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Classiques Garnier

Rejeter l’hédonisme économique et croire aux miracles Les positions communes de Keynes et de Arendt

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2017 – 2, n° 4
    . varia
  • Auteur : Pouchol (Marlyse)
  • Résumé : Keynes et Arendt rejettent l’un et l’autre l’hédonisme économique. Ils prennent au sérieux un besoin d’estime de soi que la religion a été pendant un temps en mesure de satisfaire et que la science moderne a ignoré. En dépit de la violence, des drames de l’histoire, ils n’entendent pas abandonner la haute idée de l’humanité qui a surgi dans la Grèce Antique. Ils comptent sur la liberté humaine pour initier un nouveau commencement, décidant de croire en la faculté humaine d’accomplir des miracles.
  • Pages : 123 à 149
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406073550
  • ISBN : 978-2-406-07355-0
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07355-0.p.0123
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/12/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Keynes, Arendt, hédonisme économique, religion et économie, philosophie et économie.
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Rejeter lhédonisme économique
et croire aux miracles

Les positions communes de Keynes et de Arendt

Marlyse Pouchol1

Université de Reims Champagne Ardenne

Clersé-Université de Lille 1

Introduction

Keynes (1883-1946) et Arendt (1906-1975), un économiste anglais et une théoricienne de la politique dorigine allemande, nont a priori rien de commun. Ils partagent pourtant une même façon de penser qui peut être mise en évidence à partir du thème « économie et religion » proposé par ce colloque2. Lun et lautre accordent une importance au phénomène religieux en y voyant la manifestation dune sorte de besoin humain, qui pourrait être désigné, en première approximation, comme un besoin destime de soi ne pouvant pas être évacué sans dommage pour la cohésion dune société ou la préservation de lhumanité. Lun et lautre sont, en conséquence, critiques à légard de la conception 124moderne de lhomme, tel quelle a été présentée par Bentham (1748-1832), qui le réduit à un être économique en quête dun bonheur individuel appréhendé par la somme arithmétique des plaisirs et des peines ressentis dans le privé de son corps. Les sensations personnelles non communicables aux autres sont ainsi le critère du bonheur de lêtre benthamien. En revanche, lestime de soi, qui suppose de se conformer à une idée de ce que lon doit faire, passe par ladhésion à des valeurs morales ou sociales transmises dans des discours ou dans des livres. Sa prise en compte donne de limportance à un genre de dépendance à légard des autres tout à fait différente de celle quintroduit la division du travail dans les échanges ou la production des choses, telle quelle a été sacralisée par la théorie économique. La prise en compte de lestime de soi fait de la communication entre les individus, et donc du langage, un élément essentiel à lexistence dune communauté humaine tandis que lhédonisme économique de Bentham suggère que « le parler ensemble » relève dun total superflu dont il serait tout à fait possible de se passer. Pour la science économique, le « produire ensemble », même sans le savoir et sans le vouloir, par le biais de la division sociale du travail, suffirait à créer un tout social unifié, comme le suggère la théorie smithienne des échanges. Les deux auteurs pensent, au contraire, que lunité nest jamais un fait, mais un objectif vers lequel il faut tendre, que lhumanité nest pas un ensemble donné une fois pour toute mais désigne plutôt une qualité de la relation à lautre qui peut tout à fait disparaître dans les temps sombres, mais aussi renaître si des efforts de conviction sont faits dans ce sens. Tous deux croient au miracle dun nouveau commencement et cette position savère, en définitive, beaucoup plus sensée que celle dune science économique qui simagine quelle dispose de connaissances certaines qui la rendent en mesure de prévoir ce qui va advenir avec un degré de probabilité acceptable.

Keynes et Arendt prennent acte des événements auxquels ils sont confrontés. Tous deux ont tiré les conséquences du bouleversement opéré par lessor du capital financier au cours du xixe siècle en Europe avec le développement des bourses des valeurs. Comme le revenu du capital de prêt relève quasiment dun phénomène dauto-engendrement, notamment par le jeu des intérêts composés, il sétend de façon tout à fait différente de celle du capital productif, de telle sorte que la vieille recommandation du laissez-faire, propre au libéralisme économique, devient, dans ce 125contexte, une exigence de soumission à une logique dexpansion pour lexpansion qui na aucune raison de sarrêter delle-même. Ni lun ni lautre ne considère que, dans ces conditions, les relations économiques puissent être lélément dunification des individus ou des nations ; elles sont, au contraire, une source de division et de conflits, si bien que le « laissez-faire », à ce stade, équivaut à laisser monter la violence née des oppositions dintérêts entre ceux qui senrichissent et ceux qui sappauvrissent. Ils mettent tous deux en cause le capitalisme financier dont lexpansion sans limite est devenue contre-productive. Keynes considère que lentreprise qui offre des emplois risque dêtre emportée dans le tourbillon de la spéculation financière tandis quArendt souligne un autre changement consistant à rendre lactivité de fabrication aussi improductive et perpétuelle quune activité dentretien en raison de lélimination systématique de la durabilité des choses produites. Létat desprit de lhomo faber ayant en vue de meubler le monde de ses créations disparaîtrait pour céder la place à celui de lanimal laborans échangeant ses services contre la satisfaction de ses besoins et ressemblant en tous points à lêtre benthamien.

Lun et lautre constatent un changement détat desprit auquel le laissez-faire donne sa bénédiction qui conduit à décerner des prix à ceux qui senrichissent et qui sapproprient le monde, à valoriser lamour de largent comme lattitude conquérante et à dévaloriser tout autre préoccupation ayant une autre ambition. Le « laissez-faire » introduirait une nouvelle hiérarchie des valeurs en rupture avec celles de la morale traditionnelle que lon trouve dans toutes les religions recommandant de considérer lautre comme un autre soi-même. Avec cette nouvelle hiérarchie, lestime de soi pourrait ne plus coïncider avec le respect de lexigence morale.

Keynes et Arendt sinquiètent lun et lautre dun effondrement de la moralité caractéristique du xxe siècle, mais aucun deux ne lattribue au recul de la croyance en Dieu. La source de lattitude morale ou plutôt faudrait-il dire la source de lhumanité dune personne se situe, pour chacun deux non pas dans la religion mais dans une aptitude à discerner le bien du mal, le beau du laid autrement dit dans une faculté de jugement dont tout un chacun serait pourvu mais dont la réalité ne pourrait se manifester que par la communication entre les êtres confrontés aux mêmes expériences. La logique dexpansion du capital nest pas 126seulement anti-productive, elle fait aussi disparaître lhumanité, et le terme ne signifie pas lespèce humaine, mais la qualité de la relation entre les êtres qui surgit lorsquils parlent ensemble de choses qui les concernent tous et quils font usage de leur faculté de jugement. Cest dans ce contexte que la religion fait figure de moindre mal, car malgré les distorsions quelle a introduites elle contient encore la trace de lhumanité des êtres, ceux qui ont inventé un Dieu exigeant deux une conduite morale à légard des autres comme à légard deux-mêmes. En définitive, ce qui fait la parenté entre Keynes et Arendt vient du fait quils ont tous deux en tête lidée dhumanité telle quelle a surgi dans la Grèce Antique et dont Socrate serait larchétype.

I. LA RELIGION DISTINCTE DE LIDÉOLOGIE

La religion étymologiquement parlant, du moins dans linterprétation la plus courante aujourdhui3, relie les êtres entre eux. En posant tout un chacun comme un enfant de Dieu, le christianisme a ainsi crée une fraternité amenant à considérer son prochain comme un égal et à exiger de se bien conduire envers lui. La religion suppose un état desprit à légard des autres et de soi-même contenant une idée de lhumanité qui a une histoire plus ancienne et qui, pour nos deux auteurs, ne peut pas être négligée. Mais la religion est aussi une source de division, dès lors que le lien ne repose pas sur la foi, mais simpose comme lobligation dobéir à des règles de conduite et que des sanctions, figurées ou réelles, attendent ceux qui ne sy plient pas. La religion, on la vu avec la Sainte Inquisition et les guerres de religions, peut aussi mener au fanatisme et à lintolérance vis-à-vis des non-croyants où à légard de ceux qui nadhèrent pas au dogme établi. Le mot religion peut donc aussi bien évoquer la tolérance que lintolérance. Les athées ont pu penser que les débats théologiques à propos de limmaculée conception, du sexe des anges ou du récit de la genèse, par exemple, pouvaient être dépassés 127par la connaissance scientifique apportant des certitudes sur lorigine du monde et de lespèce humaine ; ils ont fait comme si la science pouvait apporter la preuve de linexistence de Dieu, ce qui place la science sur un piédestal qui ne peut pas lui convenir et réduit la religion à un subterfuge masquant lignorance. Keynes et Arendt, pour leur part, ont saisi ce quil y avait dincongru dans cette prétention scientifique et retenu le meilleur de la religion.

Ni lun ni lautre ne serait daccord pour considérer la religion comme une idéologie en reprenant à son compte la formule de Marx : « la religion est lopium du peuple ». Arendt prend garde toutefois de préciser (Arendt, 1955, note p. 167) que, chez Marx, la formule ne sous-entend pas que la religion a été inventée pour calmer les ardeurs du peuple, mais quelle a été utilisée comme telle ; distinction dont limportance a pu se perdre y compris chez les marxistes. Il reste que Marx inaugure une démarche qui sintéresse peu au contenu des idées pour privilégier lusage qui en est fait, ce quArendt nomme le fonctionnalisme quelle voit en œuvre dans toutes les sciences sociales. Keynes, comme Arendt après lui, et à la différence des sciences sociales, prend au sérieux ce que disent les hommes sur eux-mêmes quand ils se déclarent croyants.

I.1 La religion comme aspiration à un idéal

Dans le vocabulaire de Keynes, le terme « religion » prend un sens particulier. Il désigne une aspiration à consacrer sa vie à des activités tout autres que celles qui servent à satisfaire les besoins de son existence personnelle. Celui ou celle qui a une religion cherche une utilité ou une raison dêtre à son passage sur terre en servant une cause qui dépasse le bonheur de sa propre personne. Sous cet aspect le communisme fait figure de « nouvelle religion », tandis que le capitalisme qui impose de soccuper de soi et dévalorise toutes les activités qui ne visent pas cet objectif détruit toute possibilité de religion.

En 1925, au retour de son voyage en URSS, Keynes a écrit trois articles, regroupés sous le titre : Un aperçu de la Russie qui traduisent ses impressions moins sur les réalisations du jeune pays des Soviets que sur létat desprit des personnes quil a rencontrées. Il annonce demblée quil « usera fréquemment de lépithète “religieux” pour qualifier les disciples de Lénine » (Keynes, 1925, p. 33), en ajoutant que, si les Anglais pourront entendre ce quil veut dire, il imagine bien quen Russie la 128référence sera mal comprise et paraîtra aussi incongrue que sil avait qualifié larchevêque de Canterbury de « bolchevique » :

Les bolcheviques eux-mêmes y verront une vulgaire injure, stupide et offensante… Religion, mysticisme, idéalisme – selon le credo léniniste, tout cela nest que tromperie et ineptie, tandis que les bolcheviques eux-mêmes sont matérialistes, réalistes, terre-à-terre (Keynes, 1925, p. 33).

Le communisme constitue donc, selon Keynes, « une nouvelle religion » mais dont les adeptes ne la nommeraient pas ainsi parce quils auraient en tête une fausse image de la religion en la considérant comme une idéologie, soit un discours fabriqué pour tromper ou du moins mal fondé. Pour sa part, le vocabulaire religieux lui apparaît comme le seul qui soit adapté pour qualifier lespérance dun monde meilleur qui anime ceux qui mettent en place le nouveau régime. Pour appuyer son propos, il reprend la description de la société souhaitée par Trotski en citant ce passage dans lequel celui-ci annonce que :

sous le socialisme, la solidarité sera la base de la société. Art et littérature prendront une tonalité différente. Toutes ces émotions que nous autres révolutionnaires rechignions aujourdhui à nommer – à plus forte raison parce quelles sont lapanage des hypocrites et des vulgaires – lamitié désintéressée, lamour du prochain, la sympathie seront les accords chantants de la poésie socialiste (Keynes, 1925, p. 35).

Daprès cette présentation, il est clair que Trotski qui a en vue la création dun paradis sur terre est « un personnage des plus religieux ». Le terme de religion convient pour une autre raison qui tient au pouvoir de mobilisation de lidée communiste et à la capacité dengagement quelle est en mesure de déclencher. Le « léninisme » tire son pouvoir « dune petite minorité de convertis enthousiastes, dotés dun zèle et dune intolérance qui insufflent à chacun deux une force équivalente à celle dune centaine dindifférents » (Keynes, 1925, p. 37). La nouvelle religion semblable à la foi capable de déplacer les montagnes est dotée dun réel pouvoir dattraction pour « lâme de lhomme moderne », qui, devenu incroyant, se retrouve privé didéal.

Keynes, contrairement aux économistes qui négligent cette dimension, prend tout à fait au sérieux un besoin de transcendance que le projet communiste est pleinement en mesure de satisfaire, tandis que 129le laissez-faire des défenseurs du capitalisme nouvre aucune espérance de dépassement de soi et ne propose que la jouissance individuelle de la possession et de la consommation. Sa position ouvre à un genre de critique du capitalisme qui nest ni recevable ni crédible pour ceux qui nadmettent pas ce besoin en ne voyant dans la religion quun discours chargé denrober une exploitation des travailleurs par les propriétaires des moyens de production. Keynes qui ressent ce besoin autant que ceux qui, comme Trotski, ont en vue de faire advenir le règne de lhumanité dénonce le « capitalisme irréligieux ; dénué de solidarité interne, et sans beaucoup de civisme, et qui nest souvent quun simple agglomérat de nantis et de démunis impatients de le devenir » (Keynes, 1925, p. 50). Face à la nouvelle religion communiste, le capitalisme na pas dautres arguments pour sa défense que ses performances économiques, lesquelles devront être de plus en plus considérables pour que les rangs de ses défenseurs ne se réduisent pas comme une peau de chagrin.

La pauvreté spirituelle propre à la logique denrichissement soutenue par les défenseurs du capitalisme a pu, un temps, être masquée par la croyance en Dieu qui satisfaisait ce besoin de transcendance. Ainsi, « les protestants et les puritains sen accommodaient puisque les affaires se déroulaient sur terre tandis que la religion se reportait au paradis, qui était ailleurs ». Dautres ont cru que « les affaires » seraient le moyen dun progrès permettant dinstaller un paradis sur terre, ce qui donnait à leurs activités privées une dimension qui dépassait leur intérêt personnel. Mais désormais, comme lannonce Keynes : « nous doutons que lhomme daffaires soit capable de beaucoup améliorer notre situation ». On ne peut plus croire que le « capitalisme moderne » soit en mesure de mener à « un paradis économique dans lequel nous serions, comparativement, libérés des préoccupations matérielles » (Keynes, 1925, p. 50). Loin de libérer toute la population du souci matériel, loin de dégager du temps pour dautres occupations que celle de la satisfaction des besoins de la vie physique, le laisser-faire développe un « égotisme matérialiste » qui ne permet que « lamour de largent » et déprécie toute passion qui sen éloigne, telle que : « consacrer sa vie au service de lÉtat, à la religion, à léducation, à lenseignement ou bien à lart » (Keynes, 1925, p. 41).

Bien que différente quant à la formulation, on retrouve une critique du capitalisme du même ordre chez Hannah Arendt qui évoque une disparition de la vie de lesprit. De même quelle voit, elle aussi, dans 130le socialisme, à distinguer du totalitarisme, ce quil y a de meilleur dans la tradition occidentale. Ce point, commun aux deux auteurs, est à opposer à un autre type dapproche relativement répandue qui, pour sa part, associe totalitarisme et religion.

I.2 Totalitarisme et religion

Durant les années 1930, la nature du gouvernement soviétique se modifie sous linfluence de Staline qui écarte ses anciens compagnons de route cherchant toujours, mais sans succès, à étendre la révolution à létranger ; dans son impatience, il choisit, pour sa part, dimposer, à marche forcée, le socialisme dans un seul pays. On sait aussi quau début de cette décennie, Hitler avec son programme démentiel de purification de la race aryenne parvient sans encombre au pouvoir en Allemagne. La violence qui se déchaîne sous ces deux régimes totalitaires, peu explicable uniquement par des oppositions dintérêts économiques entre fractions de population, a pu faire penser à des époques de guerres civiles où des dogmes religieux se combattaient sans merci. Cest une assimilation que combat Arendt, mais que lon trouve, notamment, chez Bertrand Russell (1872-1970), de 11 ans laîné de Keynes avec lequel il a entretenu des relations amicales sans toutefois partager les mêmes préoccupations.

Russell effectue un voyage en Russie en 1920, avant Keynes donc et avant le tournant du régime, mais son jugement est demblée sévère à légard du socialisme. Dans Théorie et pratique du bolchévisme (1920) il appréhende de façon tout à fait négative le gouvernement des soviets en le comparant à la cité idéale de La République de Platon où le philosophe se fait roi. Il en retire avant tout une vision désenchantée de la politique. « Et finalement je commençais à me rendre compte que toute politique est inspirée par un démon ricanant, qui enseigne aux forts et aux malins à torturer des populations résignées, pour le profit du portefeuille, ou du pouvoir, ou de la théorie » (Russell, vol. 1, p. 431). Russell, à la différence de Keynes, ne souscrit pas à lambition du projet socialiste et adhère à une vision étroite de la politique réduite à un moyen de diriger le peuple. Son esprit scientifique soppose à une espérance quil juge inconsidérée estimant quelle ne pourra sachever que dans la violence comme chaque fois que des dogmes religieux ont inspiré la ligne dun gouvernement. Le tournant du régime soviétique des années 1930 a 131pu lui sembler une confirmation de cette vision. Dans un essai intitulé Science et religion publié en 1935, Russell saisit un conflit entre ces deux pôles opposant connaissances et croyances, esprit scientifique et esprit religieux qui a pris de limportance à partir du xvie siècle et duquel la science aurait fini par sortir victorieuse. Mais il se pourrait bien, selon lui, que cette victoire ne soit pas définitive et que la relation sinverse au xxe siècle. Il sinquiète, en particulier, de « lavènement, en Russie et en Allemagne de nouvelles religions munies de nouveaux moyens dactivité missionnaire fournis par la science » (Russell, 1935, p. 7). Il associe ainsi la violence des gouvernements totalitaires au règne de croyances, idées fausses sans fondement scientifique, en tout point semblables à une croyance en Dieu dont les zélateurs auraient une fâcheuse tendance à devenir fanatiques dès lors quils veulent limposer comme principe de gouvernement. Russell est prêt à reconnaître quil y a du bon dans « létat desprit religieux » quil voit se manifester chez « lhomme qui ressent profondément les problèmes de la destinée humaine, le désir de diminuer les souffrances de lhumanité, et lespoir que lavenir réalisera les meilleures possibilités de notre espèce » (Russell, 1935, p. 14), mais considère que ce nest pas ce qui doit guider des gouvernants. Comme Russell dans son Autobiographie décrit lattitude de Keynes en ces termes : « Dans le vaste monde, partout laccompagnait le sentiment dêtre une sorte dévêque in partibus » (Russell, vol. 1, p. 81) il linclurait sans doute dans cette catégorie dhommes à « létat desprit religieux ». Là où Keynes voit un besoin didéal caractéristique de lhumain, Russell ne saisit quun trait de caractère distinctif de certains individus qui se prendraient pour des missionnaires. Russell ne partage pas le souci de Keynes et ne prend pas le message contenu dans la religion au sérieux. Religion ou idéologie sont, pour lui, des termes interchangeables et synonymes qui sopposent à lesprit scientifique. Ce nest pas la position de Keynes, pas plus que celle de Arendt.

I.3 Religion et politique

Dans un texte intitulé Religion et politique, écrit en 1953 pour une revue américaine, Arendt sinsurge contre un mode de pensée qui conduit, à linstar de ce que fait Russell, à interpréter « le conflit entre le monde libre et le monde totalitaire » « à laide des catégories religieuses » (Arendt, 1953, 132p. 139). Selon ce raisonnement, les idéologies au pouvoir dans les régimes totalitaires sont données pour des croyances de même nature que la foi en Dieu à lépoque où celle-ci tenait un rôle dans la politique. Cette assimilation a incidemment resitué la religion sur la scène publique alors quelle était devenue une affaire privée depuis la séparation de lÉglise et de lÉtat. Arendt y voit un effet boomerang paradoxal du marxisme qui, ayant commencé à ne voir dans la religion quun discours utilisé pour endormir le peuple et lempêcher de se révolter, aurait autorisé les ennemis du projet socialiste à le disqualifier en le considérant comme une croyance en un monde meilleur aussi irrationnelle que la croyance en lexistence dun paradis après la mort. Lassimilation de la religion à une idéologie au xixe siècle devenue, en sens inverse, identification dune idéologie à une religion au xxe siècle est à considérer comme un blocage de la pensée qui, dune part, empêche de prendre au sérieux la haute idée de lhomme contenue dans le phénomène religieux et, dautre part, ne permet pas de comprendre que lapparition des régimes totalitaires au xxe siècle est révélatrice de leffondrement complet des valeurs morales défendues par toutes les religions monothéistes, effondrement qui subsiste même après la disparition des régimes totalitaires. Lincompréhension de la nature du totalitarisme signifie que lon se trompe de combat et dennemi, cest la raison pour laquelle lélimination des confusions importe. Comment a-t-on pu en arriver à trouver quelque chose de religieux dans des idéologies politiques qui posent des principes de gouvernement aussi radicalement contraires aux Dix commandements qui constituent le corps de la religion hébraïque et chrétienne ?

Le fait didentifier lidéologie en office dans les régimes totalitaires à une religion relèverait, selon Arendt, dune incompréhension de la politique qui a une longue histoire. Elle met en cause les confusions issues dun questionnement moderne propre à la science économique – que Marx aurait repris sans examen –, et qui a éliminé de ses préoccupations les idées, le langage et la communication comme éléments de la formation dune communauté pour ne sintéresser quà lefficacité productive dun ensemble économique ; ce qui a eu pour conséquence de rabaisser la politique à un moyen de servir cet objectif. Elle relève que déjà chez Platon il y avait, sans que cela ait eu des conséquences, une fonctionnalisation de la politique mais qui avait trait à une autre préoccupation. Platon a cherché un moyen de résoudre le problème de 133limprévisibilité des conséquences de la pluralité des actions humaines qui lui faisait dire que « les actions des hommes ressemblent à des gestes de pantins manœuvrés par une main invisible derrière le décor, de sorte que lhomme est comme le jouet dun Dieu » (Arendt, 1958, p. 208). Pour tenter déviter les désastres, et croyant pourvoir dépasser limprévisibilité de la pluralité, il a « inventé le concept de gouvernement » chargé de mettre au pas le plus grand nombre et aurait ainsi inauguré « le lieu commun » dont nous avons hérité qui veut « quune communauté politique (soit) faite de ceux qui gouvernent et de ceux qui sont gouvernés » (Arendt, 1958, p. 255). Arendt relève que la peur de lEnfer est un élément introduit par Platon pour tenter dobtenir une rectitude de conduite de la part de ceux qui, à la différence du philosophe qui nen a pas besoin, ne peuvent accéder au ciel lumineux des « idées ». Autrement dit, la doctrine de lEnfer, « qui est manifestement un instrument politique, inventé pour servir des fins politiques » (Arendt, 1953, p. 160), nest pas liée à la croyance en un Dieu créateur de lhomme et de lunivers. Elle précise que « le christianisme na pas eu de doctrine de lEnfer tant quil est demeuré sans responsabilités ni intérêts à caractère séculier » et que ce nest quau début du Moyen-Âge quelle a été adoptée de manière officielle.

La religion, en raison du dogme de lenfer quelle a contribué à soutenir, a, certes, été utilisée comme une idéologie, mais cela ne signifie pas quelle soit à considérer comme une idéologie dont le message ne mériterait aucune attention. Seule la perspective des sciences sociales qui nétudient les phénomènes que du point de vue de la fonction quils remplissent au sein dune société pouvait induire cette indifférence à légard du contenu de la religion. Arendt accuse ce « fonctionnalisme » qui aboutit à tout mélanger et finit par se mettre en position de suggérer que « Hitler et Jésus sont identiques parce quils remplissent la même fonction sociale » (Arendt, 1953, p. 154) sous le prétexte que lun et lautre pourraient être représentatifs de la catégorie du « chef charismatique » définie par Max Weber : « Il est évident que seuls des gens qui refusent découter le discours tenu par Jésus ou par Hitler peuvent parvenir à une telle conclusion ».

Lennui de cette science est quelle suppose quelle est en mesure de comprendre qui nous sommes sans nous entendre, ce qui la rend inapte à saisir la source de lhumanité.

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II. LA SOURCE DE LHUMANITÉ

Keynes et Arendt constatent que la place occupée par les activités économiques est devenue de plus en plus importante dans le monde moderne allant jusquà simposer comme le seul genre doccupation digne de considération. Plus précisément, lun et lautre enregistrent le fait que, progressivement, toute occupation humaine qui ne parvient pas à se travestir en activité économique, cest-à-dire en moyen de gagner sa vie, est vouée à la disparition, du moins si rien ne vient stopper ce processus. Ce qui est un sujet dinquiétude pour qui considère que la qualité de la relation à lautre vient dune autre réalité que celle de la division du travail établie par léchange ou installée dans lentreprise. Keynes et Arendt ont en tête une autre vision de la source doù peut jaillir la prise en considération de lautre qui les amène à saisir toute la perversion de lidée dhumanité contenue dans la conception de lhomme proposée par Bentham.

II.1 Les convictions de Keynes

Dans une conférence prononcée en 1938 devant un groupe restreint damis (le groupe de Bloomsberry) et qui sera publiée en 1949, – soit de façon posthume selon sa volonté –, sous le titre Mes convictions de jeunesse, Keynes condamne avec beaucoup de véhémence et de façon tout à fait radicale la vision du bonheur, – somme algébrique des plaisirs et des peines – conçue par Bentham. Désormais, il saisit la tradition benthamienne comme « le ver qui sest introduit à lintérieur de la civilisation moderne et qui est responsable de sa décadence morale actuelle » (Keynes, 1938-1949, p. 1825). Beaucoup plus que la religion et les chrétiens que, lui et ses amis avaient considéré, dans leur jeunesse, comme lennemi parce quils étaient « les représentants de la tradition, des conventions et de la supercherie. En vérité, cest le calcul benthamien, fondé sur une surévaluation du critère économique qui était en train de détruire la qualité de lIdéal populaire ».

Cette surévaluation serait à voir comme la caractéristique de ce que Keynes avait nommé dans le passé « lorthodoxie économique » qui englobe toute « la compagnie des économistes », marxistes inclus. Si 135Keynes applaudit, comme cela a été vu précédemment, au contenu de la « religion » socialiste qui cherche, en sopposant au capitalisme, « à mettre les élans altruistes de lhomme au service de la société » (Keynes, 1924-1926, p. 81), il nadhère pas à la fonction de la politique en œuvre dans « la doctrine du socialisme dÉtat » qui resterait, selon lui, ancrée dans la vision benthamienne de lhomme. « Le socialisme dÉtat du xixe siècle découle de Bentham, de la libre concurrence, etc. ; il est une version, plus claire à certains égards, et plus confuse à dautres, de la philosophie même qui sous-tendait lindividualisme du xixe siècle » (Keynes, 1924-1926, p. 82). Le rapprochement du marxisme et de Bentham a de quoi surprendre dans la mesure où Marx na jamais été tendre avec le philosophe britannique quil traitait « dhistrion larmoyant4 ». Plus que Marx, Keynes condamne avant tout le marxisme qui naurait fait que pousser jusquà labsurde lidée de cet être benthamien qui na pas dautres ambitions que celle de la satisfaction de ses besoins privés, en proposant dinstaller la société qui pourrait lui convenir.

Il se félicite davoir échappé à lorthodoxie économique et davoir ainsi été « protégé de la réduction finale par labsurde que le benthamisme a connu avec le marxisme » (Keynes, 1938-1949, p. 1825). Sil a pu jeter cet « hédonisme par la fenêtre », cest, avant tout, grâce à « sa religion de jeunesse » (youthful religion) comme il lexplique lors de cette conférence au cours de laquelle il se remémore les années davant la Première guerre mondiale. Dans sa jeunesse, Keynes sest intéressé de très près à la philosophie morale, ainsi quà la logique des probabilités. Les deux pouvant être associées par des questions du type : quest-ce quune bonne conduite ? Et si la conduite est réputée bonne par les effets bénéfiques quelle entraîne, comment peut-on prévoir ses effets ? Le calcul des probabilités peut-il être une réponse à cette question ? Si lincertitude est totale, la bonne conduite ne pourrait-elle pas se saisir en dehors de ces effets, par un état desprit, par exemple, qui serait bon en soi. Mais comment reconnaître un bon état desprit ? Dans la communication qui fait état de ses convictions de jeunesse, Keynes rappelle les titres des deux ouvrages, publiés lun et lautre en 1903, qui ont marqué sa formation : les Principles of Mathematics de Russell et les Principia Ethica de Moore, « le premier fournissant la méthode pour appréhender les éléments 136fournis par le second » (Keynes, 1938-1949, p. 1818-1819). Mais, dans le texte de la conférence de 1938, il est avant tout question de louvrage de Moore, de linfluence que ce personnage a exercée au sein du groupe des Apôtres et de « lintuitionnisme », comme méthode de découverte de ce que pouvait être un « bon état desprit ».

Moore séduit les membres du groupe et exerce un effet libérateur de la pensée de ces jeunes esprits. Son influence « était excitante, stimulante », elle offrait « le début dune renaissance, louverture de nouveaux cieux sur une terre nouvelle, nous étions les précurseurs dune nouvelle liberté, nous navions peur de rien » (Keynes, 1938-1949, p. 1816). Cependant, Keynes explique que cet engouement ne signifiait pas une adhésion à lintégralité des Principia Ethica. Dans cet ouvrage, Moore distingue léthique théorique qui pose la question : « quest-ce que le bien ? » et une éthique pratique qui sintéresse à « ce que nous devons faire ». Cest la partie théorique qui suscite lenthousiasme des jeunes Apôtres, notamment, le chapitre intitulé « Lidéal ». En revanche, ceux-ci rejettent les déductions pratiques contenues dans le chapitre V, « Ethic in relation to Conduct », en particulier, la recommandation de se conformer aux règles établies.

La partie qui retient lattention des Apôtres est celle où Moore soutient que lappréhension du bien relève du même principe que lappréhension des couleurs. Cela signifie que le bien nest pas plus définissable et analysable que la couleur verte dont lexistence est avérée par le fait quelle est reconnue par tous lorsquelle se présente à la vue. Il y aurait une appréhension directe intuitive du bien qui ne passe pas par le raisonnement logique et qui pourrait seulement émerger des expériences concrètes. Les conséquences que Keynes et ses condisciples retirent de cette approche du bien savèrent tout à fait éloignées de celles que Moore avait en vue. Ils se sentent, pour leur part, autorisés à faire confiance à leur capacité à reconnaître le bien. La faculté de juger serait à considérer comme une sorte de sixième sens, position quil faudrait expérimenter en comparant des jugements sur des cas de figure précis et qui impliquerait aussi dexpliquer pourquoi ceux-ci pourraient différer dun individu à lautre. Linterrogation de soi-même, lexpression de ce que lon ressent, la recherche des mots pour le dire, autrement dit introspection et communication avec les autres constituent une démarche de prospection légitime dès lors que 137la faculté de jugement est reconnue comme une capacité de découverte didées communes. Cela prend le contre-pied dune vision pour laquelle la connaissance du bien ne pourrait être énoncée que par des spécialistes de la pensée morale et relèverait alors dune aptitude intellectuelle de généralisation mobilisant le raisonnement logique. Admettre lexistence dune faculté de jugement donne la liberté de rejeter lobéissance à des préceptes moraux tout faits :

Nous repoussions entièrement la responsabilité davoir à obéir à des règles générales. Nous revendiquions le droit de juger chaque cas individuel sur ses mérites (…). Nous désavouions entièrement la morale coutumière, les conventions et la sagesse traditionnelle. Nous étions au sens strict du terme des immoralistes (Keynes, 1938-1949, p. 1816).

Moore, en revanche, en restait à une position plus traditionnelle. Dans la partie pratique de son ouvrage qui pose la question des actions à mener en vue daccomplir le bien, il en vient à soutenir quil vaut mieux que lon se conforme aux règles traditionnellement acceptées par la morale du sens commun. Keynes soppose donc à Moore sur cette question des règles établies et de la morale coutumière qui, selon lui, pouvaient être rejetées, tandis que lauteur des Principia Ethica voit dans leur persistance la preuve dune sagesse ancestrale. Aux dires de Keynes, Moore avait un pied sur le seuil du nouveau paradis, mais lautre restait encore sous lemprise de Sidgwick et du calcul benthamien5.

Si Keynes a été constant dans son opposition à la conception de lêtre humain propre à lorthodoxie économique, en est-il de même pour le maintien de cette idée de jeunesse le dotant lhomme dune faculté de jugement signifiant quil serait en mesure de se passer de règles de conduite établies ? La question se pose dans la mesure où Keynes, lui-même, évoque des changements6.

II.2 La faculté de jugement
est-elle lapanage du philosophe

La conférence de 1938 a été suscitée par le rappel de laversion que D.H. Lawrence, auteur de Lamant de Lady Chatterley, avait ressentie à 138légard des jeunes Apôtres – dont Keynes faisait évidemment partie – lorsquil les avait rencontrés. Une petite vingtaine dannées plus tard, Keynes se demande sil y avait quelque chose de juste et de mérité dans les propos peu amènes tenus, à lépoque, par le romancier et dont il vient seulement de prendre connaissance. Lawrence les décrit comme « des scarabées enfermés dans leur carapace » et les juge « irrécupérables ». Il ne supportait pas ces « moulins à parole », sûrs deux-mêmes et totalement irrévérencieux envers leurs aînés.

La confiance en soi tourne facilement à larrogance et Keynes admet quelle ait pu être perçue de façon négative par lextérieur. Cest un reproche que lon retrouve dailleurs chez Russell qui, dans son autobiographie, avoue quil appréciait peu cette attitude de la génération des cambridgiens qui avaient une dizaine dannées de moins que lui :

La génération de Keynes et de Lytton (Strachey) navait nul désir de garder le moindre contact avec les philistins. Ils aspiraient bien plutôt à vivre une existence marginale, parmi les pensées nuancées et les sentiments délicats, le souverain bien consistant pour eux dans ladmiration mutuelle au sein dun petit clan desprits supérieurs. En cela ils se réclamaient très injustement de G.E. Moore dont ils se prétendaient les disciples. Russell termine en les accusant davoir ravalé léthique de Moore à un sentimentalisme de petite pensionnaire (Russell, vol. 1, p. 80-81).

On retrouve le fond de la divergence des positions de Keynes et de Russell lequel admet, de fait, la représentation benthamienne de lhomme nayant que des besoins de consommation en considérant que les aspirations plus élevées ne peuvent relever que dun raffinement de nantis qui nest pas accessible au peuple. Bien au contraire, il semble que la position de Keynes soit de défendre, – si on retient la critique quil émet à légard du capitalisme –, la possibilité daccéder à ce genre de vie pour tout le monde, autrement dit la généralisation dun mode de « vie aristocratique » où les activités permettant de gagner sa vie noccupent quune place réduite dans lexistence. Le mépris à légard des basses besognes, dont il faut pourtant bien sacquitter, ne peut pas être identifié à un sentiment de supériorité vis-à-vis des personnes condamnées à consacrer tout leur temps à les exécuter. Des éléments font pencher pour cette interprétation.

Le Keynes de lâge mûr reconnaît que les jeunes Apôtres manquaient de respect à légard des réalisations de leurs prédécesseurs et semble 139admettre que le rejet des règles établies ne peut pas être systématique. « Nous navions pas conscience que la civilisation était une mince croûte fragile érigée par la personnalité et la volonté dun très petit nombre et seulement maintenues par les règles et les conventions habilement faites et astucieusement préservées ». Il considère désormais quils étaient les derniers représentants dune utopie croyant à un progrès moral continu « en supposant que le genre humain se compose de gens fiables, rationnels, honnêtes (…) qui peuvent être libérés sans danger des contraintes extérieures de la convention, des normes traditionnelles et des règles inflexibles » (Keynes, 1938-1949, p. 1827). Mais les années qui mènent à 1914 ont transformé cet optimisme, érodé cette confiance et rendu la légèreté irresponsable. « Nous existions dans le monde des Dialogues de Platon, et nous navions pas encore atteint La République et encore moins les Lois » (Keynes, 1938-1949, p. 1825).

Malgré cela, on ne peut pas considérer que le revirement de Keynes soit total. Il maintient, tout de même, lidée dun jugement instinctif en lui donnant toutefois un autre statut. Ce que le jeune Keynes prenait pour un savoir sur lhomme pouvant être qualifié de vérité scientifique, le Keynes de lâge mûr lui donne un statut moins assuré en lassimilant à une croyance. Cest pourquoi il évoque désormais sa « religion de jeunesse », terme qui aurait été inacceptable pour ces jeunes persuadés du caractère scientifique de lintuitionnisme. Le changement de statut na pas conduit à labandon de lidée dun bien en soi, elle est restée, tout au long de sa vie, une conviction tenace qui a guidé ses actes et orienté ses jugements. Rétrospectivement, il lui apparaît à quel point, cette religion lui a été bénéfique. Elle lui aurait permis de ne pas adopter le calcul benthamien, déviter le déterminisme économique et déchapper aux questions sans pertinence. Accorder de la crédibilité au jugement, au sien et à celui des autres, apparaît plus satisfaisant que de rechercher à découvrir derrière les paroles prononcées des explications cachées que le théoricien aurait pour tâche de mettre en évidence. En évitant le soupçon systématique jeté sur la parole humaine, « lair était plus pur et plus agréable que celui qui circulait chez Freud et chez Marx » (Keynes, 1938-1949, p. 1822).

Cela reste toujours sa religion et il persiste dans sa position : « en ce qui me concerne, il est trop tard pour changer. Je reste et je resterai toujours un immoraliste » (Keynes, 1938-1949, p. 1826).

140

Keynes na pas renoncé totalement à lidée quil existe une sorte de jugement des actes et des situations concrètes qui pourrait être identique pour tout le monde :

Il y a une petite manifestation extraordinairement folle de cette absurde idée de lexistence dun « normal », qui est limpulsion de protester, décrire une lettre au Times, de convoquer une réunion dans le Guildhall, de souscrire à un fonds quand nos présuppositions sur ce qui est normal ne sont pas remplies. Dans ce cas-là, nous dit Keynes, je me comporte comme sil existait réellement une autorité ou une norme à laquelle je peux faire appel si je crie assez fort et il ajoute sans véritable ironie peut-être est-ce un vestige héréditaire de la croyance en lefficacité de la prière (Keynes, 1938-1949, p. 1828).

Le fait de sopposer à quelque chose, dêtre nombreux à manifester contre quelque chose, de sindigner de quelque chose resterait lindice dun fond commun de jugement. Si lon nadmet pas la connaissance intuitive du bien, un bon sens partagé, peut-être faudrait-il, au moins, admettre un sens commun du mal.

Lintérêt de cette position est quelle donne une légitimité à la contestation de lexistant et élimine la nécessité de fournir une justification dordre scientifique à un mouvement collectif de protestation. Le statut de la théorie économique sen trouve tout à fait modifié. Tout porte à croire que Keynes partage la conviction de Wittgenstein7 qui considère, comme lindique Bouveresse, que

le comportement des agents historiques nest pas déterminé par des lois de développement dont la connaissance pourrait permettre à la fois dexpliquer les événements et de les orienter de telle ou telle façon. Selon Wittgenstein : « Lhomme réagit ainsi : “Pas cela” dit-il – et il entame le combat. » (…) Si tu combats, tu combats. Si tu espères, tu espères. On peut combattre, espérer, et même croire, sans croire scientifiquement (Bouveresse, 2000, p. 69).

Un rapprochement se fait ainsi avec Arendt. Elle refuse doccuper la place du professionnel de la pensée observant den haut les agitations des hommes et simaginant quil peut en déduire des connaissances sur leur comportement susceptibles de constituer un savoir scientifique rendant superflue lattention à ce quils disent et autorisant, en particulier, 141à ne pas les entendre lorsquils disent non. Elle distingue lactivité de penser véritable, qui relève dune interrogation de soi-même suscitée par ce qui vous arrive, de lactivité qui utilise les facultés mentales pour produire un savoir à transmettre à dautres. La première na ni début ni fin et ne laisse rien derrière elle, la seconde est semblable à une activité de production destinée à des utilisateurs. Le penseur de métier, celui qui vit de cette activité, devrait se garder de devenir un professionnel spécialiste de la pensée sélevant vers des hauteurs qui lui font perdre pied pour, au contraire, sefforcer de rester sur terre dans le monde réel de ses semblables en se considérant comme un être parmi dautres.

Arendt rejette le mythe de la caverne dans lequel Platon oppose deux catégories dindividus, ceux qui restent au royaume des ombres et nont que des images déformées de la vérité et ceux qui, comme le philosophe, accèdent à la lumière de la connaissance. Ce mythe imaginé par Platon va de pair avec son concept de gouvernement qui fait de la peur de lenfer un moyen dobtenir une bonne conduite de la part de ceux qui ne seraient pas capables de la découvrir par eux-mêmes.

Arendt rejette cette partie de lenseignement de Platon, le Platon de La République et des Lois, elle adhère, en revanche, tout à fait au Platon des Dialogues et à celui qui fait lApologie de Socrate. Pour elle, Socrate, ce personnage de la vie athénienne qui na rien écrit, qui réfléchissait sur tous les sujets et qui parlait à tout le monde figure le commun des mortels qui sinterroge et questionne les autres sans jamais aboutir à une réponse définitive. Socrate qui sest continuellement livré à cette activité de penser, « ne peut pas avoir cru quil ny a quune minorité qui soit capable de penser » (Arendt, 1971, p. 205).

II.3 Lactivité de penser et la faculté de juger

Lactivité de penser découverte par Socrate est ce que « Platon a traduit dans la langue conceptuelle comme le discours silencieux de moi avec moi » (Arendt, 1971, p. 210). Dans lactivité de penser, on est à la fois soi et un autre soi-même à qui lon pose des questions, une sorte « de deux en un » qui réfléchit à partir des événements ou des expériences qui traversent notre vie. Cela ne renvoie à rien dautre quà « lhabitude dexaminer tout ce qui vient à se produire ou attire lattention, sans préjuger du contenu spécifique ou des conséquences » (Arendt, 1971-1992, p. 20). Elle relève dune expérience courante et on devrait pouvoir compter 142la voir sexercer chez « toute personne saine desprit, sans considération pour son érudition ou son ignorance, son intelligence ou sa stupidité » (Arendt, 1971-1996, p. 33). Contrairement à lactivité de production du spécialiste de la pensée, elle ne dépend pas dun potentiel intellectuel, elle nest pas liée à des compétences acquises et nest pas évaluable par des performances. Elle est lactivité caractéristique dun être qui se sait indéterminé ; qui nest pas un animal parce quil se pose des questions, mais qui nest pas un Dieu parce quil ne dispose pas de réponses. Lactivité naboutit à aucune connaissance pouvant se traduire par des règles de conduite applicables en toutes circonstances, elle est, au contraire, la manifestation dun embarras face à une situation ou un événement inattendu. Loin de se solder par des certitudes, lactivité renouvelle le doute. « Loccupation de penser est comme la toile de Pénélope : elle défait chaque matin ce quelle a achevé la nuit précédente » (Arendt, 1971-1996, p. 37). Elle ne produit rien de concret et de tangible qui pourrait durer et se transmettre. Simultanée à létat détonnement qui la déclenche, lactivité est inséparable de lindividu qui sy adonne et ne peut donc être accomplie par procuration. « Chaque génération nouvelle, chaque homme nouveau doit redécouvrir laborieusement lactivité de penser » (Arendt, 1954-1968) qui ne laisse rien derrière elle.

Arendt met encore en garde contre une interprétation erronée supposant que lactivité de penser pourrait aboutir à façonner un personnage ayant définitivement acquis des qualités qui le destineraient à être bon. Or cette activité ne peut pas être considérée comme une sorte de formation de lesprit qui pourrait aboutir à la sagesse. Socrate sait quil nest pas sage. La pensée nimplique pas seulement de « penser par soi-même » mais aussi de « penser pour soi-même ». Arendt explique que chez Socrate, lactivité est impulsée par le besoin dêtre en accord avec soi-même. Il est celui qui sait quune fois rentré chez lui et dans la solitude, il nest plus la personne qui sadressait à dautres et pouvait dire « je », mais un inconnu pour lui-même en mesure démettre un jugement sur ce personnage public quil a été pour les autres. Sachant quil sera confronté à ce juge qui ne le laissera pas en paix, il évitera den faire un ennemi. Les deux seules propositions positives de Socrate, (« que lon trouve dans le Gorgias écrit par Platon avant quil ne soit maître de lAcadémie » [Arendt, 1971-1996, p. 59-60]) qui pourraient paraître une règle de vie menant à la sagesse ou un guide de conduite morale doivent être 143interprétées comme la conséquence de ce besoin. La première affirmation « Mieux vaut être traité injustement que de commettre un tort » pourrait passer pour du moralisme bon marché, mais elle signifie la même chose que la seconde : « il vaut mieux quune multitude dhommes soit en désaccord avec moi, plutôt que moi, étant un, sois en disharmonie avec-moi-même et me contredise » (Arendt, 1971-1996, p. 60). La pensée ainsi comprise simpose comme un processus dajustement visant la cohérence entre lêtre public qui se présente aux autres comme étant quelquun et un être privé qui sinterroge sur la valeur des actions menées par cet autre soi-même. Labsence de pensée plonge, à linverse, dans lincohérence, obligeant à une sorte de schizophrénie, un dédoublement de la personnalité devenu essentiel pour faire en sorte que lêtre privé et lêtre public ne se rencontrent jamais pour dialoguer entre eux. Bien que formant un tout inséparable, les deux êtres sont forcément distincts car ils se livrent alternativement à deux genres doccupation qui ne sont pas compatibles entre elles : « tantôt je suis, tantôt je pense » comme le résume Arendt en citant Paul Valéry. Elle soppose ainsi à la conception de lactivité de penser chez Heidegger qui considère quil sagit dun processus dunification de lêtre. Lunité nest pas le produit de la pensée, elle détruit, au contraire, la pensée authentique fondée sur le caractère indépassable de la dualité dun être alternativement, unique quand il est en communication avec les autres dans la sphère publique, et sans identité déterminée lorsquil est seul dans la sphère privée et quil se livre à une activité de penser.

Lhabitude de sinterroger sur ses propres actions, née du besoin dêtre en accord avec soi-même, savère extrêmement précieuse. Elle fait surgir « la faculté de juger », cest-à-dire « laptitude à discerner le bien du mal, le beau du laid » (Arendt, 1971-1996, p. 73), que « lon peut appeler la plus politique des facultés mentales », dans les moments où cela savère nécessaire. En menant à rechercher un ajustement entre les expériences particulières vécues dans le présent et les opinions générales qui ont été admises dans le passé, le besoin dêtre en accord avec soi-même conduit à sattaquer aux préjugés, si bien que lactivité de penser se révèle dangereuse pour toutes les croyances :

Il est dans sa nature de défaire, dégeler si lon veut, ce que le langage, médium de la pensée, a gelé sous formes de pensées-mot (concepts, phrases, définitions, doctrines) (…). La conséquence de cette particularité est que la pensée a inévitablement un effet minant, destructeur, sur tous les critères établis, les 144valeurs et mesures du bien et du mal ; en bref, sur ces coutumes et règles de conduite dont on traite en morale et en éthique (Arendt, 1971-1996, p. 51).

Et leffet contestataire de la faculté de juger est à considérer comme un bienfait. En tant que sous-produit de lactivité de penser, la faculté de juger est assortie de son antidote, puisque cette activité sans cesse reprise ne mène à aucune certitude nouvelle susceptible de remplacer les valeurs contestées. Ainsi, « penser est indifféremment dangereux pour toutes les croyances et, par soi, nen crée aucune nouvelle » (Arendt, 1971-1996, p. 54).

Le manque dopposition face à la montée en puissance des idéologies, qui a permis quelles finissent par être installées comme principe de gouvernement sous les régimes totalitaires stalinien et nazi, se lit comme une conséquence de la disparition de la vie de lesprit. On ne peut réellement comprendre limportance de lactivité de penser qui déclenche la faculté de jugement quen découvrant les méfaits de sa disparition. Larrivée des régimes totalitaires révèle que les règles se remplacent aisément et que le commandement moral « Tu ne tueras pas ton prochain » sest retourné en son contraire : un ordre de tuer qui a été suivi sans mauvaise conscience, non pas parce que les individus sont mauvais et violents mais parce quils considéraient que leur devoir était de se soumettre aux ordres venant den haut. Le cas Eichmann est exemplaire sur ce point. Assistant au procès dEichmann à Jérusalem (Arendt, 1963) elle constate que rien dans les propos de ce responsable de lorganisation du transport de la population juive vers les camps dextermination ne peut laisser entendre quil était antisémite. Il a la position satisfaite de celui qui a bien fait le travail qui lui était demandé. Autrement dit dénoncer lantisémitisme, stigmatiser les propos racistes ne constituent pas une démarche susceptible de changer sa position de soumission aux ordres qui est le problème le plus profond. Lanalyse ne signifie pas, évidemment, que le racisme et lantisémitisme ne soient pas des doctrines condamnables, mais la question qui se pose est de comprendre comment des idéologies aussi ineptes, nées dans des esprits dérangés, ont pu sinstaller comme principe de gouvernement auquel toute une population a consenti. Arendt considère que le problème vient de lextinction de lactivité de penser, cest-à-dire de la disparition du besoin dêtre en accord avec soi-même qui est, selon elle, la 145véritable cause de leffondrement de la moralité. Mais, il faut préciser quelle ne conçoit pas la moralité comme un comportement consistant à accomplir de bonnes actions. Il sagit là dune acception religieuse de la moralité qui a transformé le dialogue mental « du deux en un » de Socrate en une écoute dune voix de Dieu à laquelle le croyant obéit consciencieusement. Linterrogation de soi-même débouche, en revanche, sur ce que lon peut appeler une attitude morale ou plutôt « humaine » qui consiste à sabstenir de faire le mal. Ce qui revient, sans doute, à se conformer aux Dix commandements, mais, à cette différence près, qui est de taille, non pas parce quils sont imposés mais parce que lêtre pensant en proie au questionnement les réactualise sans cesse. Arendt ne pense pas que lattitude morale puisse être obtenue en imposant des règles de conduite, fussent-elles bonnes, par la menace.

Elle distingue lobéissance et le consentement, autrement dit le fait dêtre soumis à une règle de conduite sous la pression dune contrainte, comme la peur de lEnfer, par exemple, ou plus généralement la peur dune sanction et le fait de sy conformer en toute conscience parce que lon a intégré le bien-fondé de la règle. Lautorité et le pouvoir authentique dun gouvernement ne peuvent provenir que du consentement de la population à suivre ce qui est donné comme loi.

On retrouve, même si cest dit autrement, la distinction de Keynes entre la morale, ensemble de règles imposées quil rejette, et sa religion, une relation à soi-même où il importe de ne pas se mépriser, religion qui ne peut être admise quen supposant la liberté daction. Toute science qui explique ce quest lhomme et prétend savoir ce qui détermine sa conduite naboutit-elle pas à lidée que nous ne sommes pas responsables de nos actes, que nous ne faisons quobéir à une loi de la nature ou encore à une loi de lhistoire à laquelle nous ne pouvons rien changer ? Dans ce cas, ne faut-il pas remettre en cause lambition dexplication de cette science ?

146

CONCLUSION

La faculté daccomplir des miracles

Keynes et Arendt mettent tous deux en cause une tournure desprit scientifique qui conduit à éliminer une évidence, celle de lincertitude de lavenir, incertitude radicale8 non probabilisable, ou celle du caractère imprévisible des effets de laction dune multitude dindividus qui nobéissent pas à des motifs semblables et sont tout à fait différents les uns des autres. La cohérence logique du scientifique qui saisit des relations de cause à effet est certes susceptible de décrire un processus dévolution au cours du temps mais elle est incapable de faire état du surgissement de nouveaux commencements dont lhistoire est pourtant parsemée. La fondation de Rome, la révolution américaine, la révolution française et la révolution russe font partie de ces nouveaux départs qui marquent des ruptures dont le caractère inattendu souligne à quel point le raisonnement du scientifique peut être pris en défaut. « Chaque fois quil se produit quelque chose de neuf, cela fait irruption à limproviste, dune façon non calculable et finalement inexplicable, comme un miracle dans lenchaînement des déroulements calculables » (Arendt, 1989, p. 184). « Linfiniment improbable » est dans la nature de lhistoire ; cest pourquoi le terme de miracle, si lon oublie « le rôle que le miracle a joué depuis toujours dans la foi et dans la superstition, dans le religieux et le pseudo religieux » est le seul qui puisse convenir pour éviter de lappréhender comme un processus où tout se répète et dont le futur est prévisible. Les hommes ont la faculté de créer des miracles, cest-à-dire la liberté de commencer quelque chose de nouveau et donc dinterrompre un processus en cours et cela ne renvoie à aucune croyance en lexistence dun surnaturel mais constitue lessence même de la politique.

Par conséquent, ce nest pas du tout de la superstition, cest même une attitude réaliste que (…) de se préparer à des miracles dans le domaine politique. Et plus la balance pèse lourdement en faveur du désastre, plus miraculeux 147apparaîtra le fait accompli librement ; car cest le désastre, et non le salut, qui se produit toujours automatiquement et doit, par conséquent, toujours paraître inéluctable (Arendt, 1954-1968, p. 221).

Keynes a appréhendé la politique de la même façon, cest à dire comme un moyen darrêter lengrenage de la violence. Tous les efforts de persuasion quil a déployés à partir de 1919, moment où il a dénoncé les termes du Traité de Versailles (Keynes, 1920) qui prévoyait que les Allemands vaincus paient des réparations de guerre aux nations alliées, visent à faire intervenir les gouvernements pour quils initient une rupture dans un enchaînement de rivalité entre les nations et entre les catégories sociales. Après les horreurs du totalitarisme, Arendt a cherché à faire en sorte que les hommes puissent se réconcilier avec eux-mêmes. Contre lescalade de la vengeance, processus sans fin qui suit une catastrophe où les hommes se sont entretués, il faut bien tenter de ne pas laisser les dettes de ressentiment aux nouvelles générations. Arendt évoque le pardon, qui évidemment renvoie au message de Jésus de Nazareth, mais resterait à trouver la forme politique9 qui serait susceptible de linitier, car le pardon ne se décrète pas, une forme politique qui compterait sur la faculté de jugement de tout un chacun et ne serait pas un montage de spécialistes imaginant des règles. Quoi quil en soit le découragement nest pas de mise car il nest pas vain despérer un miracle et tout-à-fait sensé de croire quil peut se produire.

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1 Lauteure remercie chaleureusement les rapporteurs anonymes pour leur lecture attentive, leurs commentaires et leurs suggestions.

2 Colloque international « Économie et Religion. Sources théologiques et portée religieuse de la pensée économique du début des temps modernes à nos jours » Sciences-Po Lille, 15-16 janvier 2015.

3 Comme lindique lun des rapporteurs anonymes de cet article, lorigine étymologique latine nest pas fixée. En effet, le mot peut aussi bien renvoyer au verbe religare (relier) quau verbe relegere (relire) et admettre dautres interprétations.

4 Note de Michel Panoff in Keynes, 1931, p. 121.

5 Voir Yuichi Shionoya, 1991.

6 Voir Hélène Jobin, 2000.

7 Le lien Keynes/Wittgenstein a été souligné, pas forcément pour les mêmes raisons, par Olivier Favereau (1985) et (2005). Par ailleurs, Christophe Lavialle (2001) a mis en évidence ce lien pour expliquer la structure de la Théorie Générale.

8 « La théorie de Keynes est fondée sur un postulat dincertitude radicale » Bernard Maris (1999, p. 40).

9 Voir Claudia Hilb (2011) évoquant lArgentine en1983 et lAfrique du Sud en 1994.