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Classiques Garnier

Jean-Baptiste Say au Tribunat

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d'histoire de la pensée économique
    2020 – 1, n° 9
    . varia
  • Auteur : Jacoud (Gilles)
  • Résumé : Sous le Consulat, Jean-Baptiste Say siège plusieurs années au Tribunat. Attaché à la section des finances, il s’occupe plus généralement des questions économiques. En tant que tribun, il rédige plusieurs rapports, dont l’un sur le projet de loi relatif à la refonte des monnaies. L’article présente son activité de tribun à une période où il voit encore dans Bonaparte un dirigeant susceptible de réorganiser le pays conformément à ses vues puis lorsqu’il prend ses distances par rapport à Bonaparte.
  • Pages : 19 à 42
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406106029
  • ISBN : 978-2-406-10602-9
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10602-9.p.0019
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/05/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Say, Tribunat, Corps législatif, Consulat, rapports, monnaie, finance
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Jean-Baptiste Say au Tribunat

Gilles Jacoud

Université Jean Monnet Saint-Étienne

GATE L-SE – UMR CNRS 5824

Si Jean-Baptiste Say (1767-1832) accède à la célébrité avec la publication de son Traité déconomie politique en 1803, il nest pas pour autant un inconnu avant cette date. Il nest certes guère encore connu comme économiste mais est engagé dans laction politique essentiellement à travers une activité de journaliste (Tiran, 2018, 2019) et est membre du groupe des idéologues. Les contours de ce mouvement, qui œuvre en faveur dun ordre social assuré par des décideurs éclairés, sont imprécis (Forget, 1999, p. 20-21 ; Chappey, 2001, p. 57-58) mais Say appartient à ses premiers cercles (Forget, 1999, p. 33, 127 ; Steiner, 2003, p. 331-332). Il est en outre dès sa création en 1794 rédacteur général de la Décade philosophique, littéraire et politique, journal qui porte les vues des idéologues. Auteur darticles sur des sujets divers, il a déjà une certaine notoriété lorsque Bonaparte prend le pouvoir lors du coup dÉtat du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799).

La Décade, qui sétait montrée critique envers le Directoire, accueille favorablement le nouveau pouvoir officialisé sous le nom de Consulat par la constitution de lan VIII1. Bonaparte le lui rend bien puisque quatre de ses rédacteurs, en loccurrence François Andrieux, Pierre Louis Ginguéné, Joachim Lebreton et Jean-Baptiste Say, deviennent membres du Tribunat2.

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Le Tribunat est lune des quatre assemblées mises en place par la nouvelle constitution rédigée par Pierre Daunou, un autre idéologue à qui Bonaparte fait appel pour établir le cadre dans lequel vont désormais fonctionner les institutions3. Cette constitution est arrêtée le 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), promulguée le 4 nivôse (25 décembre) et approuvée par plébiscite le 18 pluviôse (7 février 1800). Elle met en place un exécutif fort constitué par le Conseil dÉtat4. Le gouvernement a linitiative des lois, lesquelles sont votées par un pouvoir législatif composé de trois autres assemblées. La première, qui comprend 100 membres nommés pour cinq ans et renouvelables par cinquième chaque année, est le Tribunat. Il discute des projets de loi sans pouvoir les amender et donne son avis en en proposant ladoption ou le rejet. Cest ensuite à une deuxième assemblée, le Corps législatif, de se prononcer en votant pour ou contre la proposition du Tribunat. Quant au Sénat, il nomme les membres des deux autres assemblées législatives et veille à la constitutionnalité des lois.

Au Tribunat où il reste un peu plus de quatre années, Jean-Baptiste Say soccupe plus particulièrement des questions économiques et fait partie de la section des finances. Sil est vrai quaprès sa nomination il commence « presque aussitôt à écrire son Traité déconomie politique » (Say, 2003a [1848], p. 826), il est aussi amené à établir quatre rapports pour le Tribunat et à prononcer un discours au Corps législatif5.

Les idées de Say en matière de politique ont déjà fait lobjet de divers écrits, quil sagisse de son action d« intellectuel engagé » (Steiner, 1990, p. 176 ; Palmer, 1997, p. 6-32 ; Blanc & Tiran, 2003a), de sa conception de lÉtat (Steiner, 1989 ; Numa, 2019), de son républicanisme (Whatmore, 2000, 2003 ; Tiran, 2018, 2019) ou de sa volonté de faire de la politique et de léconomie politique deux objets détude distincts 21(Steiner, 1997 ; Forget, 2001, p. 211-212). Lobjet de cet article nest pas de revenir sur ces différentes dimensions de la pensée ou de la vie de Say mais de se concentrer sur son activité au Tribunat. Une première partie présentera le contenu de cette activité de tribun de Say dans le cadre des débuts de la constitution de lan VIII, à une période où il voit encore dans Bonaparte un dirigeant susceptible de réorganiser le pays conformément aux vues des idéologues. Une seconde partie sarrêtera sur sa présence au Tribunat à la fin de la constitution de lan VIII et sous la constitution de lan X qui marque lévolution du Consulat vers un régime plus autoritaire conduisant Say à prendre ses distances par rapport à Bonaparte.

I. Les premiÈres interventions de Say
dans le cadre des DÉbuts de la constitution
de lan VIII

Le Tribunat tient sa première séance le 11 nivôse an VIII (1er janvier 1800) et Say ne tarde pas à y prendre la parole puisquil est rapporteur de deux projets de loi en mars. Lenthousiasme initial est cependant suivi dun relatif effacement puisquil faut attendre janvier 1801 pour quil intervienne à nouveau au nom de lassemblée, dans un discours prononcé au Corps législatif.

i.1. L enthousiasme initial

Say met beaucoup despoir dans le nouveau gouvernement considéré comme pouvant apporter « un nouvel ordre plus favorable à la morale et à lhumanité » (Say, 2003a [1800], p. 26). Il espère que le nouveau pouvoir diffusera « les idées libérales » (ibid.) et que le peuple reconnaîtra quil a désormais « des institutions quon pourra citer » (ibid.).

Lespoir placé dans le gouvernement consulaire tient à laptitude de celui-ci à répondre aux attentes que Say avait formulées quelques années plus tôt dans la Décade. Il avait commenté le projet de constitution élaboré en 1795 en mettant en avant la nécessité de voir les responsabilités publiques confiées à des « gens capables » (Say, 1795, p. 89), de soustraire 22les dirigeants à la pression des passions populaires et damener les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire à œuvrer dans le même sens au lieu de sopposer. Il nhésitait pas à considérer quil pouvait être parfois nécessaire « de resserrer, dans quelques mains courageuses et dignes de confiance, tous les pouvoirs et toute lénergie du gouvernement » (ibid., p. 87). Deux autres rédacteurs de la Décade, Amaury Duval et Pierre-Louis Ginguené, avaient défendu les mêmes vues dans la revue (Duval, 1795 ; Ginguené, 1795)6. Lespoir de Say est plus largement celui des idéologues. Leur volonté de faire émerger « une forme républicaine déquilibre des pouvoirs » (Chappey, 2001, p. 57) les amène à soutenir le coup dÉtat du 18 brumaire. Dès le lendemain de celui-ci, lun de leurs principaux représentants, Pierre Jean Georges Cabanis, le cautionne en dénonçant les effets pervers de la division des pouvoirs, notamment leur manque de coordination, et la nécessité dun pouvoir exécutif fort pour éviter que laction gouvernementale soit contrecarrée par un pouvoir législatif désigné par un « peuple en état de fièvre » (Cabanis, 1799a, p. 4). Un mois plus tard, il justifie le nouveau régime en réitérant à plusieurs reprises son adhésion au principe dun pouvoir exécutif fort (Cabanis, 1799b). Le renforcement du pouvoir exécutif prôné par les idéologues sinscrit néanmoins dans le cadre dune pensée républicaine (Chappey, 2001, p. 63) qui voit dans la répartition fonctionnelle des tâches entre les nouvelles institutions politiques nouvellement mises en place une garantie contre le risque de dérive de lexécutif. Parmi celles-ci, le Tribunat peut discuter les projets de lois du gouvernement dautant plus librement que, émettant seulement un avis sur la suite à leur donner, les tribuns nont pas la responsabilité du vote décidant in fine de leur adoption ou de leur rejet.

Le premier rapport que Say présente au Tribunat le 4 germinal an VIII (25 mars 1800) est un Rapport fait au nom dune commission chargée dexaminer un projet de loi relatif à un échange de terrains entre lhospice de Charenton et les Citoyens Charles Lacroix et Couturier. La commission en charge de létude du projet est constituée, outre Say, des tribuns Joseph Bosc, Joseph Eschassériaux, Pierre Clément de Laussat et Mathurin Louis Étienne Sédillez. Hormis Say, tous ont déjà exercé des mandats électoraux dans les assemblées ayant précédé le Consulat.

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Le rapport que présente Say ne porte pas sur un sujet de première importance et il est relativement bref. Il sagit de répondre à la demande de particuliers souhaitant acquérir des biens fonciers dont la propriété est publique en cédant leurs propres terrains. Lenjeu du rapport transparaît dès la première phrase : il sagit déviter tout reproche de mauvaise gestion des biens publics dans un échange où les représentants de lÉtat pourraient être accusés, au mieux, de brader le patrimoine public ou, au pire, de collusion avec les acquéreurs. Say annonce demblée que « les dépositaires de lautorité législative doivent veiller à ce que les domaines nationaux ne sévaporent pas en aliénations frauduleuses, en échanges ruineux » (Say, 2003a [1800], p. 243). Les législateurs doivent être dautant plus vigilants qu« il sagit du bien des hospices, cest-à-dire du patrimoine des infortunés » (ibid.).

Say aurait préféré, pour éviter toute remise en cause de la probité des personnes appelées à se prononcer sur la transaction, que lexpert nommé par ladministration municipale pour loccasion ait pu sappuyer sur des baux ou autres justificatifs permettant détablir avec la plus grande précision possible la valeur des biens fonciers concernés. De tels documents auraient pu prouver la valeur des biens proposés à léchange « afin de prévenir tout soupçon que ladministration municipale ait voulu favoriser deux particuliers notables de son arrondissement aux dépens dune propriété publique » (ibid., p. 244). Il semploie néanmoins à démontrer que léchange est favorable à lhospice. Le dénommé Lacroix demande des portions de terrain estimées à 4 212 francs alors que celles quil laisse en contrepartie valent 5 855 francs. Lhospice nest donc pas lésé. Quant au dénommé Couturier, il abandonne des terrains dune valeur de 6 660 francs contre ceux de lhospice dont la valeur est estimée à 3 822 francs. Au total, lhospice de Charenton se dessaisit de 8 034 francs de biens fonciers mais en acquiert pour 12 515 francs sans rien débourser, réalisant une plus-value de 4 481 francs dans lopération.

Si les estimations sont fiables, lhospice réalise donc un gain de près de 56 % en procédant à léchange de terrains. Say se croit dautant plus en droit de défendre le projet « quune expérience flatteuse a appris quen général les administrateurs des établissements nationaux de bienfaisance et dinstruction publique défendent, avec une sollicitude de propriétaires, 24les droits des établissements qui leur sont confiés » (ibid.). Il conclut donc en faveur du projet présenté au Tribunat7.

La conclusion à laquelle il arrive le lendemain à propos dun projet de loi relatif à lentretien des routes8 est différente. Le projet porte plus particulièrement sur la taxe dentretien des routes. Le montant du droit alors payé sur la circulation des charrettes sélevait avec le nombre de chevaux attelés, progression que supprime le nouveau projet. Say accueille favorablement cette suppression. Le supplément de taxe à payer était en effet justifié par la volonté de décourager la surcharge des charrettes qui contribuait à la détérioration des routes. Mais Say déplore que dans une situation où les chemins déjà sont en mauvais et par conséquent lattelage de plusieurs chevaux nécessaire, les voituriers naient pas dautre choix que dêtre frappés par une taxe qui devient injuste. Aussi Say est-il favorable à cette dimension du projet de suppression de lalourdissement de la taxe en fonction de la taille de lattelage, comme il est favorable au fait que le transport de grains et farines soit exempté de taxe.

Létude du projet donne à Say loccasion de dénoncer certains effets pervers de lintervention publique. Cest un problème auquel il est sensibilisé depuis longtemps. Lors du séjour quil effectue en Angleterre pendant ses jeunes années, il subit les conséquences de la mise en place de limpôt sur les portes et fenêtres : son hôte fait murer par des maçons lune des deux fenêtres de sa chambre. Cette opération, qui réduit son bien-être sans que lÉtat nen tire le moindre gain, suscite selon lui la première de ses « réflexions sur léconomie politique » (Say, 1890, p. 2). Dans le cas du projet de loi quil étudie en 1800, Say constate que la plus forte taxation des attelages à plusieurs chevaux poussait les voituriers à nen atteler quun seul même pour de lourds chargements, ce qui en accélérait lépuisement et risquait den réduire la durée de vie. Mais il regrette que le projet ne contienne aucune disposition permettant de réduire la dégradation des routes. Il prend comme exemple lAngleterre 25où des bascules permettent de déterminer le poids des chargements. Le constat dexcédents de poids au regard de ce quautorise la réglementation y conduit au déchargement des charrettes trop lourdes et au paiement dune amende qui contribue à payer lentretien et la réparation des routes. Le projet de loi ne contient pas non plus de disposition permettant de taxer plus fortement les charrettes à deux roues que celles à quatre. Or ce sont surtout elles qui participent au défoncement des voies puisque le contact avec le sol est limité à deux points alors que le poids du chargement pourrait être réparti sur quatre roues. Say va jusquà mobiliser les apports de la physique pour expliquer que sil y a certes moitié moins de frottement son intensité est en revanche double. Les pratiques de transport perpétuées dans le pays de génération en génération ne tirent pas profit des enseignements de la mécanique théorique, contrairement à lAngleterre où les questions de voiturage ont été étudiées et où lusage des voitures à deux roues a été rejeté en connaissance de cause.

Pour Say, le projet de loi rate lopportunité daméliorer les pratiques en vigueur. Il est lillustration des insuffisances de la procédure législative en comparaison des changements quelle pourrait apporter. « Il y a tant de lumières dans le corps chargé par la constitution de la proposition de nos lois, quon devrait en attendre des dispositions de ce genre favorables au perfectionnement de notre système administratif. La science ne paraîtra précieuse au peuple, que par ses applications aux usages civils. » (Say, 2003a [1800], p. 247)

Say dénonce une autre insuffisance du projet de loi. La taxe était perçue proportionnellement à la distance parcourue, ce qui donnait lieu à de nombreuses complications pour son calcul aux points de péage. Les voituriers qui arrivaient à un point accessible par plusieurs voies étaient incités à déclarer avoir emprunté la plus courte. Cest donc la législation même qui était responsable « de fausses déclarations, de là des atteintes portées à la morale publique » (ibid.). Le projet, en fixant un droit par tranche de cinq kilomètres parcourus, reste trop timide dans la simplification. Il aurait été préférable de prévoir un droit fixe par point de péage et de fixer une distance minimale entre les points. En nallant pas jusque-là, le législateur se prive de la possibilité de mettre fin à une situation qui nest guère satisfaisante : « le percepteur naurait plus été forcé dexhiber à chaque voyageur limmense pancarte de son tarif, et naurait plus été tenté peut-être de profiter de lignorance du villageois 26qui ne sait pas lire ; enfin il y aurait eu moins de ces rixes affligeantes qui ont signalé létablissement des barrières » (ibid., p. 247-248).

Le nouveau tribun prend manifestement à cœur sa fonction détude des projets de loi et regrette même de ne pas avoir le temps détudier avec suffisamment de soin le texte qui lui est soumis. Considérant quil ne contient « aucune des améliorations que lexpérience pouvait indiquer » (ibid., p. 248), il ne manque pas de faire preuve dindépendance par rapport au gouvernement en concluant à la nécessité de voter le rejet du projet de loi9.

I.2. Le discours prononcé au corps lÉgislatif

Un an après sa nomination au Tribunat, Say prononce au Corps législatif, lors de la séance du 23 nivôse an IX (13 janvier 1801), un Discours pour appuyer le projet de loi tendant à déclarer que larmée dOrient a bien mérité de la patrie10. Cette armée dOrient, partie de France en 1798 sous le commandement de Bonaparte, a conquis légypte puis sest portée en Syrie mais a été arrêtée au siège de Saint-Jean-dAcre au printemps 1799. Après la transmission du commandement au général Kléber en août et le retour de Bonaparte en France, larmée dOrient a remporté une dernière victoire à Héliopolis en mars 1800 mais Kléber a été assassiné au Caire deux mois plus tard. Le commandement a été repris par le général Menou mais ses troupes seront défaites un an plus tard.

En 1798, Say est particulièrement concerné par lembarquement de larmée dOrient. Cest à lui que Bonaparte demande de dresser la liste des ouvrages constituant la bibliothèque portative quil compte emporter dans lexpédition (Say, 2003a, p. 25 ; Schoorl, 2013, p. 35). Et son frère Horace Say, de quatre ans son cadet et dont il est très proche, participe à lexpédition. Le retour de Bonaparte à Paris lannée suivante est salué par les rédacteurs de la Décade « comme un événement qui vaut autant 27pour nous que plusieurs victoires11 » et lorsquen janvier 1801 Say prononce son discours devant une assemblée née dune constitution dans laquelle il a mis beaucoup despoir, les actions militaires de Bonaparte reçoivent encore son soutien.

Dans son discours, Say loue les mérites dune armée qui « a combattu à la fois les hommes et le climat » (Say, [1801] 2003a, p. 263) et qui en Orient a affronté des troupes soutenues par une autre puissance européenne, en loccurrence lAngleterre. Le choix du Tribunat de confier à Say la tâche dexposer devant le Corps législatif « les sacrifices que larmée dOrient a faits à la patrie » (ibid., p. 264) nest pas anodin. Son frère Horace, enseignant à lécole Polytechnique et auteur de plusieurs articles sur des sujets divers dans la Décade, chef de létat-major du génie dans larmée dOrient, a été mortellement blessé au siège de Saint-Jean-dAcre. Cest loccasion pour Say den faire publiquement léloge12 ainsi que celui de savants qui ont participé à lexpédition. Le rôle de ceux qui ont accompagné lexpédition nest pas à minimiser au regard de celui des soldats. « Les arts utiles de lEurope, le moulin, la charrue, sont les premiers dons quils ont faits aux égyptiens. » (ibid., p. 265)

Say associe aux mérites des soldats de lexpédition ceux de leurs supérieurs et notamment du premier dentre eux. Il loue « le courage de larmée dOrient, et lhabileté des chefs qui lont commandée » (ibid.) et rend hommage au « génie de Bonaparte » (ibid.) dans ce qui est sans doute son dernier écrit où il soutient celui auquel il ne cessera ensuite de sopposer.

Après ce soutien sans équivoque aux soldats partis combattre en égypte et à leurs chefs, Say annonce que « le Tribunat a voté à lunanimité ladoption de la loi portant que larmée dOrient a bien mérité de la patrie » (ibid.). À la suite de ce dernier appui apporté à laction de Bonaparte, son appartenance au Tribunat ne donne plus lieu à des prises de position en faveur du nouveau chef de lÉtat.

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II. La prise de distance par rapport À Bonaparte

Après son discours devant le Corps législatif, Say ne rédige quà deux reprises un rapport pour le Tribunat. Le premier, écrit au printemps 1802, sinscrit dans un contexte de désillusion croissante vis-à-vis du premier consul et nest pas présenté. Le second est un Rapport fait au nom de la section des finances sur le projet de loi relatif à la refonte des monnaies présenté en 1803.

ii.1. D une dÉsillusion croissante au rapport non prÉsentÉ

La désillusion de Say, et plus largement celle des idéologues, suit presque immédiatement le discours dans lequel il tresse des lauriers à Bonaparte. Dix jours après ce discours13, le premier consul réorganise lInstitut14 et supprime la classe des sciences morales et politiques à laquelle appartenaient deux des co-rédacteurs de Say à la Décade : Ginguené et Lebreton.

Dans la foulée, le Tribunat est appelé à se prononcer sur un projet de loi établissant des tribunaux spéciaux qui annonce le retour dune justice expéditive. La discussion sur le projet se prolonge pendant dix jours aux cours desquels plusieurs tribuns parmi lesquels Ginguené, Daunou, Marie Joseph Chénier et Benjamin Constant combattent le projet. Cette opposition amène une diatribe de Bonaparte contre les idéologues (Say, 2003a, p. 28) mais nempêche pas la loi dêtre adoptée. Say et les idéologues ne manquent pas de motifs pour se détacher de Bonaparte au cours de cette année 1801. Létablissement du concordat, qui institutionnalise un retour de la religion alors que les rédacteurs de la Décade sétaient employés à sen affranchir, est notamment une cause supplémentaire de rupture.

Cest un Jean-Baptiste Say désabusé qui assiste à la dérive autoritaire du Consulat : « Je maperçus bientôt quon voulait non pas travailler de 29bonne foi à la pacification de lEurope et au bonheur de la France, mais à un agrandissement personnel et vain. Trop faible pour mopposer à une semblable usurpation et ne voulant pas la servir, je dus minterdire la tribune et, revêtant mes idées de formules générales, jécrivis des vérités qui pussent être utiles en tous temps et dans tous les pays. » (Say, 2003a, p. 28-29). Il rédige néanmoins en 1802 un Rapport au nom de la section des finances sur le projet de loi qui tend à mettre à la disposition du gouvernement 300 millions sur les produits de lan XI15.

Dans un système où « les fonds qui entrent à la trésorerie ne peuvent en sortir quen vertu dune loi » (Say, 2003a [1802], p. 249), les besoins du gouvernement pour lan XI nécessitent un déblocage de 300 millions de francs qui conduit le pouvoir législatif à se prononcer. Plutôt que de sen tenir strictement à ce qui fait lobjet de la demande du gouvernement, Say en profite pour développer une réflexion sur des principes plus généraux destinée à déterminer si les dépenses « doivent être consenties en masse, ou si le législateur doit statuer sur les montant des différents services publics » (ibid.).

Say passe en revue les pratiques budgétaires qui ont précédé le Consulat ou qui prévalent à létranger. Ce quil dénomme « la balance des besoins et des ressources de létat » (ibid., p. 250) donne lieu à des pratiques relativement vertueuses lorsque « les gouvernements sont dans lusage de justifier dabord de la nécessité des dépenses et ensuite de lemploi des deniers » (ibid.). LAngleterre et les États-Unis ont de ce point de vue des modalités de fonctionnement qui peuvent servir de référence. À linverse, en France, il a fallu attendre lAssemblée constituante pour remettre en question un système consistant « non à réduire les dépenses au taux du strict nécessaire, mais à porter les charges aussi loin quelles peuvent aller » (ibid.). Le Directoire a tenté sans succès de mettre de lordre dans les finances de lÉtat et il a fallu après le 18 brumaire « la main puissante du grand homme qui a réduit nos derniers et nos plus opiniâtres ennemis, pour réprimer tous les abus et relever toutes les espérances » (ibid., p. 251). La constitution de lan VIII est de nature à favoriser un ordre financier puisquelle prévoit une loi annuelle qui fixe le montant des recettes et dépenses de lÉtat16 et que le ministre du Trésor « ne peut rien faire payer quen vertu dune loi, et jusquà la concurrence 30des fonds quelle a déterminés pour un genre de dépenses17 ». Mais dans un pays en guerre où il nallait pas de soi de faire connaître à lavance à lennemi le genre de dépenses que prévoyait le gouvernement, il na guère été possible de procéder à laffichage prévu.

Dans un contexte où la guerre vient provisoirement de prendre fin avec la paix dAmiens, Say admet qu« il était impossible quon put rassembler les éléments propres à former le système fixe de nos dépenses annuelles » (ibid., p. 252). Mais cet objectif est en passe dêtre atteint puisque « lordre qui sest introduit dans toute les parties de ladministration des finances, lanéantissement successif des signes de notre gêne passée, et surtout linfluence bienfaisante de la paix, nous conduiront infailliblement à ce résultat » (ibid.). Grâce à un tel aboutissement, « la nation jouira de lavantage de modérer ses dépenses sans mesquinerie » (ibid.). Say, soucieux de prévenir la progression incontrôlée de la dépense publique et déviter que la gabegie dans un genre de dépenses se fasse au détriment dautres affectations qui auraient été plus appropriées, se réjouit que le prétexte de la guerre ne puisse plus être invoqué pour pousser les législateurs à valider des dépenses quils devraient désormais pouvoir mieux maîtriser.

Say nhésite pas à affirmer que le gouvernement bénéficiera dune pleine confiance en matière budgétaire lorsque « tous ceux qui font à la chose publique lavance de leur temps ou de leurs denrées, verront davance leurs paiements mis au nombre des charges de létat, et quils verront sur une colonne parallèle les fonds qui sont destinés à y pourvoir » (ibid.). Il semble avoir quelques doutes sur laptitude ou la volonté du gouvernement daccepter un tel contrôle des dépenses et considère que « si lon regardait comme impossible de déterminer davance les besoins ordinaires et de leur assigner des ressources fixes, on conviendrait, par cela même, quil est à jamais impossible de porter lordre dans les finances dune nation » (ibid., p. 253).

La fin du rapport sapparente à une mise en garde à Bonaparte. « Ce serait un grand malheur si quelques personnes regardaient encore les principes que je viens dénoncer, comme des lieux communs de finance qui ne sont bons quà être violés, ou comme des entraves propres à gêner la marche du gouvernement. » (Ibid.) Il croit bon tenter de montrer que des croisades aux conquêtes de Louis XIV, les succès militaires sont allés 31de pair avec des finances saines tandis que les dérives financières ont été sources déchecs et de désordres.

Say tient dautant plus à rappeler les principes dune saine gestion des finances quil se prononce en faveur du projet de loi mettant 300 millions de francs à la disposition du gouvernement. Il tient à souligner le caractère exceptionnel de cette décision dun tel déblocage de fonds et ne voudrait pas quelle soit perçue comme un blanc-seing pour des dépenses futures en recourant à une pratique quil considère comme désormais plus difficile à justifier. Sa préoccupation est dautant plus forte que le Tribunat a déjà été amené précédemment à autoriser la mise à disposition du gouvernement dune somme de 200 millions de francs, décision qui a « été regardée, par quelques orateurs, comme ladoption définitive dun système que nous croyons contraire au régime constitutionnel, au crédit du gouvernement et à létablissement complet de lordre dans nos finances » (ibid., p. 254). Say ne tient pas à ce que sa décision dapprouver le projet cautionne une pratique quil désapprouve. Il insiste sur le fait que ce nest quun pis-aller « à une époque où la guerre est à peine terminée, et où plusieurs parties de notre établissement civique ne sont pas encore complètement organisées et laissent par conséquent ignorer le montant des frais quelles entraîneront » (ibid.).

Say na pas lopportunité de présenter son rapport au Tribunat. La défiance quil exprime vis-à-vis du gouvernement incite ses pairs à renoncer à lui laisser prononcer un discours susceptible dirriter le premier consul, comme il sen explique plus tard. « La section des finances dont jétais membre, jugea quil y aurait du danger à faire ce rapport, il fut remplacé par quelques mots à la tribune. Le rapport semblait blâmer le gouvernement de ce quil ne proposait pas louverture dun crédit spécial pour chaque genre de dépense » (Say, 2003a, p. 827). De fait, le rapport que publie la Gazette nationale ou le Moniteur universel deux jours plus part nest quune version extrêmement condensée et édulcorée du texte de Say18.

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ii.2. le rapport de 1803

Même si en deux ans le Tribunat ne rejette que 7 projets de loi sur les 94 qui lui sont soumis, il est un lieu où lopposition peut sexprimer, ce que Bonaparte ne peut guère accepter19. Comme la constitution de lan VIII prévoit un renouvellement annuel par cinquième des tribuns sans préciser comment doivent être désignés les premiers tribuns à remplacer, Bonaparte décide par le sénatus-consulte du 22 ventôse an X (13 mars 1802) que seront écartés tout simplement ceux qui ne figureront plus sur la nouvelle liste établie par le Sénat indiquant ceux qui restent en place ainsi que les entrants. Bonaparte peut ainsi procéder à une épuration quil avait déjà réclamée dans une lettre aux consuls du 1er pluviôse an X (21 janvier 1802)20. Le 6 germinal an X (27 mars 1802), les vingt opposants les plus notoires du Tribunat sont éliminés et remplacés par des tribuns favorables au premier consul, parmi lesquels son frère Lucien.

Les mesures prises par Bonaparte pour se prémunir contre toute opposition du Tribunat ne sarrêtent pas là. Après sêtre fait proclamer consul à vie, il impose une nouvelle constitution par le sénatus-consulte du 16 thermidor an X (4 août 1802). Celle-ci divise par deux le nombre de membres du Tribunat, par non remplacement des sortants, et les répartit en sections21. À partir de cette constitution de lan X qui renforce lautoritarisme du Consulat, les membres de chaque section se cantonnent aux projets de loi concernant leur seule section. La mise au pas du Tribunat se traduit par le fait quil cesse de sopposer aux projets qui lui sont soumis.

33

Cest dans ce contexte que Say présente le 9 germinal an XI (30 mars 1803) un Rapport fait au nom de la section des finances sur le projet de loi relatif à la refonte des monnaies. À loccasion de la réforme monétaire qui conduit à ladoption du franc dit germinal, du nom du mois du calendrier révolutionnaire au cours duquel la réforme est adoptée, le gouvernement présente deux projets de loi : le premier sur les principes de fabrication des monnaies, le second sur la refonte des monnaies. Cest sur ce second projet que porte le rapport de Say. Il sinscrit dans un contexte où, depuis les débuts de la Révolution, la dissociation entre lunité de compte et le moyen de paiement (on compte en livres, sous et deniers mais on paie en louis, écus ou autres monnaies) qui caractérisait le système monétaire de lAncien Régime est critiquée. En 1790, Étienne Clavière, lancien employeur de Say qui lui fait découvrir la Richesse des nations, publie notamment des Observations sommaires sur le projet dune refonte générale des monnaies (Clavière, 1790) dans lesquelles il critique ce système, tout comme il dénonce les manipulations de lunité de compte opérées par le pouvoir politique et le coût des refontes monétaires pour les finances publiques. La proposition de Clavière, dune unité de compte définie par un poids et un titre et coïncidant avec lunité de paiement, annonce la réforme monétaire de 1803 dans laquelle simplique Say22.

La réflexion sur les questions monétaires donne lieu à la rédaction de plusieurs rapports. Lebreton présente le premier le 2 germinal an XI (23 mars 1803). Cest le lendemain que le projet de loi plus spécifiquement relatif à la refonte des monnaies arrive au Tribunat et est transmis à la section des finances. Après les travaux au Tribunat, Charles Marie Alexandre Labrouste défend le projet le 14 germinal (4 avril) devant le Corps législatif qui ladopte23. Au total, la réforme monétaire donne lieu à sept rapports entre le 2 et le 14 germinal, celui de Say constituant le cinquième24.

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En dépit du rôle limité quil joue au Tribunat à cette période, Say ne peut rester à lécart dun projet de loi sur un thème qui lui tient à cœur. Le rapport quil rédige sur ce projet est la plus importante de ses contributions au Tribunat. Il y présente des idées qui se retrouvent dans plusieurs de ses écrits sur les questions monétaires (Jacoud 2013, 2017).

Cest notamment le cas de laffirmation selon laquelle le pays « ne peut conserver dans son sein que la quantité de numéraire nécessaire à sa circulation » (Say, 2003a, p. 256). Cette quantité dépend de lactivité économique et tout excédent quitte inévitablement le pays. « Cest ainsi que la masse du numéraire se proportionne toujours aux besoins de la circulation. » (Ibid.) Say réaffirme dans les éditions successives du Traité que « le numéraire demeurant en circulation dans le pays est borné par les besoins de la circulation du pays » (Say, 1803, t. 1, p. 575)25. La monnaie excédentaire nest pas conservée inutilement et trouve un emploi dans des achats à létranger.

Dans son rapport au Tribunat, Say met en avant ce phénomène pour expliquer que si les besoins de la circulation sont satisfaits par des pièces altérées, linjection de pièces neuves dans cette circulation est une vaine tentative pour remplacer des pièces usées par de nouvelles. Lexcédent doit être résorbé, et comme il serait moins avantageux dexporter ou fondre les pièces anciennes, qui peuvent continuer à circuler pour une valeur garantie par lÉtat, que les nouvelles, qui nont pas encore vu leur valeur intrinsèque se réduire, ce sont ces nouvelles pièces qui quittent la circulation du pays. Say reprend cette analyse dans le Traité pour expliquer que lintroduction du papier dans la circulation monétaire évince le métal. Il suit en cela lapproche dAdam Smith, pour qui le papier ne fait que remplacer le métal qui aurait circulé à sa place (Smith, 1776, vol. 1, p. 300) mais il explique la sortie de la monnaie excédentaire par un mécanisme déjà perçu par David Hume (Hume, 1752, p. 42-59). Le supplément de monnaie en circulation génère une hausse des prix qui, renchérissant les produits nationaux, pénalise les exportations et favorise les importations, doù la sortie de métal pour leur paiement. Say étudie le mécanisme en se focalisant sur la baisse de la valeur de la monnaie dans le pays et interprète sa sortie comme un écoulement 35dans les lieux où elle a conservé plus de valeur (Say, 1803, t. 1, p. 576). Il établit ainsi un énoncé de la théorie quantitative de la monnaie fondé sur la variation de sa valeur (Béraud, 2003 ; Bridel, 2003).

La circulation de monnaies altérées pourrait a priori ne pas préoccuper le législateur puisque dans un échange lacheteur et le vendeur sont libres dutiliser le numéraire quils souhaitent. Mais des pièces de monnaie dont il est difficile dapprécier le poids et le titre créent des incertitudes dommageables à léchange. Il est dès lors préférable que, comme le prévoit le projet de loi, les pièces rognées ou abîmées soient retirées de la circulation et que ceux qui en détiennent puissent les échanger contre de nouvelles pièces. Say fait valoir que cet échange doit être gratuit pour ceux qui cèdent les anciennes pièces, sans que cela soit contradictoire avec le fait que ceux qui monnayent du métal paient un droit pour avoir des pièces dont le poids et le titre sont attestés par lempreinte. Pour les pièces altérées, le droit a en effet déjà été payé au moment de leur fabrication. Say, qui consacre un chapitre complet à cette question dans la première édition du Traité (Say, 1803, p. 557-559), réaffirme dans les éditions suivantes les biens-fondés dune absence de coût à supporter pour celui qui fait transformer ses pièces anciennes en pièces neuves.

Say témoigne de sa connaissance du sujet en comparant la refonte proposée avec celles opérées en 1726, en 1785 et sous la Révolution. Ce passage en revue lui permet de dénoncer aussi bien les situations dans lesquelles le gouvernement a voulu encaisser des droits élevés grâce à la refonte, que celles où au contraire aucun droit na été perçu sur le monnayage dor ou dargent.

La peine de mort à lencontre des faux-monnayeurs, jusque-là seulement condamnés à quinze années de fers par le code pénal, est pour Say justifiée. Elle sanctionne déjà les contrefacteurs de papiers nationaux et la peine doit être mesurée par le tort quelle cause à la société. Cest pour cela que doivent être lourdement punis ceux qui introduisent de fausses valeurs « qui vont porter le ravage dans la chétive propriété du pauvre » (Say, 2003a [1803], p. 261). Trois jours plus tard, Louis Costaz prononce au Tribunat un discours quil consacre exclusivement à cette nécessité de condamner les faux-monnayeurs à la peine la plus sévère.

Après sêtre efforcé de justifier « la punition sévère, mais juste, qui doit contribuer à préserver notre monnaie nouvelle des altérations que 36lancienne a subies » (ibid., p. 262), Say conclut en affirmant que la section des finances a non seulement reconnu « lopportunité de cette loi, mais son indispensable nécessité » (ibid.), aussi en propose-t-il ladoption, ce que le Corps législatif fait cinq jours plus tard26.

Conclusion

En définitive, les quelques années au cours desquelles Say siège au Tribunat permettent certes daffirmer quil est un homme politique participant à la procédure législative mais lanalyse de ses contributions montre que son rôle ny est sans doute pas aussi important quil laurait souhaité27.

Une raison essentielle tient tout dabord à Say lui-même puisque cette période correspond à celle pendant laquelle il rédige le Traité déconomie politique qui assoira sa célébrité. La rédaction de louvrage ne lui laisse guère le temps de simpliquer pleinement dans létude des projets de loi28. Néanmoins, le traitement annuel de 15 000 francs quil perçoit au titre de tribun le met à labri des difficultés financières. Cette considération est loin dêtre négligeable pour un père de famille de quatre enfants29 qui peut ainsi se vouer à lécriture sans avoir à consacrer une partie de ses journées à dautres activités lucratives.

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Une autre raison est que lancien rédacteur général de la Décade ne peut quêtre déçu par la confiscation du pouvoir par Bonaparte dont il a soutenu le coup dÉtat et les débuts au Consulat. Ses deux premiers rapports au Tribunat, sur des sujets somme toute secondaires, témoignent dun effort pour rendre irréprochables les décisions prises par les législateurs. Mais les mesures de Bonaparte à lencontre dune assemblée qui sautorise à contester le bien-fondé de certains projets de loi qui lui sont soumis ne peuvent quinciter Say à moins simpliquer dans sa fonction législative.

La rupture avec Bonaparte nest pourtant pas encore consommée au moment où paraît le Traité. Son succès suscite même lintérêt du chef de lÉtat qui entend bien en tirer profit. Pendant lété 1803, Say est invité à un dîner à la Malmaison où Bonaparte lui propose de publier une nouvelle édition du Traité intégrant une justification des mesures prises par son gouvernement. La proposition, qui assure une réédition de louvrage, est assortie dune rétribution annuelle de 40 000 francs (Say, 2006 [1814], t. 1, p. xiv). Say accorde cependant trop dimportance à léconomie politique pour faire passer son intérêt personnel avant ses convictions. Il refuse la proposition, ce qui lui vaut dêtre évincé du Tribunat au moment du renouvellement partiel de 1804. Nommé en compensation directeur des Droits réunis pour le département de lAllier, situation qui lui laisse espérer un revenu annuel de 30 000 francs, soit le double de son indemnité de tribun, il refuse sa nomination et se lance dans lindustrie en ouvrant une filature à Auchy.

Le refus de compromission avec Bonaparte a une autre incidence : il empêche la réédition du Traité dont la première édition est rapidement épuisée. Say doit attendre leffondrement de lEmpire en 1814 pour que la deuxième édition paraisse. Il prend sa revanche sur Bonaparte en dédicaçant cette deuxième édition au tsar de Russie, le souverain qui a obtenu la chute de lempereur30.

Le départ de Say du Tribunat précède de peu une nouvelle atteinte au faible pouvoir qui restait à cette assemblée. Avec le passage à lEmpire et 38la constitution du 28 floréal an XII (18 mai 1804), les tribuns sont privés de la possibilité de se réunir en assemblée plénière pour les discussions des projets de loi, lesquelles doivent désormais se tenir uniquement à lintérieur des sections. Le Tribunat est une assemblée doù némane plus aucune opposition lorsquil est finalement supprimé par sénatus-consulte le 19 août 1807.

Le bilan des quatre années au cours desquelles Say est membre du Tribunat peut être considéré comme mitigé si lon sen tient à sa stricte action politique. Soutien du nouvel exécutif lorsquil intègre cette assemblée, il glisse dans une opposition qui lui vaut de moins pouvoir sexprimer puis dêtre écarté de cette instance. Si léviction du Tribunat ne lautorise plus à contester les décisions de Bonaparte par des interventions publiques auxquelles il a lui-même renoncé ou par des votes négatifs sur les projets proposés, il lui reste un moyen de marquer sa contestation des orientations prises par le pouvoir politique : « il faut parler » (Say, 2003a, p. 472)31. Say ne se prive pas dexprimer ses critiques, tout au moins dans les limites permises par le régime. Sa contestation du pouvoir en place, même si elle se cantonne à des cercles restreints, est suffisamment audible pour donner lieu à une dénonciation au ministre de la police et une enquête de la préfecture (Say, 2006, t. 1, p. xii-xiii, n. 11). Mais il considère surtout que leffondrement du régime est inévitable32. Dans ses réflexions sur la stabilité des institutions politiques (Say, 2003a, p. 675-677), il considère lordre imposé par Bonaparte comme le plus fragile de tous. Comparable à une pyramide reposant sur sa pointe, il est appelé à être renversé.

Say séloigne en outre de la vie politique au profit de lécriture de textes quil veut scientifiques. Si cest un journaliste qui entre au Tribunat en 1800, cest un économiste qui le quitte quatre ans plus tard. Et lindustriel quil devient à Dauchy nabandonne pas le projet de faire paraître une nouvelle édition du Traité. En se consacrant à létude de léconomie politique, Say est a priori bien loin de la politique et sa participation au processus législatif sous le Consulat semble nêtre quun épisode sans suite. Comme il lécrit dans ses Lettres à M. Malthus, la bonne économie politique conseille peu mais « livre aux hommes 39les vérités quelle démontre » (Say, 1820, p. 85). Certes, Say distingue léconomie politique de la politique dès les premières lignes de son Traité pour mieux étudier la première mais il nabandonne pas complètement la seconde pour autant. Léconomie politique ne couvre pas toutes les dimensions de la vie des hommes en société. Elle est une composante de lensemble plus large que sont les sciences morales et politiques (Say 2003b, p. 53-64) et Say a lambition décrire un « Traité ou tout au moins des Essais de Politique pratique » (Say, 2003a, p. 99). Son projet donne lieu à un manuscrit inachevé de Politique pratique (ibid., p. 287-695). Dans ce long écrit où son hostilité à Bonaparte transparaît de façon récurrente, il développe au fil des chapitres une réflexion qui sous bien des aspects permet de voir se dessiner ce quaurait pu être la France si le chef de lÉtat quil avait initialement soutenu navait pas gâché les opportunités qui soffraient à lui au début du Consulat.

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1 Voir à ce sujet l« Introduction générale » de Say (2003a, p. 24-26). Plus largement, sur ladhésion des idéologues au coup dÉtat, voir Chappey (2001).

2 Ils sont nommés le 25 décembre 1799 à lexception de Joachim Lebreton qui remplace le 28 décembre Jacques Defermon, démissionnaire.

3 Say participe à la mise en place des nouvelles structures. Cinq jours après le coup dÉtat, il est nommé secrétaire-rédacteur de la commission législative intermédiaire du Conseil des Cinq-Cents qui, au sein de la première chambre dun Directoire en train de disparaître, organise la transition vers le Consulat (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 54, 24 brumaire an VIII (15 novembre 1799), p. 212).

4 Alors quau lendemain du coup dÉtat le pouvoir est partagé entre les trois consuls Napoléon Bonaparte, Emmanuel Joseph Sieyès et Roger Ducos, lascendance du premier se traduit par sa nomination comme premier consul par la nouvelle constitution tandis que les deux autres sont remplacés par Jean-Jacques Régis de Cambacérès et Charles François Lebrun.

5 Ces textes ont été rassemblés par Emmanuel Blanc et André Tiran dans Say (2003a).

6 Larticle de Ginguené était un compte-rendu de Lenoir-Laroche (1794).

7 Le Tribunat relève toutefois un vice de forme dans la transmission du projet, en loccurrence labsence davis de ladministration centrale, et malgré lintervention de Say, qui fait état de lavis favorable du ministre de lIntérieur, et de Laussat, qui met en avant lintérêt du projet pour lhospice de Charenton, le Tribunat fait preuve de pointillisme en le rejetant par soixante-douze voix contre huit (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 191, 11 germinal an VIII (1er avril 1800), p. 773). Le Tribunat est informé le lendemain par un message du Corps législatif que le gouvernement retire le projet (ibid., No 192, 12 germinal an VIII (2 avril 1800), p. 777).

8 Séance du 5 germinal an VIII (26 mars 1800).

9 Say nest pas suivi par le Tribunat qui le lendemain vote « presque unanimement » (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 193, 13 germinal an VIII (3 avril 1800), p. 781) en faveur du projet, lequel est ensuite adopté par le Corps législatif par 265 voix sur 270 (ibid., No 188, 8 germinal an VIII (29 mars 1800), p. 762).

10 Voté à lunanimité le 21 nivôse an IX (11 janvier 1801) par le Tribunat (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 112, 22 nivôse an IX (12 janvier 1801), p. 458), le projet de loi est adopté également à lunanimité par le Corps législatif le jour où Say prononce son discours (ibid., No 114, 24 nivôse an IX (14 janvier 1801), p. 466).

11 Décade philosophique, littéraire et politique (No 4, 10 brumaire an VIII (1er novembre 1799), p. 252).

12 Say en rédige la biographie dans la Décade du 20 frimaire an VIII (11 décembre 1799). Il commence la rédaction des huit pages de cette biographie par les mots « Jai perdu mon frère, mon ami, le compagnon de mon enfance » qui témoignent de la force des liens qui le liaient à lui (Say, 1799, p. 462).

13 Arrêté du 3 pluviôse an XI (23 janvier 1801).

14 Après avoir supprimé les académies royales, la République crée en 1795 un Institut chargé de recueillir les découvertes et de perfectionner les arts et les sciences. Il est divisé en trois classes : une classe des sciences physiques et mathématiques, une classe des sciences morales et politiques, une classe de littérature et des beaux-arts.

15 Rapport correspondant à la séance du Tribunat du 14 floréal an X (4 mai 1802).

16 Article 45 de la constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799).

17 Article 56.

18 « Vous avez adopté les projets de loi qui prorogent pour lan XI les contributions perçues en lan X. Après avoir assuré les droits du Trésor public, il faut que le législateur pourvoie aux besoins du gouvernement. Les fonds qui entrent à la trésorerie ne peuvent en sortir quen vertu dune loi, et cest conformément à cette disposition de notre pacte social, que le gouvernement vous demande de lui accorder pour faire face aux premiers besoins de lan XI, une somme de 300 millions, à prendre sur le produit des contributions et sur les autres revenus de la même année. – Votre section des finances a déjà manifesté, soit à votre tribune, soit à celle du Corps législatif, son opinion sur les crédits provisoires ; elle ne la retracera pas en ce moment, et se contentera de vous faire observer que le projet de loi qui vous est soumis, ne pouvait être conçu différemment à une époque où la guerre est à peine terminée, et où plusieurs parties de létablissement public, nétant pas encore complètement organisées, ne permettent pas sans doute de présenter davance laperçu de nos dépenses ordinaires. – Elle vous propose ladoption du projet. (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 226, 16 floréal an X (6 mai 1802), p. 920)

19 Sur lopposition du Tribunat à Bonaparte, cf. Dutruch (1921) ; Gobert (1925).

20 « Portez une grande attention à ce que les vingt mauvais membres du Tribunat soient ôtés. Vous pouvez très certainement assurer que tant que des hommes comme Thiessé, Chazal, Chénier et Garat seront au Tribunat, je ne présenterai aucun projet de loi. » (Bonaparte, [1802] 1861, p. 367)

21 Le Tribunat est en loccurrence divisé en trois sections : législation, intérieur et finances. Lorganisation en sections existait auparavant mais nétait pas expressément prévue par la constitution.

22 Sur cette réforme, cf. Thuillier, 1993.

23 La loi sur la refonte des monnaies, sur laquelle travaille plus particulièrement Say, est ainsi votée le 14 germinal an XI (4 avril 1803) tandis que le reste de la réforme monétaire est adopté par les lois des 7 et 17 germinal (28 mars et 7 avril).

24 Les autres rapports sont celui de Jean Bérenger sur la refonte des monnaies qui arrive au Tribunat le 3, le discours de Pierre Daru sur le système monétaire prononcé le même jour, le rapport de Joseph Antoine Bosc au Corps législatif le 7 sur le texte adopté à la suite du rapport de Lebreton et le rapport de Louis Costaz le 12 sur les sanctions en cas de faux-monnayage faisant lobjet de larticle 5 du projet de loi sur la refonte des monnaies.

25 Il le réaffirme également à plusieurs reprises sous des formulations diverses dans les chapitres du Cours complet déconomie politique pratique consacrés aux monnaies (Say, 1828-1829, t. 1, p. 385-506).

26 Le Tribunat vote le 12 germinal an XI (2 avril 1803) en faveur du projet par cinquante-quatre voix contre cinq (Gazette nationale ou le Moniteur universel, No 193, 13 germinal an XI (3 avril 1803), p. 872). Say fait partie des trois tribuns chargés de le présenter au Corps législatif qui ladopte le 14 germinal (4 avril) par 201 voix contre 10 (ibid., No 195, 15 germinal an XI (5 avril 1803), p. 877).

27 Say est manifestement prêt à simpliquer plus fortement dans sa fonction de tribun si lon considère quil aurait aimé faire une étude plus approfondie du deuxième projet de loi sur lequel il rapporte (Say, 2003a, p. 248) ou quil restreint volontairement ses interventions pour ne pas cautionner la dérive autoritaire du pouvoir bonapartiste (ibid., p. 29). Son activité est en outre bridée à partir de 1802 par lobligation faite aux tribuns de se concentrer sur les textes relevant de leur seule section.

28 Say reconnaît lui-même que lexamen dun projet de loi nécessite du temps et quil aurait aimé en disposer de plus (cf. supra). La rédaction du Traité qui paraît dans lété 1803 en deux volumes de 573 et 572 pages est une tâche suffisamment lourde pour rendre difficile une pleine implication dans létude des différents projets de lois soumis au Tribunat.

29 Il a déjà trois enfants lorsquil entre au Tribunat et un quatrième, en loccurrence sa fille Amanda Caliste, naît le 16 février 1803.

30 Les griefs de Say à lencontre de Bonaparte sont dautant plus forts que le coup dÉtat du 18 brumaire avait suscité dimmenses espoirs et que le premier consul avait le pouvoir de mettre en œuvre les transformations attendues par Say et les idéologues. « Je ne connais pas, je vous lavoue, de crime égal au sien. Il est coupable, non seulement du mal quil a fait, mais davoir méprisé le bien qui soffrait à lui et qui na jamais été si facile pour personne. » (Say 2003a [1816], p. 30)

31 Say considère quil est utile de sexprimer, « autrement on se tairait tandis quun tyran règne à cause de leffroi quil inspire » (Say, 2003a, p. 472).

32 « La chute devait arriver » (ibid.).