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Classiques Garnier

Les stratégies révolutionnaires du prolétariat chez Marx (1845-1883)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2017 – 1, n° 3
    . varia
  • Auteur : Cailleba (Patrice)
  • Résumé : Il existe peu d’études sur les stratégies révolutionnaires chez Marx. Or, les liens entre prolétariat et révolution méritent d’être examinés à l’aune des différentes évolutions de l’analyse marxienne postérieure à 1845. La geste révolutionnaire comme les rivalités de classe sont à mettre en perspective avec les circonstances dans lesquelles se déploie la pensée de Marx. La stratégie s’inscrit dans l'adaptation aux réalités économiques et politiques contemporaines.
  • Pages : 101 à 130
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406069676
  • ISBN : 978-2-406-06967-6
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06967-6.p.0101
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/06/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Marx, prolétariat, révolution, stratégie, dictature du prolétariat, démocratie
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Les stratégies révolutionnaires
du prolétariat chez Marx
(1845-1883)

Patrice Cailleba

Groupe ESC Pau

Introduction1

Toute révolution dissout lancienne société ; en ce sens, elle est sociale. Toute révolution renverse lancien pouvoir ; en ce sens, elle est politique2.

En tant que « force motrice de lhistoire3 », la révolution constitue chez Marx lépiphanie paroxystique qui change le cours de la vie des hommes en les révélant à eux-mêmes. Toutefois, malgré limportance de cette thématique, il est intéressant de constater que rares sont les auteurs à avoir analysé concrètement le développement pratique chez Marx de la stratégie révolutionnaire que doit suivre le prolétariat.

De manière générale, les principaux ouvrages de recension des idées ou de sociologie politiques (Touchard, 1959 ; Colas, 1994 ; Howard, 1999 ; 102Nemo, 2007 ; Muhlmann & al., 2012 ; Ricci, 20144) sont imprécis sur ce point. Tous hésitent sur la qualification à donner, à limage de Touchard (1959, p. 655) qui interroge : « passage pacifique ou insurrection ? ». En ce qui concerne les deux dictionnaires consacrés à Marx, il nest pas fait non plus allusion à la « praxis5 » prolétarienne de la révolution. Dans le Dictionnaire Critique du Marxisme (Bensussan & Labica, 1999), les entrées « Révolution », « Révolution mondiale », « Révolution permanente » et « Prolétariat » névoquent pas le sujet. Même si le Dictionnaire Marx contemporain (Bidet & Koulévakis, 2001) aborde davantage lœuvre à laune des problématiques de la fin du xxe siècle, les chapitres consacrés au « prolétariat », à la « révolution » et à la « révolution bourgeoise » restent muets sur ce sujet.

En ce qui concerne les autres ouvrages ou articles scientifiques, il y a tout aussi peu détudes sur ce sujet. Althusser (1965) ne sarrête pas sur le caractère opérationnel de la révolution à venir chez Marx. Son influence significative a lourdement influencé les analyses ultérieures (Sobel, 2013) qui ont continué dans son sillage à délaisser cet aspect de lœuvre marxienne. En sattachant à faire ressortir la dimension chrétienne et la lourde influence de lidéalisme allemand chez le philosophe, Henry (1976a, 1976b) ne considère pas cet aspect de la révolution non plus. Rosanvallon (1985) sest, lui, intéressé directement aux Conditions de lémancipation de lhomme chez Marx dans sa note, en laissant de côté la lutte prolétarienne. Pour sa part, Aron souligne la difficulté à analyser cette question « qui tient au rôle des guerres et de la violence physique » (Aron, 2002, p. 266). De même, Hobsbawm (1985, p. 561) a identifié que « Marx revolution had no a priori fixed operational model » en insistant sur le fait que le transfert de pouvoir se ferait très probablement de manière violente.

Dans Spectres de Marx, Derrida (1993, p. 165) aborde la révolution et son spectre, défini comme « la fréquence dune certaine visibilité », au travers de la répétition des évènements révolutionnaires politiques. Toutefois, il naborde pas la réalité concrète de la geste prolétarienne. En faisant de Marx un « penseur du possible », Vadée (1992) ne traite pas non plus directement de la question. Enfin, Lefort parle « dhistoire naturelle » où « la parole révolutionnaire est naturelle comme lest laction révolutionnaire » (Lefort, 1986b, p. 204).

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Clairement, en dépit de limportance quantitative et qualitative de la production scientifique consacrée à Marx, il existe peu détudes longitudinales sur laction concrète du prolétariat dans la perspective de la révolution. Cest pourquoi, nous nous proposons danalyser les stratégies révolutionnaires du prolétariat dans lœuvre de Marx, sous langle dune histoire des idées contextualisées. Pour ce faire, nous concentrons notre étude sur les œuvres postérieures à 1845, soit à partir de lIdéologie Allemande. Nous appuyons ce choix sur la coupure identifiée par Althusser (1965) qui, bien que souvent discutée, a largement été reprise (Abensour, 1997 ; Aron, 2002 ; Hobsbawm, 1985 ; Cohen, 1988 ; Muhlmann al., 2012), sans avoir pu être dépassée complètement (Derrida, 1993 ; Habermas, 1992 ; Henry, 1976a, 1976b ; Howard, 1999). En effet, avant 1845, lorsquelles apparaissent, les notions de révolution et de prolétariat ont une acception assez large et plutôt évolutive (Bensussan & Labica, 1999), sinon changeante (Cailleba, 2005).

Au cours de cet article, nous revenons dabord (I) sur les concepts de prolétariat, de lutte des classes et de révolution tels que les conçoit le philosophe. Comme le précise Lefort, pour Marx écrivant son œuvre, la définition de ses concepts nest jamais fixée, il les « découvre dans linterrogation et le travail de linterprétation » (Lefort, 1986b, p. 196) toujours renouvelés au gré de ses analyses. Ensuite, nous considérons les stratégies révolutionnaires avancées. Barbier et Balibar ont mis en évidence ce processus long et difficile que représente lexposition des stratégies de la révolution prolétarienne pour Marx lui-même. Toutefois, chacun de ces auteurs sest davantage concentré sur un volet de la stratégie prolétarienne : la dictature du prolétariat pour Balibar (1999), le refus de linsurrection violente pour Barbier (1992). Nous allions les deux visions de manière longitudinale en considérant comment et pourquoi le fondateur de lAssociation Internationale des Travailleurs passe dune révolution violente (II) à une révolution pacifique (III).

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I. De la lutte des classes à la révolution

Pour Marx, léconomie capitaliste sorganise autour dun conflit central entre bourgeois et ouvriers, entre détenteurs des moyens de production et propriétaires de leur seule force de travail.

Ainsi, la société sest toujours développée, jusquici, à lintérieur dun antagonisme : dans lAntiquité, lantagonisme des hommes libres et des esclaves ; au Moyen Âge, celui des nobles et des serfs ; dans les Temps modernes, celui de la bourgeoisie et du prolétariat6.

Cependant, ni la lutte des classes, ni le prolétariat ne sont des concepts créés par Marx. De même que la révolution, il sagit didées que Marx sapproprie avant de les réinscrire dans une nouvelle tradition7.

Le prolétariat et la lutte des classes

Dans lAntiquité romaine, le prolétaire était le citoyen de la dernière des six classes du peuple, sans droit et sans propriété. Il était exclu de la plupart des charges publiques. Cest cette définition que reprend Rousseau (1992) quand il parle du prolétaire dans le Contrat Social. Le terme de prolétariat est bien plus récent. Apparu en 1836, vraisemblablement sous la plume de Moses Hess, il essentialise le concept de la « classe des prolétaires » évoquée par Saint-Simon en 1824. Il a trait à « la classe pauvre, laborieuse et souffrante » (Bensussan & Labica, 1999, p. 924). Par la suite, Marx reprend ce concept et veut faire du prolétariat la classe qui constitue la majorité de la population dans chaque pays.

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Parallèlement, Marx nest pas à lorigine de lidée de lutte des classes. H. Desroche (1976) a montré que la notion utilisée par Marx est littéralement empruntée à LExposition de la doctrine Saint-Simonienne telle quelle est rédigée en 1829 :

Lhomme a jusquici exploité lhomme. Maîtres, esclaves ; patriciens, plébéiens ; seigneurs, serfs ; propriétaires, fermiers ; oisifs et travailleurs ; voilà lhistoire progressive de lhumanité jusquà nos jours (in Desroche, 1976, p. 130).

La doctrine de Saint-Simon faisant des émules jusquen Allemagne, Moses Hess a repris par la suite lopposition antagonique entre ces deux classes (Bensussan & Labica, 1999). À son tour, Marx remploie lidée dune lutte immémoriale des classes qui serait une donnée permanente de lhistoire et qui se fonde sur une « exploitation de lhomme par lhomme8 », dune classe par une autre.

Même si le tableau que présente Marx a maintes fois été critiqué tant pour sa récupération de Saint-Simon que pour son inexactitude9, il laisse à voir une concentration et une simplification du travail en parallèle avec un appauvrissement et un abrutissement de la vie de louvrier. Petit à petit, la société moderne génère la constitution de masses anonymes en faisant de louvrier un simple frais de production. La classe prolétaire finit par accueillir tous les membres déclassés des anciennes classes entraînées dans la décadence par lascension capitaliste de la classe bourgeoise (Durand, 1995).

Marx précise que les « conditions sociales [sont] indépendantes de tous les individus10 » : à ce titre, elles conditionnent lindividu. Ainsi la réification des personnes ne laisse-t-elle plus de place à lindividu, mais plutôt à la classe qui est le produit de lHistoire.

Les mêmes hommes qui établissent les rapports sociaux conformément à leur productivité matérielle, produisent aussi les principes, les idées, les catégories, conformément à leurs rapports sociaux. Ainsi ces idées, ces catégories sont aussi peu éternelles que les relations quelles expriment. Elles sont des produits historiques et transitoires11.

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Un individu est donc uniquement ce quil est dans et par son appartenance à une classe qui lui confère lensemble de ses caractères sociaux12.

Toutefois, pour nuancer son propos, Marx indique dans Le Capital quil ne sintéresse quaux individus quautant quils personnifient « les catégories économiques, les supports dintérêts et de rapports de classes déterminés13 ». Il est donc toujours difficile de savoir si Marx parle dindividus réels ou sil les traite en tant quallégories des forces de production. Dans tous les cas, au cours de ses recherches, Marx constate que la réalité ne se range pas à son point de vue : les deux classes dont il parle sont seulement les primi inter pares.

Lexistence de plusieurs classes

Lantagonisme séculaire qui divise lhumanité tel que la repris et décrit Marx avant le mitan du xixe siècle, est bien connu de ses lecteurs. Pourtant, les textes du philosophe allemand sur les classes sociales sont de deux natures différentes et semblent inconciliables, tant ils affirment des thèses qui paraissent divergentes (Aron, 2002).

Dun côté, dans les textes politique et/ou sociologique comme Les Luttes de classes en France 1848-1850 ou Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte publié en 1851, ce sont six ou sept classes qui sont décrites. Selon Marx14, la France de la Monarchie de Juillet serait en effet constituée dau moins sept classes : laristocratie financière (banquiers, Bourses, propriétaires de mines de charbon et de fer, de forêts, etc.), la bourgeoisie industrielle, la petite bourgeoisie (artisans et commerçants), le prolétariat (i.e. la classe ouvrière), le Lumpenprolétariat (fruit de lexode rural ou de lexclusion des ouvriers de la grande industrie par le machinisme, il sagit dun sous-prolétariat qui nappartient pas au prolétariat), la paysannerie parcellaire (classe paysanne sans conscience de classe : métayers, fermiers, etc.), les grands propriétaires fonciers. Il est intéressant de constater par conséquent quà peine deux ans après la publication du Manifeste du Parti Communiste, Marx identifie trois fois plus de classes quauparavant.

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Dun autre côté, dans les textes plus théoriques – et ultérieurs – relevant de la critique de léconomie politique comme le Livre I du Capital publié en 1867, il napparaît que quelques classes. En plus du prolétariat et de la bourgeoisie, les autres classes semblent sêtre réduites, sinon fondues, dans la classe moyenne :

la classe moyenne, le petit industriel, le petit commerçant, lartisan, le cultivateur, tous combattent la bourgeoisie pour sauver leur existence comme classes moyennes… Ils sont réactionnaires, car ils cherchent à faire tourner en arrière la roue de lhistoire15

Parler de classe moyenne amène assurément à penser que celle-ci représente une grande partie de la société. Dans ce cas-là, quelle est la part de la société qui est représentée par le prolétariat ? Marx ne répond pas à cette question. En attendant, il continue à évoluer sur cette question des classes au fur et à mesure de ses recherches. Dans les fragments qui constituent le Livre III du Capital (publié à titre posthume par Engels16), léconomiste semble ne plus faire cas des classes moyennes. En effet, on trouve dans les matériaux du Livre III lexistence des « trois grandes classes de la société moderne », à savoir « les travailleurs salariés, les capitalistes et les propriétaires fonciers17 » tirant respectivement leur revenus du salaire, du profit et de la rente. Toutefois, même cette affirmation est corrigée quelques paragraphes plus loin lorsque Marx écrit que « les médecins et les fonctionnaires, par exemple, constitueraient également deux classes, car ils appartiennent à deux groupes sociaux distincts18 » dont les revenus sont encore différents.

Enfin, entre les deux, viennent se ranger les textes de propagande politique ou de pure exposition des idées politiques (Lefort, 1986a, 1986b). Il sagit principalement du Manifeste du Parti Communiste publié en 1848 et de certaines allocutions (Ligue des Communistes, lInternationale, etc.). Dans ces textes, Marx réduit la portée sociologique de ses analyses pour se concentrer sur deux classes sociales : bourgeoisie et prolétariat.

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En fait, Marx fait plutôt état de « camps » dont chacun compte plusieurs classes ou fractions. Mais le philosophe allemand constate rapidement que les classes ne se mélangent guère : la réalité résiste encore. Il reconnaît ainsi, en 1852, que la classe la plus nombreuse en France est la classe paysanne parcellaire, cest-à-dire non propriétaire : « Bonaparte représente une classe, voire la classe la plus nombreuse de la société française, les paysans à parcelles (…) la masse du peuple français19 ».

Quant à lAllemagne, en 1875, Marx considère également que « le “peuple laborieux” se compose en majorité de paysans et non de prolétaires20 ». La masse paysanne est encore, au xixe la principale classe sociale en France (Berstein & Milza, 1996), comme dans la grande majorité des pays à cette époque, à lexception notable de lAngleterre et, dans une moindre mesure, des États-Unis et de lAllemagne. En bref, le philosophe allemand est conscient de son extrapolation qui fait du prolétariat la classe de la majorité. De manière pertinente, Aron (1967, p. 288) a noté que « Marx, emporté par sa clairvoyance dhistorien, oublie ses théories et analyse les évènements en observateur de génie ».

La révolution et le rôle des communistes

De toutes les classes subsistant en face de la bourgeoisie, le prolétariat constitue la seule classe à ne pas se fondre dans une autre parce quelle finit par toutes les absorber. Elle se tient finalement seule face à la bourgeoisie. Le déclin de la bourgeoisie et le triomphe du prolétariat sont également inévitables21. Or, le triomphe de lune et le déclin de lautre ont lieu par et dans la révolution qui est un phénomène historique : elle arrive parce quelle doit arriver.

Abolissant le travail, bannissant la propriété privée qui le génère sous la forme de lexploitation et enfin renversant lÉtat22 qui assure cette exploitation, le prolétariat apparaît comme la dernière classe révolutionnaire. Il est donc celui qui met fin à lHistoire telle quelle sest déroulée jusque-là :

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le prolétariat ne peut exister quen tant que force historique et mondiale, de même que le communisme, action du prolétariat, nest concevable quen tant que réalité « historique et mondiale23 » 

La fin de lhistoire est alors représentée par le mode de production communiste qui organisera la société en éliminant toute forme dexploitation et de classe sociale et permettra aux hommes de « substituer à lemprise des conditions matérielles et du hasard sur les individus lemprise des individus sur le hasard et sur les conditions matérielles24 ».

Pour ce faire, les communistes ont un rôle décisif à jouer dans la révolution prolétarienne. Ils « ne forment pas un parti distinct en face des autres partis ouvriers », car ils « nont pas dintérêts distincts de ceux du prolétariat25 ». Les communistes tirent leur légitimité de leur « avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier ». Ils savent quel est le mouvement de lHistoire et orientent laction du prolétariat. Ils conjuguent ainsi le dynamisme pratique et lintelligence théorique, la « praxis26 » engendrant la théorie. Leur but est dordre pratique et il est identique à celui de tous les partis ouvriers : « constitution du prolétariat en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat27 ».

Une fois la lutte des classes décrite et le rôle du prolétariat clarifié en liaison avec celui des communistes, il est important à présent de comprendre comment a lieu cette révolution prolétarienne attendue, au double sens dun moment espéré mais aussi certain. Car, on la vu, Marx avait, lui-même, connaissance que le prolétariat ne représentait pas la majorité de la population. Comment, dans ce cas, imaginer quune révolution prolétarienne puisse avoir lieu, sans violence ni dérive dictatoriale, par laction dune frange minoritaire de la population ? En quels termes alors Marx a-t-il pensé cette révolution ?

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II. La révolution par la violence

La révolution communiste supprime la lutte des classes, la propriété privée, la domination de classe, le travail dans la forme que lui donne la division du travail et donc lÉtat qui en est lexpression politique. La révolution communiste est par conséquent à la fois économique (abolition du travail), sociale (abolition des classes) et politique (abolition de lÉtat).

Si la nécessité et linéluctabilité de la révolution sont évidentes pour Marx, ce dernier reste imprécis sur la manière dont cette révolution doit se dérouler concrètement, son modus operandi. Lidée commune autour de la révolution prolétarienne est celle dune révolution violente. Il faut à présent se demander comment Marx explique ou justifie lusage de la violence, à savoir à quelles circonstances ses écrits appartiennent, cest-à-dire à quelles périodes et à quels évènements ils renvoient.

La triomphe de la réaction

À lorée de la décennie 1850, lEurope est une constellation de pouvoirs monarchiques plus ou moins autoritaires. Hormis la haute bourgeoisie et laristocratie, les peuples européens, dans leur écrasante majorité, ne sont pas représentés au sommet de léchelle politique nationale. Après le siècle des Lumières qui amena la Révolution française, lavenir sest de nombreuses fois assombri et la contre révolution a triomphé partout. Cest dans cet environnement que Marx développe ses premiers écrits révolutionnaires. Ses connaissances historiques sont encore limitées (sa consultation quotidienne de la British Library débutera dans les années 1850) et ses vues politiques se nourrissent dun romantisme à tout crin : il est possible de tout changer, tout et tout de suite. Or, à limage de ses contemporains et au vu de lhistoire récente (i.e. de 1789 à 1845), il constate plusieurs fois quun changement par la réforme est impossible. Aussi, opte-t-il pour un changement radical, « une révolution totale28 ».

Très tôt, Marx estime que la révolution prolétarienne ne peut se réaliser sans recourir à la contrainte, voire à la violence29. Il condamne, ce faisant, 111toute action pacifique dans le Manifeste du Parti Communiste30 et dans ses écrits ou communications ultérieurs (Adresse du Comité Central de la Ligue des Communistes e.g.). Ainsi, lorsque le prolétariat, organisé en classe et en parti politique, entre en lutte avec la bourgeoisie, la « contradiction brutale » qui jaillit provoque un « choc de corps à corps », un combat violent31. Dans une lettre à Annenkov en 1846, Marx présente la révolution comme « laction pratique et violente des masses32 ».

De ce fait, la révolution communiste est identifiée à « la guerre civile qui déchire la société actuelle ». Cette guerre est dabord plus ou moins occulte, puis « elle éclate en une révolution ouverte ». Cest le moment que choisit « le prolétariat [pour jeter] les fondements de son règne par le renversement violent de la bourgeoisie33 ». Ainsi, cest une lutte violente qui doit abolir la domination de la bourgeoise et établir celle du prolétariat.

Toutefois, Marx ne préconise explicitement une telle attitude que dans une situation particulière, limitée dans le temps, à savoir après léchec de la révolution en Allemagne en 1848. Il adopte alors une position radicale et souhaite une révolution violente, en appelant ouvertement à la terreur révolutionnaire. Cest dans cette perspective quil écrit en novembre 1848, après la victoire militaire de la contre-révolution à Vienne :

Les massacres insensés perpétrés depuis les journées de Juin et dOctobre, le fastidieux sacrifice solennel depuis février et mars, le cannibalisme même de la contre-révolution convaincront les peuples quil nexiste quun moyen pour abréger, simplifier, concentrer les transes meurtrières de la vieille société et les sanglantes douleurs denfantement de la nouvelle société, un seul moyen – le terrorisme révolutionnaire34

Marx, en homme déçu et indigné par la violence qui sest abattue sur les masses ouvrières, préconise le recours à la violence révolutionnaire pour répondre à celle de la contre-révolution (« les terroristes royalistes35 ») afin dassurer un passage plus rapide de lancienne société à la nouvelle. 112Dans un des derniers articles de Neue Rheinische Zeitung en 1849, il rappelle le programme de lannée à venir : « soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière française, guerre mondiale36 ».

Un peu plus tard, dans lAdresse du Comité central de la Ligue des Communistes, Marx appelle encore à laction violente dans le cadre de la « révolution permanente » que doit mener le prolétariat contre le pouvoir autoritaire et brutal de la bourgeoisie : « pour être en mesure daffronter de façon énergique et menaçante (…), les travailleurs doivent être armés et organisés », en vue de lutter contre la bourgeoisie et de prendre le pouvoir. En conséquence, il faut « mettre en œuvre larmement de lensemble du prolétariat en lui procurant des fusils, des carabines, des canons et des munitions37 ». Marx ne parle plus de « terrorisme révolutionnaire », mais il préconise le recours à la force, qui va jusquà la constitution dune « garde prolétarienne38 », pour réaliser la révolution et la mener à son terme.

Lusage du concept de dictature du prolétariat

Cest à cette époque quapparaît une expression qui fera florès sous la plume des marxistes : la « dictature du prolétariat ». Littéralement absente de lIdéologie Allemande et du Manifeste du Parti Communiste, bien que la domination du prolétariat soit bien affirmée, lexpression « Dictature du prolétariat » surgit en 1850 sous la plume du philosophe. Du fait des évènements qui agitent lEurope, elle est alors concomitante de lidée violente que se fait Marx de la révolution.

Cette expression nest utilisée quune quinzaine de fois : sept fois par Marx lui-même (Barbier, 1992, p. 227) et, à peine plus par Engels (huit fois). Ce qui est très peu, vu limportance de cette notion au sein du mode opératoire de la révolution prolétarienne. Au regard du problème concerné, à savoir la transition révolutionnaire, ainsi que de sa postérité au xxe siècle, la faible occurrence de la notion de « dictature du prolétariat39 », en plus de sa discontinuité, constitue un véritable paradoxe (Balibar, 1999).

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En outre, les deux philosophes prennent rarement la peine dexpliciter cette expression qui semble désigner, pour eux, tout simplement la domination ou le pouvoir politique du prolétariat. En fait, la diffusion à grande échelle de ce concept se fait à partir des États-Unis dès 185240. À cette époque, J. Weydemeyer, ancien membre de la Ligue des communistes, choisit dy émigrer. Là-bas, il se lance dans une aventure éditoriale qui lamène à publier Le 18 Brumaire… de Marx accompagné dun court article intitulé « La dictature du prolétariat41 » quil rédige lui-même. Alors que le concept est à peine apparu, Weydemeyer se lance dans une explicitation – qui sera reprise par la suite – de la récente notion marxienne. À la différence dautres concepts qui seront développés et enrichis de manière posthume (le Matérialisme historique42 e.g.) par ses épigones et autres disciples, la dictature du prolétariat est, de fait, un concept repris et explicité du vivant de Marx par dautres personnes.

Cependant, labsence de définition clairement validée par Marx a entraîné nombre dinterprétations fallacieuses dans la mesure où on a donné spontanément au mot dictature le sens quil avait au mitan du xxe siècle et non celui quil avait au milieu du xixe siècle. Marx et Engels nutilisent pas le mot de « dictature » dans son sens romain, à savoir le pouvoir exceptionnel et temporaire accordé à un homme, le magister populi, chargé de protéger lÉtat (Hinard, 2000). Cest cette tradition romaine que suit Rousseau, dans le Contrat social (1992, p. 153) en préconisant une dictature lorsquelle est nécessaire au « salut de la patrie ». Marx et Engels ne lutilisent pas non plus dans lacception que lexpérience historique du xxe siècle lui a donnée, à savoir la concentration par la force de tous les pouvoirs entre les mains dun individu, dune assemblée ou dun groupe social : il sagit dun pouvoir autoritaire, total et sans limite, y compris sur la durée. En fait, fils de leur époque, Marx et Engels utilisent le mot de dictature dans le sens quil avait durant la seconde moitié du xixe siècle, à savoir simplement un pouvoir fort et autoritaire. Lexpérience française de Cavaignac43 ainsi que lexpérience prussienne 114illustrent, toutes deux, la double définition du terme à cette époque. De fait, selon Marx et Engels, un régime républicain et parlementaire peut être qualifié de dictature.

Par conséquent, pour Marx et Engels, le mot de dictature équivaut à une domination44 exclusive ou à un pouvoir fort. Pendant la période qui va de 1850 à 1852, la dictature du prolétariat signifie ainsi la domination dune classe et non dun groupe révolutionnaire. Dans Les Luttes de classes en France, Marx écrit que le prolétariat devait utiliser « laudacieuse devise révolutionnaire : Renversement de la bourgeoisie ! Dictature de la classe ouvrière45 ! ».

Pendant la période où Marx est rédacteur en chef de la Neue Rheinische Zeitung, soit entre 1848 et 1849, il est amené à utiliser plusieurs fois lexpression de « dictature militaire » pour vilipender le régime prussien. En revanche, le mot nest jamais appliqué au prolétariat. De même, dans Les Luttes de Classes en France, le mot dictature est utilisé 17 fois au total. Mais il est essentiellement associé à des classes sociales : la bourgeoisie (9 fois), la dictature militaire de Cavaignac (4 fois), la coalition des ouvriers (2 fois), le prolétariat (2 fois)46. Marx parle ainsi de « dictature législative des royalistes unifiés », décrit la « République constitutionnelle » de « domination de classe », cest-à-dire de dictature47 et la république social-démocrate de « dictature de ses alliés ». Marx parle en particulier de la « dictature bourgeoise » pour désigner la domination de la bourgeoisie sous la Deuxième République. Dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, il évoque également la « dictature parlementaire de la bourgeoisie » (identifiée à la « domination bourgeoise ») et la « dictature des républicains bourgeois ».

Marx utilise même lexpression « dictature de classe du prolétariat » pour redéfinir un terme quil avait déjà employé auparavant : le socialisme. Au socialisme doctrinaire ou utopique, qui refuse la lutte des classes et veut imposer son idéal contre la réalité sociale, il oppose « le socialisme révolutionnaire », quil identifie au communisme :

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Ce socialisme est la déclaration de la révolution en permanence, la dictature de classe du prolétariat comme point de transition nécessaire vers labolition des différences de classes tout court48

La dictature de classe, synonyme de socialisme, est donc une étape transitoire vers la société communiste, à savoir labolition de toutes les classes et la société sans classes49. Elle est un moyen nécessaire pour changer les conditions économiques et sociales. Bien que temporaire parce que transitoire, cest aussi un processus révolutionnaire ayant une certaine durée (que Marx ne précise pas).

En dépit de la diffusion de ce concept en dehors dEurope via Weydemeyer, une fois le début de la décennie 1850 passé, Marx ne parle plus de la dictature du prolétariat. Parallèlement, il ne parle presque pas de révolution et plus du tout de révolution violente. En fait, la décennie 1850 est la décennie où Marx reprend ses études économiques. Il recommence à sinterroger en profondeur sur les ressorts du mode de production capitaliste. L« Introduction générale » à la Critique de léconomie politique est rédigée en 1857, précédant de deux ans la Critique de léconomie politique elle-même et de dix ans la publication du Livre I du Capital. Dans tous ces livres, Marx ne fait pas cas des modalités pratiques que doit prendre la révolution. De même, la rédaction de son pamphlet, Herr Vogt, en 1860 napporte aucune précision quant à notre objet de recherche.

En fait, lévolution de la politique dans les principaux pays industrialisés européens lamène à sinterroger sur les formes que peut prendre laction politique. Laction par lunion et lassociation, sans parler du vote, semble pouvoir porter ses fruits également. Lillustration en est donnée par la création en 1864 de lAssociation Internationale des Travailleurs (AIT), la première Internationale, dont Marx devient, en même temps que le membre, lidéologue. Dans les Statuts et les Adresses de lAssociation, Marx ne parle plus de violence, mais de lutte politique, de mesures positives, « dimmenses avantages physiques, moraux et intellectuels50 », obtenus en réponse à cette lutte, et de la nécessité de la poursuivre. La réduction du temps de travail dans les fabriques anglaises dès cette époque constitue par exemple une des grandes victoires que le prolétariat 116a obtenues par la lutte politique51. À partir du début des années 1850, on peut donc dire que la conception de laction politique de Marx change. La différence avec ce qui précède est de taille.

La Commune de Paris

Après 1852, Marx reste une vingtaine dannées sans parler de la dictature du prolétariat et de violence nécessaire dans la révolution. De son côté, Engels réutilisera le concept de dictature du prolétariat entre 1890 et 1893, bien après la mort de Marx (1883). Il faut ainsi attendre lépisode de la Commune – résurgence dun évènement historique violent – en France, après la guerre franco-allemande de 1870, pour voir réapparaître le thème de la dictature du prolétariat chez Marx.

Bien que très réservé52, au début, à légard de la Commune de Paris, Marx soutiendra la rébellion populaire jusquà la fin. Ce faisant, il confirme, en 1871, ce quil avait écrit auparavant – le passage obligé entre les deux sociétés, bourgeoise et communiste – sans précision de durée :

Entre la société capitaliste et la société communiste, se situe la période de transformation révolutionnaire de lune en lautre. À cette période correspond également une phase de transition politique, (…) la dictature révolutionnaire du prolétariat53.

Marx sinspire alors des mesures de la Commune pour définir le contenu de sa dictature du prolétariat. Le thème dune révolution par la violence refait surface. Dabord, le peuple en armes représente la condition et garantie sine qua non de toutes les autres mesures. Il sagit pour ce dernier de sassurer de lintégralité des pouvoirs et dempêcher un retour en arrière. Lorganisation de masse de la classe ouvrière, homogène, permet la constitution dun corps agissant, « exécutif et législatif à la fois ». Tout organe parlementaire est donc supprimé. Le pouvoir indivisible est directement exercé par le peuple travailleur et non par quelques hommes, encore moins par un parti. Dès lors, lÉtat est démantelé dans ses fonctions régaliennes (police, justice et armée). Les élus, magistrats et fonctionnaires sont choisis dans le peuple et sont 117élus au suffrage universel. Ils sont révocables à tout moment de façon à abolir toute « investiture hiérarchique54 ». Enfin, la production nationale est organisée de manière planifiée et centralisée55.

Ainsi ces moyens de gouvernement et de coercition sont-ils seulement dordre économique et non dordre politique, et leur usage doit « seulement » conduire à la suppression des classes. Nonobstant cela, le philosophe allemand semble ignorer le fait quune pression économique puisse être une pression politique. Pour lui, la distinction va de soi et il semble possible de faire une révolution prolétarienne « mesurée » dans sa violence.

Force est donc de constater que lusage de la violence est très circonstancié dans la philosophie marxienne. Deux périodes historiques violentes qui barraient lhorizon politique de Marx lui ont donné linspiration pour appeler de ses vœux une révolution violente. Néanmoins, une fois leffervescence passée, léchec de toute forme de violence en politique paraît devenir patent et Marx retrouve des idées plus pacifiques et républicaines. Le développement de laction prolétarienne, la création de lAIT, la reconnaissance des organisations ouvrières et linstauration des premières lois ouvrières favorisent un changement continu dans lopinion de Marx. Laction politique pacifique est possible. Il faut à présent nous arrêter sur les modalités dune révolution marxienne qui ne serait pas marquée du sceau de la violence.

III. La révolution par les urnes

En juillet 1871, dans une interview à un journal américain, Marx estime que la conquête du pouvoir politique par le prolétariat peut se faire de deux manières : soit par la voie démocratique, comme en Angleterre, où cette voie est possible, soit par la violence, comme en France, où la voie démocratique est fermée à lépoque :

En Angleterre, par exemple, la voie qui mène au pouvoir politique est ouverte à la classe ouvrière. Une insurrection serait folie là où lagitation pacifique peut tout accomplir avec promptitude et sûreté. La France possède cent 118lois de répression (…) et on ne voit pas comment échapper à cette solution violente quest la guerre sociale. Le choix de cette solution regarde la classe ouvrière de ce pays56.

Dans dautres interviews pour des journaux anglo-saxons, Marx confirme cette idée. Des discours prononcés à lAIT en septembre 1871, puis septembre 1872, se font lécho de cette conception. Enfin, dans des articles datés de 1873 et de 1878, Marx sexprime sur les deux possibilités qui soffrent à toute intervention prolétarienne en sexpliquant sur lusage de la violence57.

De fait, on ne peut accuser Marx de faire lapologie continuelle de la violence. Celle-ci est limitée et Marx finira par la condamner en reconnaissant la possibilité dune action politique non-violente. Pourtant, ceci nempêche pas Marx de souligner limportance de lutilisation de la force dans lhistoire qui est « laccoucheuse de toute vieille société en travail » et qui constitue un véritable « agent économique58 ». Mais, entre la force et la violence, il existe une différence que le suffrage universel incarne.

La stratégie minoritaire

Dans la perspective où il bannit le recours à la violence, une des stratégies que défend Marx amène le prolétariat à sallier avec son futur ennemi afin de lappuyer à écarter du pouvoir la classe dominante de lancienne société. Marx constate, en outre, que les changements politiques (instauration de la République et du suffrage universel) ne suffisent pas certaines fois à réaliser une révolution sociale. Le prolétariat nest alors pas assez important numériquement pour conquérir seul le pouvoir politique. Et il ne peut simplement aider au parachèvement dune révolution passée. Il doit, par conséquent, sallier avec dautres classes (paysans, petite bourgeoisie e.g.) afin de les gagner à sa cause, ce qui retarde dautant la véritable révolution prolétarienne.

Ainsi plusieurs facteurs aident-ils le prolétariat dans sa « tâche historique ». Tout dabord, dans ses diverses luttes contre la monarchie et laristocratie, la bourgeoisie est forcée de demander laide du prolétariat et de « lentraîner ainsi dans le mouvement politique » : de cette manière, 119elle lui apporte « les éléments de sa propre culture » et met dans ses mains « des armes contre elle-même59 ». Par la suite, « des fractions entières de la classe dominante » ainsi que dautres classes rejoignent le prolétariat. Ce phénomène est la conséquence dune prolétarisation et paupérisation générale de la société bourgeoise du fait de la baisse tendancielle des taux de profit60. Partant, cela pousse à la misère une partie toujours croissante de la population générant la création dune « armée de réserve industrielle61 ». Enfin, avec laccentuation de la lutte des classes, « une partie de la bourgeoisie passe au prolétariat, en particulier ceux des idéologues bourgeois qui se sont haussés à lintelligence théorique du mouvement général de lhistoire62 », au nombre desquels figurent déjà Marx et Engels.

Cette stratégie minoritaire63 se résume donc à aider dabord la bourgeoisie à parachever sa révolution. Ensuite, le prolétariat réalisera contre elle une révolution prolétarienne. Cette stratégie est évoquée dans les Revendications du parti communiste en Allemagne de 1848. Ce texte invite « le prolétariat allemand, les petits bourgeois et les petits paysans » à travailler ensemble, pour « permettre aux millions dallemands exploités jusquici par une minorité (…) dobtenir leurs droits ». Le texte prévoit la proclamation de la république, linstauration du suffrage universel et la création dun « Parlement du peuple allemand ». La plupart des autres mesures économiques demandées sont dirigées contre les structures féodales et laristocratie financière, défendant ainsi les intérêts des paysans et de la petite bourgeoisie64.

Marx tente de mettre en œuvre cette stratégie en Allemagne en 1848. Il préconise alors une alliance entre les ouvriers et les bourgeois démocrates en vue de la participation aux élections parlementaires avec les démocrates65. Hélas, cette stratégie dalliance échoue et la contre-révolution finit par lemporter, ce qui enlève tout espoir de réaliser une révolution démocratique. Dépité par léchec de la bourgeoisie libérale, Marx prend 120désormais conscience de limpossibilité dune « révolution purement bourgeoise » en Allemagne conduisant à une monarchie constitutionnelle. Il déplore le manque dambition de ce pays qui ne peut réaliser quune « révolution social-républicaine », en deçà des aspirations du philosophe66.

La stratégie majoritaire

Apparaissant dans LIdéologie allemande et le Manifeste du Parti Communiste, la stratégie majoritaire (Barbier, 1992) correspond, dans son essence même, à la conception marxienne de la révolution prolétarienne. En effet, le prolétariat représente « le mouvement autonome de limmense majorité dans lintérêt de limmense majorité67 ». Dès lors, le prolétariat peut, puisquil incarne en plus lintérêt général68, arriver au pouvoir dune manière légale et pacifique grâce au suffrage universel. Cependant, cette analyse de Marx, comme les précédentes, dépend entièrement des circonstances auxquelles elles sattachent.

LAngleterre, qui a recueilli la première les fruits de la révolution industrielle puisquelle la enfantée sur son sol, résume exclusivement dans un premier temps le groupe des nations qui peut faire la révolution par les urnes. Sa classe ouvrière, en avance sur celles des autres pays européens, est également supérieure en nombre. Elle est aussi plus organisée. À ce titre, lAngleterre est le pays où Marx estime que le suffrage universel peut permettre aux ouvriers anglais de conquérir le pouvoir, car ils représentent la grande majorité de la population.

En 1867, lorsque lAngleterre étend le droit de vote par une loi qui double le nombre des électeurs, le pays hôte de Marx passe, à ses yeux, pour être la seule nation au monde à pouvoir accueillir une révolution de manière démocratique, légale et pacifique. Les États-Unis font à peu près lobjet des mêmes vues. En ce qui concerne dautres pays européens, dans une interview publiée le 5 Janvier 1879 pour le Chicago Tribune, Marx déclare « quil y aura une révolution sanglante en Russie, en Allemagne, en Autriche et peut être en Italie ». Mais il ajoute que « ces révolutions seront faites par une majorité », car « aucune révolution ne peut être faite par un parti, mais par une nation » (Hunt, 1984, p. 318). Marx nexplique pourtant pas comment des pays où la 121classe ouvrière est peu développée peuvent voir une révolution où le prolétariat est en majorité. Il reste confiant dans les lois historiques quil a crues identifier.

Le cas de la France amène Marx à mûrir lidée quil se faisait du suffrage universel. Dabord, parce que la classe ouvrière nest pas assez nombreuse – il sagit dun pays encore grandement agricole (Berstein & Milza, 1996) – et son régime politique, après la courte période de la Deuxième République, nest pas assez démocratique. Surtout, Marx est devenu conscient en 1851, avec le plébiscite du coup dÉtat de Napoléon III, de lusage que des démagogues peuvent faire du suffrage universel. Louis Bonaparte en a ainsi abusé en instaurant et maintenant un despotisme, où les paysans, son électorat de base, étaient majoritaires. En 1871, il constate que le Second Empire, né dun coup dÉtat, avait « le suffrage universel pour visa et le sabre pour sceptre69 ». Dès lors, Marx reste sceptique sur lutilisation du suffrage universel.

Toutefois, vingt ans après, la chute du Second Empire en 1871 rouvre la voie au suffrage universel en France et à une utilisation plus saine. La croissance numérique de la population ouvrière et le caractère démocratique probant des institutions de la Troisième République permettent à Marx de placer la France aux côtés de lAngleterre et des États-Unis. Il envisage pour elle une stratégie majoritaire. Cest pourquoi il recommande au Parti ouvrier français de participer aux élections et de se servir du suffrage universel, « transformé ainsi dinstrument de duperie quil a été jusquici en instrument démancipation70 ».

La représentation parlementaire

Le problème du suffrage universel pose par ricochet celui de la représentation, ipso facto, du parlementarisme. Si Marx est favorable en principe au suffrage universel, tout en étant attentif à ses conditions dexercice, il est plus réservé et même méfiant à légard du parlementarisme, tel quil existait alors. Marx critique en effet le parlementarisme dans la mesure où il introduit une séparation entre la société réelle et ses représentants, qui tendent à devenir indépendants de leurs électeurs 122et coupés du monde extérieur. Il estime que le parlementarisme opère cette néfaste séparation entre lÉtat et la société civile quil sefforce justement de supprimer. Cest pourquoi, dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, il dénonce :

cette maladie bien particulière qui, depuis 1848, a exercé ses ravages sur tout le continent, le crétinisme parlementaire, qui enferme dans un monde imaginaire ceux qui en sont atteints et leur enlève tout sens, tout souvenir, toute compréhension pour le rude monde extérieur71

Dans le même élan, près de 20 ans après la rédaction du 18 Brumaire… Marx approuve la Commune de Paris, qui est composée de conseillers élus au suffrage universel, responsables et révocables à tout moment, car ce nest pas « un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois72 ».

Néanmoins, Marx ne critique pas le Parlement anglais, car il détient un pouvoir fort et contrôle étroitement lexécutif. Trois ans avant sa disparition en 1883, Marx donne un éclaircissement eu égard à ce thème dans une lettre à Hyndman. Ce dernier, socialiste anglais de tendance réformiste, sinquiétait de voir Marx préconiser la révolution violente, car il pensait quen Angleterre, les ouvriers pouvaient atteindre leur but de manière pacifique. Dans sa réponse, Marx affirme que ce pays doit normalement connaître une évolution pacifique et, sil nen était pas ainsi, ce serait parce que la classe ouvrière naurait pas utilisé ses droits et ses libertés. En effet, le philosophe allemand

estime une révolution anglaise non pas nécessaire, mais (…) possible. Si linévitable évolution se change en une révolution, ce ne sera pas seulement la faute des classes dominantes, mais aussi de la classe ouvrière73.

Cette dernière peut, par ses pressions, obtenir de celles-là des concessions pacifiques. Mais si ces pressions diminuent, « cest parce que la classe ouvrière anglaise ne sait pas employer la force et les libertés quelle possède bel et bien74 ».

123

Marx estime donc que, dans le cas de lAngleterre, lévolution nécessaire doit se faire par des moyens légaux et dune manière pacifique. Il invite donc la classe ouvrière à utiliser pleinement ses droits et à éviter ainsi une révolution violente. Après le retour de la République en France, Marx ne préconise que des moyens pacifiques – essentiellement le suffrage universel – et évite de parler de recours à la violence75. À la fin de sa vie, Marx est donc convaincu que le prolétariat peut accéder au pouvoir dune manière légale et pacifique dans les pays démocratiques, cest-à-dire principalement en Angleterre, aux États-Unis et en France, après létablissement de la Troisième République. Ce sont aussi les pays qui sont suffisamment avancés économiquement pour pouvoir abolir le système capitaliste et réaliser le socialisme.

Mais comment sorganiser en vue dun système parlementaire ? Marx préconise constamment la structuration du prolétariat en organisation politique – association ou parti – pour la conquête du pouvoir. Le parti ouvrier, ou « parti prolétarien », quil tente de mettre en place désigne à la fois une cause et un mouvement au sens large, en même temps que lorganisation politique de la classe ouvrière. Marx parle peu du « parti communiste », sinon dans LIdéologie allemande et ses articles de lautomne 1847 et, bien sûr, dans le Manifeste.

Néanmoins, linspirateur de tous les Partis Communistes des xixe et xxe siècles accorde peu dimportance et de respect aux partis politiques de son temps. Il les assimile parfois à des sectes, comme dans le cas du Parti Social Démocrate allemand fondé par Lassalle76. Seule lAssociation Internationale des Travailleurs quil participe à fonder trouve grâce à ses yeux. Il est vrai quil sagit davantage dune fédération de sections ouvrières de différents pays que dun parti politique. Dans tous les cas, il nexiste pas pour Marx de parti davant-garde composé de révolutionnaires professionnels et chargé de diriger la classe ouvrière.

En ce qui concerne les syndicats, Marx a une attitude plutôt ambivalente vis-à-vis deux. Les soutenant de manière claire, il peut 124les critiquer lorsquils se limitent à améliorer le sort de certains ouvriers déjà favorisés77. Il fait pourtant davantage confiance aux syndicats quaux partis politiques pour organiser la classe ouvrière et conduire sa lutte. Cest pourquoi il refuse que les syndicats soient soumis aux partis. Dans une lettre doctobre 1868 à von Schweitzer, il affirme nécessaire lindépendance du mouvement de classe (que représentent les syndicats) par rapport aux sectes, i.e. aux partis politiques. Parallèlement, il refuse que les syndicats allemands soient contrôlés, en loccurrence par le parti Social Démocrate allemand de Lassalle78.

Conclusion

Il ny a pas, au final, de théorie de la révolution prolétarienne chez Marx. Lexamen longitudinal de son œuvre permet de voir quil hésite entre les deux formes que peut prendre la révolution. Si la voie démocratique nexiste pas ou si elle lui est fermée, par un « terrorisme bourgeois79 » e.g., le prolétariat peut recourir à la violence. Il en est de même si ses adversaires recourent à la force pour contester sa victoire obtenue légalement80. Cependant, lorsque cela est possible, la voie pacifique des urnes via la généralisation du suffrage universel remporte sa préférence. Or, à la fin du xixe siècle, lévolution démocratique des principaux pays européens a fini par convaincre Marx de la possibilité dune révolution par les urnes. Il paraît faire alors confiance à un système parlementaire. Linstauration du vote et de certains idéaux démocratiques ouvre des voies inexplorées à la frange du peuple dominé.

Toutefois, eu égard à la « conception matérialiste81 » de lhistoire de Marx, peu importent les modalités de la révolution. Par la violence 125ou par les urnes – cette solution ayant malgré tout la préférence finale –, cest, de toute façon, avec la force de lévidence que simpose la fin de la société bourgeoise. Il y a chez Marx une différence entre la révolution pensée comme nécessité (révolution violente) et la révolution pensée comme possibilité (révolution parlementaire), comme lécrit Garro (2000, p. 256). Néanmoins, de là à affirmer que la mort de la liberté produit la nécessité de la liberté (Tosel, 1999), il y a un pas qui ne semble pas entièrement franchissable. Dabord cette liberté individuelle ne parait jamais entièrement morte, ensuite ses limites semblent être toujours là pour la réduire considérablement. Effectivement, comme Marx lécrit en introduction à la Critique de léconomie politique, ce « nest pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, cest au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience82 ». Sur ce point, Marx sera toujours plus catégorique que sur linverse. En effet, au fur et à mesure de ses travaux consacrés à léconomie politique, sa vision du « libre arbitre [qui] constitue lessence de lhomme83 » décrite dans un article publié en 1842 semble sétioler.

Pourtant, il demeure chez Marx, à titre individuel, la présence et la force inextinguible dun appel à laction lancé aux ouvriers du monde entier. Il faut accélérer le mouvement inéluctable de lhistoire qui mènera, par la violence ou, mieux, par le vote, à la société communiste. Cest en ce sens quil faut comprendre linjonction du Manifeste : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous84 ! ». Laction politique infatigable de Marx au sein de la Ligue des Justes, qui devient rapidement la Ligue Communiste puis le Parti Communiste, comme ses nombreux articles dans des journaux anglo-saxons, et enfin son immense œuvre économico-politique témoignent tous, chacun à leur manière, des efforts réalisés dans cette perspective. Hélas, ses épigones marxistes auront tôt fait de faire de ses idées :

une idéologie au sens même que Marx donnait à ce terme : un ensemble didées qui se rapporte à une réalité non pour léclairer et la transformer, mais pour la voiler et la justifier dans limaginaire (Castoriadis, 1975, p. 15),

126

alors que le philosophe allemand sest défendu, dans une postface de 1873 à une édition du Capital, de vouloir « formuler des recettes (…) pour les marmites de lavenir85 ».

127

Annexe 1

Tableau des abréviations des œuvres utilisées
(par ordre chronologique de rédaction)

Année de rédaction

Titre

Abréviation

1842

Gazette Rhénane (Rheinische Zeitung)

Gazette

1845-1846

LIdéologie allemande

IA

1847

Misère de la Philosophie

MPh

1848

Manifeste du Parti Communiste

MPC

1849

Travail salarié et capital

Travail

1850

Les luttes des classes en France 1848-1850

LdC

1851

Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte

18B

1857

Introduction à la Critique de léconomie politique

I-CEP

1857-1858

Principes dune Critique de léconomie politique

Grundrisse…

1859

Critique de léconomie politique

CEP

1864

Salaire, prix et plus-value

Salaire

1864-1872

LAssociation Internationale des Travailleurs : tous les opuscules qui y font référence

AIT

1867

Le Capital

Le Cap.

1871

La Guerre civile en France

GCF

1875

Critique du programme du parti ouvrier allemand

Critique
du Gotha

1880

Considérants du programme du Parti ouvrier français

Considérants

1965i

Œuvres : Économie I (Pléiade)

Pl. I

1968i

Œuvres : Économie II (Pléiade)

Pl. II

1982i

Œuvres : Philosophie (Pléiade)

Pl. III

1994i

Œuvres : Politique I (Pléiade)

Pl. IV

i.Il sagit des années de publication des œuvres complètes dans la collection la Pléiade.

128

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1 Lauteur remercie les deux rapporteurs anonymes.

2 Vorwärts ! (1844) in Pl III, p. 417. Marx utilisait abondamment la forme italique pour souligner sa pensée. Nous avons donc repris ses italiques tels quels dans les citations utilisées pour ce papier. Par souci de simplification, nous indiquons en note de bas de page toutes les références concernant les citations de Karl Marx. Cf. Annexe I pour les abréviations utilisées.

3 IA (1845) in Pl III, p. 1071 ; LdC in Pl IV, p. 319.

4 Les auteurs sont classés par ordre chronologique des premières éditions. Voir bibliographie.

5 I-M43 (1843) in Pl III, p. 390.

6 IA (1845) in Pl III, p. 1316.

7 Marx na jamais eu la vanité de vouloir faire croire quil était le père des créations quon lui prêtait : « Mon originalité a consisté : 1. à démontrer que lexistence des classes nest liée quà des phases historiques déterminées du développement de la production ; 2. que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ; 3. que cette dictature elle-même ne représente quune transition vers labolition de toutes les classes et vers une société sans classes. » (Lettre du 5 mars 1852 de Marx à Joseph Weydemeyer in Correspondance, tome III, p. 79). Nous aborderons dans larticle la question de la dictature du prolétariat.

8 IA (1845) in Pl III, p. 1298.

9 Faire des bourgeois les descendants des serfs peut, entre autres, laisser sceptique (Lefort, 1986b).

10 Grundrisse (1857-1858) in Pl II, p. 209.

11 MPh (1847) in Pl I, p. 79.

12 « Voyons les faits : des individus déterminés, exercent une activité productive déterminée, nouent des relations sociales et politiques déterminées. » IA (1845) in Pl III, p. 1055.

13 Le Cap., Livre I (1867) in Pl I, p. 550.

14 LdC (1850) in Pl IV, p. 238, 241, 266, 273.

15 Capital, Livre I (1867) in Pl I, p. 1240.

16 Le Livre III du Capital paraît 11 ans après la mort de Marx. Engels a essayé de donner une forme définitive à ce qui nétait quun travail – de plusieurs milliers de pages – encore non abouti (Cap., Livre III (1864-1875) in Pl II, p. 867).

17 Cap., Livre III (1864-1875) in Pl II, p. 1484.

18 Cap., Livre III (1864-1875) in Pl II, p. 1485.

19 18B (1852) in Pl IV, p. 532.

20 Critique du Gotha (1875) in Pl I, p. 1427.

21 IA (1845) in Pl III, p. 1320 ; MPC (1848) in Pl I, p. 173 ; Cap., Livre I (1867) in Pl I, p. 1240.

22 IA (1845) in Pl III, p. 1114.

23 IA (1845) in Pl III, p. 1067.

24 IA (1845) in Pl III, p. 1320.

25 MPC (1848) in Pl I, p. 174.

26 I-M43 (1843) in Pl III, p. 390.

27 Ibid.

28 MPh (1847) in Pl I, p. 136.

29 MPC (1848) in Pl I, p. 172 et passim, p. 183, 190 et passim.

30 MPC (1848) in Pl I, p. 192.

31 MPh (1847) in Pl I, p. 136.

32 Lettre à Annenkov du 28 décembre (1846) in Pl I, p. 1448.

33 MPC (1848) in Pl I, p. 173.

34 La contre-révolution triomphe à Vienne, 7 novembre 1848 in Pl IV, p. 76.

35 La suppression sommaire de la Neue Rheinische Zeitung, 19 mai 1849 in Pl IV, p. 229.

36 La suppression sommaire de la Neue Rheinische Zeitung, 19 mai 1849 in Pl IV, p. 230.

37 Adresse du Comité central de la Ligue des Communistes (1850) in Pl IV, p. 554.

38 Adresse du Comité central de la Ligue des Communistes (1850) in Pl IV, p. 555.

39 Le nombre doccurrences est en mettre en rapport avec la volumétrie de la production marxienne. À ce jour, ont été publiés, en français, 4 tomes de ses œuvres dans la collection la Pléiade aux éditions Gallimard (chaque volume compte plus de 2 000 pages) et 12 tomes de ses Correspondances aux Éditions Sociales.

40 Appendices in Pl IV, p. 1679-1681.

41 « La dictature du prolétariat » par Joseph Weydemeyer in Pl IV, p. 1091-1095.

42 Le concept de « matérialisme historique » est postérieur à Marx. Il semble avoir été forgé par J. Dietzgen et par G. Plekhanov entre 1887 et 1891 (Macherey, 1999).

43 Ministre de la Guerre, il fut investi, en juin 1848, de pouvoirs dictatoriaux qui lui permirent décraser linsurrection ouvrière, puis de devenir chef du pouvoir exécutif avant dêtre battu aux élections présidentielles en décembre 1848 par Louis Napoléon, futur Napoléon III.

44 Lettre au rédacteur en chef de la Neue Deutsche Zeitung, 25 Juin 1850 in Correspondance, tome II, p. 77-78.

45 LdC (1850) in Pl IV, p. 261.

46 LdC (1850) in Pl IV : pour la « dictature de la bourgeoisie », cf. p. 262, 269, 328, etc. ; pour la « dictature du prolétariat », cf. p. 261, 324, etc. ; « dictature militaire », cf. p. 269, etc.

47 LdC (1850) in Pl IV, p. 329.

48 LdC (1850) in Pl IV, p. 324.

49 Lettre de Marx à Joseph Weydemeyer du 5 mars 1852 in Correspondance, tome III, p. 79.

50 Adresse inaugurale de lAIT (1864) in Pl I, p. 465.

51 Salaire (1864) in Pl I, p. 530.

52 Le 9 Septembre 1870, Marx parle de « folie désespérée ». Cf. « Seconde adresse du Conseil général sur la guerre franco-allemande », in GCF (1871), p. 29-30.

53 Critique du Gotha (1875) in Pl I, p. 1429.

54 Adresse du Conseil général de lAIT (1871) in GCF, p. 49-50.

55 Adresse du Conseil général de lAIT (1871) in GCF, p. 32-67.

56 Interview dans The New York World du 18 juillet 1871 in Le mouvement social, No 38, janvier-mars 1962, p. 10.

57 Chronologie in Pl I, p. clxv.

58 Le Cap. (1867) in Pl I, p. 1213.

59 MPC (1848) in Pl I, p. 168.

60 Travail (1849) in Pl I, p. 228 ; Cap., Livre III (1864-1875) in Pl II, p. 1040-1047.

61 Le Cap., Livre I (1867) in Pl I, p. 1148.

62 MPC (1848) in Pl I, p. 171.

63 Barbier (1992) indique quune stratégie minoritaire peut devenir violente. De notre côté, nous distinguons la stratégie minoritaire non violente de la révolution violente.

64 Revendications du Parti communiste en Allemagne (1848) in Pl I, p. 1460-1462.

65 Rheinische Zeitung (1848) in Pl IV, p. 1-233.

66 Neue Rheinische Zeitung (31 décembre 1848) in Pl IV, p. 135.

67 MPC (1848) in Pl I, p. 172 et passim.

68 IA (1845) in Pl III, p. 1122.

69 Adresse du Conseil général de lAIT (1871) in GCF, Éditions Sociales, Paris, 1968, p. 47.

70 Considérants (1880) in Pl I, p. 1538.

71 18B (1851) in Pl IV, p. 503. Ce « crétinisme » nest en rien un hapax car il réapparait 2 autres fois, p. 503 et p. 523. Marx surenchérit en parlant du « mal incurable du crétinisme parlementaire ».

72 Adresse du Conseil général de lAIT (1871) in GCF, Éditions sociales, Paris, 1968, p. 48.

73 Chronologie in Pl I, p. clxx.

74 Chronologie in Pl I, p. clxx.

75 Considérants (1880) in Pl I, p. 1538.

76 Lettre à J.B. von Schweitzer du 13 octobre 1868 in Marx et Engels (1982), Correspondance, tome IX, p. 335 sq. De même, F. Engels a des mots très durs : « que nous importe un “parti”, cest-à-dire une bande dânes qui ne jure que par nous (…) ces chiens bornés dont ces dernières années nous ont imposé la promiscuité ». Lettre à K. Marx du 13 février 1851 in Pl IV, p. 546.

77 AIT (1866) in Pl I, p. 1470-1471.

78 Lettre à J.B. von Schweitzer du 13 octobre 1868 in Marx et Engels (1982), Correspondance, tome IX, p. 337.

79 LdC (1850) in Pl IV, p. 262.

80 Chronologie in Pl I, p. clxv.

81 IA (1845) in Pl III, p. 1051 et passim.

82 Avant-propos de la CEP (1859) in Pl I, p. 273. Voir aussi IA (1845) in Pl III, p. 1058.

83 Gazette (mai 1842) in Pl III, p. 145.

84 MPC (1848) in Pl I, p. 195.

85 Le Cap., Extrait de la postface de la 2de édition allemande (1873) in Pl I, p. 555. – Douze ans après la mort de son ami, en 1895, dans son introduction aux Luttes de classes en France, Engels procède également avec lucidité à un examen de conscience eu égard aux solutions violentes préconisées plus dun demi-siècle auparavant : « Toutefois, lhistoire nous a donné tort à nous aussi, elle a révélé que notre façon de voir était alors une illusion. Elle est allée plus loin encore : elle na pas seulement réduit à néant notre erreur du moment, elle a aussi bouleversé complètement les conditions sous lesquelles le prolétariat doit combattre. Le mode de lutte de 1848 est aujourdhui à tous égards périmé, et cest là un point qui mérite, à cette occasion, dêtre examiné de plus près. » (Introduction à Karl Marx par Engels (1895) des LdC in Pl IV, p. 1127). À son tour, Engels finit par valider lutilisation de « moyens légaux » politiques comme le suffrage universel pour en faire des instruments révolutionnaires pacifiques (Ibid., p. 1137).