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Classiques Garnier

L’esclavage public dans la pensée antique Perspective politique et questionnement économique

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d'histoire de la pensée économique
    2020 – 1, n° 9
    . varia
  • Auteur : Dartigues (Laurent)
  • Résumé : La démocratie contre les experts est un essai marquant. Il éclaire un aspect méconnu de l'esclavage antique que l'histoire en général et l'histoire économique en particulier ont négligé au profit de l'esclavage de plantation. Il porte aussi une réflexion sur la nature de démocratie, car les esclaves publics assurent les tâches administratives de la cité que la démocratie grecque place ainsi hors du politique. Elle interroge donc la démocratie actuelle qui privilégie l'administration des choses au gouvernement des hommes. Inversement, l'histoire économique peut utilement interroger la place et le rôle des esclaves publics qui participent à l'administration de la vie économique, en particulier dans le domaine du contrôle des monnaies. Et susciter ainsi un dialogue fécond pour ouvrir de nouveaux chantiers quant à la compréhension de l'origine des monnaies dans les cités antiques grecques.
  • Pages : 175 à 196
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406106029
  • ISBN : 978-2-406-10602-9
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10602-9.p.0175
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/05/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Esclavage public, société esclavagiste, démocratie athénienne, expertise, gouvernement, esclavage de plantation, capitalisme, démocratie représentative, démocratie directe, pièces de monnaie
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Lesclavage public
dans la pensÉe antique

Perspective politique et questionnement économique

Laurent Dartigues

CNRS

TRIANGLE – UMR CNRS 5206

Tant du côté des études comparées (ou globales) que de léconomie politique (historique), lhistoire de lesclavage constitue un secteur de recherche éminemment dynamique. Lesclavage dit de plantation du Nouveau Monde, de lAmérique du Nord au Brésil en passant par les Caraïbes, a reçu à ce titre une attention particulière. Et il a toujours été au cœur de lhistoire économique, au moment où lEurope était agitée par la question de labolition de lesclavage. Plus récemment, il constitue une des préoccupations majeures de la « Nouvelle histoire » du capitalisme américaine qui cherche à saisir ce que le développement du capitalisme doit à lesclavage de plantation (commerce des esclaves, expropriation coloniale des terres comme processus primaires daccumulation, productivité des plantations de coton noué aux violences physiques sur les esclaves, contribution des plantations de coton au PNB, etc.).

Lessai de Paulin Ismard sur lesclavage public antique, dont jai rendu compte (Dartigues, 2019), donne loccasion de découvrir un pan de lesclavage assez mal connu, porteur dun nouveau questionnement pour lhistoire de lesclavage en général et pour son histoire économique en particulier. Cette dernière naurait-elle pas intérêt à semparer de la problématique de lesclavage public afin, dune part, denrichir ses propres analyses de lesclavage, et, dautre part, de lui permettre de dialoguer avec lhistoire économique plus quantitative en lamenant sur un autre 176terrain ? Contrairement au vœu de Douglass North délever léconomie au-dessus du politique (Boldizzoni, 2016, p. 123), lesclavage public invite à mettre le politique au centre du débat scientifique en renouvelant le questionnement sur les rapports entre la démocratie et lexpertise, notamment dans sa dimension, au risque de lanachronisme, économique.

En quoi aujourdhui lhéritage grec peut stimuler la réflexion sur les démocraties modernes nécessite de savoir de quoi on parle quand il est question de cet obscur objet de désir quest la démocratie grecque antique. Et donc de penser lécart de notre présent à ce passé, de dissiper les malentendus qui accompagnent les rêves européens de lAthènes ancienne. Nul ne peut ignorer que celle-ci marchait main dans la main avec lesclavage. Ce qui apparaît évidemment totalement incompatible à nos yeux contemporains, et interroge, au-delà des esclaves publics du reste, la nature du politique dans la Grèce classique. Toutefois, et cest par ailleurs un angle mort de lessai dIsmard, il semblerait intéressant de maintenir ou de soulever un questionnement économique1 à propos des dêmosioi, ne serait-ce par exemple que sur le coût de cette administration ou la manière dont elle est financée2.

Il sagit dans cet article de penser la façon dont les Grecs anciens concevaient la servitude. Dans un premier temps, je présenterai quelques éléments de compréhension de lesclavage public antique et déploierai la question des obstacles épistémologiques à la connaissance de ce type desclaves. Ensuite, jexaminerai ce que cet esclavage public nous dit de la nature de la démocratie antique et contemporaine. La transmission de lhéritage grec est peut-être une potion amère, mais elle inviterait au moins à ne pas reculer devant la dimension politique des sciences historiques. Enfin, dans un troisième temps, jexplorerai la manière dont lhistoire économique peut questionner lesclavage public, en particulier à légard de la gestion de la monnaie confiée par la cité athénienne à ces esclaves si singuliers.

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I. Partir pour la GrÈce ?
Mais ce nest pas sans risque…

Selon lhistorien François Hartog, les voyageurs savants avaient et auraient encore de bonnes raisons de faire le voyage en Grèce qui à ses yeux demeure ce quil appelle son « arrière-pays ». On y voit toutefois ce quon y cherche, dit-il en substance, car le lien à la Grèce ancienne est un rapport de sens par lequel lEurope sest représentée elle-même dans la manière dont elle fabrique lAntiquité et lui confère une « signification utile » (Hartog, 2015, p. 47, en reprenant Momigliano), changeante dans le temps. Rapport de savoir, mais aussi rapport de désir et de nostalgie3, la Grèce ancienne fut donc pour lOccident un objet singulier travaillé par un équipement mental qui a déterminé les représentations que les savants, de Fustel de Coulanges et Durkheim à Vernant, en passant par Finley et Ricœur, sen faisaient, les « objets » de connaissance quils ont privilégiés.

Les esclaves publics (les dêmosioi), apparaissent en « creux » dans lhistoire de lantique Grèce. Cela a bien sûr à voir avec les sources, il ny en a que fort peu et la plupart ne lévoquent quindirectement. On trouve ainsi des allusions aux dêmosioi dans la rhétorique civique, la poésie (Hésiode, Bacchylide), lhistoire (Diodore de Sicile) et la géographie (Pausanias) (Ismard, 2015, p. 15). Les esclaves publics restent néanmoins identifiables, essentiellement grâce à des sources épigraphiques, et, dans une moindre mesure, grâce à des bribes de textes divers dont il ne faut pas dissimuler les difficultés dinterprétation. Un seul exemple en donnera une idée. Pour évaluer leur nombre, on ne dispose que de deux données chiffrées, qui ne concernent en outre que la seule Athènes, et, qui plus est, savèrent délicates à analyser.

Quoi quil en soit, que nous apprennent les sources documentaires ? Achetés pour lessentiel sur les marchés aux esclaves, les esclaves publics sont la propriété collective de la cité. Si les citoyens font la politique de la cité, votent et décident, ces esclaves assurent de nombreuses tâches 178administratives, indispensables qui en découlent. Observons que ce fonctionnement est une sorte de reflet à léchelle de la cité de lorganisation de la cellule familiale. De même que lesclave-intendant administre le domaine, veille aux biens du maître et à ce que ces décisions soient appliquées, tient le compte de ses revenus, les dêmosioi administrent la cité. Selon la liste que dresse Ismard4, dans le domaine des écritures publiques, ils ont la responsabilité de linventaire des biens publics, classent, conservent, copient, rédigent des documents publics. Dans le domaine économique, ils collectent limpôt et tiennent la comptabilité des grands chantiers, ils protègent lactivité commerciale et pour cela conservent les étalons fixant les poids et les mesures, garantissent le poids et laloi des monnaies et détiennent par ailleurs le pouvoir de retirer et cisailler la monnaie contrefaite5, font office de changeur de monnaie. Dans le domaine judiciaire, ils tirent au sort les héliastes6, décomptent les votes, quand dans le domaine de la police, ils sont en charge du maintien de lordre public, ou, dans le domaine de la vie religieuse, au côté parfois des esclaves sacrés, les dêmosioi assistent les prêtres, organisent les cultes, et peuvent même, exceptionnellement, officier comme prêtres. En tant quesclaves, ils sont dépourvus didentité légale, mais bénéficient de privilèges sans commune mesure avec leur statut de corps-marchandise. Ismard rapporte, par exemple, que le dêmosios est rémunéré par la cité, à un niveau sensiblement analogue à ce que reçoit un magistrat, un « citoyen » ! De plus, la fonction du dêmosios est relativement permanente contrairement à la magistrature dont les titulaires sont renouvelés tous les ans – les sources à ce jour disponibles indiquent des durées comprises entre 2 et 17 ans. Les dêmosioi peuvent en outre posséder des biens dont des esclaves ! Ils disposent dun droit de transmission patrimoniale et dun « privilège de parenté », leur autorisant lusage dun patronyme accolé au nom personnel, sans toutefois obtenir le démotique propre aux citoyens7. Les fils de dêmosioi179peuvent en outre devenir citoyens sans passer par le statut daffranchi. Des dêmosioi ont pu également être honorés par la cité, prendre la parole en leur nom propre devant les tribunaux.

On est en droit de sétonner quau vu de limportance de sa fonction, de son lien consubstantiel à la prospérité de lAthènes du ve siècle souligné par Aristote (Ismard, 2015, p. 87), lesclavage public soit si mal documenté.

Le fait que les esclaves publics ne constituent quune infime parcelle du monde des esclaves antiques, qui sont essentiellement les propriétés privées des hommes libres (1 000 à 2 000 esclaves publics à Athènes sur 50 à 200 000 esclaves privés), expliquerait-il que leur connaissance nen soit pas aisée ? Lhistoriographie est en tout cas à la peine. Elle ne sempare de la question quau tournant du xixe-xxe siècle. La première synthèse nest réalisée quen 1928 (par lhistorien belge Oscar Jacob), louvrage de référence (mais pour la période impériale romaine ultérieure) ne date que de 2004 et il est en langue allemande (voir Weiss, 2004).

Mais plus décisif que la question des sources, Paulin Ismard pointe tout un ensemble dobstacles épistémologiques qui font de lesclavage public, soit un point occulté, soit un lieu de méconnaissance ou de malentendu.

Selon Paulin Ismard, les historiens de lantiquité seraient en effet « sourds et empêtrés » face à ce sujet (Ismard, 2015, p. 22), dautant plus aveugles que, chaussés des lunettes du grand historien de lantiquité Moses Finley, lesclavage public antique ne pouvait être considéré que comme une exception.

Il rappelle que Finley (1981) distinguait les sociétés à esclaves – lesclavage y est un fait mineur cantonné à certaines sphères productives marginales – des sociétés esclavagistes – lesclavage y est un fait majeur présent dans toutes les sphères sociales. Selon Finley, ces dernières ne forment quun très petit nombre de cas relatifs au Monde Antique (Grèce et Rome) et au Nouveau Monde (Amérique du Nord, Antilles, Brésil). Sauf que les études de plus en plus nombreuses depuis une trentaine dannées8 constatent que les sociétés esclavagistes sont dune grande diversité et forment un phénomène de bien plus grande ampleur que ce 180que Finley imaginait9 : lesclavage public serait en réalité la règle plutôt que lexception. Le renouvellement historiographique met en exergue, dune part, quil faut compter parmi les sociétés esclavagistes les grands royaumes dAfrique, musulmans (Califat de Sokoto au xixe siècle) ou non musulmans (Royaume de Kongo au xve-xvie siècle), ainsi que ceux dAsie. Dautre part, dans toutes les sociétés esclavagistes, les esclaves en tant quauxiliaires du pouvoir du souverain sont très répandus – à lexception du Nouveau Monde. Mieux, le renouvellement de la recherche, en anthropologie surtout, révèle le rôle déterminant, à plus dun titre, des esclaves dits de la couronne ou royal. Ou encore appelés les « presque-libres », comme les nommèrent les Portugais quand, à Malacca au xvie siècle, ils les découvrirent, non sans étonnement au vu des privilèges dont ils étaient pourvus.

Il ny a pas que la doxa savante de lesclavage qui fait obstacle à lappréhension de lesclavage public en Grèce ancienne. Paulin Ismard souligne également les représentations contemporaines qui concernent le fonctionnement de la démocratie moderne. Dit autrement, si « démocratie » est le même mot hier et aujourdhui, il ne désigne pourtant pas la même réalité : il convient dès lors de se méfier de la (fausse) familiarité induite par le fait dappliquer le même terme à la démocratie athénienne et aux démocraties modernes.

Paulin Ismard note que la cité athénienne désigne les activités des dêmosioi dun terme paradoxal : le « service libre ». Que daucuns ont traduit par « service public10 ». Cette traduction éloigne de la compréhension de la notion grecque qui doit être référée à larchitecture singulière de la démocratie athénienne. La liberté ny est en effet pas un droit individuel et naturel – cest-à-dire antérieur à la formation politique du monde –, 181mais est identifiée aux choses publiques ou d« utilité commune » ; et donc confondue avec le statut du citoyen (qui, du coup, ne relève pas non plus dune qualité individuelle fondée en nature et protégée par le droit).

La liberté des citoyens de se consacrer librement à la cité sans avoir à assumer les tâches dadministration renvoie à lexpérience grecque singulière de la liberté politique. Celle-ci repose sur le travail des esclaves publics, ou comme lauteur lécrit : « pour quadvinssent ces choses publiques sans lesquelles la citoyenneté ne saurait se concevoir, il fallut aussi quil y eût des esclaves » (Ismard, 2015, p. 92-93). Le fonctionnement de la démocratie athénienne où les charges politiques étaient tirées au sort et les titulaires des magistères remplacés à de courts intervalles, impliquait la mise en en place dune modalité de fonctionnement de ladministration à même dassurer une certaine continuité ou une certaine permanence. Cette tâche fut celle de linstitution de lesclavage public.

Toutefois, le service dit libre renvoie de fait, comme nous lavons vu, à des privilèges qui sembleraient dessiner un statut intermédiaire entre le citoyen libre et lesclave. Ou, plus précisément, entre le métèque ou laffranchi – un homme libre mais non citoyen – et lesclave comme propriété privée. La question est cependant plus compliquée. Paulin Ismard souligne quil faut se départir de lidée dune structure homogène. Athènes ne sordonne pas selon une échelle continue (unitaire) et ordonnée (hiérarchisée) des statuts. Notamment parce que les sociétés grecques de lépoque classique fonctionnent sur un principe dinclusion et dexclusion. Ainsi, « le statut servile ne consiste pas en une position dinfériorité qui qualifierait une catégorie hiérarchiquement inférieure à la dernière catégorie censitaire athénienne, celle des thètes » (Ismard, 2015, p. 102), dans la mesure où, ajoute-t-il pour exemple, si le dêmosios possède des biens, le métèque qui est pourtant un homme libre ne le peut. En fait, par-delà les « vastes statuts génériques » (de citoyens à esclaves en passant par affranchis et métèques), le statut des dêmosioi éclaire le « kaléidoscope » (Ismard, 2015, p. 128) des statuts qui ne sont ni des rangs de prestige, ni des positions dans lappareil de production, mais des « capacités légales » dont lauteur dit quelles sont difficiles à définir rigoureusement. Il les rapproche du reste des timê, une notion qui veut dire tout à la fois lhonneur/le droit/la capacité civique et qui désignent un composite de capacités et droits variés, attachés aux différentes catégories de la population, et se rapportant soit aux affaires 182de la cité, soit aux affaires privées. Lespace social de la cité à lâge classique se caractérise donc par sa pluri-dimensionnalité, mais aussi son haut degré de clôture tant il offre de faibles chances de sextraire des déterminations statutaires.

Lhypothèse centrale de Paulin Ismard est donc que « notre représentation spontanée de lesclavage, habitée par les images des sociétés coloniales du Nouveau Monde, peine à admettre que certains serviteurs, tout en étant des esclaves, aient pu détenir des positions de pouvoir et jouir dune condition privilégiée » (Ismard, 2015, p. 97)11. Ce faisant, il vise lhistoire. Que ce soit lhistoire comparée de lesclavage et il analyse à ce sujet la revue majeure des études comparées Slavery and Abolition (fondée en 1980) : il constate effectivement que son horizon demeure obstrué par la référence coloniale de lunivers de la plantation (Ismard, 2017, p. 12). Ou que ce soit l« histoire globale » émergeant dans les années 2000 : si elle se veut une nouvelle histoire de lesclavage qui a certes permis, par exemple, de faire apparaître locéan Indien comme un espace majeur de traite ou dancrer lidée que lesclavage est une forme parmi dautres de travail non libre qui nest pas réservé au monde colonial, elle ignore lAntiquité gréco-romaine (id., p. 17 sq.). Dans les deux cas, labsence de lesclavage public plane sur leur réflexion au sujet du phénomène esclavagiste.

Ce faisant, la question politique que soulève lesclavage public, hier mais aussi aujourdhui, ne pouvait émerger. Revenons donc à celle-ci avec Paulin Ismard afin de poursuivre notre « voyage en Grèce ».

II. Une leçon grecque ?
Mais elle est en partie TROMPEUSE…

Un long extrait me semble nouer la question historique posée par Paulin Ismard au sujet des tensions que révèle lesclavage public quant 183aux fondements de la cité athénienne et son questionnement politique actuel sur la crise de la démocratie contemporaine. Le voici :

Un planteur de lAlabama ou un « béké » martiniquais auraient été stupéfaits de voir dans lAthènes classique des esclaves experts réalisant quotidiennement des tâches publiques quune partie des citoyens étaient incapables de remplir. Or, loin dêtre une anomalie, cette expertise servile était le produit de lidéologie démocratique de lAthènes classique (…) Lexpérience athénienne rencontre ici lune des questions les plus brûlantes de notre présent démocratique. Le statut politique de lexpertise est en effet au cœur du « désenchantement » contemporain à légard de la démocratie représentative (…) Lidéal démocratique de participation du plus grand nombre à la chose publique serait incompatible avec le principe defficacité que réclame le gouvernement des États (Ismard, 2015, p. 133).

Le constat contemporain le plus fréquent en matière de décision est, dune part, que lexpertise doit précéder la décision et, dautre part, que, sans être hors du champ politique, lexpertise pour être fiable doit être relativement indépendante du pouvoir politique. Les Athéniens pensaient autrement. En déléguant les compétences spécialisées et spécifiques12 nécessaires au fonctionnement démocratique de la cité à lesclavage public, ils mettaient, selon Ismard, lexpertise hors de lespace de délibération généralisée qui drainait toute la vie politique de la cité13 : « À Athènes, le savoir ne détermine en rien la participation à la vie politique : dans les assemblées démocratiques, le premier venu, quel que soit son savoir, peut prendre la parole. » (Ismard, 2015, p. 147-148). Cette expertise propre à la gestion de la cité nétait pas indépendante du politique, elle était maintenue sous contrôle car assurée par des esclaves spécifiques, attachés non à des particuliers mais à la cité elle-même.

Linstitution de lesclavage public signale lidéal civique athénien qui refuse que la possession dun savoir spécialisé relatif à la gestion des affaires quotidiennes de la cité puisse légitimer la détention dun pouvoir sur la cité14. En dautres termes, ces savoirs experts feraient 184planer une telle menace pour lordre démocratique que la communauté civique confie certaines tâches aux esclaves publics15. Ces derniers, en outre, sont sans cesse renouvelés par les marchés aux esclaves. Il sagit là déviter quils puissent par transmission des charges former progressivement un ordre suffisamment autonome pour défendre ses intérêts propres. La méfiance du discours civique apparaît générale vis-à-vis des savoirs spécialisés. Elle irait jusquà taire leur importance. Cest ce que suggère le fait quun citoyen nest « jamais » (mais vu létat de la documentation… « jamais » nest jamais certain) loué pour les habiletés techniques dont il a pu faire bénéficier la cité, mais pour son courage ou son sens de la justice.

Le discours civique à lâge classique postule donc une rupture entre la technè et la capacité politique16 quil fait relever dune « théorie associationniste » (Ismard, 2015, p. 151). Pour Athènes, la compétence politique résulte en effet de la circulation entre les citoyens de (ou des ?) savoirs, de fait inégalement distribués mais dont la confrontation permanente dans les multiples assemblées produit un savoir public. Ce que lauteur appelle lépistémologie démocratique de la cité se supporte donc dun savoir entièrement délibératif, cest autrement dit « de la délibération politique entre citoyens “non spécialistes” ou “amateurs” [que] pouvaient surgir un savoir collectif utile à la cité » (Ismard, 2015, p. 133). Cest ainsi que, à titre dexemple, lexercice du droit nest pas conçu en termes de science, mais de pratique relevant « de la sphère de la souveraineté du dêmos et de la compétence de tous les citoyens » (Ismard, 2015, p. 145).

Ismard invite à comprendre lesclavage public dans le cadre de cette spécificité grecque de la représentation de lÉtat. Il fait cas favorablement de la conception dinspiration clastrienne17 qui verrait le dêmosios comme 185« la marque dune résistance de la polis à lémergence dun appareil dÉtat » (Ismard, 2015, p. 176). Il sextrait toutefois dune analyse en termes dalternative polarisée entre société sans État et État moderne et lui préfère la thèse, plus inspirée je crois par Nicole Loraux dans La cité divisée. Loubli dans la mémoire dAthènes (1997), que « lÉtat ne sest jamais incarné autrement que dans la pure négativité du corps-esclave du dêmosios » (Ismard, 2015, p. 179). Si je le dis autrement, le dêmosios serait donc à voir en quelque sorte comme la projection de la part maudite de lidéal démocratique, il prendrait en charge la violence et la dépossession quimplique la construction de la cité démocratique.

Et de cela, au fond, la cité ne veut rien savoir, cest en quelque sorte son refoulé. Il est à ce sujet significatif de noter que Paulin Ismard ne peut sappuyer sur les traités politiques qui occultent la question des rapports de la cité à lesclavage public, mais doit la chercher « dans le clair-obscur détranges scénographies qui placent des figures desclave public ou royal au centre de leur dispositif » (Ismard, 2015, p. 179). Il repère en effet ces « héros secrets de lÉtat grec » (Ismard, 2015, p. 180) notamment dans deux documents à partir desquels il formule lhypothèse, inspirée de Pierre Legendre (2001), que lhorizon de vérité de la cité sénonce depuis des figures dexclusion18. Ces étranges scénographies sont, dune part, la dernière scène du Phédon de Platon où lon voit Socrate converser avec un dêmosios institué par là même comme le dépositaire de lenseignement socratique au détriment des jeunes citoyens qui entourent leur maître peu avant sa mort, dautre part, en mettant ses pas dans ceux de Michel Foucault qui souligne que le rapport entre savoir, vérité et pouvoir est au cœur de la tragédie de Sophocle19, la scène dŒdipe-roi où ce rapport se manifeste dans un jeu de miroir entre Œdipe et le berger qui se trouve être un esclave royal et dont le savoir sur les origines dŒdipe va destituer le pouvoir de ce dernier qui est littéralement « celui qui sait » (oida).

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Le fondement de la démocratie athénienne résiderait donc à la fois dans le refus politique de lÉtat – la cité exclut un certain nombre de tâches administratives du champ politique – et le refus dune séparation de lÉtat – les esclaves publics demeurent soumis à la communauté des citoyens. Ce problème épineux de lÉtat en Grèce ancienne séclaire quelque peu à partir donc de la figure de lesclave public.

Les historiens ont apprivoisé les « mystères20 » de lorganisation étatique grecque en traduisant, au xixe siècle, la polis par le vocable de « cité-État ». Mais depuis les travaux notamment de Hansen (1998), cette analogie ne tient plus au regard des spécificités de la polis grecque, athénienne principalement : elle ignore lidée dun corps de fonctionnaires détenteur de la puissance publique, elle congédie lidée dun corps de citoyens faisant profession politique (elle lui substitue les fameux tirages au sort annuels), elle nadmet pas le principe dun corps politique de représentants du peuple (ce sont des mandataires sous contrôle permanent des citoyens qui peuvent à tout moment les révoquer). À ce sujet, la représentation est considérée comme une aliénation ou une servilité, personne ne pouvant dans la conception grecque agir au nom dun autre.

La leçon grecque serait donc quelque peu amère. Alors que peu de débats actuels sur la crise de la démocratie représentative font limpasse sur les vertus de la démocratie directe de lancienne Athènes, Paulin Ismard montre que, derrière la scène idéalisée où sactive en toute transparence une ribambelle dassemblées délibératives assurant la publicité du processus de décision et lintervisibilité des citoyens, existe une coulisse habitée par des êtres anonymes doués de savoirs et dotés de quelques privilèges, mais frappés daphasie et dincapacité politique afin de conjurer toute forme de représentation.

Amère, mais peut-être aussi réjouissante dune certaine manière. Lanachronisme nest pas sans productivité, dans la mesure où il alerte sur le fait que la démocratie athénienne ne peut être une « ressource de sens » aujourdhui que « sur le fond dun écart radical avec notre propre condition politique » (Ismard, 2015, p. 214). Un peu comme Max Weber invitait à ne pas sétonner que les Chinois soient « si » Chinois, Paulin Ismard enjoint à considérer que lAthènes classique est vraiment « classique ». Autrement dit, quelle constitue un monde ancien tout « autre », ce qui dresse de nombreux obstacles épistémologiques à la 187compréhension contemporaine aussi bien de cette forme spécifique desclavage que des fondements de la démocratie athénienne. Mais, par ailleurs, le détour par la Grèce antique, même si elle ne représente pas comme la Chine ancienne une « pensée dun dehors », une altérité radicale chère au sinologue François Jullien (2000), a des effets débranlement de notre présent : lesclavage grec dans sa composante publique, numériquement mineure mais absolument décisive pour saisir la nature de la démocratie antique grecque, constitue à nen pas douter des « pousse-à-penser » les impasses et les impensés de nos démocraties occidentales modernes.

Réjouissante encore, même sil me semble quon serait bien en peine de savoir quel événement du passé il faudrait changer pour quadvienne cette uchronie dont Paulin Ismard dessine avec humour les contours :

Imaginons un instant que le dirigeant de la Banque centrale européenne (…), les inspecteurs du Trésor public (…) soient des esclaves, propriétés à titre collectif du peuple français (…). Transportons-nous, en somme, au sein dune République dans laquelle certains des plus grands « serviteurs » de lÉtat seraient des esclaves. Quelle serait lallure de la place de la Nation au soir des grandes manifestations parisiennes, si des cohortes desclaves devaient en déloger les derniers occupants ? Supposons que lune de ces manifestations ait pour objet laustérité budgétaire imposée par les traités européens : la politique monétaire de lUnion serait-elle différente si le directeur de la Banque centrale était un esclave que le Parlement pouvait (…) fouetter, sil sacquittait mal de sa tâche ? (Ismard, 2015, p. 205-206).

Cest là où « comparer lincomparable » (Detienne, 2000) peut avoir vertu de penser. On comprend ainsi que le contrôle financier, par exemple, ne pourrait être confiée dans la Grèce antique à des hauts-fonctionnaires œuvrant sous les radars du contrôle démocratique, et dans une certaine proximité avec les milieux financiers comme en témoignent les « pantouflages » entre le public et le privé.

Le mérite de lessai de Paulin Ismard repose donc sur la réflexion proposée au sujet de la question politique que pose lesclavage public. Elle se fait logiquement au détriment de la question économique, qui nest point oubliée (avec Aristote ou Xénophon par exemple) mais nest simplement pas au cœur des préoccupations de lauteur21. Et ce dautant 188plus que la cité grecque attire « naturellement » la lumière sur le politique, léconomique restant dans lombre.

III. RETOUR SUR LÉCONOMIQUE
À TRAVERS LA QUESTION DE LA MONNAIE

Lhistoire économique fut partie prenante de la question de lesclavage (Hilt, 2017) et, « logiquement » dirais-je, cest lesclavage colonial qui est au centre des préoccupations des économistes de lépoque. Léconomie a joué en effet un rôle dans le changement de perception de lesclavage au cours du xviiie siècle, dans la mesure où elle fit entrer le problème du coût du travail dans un débat dominé par largument moral.

Si certains économistes soutiennent le point de vue esclavagiste en affirmant la consubstantialité de la production sucrière et de lesclavage (noir) afin dassurer la rentabilité de laffaire (Dockès, 2002, p. 114), sil semble acquis par exemple chez Turgot ou Cantillon que le coût du travail libre est supérieur à celui du travail servile, il revient à Adam Smith de changer la donne. En intégrant la question de la productivité, Adam Smith inverse en fait la causalité, cest la prospérité des colonies qui leur permet de supporter le coût de lesclavage (Herland, 2002, p. 38 sq.). Si aux yeux de Smith, lesclavage nest donc pas efficace dun point de vue économique et constitue en outre un frein à linnovation, il faut 189noter quil ne sépare pas son raisonnement de la question morale22. Le cadre danalyse de Smith fixe la pensée économique pour le xixe siècle. Avec cependant bien des nuances. Pour Jean-Baptiste Say, le coût du travail servile est plus faible mais ce sont les frais globaux du système colonial de la plantation (une domesticité pléthorique, la dégradation des sols, lentretien des esclaves) qui en font un mode de production moins rentable. Sil soppose à lesclavage tout en défendant une exception antillaise en raison du climat (Arena, 2002, p. 81), cest en vertu dune autre argumentation économique : Say invoque le droit de propriété de chacun sur sa propre personne ou le viol de la relation déchange marchand par le vol des fruits du travail journalier de lesclave, ou bien encore les distorsions économiques sur le marché du sucre (id., p. 75 sq.)23. Dans tous les cas, le primat de lesclavage colonial est incontestable au sein dune histoire économique qui, au xviiie et xixe siècle, est bien sûr prise dans les rets de son temps.

Plus récemment, lhistoire économique de lesclavage a été dominée par les méthodes quantitatives. Le renouveau cliométrique de lhistoire économique aux États-Unis na pas non plus conduit à intégrer lesclavage public, antique en particulier, dans ses études, alors que depuis les années 2010 elle couvre lhistoire de lAntiquité à nos jours (Boldizzoni, 2016, p. 119). Il est vrai, elle semble moins préoccupée par la connaissance économique du passé que par la construction de « récits du passé compatibles avec léconomie néolibérale » (id.). Ici aussi, cest lesclavage des plantations qui fait lobjet de ses enquêtes. Stanley Engerman et le futur prix déconomie de la Banque de Suède (en 1993), Robert Fogel, ont consacré à ce sujet un ouvrage, Time on the Cross, qui fit grand bruit à sa sortie en 1974. Sintéressant à lesclavage dans le Sud des États-Unis, les auteurs, fidèles à un postulat de lois universelles du comportement humain identifiables a priori, professent que le rapport 190esclavagiste dérive en quelque sorte de conventions contractuelles : il serait fondé sur un accord entre des maîtres capitalistes bienveillants soucieux de maximiser leurs profits et des esclaves responsables désireux de maximiser leurs revenus. Surtout, à partir de lanalyse de trente plantations en Virginie, ils plaident que lagriculture esclavagiste est plus productive que lagriculture du Midwest. Ce quils quantifient avec précision, affirmant quau-delà de 16 esclaves, le système de la plantation présente une productivité de 35 % supérieure aux fermes où les travailleurs libres assurent la production. Si la riposte ne sest pas fait attendre pour, derrière les chiffres, extraire la dimension idéologique de létude24, il nen demeure pas moins que la cliométrie impose aujourdhui (de nouveau) le calcul de la rentabilité au cœur de la compréhension de lesclavage. Elle contraint en retour et en partie la nature par trop technique des critiques. Cest par exemple la faiblesse mathématique quEric Hilt oppose aux trois ouvrages majeurs25 qui, au sein de la Nouvelle histoire du capitalisme, ont noué lesclavage dans les plantations de coton du Sud des États-Unis au développement du capitalisme américain (Hilt, 2017, p. 515-521). La grande controverse qui depuis les années 2010 secoue cette nouvelle histoire du capitalisme américaine à propos du lien entre le développement du capitalisme et lesclavage états-unien témoigne dune divergence majeure entre lhistoire et une économie historique convertie aux abstractions mathématisées qui postule que la pensée économique fonctionne à part du champ politique26.

Nonobstant la variété des approches dhistoire économique de lesclavage, quelles questions une approche économique aurait-elle à adresser à cet esclavage public quelle méconnaît ? Le problème de la monnaie concentrera mon propos, et plus précisément celui des pièces métalliques qui sont devenues progressivement dans la Grèce antique le principal support monétaire après leur apparition vers le viie et vie siècles (av. J. C., je ne le préciserai plus), sachant que les pratiques monétaires en Grèce sont très mal connues avant le viiie siècle27 et quAthènes, 191principalement, serait concernée par cette généralisation de la pièce métallique comme monnaie vers le ve siècle. À peu près au moment où, notons-le, semble se développer lesclavage public et peut-être cela nest-il pas quune coïncidence. Le dêmosios expert des monnaies possède en tout cas une compétence rare dont Ismard signale quon ignore les arcanes en ce qui concerne les modes de reconnaissance de la fausse monnaie, vraisemblablement par le son ou le poids, voire lodeur. Laffaire semble en réalité bien plus complexe.

Au sujet du poids, le doute nest pas permis. Servet rappelle que les noms des pièces sont étymologiquement liés à lidée de poids : le talent dérive de létymon grec talenton (plateau de balance ou balance) et le sicle en usage dans lOrient ancien, emprunté à lhébreu biblique sheqel, renvoie à une certaine quantité dorge. Le fait de pouvoir définir la pièce par son poids en fait bien évidemment une unité de compte pratique pour les échanges marchands que le dêmosios garantit en déterminant la quantité de métal à laide du système de poids quil conserve. Ismard indique quil est sous la surveillance de contrôleurs du peuple qui observent sil respecte les procédures inscrites dans la loi au risque de châtiment (Ismard, 2015, p. 138). Il ne nous fournit pas les instructions législatives, peut-être simplement parce quelles ne sont pas connues. Mais ceci informe sur la portée de cette fonction, dautant que, vu la multiplicité des émissions par des cités différentes dont nous parle Jean-Michel Servet, la pesée apparaît nécessaire au développement des transactions marchandes par la vérification de lidentité des valeurs. Incidemment, ceci renseigne aussi sur les risques de corruption qui existent au niveau de cette interface avec les marchands28. Toutefois, il convient de tempérer quelque peu lintensité des échanges marchands dans lesquels peuvent opérer les esclaves publics. Dune part, de nombreuses transactions interviennent sans intermédiaires. Dautre part, selon Servet, jusquau ve siècle le poids dargent (ou délectrum) excède le plus souvent et de très loin le prix au détail des marchandises. Jusquà lapparition des pièces de bronze au faible pouvoir dachat vers le ive siècle, lutilisation des pièces apparaît donc peu pratique 192et donc dun usage probablement peu généralisé. Toutefois, il est possible que seffectue un versement périodique en lieu et place dun règlement à chaque transaction marchande. Ce qui pour le coup redonnerait une place aux compétences scripturaires des dêmosioi pour tenir les comptes de ces échanges. En revanche, le fait que certaines pièces étrangères sont interdites de circulation dans la cité athénienne, ouvre à certaines tâches dont on peut soupçonner quelles relèvent des compétences des dêmosioi. Il sagit de les reconnaître, en particulier quand elles sont des imitations, et à ce sujet Paulin Ismard indique quils doivent les rendre à létranger. Mais Jean-Michel Servet informe que des pièces étrangères peuvent néanmoins être contremarquées pour devenir valides et acquérir une valeur par la même occasion. Les dêmosioi auraient-ils pu avoir aussi cette responsabilité ? On aurait pu le soupçonner, tout en se demandant si par exemple ils disposent de plusieurs types de contremarque pour attribuer un cours légal à cette monnaie en fonction de critères de poids et dalliage, mais cette responsabilité incombe en réalité aux changeurs de monnaie.

Car la pièce de monnaie se caractérise aussi par son aloi, ce qui demande lestime des métaux précieux dont elle est composée29. Lopération est délicate en raison des différentes techniques de fusion du métal et de frappe des pièces, informe Jean-Michel Servet. Il apporte en outre une donnée supplémentaire : il semblerait que laloi na pu être déterminé avec précision quà partir du iiie siècle. Léchange reposerait-il dès lors sur une acceptation fiduciaire adossée à la garantie apportée par le sceau de la cité dont le dêmosios aurait par là-même un usage moins réglé ? Ce dernier intervient-il dans la négociation ou bien ne vient-il quentériner celle-ci ? De quelle marge de manœuvre dispose-t-il, qui amorcerait peut-être de petits actes de corruption ? La complexité pratique de cette fonction de médiation des échanges marchands expliquerait en tout cas que cette charge soit placée sous la surveillance de « contrôleurs du peuple » en charge de faire respecter des procédures inscrites dans la loi, sous peine de châtiments30.

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Plus largement, la difficulté des opérations de pesage dune pièce composée de deux métaux et le fait que les pièces de monnaie ne portent nulle inscription donnant leur estime – tout élément que note Servet – posent la question de la praticabilité des interventions des dêmosioi et supposeraient que les transactions marchandes sous forme de pièces de monnaie ne soient pas trop nombreuses. Le fait que ces dernières soient de moins en moins pesées pour être simplement comptées allaient en tout cas alléger le travail des esclaves publics !

Le problème de leffectivité de lexpertise monétaire du dêmosios illustre lintérêt dune coopération entre lhistorien économique et lhistorien spécialiste de lantiquité gréco-latine. Elle inviterait ce dernier à multiplier les tâches empiriques, à mettre certes à lépreuve de sources rares, quelles soient connues (et donc à revisiter peut-être) ou à venir grâce à de nouvelles découvertes épigraphiques (et donc à interroger avec un autre équipement mental). Mais assurément, elle serait utile afin dallonger le questionnaire, par exemple vers le problème de la gestion des dêmosioi, et donc celui de leur logement, de leur nourriture, de leur rémunération31, même si Ismard indique que la cité, pour rentabiliser les esclaves publics, pouvaient les louer à des particuliers en exigeant une garantie en cas de perte (Ismard, 2015, p. 122). La gestion publique des dêmosioi demeure quoi quil en soit une vaste page à compléter, voire à écrire.

Conclusion

Je conclus mon point de vue en commençant par citer ce long extrait issu de lAvant-propos de La démocratie contre les experts que je trouve particulièrement frappant :

Pour tout individu né à la fin des années 1970, il est rare que la politique ait été le lieu des grands accomplissements de sa vie personnelle. (…). Et, 194de même que le théâtre de la vie politique a cessé depuis fort longtemps de lintéresser, il en est venu peu à peu à contester les formes traditionnelles de participation politique, voire à récuser le principe de toute représentation. (…). Il lui apparaît pourtant que lune des manifestations du déni quotidien de lidée démocratique tient dans cette musique lancinante, qui exalte le règne de lexpertise et répète à lenvi que le gouvernement de la chose publique ne saurait reposer que sur un ensemble de savoirs, dont la nature exigerait quils soient élaborés à lécart des passions publiques (Ismard, 2015, p. 9).

Lexpérience de la lointaine Athènes aiderait-elle à affronter la désillusion politique que porte le mot de représentation aujourdhui ou que suscite le règne des savoirs experts ?

Je ne sais, mais force est de constater que les sources de la désillusion sont plus que jamais actives. Sur au moins deux aspects.

Le premier a trait à la question du nouage entre le savoir et la démocratie. Là où les Athéniens faisaient reposer la démocratie sur lextériorisation de la fonction dexpertise qui la prive ainsi de toute légitimité par rapport à la fonction politique, les politiques libérales actuelles affirment au contraire le primat de ladministration des choses sur le gouvernement des hommes jugé trop long, trop conflictuel, peu opérant. Au fond, le gouvernement des hommes serait un archaïsme quand la modernité exige tout autrement agilité, efficacité, technicité informée par les experts. Le rôle en particulier que des économistes jouent dans le pilotage des « choses » ne devrait-il pas inciter à rappeler à lhistoire économique quelle ressortit aussi à une histoire politique critique ?

Le second renvoie à la question de la mémoire. François Hartog se demande en quoi lapprentissage de « langues mortes au caractère élitiste » peut soutenir « des sociétés qui se soucient pour lheure davantage de mémoire et didentité que dhistoire, tout en sinterrogeant, avec plus ou moins dardeur ou dinquiétude, sur la globalisation et sur les façons dy répondre dans les cursus scolaires ? » (Hartog, 2015, p. 52-53). Faisant référence à lidée de supprimer dans le secondaire lenseignement des humanités gréco-latines en France, il admet quon puisse renoncer à transmettre la longue chaîne de savoirs qui lie, au-delà des effets dhypnose et des malentendus engendrés, notre présent à la Grèce antique. Il ny a dhéritage que ce quon décide den faire, mais encore faut-il prendre conscience du coût culturel dune telle rupture. Dans tous les cas, dans une société démocratique, convient-il au moins den débattre.

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1 Paul Veyne à propos de lui-même estimait « quil était indigne dun historien, fût-il spécialiste de lAntiquité, de navoir pas quelques lueurs sur léconomie politique, ou du moins sur la partie générale et théorique de cette science, seule partie réutilisable » (Veyne, 2014, p. 153). Largument, évidemment, se retourne en ce qui concerne léconomiste politique qui travaille sur lesclavage des plantations. On peut dailleurs lire cet article comme un plaidoyer pour des fécondations entre ces deux disciplines.

2 Ismard rapporte que Xénophon au milieu du ive siècle proposa un « projet de rentabilisation » par location des dêmosioi à des particuliers. Ce projet dun revenu de location pour financer linvestissement dans un bien « public » avorta au regard du trop grand nombre desclaves publics que cela impliquait (Voir Ismard, 2015, p. 84).

3 Maurizio Bettini fait le constat que la composante nostalgique est souvent passée sous silence au profit de la dimension anthropologique et politique des usages de la tradition, de la mémoire et des racines (Voir Bettini, 2017).

4 Ce qui pose demblée le problème de la maîtrise de la langue et de lécriture grecques.

5 Pour imaginer limportance de cette fonction de « gardien » de la monnaie octroyée à lesclave public, il faut se rappeler que laltération de la monnaie constitue le summum des pratiques scandaleuses prônées par le mode de vie cynique (Foucault, 2009, p. 222).

6 Les membres dun tribunal athénien.

7 Le citoyen de la Grèce antique était désigné par un nom tripartite qui indiquait tout à la fois son identité (nom personnel), son ascendance familiale (le nom du père) et son lieu denregistrement (appelé dème).

8 Voir, dans le champ français, les ouvrages aujourdhui classiques de : Meillassoux, 1975 (consultable sur Gallica) et Condominas, 1998.

9 On se rappellera quÉmile Benveniste a mis en évidence cette constante des sociétés « indo-européennes » (toujours historiquement situées chez Benveniste), à savoir la distinction (et lopposition) entre les hommes libres et les esclaves, qui sont toujours des « gens du dehors ». Le grec doûlos pour les désigner génériquement est dailleurs très probablement un emprunt à une autre langue, dAsie mineure. Voir Benveniste, 1969, p. 321 et p. 355 sq.

10 Il faut observer que lexpression « service libre » pour désigner cette fonction administrative est attestée par une unique inscription découverte à Athènes. Lauteur souligne que la philosophie politique grecque ne sest point intéressée à cette forme de « fonctionnariat ». Et si on en trouve mention chez Platon ou Aristote, Ismard souligne que leur théorisation, loin de donner une définition positive de lordre de ladministration de la cité, ne cherche quà contraster, dans les termes du service ou de la fonction subalterne, la sphère dactivité des esclaves publics davec la sphère dexercice du pouvoir politique.

11 Il convient toutefois de nuancer le propos. Il existe une savante hiérarchie au sein des esclaves du Nouveau Monde, selon le lieu de logement dans la plantation notamment, en fonction du genre également, et certains esclaves occupent ainsi des positions de pouvoir (Voir Dockès, 2009).

12 Si jai bien compris, le terme renverrait à lunivers de la technè.

13 Vincent Azoulay fait remarquer que des nouvelles sources épigraphiques montrent que la cité athénienne se caractérise moins par la centralité de lassemblée que par le contrôle des élites qui passe par des procédures draconiennes. Est-ce que du coup le fait de placer lexpertise au lieu de lesclavage public, absolument contrôlable, relèverait de cette logique ? Voir Azoulay, 2016.

14 Notons quil est loisible de voir une analogie entre le « lieu vide de loi », inappropriable et constitué en un extérieur qui fait sa force structurante lui permettant darticuler le lien politique entre les citoyens et le « lieu » de lesclavage public qui du fait de son extériorité autorise notamment léchange économique.

15 Notons toutefois que les savoirs techniques détenus par les esclaves publics ne semblent pas tous constituer un péril au même titre. On le conçoit tout à fait pour un certain Nicomachos quévoque Paulin Ismard : ce fils de dêmosios est en effet chargé de réviser et republier à la fin du ve siècle avant notre ère lensemble des lois de la cité athénienne. On le conçoit moins pour ces esclaves publics qui sont les petites mains des tribunaux ou fournissent la main dœuvre des grands chantiers de construction.

16 Sa thèse porte justement sur le rôle primordial des associations dans la formation et le fonctionnement de la cité athénienne, que ce soit des communautés sacerdotales, des groupes civiques ou des associations cultuelles (Voir Ismard, 2010).

17 Voir Clastres, 1974.

18 Il propose dailleurs dajouter lesclave public aux quatre types antiques de sujets dénonciation de la vérité que distinguait Michel Foucault (le sage, le philosophe, le prophète, le technicien) dans son ultime cours au Collège de France de 1984, Le courage de la vérité.

19 Michel Foucault est souvent revenu sur la tragédie de Sophocle, depuis ses premiers écrits de psychologie dans les années 1950 jusquaux cours au Collège de France des années 1980. Paulin Ismard sappuie pour sa part sur le cours au Collège de France de 1970-1971(la partie intitulée Le savoir dŒdipe), et celui de 1979-1980 portant sur les actes de vérité comme techniques de soi dans le christianisme primitif.

20 Cest le titre de lultime chapitre de louvrage de Paulin Ismard.

21 La réflexion philosophique venue de lAntiquité est surtout soucieuse du problème de la légitimité. Dans la Politique (Livre Premier), Aristote conçoit lesclavage comme un donné de la nature mais rappelle que cest aussi un statut légal dont on peut contester le bien-fondé en ce quil entérine le droit du plus fort. On ne sait si le rappel quil fait de la position dEuripide qui remettait en cause lidée de nature justifiant le partage ceux qui seraient voués au commandement ou aptes à la vie civique et ceux qui seraient doués pour lobéissance lui sert à condamner ou défendre au contraire lesclavage. Toutefois, dans le Livre septième, Aristote fait de laffranchissement le terme souhaitable de lesclavage. Partant de la nécessité de lesclavage, Platon sintéresse à la manière de les gouverner pour prévenir les révoltes et recommande de prendre des esclaves de langues différentes, de les bien traiter, pour eux-mêmes » et « encore plus pour ses intérêts » (Voir Platon, Lois, 776 b, c, d, e). Il en est de même pour Xénophon qui énonce des recommandations afin de rendre les esclaves plus ou mieux obéissants et quils veuillent rester, ce qui nécessite den prendre soin ou encore de reconnaître le bel ouvrage tant « certaines natures ont tout autant besoin de louanges que de boire et de manger ». Voir Xénophon, Économique, V, 16 (et notamment le chapitre xiii). Ces livres ont tous été consultés sur Gallica.

22 Démontant lexplication de lesclavage en termes économiques, Adam Smith met en avant la jouissance de la domination (Voir Lapidus, 2002, p. 47-72). Smith soppose ainsi à largumentation purement contractualiste formulée notamment par un Hobbes qui met en avant la dimension de consentement mutuel entre le maître et lesclave, liée à leurs droits et obligations réciproques, au détriment dune analyse en termes de système de pouvoir par lequel léchange de la liberté na pas de réelle contrepartie (Voir Schmidt, 2002, p. 15-27).

23 Les physiocrates, dont les positions sur lesclavage sont plurielles, soulignaient également les effets néfastes dun monopole colonial de la production du sucre (Voir Le Masne, 2016, p. 101-112).

24 Voir en particulier la critique « cliométrique » effectuée par Gutman, 1975. Pour une critique du modèle de lhomo œconomicus qui sous-tend le calcul de rentabilité effectué par Fogel et Engerman, voir Oudin-Bastide & Steiner, 2015.

25 Il sagit des livres de Sven Beckert (2015), Walter Johnson (2013) et Edward Baptist (2014).

26 Voir Barreyre & Blin, 2017, p. 135-148.

27 Je mappuie pour les considérations exposées dans ce paragraphe principalement sur Servet, 1984. La référence est certes ancienne, ce qui par ailleurs ne la disqualifie en rien. Notons en outre que peu déconomistes se sont intéressés au fait numismatique en Grèce ancienne. En létat, létude de Servet convient tout à fait pour porter mes interrogations, sans avoir à passer par une discussion quant à sa thèse sur lorigine non commerciale de la pièce de monnaie.

28 Le dêmosios pouvait senrichir, mais le fait quil y ait un contrôle par la cité le limite, alors que sil appartenait à un maître, il enrichirait ce dernier.

29 Si contrairement à la Perse qui a choisi lor, la Grèce a privilégié largent (extrait des mines du Laurion par Athènes qui a pu ainsi imposer sa monnaie comme référence), les pièces sont toutefois le plus souvent des alliages de métaux, lélectrum désignant lalliage dor et dargent. Servet précise que lor doit son succès au fait quil sert pour les paiements entre les États et non pour les échanges internes aux États.

30 Ismard ne semble pas avoir dautres données à sa disposition permettant de préciser le travail de ces contrôleurs (ni qui ils étaient), les procédures législatives ou les types de châtiment encourus.

31 Servet stipule dans Nomismata quil nexiste pas de budget global en Grèce antique. Chaque dépense est ainsi couverte par un financement particulier. La cité ne peut donc avoir des « salariés » remplissant les fonctions assumées par les dêmosioi. La question des fonds permettant dacheter les esclaves publics se posent donc aussi. Sur le modèle de lévergétisme, les riches feraient-ils des dons desclaves publics à la cité ?