du fait de la plus-value en termes de force éthique quil apporte, il donne des garanties pour être également le puissant vecteur dune nouvelle humanité, afin de nous permettre une nouvelle communauté culturelle avec nos adversaires dhier79.

Cela nest que la continuité logique du caractère national et de la mission historique des Allemands.

Car au royaume des idées, cest lAllemagne qui a porté de la manière la plus convaincante tous les rêves socialistes, et au royaume de la réalité, elle a été le bâtisseur le plus puissant de léconomie nationale la plus hautement organisée. 227Le xxe siècle est en nous. Peu importe comment finira la guerre, nous sommes le peuple exemplaire. Nos idées détermineront les objectifs vitaux de lhumanité80.

Et il termine sur des accents messianiques qui, voulus ou pas, font résonner le Am deutschen Wesen soll die Welt genesen quon attribue généralement à Guillaume II81.

Nous devrons aller jusquaux limites de la plus profonde détermination pour tenir dans la lutte et labnégation, et cest par cela même que nous allons accéder à notre avenir. Nous devrons mener cette croisade au service de lesprit du monde [Weltgeist, terme métaphysique dû à Hegel]. Dieu le veut. Pour notre salut, et pour le salut du monde82.

III. Linfluence de Plenge

Le livre issu de la série de conférences, tiré dabord à 5000 exemplaires, est rapidement vendu, suivi dune réédition augmentée dès 1915. Plenge, pourtant nettement plus jeune que la plupart des ténors de la geistige Kriegsführung (la guerre des esprits)83, oriente le débat en imposant le slogan des « idées de 1914 ». Cependant, il convient de relativiser tous ces débats autour du « socialisme de guerre », menés dans les pages des journaux bourgeois ou des publications universitaires (III.1). Ils ressemblent à une musique de fond qui accompagne le bruit des canons : la réflexion sur léconomie de guerre est nécessaire, mais, loin dêtre une matrice conceptuelle84, elle suit lévolution de la réalité et ne peut la cerner que difficilement. Ces réserves posées, on constate que Plenge touche un large public85. Au-delà de laccueil immédiat 228réservé à ses écrits des années de guerre sur la marche vers le socialisme, on peut sinterroger enfin sur linfluence de Plenge sur des courants de pensées contemporains, le nazisme et le bolchévisme, qui sappuient sur des concepts qui semblent proches, au moins en apparence, de lidée de socialisme national (III.2).

III.1. RÉcEption et d Ébat dans les milieux intellectuels

En novembre 1915 est fondée la Deutsche Gesellschaft von 1914 (Société allemande de 1914), un club politique qui réunit les élites du pays afin de réfléchir à la suite à donner aux « idées de 1914 ». Plenge, encouragé par le succès, continue à développer ses concepts – même sil faut constater quil a aussi tendance à les affadir. En automne 1915, il récidive avec la Kriegsvorlesung, une nouvelle série de conférences universitaires publiées dans la foulée. Cest ici quapparaît pour la première fois sous sa plume le concept dun « socialisme national ».

Après la guerre, la vie de léconomie, ce sera le socialisme. Du point de vue de sa constitution extérieure, un socialisme national, car la nation rassemblera ainsi ses forces économiques. Du point de vue de son caractère intérieur, un patriotisme social86.

Plenge nest certes pas linventeur du concept. La paternité en revient à Friedrich Naumann, pasteur et essayiste, à lorigine de la fondation en 1896 du Nationalsozialer Verein, un parti politique créé pour lutter pour une réforme sociale et une démocratisation de lAllemagne. Naumann, influencé par les idées de Max Weber et auteur en 1897 dun « catéchisme national-social », prône un « socialisme national sur des fondements chrétiens » (nationaler Sozialismus auf christlicher Grundlage)87. Mais ici encore, Plenge, avec lhabilité qui le caractérise, va reprendre le terme, le transformer en slogan (Schlagwort) et lintroduire dans le débat.

Évidemment, Plenge rencontre aussi la critique. Un éditorial de la Frankfurter Zeitung pour Noël 1915, signé Robert Drill et qui dénote 229dune influence des « néo-kantiens88 », considère les « idées de 1914 » comme « un cliché de plus ». Lidée de la souveraineté populaire, que Kant avait considérée comme centrale dans la Révolution française de 1789, ne serait pas lopposé de lorganisation, mais son corollaire nécessaire89. Plenge réagit par un essai polémique – ce sera « 1789 et 191490 » – en attaquant les « fanatiques de Kant » de la Frankfurter Zeitung qui auraient depuis des années érigé Kant comme « saint-patron du libéralisme bourgeois91 ». Plenge, non sans être influencé par le marxisme, identifie 1789 comme la Révolution bourgeoise et libérale, qui aurait ouvert lépoque du capitalisme, époque qui se serait terminée en 1914. Les idées de 1789, que Plenge assimile au libéralisme bourgeois et dont la forme politique serait la démocratie et le parlementarisme, menaceraient de détruire toute la vie culturelle allemande : Kant lui-même en aurait été insatisfait – la liberté de 1789 serait finalement « lidée dune liberté abstraite des volontés individuelles, atomisées et vides92 ». Plenge y oppose la « liberté allemande ». Mais il constate aussi que la réalité après deux ans de guerre est souvent en deçà de ses visions. Lidée de lorganisation aurait pâti de lincompréhension bureaucratique et du pouvoir des intérêts égoïstes. Le Gouvernement et les partis nauraient pas encore appris la leçon, « à la différence notable de laile droite de la social-démocratie ». Certains croiraient quon pouvait revenir à létat davant-guerre, « pour peu que les partis extrêmes respectent enfin lentente cordiale93 ».

Du côté de la social-démocratie justement, laccueil est mitigé, du moins en ce qui concerne les voix issues du courant majoritaire. Le journal Neue Zeit (Temps nouveau) considère que les « idées de 1914 » ne seraient quun avatar des idées de 1789, « modernisées » et teintées aux couleurs de la Prusse - non pas du « socialisme », mais relevant de lidéologie de guerre bourgeoise, un « accompagnement du militarisme94 ». Plus favorable est la critique dans les Sozialistische Monatshefte : Plenge 230serait « exempt de préjugés bourgeois » – le courant révisionniste de la social-démocratie ne perçoit pas ce que le « socialisme » de Plenge doit au conservatisme95.

Débat, critiques, mais globalement un accueil plutôt bienveillant : il en est de même du côté des confrères économistes, tous plus ou moins liés à lécole historique. Ainsi, Plenge reçoit, peut-être à sa propre surprise, un accueil favorable de la part de Schmoller, dont il avait toujours publiquement contesté la pensée. Schmoller publie dans son Jahrbuch96 une controverse entre Plenge et Strecker97 et, dans la postface, trouve des parallèles entre lui-même et Plenge.

Les idées de Plenge sur le « socialisme intérieur » sont tout de même très proches de mes propres positions. Jéprouve une certaine satisfaction de voir quun homme qui a fréquemment emprunté des chemins bien éloignés de mes propres idées est arrivé au cours de son évolution à des résultats bien semblables. Face au renouveau dans léconomie nationale allemande de la pensée de Manchester [Neumanchestertum]98, qui se manifeste au grand jour et sous des déguisements les plus étranges, se dressent spontanément de nouvelles digues. à mon âge avancé, cest une consolation de pouvoir observer cela99.

Mais la nouvelle sympathie nest pas illimitée. Si Plenge est pour Schmoller « un grand talent et un homme dune culture complète », il le traite aussi en privé de « querelleur » (Krakeeler) qui naurait pas encore fait ses preuves100. Max Weber, qui avait généralement une haute opinion de Plenge – il lavait considéré comme « le plus intelligent » de sa génération101 – réfute les idées de Plenge assez brusquement, sans toutefois le nommer. Pour Weber, « 1789 et 1914 », cest de la « littérature ».

Cependant, le snobisme typique de nombreux littérateurs (même de littérateurs assez intelligents) trouve ces problèmes prosaïques de réforme parlementaire 231et des partis dune banalité insupportable : ce ne seraient que « des questions techniques dun jour », par rapport à maintes spéculations sur les « idées de 1914 » ou le « vrai socialisme », ou dautres intérêts littéraires semblables102.

Construire une opposition entre la conception dÉtat « allemande » et celle de lEurope de louest, comme le fait Plenge dans « 1789 et 1914 », relève pour Weber du « bavardage vaniteux ».

Celui qui, pour des raisons qui relèvent de ses croyances ultimes, pose toute forme de pouvoir autoritaire per se au-dessus de lintérêt politique de la nation – quil lassume. Il est irréfutable. Mais quon ne nous envahisse pas à la place de bavardage vaniteux sur lopposition entre une conception « allemande » de lÉtat et celle de lEurope occidentale103.

Cest Plenge qui, quelque temps plus tard, mènera une rude attaque contre son ancien mentor. Dans une lettre, il lui reproche dêtre resté attaché « aveuglément à une valeur de jeunesse périmée », le parlementarisme104.

Un propagandiste efficace des idées de Plenge sera le théologien et sociologue Ernst Troeltsch. Cest lui qui fera pour les Annalen für soziale Politik und Gesetzgebung (« Annales de politique sociale et législation », un périodique de laile révisionniste de la social-démocratie) un compte rendu exhaustif et élogieux de « 1789 et 1914 », suite aux refus de Ferdinand Tönnies, sociologue et économiste, et dAdolf Weber, économiste et frère de Max, de traiter louvrage105. Pour Troeltsch, le vrai apport de Plenge serait de faire ressortir « lidée dun ensemble national qui transcende les individus », sur la base empirique dune nouvelle relation entre lÉtat et léconomie. Plenge éviterait le piège de la sur-organisation dun Rathenau ou dun von Moellendorff et laisserait de lespace aux individus, qui, dans sa conception, seraient « associés dans une activité libre et joyeuse106 ». Par la suite, Troeltsch va sapproprier les idées de Plenge et les propager : lopposition entre « sens commun allemand » et « civilisation démocratique occidentale », « culture » allemande versus 232« civilisation » occidentale, « conception occidentale » de lÉtat versus conception allemande. Face à la « liberté occidentale » des Français, Anglais et Américains se trouverait une « idée allemande de liberté », caractérisée par la volonté dorganisation et la conscience de chacun de son devoir vis-à-vis de la communauté, tandis que lindividu sépanouirait en Allemagne surtout en cultivant ses dons et capacités, par le biais de la Bildung : « Socialisme dÉtat, individualisme culturel107 ! » En mars 1916, devant la « Société allemande de 1914 » à Berlin, Troeltsch rencontre un vif succès. Max Weber assiste à lexposé et le commente dans une lettre à sa femme : « les personnes intelligentes étaient déçues108 ».

La réception de Plenge dépasse les limites de son propre milieu duniversitaires bourgeois pour influencer des représentants du mouvement ouvrier. Alors quil avait fait léloge de laile droite de la social-démocratie, il trouvera paradoxalement des alliés au sein de cette dernière surtout parmi des transfuges de laile gauche : le « groupe Lensch-Cunow-Haenisch ». Cette fraction du SPD, dont les figures de proue sont les députés et journalistes Paul Lensch, Konrad Haenisch109, Heinrich Cunow et Ernst Heilmann, avait été profondément ébranlée par leffondrement en 1914 de lInternationale socialiste. Députés au Reichstag, ils avaient voté contre les crédits de guerre, espérant jusquau bout pouvoir éviter le conflit armé. Ensuite, ils étaient devenus les plus ardents partisans dune victoire allemande. De leur propre point de vue, ils navaient pourtant pas rejoint le camp réformiste, mais cherchaient, face aux décombres de lInternationale socialiste, une nouvelle conception révolutionnaire110. Le point dancrage de la nouvelle théorie est une notion dimpérialisme qui se réclame du marxisme. La guerre, conséquence de limpérialisme, aurait déclenché une révolution « face à la laquelle la “grande” Révolution française nétait quun caquètement dans un poulailler. » LAngleterre, pays du capitalisme non organisé et déliquescent, menacée par le capitalisme allemand organisé et plus moderne, aurait été obligée de provoquer la 233guerre afin de sauver sa domination mondiale et donc celle du capitalisme classique. Avec la victoire de lAllemagne gagnerait le « capitalisme organisé », dernière étape avant le socialisme111.

Lensch, Cunow et Haenisch partagent avec Plenge la distance vis-à-vis du parlementarisme ainsi que le désir dun État fort. Arrivant pour ainsi dire en sens opposé, ils rejoignent les positions de Plenge en développant leur thèse du « socialisme de guerre ». La guerre aurait amené une transformation de lordre économique dans la direction du socialisme - « même des économistes bourgeois réputés » auraient dû ladmettre, selon Haenisch112. Le groupe se dotera de son propre journal, Die Glocke (« La cloche »), fondé en 1915 à Munich par Alexander Parvus113, qui paraîtra dabord à un rythme bi-hebdomadaire, puis hebdomadaire. Par lintermédiaire de Lensch, lui-même docteur en économie nationale, Plenge en deviendra un collaborateur régulier114.

III.2. Plenge, prÉcurseur
du national-socialisme ou du bolchÉvisme ?

En 1933, Plenge semble avoir espéré un temps une tardive consécration. Ses tentatives pour être reconnu par les nazis comme leur « grand-père spirituel » ont quelque chose de désespéré. Il multiplie les démarches, envoie des lettres tous azimuts, publie des correspondances privées, sans demander lautorisation de ses correspondants, tantôt pour prouver quil a toujours été du « bon » côté (celui des nazis et de leurs prédécesseurs)115, 234tantôt quil na jamais été du « mauvais » (la gauche)116. Mais il se heurte généralement à une fin de non-recevoir, voire pire. Pour les nazis, il est juste lun de ces opportunistes qui veulent prendre le train en marche : « Où étiez-vous quand Adolf Hitler avait besoin du soutien du monde universitaire ? Tout de même pas chez nous autres nationaux-socialistes ? », lui écrit fin 1934 le chef du service de presse du NSDAP, Otto Dietrich117. Sombart, à qui Plenge fait part de son dépit, le console dans une lettre de septembre 1933 :

En ce qui concerne votre revendication de la paternité du national-socialisme, dautres sont dans la même situation. Ainsi, moi aussi, jai conscience davoir défendu depuis longtemps de nombreuses idées qui agitent la politique actuelle. [] Mais on ne veut pas de pères spirituels. Toutes les pensées commencent avec lan I de la « révolution nationale ». [] dites-vous que nous navons pas écrit pour le jour, mais pour le siècle. Si actuellement, pour les enfants spirituels, vaut le principe : « la recherche de la paternité est interdite », [en français dans le texte], cela est beaucoup moins grave que dans un procès pour des pensions alimentaires. Laissons grandir activement nos petits-enfants, et intéressons-nous tout au plus un peu à leur éducation118.

Mais il est douteux que ces paroles bien intentionnées aient pu consoler Plenge lorsquen 1935 il est brutalement écarté de luniversité par le pouvoir nazi, peu réceptif au paternalisme et à léducation.

Les « idées de 1914 », le socialisme de guerre, mais aussi les idées de Gemeinwirtschaft (social economy), la recherche dune synthèse de socialisme et nationalisme entreprise par des universitaires comme par certains courants de la social-démocratie ont incontestablement nourri, sinon la pratique de la politique économique nazie, du moins son discours. La liste de ceux qui ont fourni des idées au « conservatisme révolutionnaire » des années 20, qui à son tour sera lun des terroirs du nazisme, est donc longue119. Et si on peut y faire figurer Plenge, y figurent aussi Rathenau, lindustriel juif, von Moellendorff, laristocrate prussien, ou encore un 235Edgar Jaffé, Kathedersozialist, lui aussi dorigine juive. Krüger voit Plenge comme un passeur idéologique entre le conservatisme du xixe siècle et ce quil appelle le « pré-fascisme » des années 20. Il entend par cela « tous ces idéologues et mouvement néo-conservateurs, qui anticiperont après la première guerre mondiale des éléments essentiels de lidéologie fasciste, sans être pour autant à proprement parler des propagandistes nazis120 ». Parmi eux figure à une place proéminente Oswald Spengler, philosophe et essayiste, auteur, outre son opus majeur sur Le Déclin de lOccident (rédigé avant la guerre, mais publié seulement en 1918), de « Prussianité et socialisme » (Preußentum und Sozialismus, 1920). On y retrouve comme un écho des idées de Plenge : une opposition entre les « valeurs prussiennes » (devoir - ordre - légitimité) et les « valeurs occidentales » (liberté - égalité - fraternité), ainsi que le thème dun « socialisme allemand » (une synthèse de socialisme et conservatisme). Lors de la parution du Déclin de lOccident (Der Untergang des Abendlandes) qui fut un bestseller après la guerre en Allemagne et traduit dans plusieurs langues, Plenge critique la construction historique du livre comme « superficielle et floue121 ». Dans sa thèse soutenue avec Plenge en 1924 à Münster, Heinrich König (« La nouvelle Allemagne et le socialisme prussien ») constate cependant que seule restera une « critique acerbe de la Révolution de novembre » si on soustrait de Preußentum und Sozialismus ce que Spengler doit à Lensch, Plenge et Sombart122.

Arthur Möller van den Bruck, historien, écrivain et fondateur en 1919 du « J-Club », un cercle de réflexion du courant « Jeune conservateur », à la fois hostile au communisme et au libéralisme, était après 1933 revendiqué par les nazis comme lun des leurs (il était mort en 1925), du fait de son ouvrage Das dritte Reich, paru en 1923, qui devait initialement sappeler « Le troisième parti ». Dans une lettre de septembre 1918, il remercie Plenge pour ses livres. En dépit de quelques divergences, Plenge lui aurait fait comprendre quil était impossible de concilier conservatisme et libéralisme, ou socialisme et libéralisme, alors quil était tout à fait possible de concilier conservatisme et socialisme123. Pendant la deuxième partie de la guerre ou juste après, Plenge est également en contact avec 236des personnalités qui feront ensuite une carrière sous le IIIe Reich. On peut nommer un certain Ernst Krieck, instituteur du pays de Bade, qui sera considéré après 1933 comme le chef de file des Sciences de léducation et de la pédagogie nazies. Krieck gravitera un temps parmi les révolutionnaires de novembre 1918, et mettra ensuite ses espoirs, rapidement déçus, dans la République de Weimar (il nadhère au parti nazi quen 1931/32)124. Krieck et Plenge nont été en contact quen 1917-1918, et bien que Max Weber ait reproché à Krieck dêtre « intellectuellement dépendant de Plenge », il semble douteux de considérer avec Krüger que « Krieck et Stadler incarnent la continuité des idéologèmes de la période de la guerre en passant par le pré-fascisme jusquau fascisme125 ».

Müller considère lidée dune « continuité Plenge-Hitler » comme simpliste et mécanique. Plenge serait un personnage par trop singulier, et en même temps un penseur trop peu important, pour le voir comme un inspirateur et suivre les traces de la réception de ses idées126. En revanche, il serait un exemple de choix pour étudier « à quel degré dextravagance a pu sélever la pensée allemande » à son époque127. Ce serait justement en examinant « les lois intérieures de la perception politique allemande » que lon pourrait découvrir les racines fondamentales de lidéologie nazie, et pour cela il serait utile de mettre à nu la figure spirituelle et intellectuelle de lopposition de 1789 et 1914128. Plenge se serait certes opposé au libéralisme et à lintroduction en Allemagne du régime parlementaire, ainsi quà lidée de lÉtat de droit démocratique, mais il aurait toujours eu conscience de la nécessité dintégrer dans la Nation et lÉtat la classe ouvrière et son mouvement politique129.

Peut-être sur la base de ce constat, on rencontre quelquefois, notamment dans la littérature anglo-saxone, lidée dune ligne de continuités de Plenge à Lénine130. Déjà certains contemporains voyaient des parallèles 237entre Plenge et les communistes russes. Ainsi Otto Bauer, le fondateur de laustro-marxisme, qui en 1920 constatait une « parenté profonde » entre le bolchevisme et le « socialisme prussien » des Plenge, Spengler et Lensch : les deux partageraient notamment « la foi superstitieuse en le pouvoir et lomnipotence de lÉtat131 ». En la personne dAlexander Parvus, que tous les deux connaissaient, existait un « lien physique » entre Lénine et Plenge. Lénine, bien quil ait éprouvé peu de sympathie pour le personnage, a suivi de son exil zurichois les activités de Parvus à Munich, notamment le journal Die Glocke. Cela ressort clairement dun article rédigé en novembre 1915 et publié un an plus tard dans le périodique Sotsial-Demokrat132. Lénine est particulièrement peu tendre avec Parvus, traité d« aventurier », et, dans la foulée, règle leur compte à Lensch, Haenisch et Grunwald, les « sociaux-patriotes allemands133 ». Il semble donc vraisemblable que Lénine ait pu lire les articles que Plenge publie dans la Glocke en 1917134.

Cela semble dautant plus plausible que lon sait des carnets de notes de Lénine quil a lu en 1916 deux ouvrages de Plenge135. Dès 1913, il avait découvert ce dernier par le biais dun compte rendu (peu favorable) quOtto Bauer avait fait de Marx und Hegel136. Ensuite, en 1916, on trouve ce titre ainsi que celui sur la politique de lescompte dans le registre des livres quil a empruntés à la Bibliothèque cantonale de Zurich137. Dans les carnets de notes (« notebook beta ») de 1916, on trouve des notes dune lecture approfondie de Marx und Hegel, probablement datant davant juin 1916. Lénine couvre plusieurs pages de citations de Plenge et les commente138. Avec le langage acerbe qui le caractérise parfois, il rend compte de louvrage de Plenge : « comment je, je, je “lis” Hegel et Marx ». « Plenge narrive pas à comprendre comment le “matérialisme” peut aller de pair avec lesprit révolutionnaire (il appelle ce denier “idéalisme” etc.) et se fâche à cause de son manque de compréhension ! ! ! ! » – note Lénine 238avec une délectation perceptible139. Quand Plenge essaie de critiquer Marx, Lénine le qualifie d« insensé140 ». Un passage où Plenge considère que Marx a « le tempérament dun fanatique » et de « tête brûlée » est ironiquement annoté : « cest justement cela141 ». Lénine traite le livre de Plenge de « bon exemple de la manière dont les professeurs bourgeois vulgarisent les fondements théoriques du marxisme142 » pour conclure : « ce Plenge est un vulgarisateur extrême ; la valeur scientifique de ce livre de ragots est zéro143 ».

Le moins quon puisse dire, cest que Lénine se montre réservé en lisant Plenge. Stephen Hicks a néanmoins pu affirmer que Lénine a été influencé par Plenge144, par exemple dans son célèbre aphorisme de 1914 sur limportance détudier Hegel pour comprendre Marx.

Il est impossible de comprendre complètement le Capital de Marx, et tout particulièrement son premier chapitre, sans avoir profondément étudié et compris lensemble de la logique hégélienne. Par conséquent, un demi-siècle plus tard, aucun des marxistes na encore compris Marx145 ! !

Rappelons à ce propos que cet aphorisme, que Hicks prend pour un alignement sur des positions de Plenge dans Marx und Hegel, est antérieur de deux ans à la lecture du livre par Lénine.

Il est généralement admis que lexpérience allemande ait eu une influence sur les modèles économiques mis en place par Lénine après la révolution doctobre146. Le 11 mars 1918, Lénine écrit en effet dans un article publié le lendemain par lIstvestia :

Oui, apprendre des Allemands ! Lhistoire avance en zigzag et par des chemins circulaires. Il se trouve alors que ce sont les Allemands qui personnifient maintenant, outre un impérialisme brutal, les principes de discipline, dorganisation et de coopération harmonieuse sur la base dune industrie moderne et mécanisée, ainsi quune comptabilité et un contrôle stricts. Et cest justement ce quil nous faut. Et cest justement ce que nous devons apprendre. Cest justement ce dont notre grande révolution a besoin afin de 239passer de débuts triomphants, à travers une série dépreuves sévères, vers son but triomphant. Cest justement ce quexige la République Soviétique russe afin de ne plus être misérable et impuissante, et pour devenir définitivement puissante et riche147.

Certes, cette exaltation de lorganisation allemande nest pas sans rappeler certaines idées chères à Plenge. Mais il sagit tout au plus de parallèles, en aucun cas dune quelconque influence. Ce que Lénine admire, ce sont les réalisations allemandes qui, rappelons-le, ne doivent rien à Plenge en particulier. Les bouleversements économiques sont la conséquence de la guerre et surtout des interventions de Rathenau. Plenge les suit, les commente, voire tente de les instrumentaliser au service de son ambition personnelle et de ce quon peut appeler son « modèle sociétal ». à ce stade de nos réflexions, la réponse à la question dune hypothétique influence de la pensée et des concepts de Plenge sur lorganisation économique dans la Russie soviétique à ses débuts est simple : non.

Conclusion

Dans la trajectoire de Plenge comme dans ses écrits, on peut discerner des traits caractéristiques de son époque et de son pays, lAllemagne en guerre. En cela, léconomiste et sociologue Johann Plenge, dans son désir de fournir des arguments à leffort de guerre, dans son messianisme, dans sa recherche dune « troisième voie », dans sa volonté davoir une prise sur le réel, est un personnage révélateur148 de toute une génération duniversitaires et de penseurs, dont fait aussi partie Rathenau. Comme cest le cas pour ce dernier, les idées et conceptions de Plenge sont pour lessentiel en place dès lavant-guerre149. Plenge sest confronté à Marx, en ayant pour cela recours à Hegel et aux traditions de lidéalisme 240allemand, notamment à sa vision de lÉtat et de lhistoire. Économiste de formation, il a combiné cela à une forte dose de matérialisme et la mis au service de son ambition150. Encore comme pour Rathenau, la situation de guerre lui a ouvert ensuite des possibilités pour tenter de mettre ses concepts à lépreuve, voire de les réaliser. Seulement, si lon le compare, là encore, à Rathenau, il réussit infiniment moins bien que ce dernier. Son œuvre, du moins la partie que nous avons étudiée ici, relève moins des sciences économiques et plutôt de la philosophie politique, voire du pamphlet, ce qui tient principalement à la volonté de Plenge de peser sur la sphère politique. Non sans raisons, on a reproché à Plenge davoir cessé dagir en économiste sérieux au moment précis où il avait atteint la consécration universitaire151. Et déjà des contemporains (Max Weber, Otto Bauer, Lénine entre autres) avaient remarqué le vide conceptuel dans ses écrits. Au fond, après 1914, il sest contenté dexalter les prouesses organisationnelles de léconomie de guerre allemande, que le pays devait pour lessentiel à Rathenau, qui à son tour sétait appuyé sur le « capitalisme organisé ».

Plenge a été incontestablement un inspirateur didées ou « didéologèmes » (Krüger) que lon retrouvera ensuite dans le « pré-nazisme » ou dans le discours nazi lui-même. Mais là encore, il convient de ne pas surestimer son importance. Tout dabord, il est loin dêtre seul dans son cas152, ce qui tient pour une bonne partie au caractère profondément éclectique et hétéroclite du discours idéologique nazi. Plenge et dautres ont formulé des slogans qui ont pu ensuite servir la propagande nazie dans ce quelle avait danti-capitaliste – rappelons au passage que lanticapitalisme nazi sest pour lessentiel exercé sur le terrain de la rhétorique. Surtout, aucun déterminisme dans tout cela : ce qui vaut pour les nazis vaut également pour des pratiques directement issues de la Novemberrevolution ou des innovations de la République de Weimar153. Lidéal dune élite dont la légitimité serait 241moins fondée par la démocratie que par sa formation et sa compétence, lidéal dun leadership bureaucratique, le rejet des intérêts concurrents caractéristiques du libéralisme et du jeu démocratique : autant que dans ce « pré-nazisme », on les retrouve dans la Zentralarbeitsgemeinschaft154 de la République de Weimar ou dans le Rat der Volksbeauftragten155 du pouvoir révolutionnaire.

Lexemple de Plenge illustre aussi toute lambivalence de luniversitaire qui essaye de peser sur la sphère publique. Dautres lont essayé avant lui, en Allemagne ou ailleurs, avec plus ou moins de succès, dont de nombreux Kathedersozialisten. On pense aussi à Max Weber. Mais Plenge navait probablement ni lenvergure de ce dernier, ni surtout son sens du recul et de la mesure. Sa démarche reste celle dun opportuniste, il souffre de manière récurrente de pertes de réalisme et se met volontiers au service de tel ou tel courant, pour peu que cela lui permette dexister. Du point de vue de lhistoire des idées, il est cependant difficile de le considérer comme un « fasciste, décisionniste ou conservateur156 ». Sous laspect des continuités historiques, le jugement peut et doit être différent, car Plenge a joué un rôle de passeur entre le conservatisme du xixe siècle et la nébuleuse de la République de Weimar dont sortira le nazisme. Pour ce qui est finalement dune hypothétique influence de la pensée de Plenge sur Lénine et les communistes russes, nous avons vu ce que Lénine pense de Plenge. Si par moments simpose limpression de « pensées parallèles » (Otto Bauer dès 1920), linfluence directe peut être exclue de bon cœur.

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1 Voir Beßlich (2000) et Bruhn (2007). Le sujet a été bien étudié, pour la bibliographie voir Hoeres (2004) ; Bruendel (2003, 2004, 2014).

2 Dupeux, (1992, 2001) ; Merlio (2003) et Sternhell (1995).

3 Hayek (1985). La première édition de loriginal anglais date de 1944.

4 « Pour lui [Plenge] comme pour tous les socialistes qui tirent leur socialisme dune application rigide de lidéal scientifique aux problèmes sociaux, lorganisation est lessence même du socialisme. Ce fut, comme il le souligne, la base du mouvement socialiste à ses débuts en France dans les premières décades du xixe siècle » (Hayek, 1985, p. 124).

5 « Et il [Plenge]annonce toutes les idées qui servirent plus tard pour justifier lordre nouveau dHitler » (Hayek, 1985, p. 125).

6 Hoeres, 2004 et Bruendel (2003, 2004, 2014). Plus particulièrement pour les universitaires Schwabe, 1969 et aussi Chagnon, 2007.

7 Un aperçu biographique détaillé de Plenge se trouve chez Busch (2007). On se réfère également à Schildt (1987).

8 Müller (2001, p. 24-29). Il a cela en commun avec Max Weber et dautres économistes allemands de lépoque.

9 Krüger (1983, p. 86). Krüger a exploité minutieusement le fonds Plenge conservé à la bibliothèque universitaire de Bielefeld (Nachlass Plenge UB BI), composé de lettres, manuscrits, carnets de notes etc., ce qui rend son ouvrage exceptionnellement riche, et en a fait une source précieuse pour notre étude.

10 Schildt (1987, p. 526). Lidée centrale serait de « diriger du haut du système des crédits une économie nationale organisée et centralisée ».

11 « herausragend », (Müller, 2001, p. 25).

12 Müller (2001, p. 26).

13 Plenge (1911).

14 Borchardt & Cipolla (1985, p. 183).

15 À ce propos voir Wehler (1995, p. 663-680) ; puis Dobb (1973) ; Winkler (1974) ; Mommsen (1978) ; Nipperdey (1979).

16 Fondamental à cet égard Naumann (1906).

17 Müller (2001, p. 41). Louvrage est considéré tantôt comme la recherche une synthèse intellectuelle entre Marx et Hegel, tantôt comme une tentative de « récupérer » chez Marx ce qui est « utilisable ».

18 Krüger (1983, p. 24).

19 Müller (2001, p. 28) cite Schäfers (1967, p. 10) : der « Praktiker », der « kaum etwas so “leidenschaftlich bekämpft” hatte wie “das von Max Weber mühsam sich abgerungene Ethos der Werturteilsfreiheit” ».

20 Müller (2001, p. 28) : « Seien Sie froh, dass wir sie sonst in Ruhe lassen ».

21 Müller (2001, p. 29) : « den Generalschlüssel zu den elementaren Fragen und Aufgaben der Zeit und der Geschichte ».

22 Ce développement suit pour lessentiel les travaux de Bruendel (2003, 2004, 2014).

23 Outre les travaux de Bruendel voir ceux de Wehler (1995) ; Beßlich (2000) et Hoeres (2004) et leurs bibliographies. Pour lAugusterlebnis (lémotion en août 1914) voir Bruendel (2003, p. 29-59).

24 Plenge (1915-1, p. 189).

25 Rolffs (1914, p. 391). Bruendel (2004, p. 6).

26 Bruendel (2003, p. 61-92).

27 À propos du concept de Deutsche Freiheit (liberté allemande) voir Schmidt (2010) et Bruendel (2004, p. 7).

28 « Two experiences formed the basis for these ideas : the national harmony that appeared suddenly at the beginning of the war, known as Augusterlebnis [August Experience], and the efficient organization of the economy for the necessities of the war, for which Walter Rathenau (1867-1922) was responsible » (Ungern-Sternberg, 2014).

29 « Des idées très analogues étaient courantes dans les bureaux du dictateur allemand des matières premières, Walther Rathenau. Il aurait frissonné sil avait pu se rendre compte de toutes les conséquences de ses conceptions en économie politique. Il mérite en effet une place considérable dans toute histoire complète du développement des idées nazies. » (Hayek, 1985, p. 126).

30 Rathenau – industriel, critique dart, mécène, philosophe, homme politique – est un personnage aux multiples facettes. Voir Brömsel & Küppers (2014).

31 Rathenau, 1967, p. 187-188.

32 Une description détaillée de la mise en place de la Kriegsrohstoffabteilung se trouve chez Feldman (1985, p. 52-58). Nous suivons ici dans lensemble les développements et indications chiffrées de Delabar (2016).

33 Voir à ce propos Werth (1996, p. 67-96), ainsi que Hoeres (2004, p. 388, note 254).

34 Voir à ce propos Saccone (2015).

35 Delabar (2016, p. 4).

36 Voir à ce propos Espahangizi (2014) et Delabar (2016, p. 4).

37 Rathenau (1915, p. 6 f., p. 14 f.) Les citations douvrages en langue allemande ont été traduites par lauteur (C. E.).

38 Delabar (2016, p. 4).

39 Afflerbach (1994, p. 173).

40 Asmuss (2014).

41 Afflerbach (1994, p. 173).

42 Voir Feldman (1985, p. 54-55).

43 Espahangizi (2014, p. 180). Voir aussi Szöllösi-Janze (1998, p. 281 f.).

44 Delabar (2016, p. 6.)

45 Henning (1993, p. 33).

46 Afflerbach (1994, p. 174).

47 Afflerbach (1994, p. 173). (Referenz Kriegstagebuch Einem, 17. 2. 1915, BA).

48 Delabar (2016, p. 6).

49 Rathenau (1918, p. 295).

50 Ibid., p. 345.

51 Lexpression, utilisée en 1871-1872 par le juriste et homme politique libéral Heinrich Bernhard Oppenheimer dans une polémique contre les universitaires qui réclamaient aux pouvoirs publics la mise en place dune politique sociale, a ensuite été acceptée et utilisée par les intéressés.

52 Voir Breton (1988).

53 Müller (2001, p. 38). Une certaine influence de la tradition de lidéalisme allemand est incontestable.

54 À propos du Vereinfür Socialpolitik, qui existe encore de nos jours et qui publie notamment les revues German economic review et Perspektiven der Wirtschaftspolitik, voir Gorges (2018).

55 À propos de Schmoller, voir Reheis (1991).

56 Nipperdey (1990, p. 666). Notre description de lécole historique et de ses ailes suit celle de Nipperdey.

57 Nipperdey (1990, p. 666-667).

58 Müller (2001, p. 39,) « Höherrangigkeit des staatlichen Ganzen gegenüber dem Individuum ».

59 « LÉtat commercial fermé ». Cest une référence à louvrage homonyme du philosophe allemand Johann Gottlieb Fichte, publié en 1800 (Fichte, 1800).

60 Müller (2001, p. 40).

61 Krüger (1983, p. 23).

62 Plenge (1915-1). En 200 pages et dix chapitres, il traite les sujets suivants : I. La guerre et lhistoire mondiale ; II. La guerre économique ; III. Léconomie mondiale sous leffet de la guerre ; IV. La guerre en tant que processus économique ; V. Le premier choc de la guerre ; VI. La transition vers « lÉtat commercial fermé » ; VII. La guerre en tant que phénomène conjoncturel ; VIII. La guerre en tant que défi administratif ; IX. Les conditions de paix économiques ; X. Notre avenir.

63 Les sermons de Guillaume II, qui avait lhabitude de prêcher le dimanche dans la cathédrale de Berlin en face du château impérial, ne sont pas loin (Johann, 1966).

64 Schäfers (1967, p. 8-9) cité daprès Müller (2001, p. 26).

65 Krüger (1983, p. 124). Max Weber et dautres économistes (minoritaires) ne partageaient pas cette vision des choses.

66 Plenge (1915-1, p. 16, p. 19), « Geschäftskrieg ».

67 Plenge (1915-1, p. 13), « Krieg erzeugt Wirtschaft, Wirtschaft Krieg ».

68 Krüger (1983, p. 26).

69 Héraclite : « La guerre est le père de toute chose, et de toutes le roi. »

70 Plenge (1915-2, p. 23).

71 Plenge (1915-2, p. 24).

72 Plenge (1915-1, p. 159).

73 « Lorganisation, cest le socialisme » (Plenge, 1915-1, p. 99).

74 Plenge (1915-1, p. 125), p. 160. Krüger (1983, p. 126).

75 Plenge (1915-1, p. 160).

76 Plenge (1915-1, p. 133).

77 Plenge (1915-1, p. 94-95).

78 Plenge (1915-1, p. 96-97).

79 Plenge (1915-1, p. 99).

80 Plenge (1915-1, p. 190).

81 « Lâme allemande guérira le monde ». Lempereur utilise cette formule dans un discours du 1er août 1907, et cela devient rapidement un slogan de la droite nationaliste. Lorigine de la formule revient au poète Emmanuel Geibel, dont le poème « Deutschlands Beruf » de 1861 nest pas du tout nationaliste, plutôt dinspiration pacifiste.

82 Plenge (1915-1, p. 202).

83 Hoeres (2004, p. 118).

84 Krüger (1983, p. 247).

85 Bahr (1917,p. 203-220. « Ainsi, le thème de Plenge, les “idées de 1914”, fut repris à son compte dabord par Kjellen, ensuite par Troeltsch, ensuite rapidement par les journaux, transformé, prolongé, développé, émoussé, approfondi, renforcé, modéré ou modulé, varié, mais aussi galvaudé et usé, jusquà ce que, à moitié effacé et à peine reconnaissable, il devînt lun de ces futiles slogans ».

86 Plenge (1915-2, p. 26).

87 À ce propos, voir Fehlberg (2012).

88 À propos des différents courants dans la pensée allemande avant 1914, dont le courant « néo-Kantien » (Neukantianer), voir Hoeres (2004, p. 41-64).

89 Krüger (1983, p. 194). FZ, Jg. 60, 1915, Nr. 356 v. 24.12.1915.

90 Plenge (1916).

91 Plenge, (1916, p. 28).

92 Plenge, 1(916, p. 9 ; voir également p. 6 et p. 21).

93 Plenge & Bahr (1919, p. 84). Plenge, 1916, p. 162).

94 Krüger (1983, p. 198).

95 Ibid.

96 Les Jahrbücher für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft im Deutschen Reich, dont léditeur était depuis 1877 Gustav von Schmoller, sappelaient depuis 1913 officiellement Schmollers Jahrbuch et étaient des décennies durant lune des publications les plus importantes des économistes allemands. Le périodique existe toujours, depuis 2016 sous lappellation de Schmollers Jahrbuch-Journal of Contextual Economics.

97 Plenge & Strecker (1919).

98 Expression péjorative pour désigner le libéralisme.

99 Ibid., p. 36.

100 Krüger (1983, p. 200). BA, Nl 1/58, fol. 59, Schmoller an Brentano am 4.10.1915.

101 Bruhns (2014, p. 37, note 84).

102 Weber (2015, p. 260). Voir aussi Krüger (1983, p. 206).

103 Weber (2015, p. 128).

104 Krüger (1983, p. 206). UB Bl, Nl Plenge, Plenge an M. Weber am 30.8.1917.

105 Krüger (1983, p. 202, note 123). Tönnies néprouve quune « faible sympathie » pour le livre, et lhabitude de Plenge de sauto-citer lincommode. Pour Adolf Weber, les idées de Plenge sont un « socialisme dÉtat poussé à lextrême ».

106 Krüger (1983, p. 202). Troeltsch (1917, p. 313).

107 Krüger (1983, p. 204) ; Troeltsch (1925, p. 103). à propos de la pensée de Troeltsch et de sa réception pendant la guerre, voir Hoeres (2004, p. 262-275).

108 Krüger (1983, p. 203-204). ZStA II, Rep. 92/Weber, Nr. 30/2, Bl. 75, M. Weber an seine Frau Marianne am 22.3.1916 (AS).

109 Suite à la Révolution de novembre 1918, Haenisch sera au début des années 20 le Ministre de léducation du Gouvernement SPD de la Prusse. Cest avec son aide, notamment financière, que Plenge pourra fonder son propre institut de recherche. Haenisch démissionne en 1921, et Plenge perd son institut en 1923. Krüger (1983, p. 24).

110 Krüger, (1983, p. 219-220). Voir aussi Scharlau & Zeman (1964).

111 Krüger (1983, p. 221). Lensch (1917).

112 Krüger (1983, p. 220). Le social-démocrate autrichien Karl Renner, un proche du groupe (futur premier chancelier de lAutriche tronquée de 1919, puis une nouvelle fois en 1945), ira encore plus loin avec sa vision du capitalisme qui serait progressivement transformé par lÉtat, considéré comme neutre vis-à-vis des conflits de classe (Krüger 1983, p. 221).

113 Alexander Parvus, né sous le nom de Israel Lazarevitch Helphand en 1867 en Biélorussie, était un révolutionnaire russe un temps proche des mencheviks, puis, après son installation en Allemagne, dans les années 1890, un cadre du mouvement social-démocrate allemand. Il aurait développé avec Trotski le concept de la « révolution permanente », et est surtout passé à la postérité pour avoir organisé en 1917 pour le compte du Gouvernement allemand le rapatriement de Lénine en Russie.

114 La série darticles publiés en 1917 dans la Glocke sous le titre « Révolutionner les révolutionnaires » paraîtra lannée suivante sous forme dun livre. Plenge (1918). Plenge y développe et vulgarise ses idées dun « nouveau socialisme » explicitement détaché des idées de Marx et Engels.

115 Plenge (1935-1). Démarche presque pathétique, il publie aussi les documents prouvant ses tentatives dadhérer à une organisation dextrême droite, le « Bund Schlageter », du nom dun martyre nazi, Albert Schlageter, fusillé par larmée française pour avoir commis des attentats lors de loccupation de la Ruhr en 1923 (Plenge, 1935-2).

116 Krüger (1983, p. 239). Plenge, 1935-3.

117 Krüger (1983, p. 239). UB Bl, Nl Plenge, Dietrich an Plenge am 7.11.1934.

118 Krüger (1983, p. 239-240). UB Bl, Nl Plenge, Sombart an Plenge am 24.9.1933.

119 Voir Mohler (1999) ; Greiffenhagen (1985) et Krüger (1983, p. 232, note 4), à propos de léconomiste Schulze-Gävernitz qui voit Rathenau comme national-socialiste et précurseur dHitler (BA/MA, N 523/v.20).

120 Krüger (1983, p. 24).

121 Krüger (1983, p. 232). UB Bl, Nl Plenge, hs. Manuskript : Der Untergang des Abendlandes.

122 Krüger (1983, p. 232).

123 Krüger (1983, p. 232). Lidée de cette synthèse est centrale dans Das dritte Reich. Plenge publiera cette correspondance en 1935 pour prouver sa « paternité spirituelle ».

124 Krüger (1983, p. 236-237).

125 Krüger (1983, p. 239). Il sagit dEduard Stadtler, propagandiste dun « socialisme national » au cours des années 20 et ensuite député NSDAP. Stadtler avait cherché le contact avec Plenge et revendiqué son influence, mais Plenge sétait montré très distant et critique.

126 Müller (2001, p. 13). Plenge « schliesst eine breiter angelegte Rezeptionsgeschichte aus ».

127 Ibid., Plenge ein Beispiel für die « Verstiegenheit » des deutschsprachigen Denkens.

128 Ibid., « die inneren Gesetzmäßigkeiten der deutschen politischen Wahrnehmung ».

129 Müller (2001, p. 14).

130 Par exemple chez Hicks (2011) ou Jessop & Malcolm-Brown (1990).

131 Bauer (1920, p. 356). Krüger (1983, p. 232, note 5).

132 Sbornik Sotsial-Demokrata était un périodique russe publié sous la supervision de Lénine par des socialistes russes exilés. Il na vu paraître que deux numéros, faute de crédits, en octobre et décembre 1916.

133 (1974, p. 421-422).

134 Plenge (1918).

135 Il sagit de Plenge (1911) et Plenge (1913).

136 Lenin (1974, p. 397). Toutes les traductions à partir de langlais sont de lauteur (C.E.).

137 Lenin (1976-3).

138 Lenin (1976-2, p. 390).

139 Ibid., p. 388.

140 Ibid., p. 388.

141 Ibid., p. 389.

142 Ibid., p. 388.

143 Ibid., p. 391.

144 Hicks (2011, p. 126, note 107).

145 Lenin (1976-1).

146 Henning (1993, p. 33).

147 Lenin (1972).

148 Au moment où nous mettons sous presse paraît en Allemagne une volumineuse thèse sur Plenge (Busch, 2019).

149 Bien que lui-même ait contesté être sous linfluence de Hegel, on a rattaché la pensée de Plenge au courant « néo-hégélien » (Krüger, 1983, p. 198, note 86 ; Müller, 2001, p. 35). On a aussi voulu y voir des traces dinfluences « néo-kantiennes » (Müller, 2001, p. 34).

150 Müller (2001, p. 35).

151 Schäfers (1967, p. 8-9), qui considère quil est légal de Max Weber du point de vue du potentiel intellectuel, lui reproche toutefois davoir abandonné à partir de 1913 les règles et habitudes universitaires – la démarche scientifique, lanalyse et largumentation – en faveur de laffirmation véhémente et de la polémique.

152 Ici encore, on constate un parallèle avec Rathenau, en tout cas si lon suit lavis de Hayek(1985, p. 126, déjà mentionné).

153 Krüger (1983, p. 249-250).

154 Alliance formelle entre les syndicats et les organisations patronales, fondée en novembre 1918 par les accords dits « Stinnes-Legien » (du nom des deux signataires).

155 Le « Conseil des fondés de pouvoir du peuple », issu de la Révolution de novembre 1918, était une émanation du pouvoir révolutionnaire qui surveillait jusquen février 1919 le Gouvernement.

156 Krüger (1983, p. 243).