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Classiques Garnier

L’architecture d’un paradigme. Généalogie, composition et variations Note sur l’ouvrage d’Éric Berr, Virginie Monvoisin, Jean-François Ponsot (dir.), L’économie post-keynésienne. Histoire, théories et politiques, Préface de James K. Galbraith, Paris, Seuil, 2018, 480 pages

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Larchitecture dun paradigme.
gÉnÉalogie, composition et variations

Note sur louvrage dÉric Berr, Virginie Monvoisin, Jean-François Ponsot (dir.), Léconomie post-keynésienne. Histoire, théories et politiques, Préface de James K. Galbraith, Paris, Seuil, 2018, 480 pages.

Clément Coste

Sciences Po Lyon

Triangle UMR CNRS 5206

Introduction

Éric Berr, Virginie Monvoisin et Jean-François Ponsot éditent un recueil de 24 contributions – augmenté dune préface de James Kenneth Galbraith et dune postface dAlain Parguez – qui constitue la première synthèse en français de léconomie post-keynésienne. La gageure pouvait sembler particulièrement difficile et risquée aux yeux du lecteur·trice non totalement familier·e de ce(s) courant(s). Difficile, car le post-keynésianisme semble a priori éclaté en de multiples sous-traditions ; risqué, car sattaquer à « lidéologie » néoclassique – au sens de Paul Ricoeur, lidéologie œuvre à maintenir lordre existant contre toute critique extérieure – prête le flanc à la critique de lidiosyncrasie – Louis-Philippe Rochon nous rappelle par exemple quAmartya Sen lui-même, tout en reconnaissant le brio des analyses de Joan Robinson, regrettait sa vigoureuse « intolérance » (p. 51). Le premier mérite de louvrage réside alors sans doute dans sa dimension critique, dans une sorte de radicalisme épistémique qui interroge à la fois 244le fonctionnement de léconomie moderne et la pertinence, pour en rendre compte, dune économie néoclassique échafaudée sur lhypothèse dun équilibre économique statique. Face au mainstream, le post-keynésianisme constitue une économie véritablement politique dont le but, nous rappelle Nicholas Kaldor, est de suggérer lapplication de politiques adéquates pour en améliorer le fonctionnement. Ceci est rappelé, précisé et nuancé, dès la préface, par James K. Galbraith indiquant que si lanalyse des post-keynésiens « mène de fait à une action politique, leur point de départ consiste avant tout à faire un effort réel pour comprendre le fonctionnement de la production et de la répartition dans un système reposant sur la monnaie et le crédit, donc pour sattaquer à la façon dont fonctionne le capitalisme financier » (p. 8). Les post-keynésiens revendiquent simultanément une méthode inductive et parfois « historico-déductive ». Le propos de louvrage doit ainsi être considéré pour ses vertus épistémologiques censées aider les enseignants en économie dans leur mission auprès de leurs étudiants. Cette dimension paraissait dailleurs déjà impérieuse à Joan Robinson qui, dans les années 1950, soffusquait du contenu de lenseignement économique édifié sur fondements néoclassiques, et du fait que ce savoir sauto-entretenait sans jamais souffrir dune quelconque réfutabilité sérieuse1. Il reste à signifier la quintessence de la proposition générique des post-keynésiens. Je suggère alors une lecture de louvrage en trois parties qui articulent les différents pans du propos général.

I. Aux origines et aux marges
du post-keynésianisme

Au sein dune première partie consacrée aux « pères/mère fondateur·rice·s », à lhistoire et à une taxinomie du post-keynésianisme, Marc Lavoie et Jean-François Ponsot rappellent les cinq points cardinaux qui structurent, malgré sa relative hétérogénéité, le programme post-keynésien (chapitre 6).

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I.1. Les cinq points cardinaux du post-keynésianisme :
l
héritage des fondateur·rice·s

On repère parmi les fondateur·rice·s cinq éléments constituant la colonne vertébrale du post-keynésianisme. La demande effective (1) constitue le premier de ces éléments et André Lorentz insiste, à ce sujet, sur limportance de la demande extérieure dans la théorie de la « croissance cumulative » de Kaldor (chapitre 4). Lincertitude (2) représente une dimension essentielle de la dynamique économique affectée par les décisions dagents économiques incapables de se fier à lexactitude de calculs probabilistes, et astreints de sen remettre à leurs intuitions et dagir par « convention ». Marc Bousseyrol (chapitre 1) rappelle le caractère « révolutionnaire » de lanalyse keynésienne à ce sujet et Éric Nasica (chapitre 5) insiste sur sa réactualisation au sein de « lhypothèse dinstabilité financière » échafaudée par Hyman Minsky – analyse, dont on a déjà rappelé la pertinence et lactualité (Labye 2011 ; Kregel 2008 ; Plihon 2009). Lappréhension de léconomie à partir du temps historique (3) – opposée donc à la statique néoclassique – constitue de fait un autre élément fondateur du programme post-keynésien. Présente chez Keynes, la recommandation saute aux yeux dans les analyses de Joan Robinson, Nicholas Kaldor, Hyman Minsky et Michal Kalecki : léconomie réelle est par construction instable et il convient den expliquer les fluctuations. Le consensus post-keynésien sest également édifié sur lidée, finalement précoce, que léconomie de production était profondément monétaire (4) et que le crédit y jouait un rôle essentiel. Louis-Philippe Rochon établit alors lopposition de Joan Robinson à la fable du troc et à lantiquantitativiste de Robinson, André Lorentz ajoute celui de Kaldor qui explique que la source de linflation réside dans la sphère réelle et résulte dune inadéquation entre demande effective (élevée) et (in)disponibilité des capacités de production à court terme. Enfin, la prise en compte du pouvoir et des conflits autour notamment de la répartition du revenu (5) constitue le dernier volet du consensus post-keynésien en devenir. Si Kaldor, par exemple, recommande dopérer des distinctions de classes au sein des ménages pour comprendre la croissance cumulative (chapitre 4), la figure de Michal Kalecki est, sur cette question, la plus substantielle. Michael Assous (chapitre 2) insiste en effet sur la synthèse keynésiano-marxiste proposée par léconomiste polonais pointant lasymétrie forte entre capitalistes et salariés : les premiers mènent la danse capitaliste, « ils gagnent exactement ce quils dépensent » et léconomie fluctue selon les 246modifications du taux de profit. Kalecki insiste par ailleurs sur le pouvoir de classe des capitalistes susceptibles de contrer lefficacité de politiques économiques venant contrarier les « intérêts constitués ».

I.2 . Les traditions post-keynésiennes et les autres

Marc Lavoie et Jean-François Ponsot peuvent alors opérer une classification du programme post-keynésien en cinq traditions (chapitre 6). Le courant américain ou fondamentaliste hérité entre autres de Minsky ; le courant kaleckien ; le courant sraffaïen dont on regrette labsence dévocation des éléments développés par Sraffa lui-même susceptibles de linscrire parmi les pères fondateurs – dautant que cette inscription, rappellent les auteurs, ne fait pas consensus – ; le courant kaldorien ; enfin le courant post-keynésien institutionnaliste. On pourra regretter ici que la filiation du post-keynésianisme avec le chartalisme de Knapp ne soit quévoquée. Les auteurs peuvent ainsi spécifier ce qui éloigne le programme post-keynésien du « nouveau consensus » et linscrit au sein de lhétérodoxie tant en termes ontologiques que méthodologiques et politiques2. Dans cette taxinomie, les rapprochements avec la théorie de la régulation dune part (Ponsot & Lavoie 2007 ; Boyer 2011) – dont les représentants sont fréquemment cités dans louvrage – et linstitutionnalisme dautre part, sont intéressants, mais on regrette labsence de liens explicites tissés, ou à tisser, avec léconomie des conventions. Ceci est dautant plus regrettable que linventaire du contenu du programme post-keynésien, semble, en ce qui concerne les motifs et les règles de laction humaine, suggérer un certain et relatif voisinage que lon pourrait étendre à « léconomie post-classique » dans son ensemble (Lavoie 1992).

II. Le(s) contenu(s) du programme post-kéynésien

La deuxième partie de louvrage (chapitres 7 à 16, p. 127-310) aborde les concepts et les méthodes au cœur du post-keynésianisme contemporain. Les trois premiers chapitres (7, 8 et 9) développent les thèmes déjà 247présents chez les pères/mère fondateur·rice·s et dont on peut regretter, parfois, les quelques redondances : le circuit économique, lincertitude et lendogénéité de la monnaie.

II.1. Circuit, incertitude et monnaie

Frédéric Poulon (chapitre 7) présente la tradition circuitiste en retraçant lhistoire de la théorie keynésienne du circuit, identifie Bernard Schmitt comme figure tutélaire de sa redécouverte dans les années 1980 et insiste sur le rôle fondamental joué par certains centres de recherche (CEREF, ADEK). En phase avec les résultats post-keynésiens consensuels, Frédéric Poulon conclut que lanalyse en termes de circuit atteste, théoriquement, du caractère néfaste de laustérité et de lopportunité du protectionnisme.

Michaël Lainé revient quant à lui sur le concept dincertitude (chapitre 8) déjà évoqué plus tôt dans louvrage. Considérant que léconomie sapparente à « la science de nos rapports avec le futur », et que ce futur est par nature imprévisible, lauteur propose ici un plaidoyer contre la marginalisation de lincertitude au sein du mainstream néo-classique. Il explicite pour cela les « six failles logiques » de lusage des probabilités dans « la conduite des affaires humaines » et conclut – par un détour intéressant à la pensée complexe de Shackle et au débat sur les causes épistémologiques ou ontologiques de lincertitude – que, radicale et incurable, cette incertitude est finalement au cœur du fonctionnement réel des économies.

Virginie Monvoisin et Louis-Philippe Rochon (chapitre 9) abordent ce qui constitue sans doute lépicentre du programme post-keynésien entendu comme analyse du fonctionnement de léconomie capitaliste – cest-à-dire dune économie ontologiquement monétaire – : le caractère endogène de la monnaie. Il sagit de considérer que la monnaie est créée par le crédit, lui-même déterminé par la demande des agents – on regrette ici que le débat entre post-keynésiens horizontalistes et post-keynésiens structuralistes au sujet de lélasticité de la création monétaire aux besoins des banques et des entreprises ne soit quévoqué. Démontrant que les réserves bancaires, loin dêtre des prérequis au crédit, sont en réalité des « résidus », les post-keynésiens réactualisent ainsi lidée de Keynes selon laquelle les crédits font les dépôts. Les auteur·e·s regrettent lincapacité de cette idée à pénétrer les institutions monétaires contemporaines. Ainsi, lassouplissement quantitatif, dont lobjectif avoué est de relancer 248linflation, repose sur lidée que les banques refusent de prêter par manque de liquidités. Les post-keynésiens répondent au contraire que cest par faiblesse de la demande de crédit. Linvestigation se poursuit sur lidée quen augmentant le prix des actifs rachetés, le quantitative easing permet finalement de garantir la stabilité du revenu de lépargnant : il sagirait ainsi dun dispositif de répartition du revenu en faveur des rentiers. Lhétérogénéité des acteurs et les rapports sociaux sont inhérents au fonctionnement économique, léconomie, qui ne peut être réduite à une conception mécaniste, est donc fondamentalement politique. Cette idée est très largement illustrée par la conception post-keynésienne de linflation que décrivent Sébastien Charles et Jonathan Marie (chapitre 10) qui, avec Amitava Krishna Dutt et Dany Lang (chapitre 11) abordent les liens entre prix, répartition et croissance.

II.2. Prix, répartition et croissance

À partir dune modélisation intégrant les pouvoirs de marché des entreprises et de négociation des salariés, Sébastien Charles et Jonathan Marie démontrent que linflation – qui nest pas la réponse logique à une politique monétaire expansionniste – est finalement le résultat dun conflit autour de la répartition fonctionnelle du revenu. Linterprétation post-keynésienne de lhyperinflation en économie ouverte nous semble particulièrement intéressante : linflation, due primitivement au conflit de répartition, détériore la balance commerciale et ne manque pas de déprécier le taux de change – les agents qui anticipent une rupture de change se détournent de la monnaie domestique et la chose a lieu. Cette rupture de change conduit à laugmentation du prix des biens importés et la boucle prix-salaire se réalise alors : les firmes souhaitent maintenir leurs marges et les salariés le pouvoir dachat de leur salaire. Lhyperinflation sapparente ainsi à une inflation auto-entretenue dune part par le conflit autour de la répartition et dautre part par le renoncement à la détention de monnaie domestique.

Amitava Krishna Dutt et Dany Lang relient directement cette question de la répartition à celle de la croissance, à partir des modèles post-keynésiens kaleckiens (chapitre 11). Le modèle canonique, ses critiques et extensions ici présentés attestent de limportance du partage de la valeur ajoutée pour comprendre les évolutions de lactivité économique. Si cette démonstration est nécessaire – elle mériterait toutefois dêtre 249objectivée par des données –, la recommandation finale des auteurs nous semble naïvement vertueuse. Certes, « les pays auraient intérêt à sentendre pour faire augmenter la part des salaires de manière coordonnée » ; mais, alors que depuis Kalecki les post-keynésiens insistent, à juste titre, sur limportance des rapports de force dans la dynamique économique, cette recommandation semble surestimer la capacité du bon sens et de lentendement à infléchir les « intérêts constitués ». Ces intérêts constitués, tout particulièrement ceux du capital et du monde de la finance peuvent jouer contre les politiques publiques, linvestissement et lemploi.

II.3. Valeur actionnariale, investissement et emploi

Michal Kalecki est également mobilisé par Marc Lavoie et Dany Lang dans leur investigation sur les déterminants du niveau de lemploi (chapitre 12). Déconstruisant la théorie néoclassique (et monétariste) du chômage volontaire (et naturel) et sa formalisation au sein des modèles DSGE, les auteurs enrichissent effectivement la définition keynésienne en recourant au modèle kaleckien. La demande effective de travail rompt ici avec la contrainte de maximisation du profit, lui substituant, celle, cruciale, de la vente, cest-à-dire de la demande globale. Ceci renverse totalement les conclusions néoclassiques : une hausse du salaire conduit à diminuer le chômage tant que celle-ci demeure inférieure à la productivité du travail et quil existe des capacités de production inutilisées ; à linverse, toute hausse de la productivité non suivie dune hausse du salaire réel modifie le partage du revenu au détriment des revenus du travail – dont la propension à consommer est plus forte que les profits – et conduit ainsi à une baisse de la demande globale. Naturellement, lapproche post-keynésienne soppose à la solution néo-classique en matière de lutte contre le chômage mettant en avant « le paradoxe de la flexibilité » : une économie soumise aux forces du marché peut certes conduire à une situation de plein-emploi, seulement celui-ci sera sous-optimal car vérifiant un faible niveau dactivité.

Laurent Cordonnier, Thomas Dallery, Vincent Duwicquet, Jordan Melmiès et Franck Van de Velde abordent ensuite la question du coût du capital, son lien avec la financiarisation du capitalisme, et son incidence sur le financement de léconomie (chapitre 13). Les auteurs expliquent que « limposition dune norme financière » – la création de valeur pour 250lactionnaire – ainsi que la course à linnovation du secteur financier sont finalement créatrices dinstabilité et jouent contre linvestissement productif. Les auteurs distinguent alors le coût du capital productif du coût du capital financier, et au sein de ce-dernier, le coût de lintermédiation financière, du surcoût du capital assimilable à une « pure rente » actionnariale. Les auteurs observent la prodigieuse ascension du surcoût du capital depuis les années 1980 et leur analyse conforte celle de Michel Husson (2010) sur la déformation du partage de la valeur ajoutée et leffet ciseau entre taux de marge et taux dinvestissement. Les conséquences, avertissent-ils, sont de deux ordres : le surcoût du capital, participant dune déformation du partage de la valeur ajoutée, dune part impacte négativement la demande globale et donc lactivité économique, dautre part modifie la structure productive en favorisant la sous-traitance et la rentabilité de court-terme – ce « toilettage comptable » freine linvestissement de long terme et donc la croissance économique. La conclusion est bien que la question de la distribution du revenu est cruciale dès lors quil sagit dexpliquer le niveau dactivité économique.

II.4. Modélisation et microéconomie postkeynésiennes

Les deux chapitres suivants abordent les modélisations post-keynésiennes modernes : les modèles stock-flux cohérents (PK-SFC) et leur extension au sein des modèles multi-agents (ABM). La méthodologie post-keynésienne néchappe donc pas à lidée que léconomie serait devenue, en partie au moins, « une science fondée sur les modèles » (Hédoin, 2004). Un détour par la philosophie des sciences permettrait dinterroger le degré dintelligibilité du monde réel produit par les modèles post-keynésiens (entendus comme médiateurs entre la théorie sur le monde et lobservation du monde) et de les positionner au sein de la taxinomie des modèles macroéconomiques : sagit-il de modèles pratiques ou théoriques, idéaux ou descriptifs, par approximation ou par caricature3 ? Ces modèles produisent-ils des connaissances causales sur le monde économique ou sur la théorie, ou bien encore seulement des intuitions ? La contribution dEdwin Le Héron revendique un plus grand réalisme des modèles PK-SFC relativement aux modèles DSGE. Et pour cause, ceux-ci intègrent ce qui constitue 251le cœur de linterprétation post-keynésienne : la dynamique temporelle, la non-dichotomie des sphères réelle et financière, linteraction entre les flux et les stocks, lendogénéité de la monnaie et la présence de déséquilibres. À partir du modèle canonique de Godley et Lavoie, Edwin Le Héron dessine la trajectoire des modèles SFC, leur voyage au sein de différents systèmes institutionnels – composés notamment des secteurs banques et reste du monde – et au sein de différentes économies et zones géographiques – la modélisation SFC semble offrir un cadre danalyse adapté aux petites économies émergentes. Edwin Le Héron conclut sur les promesses analytiques offertes quant au défi environnemental4 : il sagira alors de rendre compte de la validité externe et de la qualité prédictive de ces modèles face à limminence de ce défi.

Pascal Seppecher défend lidée que « le renouveau de la modélisation macroéconomique » réside dans la prise en compte de la multiplicité des agents qui peuplent les systèmes complexes, et que cette prise en compte ne constitue rien de moins quun « nouveau paradigme » susceptible de formaliser une macroéconomie post-keynésienne quil juge encore « trop narrative » (chapitre 15). À linstar du paradigme des années 1970 qui défend une macroéconomie microfondée, la modélisation à base dagents multiples considère donc en premier lieu le niveau individuel ; mais contre celui-ci, elle considère simultanément que la microéconomie traditionnelle, arc-boutée sur lidée doptimisation et construite à partir des anticipations rationnelles dun agent représentatif, nest ici daucun secours. Sappuyant sur la technologie – qui, contrairement aux mathématiques simplificatrices, permet dintégrer la complexité du monde réel –, cette technique de modélisation mobilise la puissance de calcul offerte par les ordinateurs pour obtenir au niveau macro une sommation des données individuelles. Les nouveaux modèles AB-SFC offrent ainsi aux modèles SFC « simples » une prise en compte de la triple hétérogénéité des agents (multidimensionnelle, endogène et dynamique) leur conférant de ce fait des fondements microéconomiques solides et réalistes car basés sur lincertitude radicale et la rationalité procédurale. La liste davertissements et de recommandations fournie par lauteur livre à ce sujet des éléments intéressants pour juger de la démarche scientifique, de la cohérence interne et de la portée explicative dun modèle AB-SFC. 252Lauteur est toutefois conscient du niveau accru de technicité nécessaire pour discuter les résultats de tels modèles et insiste sur limportance de la formation des économistes. Lavenir des modèles AB-SFC en est tributaire, tout comme, semble suggérer lauteur, la rémanence dune opposition crédible au formalisme néoclassique.

Lalternative à la microéconomie néoclassique se construit également au travers dune théorie post-keynésienne des prix et de la firme (chapitre 16). Thomas Dallery et Jordan Melmiès expliquent dabord – ils mobilisent les trajectoires théoriques de Robinson et Kalecki ainsi que la suggestion de Means (1935, 1939) et dEichner (1973, 1976) – que lobjectif de la firme nest finalement pas la maximisation du profit mais la maximisation de la croissance des ventes sous contrainte dautofinancement des investissements. Cette évolution théorique fait dire aux microéconomistes post-keyésiens qui considèrent une concurrence imparfaite que la fixation des prix dépend surtout des marges de profit attendues des entrepreneurs puisque les prix déterminent finalement les fonds alloués en retour à linvestissement. Lhypothèse post-keynésienne sur la formation des profits prend également le contrepied de la microéconomie traditionnelle : la concurrence ne réduit aucunement les profits de chaque firme mais opère simplement une redistribution du profit entre les différentes entreprises présentes sur un marché. Si la fixation des prix et les marges qui en découlent sont essentielles pour lentrepreneur en ce quelles conditionnement linvestissement de demain et la croissance future des ventes, les auteurs expliquent que la « récente » financiarisation de léconomie contrarie ses plans, confronté quil est à limpératif de création de valeur pour lactionnaire : la présence de cette contrainte financière modifie et sélectionne ainsi les projets dinvestissement.

Cette « partie » sur les contenus et méthodes du programme post-keynésien est incontestablement intéressante et riche denseignements divers. On regrette toutefois, labsence dun développement systématique sur la Modern Monetary Theory, théorie qui suscite un intérêt croissant au delà du monde universitaire, qui donne lieu à des débats au sein même de la tradition post-keynésienne5 et qui aurait permis dasseoir la filiation, alors simplement évoquée, avec le chartalisme de Knapp. Ce regret est dautant plus légitime que la question des politiques 253économiques constituant la dernière partie de louvrage pouvait facilement être connectée à la théorie monétaire moderne au moyen de la théorie de lemployeur en dernier ressort qui, elle, est exposée.

III. Les politiques économiques post-keynésiennes

La troisième et dernière partie de louvrage est alors consacrée aux politiques budgétaires et monétaires en matière demploi, de développement économique et de lutte contre les inégalités. Il y est donc dabord question de limplication économique de lÉtat – question éminemment politique –, puis dune refonte de larchitecture monétaire internationale. Cette partie prescriptive ouvre enfin la porte à un « nouveau développementisme », un développementisme post-keynésien prônant un développement davantage soutenable du double point de vue social et environnemental.

III.1. L État, le budget et le plein-emploi

Rappelant lopposition de Keynes au dogme de léquilibre budgétaire basé sur la promotion (1) de lépargne individuelle à travers la mise en place de politiques fiscales et de taux dintérêt accommodantes, (2) de lépargne publique à travers limplémentation de laustérité, et (3) de lépargne extérieure à travers la promotion de la libéralisation, Eric Berr, Orsola Costantini, Matthieu Llorca, Virginie Monvoisin et Mario Seccareccia (chapitre 17) rappellent largument décisif de Keynes selon lequel linvestissement précède lépargne. Lendettement restaure alors la confiance, stabilise les anticipations et achemine léconomie vers le plein-emploi. Mobilisant cet héritage, celui de Kalecki, ainsi que le concept de « finance fonctionnelle » de Lerner (1943), les auteur·e·s expriment le déficit budgétaire, et donc lendettement public, comme « un facteur déterminant du profit des entreprises » (p. 320). Il convient alors pour les post-keynésiens que lÉtat soit suffisamment « gros » (Big Government chez Minsky) de manière à 1) soutenir les profits entrepreneuriaux, 2) limiter les inégalités qui pèsent sur la croissance à travers une fiscalité progressive, 3) opérer une redistribution via des transferts à destination 254des ménages les plus pauvres dont la propension à consommer est élevée et nest pas altérée par la consommation de produits importés – cet élément nous semble à première vue discutable et aurait mérité dêtre objectivé par des données statistiques : de quels ménages et de quels types de produits importés parle-ton ? Graphiques et données statistiques à lappui6, les auteur·e·s illustrent enfin le bref « moment keynésien » lors de léclatement de la crise de 2007-2008 et « limpasse européenne » lors de sa métamorphose en « crise des dettes souveraines » (2010). Cet « enfermement idéologique mortifère » (p. 327) au sein du dogme de léquilibre budgétaire, renforcé par les différents dispositifs, pactes et traités européens et aggravé par la concurrence fiscale à laquelle se livrent les pays de lUnion Européenne, est combattu par la revendication post-keynésienne à la mise en place de politiques budgétaires contracycliques, dont on peine toutefois à considérer lévolution théorique par rapport au message initial de John Maynard Keynes.

La véritable innovation réside sans doute dans la théorie de lemployeur en dernier ressort (EDR)présentée par Quirin Dammerer, Antoine Godin et Dany Lang (chapitre 18), laquelle résonne comme un lointain écho au débat sur le « droit au travail » revendiqué par les socialistes républicains de 1848 – sans verser dans lanachronisme, les motivations qui poussent Minsky (1986) à préconiser les works progress administration (WPA) peuvent être reliées et discutées à laune de celles invoquées par Louis Blanc (1840) au sujet des Ateliers sociaux. Les auteurs établissent le programme de lEDR, dont le projet de Wray (2007) est le plus abouti, et révèlent quelques expériences actuelles – le projet Territoire zéro chômeur de longue durée en France –, passées et ayant réussies – Jefes y Jefas de Hogar Desocupados en Argentine – ainsi que passées et ayant tournées court – le Commonwealth Employment Service en Australie sest rapidement transformé en travail obligatoire contre allocations chômages. Les post-keynésiens partisans des programmes dEDR insistent sur leurs trois fonctions principales : en procurant un emploi à tous les actifs désireux de travailler, lEDR permet dabord de résoudre le chômage involontaire ; en augmentant la demande globale par lintermédiaire des salaires distribués, lEDR stimule lactivité économique et la croissance ; en fixant le niveau du salaire, lEDR sert dancrage au salaire minimum, modifie la structure de léchelle des salaires et stabilise la dynamique 255salariale ; enfin, en prévoyant la formation des actifs concernés, lEDR lutte contre la dépréciation du capital humain. Les critiques de tels programmes stipulent quant à elles de possibles conséquences néfastes en termes de substitution aux emplois publics et de pressions à la baisse sur les rémunérations du secteur public, et projettent alors le caractère possiblement non productif des emplois concernés et le décalage entre rémunération (élevée) et productivité (faible). Il est toutefois difficile de juger de lensemble de ces critiques compte tenu du peu détudes systématiques relatives aux quelques projets qui ont effectivement germé ici ou là7. Cela étant, la conclusion kaleckienne des auteurs sur la difficulté dimplémenter de tels projets à grande échelle compte tenu du rapport de force avec les capitalistes attachés au rôle disciplinaire du chômage nous semble particulièrement intéressante. LEDR pourrait par ailleurs entrer en débat avec les controverses récentes autour du revenu inconditionnel ou salaire à vie, qui, à la différence de lEDR, entendent émanciper la perception du revenu de la question de lemploi (non du travail), mais qui se prêtent eux aussi à une analyse macroéconomique en matière de lutte contre la précarité et les inégalités.

III.2. Des inégalités inefficaces…et injustes ?

Cette question des inégalités est abordée par Nicolas Zorn (chapitre 19). Lauteur identifie en amont les causes de ces inégalités liées à la déformation du partage de la valeur ajoutée8 et insiste, en aval, sur leur inefficacité économique et sur les risques encourus lorsquelles sont exacerbées – la modération salariale impose de miser sur lendettement privé pour compenser laffaiblissement de la demande globale. De manière non surprenante, figure, parmi les recommandations post-keynésiennes destinées à lutter contre les inégalités, lobjectif prioritaire de plein-emploi. Garantir un emploi à tous les actifs est effectivement un moyen de casser le rapport de force défavorable dont sont victimes les travailleurs face aux capitalistes. Mais il est selon lauteur un autre rapport de force quil 256convient de renverser : celui qui oppose le capitaliste (lentrepreneur, source de gains de productivité) au rentier. Lobtention dune croissance économique qui ne soit pas « viciée par des phénomènes dextraction de rente » pourrait être soutenue par un arsenal de politiques publiques ciblées et efficaces – un « New Deal keynésien global » (p. 367). Si la dimension économique des inégalités est largement traitée par lauteur, la réflexion ne sengage pas véritablement sur le terrain de la justice. Lauteur justifie pourtant très tôt (p. 358) « la préoccupation des post-keynésiens pour la justice sociale » et indique quils promeuvent finalement « un système équitable » (p. 363). La réflexion, fut-elle économique, sur léquité et ses rapports avec légalité, ne peut faire léconomie dune réflexion simultanée sur la question de la répartition des richesses et du rôle de lÉtat en matière délargissement daccès aux droits sociaux. Cette réflexion est entamée par lauteur à travers une perspective kaleckienne de mise en exergue des rapports de force, et à travers le défi contemporain de lÉtat Providence censé accompagné léconomie de marché. Un détour par la philosophie économique permettrait peut-être, si lobjectif est celui-là, de stabiliser une possible théorie post-keynésienne de la justice sociale tolérante vis-à-vis de certaines inégalités économiques – de ces inégalités dites « efficaces » car maximisant la croissance et le taux demploi (p. 357). 

III.3. Politique monétaire qualitative, contrainte discrétionnaire et système monétaire international

Tout en attribuant à lÉtat et à son budget la primauté des politiques contracyliques de relance économique, les post-keynésiens interrogent, à partir de la théorie de la monnaie endogène, lobjectif et les outils de la politique monétaire. Emmanuel Carré et Edwin Le Héron expliquent (chapitre 20) que contrairement aux recommandations des traités européens qui imposent lindépendance des banques centrales, les post-keynésiens insistent sur limportance du rôle de préteur en dernier ressort des banques centrales – « la rareté du financement ne peut être quune rareté choisie, mais en aucun cas issue dune contrainte dépargne ex ante, de fonds prêtables comme laffirment les économistes néoclassiques (…). La banque centrale doit (…) pouvoir financer directement lÉtat afin de stabiliser les taux dintérêt en fournissant la liquidité nécessaire » (p. 376) – et réclament que la politique monétaire soit soumise à un 257contrôle démocratique. Opposés à la théorie quantitative de la monnaie, les post-keynésiens considèrent les effets réels de la politique monétaire. Cette politique monétaire doit être 1) discrétionnaire – pensée pour le court et moyen termes – 2) qualitative – elle doit viser lobtention dun bas taux dintérêt, orienter le circuit du capital vers léconomie réelle et limiter la formation de bulles spéculatives – 3) contrainte – elle doit avoir en ligne de mire la stabilité du taux dintérêt de manière à consolider les anticipations et réduire lincertitude. Cette contrainte discrétionnaire rapproche certains post-keynésiens des politiques de règles plus ou moins actives, jusquà la règle de Kansas City (Wray 2007) qui, induisant un taux dintérêt qui tend vers 0 %, ne réagit à aucune fluctuation économique. Enfin, Emmanuel Carré et Edwin Le Héron confrontent aux recommandations post-keynésiennes les politiques monétaires non conventionnelles menées depuis 2008 par la Banque Centrale Européenne dans le but relancer production et inflation – Quantitative Easing, Qualitative Easing, refinancement à long terme, taux dintérêt négatif, forward guidance. Ils concluent à une certaine proximité mais insistent simultanément sur le risque encouru en termes dinstabilité financière. Ils en concluent que la politique monétaire conjoncturelle ne peut se passer dun cadre législatif contraignant qui permette une action conjointe de lÉtat et de la banque centrale pour limiter « le risque systémique du système bancaire et financier » (p. 379).

Afin de limiter cette instabilité financière internationale, Claude Gnos, Jean-François Ponsot et Sergio Rossi proposent par ailleurs que soit repensée larchitecture financière internationale (chapitre 21) que les post-keynésiens jugent « non conforme aux principes monétaires fondamentaux » (p. 396). À limage du plan de Keynes (1942) désavoué lors de la conférence de Breton Woods, les post-keynésiens estiment que seul le recours à une monnaie supranationale conforme aux principes de la monnaie endogène, sera à même de contrer linstabilité, lincertitude, linsuffisance de la demande globale et liniquité qui caractérise alors le système monétaire international contemporain9. Les auteurs rappellent que, résultant de la demande de crédit, la monnaie nest rien de moins que « lexacte contrepartie dune production nationale » (p. 406). Formalisant une dette qui circule, elle est doté dun pouvoir libératoire. Or, la monnaie, nous expliquent les auteurs, perd ce pouvoir libératoire dans 258le règlement des échanges internationaux : le pays exportateur de marchandises reçoit en échange une simple créance qui nest plus assortie du titre de dette comme cest le cas de la monnaie circonscrite au cadre national. Keynes expliquait alors quil y a, au niveau des nations, un « non-paiement des transactions » signifiant finalement « labsence de comptabilité des nations en tant que telle » (p. 407). Mais cela peut-être contourné par ladoption dune monnaie internationale – qui retrouverait alors son pouvoir libératoire – émise par une institution supranationale dont la fonction instrumentale se limiterait ainsi au maintien de lordre monétaire sur le plan international jusquici caractérisé par les non paiements nets du pays qui en constitue lépicentre (les États-Unis) – à linternational, le dollars est accepté comme une marchandise10. Ladvenue dun nouvel ordre monétaire international relève-t-elle de la chimère ? Conscient des difficultés, les auteurs précisent quà la réticence des États-Unis dabandonner leur « privilège exorbitant » sajoute la difficile acceptabilité, aux yeux des spéculateurs, dun retour à la stabilité des changes et à un contrôle accru des mouvements de capitaux.

III.4. Le développement post-keynésien :
mondialisation et soutenabilité

Lidée quil nest pas sain quune économie sendette dans une monnaie étrangère constitue également le cœur des vues post-keynésiennes sur le développement économique (chapitre 22). Éric Berr et Luiz Carlos Bresser-Pereira exposent, face aux considérations néolibérales sur le développement, le passage dun développementismeclassique dobédience keynésiano-marxiste à un nouveau développementisme plus « libéral ». Au sein du premier, la traditionstructuraliste insiste sur lexploitation des nations périphériques par le centre, lapproche par la dépendance pointe quant à elle la responsabilité de lélite industrielle nationale dans la ténacité du sous-développement. La solution réside alors dans une stratégie dindustrialisation misant sur la production des biens autrefois importées (dépendance) et sur un accord infranational entre industriels, travailleurs et bureaucratie dÉtat pour sortir du sous-développement (structuralisme) – il faut toutefois veiller dans une telle stratégie à la cohérence nationale de la croissance générée par les multinationales implantées dans les PED. La 259révolution néolibérale des années 1980, formalisée ici par le « consensus de Washington », a quelque peu essaimé au sein de lanalyse développementiste. Dans un contexte de globalisation économique qui fait prédire aux hyperglobalistes la disparition de lÉtat-nation westphalien, le nouveau développementisme estime que sous les effets de la mondialisation lÉtat est amené à se transformer. Se tournant désormais davantage vers lextérieur et amenuisant limportance des politiques de protection industrielle, le nouveau développementisme cesse de revendiquer la planification au profit de la concurrence par le marché et prône un usage raisonné du déficit budgétaire. Il reste quen phase avec les arguments fondateurs du post-keynésianisme, ce nouveau développementisme recommande la mise en place de politiques économiques visant la défense de lintérêt national, prêche la non surévaluation du taux de change des pays en développement afin dassurer leur compétitivité, ainsi que le recours à un financement interne contre le « péché originel » de lendettement en devises. À linstar du programme post-keynésien, le nouveau développementisme souhaite donc sémanciper de lorthodoxie libérale et renouer avec certains principes fondateurs énoncés par Keynes et Kalecki. Mais force est de constater simultanément la mise à distance dune certaine radicalité propre au développementisme « primitif ».

La question du développement est par ailleurs directement liée à celle de lenvironnement. Éric Berr expose la progressive intégration de la contrainte écologique au sein du programme post-keynésien à partir des « intuitions » des fondateur·rice·s (Keynes, Kalecki, Robinson). Lauteur montre que le cœur du paradigme post-keynésien arcbouté sur les questions demploi et de croissance est finalement compatible avec la promotion dun « développement soutenable ». Eric Berr positionne le post-keynésianisme du côté de la soutenabilité forte et réussit lintégration des caractéristiques essentielles associées au post-keynésianisme – croissance, demande effective et incertitude – à la réflexion relative à la soutenabilité de nos modes de développement. Accentuant léloignement vis-à-vis de lidéologie néoclassique et sinspirant notamment de léconomie écologique dun Nicholas Georgescu-Roegen, le post-keynésianisme suggère un État capable de contrôler laction de léconomie sur son milieu qui, laissée à elle-même, « fragilise une grande majorité de la population mondiale ». CQFD : léconomie exerce une pression sur les hommes et la nature, ces pressions identifiées et théorisées appellent en retour 260la mise en place de dispositifs de politiques publiques capables de les désamorcer ou, au moins, den atténuer les effets.

Conclusion

Il est incontestable que cet ouvrage fera date. Il précise utilement les concepts mobilisés par les post-keynésiens, renseigne sur les méthodes utilisées et enfonce le clou sur lidée que léconomie demeure, malgré lambition destructrice des néoclassiques, une discipline éminemment politique. Faire en sorte que la théorie économique soit en phase avec le réel et ne se transforme pas en « religion11 » nécessite indéniablement un tel travail de promotion concurrentielle. Évidemment, léclosion dune telle alternative doit pouvoir être discutée, critiquée, réfutée – ne serait-ce que pour faire « progresser » le nouveau paradigme – et louvrage ici présentée ouvre une discussion constructive. Il convient toutefois de regretter à ce sujet labsence de données statistiques exploitées pour illustrer le propos des auteurs. Bien sûr, le programme post-keynésien ne revendique pas une théorie pure, sans mesure, mais le recours à une méthode inductive et historico-déductive ne suffit pas toujours à faire léconomie de labstraction théorique. Sans pour autant verser dans un « réalisme métrologique naïf » (Desrosières 2008, p. 65), il faut veiller à ce que la théorie produite soit toujours perméable à la « critique » statistique. Comme lindique Alain Parguez dans la postface de louvrage, « toutes les sciences dures ou sociales » procèdent par révolutions, il est une spécificité de la « science économique », insensible jusquaux manifestations et turbulences contemporaines pourtant bien réelles, de résister à toute métamorphose. On a pourtant le sentiment que le post-keynésianisme peut être lune de ces altérations ouvrant « les chemins de la libération ! » (p. 447).

Louvrage offre finalement une réponse au célèbre slogan tatchérien en arguant quil existe bel et bien une alternative, a post-Keynesian alternative.

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1 « Avant que létudiant en économie ne pose des questions, il sera devenu professeur et ainsi des habitudes en matière dimprécision conceptuelles seront transmises dune génération à lautre ». Joan Robinson (1953), « The Production Function and the Theory of Capital », Review of Economic Studies, vol. 21, no 2, p. 81, cité par Louis-Philippe Rochon, dans cet ouvrage, p. 57.

2 Cf. à ce sujet la recension de Jacques Sapir (2019).

3 Sur ces questions se référer à la thèse de Francesco Sergi (2017) relative à lhistoire des modèles DSGE.

4 On pourra sur ce point se référer à Piluso et Le Héron (2017), ainsi quà Asensio, Charles, Lang et Le Héron (2011).

5 On pourra se référer au working paper de Thomas Palley (2019).

6 Les données mobilisées proviennent de lOCDE et dEurostat.

7 Les auteurs évoquent la thèse de Salam Abukhadrah (2017) et le document de travail de Fadhel Kaboub (2007).

8 La mondialisation, la réduction des dépenses publiques qui visent notamment le plein-emploi, la dérèglementation du marché du travail, le pouvoir grandissant des grandes entreprises et la financiarisation de léconomie. Cf. Palley (2012), Stockhammer (2013) et Husson (2010).

9 Lapproche des « quatre I » est empruntée à lanalyse de Jean-François Ponsot (2016).

10 Concernant les vues de Keynes lui-même sur la compensation internationale, se référer par exemple à Faudot (2019).

11 Cf. à ce sujet la postface dAlain Parguez, p. 445-449.