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Classiques Garnier

Vision et analyse chez Robert Heilbroner

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d'histoire de la pensée économique
    2019 – 2, n° 8
    . varia
  • Auteur : Ferraton (Cyrille)
  • Résumé : Il n’existe pas d’analyse désintéressée selon Robert Heilbroner. Chaque économiste s’appuie sur une vision, un « acte cognitif préanalytique » (Joseph Schumpeter). Ainsi, la crise de l’économie moderne est une crise de la vision. Heilbroner définit cette conception d’herméneutique. Selon nous, son travail sur les philosophes économiques (Worldly Philosophers) a été déterminant dans le développement de cette dernière conception.
  • Pages : 15 à 36
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406098454
  • ISBN : 978-2-406-09845-4
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09845-4.p.0015
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 17/12/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Herméneutique, analyse, histoire de la pensée, valeurs
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Vision et analyse
chez Robert Heilbroner

Cyrille Ferraton

Université de Montpellier

ART-Dev UMR 5281

Introduction

Robert Heilbroner (1919-2005) est lauteur dun best-seller économique, The Worldly Philosophers : The Lives, Times and Ideas of the Great Economics Thinkers (1953), qui masque aujourdhui très probablement ses nombreux autres travaux portant sur la politique économique, le capitalisme, le socialisme, ou encore la méthodologie économique1. Ils puisent à des sources éclectiques non limitées aux seules références économiques. Néanmoins, les philosophes économiques (Worldly Philosophers), tout particulièrement Adam Smith, Karl Marx et Joseph Schumpeter, constituent ses auteurs de prédilection. Mais son principal mentor reste Adolph Lowe (1883-1985). Professeur à luniversité de Kiel puis de Francfort, ce dernier doit sexiler au début des années 1930 en Angleterre, puis aux États-Unis où il poursuit sa carrière au sein de la New School for Social Research à linvitation dAlvin Johnson alors à la tête de lécole. Favorable à une approche empirique de léconomie, ouverte aux autres 16sciences sociales, Lowe développe une méthodologie instrumentale pionnière, où à partir dobjectifs préalablement sélectionnés de manière démocratique, le travail du chercheur consiste à déterminer les moyens techniques, sociales, voire politiques qui permettent de les atteindre. Dans cette perspective, « cétait la réalité – et non la théorie – qui devait être modifiée, si nous voulions faire correspondre notre description et le monde social » (Heilbroner, 1980a, p. 242).

Critique de lorientation prise par lanalyse économique post-keynésienne pour sa nature a-historique et dépolitisée, Heilbroner na eu de cesse de préconiser une approche située et historique qui tienne compte des déterminants et des conséquences sociologiques, politiques et morales des changements économiques, à linstar des philosophes économiques (Adam Smith, John Stuart Mill, David Ricardo, Karl Marx, Thorstein Veblen, Joseph Schumpeter ou encore John Maynard Keynes). Il introduit au début des années 1970, notamment à partir de An Inquiry into the human Prospect (1974), une réflexion sur les dégradations environnementales suscitées par la croissance économique.

Ses réflexions lont ainsi amené à murement réfléchir sur lessence du capitalisme à partir dune analyse pluridisciplinaire intégrant notamment les apports de la psychologie et de la psychanalyse. Réduits à la simple étude technique du fonctionnement des marchés, les travaux économiques contemporains négligent le rôle fondamental de lÉtat dans leur fonctionnement, tout en évacuant les valeurs culturelles et les fondements sociaux et psychologiques sur lesquels repose le capitalisme. Labsence du terme de « capitalisme » dans le discours économique moderne, tout particulièrement dans les manuels économiques destinés aux étudiants en formation initiale, témoigne de la dépolitisation de léconomie moderne. La seule analyse des marchés est insuffisante à rendre compte de la « nature » et de la « logique » du capitalisme. Laccumulation du capital (capital) à des fins de pouvoir et de prestige échappe totalement à lanalyse économique, tout comme les interactions mutuellement dépendantes entre lÉtat et le marché. Selon Heilbroner, laccumulation du capital permet de satisfaire un besoin de domination ancré dès lenfance qui ne connait dans le capitalisme aucune inhibition, contrairement aux sociétés non-capitalistes qui avaient réussi à le limiter culturellement. La recherche du profit joue un rôle équivalent à la conquête territoriale pour les régimes militaires ou à laugmentation des fidèles pour les 17religions. Hiérarchie, pouvoir et domination sont ainsi indissociables de laccumulation du capital. Lanalyse des choix individuels sur laquelle se focalise léconomie conventionnelle est incapable de rendre compte de cette logique densemble seulement compréhensible à partir dune approche sociopolitique.

Cette dernière critique de léconomie conventionnelle est constitutive de sa conception « interprétative ou herméneutique » des sciences sociales en général, de léconomie en particulier (Heilbroner, 1990a, p. 102). Selon Heilbroner, toute approche théorique repose sur une « vision », notion empruntée à Joseph Schumpeter définie comme « un acte cognitif préanalytique » (preanalytic cognitive act), faite de stéréotypes sociaux, de motivations politiques, etc., qui précède le travail analytique proprement dit. Cette vision inclut ainsi des préconceptions sur la « nature » humaine ou encore le besoin dégalité ou de hiérarchie. Elle est indissociable de toute pensée sociale et représente, selon Heilbroner, une nécessité dordre psychologique, voire existentielle parce quelle permet de rendre plus intelligible la réalité sociale. Cette conception « herméneutique » soppose à celle dominante en économie qui recherche lobjectivité par lintermédiaire dune analyse strictement technique (Heilbroner, op. cit., p. 102). Elle introduit également « un rapport dengagement personnel – même de responsabilité » du chercheur2.

Le diagnostic établi par Heilbroner est donc pessimiste : les économistes modernes souffrent dune crise de la « vision » par leurs croyances dans la fertilité dune science dépolitisée et socialement désincarnée, au moyen des techniques quantitatives. Cette conception « herméneutique » encore peu étudiée3 offre a priori quelques proximités avec linstitutionnalisme (Carroll, 1998), en particulier avec les approches développées par William Dugger (1992) ou encore Gunnar Myrdal (1958, 1962, 1969). Mais elle reste surtout indissociable du travail 18dhistorien de la pensée mené tout au long de sa carrière sur les philosophes économiques (Worldly Philosophers)4. Ainsi, nous nous proposons de montrer en quoi cette conception « herméneutique » est redevable de son travail dhistorien de la pensée économique. Nous débutons par une présentation du couple vision/analyse et des raisons avancées par Heilbroner pour expliquer limpossibilité datteindre lidéal dobjectivité (I). La partie suivante est consacrée à la caractérisation de la crise de la vision de léconomie moderne qui résulte principalement dune mauvaise définition de lobjet économique chez ces économistes (II). La dernière partie porte sur le travail historique dédié aux philosophes économiques qui a favorisé le développement dune conception « herméneutique » de léconomie (III).

I. Lanalyse repose sur la vision de léconomiste

Heilbroner sappuie sur la distinction entre vision et analyse introduite dans History of Economic Analysis (1954) par Joseph Schumpeter pour soutenir la thèse selon laquelle le travail de léconomiste est irrémédiablement normatif. La vision précède le travail analytique ; elle témoigne de « la manière dont nous voyons les choses (qui) peut à peine se distinguer de la manière dont nous souhaitons les voir » (Schumpeter, 1983, p. 76). Ainsi, selon Joseph Schumpeter, la General Theory of Employment, Interest, and Money (1936) de John Maynard Keynes part dune vision correspondant au « capitalisme anglais sur le déclin, considéré du point de vue dun intellectuel anglais » (Schumpeter, op. cit., p. 74). Lidéologie est constitutive de la vision et donc simmisce dans le travail analytique5. Cependant, Joseph Schumpeter croit possible par lapplication des règles 19méthodologiques propres au travail analytique dévincer lidéologie, ce que conteste Heilbroner (Heilbroner, 1988, p. 185-199 ; 1990a ; 1993b)6. Mais encore convient-il de bien qualifier ce quest lidéologie, car celle-ci est plurielle et prend rarement la forme d« une fausse représentation reconnue de la réalité sociale7 » ; elle correspond davantage à une représentation possible du réel reposant souvent sur des données empiriques ou des concepts pertinents (Heilbroner, 1990a, p. 103). Lidéologie autrement définie comme un « système de croyances » conduit à la « construction de la réalité sociale » ou encore à la détermination des « cadres à partir desquels les sociétés perçoivent et interprètent les arrangements qui organisent leurs existences » (Heilbroner, op. cit., p. 105). Ainsi, est-il impossible dentamer une recherche dun point de vue « désintéressé », autrement dit dans une position où le chercheur se montre totalement indifférent des résultats auxquels il aboutit. Heilbroner ne nie pas lexistence de lidéologie sous la forme dune représentation délibérément erronée de la réalité sociale, mais elle est plutôt lexception que la règle. Surtout, même dans cette forme extrême, elle est défendue sur la base « dune idée ou dun intérêt » qui pour lidéologue, dans la majorité des cas, est pleinement convaincu de la « droiture de sa cause » (Heilbroner, 1988, p. 185-186)8.

Ainsi, est-il nécessaire de distinguer ces deux types didéologie. Lidéologie comme « système de croyances » est dominante et inévitable, et même, souligne Heilbroner, pleinement légitime ce qui, là encore, loppose à Joseph Schumpeter. Les visions des économistes comme lillustre lhistoire de la pensée économique ne sont que des interprétations différentes du réel. Leur légitimité se situe à au moins deux niveaux complémentaires : sans elles, aucune analyse économique ne serait possible, et, elles rendent intelligibles la réalité sociale relevant à ce titre de « nécessités psychologiques, voire existentielles » (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 7). Les croyances du chercheur constitutives de sa 20vision tient au fait quil ne peut entreprendre sa recherche dune position neutre. Sa situation sociale, sa trajectoire, ses valeurs morales, etc. expliquent sa vision (Heilbroner, 1988, p. 191). La problématique des valeurs et de leur intrusion dans la recherche a été posée dès la fondation des sciences sociales, de la sociologie en particulier, mais nuance Heilbroner, celles-ci nont jamais vraiment trouvé de solution dans leur quête dune science dénuée de valeurs sur le modèle des sciences « dures ». À cela, rien détonnant puisque la position sociale, mais aussi la position morale, du chercheur en sciences sociales influent nécessairement sur la manière dont il analyse son objet, et les résultats obtenus servent fréquemment « à justifier la position sociale du chercheur » (Heilbroner, 1974, p. 20-21 ; 1988, p. 191). Lobjectivité est par conséquent un objectif chimérique. Une des tâches de léconomiste est précisément de reconnaitre la pluralité des visions et donc des catégories théoriques à partir desquelles un même problème peut être analysé. Cette « imperfection » originelle de toute investigation scientifique ninvalide pas pour autant le travail analytique qui consiste principalement à tester empiriquement les hypothèses théoriques, et à les modifier en conséquence. Lobjet de la science est limité à « notre compréhension de comment fonctionne la réalité, non de comment nous la percevons » (Heilbroner, 1988, p. 194). Les catégories utilisées par léconomiste, comme lutilité, la valeur, le travail ou encore le capital, ne résultent pas de lanalyse, mais sont créées par ses perceptions.

Outre lemprunt à Joseph Schumpeter des notions de vision et danalyse et linfluence dAdolph Lowe, Heilbroner dans ses différentes contributions relatives à sa conception « herméneutique » sappuie sur des auteurs variés comme Deirdre McCloskey, Philip Mirowski, Thomas Kuhn, Richard Rorty ou encore Peter Berger et Thomas Luckmann ce qui le rapproche indéniablement dune conception « constructiviste » dans les sciences sociales9. Très tôt, il souligne le caractère « construit » 21de lobjet des sciences sociales, de léconomie en particulier, quil oppose régulièrement à lobjet des sciences « dures » qui à ses yeux constitue le modèle de référence des économistes : « Un des attributs décisifs qui distingue le monde social du monde physique est que les évènements sociaux ne sont pas seulement des interactions de forces, mais aussi des concours de volontés » (Heilbroner, 1973, p. 134). Il y a une part dincertitude inhérente dans toute conceptualisation des activités économiques liée au fait quelles relèvent de motivations individuelles potentiellement évolutives et non réductibles au seul intérêt individuel comme le postule léconomie conventionnelle (Heilbroner, 1998, p. 5 ; 2004, p. 624-625).

Heilbroner soutient lhypothèse que lobjet économique sinscrit dans un cadre sociopolitique dans lequel le pouvoir est inégalement réparti entre les groupes sociaux et les individus impliquant obéissance et domination (Heilbroner, 1994, p. 327)10. Pour autant, il est nécessaire disoler dans la réalité sociale ce à quoi correspond cet objet économique. Très proche de lanalyse anthropologique de Karl Polanyi, Heilbroner propose une définition de léconomie qui tienne compte des configurations institutionnelles et des interactions sociales dans lapprovisionnement en ressources des sociétés11. Ainsi, distingue-t-il au-delà de léconomie capitaliste, léconomie traditionnelle et léconomie planifiée, mais toute économie reste transitoire, historiquement située et susceptible dêtre soumise à des transformations futures (Heilbroner, 1988, p. 13-17).

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Sinspirant des analyses psychologiques et psychanalytiques12, il propose un ensemble de réflexions sur les comportements politiques tout à fait iconoclastes de la part dun économiste. Le rôle joué par la socialisation primaire serait ainsi primordial qui voit lémergence des relations de subordination, dobéissance et de domination consécutivement aux contraintes parentales imposées (Heilbroner, 1988, p. 18-19). Dans cette perspective, toute vision évacuant ce dernier type de relations sociales fait fausse route. Il pourrait être souligné à ce stade une forme dincohérence dans la conception dHeilbroner. Nexprime-t-il pas ici sa vision en niant la pertinence des approches négligeant les rapports de pouvoir ? En définitive, cela ne témoigne-t-il pas dune absence de reconnaissance de la pluralité des visions sur la réalité sociale ? En fait, sa critique, qui reconnait-il par définition est idéologique, se situe à un autre niveau ; elle vise davantage à souligner lirréalisme dune conception a-politique et a-sociale quil identifie chez les économistes modernes croyant pouvoir atteindre une objectivité factice, et milite pour le retour dune économie réellement politique.

II. La crise de la vision de léconomie moderne

Dans « Analysis and Vision in the History of Modern Economic Thought » publié en 1990 dans le Journal of Economic Literature, Heilbroner constate labsence de « perception partagée » chez les économistes modernes quant à la dynamique de léconomie capitaliste (Heilbroner, 1990b, p. 1106). Depuis la remise en cause du keynésianisme, monétarisme, nouvelle économie classique ou nouvelle économie keynésienne nont pas été en mesure de fournir une vision commune (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 120). Le lien avec le réel et les problématiques sociales émergentes semble être devenu quasi-inexistant : « Le discours économique se caractérise par une tendance prononcée au formalisme, où la théorie du choix devient la principale manière de représenter les interactions 23des individus dans leur prise de décision » (Heilbroner, op. cit., p. 1106). Le formalisme croissant sest accompagné dune dilution de lobjet économique au profit dune prétention explicative hégémonique au sein des sciences sociales. Lanalyse moderne entend se conformer à des règles scientifiques utilisées par les sciences dures afin datteindre lidéal dobjectivité. Cette nouvelle orientation repose sur lattractivité quexerce la science, qui, conjecture Heilbroner, est probablement lactivité intellectuelle la plus prisée dans la société moderne (Heilbroner, 1998, p. 5). Mais lobjectivité visée conduit au développement dune analyse économique qui paradoxalement tombe dans lidéologie. Labsence ou la quasi-absence de références aux dimensions sociopolitiques des activités économiques apporte précisément une légitimité au capitalisme sur lequel sappuie lanalyse économique. La disparition dans le discours économique de certains termes comme capitalisme au profit de termes plus techniques comme « société de marchés libres », notamment dans les manuels déconomie, représente un premier indice de cette dépolitisation du discours économique. Mais ce sont davantage encore les catégories mobilisées qui en témoignent. Par exemple, les présentations portant sur la maximisation de lutilité introduisent le revenu sans que dexplication ne soit donnée quant à la manière dont celui-ci sest formé ou a été distribué. Identiquement, les dépenses publiques qui incluent les dépenses dinfrastructure ou déducation apparaissent comme des consommations et non des investissements dans le produit national (Heilbroner, 1993b, p. 92). Le discours économique remplit donc une fonction idéologique en utilisant des techniques danalyse qui masquent lexistence de rapports sociaux inégalitaires et hiérarchiques ou encore de rapports de pouvoir. Il apporte une caution morale au capitalisme en ne le qualifiant que dun point de vue économique, en occultant ainsi ses dimensions politiques et sociales. Cette vision du capitalisme conduit à la formation de perceptions strictement économiques ignorant « tous les aspects de domination et de consentement » (Heilbroner, 1988, p. 192).

Heilbroner distingue trois grandes caractéristiques dans le capitalisme13 :

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Il emprunte à Karl Marx lidée selon laquelle laccumulation du capital constitue la force motrice du capitalisme, mais en considérant comme nous le soulignions précédemment, les déterminants psychologiques et psychanalytiques qui sous-tendent cette logique acquisitive. La motivation principale de laccumulation du capital se trouve du côté du pouvoir et du prestige que celle-ci confère. Il sagit donc de satisfaire un besoin de domination forgé durant la socialisation primaire. Lanalyse des choix individuels sur laquelle se focalise léconomie conventionnelle est incapable de rendre compte de cette logique densemble seulement compréhensible à partir dune approche sociopolitique.

Les marchés qui permettent lallocation des ressources et la coordination des activités économiques constituent la base économique institutionnelle du capitalisme. Mais pris isolément à linstar des économistes contemporains, ils ne permettent pas de qualifier le capitalisme et notamment de comprendre la logique acquisitive.

Enfin, la distinction entre un secteur public et un secteur privé, dans lequel se déploient les activités économiques marchandes, représente une dernière caractéristique centrale du capitalisme. Cette distinction constitue une particularité historique, car il nexiste pas dans les sociétés non ou pré-capitalistes dactivités économiques reposant sur des règles propres et autonomes du reste des activités sociales. Les sociétés nisolaient pas non plus lexercice de lautorité dans un secteur privé délimité. Cette séparation est source de libertés car la dissidence politique peut trouver dans la sphère économique des sources dexpression inconcevables dans les sociétés non-capitalistes.

Cette caractérisation du capitalisme comme configuration institutionnelle historiquement située reposant sur des logiques sociopolitiques na plus cours parmi les économistes modernes, principalement focalisés sur lorganisation des marchés dans une perspective fonctionnaliste. Afin de mieux qualifier lévolution de lanalyse économique moderne, Heilbroner distingue système et régime. Un système renvoie à une analyse de la société où les interactions entre ses membres sont dénuées de rapports de pouvoir et de domination, décrites uniquement à partir du langage de la science. Il sagit du modèle danalyse des économistes 25modernes. Un régime part de lidée que toute organisation sociale est régie par des relations hiérarchiques et collectives (communal) qui ne peut être étudiée que par le prisme dapproches psychologique et politique (Heilbroner, 1990a, p. 107-108). Cest lanalyse adoptée par Heilbroner. Quun économiste utilise pour décrire la société la notion de système ou de régime, lanalyse restera inévitablement normative. Ignorer la vision relève de lidéologie au même titre quune vision assumée, mais dans cette dernière perspective, il sagit dune idéologie « consciemment adoptée » (Heilbroner, 1994, p. 329).

Létude des systèmes de prix et des marchés est ainsi foncièrement idéologique pour au moins quatre raisons (Heilbroner, 1990a, p. 110) :

Lallocation des ressources qui résulte du fonctionnement marchand à partir de lhypothèse de rationalité individuelle intéressée est principalement évaluée au travers de sa réussite à maintenir le statu quo et à ne pas remettre en cause la répartition du revenu, cest-à-dire du point de vue du régime capitaliste duquel dépend lanalyse moderne.

La liberté prêtée au fonctionnement marchand masque les rapports de pouvoir et de domination qui dans un contexte de pénurie, souligne Heilbroner, sont particulièrement évidents.

La répartition du revenu est clairement favorable au capital au détriment du travail. Les surplus potentiels sont versés au capital. Quant à lhypothèse de la productivité marginale qui conduit au résultat surprenant quil peut exister une économie capitaliste sans profit, cest équivalent à lidée quil peut exister une « monarchie sans roi » (Heilbroner, op. cit., p. 110).

Enfin, les acteurs sont supposés accepter sans résistance ou contestation le fonctionnement marchand en termes de travail fourni, de mobilité, etc. Les économistes ignorent la fonction politique du fonctionnement marchand, en loccurrence « sa capacité à mobiliser et à allouer le travail pour des fins qui ne sont pas celles des travailleurs eux-mêmes » (Heilbroner, op. cit., p. 111).

La crise de la vision partagée chez les économistes modernes sexplique principalement par la dépolitisation de la science économique. Les transformations dans les visions sont directement liées aux changements sociopolitiques. La vision moderne située au-dessus « des contingences » 26politiques et sociales ne peut dans cette perspective susciter une adhésion unanime de la communauté des économistes (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 158). Le diagnostic porté sur lanalyse moderne est sévère. Heilbroner estime en effet que lapport de léconomie moderne comparativement aux contributions passées des philosophes économiques est « superficiel et pauvre » (Heilbroner, 1990a, p. 21)14.

Dans ce contexte, une nouvelle vision peut-elle voir le jour ? Selon Heilbroner, une vision alternative ne pourra émerger que si la nature politique de léconomie est reconnue. Labandon de « lidée de loi naturelle » au profit dune « affirmation explicite du lien inextricable entre lanalyse économique et lordre social qui la sous-tend » semble un préalable (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 170). Linspiration des politiques publiques par lanalyse économique lui semble également indispensable en particulier pour faire face aux incertitudes liées à la transnationalisation de la production et aux risques écologiques (Heilbroner, 1998, p. 6).

III. Le travail de lhistorien

Dès le début des années 1980, Heilbroner constate la place marginale occupée par lhistoire de la pensée économique dans lenseignement universitaire. Les auteurs passés ne sont étudiés que pour la manière dont leurs analyses ont posé les jalons de léconomie moderne, non pour « leur intérêt propre et leur importance » (Heilbroner, 1980b, p. 20). Contre lidée dun savoir cumulatif, Heilbroner souligne le fait que les problématiques de léconomiste ne sont pas a-historiques et changent dune période à lautre en fonction des configurations sociopolitiques. Dans cette perspective, toute progression dans le savoir économique apparait illusoire puisque les objectifs de lanalyse évoluent voire sont complètement modifiés. Les techniques danalyse sont certes de plus en plus sophistiquées, mais elles ne permettent pas à elles seules une 27compréhension plus juste ou plus profonde des problèmes étudiés : « Les plus formidables avancées dans les méthodes mathématiques, statistiques ou philosophiques ne nous aident pas dans la formulation des formes (gesltats) et des visions à partir desquelles nous “saisissons” les problèmes de la société » (Heilbroner, 1980b, p. 23). Le statut dégradé de lhistoire de la pensée économique est directement lié à la vision de léconomiste moderne modelée sur celle des sciences dures.

Le travail historique est pourtant riche denseignements car si les philosophes économiques se sont fréquemment trompés quant aux futurs de léconomie capitaliste, ils ont su proposer des analyses qui ont donné un sens aux périodes dans lesquelles ils vivaient. Au moins deux raisons peuvent être avancées pour expliquer le jugement positif dHeilbroner. Ces analyses dun côté ne sont pas restreintes aux seules dimensions économiques, mais relèvent demblée dune démarche de sciences sociales, ou pour utiliser la terminologie dHeilbroner, déconomie politique. De lautre côté et de manière complémentaire, leurs visions sont directement rattachées aux problématiques de leurs temps. Si ces visions peuvent venir légitimer la domination de certaines catégories sociales ou encore le changement social y compris par des moyens révolutionnaires, elles servent un autre objectif plus important : « avec tout leur contenu idéologique, et souvent à cause de lui, les visions déterminent à la fois la place historique de la société existante, et les possibilités imaginables pour lavenir » (Heilbroner, 1993b, p. 94). Lutilité sociale des analyses des philosophes économiques est dans cette perspective pleinement avérée ; elle lest beaucoup moins pour lanalyse moderne aux yeux dHeilbroner.

The Worldly Philosophers (la septième et dernière édition est publiée en 1999 ; il fut traduit en une vingtaine de langues et sécoula, pour lédition en langue anglaise, à plusieurs millions dexemplaires) est précisément organisé en fonction des visions dominantes des périodes historiques et des auteurs considérés. Adam Smith et David Ricardo sont distingués non pour le progrès analytique que les écrits de ce dernier ont permis, notamment en termes de rente différentielle, mais pour la vision différente quils ont adoptée où le « surplus est détourné des mains de la classe productrice de richesses au profit de la classe consommatrice de richesses » (Heilbroner, 1994, p. 326). Les philosophes économiques développèrent des analyses de laccumulation du capital qui embrassaient des aspects sociaux, culturels et politiques. Grâce à ces 28économistes, « lancien monde monotone et chaotique se transforma en une société vivante, avec une histoire et une signification propre. Cest cette recherche de la signification du monde qui constitue le cœur de la science économique » (Heilbroner, 1957, p. 10). The Worldly Philosophers rend ainsi compte de ces grands récits qui ont été proposés par les philosophes économiques pour donner sens au capitalisme de leur temps, récits qui ont pu aussi servir de repères et de soutiens aux interventions visant à agir sur le devenir des sociétés. Les récits proposés nétaient pas en effet réduits à une analyse statique, mais envisageaient le futur probable du capitalisme. Ces trajectoires possibles sont définies comme des scénarios qui sont distingués des visions, même sils en découlent (Heilbroner, 1990b, p. 1111). Finalement, la fréquentation des philosophes économiques conduit Heilbroner à une conception de léconomie différente sur au moins trois points de léconomie conventionnelle :

à la définition « formelle » de léconomie conventionnelle, il adopte une définition « substantive » très proche de celle proposée par Karl Polanyi (comme nous le notions précédemment) consistant dans létude des activités de production et de distribution, et des moyens de coordonner ces dernières activités « avec les objectifs de lordre social » (Heilbroner, 1988, p. 32).

Léconomie est demblée politique dans la mesure où toute investigation repose sur la vision de léconomiste. Cest pourquoi, selon Heilbroner, la politique (politics) prime sur léconomie (economics) (Heilbroner, 1984, p. 693).

Les économistes élaborent des scénarios quant aux futurs économiques possibles visant à apporter une signification, optimiste ou pessimiste suivant la vision adoptée, aux questions économiques et sociales affectant la société, et même si la capacité des économistes à élaborer ces prévisions est limitée et que rétrospectivement, ces scénarios se sont révélés éloignés de la réalité (Heilbroner, 1990b, p. 1107-1109).

Dans létude historique sur la période sétalant de 1939 à 1989 quil développe dans « Analysis and Vision in the History of Modern Economic Thought » (1990), complémentaire de The Worldly Philosophers, la périodisation proposée dans la pensée économique (limitée à la pensée anglo-américaine) sappuie, là encore, sur les visions marquantes qui ont 29conduit à la constitution dune « situation classique » au sens de Joseph Schumpeter. Ce ne sont pas les progrès analytiques qui ont permis la formation de ces situations classiques, mais ladhésion quont suscité les visions des économistes (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 22). Trois périodes sont distinguées, mais lappréciation de la dernière constitutive de léconomie moderne est mitigée.

La première période correspond à la fin des années 1930. Léconomie capitaliste suscite certaines craintes du côté des économistes, exprimées notamment par John Maynard Keynes dans la General Theory of Employment, Interest, and Money (1936) et Alvin Hansen dans Full Recovery or Stagnation (1938), alors que le socialisme soviétique reçoit des évaluations beaucoup plus optimistes en particulier de la part dOskar Lange dans On The Economic Theory of Socialism (1938)15.

La seconde période sétale de 1945 au milieu des années 1960. Alors que la synthèse néoclassique saffirme, Heilbroner considère Capitalism, Socialism and Democracy (1942) de Joseph Schumpeter comme « la tentative post-dépression la plus ambitieuse et la plus impressionnante de prévision du devenir du capitalisme et du socialisme sur une grande échelle historique » (Heilbroner, 1990b, p. 1103), même si, comme pour la période précédente, les projections de Joseph Schumpeter, négatives pour le capitalisme et positives pour le socialisme, seront contredites par le cours de lhistoire.

La dernière période jusquà 1989, contrairement aux deux précédentes, ne voit pas émerger de « situation classique », dénotant dune crise de la vision comme nous le développions précédemment où le formalisme et labandon de lhistoire prennent le pas sur lancrage à la réalité sociale.

Cette dernière situation pose la question du devenir de lanalyse économique et de la place de lhistoire, de lhistoire de la pensée économique en particulier. Heilbroner la soulève dans ses travaux les plus tardifs, en particulier dans la septième édition de The Worldly Philosophers (1999), qui laisse peu de place à lespoir dune issue heureuse16. En effet, 30il ajoute dans cette dernière édition un dernier chapitre intitulé « The End of the Worldly Philosophy ? » (Heilbroner, 1999, p. 311-321). La « fin » renvoie à une double perspective :

La fin au sens dachèvement (termination) des philosophes économiques emportés par le formalisme, labstraction et la croyance moderne dans une économie désintéressée entraînant le défaut de vision partagée dans léconomie conventionnelle, et par extension lincapacité de formuler une approche théorique du capitalisme contemporain.

La fin au sens de finalité (purpose) de lanalyse économique. Alors que les philosophes économiques envisageaient une fin politique mobilisant facteurs sociaux, culturels, économiques, etc., par lintermédiaire des scénarios esquissés, celle-ci aujourdhui réduite à la seule dimension économique conduit à un appauvrissement des futurs économiques possibles et à une très faible compréhension du devenir du capitalisme.

Labandon de lhistoire et la dépolitisation de léconomie moderne, motivés par limpératif de caler lanalyse économique sur le crédo de la science, « la religion de la société séculière » (Heilbroner, 1994, p. 328), expliquent le déclin des philosophes économiques et, aux yeux dHeilbroner, de la perte daudience de léconomie parce que celle-ci nest pas en mesure de donner un sens au capitalisme moderne.

Conclusion

Le questionnement sur la fin des philosophes économiques est formulé tardivement par Heilbroner, mais la dissociation entre lanalyse économique et le capitalisme a une origine bien plus ancienne à la lecture des Worldly Philosophers. Cest dès la fin du xixe siècle quune partie des économistes commença à se détourner des problèmes auxquels était 31exposé le capitalisme : « lère victorienne a vu surgir un nouveau genre de chercheurs qui, sils étaient prêts à examiner en détail le mécanisme du système, navaient lintention ni de se poser des questions pénétrantes sur ses mérites essentiels, ni démettre des doutes sur son sort éventuel » (Heilbroner, 1957, p. 155). Selon Heilbroner, Françis Edgeworth, bien plus que Léon Walras, est représentatif de cette nouvelle orientation caractérisée par une sophistication technique croissante reposant sur les critères utilitaristes introduits par Jeremy Bentham. Architecte dun « beau Xanadu économique imaginaire », par le recours aux instruments mathématiques, il permit la rationalisation des « principes du conservatisme » (Heilbroner, ibid., p. 157). Pourtant les problèmes posés par le capitalisme dont la pauvreté ou les inégalités continuaient à être toujours aussi vivaces. Cest alors du côté des « hérétiques », et en particulier chez Thorstein Veblen, que furent développées les analyses les plus pertinentes parce que nignorant pas les dysfonctionnements du capitalisme. Par une « méthode presque anthropologique », Thorstein Veblen remis en cause les principes de lhomo oeconomicus sur lesquels sappuyait alors léconomie conventionnelle, spécifiquement lagencement bien ordonné de la hiérarchie sociale ou encore la répartition non problématique des revenus. Derrière cette figure censée incarner lacteur économique, se révélaient en fait des mobiles marqués par lirrationalité renvoyant aux « agissements purement instinctifs des primitifs » (Heilbroner, 1957, p. 206-207). Mais à lidentique de Karl Marx, Thorstein Veblen na pas été en mesure dapprécier « la capacité dun système démocratique à corriger ses propres excès » (Heilbroner, ibid., p. 213). Si donc Heilbroner partage de nombreuses idées avec Karl Marx et plus encore avec le courant institutionnaliste américain dont Thorstein Veblen est lun des fondateurs (Corei, 1995), il sen démarque en soulignant le poids croissant de lÉtat dans le contrôle du capitalisme moderne.

Vice-Président de lAmerican Economic Association en 1984 (son président est alors Charles L. Schultze), Heilbroner nen demeure pas moins un économiste singulier non seulement par ses écrits critiques et alternatifs à léconomie conventionnelle, mais aussi par les essais publiés tout au long de sa carrière questionnant les futurs possibles de la société capitaliste (Heilbroner, 1961, 1974, 1993a, 1995). En 1968, Allan G. Gruchy au cours de lallocution présidentielle de lAssociation 32for Evolutionary Economics (1988, p. 54-55) distinguait deux types de « dissidence économique » :

– Les premiers dissidents critiquent les modes de coordination des activités économiques et leurs conséquences économiques et sociales. Généralement, ces dissidents ne sont pas des économistes.

– Les autres dissidents qui sont des économistes critiquent le faible réalisme de lanalyse économique dominante, mais leurs positions ne sont pas identiques ; trois sont identifiées par Allan Gruchy :

Les premiers critiquent la trop grande abstraction de lanalyse économique et montrent la nécessité dy intégrer des études empiriques, mais sans remettre en cause le corpus théorique de lanalyse standard.

Les seconds considèrent que la perspective adoptée par lanalyse économique est trop étroite préconisant une approche interdisciplinaire, mais là encore, sans remettre en cause le corpus théorique de lanalyse standard.

Enfin les derniers économistes dissidents remettent en cause globalement lanalyse économique dominante et proposent de lui substituer leurs propres approches de léconomie.

Heilbroner semble se situer entre ces deux dernières formes de dissidence. Les valeurs véhiculées par la vision de léconomiste et différentes des jugements de valeur qui sont explicitement formulés, sont parties intégrantes de la recherche. Elles délimitent lobjet, les finalités de linvestigation scientifique tout en influençant la construction des catégories théoriques. Cette conception quHeilbroner qualifie donc dherméneutique explique aussi son parti pris réformiste, en insistant sur le caractère amendable de lordre social capitaliste. Depuis The Worldly Philosophers, Heilbroner a insisté sur limpératif de léconomiste de sattaquer aux grands enjeux contemporains, identiquement en leur temps aux économistes philosophes : la nature du capitalisme et son devenir, les conséquences négatives, notamment environnementales du développement économique, etc. Cette orientation de ses travaux a été accueillie favorablement par des économistes ne partageant pas nécessairement certaines caractéristiques de léconomie politique dHeilbroner. Ainsi, Walt W. Rostow, dans une recension de The Nature and Logic of 33Capitalism (1985) souligne que si son analyse est critiquable en particulier pour linfluence significative exercée par les idées de Karl Marx, elle aborde des questions importantes et légitimes que léconomie conventionnelle a délaissées au profit dune spécialisation accrue et dune primauté donnée à la technique (Rostow, 1986, p. 577.). Identiquement, Robert J. Shiller et Virginia M. Shiller louaient récemment dans lAmerican Economic Review Heilbroner pour avoir suscité des carrières déconomistes grâce à son travail sur les philosophes économistes, et avoir montré en quoi léconomie devait se confronter à des enjeux moraux abandonnés par la discipline, qui sest révélée incapable didentifier les prémices de la grande crise financière de 2007. Les économistes philosophes étaient « impliqués dans les questions importantes de politique publique dans la perspective daméliorer les conditions de vie des citoyens. Ils concevaient leur discipline plus largement, et davantage en termes dimpératifs moraux, que les économistes modernes semblent le faire » (Shiller & Shiller, 2011, p. 171). Si donc Heilbroner peut être considéré comme un économiste dissident, il lest au regard de lévolution contemporaine de la discipline. Ses travaux servent aussi à rappeler que léconomie a pu prendre des orientations bien différentes des orientations modernes.

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1 Parmi ses publications les plus significatives, figurent : A Primer on Government Spending (avec Peter Bernstein) (1963), Between Capitalism and Socialism. Essays in Political Economics (1970), An Inquiry into the Human Prospect (1974), Marxism. For and Against (1980), The Nature and Logic of Capitalism (1985), The Essential Adam Smith (1986), Behind the Veil of Economics. Essays in the Worldly Philosophy (1988), The Crisis of Vision in Modern Economic Thought (avec William Milberg) (1995).

2 La qualification de cette conception « interprétative ou herméneutique » est relativement tardive dans les écrits dHeilbroner. Les textes y faisant explicitement référence sont publiés durant la deuxième moitié des années 1980 et les années 1990 (voir en particulier Heilbroner, 1988, 1990a, 1993b, 1996). Néanmoins, les réflexions dordre méthodologique à partir desquelles Heilbroner esquisse cette conception sont beaucoup plus anciennes (voir notamment Heilbroner, 1970a, 1970b). Voir Lavoie (2011) pour une synthèse de la tradition herméneutique en économie notamment au sein du courant autrichien.

3 Quelques textes ont traité au moins partiellement de cette conception, voir Carroll (1998), Forstater (2004), Ferraton & Frobert (2016), Haack (2004), Khan (2014), Pollin (1999), Ramrattan & Szenberg (2005).

4 La publication de The Worldly Philosophers (1953) précède de plusieurs années lobtention de son doctorat (1963) et du statut denseignant (1968) à la New School for Social Research. Heilbroner travaille tout au long de sa carrière sur les philosophes économiques, tout particulièrement Adam Smith (Heilbroner, 1987). Il continue de sy intéresser au cours de son éméritat (Heilbroner, 1996).

5 Schumpeter distingue lidéologie des jugements de valeur : « on peut porter des jugements de valeur sur des faits établis de façon irréprochable et sur les relations entre ces faits, et on peut sabstenir de porter tout jugement de valeur sur des faits aperçus dans une lumière que lidéologie a déviée » (Schumpeter, 1983, p. 69). Voir aussi Schumpeter (1949, p. 345-347).

6 Ainsi, selon Schumpeter, « il est toujours possible détablir si une affirmation donnée, en référence à un état donné des connaissances, est vérifiable, réfutable ou non » (Schumpeter, 1949, p. 350).

7 Notre traduction.

8 Lapproche dHeilbroner offre dindéniables proximités avec lanalyse wéberienne, mais Heilbroner ne cite pas explicitement cette influence, même si lon peut supposer quelle a été réelle. Voir sur ce point Khan (2012).

9 Le constructivisme se développe dans les sciences sociales, et tout particulièrement en sociologie, surtout après la publication de The Social Construction of Reality de Peter Berger et Thomas Luckmann publié en 1966. Cyril Lemieux le définit comme « la doctrine selon laquelle les phénomènes descriptibles dans le monde, quils soient réputés ordinairement sociaux ou naturels, nexistent pas antérieurement et extérieurement au travail accompli pour les catégoriser ». Cette doctrine prévient ainsi toute orientation objectiviste dans les sciences sociales dès lors que celles-ci prennent « pour modèle lépistémologie naturaliste et physicaliste des sciences de la vie » (Lemieux, 2012, p. 172-173).

10 Heilbroner souligne : toute société « présuppose des structures de subordination (…), de coopération et de résolution des conflits, dexécution et dutilisation du pouvoir » (Heilbroner, 1990a, p. 109).

11 Pour Karl Polanyi, léconomie dans son sens substantif « tire son origine de la dépendance de lhomme par rapport à la nature et à ses semblables pour assurer sa survie. Il renvoie à léchange entre lhomme et son environnement naturel et social. Cet échange fournit à lhomme des moyens de satisfaire ses besoins matériels ». Il la distingue de son sens formel qui « dérive du caractère logique de la relation entre fins et moyens » et renvoyant « à une situation bien déterminée de choix, à savoir entre les usages alternatifs des différents moyens par suite de la rareté de ces moyens. Si les lois gouvernant le choix des moyens sont appelées logique de laction rationnelle, nous pouvons désigner cette variante de la logique par un concept nouveau : léconomie formelle » (Polanyi, 2017, p. 307). Cette dernière définition est développée notamment par Lionel Robbins dans Political Element de An Essay on the Nature and Significance of Economic Science (1935). Voir Dimand (2004) sur les proximités entre lapproche de léconomie de Karl Polanyi et celle dHeilbroner.

12 Il cite comme principales sources : Childhood and Society (1963), The Life Cycle Completed (1982) dErik Erikson et Group Psychology and the Analysis of the Ego (1951) de Sigmund Freud.

13 Les textes portant sur le capitalisme, son émergence et son évolution sont nombreux. Son texte le plus complet reste The Nature and Logic of Capitalism (1985). Cette approche du capitalisme repose sur les travaux des philosophes économiques mais aussi dhistoriens (Fernand Braudel étant cité) et de sociologues, en premier lieu Max Weber (Heilbroner, 1988, p. 50).

14 Il convient de souligner que le diagnostic développé par Heilbroner durant ces années 1990 semble principalement porté sur lanalyse macroéconomique. Lémergence de nouvelles branches de la science économique, léconomie expérimentale par exemple, ne semble pas être prise en compte dans cette appréciation négative de lévolution de la pensée économique.

15 Texte publié sous forme de deux articles en 1937 et republié avec un texte dOskar Lange en 1938.

16 Heilbroner se montre plus optimiste dans dautres écrits légèrement antérieurs à la publication de cette septième édition où il croit possible lavènement dune économie politique renouvelée sous légide des économistes dissidents (dissenting) (Heilbroner, 1996, p. 336).