Aller au contenu

Classiques Garnier

Penser l'entreprise au-delà de ses intérêts communs L'apport de la pensée de Jaurès

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2019 – 1, n° 7
    . varia
  • Auteurs : Celle (Sylvain), Fretel (Anne)
  • Résumé : Les positions de Jean Jaurès lors de la création d’une verrerie ouvrière à Albi en 1895 offrent un éclairage théorique intéressant pour aborder les débats contemporains sur la place de l’entreprise dans la société. Comment s’assurer que l’entreprise reste en prise avec l’intérêt général et ne dérive pas vers le seul intérêt de ses membres ? Pour Jaurès, c'est en instituant des « collectifs » dont les statuts laissent une place aux représentations de l’intérêt général, comme praxis du socialisme.
  • Pages : 15 à 41
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406094258
  • ISBN : 978-2-406-09425-8
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09425-8.p.0015
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/06/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Jean Jaurès, coopérative, socialisme, intérêt commun, intérêt général
15

Penser lentreprise
au-delà de ses intérêts communs

Lapport de la pensée de Jaurès

Sylvain Celle

CLERSE – UMR CNRS 8019

Institut Jean-Baptiste Godin

Anne Fretel

Université de Lille

CLERSE – UMR CNRS 8019

Introduction

Lentreprise moderne en tant que forme daction collective est une invention récente datant du xixe siècle mais elle ne sest réellement développée quau cours du xxe siècle. Il y a donc un décalage historique entre la création en droit de la société anonyme, qui a été introduite dans le code du commerce en 1807 puis libéralisée avec la loi de 1867, et lémergence de lentreprise moderne au tournant du xixe siècle au xxe siècle (Segrestin & Hatchuel, 2009). Le vide théorique et juridique qui existe depuis cette période autour de lentreprise permet, en partie, de comprendre pourquoi les principes de la « corporate governance » ont pu simposer au cours des années 1970 et faire prévaloir, dans les objectifs de la société anonyme, lintérêt des actionnaires (Segrestin & Hatchuel, 2012). Depuis quelques années, de nombreux travaux cherchent à repenser lentreprise 16en réponse aux dérives de la gouvernance actionnariale (Ferreras, 2012 ; Postel & Sobel, 2013 ; Capron & Quairel-Lanoizelée, 2015 ; Segrestin & al., 2015). Un des projets de réforme conduit notamment à regarder de près le cas des coopératives de production où les salariés en sont aussi les associés majoritaires. Mais jusquoù et à quelles conditions le modèle de la coopérative peut-il pallier les problèmes induits par la gouvernance actionnariale ? Car parmi les critiques qui lui sont adressées, outre le fait que la place des salariés semble avoir reculé par rapport à la place relative quils occupaient dans le régime fordiste (Aglietta & Rebérioux, 2004), ce sont aussi les conséquences dune valorisation de court terme de la stratégie dentreprise qui sont pointées du doigt (la maximisation de la valeur actionnariale) laissant de côté des projets dinvestissements qui demandent un horizon de plus long terme (Cordonnier & al., 2013). La question posée porte in fine tout autant sur larticulation à trouver au sein de lentreprise pour assurer un intérêt commun entre ses différentes parties prenantes (actionnaires, salariés, consommateurs, dirigeants, etc.) que sur larticulation à trouver entre lintérêt de lentreprise et lintérêt général. Si le modèle coopératif peut répondre pour une part au premier enjeu, est-il suffisant pour répondre au second enjeu ? Un retour sur les écrits de Jaurès, notamment ses réflexions menées au moment de la création de la verrerie ouvrière dAlbi en 1895-1896, nous semble avoir une valeur heuristique pour aborder ces questions.

Dans le champ académique, lhistoire du mouvement coopératif est relativement peu étudiée aujourdhui (Toucas, 2005 ; Mélo, 2012 ; Dreyfus, 2016) et la pensée de Jaurès reste marginale dans les recherches universitaires (Antonini, 2004). Jaurès reste souvent cantonné à quelques travaux dhistoriens, tout comme les coopératives qui intéressent peu les économistes. Sans chercher ici à retracer le cheminement de Jaurès vers le mouvement coopératif1 ou dérouler lensemble de lhistoire du mouvement coopératif dans ses différentes composantes (notamment agricole, de consommation, de production), nous souhaitons revenir sur la pensée de Jaurès de la coopération de production, et montrer comment il interroge le potentiel de transformation économique de lentreprise 17coopérative. Il ne sagit donc pas non plus pour nous de revenir sur la notion de coopération dans toutes les formes et telle quelle peut se décline dans des modèles utopiques – parfois mise en œuvre localement (on pense par exemple au projet de Phalanstère de Fourrier interprété par Godin à travers la création du Familistère de Guise) – mais de sintéresser à la coopérative de production comme forme dentreprise, cest-à-dire comme statut possible, comme forme juridique dorganisation.

À linstar des différentes mouvances socialistes (guesdiste, blanquiste, possibiliste, allemaniste), Jaurès ne croit pas dans les années 1890 à la solution coopérative pour transformer de lordre social. Au mieux, la coopérative assure la réalisation dun intérêt commun (celui de plusieurs associés en lieu et place de lintérêt du seul dirigeant), mais elle laisse de côté la promotion de lintérêt général en divisant la classe ouvrière et en léloignant dune dynamique de transformation plus radicale. Cette conviction de Jaurès va se trouver confrontée à une situation concrète : le conflit des verriers de Carmaux qui éclate en 1895. Face à lintransigeance de leur patron Rességuier et son refus de toutes formes de conciliation, la seule perspective de sortie du conflit pour les ouvriers va être trouvée dans la création dune coopérative de production. Comment alors penser les statuts de cette entreprise ? Comment faire dune « œuvre de circonstance », une réalisation cohérente avec le projet socialiste ? Comment articuler intérêt commun et intérêt général ? Il sagira pour Jaurès de démêler et de trancher lalternative suivante : une « verrerie aux verriers » ou une « verrerie ouvrière » ?, lenjeu pour lui étant que le projet économique de la coopérative puisse sarticuler au projet dune économie politique socialiste. Cest là, nous semble-t-il, loriginalité de la pensée de Jaurès : sa façon darticuler et non dopposer (comme beaucoup de penseurs de la coopérative – et de léconomie sociale de façon plus générale – ont pu le faire [Fretel, 2008]) la coopérative de production et léconomie politique socialiste portée par lÉtat socialiste. Si nous prenons comme point de départ la série darticles que Jaurès a écrits durant le conflit de Carmaux (1895-1896), nous ne nous en tenons pas à la simple présentation de lédification de la verrerie ouvrière dAlbi, histoire connue via lexploitation des archives effectuées par les historiennes Rolande Trempé (1965, 1971) et Marie-France Brive (1993). Nous prenons appui sur cet évènement pour mettre en perspective la position que Jaurès développe par ailleurs sur lÉtat, son potentiel régulatoire et son rapport aux groupements collectifs.

18

Dans un premier temps, nous présentons les principales critiques avancées par les socialistes, dont Jaurès, à lencontre des coopératives de production (I). Nous revenons ensuite sur lengagement de Jaurès dans la création de la Verrerie ouvrière dAlbi et la particularité des statuts adoptés qui cherchent à concilier intérêt commun et intérêt général, questions économiques et questions politiques (II). Nous montrons enfin, dans une troisième partie, que la position que Jaurès exprime lors de cet épisode sinscrit dans sa conception des groupements coopératifs et associatifs : ils ont leur place sils sont adossés à une vision politique et sils relèvent dune praxis de lÉtat socialiste (III).

I. La coopérative de production, une place secondaire dans le combat socialiste

Les premières coopératives de production apparaissent en France dans les années 1830, influencées par les idées des socialistes utopiques et des expériences comme lAssociation des bijoutiers en doré créée en 18342. Après lébullition des associations ouvrières dans le moment révolutionnaire de 1848, elles renaissent prudemment sous lEmpire libéral des années 1860. Les rares coopératives de production encore existantes au début de la Troisième République sorganisent dans les années 1880 autour de la Chambre consultative des Associations ouvrières de production (1884) et de la Banque coopérative (1893) (Toucas, 2005). Le 19« temps des grandes espérances » de lassociation ouvrière a cependant laissé place au « temps des divisions » entre coopération, syndicalisme et socialisme à partir des années 1880 (Espagne, 1996). Et malgré de soutien des élites de la République radicale aux coopératives de production, leur réalité statistique reste très modeste, et elles ne connaitront pas lessor des coopératives de consommation à la même époque.

Dans les années 1880, les différentes mouvances socialistes (guesdiste, blanquiste, possibiliste, allemaniste) sont quant à elles unanimes pour considérer que la coopérative, notamment la coopérative de production, ne peut assurer la transformation de lordre social (I.1). Comme le souligne Gueslin (1998, p. 280), à partir des années 1870, « tout une partie du mouvement ouvrier nie sa fonction dans le processus de transformation du vieux monde », il faudra attendre la fin des années 1890 pour que les socialistes sengagent à nouveau timidement dans la voie coopérative. Linfluence du marxisme en France à la fin du xixe siècle, au détriment des proudhoniens et de lassociationnisme quarante-huitard, explique en partie le désaveu progressif du mouvement socialiste pour la coopération de production par rapport à laction politique et syndicale. Jaurès partage aussi ce point de vue. Il est sceptique sur les perspectives socialistes que peut ouvrir la coopérative (I.2).

I.1. Des mouvances socialistes plutôt hostiles
à l
égard des coopératives de production

La troisième session du Congrès ouvrier socialiste, qui se tient à Marseille en 1879, revient sur sa position antérieure3 et met en garde la classe ouvrière contre la voie coopérative désormais considérée comme une « illusion4 ». Malon lui-même5 écrit en avril 1889 dans La Revue Socialiste :

20

le mensonge, ou si lon veut lillusion, est plutôt du côté de ceux qui prétendent organiser socialement le travail par le seul moyen de la Coopération, cest là maintenant une constatation de fait quil nest plus besoin de démontrer, depuis la critique accablante de Blanqui [], depuis surtout tant déchecs coopératifs (Malon cité par Gaumont, 1959, p. 21).

Deux critiques récurrentes se font jour à légard du mouvement coopératif. La première porte sur le fait que ces organisations évoluent dans un contexte capitaliste, ce qui les pousse à reproduire la logique de toute entreprise qui fait face à la concurrence du marché : in fine, les coopératives se comportent comme des organisations capitalistes. Cest donc ici, pour reprendre des termes plus modernes, le risque disomorphisme institutionnel (Di Maggio & Powell, 1983) qui est pointé. La seconde critique porte sur les travailleurs qui sont membres de ces coopératives et qui sont assimilés à une classe de travailleurs privilégiés nœuvrant plus à la transformation de lensemble de la classe ouvrière. La coopérative est alors perçue comme un instrument de division de classe, ce qui explique pour les socialistes lassentiment que lui octroient les conservateurs. Isidore Finance, lors de la séance du congrès de Marseille du 24 octobre 1879, considère quil sest trompé lors du premier Congrès ouvrier de Paris en 1876 en pensant que le mouvement coopératif pourrait produire un élan similaire à ce qui sest produit en 1848 :

La coopération, étant une solution essentiellement démocratique, puisque cest lapplication du suffrage de tous à lorganisation de lindustrie, il semblerait de prime abord que cette solution naurait dû rencontrer que des adversaires parmi les conservateurs et les fauteurs de réaction. Il nen est rien (…). Doù venait donc, de la part de tous ces Messieurs les gouvernants, ce subit amour pour la classe ouvrière ? Cest quils sétaient aperçus que cette solution anodine de la coopération, non seulement ne leur faisait courir aucun danger, mais ne les obligeait à aucun devoir envers les prolétaires (…). Nos réactionnaires ont très bien vu que la préoccupation de la fortune à acquérir tuerait inévitablement chez les meilleurs des prolétaires, les grandes dispositions généreuses, les grandes aspirations politiques et sociales, en les livrant à de petites questions de boutique, en leur donnant un caractère bas, mesquin, en un mot, le caractère bourgeois. Cest ce qui est arrivé (…). La coopération, cette apparence de solution quon pourrait croire inventée par la bourgeoisie égoïste, tout exprès pour endormir et dégoûter les meilleurs dentre nous, la coopération a été jusquà ce jour le tonneau des Danaïdes où sont venues se perdre et disparaître toutes les forces vives du prolétariat. Il faut au prolétariat une autre idée, une idée qui fasse un faisceau de ses forces éparses au lieu de les diviser (Finance, 1879, p. 323-329).

21

Sur ce fond de condamnation, la coopérative garde néanmoins une place dans le combat socialiste, mais son usage diverge selon les courants de pensée, résumant de ce point de vue une des lignes de fracture qui se fait jour au sein de la mouvance socialiste. Pour résumer rapidement les choses, il y a dun côté, la ligne portée par Jules Guesde ; de lautre, celle portée par Jean Allemane. Pour Jules Guesde, laction ouvrière doit se concentrer sur la conquête du pouvoir dÉtat pour préparer la dictature du prolétariat. Le collectivisme est la solution au problème social. La solution coopérative est alors perçue comme une « distraction » face à cet objectif. Si les coopératives de production sont admises6, cest uniquement quand elles mettent leur action au service de cet objectif, cest-à-dire que le développement de leur projet de propriété collective et dautogestion démocratique assure des sources de financement pour laction politique. Comme le résume Guesde, la coopération nest donc, au mieux, quun auxiliaire du parti :

La coopération ne vaut donc et ne peut valoir que par lusage quon en fait. Dans la mesure où cette forme de groupement ou dassociation sert et appuie le parti socialiste, il est certain quelle devient une espèce darsenal apportant des armes au prolétariat en lutte. Mais cest là le sens exclusif de la coopération socialiste (Guesde, 1901).

Jean Allemane7 voit lui, au contraire, le changement social dans le mouvement syndical. Il sagit de sortir dune solution fondée sur la lutte politique et le parti ouvrier (portée par Guesde) pour promouvoir une solution économique sappuyant sur le « parti syndical8 ». « Seule la grève générale organisée par les syndicats permettra aux travailleurs, en restant sur le terrain qui est le leur, de sapproprier les instruments de production et de chasser les exploiteurs » (Brive, 1993, p. 31). Se référant à Marx, les allemanistes considèrent que lémancipation doit être lœuvre des travailleurs eux-mêmes. Dans ce cadre, la coopérative est pensée 22comme un espace permettant aux travailleurs dapprendre à se former à des tâches de gestion. La coopérative joue alors un rôle « déducation sociale à la portée immédiate des salariés » (Brive, 1981, p. 6), et cest également un espace où les syndicats peuvent prendre le pouvoir.

I.2. La coopérative, une illusion
pour Jaurès dans les années 1890

Au début des années 1890, Jaurès est sur la même ligne que les socialistes concernant les coopératives. En 1894, il déclare à la Chambre, à propos dune discussion sur la création de sociétés de crédit agricole :

Il ny a quune chose à laquelle les socialistes ont refusé de souscrire : ils ont toujours refusé de déclarer que cest dans le principe des coopératives que gît la solution définitive du problème social. Ils se sont bornés à reconnaître quil peut y avoir une utilité partielle et passagère dans lusage de la coopération (Jaurès cité par Gaumont, 1959, p. 30).

En effet, pour Jaurès, dans la situation économique actuelle du capitalisme, la coopérative nest quune promotion dun patronat multiple : « aujourdhui la plupart des coopératives ouvrières de production (…) ne tardent pas à se fermer, et [ne sont] bientôt quun patronat à plusieurs, exploitant les nouveaux venus » (Jaurès, 1895b, p. 142). Fonctionnant dans un univers économique marqué par la concurrence et laccumulation privée des capitaux, les coopératives ne sont pas en mesure de produire une autre logique :

Quoi détonnant que les sociétés corporatives aboutissent à une résurgence du patronat ? Cest là, en réalité, quon lavoue ou non, leur essence même. Quoi de surprenant quelles retournent au capitalisme ? Elles en viennent, elles en procèdent et elles en sont imprégnées. Les ouvriers qui souscrivent un petit capital dans une coopérative de production tiennent avant tout à la conservation et à la fructification de ce capital ; ils apportent leur épargne propre ; et la nation, de son côté, ny ajoute rien. Il ny a pas association entre quelques producteurs, et la nation : celle-ci ne leur donne ni capital ni sécurité. Elle nentoure pas les coopératives dune sorte denclos ; elle les laisse ouvertes à toutes les violences de la concurrence universelle, à toutes les surprises et à tous les assauts des gros capitaux conjurés contre elles (Jaurès, 1895b, p. 150).

Favoriser le développement des coopératives de consommation et de production nest donc quune illusion aux yeux de Jaurès, une fausse réponse proposée par ceux qui ne veulent pas du socialisme :

23

Ils proposent, dans lordre industriel, le système coopératif et la participation aux bénéfices. Les ouvriers industriels, daprès eux, peuvent réaliser des économies notables en entrant dans les coopératives de consommation ; avec ces économies, ils peuvent se constituer un petit capital et, en associant ces petits capitaux, fonder des coopératives de production. Les ouvriers associés deviennent ainsi peu à peu leurs propres capitalistes (…). Je ne discute pas toutes ces conceptions et combinaisons (…) chimériques (…) palliatives ; je les considère toutes, dailleurs, comme incapables de corriger sérieusement la société actuelle (Jaurès, 1893d, p. 291-292).

On retrouve donc chez Jaurès les deux critiques récurrentes adressées par les socialistes au mouvement coopératif : le risque disomorphisme institutionnel, léchec des coopératives est lié au fait même quelles acceptent la lutte dans la société actuelle (« Et si dailleurs la plupart des coopératives, quand elles ne se durcissent pas en patronat, sont vaincues et dissoutes, ce nest pas surtout par le défaut dentente entre les associés, cest parce quelles acceptent la lutte avec la société actuelle, sur son propre terrain, et avec des armes beaucoup plus faibles » [Jaurès, 1895b, p. 150]) et le fait que les coopératives de production deviennent « un patronat à plusieurs » et constituent une classe de travailleurs privilégiés séparés du combat ouvrier. Il rejoint en cela la position collectiviste qui devient alors dominante dans le socialisme français : lémancipation du prolétariat ne pourra se réaliser quen prenant possession du pouvoir politique. Cependant un conflit entre les verriers de Carmaux et leur patron va conduire Jaurès à sintéresser de plus près au modèle coopératif.

II. La Verrerie ouvrière :
une œuvre de circonstance

Un conflit sans perspective de conciliation des ouvriers verriers à Carmaux face à leur patron Rességuier conduit les socialistes, et aux premiers rangs desquels Jaurès, à se prononcer en faveur du projet de création dune coopérative verrière (II.1). Mais au-delà de cet accord de circonstance, ce conflit pose concrètement la question de la forme des statuts à adopter pour la coopérative. Jaurès va alors faire une synthèse des solutions proposées et porter un statut dentreprise original qui se 24distingue des coopératives existantes : une société anonyme dont la propriété est collective et indivise et portée par le prolétariat via les syndicats et les coopératives qui en détiennent les actions en son nom (II.2).

II.1. La création dune verrerie coopérative :
seule issue possible au conflit ouvrier de Carmaux

Carmaux est une cité ouvrière du Tarn où Jaurès a été élu député en août 1893. Elle est une ville symbole du socialisme depuis lélection dun conseil municipal socialiste et ouvrier en 1892. Une telle victoire a conduit à une opposition vive du patronat local. Cela fait de Carmaux une ville où le contexte est particulier, et où les conflits politiques trouvent leur prolongement dans les conflits sociaux dentreprises. Contestant les victoires des ouvriers aux élections locales, le patronat cherche à les invalider et dans le même temps à intimider les choix de la classe ouvrière en renvoyant des usines les leaders ouvriers qui sont aussi des leaders socialistes9. Le patronat bénéficie du soutien de ladministration préfectorale et de linstitution judiciaire ce qui conduit à une intervention régulière du Parlement dans les affaires de la ville (Brive, 1993). Une nouvelle provocation patronale a lieu le 25 mai 1895 : Jean-Baptiste Calvignac, leader minier et Maire de Carmaux, et Marien Baudot, leader verrier, sont condamnés à quarante jours de prison avec sursis et à la privation de leurs droits civils et politiques pour 10 ans – ce qui nempêche pas la population de voter majoritairement pour eux aux élections. Le 30 juillet, Rességuier, patron de la verrerie de Sainte-Clotilde, décide du renvoi de Baudot ce qui provoque la grève des ouvriers de lusine. Cette grève fait suite à plusieurs provocations de Rességuier dans les mois précédents (comme la réduction des salaires décidée du jour au lendemain), provocations auxquelles les ouvriers navaient pas répondu. Face à cette situation, Jaurès est appelé pour conseiller les ouvriers et suggère de mobiliser la procédure darbitrage10. Mais Rességuier se montre intransigeant, refusant larbitrage ou toute autre forme de négociation. Il choisit de mettre en place un lock-out au moment où les ouvriers sont 25prêts à reprendre le travail sans navoir rien obtenu. Comme le montre Brive (1981, 1993), le conflit devient un symbole de lopposition de la classe ouvrière face au patronat.

Dun côté Rességuier met en avant

les arguments classiques du libéralisme économique : le contrat passé entre le patron et ses salariés est dordre strictement privé. Le syndicat, groupement collectif, constitue une atteinte intolérable à la liberté de lemployeur. La grève rompt les engagements pris antérieurement entre les deux parties. Une fois celle-ci déclarée, le patron est libre dembaucher qui il veut aux conditions définies par lui seul (Brive, 1993, p. 18).

De lautre côté, les ouvriers cherchent à défendre le droit de grève et le droit syndical.

Comme le souligne Jaurès, « le prolétariat tout entier sait que son intérêt vital est engagé dans cette lutte. Si les verriers lemportent (…) tous les travailleurs pourront librement user de la loi sur les syndicats et librement exprimer par un bulletin de vote, leurs préférences pour la République sociale » (Jaurès, 1895c, p. 350). Résumant le conflit Jaurès écrit : « Maintenant, puisque M. Rességuier nest plus M. Rességuier mais le patronat tout entier, les verriers de Carmaux ne sont plus les verriers de Carmaux ; ils sont le prolétariat tout entier » (Jaurès (1895) cité par Brive, 1993, p. 19)11.

Ce combat prend donc une dimension nationale et laction de Jaurès est alors déterminante dans la promotion quil fait du conflit en alertant lopinion publique, en mobilisant les syndicats, les coopératives et le Parti socialiste pour que ce dernier apporte son soutien aux grévistes et alimente une caisse de grève, seul moyen pour les mineurs de pouvoir tenir pendant le conflit. Le gouvernement Ribot, qui soutient laction de son administration et couvre les agissements du patronat de Carmaux, est interpellé à lAssemblée par Jaurès fin octobre 1895 pour demander un arbitrage. Le vote est sans succès pour Jaurès, mais quelques jours plus tard le gouvernement est contraint à la démission suite à un scandale financier, il est remplacé par le gouvernement de Léon Bourgeois. Si le gouvernement se dit alors prêt à un arbitrage, Rességuier reste intransigeant. Aucune porte de sortie ne sentrouvrant, Jaurès cherche un moyen déviter une défaite. Il voit dans la création dune coopérative 26verrière le seul point de sortie envisageable du conflit12 : sa création permettrait de redonner un emploi aux ouvriers licenciés et de battre Rességuier sur son propre terrain. Jaurès prône donc labandon de la lutte ouverte pour aller vers un « champ daction directe au prolétariat français (…). Édifier la verrerie, cétait donc, sous une nouvelle forme, continuer la même lutte » (Trempé, 1965, p. 201).

Jaurès présente lidée de la coopérative aux socialistes parisiens et cherche leur soutien, quil trouve non au nom dun attachement à lidée de coopérative en général, mais en raison de la situation particulière de Carmaux. Ainsi, pour les socialistes, « la verrerie apparaît comme une œuvre de circonstance, non comme une création délibérée, faite en application dun principe » (Trempé, 1965, p. 199). Le projet de verrerie est annoncé par Jaurès début novembre 1895. Il résume lenjeu du projet par ces mots :

Nous savons bien quon ne pourra pas généraliser cet exemple, que les ouvriers nauront jamais assez de capitaux pour multiplier ces entreprises, et que le prolétariat dans son ensemble ne sera affranchi quen prenant possession du pouvoir politique et en se débarrassant, par la loi souveraine, des vieilles formes sociales surannées et tyranniques. Nous savons bien aussi que la verrerie aura à lutter contre toutes les violences et tous les désordres du régime capitaliste (…). Ce nest donc pas un modèle réduit de la société future que nous essayons dinstituer. Lordre socialiste ne se fait point par essais fragmentaires : il ne pourra être établi que par une transformation densemble (…). Non, la Verrerie ouvrière ne sera pas un morceau de la société collectiviste. Mais elle sera une vigoureuse réponse au défi patronal, à larbitraire et à larrogance des grands verriers, et elle sera aussi une affirmation éclatante des facultés dorganisation de la classe ouvrière (Jaurès, 1896, p. 360).

En ce sens, comme le souligne Brive [1981], le projet de verrerie devient un symbole du prolétariat, un « acte constitutif » de ce dernier.

II.2. Quels statuts pour la verrerie ?
« Verrerie aux verriers » ou « Verrerie Ouvrière »

Si la création de la coopérative fait lunanimité, les statuts de cette verrerie font ressurgir des positions antagonistes entre socialistes. Deux conceptions possibles de cette coopérative vont être proposées. Jaurès 27propose alors de faire une synthèse et affirme ainsi sa vision de la coopérative.

La Commission dOrganisation, composée de représentants des syndicats et des coopératives parisiennes se trouve très vite être une source de financement possible de la future verrerie et, qui plus est, un client potentiel assurant des débouchés commerciaux. Jaurès se tourne donc vers elle pour discuter des statuts de la future coopérative. Cette Commission est proche du « parti syndical » (les allemanistes) et voit dans le projet de verrerie loccasion daffirmer son point de vue sur la coopérative face aux guesdistes (cf. I.1). La Commission défend le projet de « verrerie ouvrière », propriété de tout le prolétariat, administrée exclusivement par les organisations coopératives et syndicales.

En réaction, un autre comité – le Comité de vigilance – se met en place. Il rassemble les organisations ouvrières proches de la mouvance guesdiste, et se pose aussi en pièce maîtresse dans la réalisation de la verrerie dans la mesure où il abrite Rochefort – qui propose de faire un don de 100 000 francs au bénéfice du projet. Ce comité plaide pour une coopérative classique, une « verrerie aux verriers », cest-à-dire une coopérative administrée par les seuls verriers de Carmaux, décidant seuls de lutilisation des bénéfices.

Face au risque de cristallisation et de rupture de lunité du mouvement ouvrier et socialiste obtenu jusqualors sur le projet, Jaurès essaye de concilier les deux approches. Il se rallie à la formule de la « verrerie ouvrière » (VO) tout en garantissant aux ouvriers verriers une place plus conséquente dans la coopérative. La verrerie prend au final la forme dune société anonyme dont les actions sont possédées uniquement par des coopératives ou des syndicats. Au sein de la verrerie, les ouvriers sont rémunérés aux taux de salaires les plus élevés dans ce secteur et les bénéfices servent, dune part, à renouveler loutillage et, dautre part, sur le restant, 40 % sont destinés à une œuvre pour lensemble du personnel (caisse de retraite) et 60 % réservés aux actionnaires qui en font un usage pour une œuvre dintérêt général. Sur la gestion quotidienne de lentreprise, six administrateurs sur neuf sont désignés par les verriers et les trois autres représentent un syndicat, une coopérative de consommation et une coopérative de production.

Les statuts adoptés font de la verrerie de Carmaux un type très particulier de coopérative. Première spécificité, la VO est définie dans 28le cadre du statut de la loi de 1867 sur la société anonyme (SA). Cest en effet à lépoque le seul cadre juridique envisageable (cf. encadré 1).

1. Le statut de société anonyme, seul cadre légal disponible pour les coopératives à la fin du xixe siècle

Les premières formes dassociation qui émergent au début du xixe siècle nont pas de statut légal propre et évoluent souvent dans la clandestinité. Elles sont soumises au cadre répressif de toutes formes de coalitions ou dassociations (décret dAllarde et loi Le Chapelier en 1791 ; renforcés par les articles 141 à 416 du Code pénal napoléonien). Cependant, des associations coopératives se développent au cours de la première moitié du xixe siècle en dehors des cadres juridiques en vigueur. Ce nest quavec les Révolutions de 1830 et surtout de 1848 que lassociation fait lobjet dun intérêt de la part des législateurs – la Constitution du 4 novembre 1848 proclame le droit de sassocier et de sassembler paisiblement et sans armes (article 8) et encourage les associations volontaires (article 13). Mais larrivée au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte à la fin de lannée 1848 met fin à cette aspiration à lassociation. Ce nest quavec la « libéralisation » du Second Empire, puis au cours de la Troisième République quon observe un assouplissement de la législation et les prémisses dun cadre juridique propre aux coopératives. Cest véritablement la loi du 24 juillet 1867 sur les Sociétés (notamment le titre II sur la société anonyme) qui vient indirectement reconnaître lexistence des Sociétés coopératives et servir darmature juridique à leur création jusquà la loi-cadre du 10 septembre 1947 portant sur le statut de la coopération. Le titre III de cette loi permet aux sociétés – quelles que soient leurs formes – dadopter un statut à capital variable : elles concernent donc de manière implicite les sociétés coopératives de production, de consommation, et les coopératives dépargne et de crédit (Seeberger, 2012, p. 35-39). Ce titre III en intégrant le nouvel outil de la variabilité du capital dans le fonctionnement coopératif est une opportunité pour le mouvement coopératif : les associés peuvent entrer et sortir librement du capital sans formalismes ce qui est conforme aux principes coopératifs de libre adhésion et de double qualité. Cette variabilité permet en outre de constituer une société à partir de faibles apports pécuniaires.

En 1895, lorsquéclate le conflit à la Verrerie de Carmaux, la plupart des coopératives de production sont donc régies par la loi sur les sociétés de 1867. Dans les guides publiés par le Musée social à propos des coopératives (Daudé-Bancel, 1899a, 1899b) il est conseillé aux coopératives de se constituer sous la forme de « société anonyme à capital variable, régie par les lois du 24 juillet 1867 et 1er août 1893 ». La loi de 1867 offre en effet un support juridique suffisamment large pour développer des projets coopératifs très divers que ce soit dans lobjet et la forme des coopératives, que dans « lesprit » plus général qui guide leurs fondateurs.

Avec la Troisième République, la coopération fait lobjet dun soutien important de lélite républicaine – autant sur le plan législatif que financier. Pierre Waldeck-Rousseau, Ministre de lIntérieur puis Président du Conseil défend la coopération 29comme un « outil de la paix sociale » et un facteur de promotion individuelle pour les ouvriers. Cest notamment lui qui commande une grande enquête sur la coopération en 1883, aboutissant en 1888 a un premier projet de loi unitaire donnant un statut autonome et moderne aux différentes familles coopératives (agriculture, production, consommation) – les discussions parlementaires seront cependant bloquées pendant dix ans par le lobby du petit commerce. Il soutient aussi la création de la Chambre Consultative des Associations Ouvrières de Production en 1884 – devenue Confédération Générale des SCOP en 1937 (Espagne, 1996). Plus largement, les législateurs au tournant du siècle participent à la fragmentation du mouvement social en attribuant des spécificités fonctionnelles entre les coopératives, syndicats, mutuelles et associations (Fretel, 2018) : cette dynamique qui commence avec la loi de 1867 sur les sociétés coopératives, se poursuit avec la loi du 21 mars 1884 relative à la liberté des associations professionnelles ouvrières et patronales – aussi appelée loi Waldeck-Rousseau – qui cantonne les syndicats à une action de défense professionnelle en leur interdisant de gérer directement des activités économiques ; cest ensuite au tour de la mutualité avec une charte en 1898 ; et enfin des associations « non professionnelles » qui nobtiendront un cadre juridique quà partir de 1901.

Seconde spécificité, la VO se définit, comme une « propriété prolétarienne, collective et indivise » : outre le don de 100 000 francs, le reste du capital est amené par une souscription ouvrière dont les coopératives et les syndicats sont techniquement les intermédiaires, mais qui symboliquement illustre que « lassemblée générale des actionnaires de la Verrerie ouvrière sera en fait, de quelque manière quils y soient représentés, un Congrès général des syndicats et des coopératives de France » (Jaurès, 1895d). Il sagit pour Jaurès dune première expérience de « propriété sociale », car « si tous les groupes corporatifs et coopératifs de France sont habilités à détenir des parts, celles-ci nappartiendront en aucun cas individuellement aux membres adhérents » (Brive, 1981, p. 4). Ces parts appartiendront à la classe ouvrière. Cela se traduit par le fait que si la VO est gérée au quotidien par les verriers, elle est aussi administrée par les représentants nationaux des coopératives et syndicats et quune partie des bénéfices sert à des œuvres dintérêt général. Cest-à-dire que la VO est gérée par des représentants du prolétariat pour le prolétariat. Jaurès, dans le cadre juridique existant, essaye de pousser au maximum lidée de propriété sociale. Comme il le raconte dans La Dépêche :

On se heurtait à des lois restrictives. La loi na prévu, en somme, que la propriété capitaliste. Elle na pas prévu la propriété commune de lensemble des travailleurs. Quand bien même tous les ouvriers seraient syndiqués, quand bien même tous les syndicats seraient groupés en Fédérations de métiers et 30toutes les Fédérations en une Fédération générale du travail, on ne pourrait aujourdhui constituer directement la propriété générale du monde du travail, car, si chaque syndicat isolé peut posséder, les Fédérations nont pas la personnalité civile ; plus, la loi oblige, sil y a des bénéfices, à les répartir à chacune des organisations particulières, elle ne permet pas de les laisser à létat de fonds communs dont le prolétariat tout entier aurait la disposition commune (Jaurès, 1895d, p. 356).

Jaurès propose alors que les organisations sengagent à reverser volontairement les bénéfices perçus à une œuvre dintérêt général, ce que Brive (1993) qualifie d« amendement Jaurès ». Les bénéfices ne sont donc pas exclusivement perçus par les ouvriers ou les actionnaires de lentreprise. Un tiers est introduit.

Les statuts assurent donc un équilibre entre intérêts communs des parties prenantes de lentreprise (ses propriétaires en droit – les syndicats et coopératives – et ses salariés) et lintérêt général, celui de la classe ouvrière. Le mécanisme des statuts de la VO assure cet équilibre en permettant dintroduire une propriété sociale, que Jaurès qualifie aussi de propriété commune du prolétariat :

Lassemblée générale des actionnaires de la Verrerie ouvrière sera comme une assemblée générale du prolétariat (…), la Verrerie ouvrière représente, autant quil est possible aujourdhui une propriété ouvrière commune. Le prolétariat français sy élève non seulement au-dessus de la propriété individuelle, mais au-dessus de la coopération, au-dessus même de la propriété corporative, pour atteindre à la propriété commune, dans la mesure où le permettent aujourdhui lordre capitaliste, ses nécessités internes et ses lois (…) la Verrerie ouvrière est en quelque sorte à lextrême limite du système capitaliste, et elle annonce, sans la réaliser, un type nouveau quest le collectivisme (Jaurès, 1898, p. 317).

La VO est « une usine construite dans une société capitaliste, appartenant à tous en tant que collectivité, mais à personne individuellement » (Alibert, 1899). Revenant quelques années plus tard sur son expérience de la VO, Jaurès écrit :

Cest dans cet esprit que lorsque la Verrerie ouvrière fut fondée, je pris délibérément parti contre les amis de Guesde, qui, dans les réunions préparatoires tenues à Paris, voulaient la réduire à nêtre quune verrerie aux verriers, simple contrefaçon ouvrière de lusine capitaliste. Je soutins de toutes mes forces ceux qui voulurent en faire et qui en ont fait la propriété commune de toutes les organisations ouvrières, créant ainsi le type de propriété qui se 31rapproche le plus, dans la société daujourdhui, du communisme prolétarien. (…). Les réformes ne sont pas des adoucissants : elles sont, elles doivent être des préparations (Jaurès, 1901b, p. 272).

Les statuts de la VO sont ainsi pour Jaurès une « œuvre de circonstance », mais une œuvre de circonstance qui permet davancer sur des principes qui fondent son approche des coopératives et des mouvements associatifs : mêler action politique et action économique au sein de groupements collectifs inscrits dans une praxis de lÉtat socialiste.

III. La conception jaurésienne des associations coopératives : une praxis de lÉtat socialiste

Suite aux événements de Carmaux, lattrait de Jaurès pour la coopérative saffirme (Gaumont, 1959 ; Gueslin, 1998 ; Celle, 2013) même sil nen oublie pas ses limites (cf. I.2). Plus quun apôtre de la coopérative en général, Jaurès devient un défenseur de la coopérative socialiste. Et cest là quil se distingue tant de Charles Gide – principal théoricien de la coopération de consommation et de la République coopérative – que du soutien des républicains radicaux aux coopératives de production, et que dune position guesdiste qui ne voit dans la coopération quun moyen de financement de la lutte partisane socialiste. Jaurès se pose la question de savoir à quelles conditions la coopérative, sa pratique et ses statuts, peuvent être conformes à lesprit socialiste et donc porteurs dune transformation sociale ? Pour Jaurès la réponse est claire : à condition quaction économique et action politique soient mêlées et que la coopérative soit une praxis de lÉtat socialiste (III.2), ce qui renvoie à une certaine conception de Jaurès sur lÉtat (III.1).

III.1. La conception Jaurésienne de lÉtat

Jaurès a toujours tenu une place à part au sein du parti socialiste proposant une synthèse entre la tradition marxiste du socialisme de Guesde et le réformisme de Millerand. Ce qui loppose notamment aux plus radicaux, cest sa conception de lÉtat qui le conduit à respecter les 32processus démocratiques et parlementaires. Cette position ne relève pas de son ralliement républicain opportuniste. Elle renvoie avant tout à une conception philosophique et politique de lÉtat qui le conduit à conclure au rôle positif de ce dernier pour la démocratie politique et lavènement du socialisme. Pour Jaurès, lÉtat républicain est un État principe, porteur de lintérêt général avant même dêtre un organe central. Cest cette conception de lÉtat qui fait aussi loriginalité de Jaurès dans la pensée coopérative, que ce soit vis-à-vis des associationnistes de la moitié du xixe siècle ou des théoriciens de la coopération au tournant du siècle.

Pour Jaurès, le but à atteindre est bien le collectivisme, mais par rapport à dautres tenants du socialisme, il se distingue par la méthode quil propose. Il estime en effet que « la démocratie est, pour le prolétariat, une grande conquête. Elle est tout ensemble un moyen daction décisif et une forme type selon laquelle les rapports économiques doivent sordonner comme des rapports politiques » (Jaurès, 1904a, p. 1822). Pour lui, la démocratie politique est une condition de lémergence du socialisme en France et la résolution de la question sociale passera par le plein déploiement de la République qui est au cœur du projet socialiste : « la République politique doit aboutir à la République sociale » (Jaurès, 1893c). La méthode jaurésienne de transformation sociale est donc bien réformiste. Comme le souligne Busieau (1980, p. 74) : « Jaurès restera, dans le mouvement socialiste, le porte-parole de ceux qui, tout en restant des partisans convaincus dune transformation fondamentale de la société capitaliste, croient à la possibilité de conquérir, étape par étape, des réformes sociales importantes et des positions clés à partir desquelles le monde du travail pourra faire un nouveau pas en avant ». Pour Jaurès, il y a moyen, par des institutions démocratiques, telles que la Chambre des députés et le processus délaboration des lois, de réformer en profondeur la société. Le réformisme conduit au radicalisme par les avancées définitives que le jeu parlementaire induit. Faisant le point à la chambre des députés, en 1893, Jaurès déclare :

Vous avez fait les lois dinstruction. Dès lors, comment voulez-vous quà lémancipation politique ne vienne sajouter, pour les travailleurs, lémancipation sociale quand vous avez décrété et préparé vous-même leur émancipation intellectuelle (…). Et de même, quand vous avez fondé les syndicats ouvriers, quavez-vous prétendu faire ? (…) Est-ce que vous vous imaginiez, lorsque vous avez fait la loi sur les syndicats ouvriers, quils seraient simplement ou une société de secours mutuel ou je ne sais quelle ébauche de société coopérative 33de consommation ? Non, toutes ces institutions dassistance et autres existaient déjà (…). En instituant les syndicats ouvriers, vous ne pouviez faire quune chose : donner aux travailleurs, dispersés jusque-là, le sentiment dune force plus grande (Jaurès, 1893c p. 237)

Mais quest-ce qui permet à Jaurès de considérer si positivement le rôle de lÉtat ? Cest parce quà ses yeux, il est sous-tendu par une vision de lintérêt général. Jaurès voit dans lÉtat avant tout comme un principe et non un simple acteur au service dune classe dominante. Sur ce point, Jaurès prend ses distances avec le matérialisme de Marx, lui préférant la notion didéalisme. Si lhomme est déterminé pour une part par son passé et son environnement – ce qui valide la notion de matérialisme historique –, il est aussi volontaire et tourné vers lavenir, car doté dun certain idéalisme. Jaurès rejette donc les thèses sur laliénation et lexploitation complète des prolétaires. Pour lui « la vie de lhomme dans ses détails mêmes les plus familiers, est façonnée par les grands systèmes et les grands rêves (…) le cœur de lhomme (…) est gouverné à son insu par laction secrète dun idéal supérieur » (Jaurès, 1891, p. 184). Partant de là, il y a place pour une sphère politique13 au sein de laquelle lhomme peut évoluer et infléchir le mouvement économique. Pour Jaurès laction socialiste est « tout à la fois scientifique et idéaliste (…) il y faudra lorganisation puissante du prolétariat tout entier : prolétariat ouvrier, prolétariat paysan, prolétariat intellectuel. Mais en démontrant que notre socialisme collectiviste répond non seulement aux nécessités historiques, mais à lidée de justice » (Jaurès, 1893a, p. 282). Cherchant à qualifier la pensée politique de Jaurès, Antonini (2004, p. 11) indique que « la République – au départ simple régime institutionnel – nest pas à comprendre seulement comme un simple mode de gouvernement et dorganisation des institutions de lÉtat, mais surtout comme un principe dorganisation de la société ». LÉtat, chez Jaurès, nest pas analysé comme un simple organe central susceptible de faire barrage à la société. Il est pensé comme étant lunité du corps social. Pour lui, la puissance publique « nest quun instrument. Elle na pas de force propre, une volonté autonome, une politique à elle. Elle est (…) la servante du pouvoir civil » (Jaurès, 1910, p. 255).

34

Doù tire-t-il cette confiance ? Du fait que lhomme est guidé par une force de progrès, un idéalisme. Tout mouvement politique, économique ou social est porté par cette force de progrès définie en commun. Jaurès a dans ses propos une double acception de lÉtat, en tant que principe général et en tant quacteur (Fretel, 2008). En tant que principe général, lÉtat prend la figure de la République adossée à lintérêt général et synonyme de progrès. En tant quacteur, cest une dynamique mettant en œuvre ce principe dintérêt général ; Antonini (2004) parle pour ce second niveau de « praxis dÉtat ». Et cest ici, dans cette seconde acception, quil y a une place pour dautres acteurs comme la coopérative ou dautres formes de groupements collectifs – la coopérative étant alors une praxis de lÉtat République.

III.2. Lassociation coopérative
comme
praxis de lÉtat socialiste

Si Jaurès considère que « Kautsky a tort de ne considérer les syndicats et les coopératives que comme des instruments secondaires pour obtenir un résultat immédiat et passager ; cest cela, mais cest aussi la première forme de lorganisation générale et révolutionnaire de la classe ouvrière » (Jaurès, 1900, p. 136), il énonce, dans le même temps que lassociation doit être subordonnée à la définition de lintérêt général promu par la République, cest-à-dire que la coopérative doit être socialiste :

Pourquoi dit-on que le mouvement syndical, que le mouvement coopératif, que les réformes préparatoires peuvent retarder le mouvement ? Ils le retarderaient sils étaient isolés de la pensée maîtresse du socialisme, mais si le syndicat, en même temps quil est syndicat, est socialiste, sil se considère comme un moyen dorganisation, de préparation et déducation en vue du socialisme, si la coopérative est socialiste (…) alors dinnombrables fils rattachent toutes nos actions daujourdhui à la révolution de demain (Jaurès, 1900, p. 135-136).

Une fois le socialisme advenu, lassociation sera lorgane gestionnaire décentralisé de la Nation propriétaire. Davantage partisan dune gestion associative que dune gestion administrative dans le régime socialiste à venir, Jaurès envisage la République sociale comme une constellation dassociations responsables au quotidien de lorganisation de la production. En effet, pour lui, lassociation est un organe gestionnaire plus performant et réactif que lorganisation administrative de la production. Mais elle nest pas pour autant une sphère autonome. Son fonctionnement reste 35adossé à lÉtat, cest-à-dire à la sphère politique. Jaurès est explicite sur ce point : « sans doute lassociation est une grande force, mais lÉtat lui aussi est une association, la plus vaste et la plus haute de toutes, et cette association a bien le droit dopposer à ses membres certains statuts » (Jaurès, 1904b, p. 369). De ce fait, une association ne peut fonctionner sur la base des seuls intérêts privés de ses membres. Comme le note Madeleine Rebérioux (1994, p. 22), « le cadre de lusine, ou de la mine, nest plus perçu pour Jaurès comme le lieu le plus important du combat syndical ». Lassociation jaurésienne doit sancrer dans lintérêt général. Elle est une praxis dÉtat. Cest en ce sens que nous pouvons comprendre Jaurès lorsquil dit : « la mine aux mineurs peut être une tentative intéressante et utile ; elle peut familiariser certains travailleurs avec lassociation et la République industrielle ; mais elle nest pas la solution socialiste. Celle-ci cest la mine à la nation » (Jaurès, 1895b, p. 154). La mine à la Nation assure la réalisation de la République sociale. Il renforce dailleurs son propos en soulignant : « le collectivisme que nous voulons réaliser dans lordre économique existe déjà dans lordre politique. À qui appartient la souveraineté politique ? À la Nation » (Jaurès, 1895a, p. 264). Comme le souligne Bruno Antonini, le peuple est propriétaire par la nation, mais cest par lÉtat quil exerce cette propriété collective. Pour autant, la réalisation de cette propriété sociale par lÉtat « nest pas étatisation, mais linstauration par lÉtat dun nouveau régime de propriété, où seule la Nation tout entière (ou “collectivité sociale”) est propriétaire, par le biais des syndicats et des coopératives ouvrières » (Antonini, 2004, p. 89).

Il importe donc que lassociation ne perdre pas son lien avec la sphère politique. Jaurès refuse de la rabattre uniquement sur la sphère économique. Il en va de même pour les individus qui composent lassociation : ils sont citoyens avant dêtre des agents économiques : « louvrier français, avant de se syndiquer, même quand il est syndiqué, est autre chose quun salarié, autre chose quun producteur ; il est lhéritier dépouillé dune immense humanité de revendication et de combat » (Jaurès cité par Rebérioux, 1994, p. 65). On comprend mieux alors la conviction de Jaurès pour faire du projet de verrerie, une verrerie ouvrière et non une verrerie aux verriers. Les statuts de lassociation supposent en effet, pour être conformes à lidéal socialiste, que ce ne soient pas uniquement les membres de lassociation qui la dirigent, afin déviter tout corporatisme. Chaque association doit être encadrée par les représentants nationaux 36des syndicats et des coopératives de consommation plus à même dagir dans le sens de lintérêt général.

De même que lorganisation du travail ne peut demeurer exclusivement administrative, et quelle doit se décomposer en un certain nombre de grandes coopérations relativement autonomes, de même elle ne peut aboutir au régime pleinement corporatif et perdre son caractère national et un. Car chacune de ces corporations, si elle était absolument indépendante, serait un État économique dans lÉtat économique. Elle aurait bientôt tous les vices et toutes les prétentions égoïstes du monopole (…). Elle recommencerait, en un mot, lhistoire des corporations dancien régime (Jaurès, 1895b, p. 137-138).

Si lassociation est un instrument gestionnaire de la République sociale, elle nen est certainement pas le fondement. Lassociation de Jaurès ne fonde pas une République industrielle14, si elle a des fonctions économiques, son but premier est politique, et elle est subordonnée à lintérêt général.

Les associations particulières, restreintes, temporaires, peuvent protéger pour un temps des groupes restreints dindividus. Mais il ny a quune association générale et permanente qui puisse assurer le droit de tous les individus sans exception (…). Cest donc dans la nation que le droit de tous les individus, aujourdhui, demain et toujours, trouve sa garantie (Jaurès, 1901a, p. 350).

Pour Jaurès, cest la solution collectiviste qui prime cest-à-dire que :

Cest la nation qui est propriétaire. Cela signifie que les travailleurs actuels ne pourront pas usurper la mine pour eux seuls, et se transformer en sorte de capitalistes plus ou moins oisifs, qui feraient exploiter, à leur place et à leur profit, par des salariés (…) la nation assure à perpétuité le droit individuel de tous les travailleurs, aujourdhui, et demain et toujours, à la propriété absolue de leur travail » (Jaurès, 1893b, p. 289).

Cest par les statuts que cette assurance du travailleur doit être trouvée :

Il faudra quun conseil central élu, composé à la fois de représentants des toutes les industries et de représentants directs de la nation tout entière, dans sa généralité, soit investi de lautorité supérieure pour déterminer les conditions des échanges la base des prix, et pour empêcher le détournement, laccaparement du capital national par lavidité corporative (Jaurès, 1895b, p. 138).

37

Un tel conseil « dégagé de toute préoccupation corporative, [sera l] arbitre naturel des intérêts en présence, le conciliateur des antagonismes possibles, les gardiens de la suprématie nationale contre les empiétements des groupes » (Jaurès, 1895b, p. 143). Pour Jaurès, il importe donc de trouver une articulation entre lintérieur de lorganisation productive et son extérieur, cest-à-dire le reste de la société.

Conclusion

Chez Jaurès, lassociation, en dépit de sa présence en tant que force gestionnaire, demeure cependant dans une place secondaire. Elle relève du registre de la praxis de lÉtat socialiste. La coopérative de production en elle-même ne peut être une réponse socialiste si ses statuts nintègrent pas la Nation – cest-à-dire le prolétariat – comme seule propriétaire. Jaurès dans sa manière de penser la coopérative, et dans la façon dont il la mise en application au moment de la création de la verrerie ouvrière, cherche à ne pas cantonner la coopérative à la sphère économique. Pour lui, la gestion dintérêts communs ne peut conduire quà une nouvelle forme de patronat, un patronat à plusieurs. Il importe dancrer la coopérative dans la sphère politique et donc darticuler intérêt commun et intérêt général. Ce lien entre sphère économique et sphère politique dans la façon de penser la coopérative sest progressivement perdu (Alcouffe & al., 2013). Pour autant ce retour sur lhistoire nous semble important au moment où lentreprise est questionnée – en particulier par les économistes autour de la responsabilité sociale des entreprises et des communs –, et où lon cherche à lui trouver de nouveaux statuts – que ce soit dans le modèle historique des Sociétés coopératives et participatives (SCOP) ou la proposition de Société à objet social étendu (SOSE) – qui trancheraient avec ceux de la société anonyme qui semblent aujourdhui renforcer le pouvoir de lactionnaire. La Verrerie ouvrière est une société anonyme. La protection quelle soffre repose non pas sur un statut à part, mais sur ses parties prenantes : en étant ouverte sur la société, via les syndicats et les coopératives qui en sont actionnaires, lentreprise sassure de pouvoir orienter son projet commun vers lintérêt général.

38

Bibliographie

Aglietta, Michel & Rebérioux, Antoine [2004], Dérives du capitalisme financier, Paris, Albin Michel.

Alcouffe, Alain, Chevallier, Marius & Prades, Jacques [2013], « De Walras à Vanek. Coopération et politique », Document de travail, HAL, disponible sur https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00921143/document.

Alibert, Émile [1899], « La verrerie ouvrière », Le mouvement socialiste, No 19, 15 octobre, p. 484-493.

Antonini, Bruno [2004], État et socialisme chez Jean Jaurès, Paris, LHarmattan.

Bonnafous, Max [1931], « Études socialistes 1888-1897, Tome 1 », in Œuvres de Jean Jaurès, textes rassemblés, présentés et annotés par Bonnafous, Max, Paris, Reider, 1995.

Bonnafous, Max [1933], « Études socialistes 1897-1901, tome 2 », in Œuvres de Jean Jaurès, textes rassemblés, présentés et annotés par Bonnafous, Max, 1995, Paris, Reider.

Brive, Marie-France [1981], « Jean Jaurès et la verrerie ouvrière lAlbi », Bulletin de la société détudes jaurésiennes, No 83, oct./déc., p. 3-17.

Brive, Marie-France [1993], « La verrerie ouvrière dAlbi, étude historique – 1895-1931 », in La verrerie ouvrière dAlbi, Brive, Marie-France & Loubet, Roger (dir.), Scanéditions, Paris, p. 12-95.

Busieau, Marcel [1980], Jean Jaurès et son vivant message, Bruxelles, Labor.

Capron, Michel & Quairel-Lanoizelée, Françoise [2015], Lentreprise dans la société, Paris, La Découverte.

Celle, Sylvain [2013], Le mouvement coopératif dans le socialisme de Jean Jaurès et Marcel Mauss, Mémoire de Master 1, Université Lille 1.

Cordonnier, Laurent, Dallery, Thomas, Duwicquet, Vincent, Melmiès, Jordan & Van de Velde, Franck [2013], Le coût du capital et son surcoût. Rapport pour lagence dobjectif de la CGT, Lille, Clersé.

Di Maggio, Paul & Powell, Walter [1983], « The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, Vol. 48, avril, p. 147-160.

Daubé-Bancel, Achille [1899a], La Société coopérative de consommation : formalités à remplir pour la création dune société coopérative de consommation, Paris, Édition Musée social, http://cediasbibli.org/opac/index.php?lvl=notice_display&id=39471

Daubé-Bancel, Achille [1899b], La coopération ouvrière de production, Paris, Édition Musée social, http://cediasbibli.org/opac/index.php?lvl=notice_display&id=39474.

39

Dos Santos, Jessica [2016], Lutopie en héritage : le Familistère de Guise (1888-1968), Presses universitaires François-Rabelais.

Draperi, Jean-François [2008], Godin, inventeur de léconomie sociale : Mutualiser, coopérer, sassocier, Valence, Éditions Repas.

Dreyfus, Michel [2016], « Mutualité et coopération : une histoire par trop méconnue », Cahiers dhistoire. Revue dhistoire critique, No 133, p. 169-180.

Espagne, François [1996], « Histoire, problèmes et projets de la coopération ouvrière de production en France », Document de travail, http://fdcom.coop/FDCOM/liblocal/docs/Documentation/0_F.%20Espagne/Hist%20%20Prob%20%20projets%20de%20la%20coop%20ouvr%20%20157-96%20f%C3%A9vr%2007.pdf.

Espagne, François [2001], « Le statut légal des coopératives ouvrières de production (S.C.O.P) en France », Document de travail, http://www.les-scop.coop/export/sites/default/fr/_media/documents/statut-legal-scop.pdf.

Ferreras, Isabelle [2012], Gouverner le capitalisme, Paris, PUF.

Finance, Isidore [1879], « Des associations », intervention à la séance du 24 octobre de la 3e session du Congrès ouvrier socialiste de France tenue à Marseille du 20 au 31 octobre 1879, Édition Congrès ouvrier, p. 323-329.

Fretel, Anne [2018], « De la partition du fait associatif à la loi de 2014 affirmant lunité de léconomie sociale et solidaire : lhistoire dune construction politique », Recma, No 349, juillet, p. 27-41.

Fretel, Anne [2008], Lassociation entre libéralisme économique et État social : Une analyse des schèmes de justification de léconomie sociale aux xixe et xxe siècles, Thèse, Université Paris 1.

Gaumont, Jean [1959], Au confluent de deux grandes idées, Jaurès coopérateur, Guéret, Presses du massif central.

Guesde, Jules [1901], « La Coopération socialiste », Discours de Jules Guesde au Congrès de Paris en 1901, https://www.marxists.org/francais/guesde/works/1901/00/guesde_bs.htm.

Gueslin, André [1998], Linvention de léconomie sociale. Idées, pratiques et imaginaires coopératifs et mutualistes dans la France du xixe siècle, Paris, Economica.

Jaurès, Jean [1891], « Le Peuple et les systèmes », La Dépêche, 29 avril, in Pech, Remy & Cazals, Remy (dir.) [2009], Jaurès, lintégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche, Toulouse, Éditions Privat, p. 184-185.

Jaurès, Jean [1893a], « Collectivisme », La Dépêche, 25 septembre, in Pech, Remy & Cazals, Remy (dir.) [2009], Jaurès, lintégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche, Toulouse, Éditions Privat, p. 282-283.

Jaurès, Jean [1893b], « Propriété socialiste », La Dépêche, 14 novembre, in Pech, Remy & Cazals, Remy (dir.) [2009], Jaurès, lintégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche, Toulouse, Éditions Privat, p. 289-290.

40

Jaurès, Jean [1893c], « République et socialisme », in Bonnafous, Max [1931], « Études socialistes 1888-1897, Tome 1 », in Œuvres de Jean Jaurès, textes rassemblés, présentés et annotés par Bonnafous, Max, Paris, Reider, 1995.

Jaurès, Jean [1893d], « Lépargne », La Dépêche, 28 novembre, in Pech, Remy & Cazals, Remy (dir.) [2009], Jaurès, lintégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche, Toulouse, Éditions Privat, p. 291-292.

Jaurès Jean [1895a], « Organisation socialiste – chap. 1 Collectivisme et radicalisme », La Revue socialiste, Tome XXI, janvier/juillet.

Jaurès, Jean [1895b], « Organisation socialiste, chapitre iv : Esquisse provisoire de lorganisation industrielle », La Revue Socialiste, tome III, juillet/décembre.

Jaurès, Jean [1895c], « La lutte », La Dépêche, 19 septembre, in Pech, Remy & Cazals, Remy (dir.) [2009], Jaurès, lintégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche, Toulouse, Édition Privat, p. 350.

Jaurès, Jean [1895d], « À lœuvre », La Dépêche, 27 novembre, in Pech, Remy & Cazals, Remy (dir.) [2009], Jaurès, lintégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche, Toulouse, Éditions Privat, p. 356.

Jaurès, Jean [1896], « En marche », La Dépêche, 1er janvier, in Pech, Remy & Cazals, Remy (dir.) [2009], Jaurès, lintégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche, Toulouse, Éditions Privat, p. 359-360.

Jaurès, Jean [1898], « Le socialisme français », Cosmopolis, Janvier 1898, in « LAffaire Dreyfus, Tome 6 », in Œuvres de Jean Jaurès, 2001, Paris, Fayard.

Jaurès, Jean [1900], « Bernstein et lévolution de la méthode socialiste », Conférence faite le 10 février 1900 sous les auspices du Groupe des étudiants collectivistes de Paris, in Bonnafous, Max [1933], « Études socialistes 1897-1901, Tome 2 », in Œuvres de Jean Jaurès, textes rassemblés, présentés et annotés par Bonnafous, Max, 1995, Paris, Reider, p. 119-140.

Jaurès, Jean [1901a], « Le But », La Petite République, 6 septembre 1901, in Bonnafous, Max [1933], « Études socialistes 1897-1901, Tome 2 », in Œuvres de Jean Jaurès, textes rassemblés, présentés et annotés par Bonnafous, Max, 1995, Paris, Reider.

Jaurès, Jean [1901b], « République et socialisme », La Petite République, 17 octobre 1901, in Bonnafous, Max [1933], « Études socialistes 1897-1901, Tome 2 », in Œuvres de Jean Jaurès, textes rassemblés, présentés et annotés par Bonnafous, Max, 1995, Paris, Reider.

Jaurès, Jean [1901c], Le manifeste communiste de Marx et Engels – Comment se réalisera le socialisme, éd. 1948, Paris, Spartacus.

Jaurès, Jean [1904a], Histoire socialiste, Tome IV : La Convention II, 1793-1794 (9 Thermidor), Paris, Jules Rouff.

Jaurès, Jean [1904b], Discours parlementaires, Tome 1, Paris, Édouard Cornély et Cie Éditeurs.

Jaurès, Jean [1910], LArmée nouvelle, Paris, Éditions sociales, 1978.

41

Lallement, Michel [2009], Le travail de lutopie. Godin et le familistère de Guise, Paris, Les Belles Lettres.

Mélo, Alain [2012], « Quelle histoire pour nos coopératives ? Lexemple des coopératives de Savoie », Revue internationale de léconomie sociale – Recma, No 325, Juillet, p. 94-102.

Pech, Rémy & Cazals, Rémy (dir.) [2009], Jaurès, lintégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche, Toulouse, Éditions Privat.

Postel, Nicolas & Sobel, Richard (dir.) [2013], Dictionnaire critique de la RSE, Villeneuve dAscq, Presses du Septentrion.

Rebérioux, Madeleine [1994], Jaurès, la parole et lacte, Paris, Gallimard.

Seeberger, Loïc [2012], Essai sur le droit coopératif français de ses origines à la Ve république : entre pratique et normes juridiques, Mémoire de Master 2, Histoire du Droit, Montpellier 1.

Segrestin, Blanche & Hatchuel, Armand [2009], « Lentreprise, une invention moderne en attente de droit ? », Entreprises et histoire, Vol. 4, No 57, p. 218-233.

Segrestin, Blanche & Hatchuel, Armand [2012], Refonder lentreprise, Paris, Éditions du Seuil.

Segrestin, Blanche, Levillain, Kevin, Vernac, Stéphane & Hatchuel, Armand [2015], La « société à Objet Social Étendu », Paris, Presses des Mines.

Trempé, Rolande [1965], « Jaurès et la verrerie ouvrière », in Jaurès et la Nation, Actes du colloque faculté des lettres de Toulouse, Tome 1, p. 199-218.

Trempé, Rolande [1971], Les mineurs de Carmaux 1848-1914, Vol. 2, Paris, Éditions ouvrières.

1 Il ne sagira pas ici de revenir sur le cheminement de Jaurès vers la coopérative. Sur le sujet, lire Gaumont (1959) ou Gueslin (1998). Gueslin (1998) considère que trois évènements ont joué un rôle central dans la conversion de Jaurès à la coopérative : la création de la verrerie à Albi, linauguration de la Maison du peuple à Bruxelles et la création de la Boulangerie socialiste de Mauss.

2 Comme la souligné un des rapporteurs une des expériences les plus emblématiques dans cette lignée est celle dans la deuxième moitié du xixe siècle du Familistère de Guise fondé sous limpulsion de lindustriel socialiste Jean-Baptiste André Godin (Lallement, 2009 ; Dos Santos, 2016). Influencé par le modèle du Phalanstère de Charles Fourier, le Familistère sinscrit dans un projet de « cité » dans la cité avec son usine, son théâtre, son palais social, sa nourricerie… Vu comme un modèle social, il nous semble que le Familistère ne sinscrit pas en tant que tel dans les réflexions sur les coopératives de production portées par le mouvement ouvrier. Si Jean-Baptiste André Godin avait des liens avec le mouvement coopératif en France et à linternational, ce lien sest progressivement estompé après sa mort en 1888. Pendant le xxe siècle, le Familistère de Guise na pas été considéré comme une « vraie » coopérative de production ou comme appartenant à ce mouvement, et ce nest que récemment que lhéritage du Familistère de Guise a fait lobjet dune réappropriation dans le mouvement coopératif et léconomie sociale et solidaire (Draperi, 2008).

3 Lors de la première session tenue à Paris en 1876, le Congrès ouvrier socialiste avait une position plutôt favorable à légard des coopératives y voyant un moyen démancipation immédiate (Espagne, 1996).

4 Trois congrès ouvriers (Paris en 1876, Lyon en 1878, Marseille en 1879) se sont tenus après la naissance de la IIIe République. Ils ont notamment eu comme ambition de définir le mode demploi des trois instruments daction socialiste : lassociation coopérative (et mutualiste), le syndicat, le parti.

5 Comme le rappelle Gaumont (1959), Malon avant son exil après la Commune avait fondé en 1866 lune des premières coopératives de consommation et avait signé avec Tolain et Varlin un mémoire doctrinal coopératif au premier Congrès international de Genève.

6 J. Guesde est très critique sur les coopératives de consommation : « les guesdistes soutiendront alors quen provoquant une diminution du coût de la vie, la coopération de consommation risquait de provoquer une baisse des salaires, les deux étant directement liés » (Gueslin, 1998, p. 285).

7 Jean Allemane est typographe au sein limprimerie du journal Lintransigeant, communard, il quitte le Parti ouvrier fondé par Jules Guesde, pour créer le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR). Il est partisan de la grève générale comme moyen daction révolutionnaire.

8 Expression reprise de M.-F. Brive (1981).

9 Pour une histoire plus détaillée de Carmaux et des tensions qui y règnent dans les années qui précèdent le conflit à la verrerie en 1895, voir Trempé (1971) et Brive (1993).

10 Loi du 27 décembre 1892 sur la conciliation et larbitrage facultatif en matière de différends collectifs entre patrons et ouvriers ou employés. Cette loi cherche à mettre sur pied des procédures de règlement pacifique des conflits collectifs du travail.

11 Jaurès, « Beaux salaires », 21 août 1895, La Dépêche, cité par Brive (1993, p. 19).

12 Le projet de création dune coopérative verrière est suggéré dès le début du conflit, mais napparaît pas tout de suite comme une solution collectivement portée (Brive, 1993).

13 « Ce nest pas seulement par la force des choses que saccomplira la révolution sociale ; cest par la force des hommes, par lénergie des consciences et des volontés », Jaurès, cité par Busieau (1980, p. 83).

14 Société prônée par de nombreux auteurs partisans de lassociation comme Eugène Fournière, contemporain de Jaurès, pour plus de détails voir Fretel (2008).