Aller au contenu

Classiques Garnier

Le mode de production asiatique et la Chine Retour sur la pertinence d’un concept biaisé

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2018 – 2, n° 6
    . varia
  • Auteur : Gaulard (Mylène)
  • Résumé : Avancé en 1859 par Karl Marx pour caractériser l’Inde, le concept de mode de production asiatique fut élargi pour expliquer la stagnation de toute l’Asie au xixe siècle. Critiqué sévèrement au xxe siècle pour des raisons politiques, sa pertinence économique fut peu questionnée. Or, dans le cas de la Chine, le blocage de la croissance provoqué régulièrement par l’action des collectivités locales pourrait réhabiliter en partie l’analyse de Marx.
  • Pages : 39 à 64
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406087595
  • ISBN : 978-2-406-08759-5
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08759-5.p.0039
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 05/12/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Chine, despotisme oriental, état stationnaire, croissance économique, collectivités locales
39
LE MODE DE PRODUCTION ASIATIQUE
ET LA CHINE

Retour sur la pertinence d'un concept biaisé




Mylène GAULARD
Université Grenoble Alpes


«Modèle chinois », «consensus de Pékin », «capitalisme (voire socialisme...) avec caractéristiques chinoises », «voie chinoise », «capi- talisme confucéen », etc. Les expressions ne manquent pas pour désigner dernièrement les particularités de l'économie chinoise. Opposés à toute tentative de réutiliser les anciens termes, considérés comme simplistes et désuets, de «despotisme oriental », de «mode de production asia- tique » ou de «société confucéenne », les économistes contemporains se concentrent surtout sur les ressorts de la croissance observée en Chine depuis la fin de la décennie 1970. Au mieux, la réussite actuelle est perçue comme le prolongement des réformes adoptées dès la révolution de 1949 (Aglietta &Bai, 2012), mais force est de constater que plus de deux mille ans d'histoire paraissent aux yeux des observateurs occi- dentaux avoir relativement peu influencé l'économie chinoise actuelle. L'ensemble des relations politiques, économiques et sociales ne serait que le fruit de trente-huit ans, voire de soixante-sept ans, d'évolution liée aux grands moments du Parti communiste chinois. Toute l'histoire de la Chine, de l'âge «féodal » précédant le troisième siècle avant Jésus-Christ jusqû au Gouvernement autoritaire de Tchang Kaï-chek durant l'entre-deux-guerres, des dynasties impériales installées depuis 221 avant Jésus-Christ aux premiers pas de la République guidés par Sun Yat-sen en 1912, toutes les structures et analyses intellectuelles
40
développées durant des âges de stabilité politique beaucoup plus longs que ceux connus par l'Occident, s'évanouissent au sein d'une discipline parfois devenue des plus simplificatrices.
Le concept de «mode de production asiatique » (MPA), avancé il y a maintenant plus de cent-cinquante ans par Karl Marx afin d'établir les raisons historiques du «retard » économique de l'Asie, sera ici mobilisé afin de mieux saisir l'interpénétration des relations politiques, économiques et sociales qui constituent le modèle chinois. Un mode de production au sens marxiste du terme renvoie à une combinaison spécifique entre forces productives et rapports de production : il désigne tout un ensemble de mécanismes et structures économiques, « la fon- dation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de conscience sociale » (Marx, 1959, p. 273), cette infrastructure influant sur l'évolution de la supers- tructure. I:intérêt d'un tel concept est d'appréhender l'influence des pratiques étatiques sur le développement d'une économie spécifique, et ce alors même qu'une approche caricaturale de l'analyse marxiste, déjà dénoncée par Engelsl, se satisfait régulièrement d'un rapport unilatéral entre infrastructure et superstructure, seule la première ayant le pouvoir de déterminer les fondements de la seconde. Il ne s'agira pourtant pas de reprendre naïvement l'oeuvre de Marx, et de s'y accrocher ainsi que cela a pu trop souvent se produire ces dernières décennies, mais plutôt de partir d'intuitions sur lesquelles l'intellectuel allemand s'est au final très peu attardé.
Que subsiste-t-il de l'hypothèse d'un mode de production asiatique dont les «conditions communautaires de l'appropriation réelle par le travail, aqueducs, moyens de communication etc., apparaissent comme l'aeuvre de l'unité supérieure, le gouvernement despotique, planant
1 «La situation économique est la base, mais les divers éléments de la superstructure —les
formes politiques de la lutte de classes et ses résultats, —les Constirutions établies une fois la bataille gagnée par la classe victorieuse, etc., —les formes juridiques, et même les reflets de toutes ces luttes réelles dans le cerveau des participants, théories politiques, juridiques, philosophiques, conceptions religieuses et leur développement ultérieur en systèmes dogmatiques, exercent également leur action sur le cours des luttes historiques et, dans beaucoup de cas, en déterminent de façon prépondérante la forme. Il y a action et réaction de tous ces facteurs au sein desquels le mouvement économique finit par se frayer son chemin comme une nécessité à travers la foule infinie de hasards» (Friedrich Engels, Lettre à Ja.reph Bloch, 21-22 septembre 1890)
41
au-dessus des petites communes » (Marx, 1857-1858a, 315) ?Après un retour sur son émergence dans l'oeuvre de Marx (I.), puis sa disparition lente et progressive des années 1930 à la décennie 1960, les principales lacunes, contresens et erreurs présents dans les travaux ultérieurs sur le MPA seront ici mis en évidence. Alors que le biais politique de ce concept, créé dans le contexte de la première révolution industrielle en Europe occidentale, fut violemment dénoncé dans le but de relativiser les différences culturelles et politiques entre ces deux parties du monde (II.), sa faiblesse sur le plan économique est généralement mal évaluée. Le rôle des pouvoirs locaux, bien plus important que celui de l'État cen- tral, est ainsi généralement ignoré, aussi bien dans la stimulation de la croissance permise par ces acteurs, de la Chine impériale à aujourd'hui, que dans leur responsabilité quant à l'apparition d'un état stationnaire, unique phénomène qu'il serait possible de conserver des préoccupations autour de la question du mode de production asiatique (III.).


I. UNE VOLONTÉ ORIGINELLE D'EXPLIQUER
LE «RETARD »DES SOCIÉTÉS NON OCCIDENTALES


Avant toute présentation du mode de production asiatique et des critiques qui lui ont été adressées, et pour replacer cette analyse de l'État chinois et de son appréhension par la pensée occidentale dans le cadre de la longue durée, il est essentiel de revenir sur les conditions d'apparition de ce concept. Reprises pax Marx (I.2.), les premières études sur la Chine dénoncèrent rapidement un despotisme oriental responsable du ralentissement de ce pays dans un contexte de révolution industrielle européenne (I.1.). Cette approche fut pourtant critiquée au xxe siècle comme une analyse ethnocentriste incapable de percevoir les points communs entre ces deux parties du monde.
I.1. DES INTELLECTUELS EUROPÉENS DEVENUS RAPIDEMENT HOSTILES AU «DESPOTISME ORIENTAL»
Les premiers contacts européens établis sérieusement avec la Chine remontent à l'installation des Jésuites dans divers pays d'Asie au
42
xvi~ siècle, et leurs analyses furent alors beaucoup moins caricaturales et dénigrantes que celles qui prolifèreront dès le xixe siècle (Cartier, 2015). Avec leur volonté de militer en faveur d'une conversion possible et souhaitable du peuple chinois au catholicisme, et s'identifiant par- tiellement aux mandarins, aux élites cultivées chargées de conseiller l'Empereur, les Jésuites s'empressent de louer, jusqu'à leur expulsion en 1757, les mérites d'un système s'appuyant depuis des siècles sur le recrutement par concours de fonctionnaires au service de l'Empire. Le système impérial est présenté comme un Gouvernement respectant la loi naturelle, profondément impliqué dans l'éducation et le bien-être du peuple chinois, un modèle pour l'Europe.
Les philosophes des Lumières reproduiront dès le xviiie siècle cette analyse, notamment avec les travaux de Voltaire, opposé à la notion de despotisme utilisée par Montesquieu dans De l'Esprit des Lois (1748). Dans son Essai sur les moeurs et l'esprit des Nations (1756), le partisan d'une monarchie éclairée montrait que le mode de gou- vernement chinois était d'autant plus estimable qu'il avait permis d'éviter les querelles religieuses ayant ravagé l'Europe. La présence de conseillers lettrés autour de l'Empereur, assurant un sens de la tolérance et une justice incomparable à ce que connaissaient alors les nations européennes, correspondait au «despotisme éclairé » qu'il appelait alors de ses voeux. Le chef de file des physiocrates, François Quesnay, fut aussi l'auteur en 1767 d'un opuscule, intitulé Le Despotisme de la Chine, visant de même à vanter les mérites de ce modèle politico-économique. Il y effectue la distinction entre les despotes légitimes, qui exercent leur autorité selon des lois fondamen- tales, et les despotes arbitraires. I: Empereur chinois appartiendrait à la première catégorie puisque
la constitution du Gouvernement de la Chine est établie selon le droit naturel d'une manière si irréfragable et si dominante, qu'elle préserve le souverain de faire le mal et lui assure dans son administration légitime le pouvoir suprême de faire le bien ; en sorte que cette autorité est une béatitude pour le prince et une domination adorable pour les sujets (Quesnay, 1767, p. 620).
Cet écrit lui valut d'être surnommé le «Confucius européen» en raison des propos laudateurs tenus envers un pouvoir redonnant toute sa place à l'agriculture et aux paysans.
43
Très rapidement, suite à l'expulsion des Jésuites et au caractère récur- rent des conflits commerciaux causés par la volonté des élites chinoises de contrôler la moindre transaction s'effectuant sur le territoire (Cartier, 2015, p. 87), l'image de la Chine se détériore radicalement parmi les intellectuels européens. Reprenant les travaux d'Aristote, pour qui «les barbares étant par leur caractère naturellement plus serviles que les hellènes, et les peuples d'Asie plus serviles que ceux d'Europe, ils supportent le pouvoir despotique sans aucune gêne » (Aristote, 1971, p. 87), le principal reproche adressé à la Chine reposait alors sur l'aspect autoritaire de son système politique. Selon Montesquieu, les conditions géographiques particulières de la Chine, la présence de vastes plaines dissuadant la formation de tout État similaire à ceux qui étaient connus alors dans une Europe de plus en plus morcelée, rendaient indispensable la présence d'un pouvoir autoritaire, despotique, capable de contrôler aussi bien la population que les grands travaux pouvant alors être requis pour le bon fonctionnement de l'économie. Le despotisme oriental ne s'oppose pas alors à une certaine délégation du pouvoir puisque «l'État despotique se conserve par une autre sorte de séparation, qui se fait en mettant les provinces éloignées entre les mains d'un prince qui en soit feudataire » (Montesquieu, 1748, p. 159-167). Néanmoins, ne présentant pas la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu, la Chine est rejetée dans le camp des barbares auxquels est étrangère toute liberté politique.
Plus importante encore pour notre sujet, l'autre critique développée au xlxe siècle porte sur le caractère stationnaire de la Chine sur le plan économique, sur son incapacité à initier une croissance économique durable et révolutionnaire sur le plan de l'évolution des rapports de pro- duction. Adam Smith fut le premier à utiliser ce terme lorsqu'il déclara que « la Chine a été, pendant une longue période, un des plus riches pays du monde, c'est-à-dire un des plus fertiles, des mieux cultivés, des plus industrieux et des plus peuples ; mais ce pays paraît être, depuis longtemps, dans un état stationnaire » (Smith, 1776, vol. I, p. 142). Dans ses Principes de la philosophie du droit (1820), Hegel aborde aussi la question politique d'un «Empire immobile» dont le destin se devait d'être porté par les occidentaux. Étrangère à toute idée de progrès, la société chinoise serait dans l'incapacité d'instaurer les mécanismes dont fut issu le capitalisme européen.
44
I.2. UN CONCEPT ÉLABORÉ
AVANT D'ÊTRE MIS DE CÔTÉ PAR KARL MARX
S'appuyant surtout sur les écrits de François Bernier (1620-1688) et ceux de l'économiste Richard Jones (1790-1855), Karl Marx considérait notamment que l'absence de propriété privée entravait toute possibilité de développement commercial et industriel. Apparue en 1859 dans l'Avant propos de la Critique de l'économie politique (Marx, 1959, p. 273), l'expression de «mode de production asiatique » (MPA) illustre la volonté de Marx d'opposer le cheminement des sociétés orientales, notamment celui de l'Inde, à l'orientation capitaliste prise par l'Occident. Alors que les travaux sur le MPA en Chine ont souvent fait appel à l'analyse de Marx, il serait honnête de souligner ici que ce dernier ne cherchait pas tant à désigner la Chine par ce terme que les Indes en proie à la colo- nisation britannique depuis la fin du xvllie siècle (Meisner, 1963). Ses développements sur le mode de production asiatique sont même assez raies, limités surtout à quelques pages des manuscrits de 1858-1859 et à de brèves allusions dans des articles du New York Daily Tribune. Ce terme n'en est pas moins des plus féconds parce que susceptible de générer des analyses économiques intégrant aussi bien des aspects historiques que politiques et culturels (Ege, 1991).
Pour Marx, le caractère stationnaire de cette partie de l'Asie s'explique non seulement par le fait que les ouvrages publics relèvent du Gouvernement central, ce qui empêcherait le libre fonctionne- ment du marché et l'émergence de grandes fortunes issues du secteur privé, mais aussi par un type d'organisation faisant qu'à côté de ce Gouvernement, tout l'Empire, excepté quelques grandes villes, est divisé en villages dotés d'une organisation particulière et constituant chacun un monde à part (Marx, article du New York Daily Tribune daté du 14 juin 1853, in Marx, 1977, p. 40). Pour cela, dès le Manifeste du Parti communiste (1848), la succession des modes de production, antique, féodal et capitaliste, sont exposés alors que Marx et Engels écartent de leur analyse les «sociétés sans histoire », dans lesquelles «la structure des éléments économiques fondamentaux de la société reste hors des atteintes de toutes les tourmentes de la région politique » (Marx, 1867, p. 901). Étudiées plus précisément dans les Grundrisse, les manuscrits de 1858-1859, les formations primitives sont ainsi susceptibles soit de demeurer au stade du mode de production asiatique, soit d'enfanter un
45
mode de production antique, caractéristique de l'Empire romain, lui- même porteur de contradictions internes le menant subrepticement vers le féodalisme puis le capitalisme, reposant l'un sur le servage et l'autre sur le salariat comme rapport de production prédominant. En tant que modèle stationnaire, le mode de production asiatique se situerait en-deçà de ce schéma linéaire, bien que certaines interprétations ultérieures, nous le verrons, se soient efforcées par orthodoxie marxiste de le réintégrer parmi les grands modes de production propres à l'Occident.
t~ la fin de leur vie, Marx et Engels rencontraient de sérieuses difficul- tés pour définir rigoureusement le mode de production asiatique, et des contradictions liées au manque de données émergeaient tout au long de leurs travaux :l'historiographie sur l'Inde, pourtant située au coeur de ce mode de production, commençait ainsi à révéler que les Gouvernements centralisés avaient toujours été des plus rares dans ce pays, de même que les grands travaux d'irrigation ne pouvaient être désignés comme un trait caractéristique de son agriculture (Thorner, 1969). Autre pro- blème majeur, alors que dans la décennie 1850 Marx considérait que l'introduction de la propriété privée était une étape indispensable pour mener vers le socialisme ce mode de production, responsable d'une «vie végétative, stagnante et indigne» (Marx, 1977, p. 42), il écrivait en 1881 que la suppression de la propriété communale du sol était un «acte de vandalisme et de régression pour les pays concernés » (Marx, 1977, p. 356). En conséquence de toutes les difficultés soulevées par l'existence d'un mode de production devenu presque incompréhensible pour les penseurs occidentaux, le mot «oriental » dans la «forme de propriété commune orientale »sera finalement simplement supprimé en 1887 de la première traduction en anglais du Livre I du Capital. Dans L'Origine de la famille, de la propriété et de l'État, publiée en 1889, Engels ne mentionnera même pas l'existence de ce mode de production.
Cela n'empêchera pas Max Weber d'exposer lui aussi, dès 1916, une tentative d'explication similaire du «retard» de la. Chine, de son incapacité à générer un mécanisme de croissance similaire à celui du capitalisme. Alors que le protestantisme encouragerait le profit, l'épargne et l'accumulation du capital, la morale confucéenne, étrangère à toute idée de transcendance, ne verrait pas l'enrichissement individuel comme un signe divin adressé aux élus (Weber, 1916, p. 228). Si Weber insiste sur cette dimension culturelle rendant peu probable l'adoption du capitalisme par la Chine,
46
il n'en oublie pas moins, comme Montesquieu avant lui, de signaler les déterminants géographiques qui rendent indispensable la prise en main du pouvoir par un Gouvernement autoritaire, ennemi de toute liberté économique pourtant indispensable au développement du commerce et de l'industrie. Effectivement, d'après lui, «les investissements de capital dans une entreprise industrielle sont beaucoup trop sensibles aux irratio- nalités de ces formes de Gouvernement et ils dépendent beaucoup trop de la possibilité de compter sur un fonctionnement régulier de l'appareil d'État, à la façon d'une machine, pour pouvoir se constituer sous une administration de type chinois » (Weber, 1916, p. 159). Cette analyse de l'État chinois fut adoptée tout au long du xxe siècle pour dénoncer aussi bien l'incapacité des Chinois à encourager une réelle industrialisation, que leur goût prononcé pour les pouvoirs despotiques, des dynasties impériales à la domination du Parti communiste chinois. Karl Wittfogel (1964) fut l'un des plus fervents défenseurs de cette thèse extrêmement forte et bru- taleselon laquelle le «despotisme industriel » du PCC aurait pris le relais du «despotisme agraire », dépassant même les idiosyncrasies du mode de production asiatique, loin d'une économie dépendant uniquement de son agriculture et des grands travaux hydrauliques (Wittfogel, 1957, p. 570).


II. LES RAISONS POLITIQUES
DU REJET CONTEMPORAIN DE CE CONCEPT


Après toute une période d'engouement pour le MPA, ce concept fut pourtant durement rejeté lors du siècle dernier aussi bien pax les marxistes après un long débat mené dès le début des années 1930 (II.1.) que par de nombreux spécialistes de la Chine et de l'Asie dans son ensemble (II.2.), reprochant à l'analyse marxiste de dissimuler un profond mépris, typiquement occidental, pour cette partie du monde (Ege, 1991).
II.1. LA RÉHABILITATION
D'UN SCHÉMA LINÉAIRE PAR LES MARXISTES
Bien que Lénine ait dénoncé le caractère semi-asiatique de la Russie soviétique, et qu'il se soit interrogé en 1922 sur «ce même appareil
47
de Russie que (...) nous avons emprunté au tsarisme en nous bornant à le badigeonner légèrement d'un vernis soviétique » (Lénine, 1962, p. 619), ce n'est que l'économiste russe Eugène Varga qui remettra temporairement sur le devant de scène, dès 1925,1'expression de mode de production asiatique pour caractériser la nécessité chinoise de réguler les eaux par le biais d'un pouvoir despotique. Il sera suivi en cela très rapidement par Karl Wittfogel qui en 1926 exposait le passage d'une société féodale, sous les Zhou (1045 av. J.-C. à 256 av J.-C.), à un sys- tème bureaucratique implanté par le premier empereur. Dans le cas de la Russie, Plekhanov reprend alors ce concept pour rejeter une possible nationalisation des terres en Russie dont le résultat le plus probable serait selon lui un retour à ce mode de production spécifique aux sociétés orientales (Sawer, 1977, p. 174-178). Il n'en fallut pas plus pour que les autorités soviétiques ne voient dans ce terme un instrument hostile aux politiques menées par elles. Lors de la conférence de Leningrad de 1931, réunissant intellectuels et soviétiques pour débattre de cette question, il fut conclu que l'expression devait être bannie des travaux marxistes. Cette décision s'explique à la fois par des raisons politiques propres à la Russie soviétique, les élites au pouvoir refusant d'être assimilées à une bureaucratie impériale éternelle, mais aussi par les besoins d'établir un schéma de pensée marxiste clair et utile pour l'action politique immé- diate (Sawer, 1977, p. 96).
D'un côté, les sociétés orientales, notamment la Russie et la Chine, cette dernière étant devenue dès 1927 un terrain de lutte entre le Parti communiste chinois et le Guomintang, ne pouvaient être exclues de l'analyse linéaire de Marx sur l'évolution des modes de production et rejetées dans la catégorie dénigrante des peuples sans classes et sans histoireZ. De l'autre, lorsque l'écrivain Guo Moruo plaçait la Chine dans le stade du communisme primitif (Fogel, 1988), ou lorsque la version
2 Comme le prouve sa correspondance avec la populiste tusse Veta Zassoulitch, qui
s'interrogeait sur la possibilité de conserver la commune russe dans le cadre d'une marche vers le socialisme, Marx n'avait pourtant pas pour ambition de présenter des schémas de pensée abstraits applicables à l'ensemble de l'humanité. Il déclarait ainsi que «ce n'est pas assez pour man critique. Il se sent obligé de métamarpharer man esquisse historique de la genèse du capitalisme en Europe occidentale en une théorie histariro philaraphique de la marche générale imposée par le destin à chaque peuple [...J. Mais je lui demande pardon. C'est me faire trop d'honneur et trop de hante» (1877, Sur les sociétés precapitalistes, textes réunis par Godelier, in Marx, 1970, p. 351). Il rejetait également la pertinence d'une généralisation de son analyse du féodalisme et surtout de son application à l'Inde (Hou, 2007).
48
officielle lui préférait celui d'un «féodalisme asiatique » (nouvelle déno- mination utilisée par le diplomate russe Mad'iar après avoir supprimé son chapitre sur le MPA de son Économie de l'agriculture en Chine publiée pour la première fois en 1928), il s'agissait surtout de justifier la tâche des « 28 Bolcheviks » missionnés par Staline pour conseiller Mao à la fin des années 1920 et le dissuader de collaborer avec les paysans les plus fortunés, représentants de la «classe féodale » dominante (Fairbank & Goldman, 2010, p. 439). En 1935, la présence d'un féodalisme chinois qu'il serait nécessaire de dépasser poussera même les directives russes à encourager, quatre ans après l'invasion de la Mandchourie par le Japon, le rapprochement du PCC avec la bourgeoisie chinoise, représentée par le Guomintang, alors même que la Commune de Shanghai avait déjà rompu précédemment cette même alliance. Pour toutes ces raisons politiques et pragmatiques, le mode de production asiatique disparut de la littérature marxiste dès 1931, et ne ressuscitera qu'en 1964, encore une fois sous la plume de Varga dont l'objectif était désormais de souli- gner les spécificités d'une Chine récalcitrante à la poursuite d'une voie soviétique (Sauver, 1977, p. 193).
La volonté d'intégrer le MPA dans un schéma linéaire caractéris- tique de la pensée marxiste orthodoxe ôte finalement toute spécificité à l'évolution historique de la Chine. Les historiens chinois refusent pourtant aujourd'hui dans leur grande majorité l'application du terme «féodal » (Fairbank &Goldman, 2010, p. 159) à toute autre période que celle précédant le premier Empereur, parvenu au pouvoir en 221 avant Jésus-Christ. Michel Aglietta et Guo Bai (2012, p. 23) distin- guaient ainsi encore récemment le système féodal chinois de la période impériale qui suivit. La traduction chinoise pour «féodal », fengjian, ne peut en effet servir à désigner la société impériale au sein de laquelle l'Empereur gouvernait l'ensemble du territoire à l'aide d'une élite de fonctionnaires lettrés et d'une seule et unique législation. Surtout, la terre n'était alors pas considérée comme un bien inaliénable, et les paysans chinois, contrairement à leurs homologues européens, étaient libres de la quitter quand ils le souhaitaient (Hou, 2007).
3 Observons cependant qu'une analyse plus fine révèle des différences frappantes entre la
période caractérisée comme fengjian et le féodalisme européen. Sous les rois Zhou, il existe effectivement un système de fiefs offerts aux membres de la famille royale, mais ces derniers demeurent sous la domination directe du roi et de lois uniformes sur l'ensemble du territoire (Hou, 2007).
49
En 1964, la même année durant laquelle Varga remit d'actualité l'expression de mode de production asiatique pour différencier la Chine de la Russie soviétique, plusieurs colloques tenus en France et en Russie relancèrent donc la discussion autour de ce terme. Mais plutôt que de revenir sur les spécificités orientales risquant de perturber un marxisme orthodoxe obnubilé pax l'application universelle des modes de production traditionnels de Marx et de leur succession, simple et systématique, les chercheurs français Maurice Godelier, Jean Suret-Canale et Jean Chesneaux trouvèrent particulièrement pertinent d'étendre ce concept à toutes les sociétés non occidentales, situées aussi bien en Asie qû en Amérique latine ou en Afrique, et à élargir sa définition au-delà de la simple réalisation de grands travaux hydrauliques menés par un pouvoir despotique. Purifié de toutes ses scories initiales, le MPA ne désignait alors plus que
l'existence combinée de communautés primitives où règne la possession commune du sol et organisées, partiellement encore, sur la base des rapports de parenté, et d'un pouvoir d'État qui exprime l'unité réelle ou imaginaire de ces communautés, contrôle l'usage des ressources économiques essentielles et s'approprie directement une partie du travail et de la production des communautés qu'il domine (Godelier, 1969, p. 49),
un mode de production transitoire entre une société sans classe et une société de classes, entre une forme de communisme primitif et le mode de production antique (Tokei, 1966).
Outre le fait qu'il ne désignait donc plus rien de particulier (Coquery- Vidrovitch, 1980), le MPA est ici placé sur un lit de Procuste particu- lièrement incommodant qui le mène vers une suppression de tous les éléments de réflexion utiles pour appréhender la Chine et l'Asie dans toute leur complexité, sous un angle économique, historique et politique. La volonté de gommer toutes les différences parmi les sociétés non occi- dentales révèle aussi surtout une vision occidentalo-centrée de la pensée marxiste orthodoxe, ce qui conduira dès les années 1970 à la naissance d'une autre forme de pensée extrême, cherchant à «déconstruire »toutes les singularités des sociétés orientales.
II.2. LE REFUS ACTUEL DES EXPLICATIONS CULTURALISTES
Il est effectivement aujourd'hui d'usage dans la pensée occidentale, après avoir rejeté dans les limbes de l'histoire l'expression de mode de
50
production asiatique, de nier de manière quasi-absolue l'existence de spécificités chinoises. à la suite des travaux de l'universitaire américano- palestinien Edward Saïd (1978), remettant en cause un «orientalisme» adopté depuis deux mille ans pour dénigrer le Moyen-Orient, la moindre particularité asiatique est soupçonnée d'être une pure création de l'esprit dont l'objectif serait de créer un fossé entre deux civilisations imagi- naires et imaginées (Sunar, 2014). Sur la Chine plus spécifiquement, l'historien Arif Dirlik (1995), spécialiste de l'historiographie marxiste, analyse même le retour d'un discours confucéen chez les élites comme un mythe destiné à réinventer un lien social en voie de désintégration. Il est pourtant peu raisonnable, sous prétexte que l'argument culturaliste sert d'outil politique à des dirigeants peu au fait de leur histoire natio- nale, ou plutôt peu scrupuleux, de rejeter toute tentative d'exprimer la singularité politique et culturelle chinoise.
De même, lorsque Jean-François Billeter (2006) s'oppose au phi- losophe François Jullien, et l'accuse de reconstituer artificiellement une identité confucéenne chinoise, uniquement favorable au maintien de la domination des classes dominantes, il demeure dans la même forme d'ethnocentrisme que les pourfendeurs du mode de production asiatique. t~ tel point qu'il est reproché à François Jullien de refuser d'identifier des éléments d'universalisme dans les droits de l'Homme et plus généralement dans la philosophie des Lumières vers laquelle le peuple chinois devrait naturellement et de lui-même se projeter. Un mépris flagrant pour ce que Billeter nomme la «civilisation chinoise », «intimement liée au despotisme impérial » (Billeter, 2006, p. 84), se dégage lorsque celui-ci lui oppose une Europe parvenue à échapper grâce à la raison aux forces obscures du despotisme pour se réfugier dans les bras d'une démocratie bienveillante dont les fondements et la logique seraient d'une portée universelle :pour lui, «ce ne sont pas "la Chine" et "l'Europe" qui sont en cause, mais, d'un côté, le despotisme impérial et la culture qu'il a secrétée, de l'autre le principe démocratique et le refus de la tyrannie qui courent à travers l'histoire de l'Europe» (Billeter, 2006, p. 69).
Raisonnement très répandu dans la philosophie contemporaine, adver- saire de toute détermination culturelle qui ne pourrait être déconstruite, on retrouve depuis peu des tendances similaires dans l'historiographie. Pour Kenneth Pomeranz (2001), la grande divergence entre la Chine et
51
l'Europe ne remonterait qû au xvIIie siècle, certaines contingences histo- riques, telle la présence de mines de charbon en Angleterre pour fournir une source d'énergie indispensable à l'épanouissement de l'industrie ou de colonies pourvoyeuses de matières premières, ayant conduit l'Angleterre à expérimenter une révolution industrielle avant le reste du monde. Déclencheur d'une vive polémique entre Pomeranz et Philip Huang (2002), cette thèse écarte l'hypothèse que l'évolution politique et culturelle de ces deux espaces fournit bien des éléments d'explication à ces «contingences ». Lorsque Pomeranz (2001) rapproche pax exemple la maîtrise de la fécondité, liée à la transition démographique et observée dans les débuts de la révolution industrielle européenne au faible taux de natalité chinois de la même époque, Huang n'hésite pas à lui rétor- quer que la baisse de la productivité agricole, les pénuries alimentaires observées alors, marquent plutôt une spécificité chinoise responsable de son «involution » et de ce changement démographique, alors même que l'Angleterre connaissait alors une augmentation de cette même productivité qui accompagnait un changement des moeurs à l'origine de la baisse de la fécondité de l'époque.
De plus, comme le reconnaît Pomeranz (2002), seul le manque de développement d'un réseau de transport nécessaire à l'acheminement du charbon des mines de Pingxiang, les plus proches du delta du Yangzi, la région la plus industrialisée de Chine au xvllie siècle, explique au final la différence d'opportunité offerte par cette source d'énergie aux deux pays. L'auteur de The Great Divergence refuse pourtant de s'aventurer sur un niveau de raisonnement qui le conduirait à relever des spécificités culturelles et sociales responsables d'un manque de volonté chinois d'accroître le réseau de transport national. Lacune similaire lorsqu'il s'agit de présenter l'atout que représentaient les colonies britanniques pour l'approvisionnement en matières premières du royaume. L'interdiction faite en 1479 aux navires chinois de parcourir les mers est présentée comme une simple contingence historique, fruit du hasard déconnecté d'une nécessité absolue pour les dirigeants chinois d'empêcher toute émergence d'une force économique et politique concurrente et/ou, pour reprendre le schéma webérien, d'un «état d'esprit» étranger au lancement d'expéditions maritimes motivées par le profit.
Soucieux de rejeter l'idée même d'une culture particulière favorable au respect de l'autorité qui légitimerait les pouvoirs en place, tous ces
52
auteurs poussent le raisonnement jusqu'à nier l'existence de valeurs et d'institutions nées d'une civilisation s'étendant sur plusieurs millénaires. Ces développements rejoignent les conclusions d'un marxisme orthodoxe contestant la présence d'un mode de production chinois situé en dehors du schéma classique exposé par Marx pour l'Europe de l'Ouest. Mais si l'approche culturaliste de «spécificités chinoises », issues d'une histoire et culture des plus prolifiques, est actuellement presque exclue des études économiques occidentales sur la Chine contemporaine, on ne peut s'empêcher de relever des récurrences frappantes dans l'histoire chinoise, inséparables de la civilisation de ce pays et susceptibles de redonner une certaine pertinence au concept de mode de production asiatique.


III. DES ARGUMENTS ÉCONOMIQUES BIEN PLUS PERTINENTS
POUR RELATIVISER LA PORTÉE DE CE CONCEPT


Alors que le rejet d'un mode de production asiatique spécifique aux sociétés orientales a généralement mené pour des raisons politiques au refus de distinguer des singularités dans l'économie chinoise, il est d'usage en économie de retomber dans l'aporie principale du mode de production asiatique, et d'insister sur la présence en Chine d'un pouvoir central fort, ignorant par là même l'action de contre-pouvoirs locaux essentiels pour le développement du marché et plus largement pour le bon déroulement du processus d'accumulation (III.1.). Cette spécificité, ignorée par les économistes depuis des décennies, pourrait d'ailleurs aussi expliquer les difficultés récurrentes de la croissance chinoise que Marx avait pourtant déjà commencé à percevoir (III.2.).
III.1. UNE DÉCENTRALISATION TYPIQUEMENT CHINOISE
FAVORABLE AU MARCHÉ

Les modes de pensée binaires occidentaux achoppent à subsumer toute la complexité d'une économie chinoise qui se refuse à être inté- grée dans le cadre théorique keynésien, avec un rôle primordial accordé à l'État pour échapper au piège d'une croissance déséquilibrée, mais qui ne peut non plus être catégorisée comme l'exemple parfait d'une
53
économie de marché respectueuse de la propriété privée. L'élément clé de la société chinoise, oublié aussi bien par les études menées sur les écueils du mode de production asiatique ou au contraire sur le triomphe du «Consensus de Pékin » (Ramo, 2004), que par celles qui ne jurent que pax la supériorité de l'économie de marché, repose incontestablement sur la présence d'autorités locales qui se sont toujours efforcées depuis la dynastie des Song (960-1279), de servir d'intermédiaires entre l'État et le secteur privé, aux côtés d'une sphère communautaire (gongshi) située entre la famille et l'État (Bergère, 1998). Michel Aglietta et Guo Bai (2012, p. 43) observaient dans ce sens que dans la Chine impériale,
la forte concentration du pouvoir a conduit, paradoxalement, à un schéma décentralisé de comportement dans les rapports entre fonctionnaires cen- traux et notables locaux (...). Tant que les fonctionnaires locaux se mon- traient coopératifs, les organes de censure fermaient les yeux sur la multitude d'interprétations locales d'une même mesure.
Il n'en reste pas moins que cet aspect est souligné uniquement pour l'ère impériale, et non pour les décennies qui suivront la chute de l'empire ou l'époque actuelle. De son côté, Giovanni Arrighi (2007) va même jusqu'à concevoir l'évolution économique actuelle de la Chine comme le prolongement de la «voie naturelle de développement» évoquée par Adam Smith, avec des capitalistes incapables d'obtenir le soutien d'un État fort contrôlant l'intégrité de son territoire.
Lorsqu'on se penche sur le cas de l'un des principaux moteurs de la croissance économique des années 1980, les entreprises de bourg et de village, il n'est pourtant pas correct de les assimiler, comme Arrighi, à des entreprises publiques alors même qu'il s'agissait le plus souvent d'entreprises rurales privées soutenues par des fonctionnaires locaux (Huang, 2008). Mais cela témoignerait d'un manque de rigueur certain que de considérer à l'inverse que leur développement est intégralement lié au libre jeu des forces du marché. La nécessité d'un appui des collec- tivités poussa ainsi de nombreux entrepreneurs lors des premiers pas de la libéralisation à «porter la casquette rouge », tandis que les entreprises privées, assumées comme telles, continuaient dans le même temps à nouer des liens avec les autorités, justifiant la notion d'«État corporatiste local » de Jean Oi (1995). Ce fonctionnement particulier de l'économie chinoise ne signifie évidemment pas une transparence intégrale dans les
54
mécanismes de maxché, cax « la tradition en Chine n'est pas de concevoir une meilleure souricière, mais de s'emparer du monopole de la souris » (Fairbank &Goldman, 2010, p. 270). Manifestation de ces liens forts entretenus entre le secteur privé et les fonctionnaires locaux, le guanxi, relations interpersonnelles de réciprocité perçues comme de la corruption en Occident (Rocca, 1996), aide pourtant depuis toujours à fluidifier les mécanismes économiques. à l'origine de tout un réseau de services, de liens et d'obligations qui structurent la société chinoise depuis des siècles (Fei, 1992), et qui facilitent les démarches administratives, les recrutements, les investissements etc., cette institution typiquement chinoise (Hsu, 2005) se renforce lors des phases de décentralisation, de vive accumulation du capital et de croissance économique.
Il est incontestable que la succession de phases de centralisation et de décentralisation du pouvoir rythme l'histoire chinoise depuis l'âge «féodal »des Zhou, avec des collaborations plus ou moins solides entre les élites locales, les artisans, les commerçants et tout un secteur privé, systématiquement remises en question lors de la reprise en main du pouvoir par le Gouvernement central (Souyri, 1982). Le basculement récurrent du pouvoir vers les collectivités, d'un pouvoir bureaucratique centralisé (junxian) vers un pouvoir «féodal » décentralisé (fengjian), est pour cette raison responsable d'un dynamisme aussi éloigné des descriptions dénigrantes produites par les observateurs occidentaux au xixe siècle que des louanges de l'État chinois de ces dernières années. Dès les dernières décennies de la dynastie Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.) puis de celle de Tang (618-907), le gouvernement impérial perdit ainsi le contrôle des marchés et des monopoles au profit des bureaucrates locaux et des familles de marchands (Fairbank &Goldman, 2010, p. 102, 134), ces deux classes sociales étant intimement liées de par la présence de lettrés chez les marchands qui n'hésitaient pas à se désigner eux-mêmes comme «confucéens» (rushang) sous les Ming (1368-1644) et les Qing (1644-1911). Pierre-Étienne Will (1994) remarque dans ce sens que sous l'empire des Qing, avant la «Grande divergence» examinée par Pomeranz, seules des initiatives locales lancées par les collectivités ou la «gentry » non directement intégrée dans le corps des fonctionnaires, tampons entre le peuple et les autorités officielles (Fairbank et Goldman, 2010, p. 162), furent réellement à l'origine d'une certaine floraison de la sériciculture et de l'industrie textile (Will, 1994, p. 901).
55
De même, les travaux de Marie-Claire Bergère (1981) révèlent que l'affaiblissement du Gouvernement central dès la première moitié du xlxe siècle, causé par les difficultés économiques et le ralentissement démographique, s'accompagna d'une autonomie croissante des pouvoirs provinciaux jusqu'à la Révolution de 1911 et d'un vif essor des guildes de marchands, dont le nombre passa de 23 à 837 entre 1800 et 1875 dans la seule ville de Pékin (Fairbank &Goldman, 2010, p. 242) : la gentry fut alors libre d'agir à sa guise sur les territoires contrôlés, allant même jusqu'à prendre la responsabilité des grands travaux (Fairbank & Goldman, 2010, p. 352). Conscient de la liberté alors laissée aux marchands, et opposé à l'hypothèse d'un étouffement permanent du secteur privé par l'administration chinoise, Fairbank résume ainsi la fin de la dynastie Qing : «les fonctionnaires supervisent, les marchands gèrent» (Fairbank &Goldman, 2010, p. 586), système qui sera retrouvé lors de la période des seigneurs de la guerre (1916-1927) :bien que cette période soit souvent victime d'un certain dédain des historiens, une ville comme Shanghai y connut un doublement de sa population (passée de 1,3 millions d'habitants en 1910 à 2,6 millions en 1927), et la reprise en main du pouvoir par le Kuomintang en 1927 signa le début d'une dangereuse stagnation (Fairbank &Goldman, 2010, p. 395).
III.2. UNE NOUVELLE MARCHE
VERS UN ÉTAT STATIONNAIRE ?

La décentralisation du pouvoir effectuée dès le début de la décennie 1980, avec l'attribution de compétences supérieures aux collectivités (quanlixiafang), provinces, municipalités, préfectures, comtés, villes et villages, marque à nouveau les prémices d'une stimulation régionale de la croissance, bien que celle-ci ne soit pas sans contreparties. Par exemple, alors que l'intégration de la Chine à l'OMC remonte à plus de quinze ans maintenant, le protectionnisme local maintenu par les collectivités se comprend généralement comme un élément irrationnel, incompréhensible, de la structure socio-économique chinoise, responsable de dangereux phénomènes de surproduction dans de nombreux secteurs comme l'automobile, la sidérurgie, les panneaux solaires etc. (Haley, 2013). Sous la protection des élites locales, deux cents producteurs auto- mobiles ne produisant que quelques milliers de véhicules par an, ainsi que 8 000 entreprises de ciment (contre seulement 110 aux États-Unis),
56
ont par exemple pu naître dans les vingt dernières années, ce qui n'est pas sans rappeler le manque de division régionale du travail observée par Pierre-Étienne Will (1994, p. 901) sous la dynastie des Qing. Ce développement autonome des provinces chinoises est pourtant l'un des principaux facteurs explicatifs d'un taux d'investissement record, proche de 50 % du PIB, et d'une croissance tout aussi forte.
Les vertus de la décentralisation n'ont cessé d'être mises en avant à l'échelle internationale depuis les écrits de Charles Tiebout (1956) qui louaient les mérites d'une prise de décision plus proche des populations impliquées. Dans le cas de la Chine, des débats houleux sur cette question ont pourtant opposé des économistes comme Justin Lin (Lin Pliu, 2000) et Heng-Fu Zhou (Jin, Shen &Zhou, 2005). Le premier, fervent défenseur de la délégation de pouvoir mise en place depuis la décennie 1980, assurait, «preuves» économétriques à l'appui, que les collectivités locales avaient été essentielles, du moins jusqu'en 1993, pour la nouvelle stratégie de développement chinoise. Or, la thèse de Zhou révèle que ce n'est pas tant la décentralisation dans son ensemble qui fut bénéfique pour la croissance économique que le transfert des recettes publiques. Mais alors qû en 1993, les collectivités bénéficiaient de 78 %des recettes publiques, cette part n'est plus que de 52 % en 2015 (bien que 80 %des dépenses se trouvent encore sous leur responsabilité...). Dans les conditions actuelles, la décen- tralisation risque donc pour Jin, Shen &Zhou (2012) de s'accompagner d'une exploitation croissante de la population locale, et notamment des paysans, tel que cela s'est toujours produit depuis les dynasties Qin et Han (221 av J.-C. à 220 ap. J.-C.). Lors des dernières décennies de toutes les dynasties, la décentralisation s'est en effet invariablement accompagnée d'un accroissement des impôts locaux le plus souvent responsable de tensions sociales croissantes (Jin, Shen &Zhou, 2012) avec l'adage désor- mais devenu populaire « le centre est notre bienfaiteur (enren), la province fait partie de notre famille, le comté est une bonne personne, la ville une mauvaise personne et le village notre ennemi ». Le nombre d'incidents de masse répertoriés pax les autorités, causés non seulement pax le poids de la fiscalité mais aussi et surtout pax des expropriations abusives permettant aux collectivités de se procurer de nouvelles sources de revenus, est ainsi passé de 87 000 en 1997 à 180 000 en 2010 (Cabestan, 2014, p. 520).
Porteur d'une dynamique et de changements propices à un certain épanouissement industriel, à une collaboration public-privé favorable
57
à la création de richesses, ce passage du pouvoir aux autorités locales soulève donc à son tour toute une série de contradictions responsables de l'état stationnaire dans lequel s'est retrouvée si souvent piégée la Chine. Comme nous l'avons évoqué précédemment, les phénomènes de surproduction se multiplient au niveau national, avec par exemple un taux d'utilisation des capacités de production dans le secteur de l'acier à 66 % en 2014, et une estimation récente du FMI évaluant à 10 % du PIB les sommes « surinvesties » entre 2009 et 2012 (Lee, Syed &Liu, 2012). La situation de gezi weisheng chacun agit consciemment sans égard pour l'intérêt général ») est donc toujours d'actualité bien que les guerres économiques menées entre provinces, marquées surtout par une recrudescence de normes techniques et qualitatives locales (Pontet, 2004), soient un peu moins visibles depuis la décennie 1990.
Les conséquences directes de la décentralisation expliquent donc une grande partie des blocages de l'économie chinoise actuelle, les difficultés financières croissantes des collectivités, des tensions sociales omniprésentes et une incapacité frappante du Gouvernement central à faire respecter ses décisions par les organes infra-nationaux. Une explosion de la dette des collectivités locales est donc inévitable, avec actuellement certaines d'entre elles, situées dans les régions les plus pauvres de l'ouest du pays, endettées à près de 300 % de leurs revenus (Wu, 2014). La multiplication des plateformes de financement local aidant les collectivités à contracter des emprunts en dehors de la surveillance du Gouvernement central, et leur dépendance croissante aux revenus en provenance de la sphère immo- bilière et foncière, actuellement supérieurs à 40 %des recettes recueillies par elles (Gaulard, 2013), rendent la situation profondément instable. Le retour à une plus vaste décentralisation, similaire à celle observée avant 1994, ne serait pourtant pas envisageable pour le Gouvernement central, et ce pour une simple question d'équilibre de son propre budget, du besoin impératif de continuer à bénéficier d'une confiance bienveillante des institutions et investisseurs internationaux, et surtout pour maintenir des dépenses consubstantielles d'un État souhaitant faire de la Chine une pièce maîtresse de la scène internationale : 99 %des dépenses dans la défense nationale, le tiers de son budget total, sont ainsi prises en charge par le Gouvernement central (Wu, 2014, p. 38), de même que le paiement des intérêts de la dette, troisième poste de dépense du gouvernement central derrière la défense et la recherche technologique
58
Conscient des larges prérogatives offertes aux collectivités et de leurs effets néfastes constatés sur une échelle plus globale, le Gouvernement central cherche donc à mieux contrôler des fonctionnaires locaux dont le zèle déployé pour assurer le développement de leur fief met indéniablement en péril l'unité nationale. La création du Censorat sous la dynastie des Tang (618-907), vaste corps de la fonction publique destiné à contrôler les agissements des fonctionnaires locaux, nous prouve que le Parti communiste ne se confronte pas à un problème récent, l'expression de «fonctionnaires corrompus» (tanguan wuli) réapparaissant régulièrement dans la littérature chinoise. Mais la célèbre formule de Tchang Kai-shek résume assez bien le dilemme de la lutte contre la corruption accélérée par le nouveau président Xi Jinping : «si je lutte contre la corruption, c'est la mort du parti, si je ne lutte pas contre la corruption, c'est la perte du pays ». Pour contrer les blocages causés par une autonomie trop forte des collectivités, la «stratégie d'évitement » (huibi zhidu), consistant à ne pas affecter les cadres dans leur région d'origine, est aussi reprise à la politique impériale (Cabestan, 2014, p. 262), et les mutations sont particulièrement encouragées, avec des passages plus fréquents dans la capitale afin de réduire l'attachement d'un fonctionnaire à un terri- toire donné. Malheureusement, l'opportunité d'accéder à des fonctions centrales plus prestigieuses, offerte aux agents capables d'exposer les meilleures performances économiques, encourage les comportements déplorés par le Gouvernement, et l'adage chinois « le centre formule les politiques, l'échelon local formule ses contre-politiques» n'a jamais été autant d'actualité. Nous sommes donc loin du fantasme occidental, particulièrement bien relayé par Giovanni Arrighi (2007), d'un État chinois dirigeant d'une main de fer l'économie nationale et l'orientant vers une direction minutieusement réfléchie par le PCC.


CONCLUSION


Aujourd'hui dénigré par la plupart des économistes, sociologues et historiens, le concept marxiste de «mode de production asiatique », qui insistait sur l'omnipotence d'un État surplombant de petites communautés
59
et expliquait ainsi le caractère inéluctable d'un état stationnaire menaçant les pays concernés, souffrait d'un biais politique certain. Dès son origine, il se situait effectivement dans le prolongement d'études européennes dont l'objectif était de dénigrer l'Asie, sur le plan sociétal aussi bien que gouvernemental. Sévèrement critiqué au xxe siècle, pour cette volonté de distinguer culturellement et politiquement les sociétés orientales dans le contexte de la première révolution industrielle, ce concept présente pourtant ses plus grosses lacunes sur la question économique et son analyse du rôle de l'État.
Si un pouvoir fort n'a jamais caractérisé d'une façon stable et durable la structure socio-économique chinoise, aussi bien dans les trente dernières années que sous l'ère impériale, il n'est pas non plus le principal facteur responsable des blocages ou au contraire des stimulants de la croissance économique de ce pays. Le plus souvent écartés des écrits sur la Chine, lorsqu'ils n'y sont pas trop rapidement évoqués, les pouvoirs locaux constituent, eux, les acteurs incontournables de la civilisation chinoise. Alors que Marx attribuait dans son mode de production asiatique le mérite de la réalisation de grands travaux d'infrastructure àl'État cen- tral, les études d'historiens sur cette question dans le cas de la Chine contredisent nettement cette simplification. Également largement contesté dans le cas de l'Inde (Thorner, 1969), pays pourtant le plus étudié par Marx et pour lequel la notion même de mode de production asiatique fut élaborée, ce pouvoir fort déléguait effectivement ses principales responsabilités àdes autorités locales, en charge par exemple aussi bien de la réalisation et de la maintenance du système d'irrigation national que des premiers établissements industriels fondés sous les Qing (Will, 1994). Il n'en va pas autrement depuis trente ans, avec des collectivités locales qui cherchent à stimuler la création de richesse sur leur zone de contrôle, quels que soient les recommandations et les ordres du centre.
Budget insuffisant, refus de sacrifier le développement local au profit de la croissance nationale, incohérence macroéconomique et incom- patibilité des décisions prises à des niveaux infranationaux, tels sont les principaux écueils d'un «modèle chinois» qui a pu pourtant non seulement assurer le fleurissement de l'une des plus vieilles civilisations au monde, mais aussi favoriser l'émergence de «bourgeons du capita- lisme » au xvIIle siècle ainsi que l'intégration actuelle remarquablement efficace de ce pays dans les rangs des grandes puissances internationales.
60
Le ralentissement récent, provoqué en partie par toutes ces difficultés, constituerait-il le signe précurseur d'un retour à l'état stationnaire ayant longtemps caractérisé la Chine (Gaulard, 2014) ? Sa place dans la pro- duction et les échanges mondiaux, son rôle dans les grandes institutions internationales tout comme la force de frappe financière que lui confère la détention de deux tiers des réserves de change mondiales constituent probablement des atouts opposés à un tel cheminement.
Mais seule une recentralisation des décisions (marquant le passage d'un relâchement administratif (fang) à une reprise en main (chou) d'un pouvoir central renforcé), couplée à un meilleur contrôle des autorités locales, redonnerait une réelle pertinence à la politique économique chinoise. Or, jusqu'à présent, la reprise en main du pouvoir par un État fort, observée lors des premières décennies de quasiment toutes les nou- velles dynasties en Chine, a toujours empiété sur les intérêts du secteur privé et sur la création de richesses. Surtout, cette recentralisation irait à contrecourant des recommandations des institutions internationales prônant une marche inéluctable des sociétés vers plus de démocratie ainsi qu'un rapprochement toujours plus fort des centres de décision des population directement concernées, évolution inenvisageable dans le cas chinois du fait de l'éclatement politico-économique que ce processus engendrerait (Cabestan, 2014, p. 610).
61

BIBLIOGRAPHIE


AGLIETTA, Michel &BAI, Guo [2012], La voie chinoise, Capitalisme et Empire, Paris, Odile Jacob.
ARISTOTE, Politique, Paris, Les Belles Lettres, Tome II, 1971.
ARRIGHI, Giovanni [2007], Adam Smith à Pékin, Paris, Max Milo.
BELL, Daniel [2008], China's New Confucianism, Princeton, Princeton University Press.
BERGÉRE, Marie-Claire [1968], La bourgeoisie chinoise et la révolution de 1911, Paris, Mouton.
BERGÉRE, Marie-Claire [1981], «Aux origines historiques dusous-développement chinois », Revue tiers monde, T. 22, N° 86, p. 467-476.
BERGÉRE, Marie-Claire [1998], Le mandarin et le compradore. Les enjeux de la crise en Asie orientale, Paris, Hachette Littératures.
BERGÉRE, Marie-Claire [2013], Chine : le nouveau capitalisme d'État, Paris, Fayard. BILLETER, Jean-François [2006], Contre François Jullien, Paris, Éditions Allia. CABESTAN, Jean-Pierre [2014], Le système politique chinois, Paris, Les Presses de Sciences Po.
CARTIER, Michel [2015], La Chine et l'Occident, Cinq siècles d'histoire, Paris, Odile Jacob.
COQUERY-VIDROVITCH, Catherine [1980], «Analyse historique et concept de mode de production dans les sociétés précapitalistes », L'Homme et la société, Vol. 55, N° 1, p. 105-133.
DIRLIK, Arif [1995], «Confucius in the Borderlands :Global Capitalism and the Reinvention of Confucianism », Boundary, Vol. 22, N° 3, automne, p. 229-273.
DIRLIK, Arif [2006], «Beijing Consensus :Beijing "Gongshi". Who Recognizes Whom and to What End ? », Position Paper, Globalization and Autonomy Online Compendium, 17 janvier.
EGE, Ragip [1991], «Faut-il revenir sur le concept de mode de production asiatique », Économies et sociétés, Série Histoire de la Pensée économique, PE, N° 15, p. 225-241.
ENGELs Friedrich [1890], «Lettre à Joseph Bloch », in Karl MARX &Friedrich
ENGELs, Études philosophiques, Paris, Éditions Sociales, 1974, p. 238. FAIRBANK, JOhri & GOLDMAN, Merle [2010], Histoire de la Chine :des origines
à nos jours, Paris, Tallandier.
FEI, Xiaotong [1992], From the Soil. The Foundation of Chinese Society, Berkeley, University of California Press.
62
FOGEL, Joshua A. [1988], «The Debates over the Asiatic Mode of Production in Soviet Russia, China, Japon », The American Historical Review, Vol. 93, N° 1, février, p. 56-79.
GAULARD, Mylène [2013], «Changes in the Chinese Property Market : An Indicator of the Difficulties Faced by Local Authorities », China Perspectives, N° 2.
GAULARD, Mylène [2014], Karl Marx à Pékin :Les racines de la crise en Chine capitaliste, Paris, Demopolis.
GODELIER, Maurice [1969], «La notion de mode de production asiatique et les schémas marxistes d'évolution des sociétés », in Centre d'Études et de Recherches Marxistes, Sur le mode de production asiatique, Paris, Éditions Sociales, p. 47-101.
HALEY, Usha &HALEY, George [2013], Subsidies to Chinese Industry, Oxford, Oxford University Press.
HASMATH, Reza [2014], «White Cat, Black Cat or Good Cat :The Beijing Consensus as an Alternative Philosophy for Policy Deliberation ? The Case of China », Barnett Papers in Social research, Oxford, Working Paper, 14-02, novembre.
REGEL, Georg W. F. [1820], Principes de la philosophie du droit, Paris, PUF, 2013. Hou, Jianxin [2007], « A Discussion of the Concept of Feudal », Frontiers of History in China, Vol 1, N° 2, p. 1-24.
Hsu, Carolyn [2005], «Capitalism without Contracts versus Capitalists without
Capitalism », Communist and Post-Communist Studies, N° 38, p. 309-327. HUANG Yasheng [2008], Capitalism With Chinese Characteristics : Entrepreneurship
and the State, Cambridge, Cambridge University Press.
HUANG, Philip [2002], «Development or Involution in Eighteenth Century Britain and China ? », The Journal of Asian Studies, Vol. 61, N° 2, mai, p. 501-538.
JIN, Jing &Zxou, Heng-Fu [2005], «Fiscal Decentralization, Revenue and Expenditure Assignments, and Growth in China », Journal of Asian Economies, N° 16, p. 1047-1064.
JIN, Jing, SHEN, Chunli &Zxou, Heng-Fu [2012], «Fiscal Decentralization and Peasants' Financial Burden in China », Annals of Economics and Finance, Vol. 13, N° 1, p. 53-90.
CEE, Il Houng, SYED, Murtaza &LIu, Xueyan [2012], « Is China Over-Investing and Does It Matter ? », IMF Working Paper, novembre.
LÉNINE, ouvres, Paris et Moscou, Éditions du Progrès, 1962, 36 vol.
LIN, Justin Yifu &LIu, Zhiqiang [2000], «Fiscal Decentralization and Economic Growth in China », Economic Development and Cultural Change, Vol. 49, N° 1, octobre, p. 1-21
63
MARx, Karl [1859], Critique de l'économie politique, Avant-propos, in ouvres Économie 1, Paris, Gallimard, 1965.
MARx, Karl [1857-1858a], Principes d'une critique de l'économie politique, in ouvres Économie 2, Paris, Gallimard, 1968.
MARx, Karl [1857-1858b], Manuscrits de 1857-1858 (Grundrisse, Tome 1), Paris, Éditions Sociales, 1980.
MARx, Karl [1867], Le Capital, Livre I, in ouvres Économie 1, Paris, Gallimard, 1965.
MARx, Karl [1970], Sur les sociétés précapitalistes. Textes choisis de Marx, Engels, Lénine. Préface de Maurice Godelier, Paris, Éditions Sociales.
MARx, Karl [1977], Textes sur le colonialisme, Moscou, Éditions du Progrès. MEISNER, Maurice [1963], «The Despotism of Concepts Wittfogel and
Marx on China », The China Quarterly, N° 16, octobre-décembre, p. 99-111. MONTESQUIEU, Charles Secondat de [1748], De l'esprit des lois, Paris, Éditions
Nourse, 1772.
NEEDHAM, Joseph [1995], Science et civilisation en Chine : une introduction. Traduction de P. Obringer, Arles, Picquier.
OI, Jean [1995], «The Role of the Local State in China's Transitional Economy », The China Quarterly, N° 144, décembre, p. 1132-1149.
POMERANZ, Kenneth [2001], The Great Divergence, Princeton, Princeton University Press.
POMERANZ, Kenneth [2002], «Beyond the East West Binary : Resituating Development Paths in the Eighteenth Century World », The Journal of Arian Studies, Vol. 61, N° 2, mai, p. 359-390
PONCET, Sandra [2004], «La fragmentation du marché intérieur chinois », Perspectives chinoises, N° 84, juillet-août, p. 11-20.
QUESNAY, François [1767], Despotisme de la Chine, in ouvres économiques et philosophiques de François Quesnay, fondateur du système physiocratique, Paris, Peelman, 1888, p. 563-660.
RAMO, Joshua Cooper [2004], The Beijing Consensus, Londres, The Foreign Policy Center
ROCCA, Jean-Louis [1996], «La corruption et la communauté. Contre une analyse culturaliste de l'économie chinoise », Revue tiers monde, T. XXXVII, N° 147, juillet septembre, p. 689-702.
SAÏD, Edward [1978], Orientalism, New York, Pantheon Books.
SAWER, Marian [1977], Marxism and the Question of the Asiatic Mode of Production, La Haye, Martinus Nijhoff.
SMITH, Adam, [1776], Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris, Flammarion, 1991, 2 vol.
SOUYRI, Pierre [1982], Révolution et contre-révolution en Chine, Paris, Christian Bourgeois Éditeur.
64
SUNAR, Lütfi [2014], Marx and Weber on Oriental Societies. In the Shadow of Western Modernity, Farnham, Ashgate.
THORNER, David [1969], «Marx et l'Inde : le mode de production asiatique », Annales, économies, sociétés, civilisations, N° 2, p. 337-369.
TIEBOUT, Charles [1956], «A Pure Theory of Local Expenditures », Journal of Political Economy, N° 64, p. 416-424.
TOKEI, Ferenc [1966], Sur le mode de production asiatique, Budapest, Akadémiakiad6. VOLTAIRE, [1756], EssaZ JPtr ZCJ MceurJ et l'esprit des Nations, Paris, Éditions Sociales, 1962.
WEBER, Max [1916], Confucianisme et taoi:rme, Paris, Éditions Gallimard, 1989. WILL, Pierre-Étienne [1994], «Développement quantitatif et développement
qualitatif à la fin de l'époque impériale », Annales, histoire et sciences sociales,
vol. 49, N°4, p. 863-902.
WITTFOGEL, Karl [1957], Le despotisme oriental, Paris, Les Éditions de Minuit, 1964.
Wu, Yanrui [2014], «Local Government Debt and Economic Growth in China », BOFIT Discussion Paper, Bank of Finland, Helsinki, décembre.
Zxu, Xiaodong [2012], « Understanding China's Growth : Past, Present and Future », The Journal of Economic Perspectives, vol. 26, N° 4, automne, p. 123-144.