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Classiques Garnier

Le spectre du luxe

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
    2016 – 1, n° 1
    . varia
  • Auteur : Tiran (André)
  • Résumé : Au xviiie siècle à travers le prisme du luxe, le commerce, la monnaie, les arts sont mobilisés pour comprendre l’évolution de la société et apporter des réponses qui aillent dans le sens de l’amélioration de la vie de toute la population. Ces questions seront traitées à travers les écrits de trois auteurs. Le premier Ferdinando Galiani dans le De la monnaie aborde la question du luxe sous l’angle de la valeur, de l’utilité et du prix. Le deuxième Pietro Verri le traite sous l’angle du développement de l’industrie et le troisième Jean Baptiste Say a une position qui évolue d’une condamnation des dépenses improductives à une acceptation du luxe.
  • Pages : 99 à 127
  • Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406061243
  • ISBN : 978-2-406-06124-3
  • ISSN : 2495-8670
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06124-3.p.0099
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 14/07/2016
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Luxe, F. Galiani, P. Verri, J.-B. Say, consommation
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Le spectre du luxe

André Tiran

Université de Lyon

Laboratoire Triangle UMR CNRS

Introduction

Au xviiie siècle le débat sur le luxe sest mené dans toute lEurope et a donné lieu à de multiples contributions et ouvrages, aussi bien dinconnus que de ceux que nous considérons aujourdhui comme les économistes de cette époque. On y trouve également des philosophes comme Voltaire et Diderot, des fondateurs de la science politique comme Montesquieu et bien dautres. Le débat sur le luxe, qui interpelle hommes de lettres, philosophes et économistes au xviiie siècle sinscrit dans le contexte de lévolution de la société. Les prises de position sont révélatrices dun changement de système de valeurs présents chez tous ces auteurs : Fénelon, La Rochefoucauld, Montesquieu, Rousseau, Mandeville, Voltaire, Smith, Melon mais aussi Verri, Genovesi, Galiani, Filangieri. Dans cet article nous avons mobilisé des auteurs peu pris en compte dans les articles et manuels à lextérieur de lItalie, et pour Say, considérés comme nayant que peu contribué à la discipline1.

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La question a été traitée [Margairaz, D. (1999), p. 25] en particulier dans le cadre de la querelle du luxe au xviiie siècle1. Larticle « Luxe », publié en 1762 dans lEncyclopédie et rédigé par le marquis de Saint Lambert [(1751), p. 763-771], est un résumé des débats sur cette question au cours de la première moitié du xviiie siècle. Henri Baudrillart2 a très bien décrit lévolution qui se produit au cours du xviiie siècle :

Tout change avec les temps modernes. Lindustrie prend le pas sur lart, et le luxe lui-même vise au bien-être.

La dimension bourgeoise du luxe est affirmée :

Le bon côté du luxe, ainsi multiplié et réparti sous linfluence de lesprit démocratique de bien-être et dégalité. On substitue un luxe de commodité au faste de laristocratie : « Ce quon nommait le luxe naguère passe à létat dhabitude dans la vie quotidienne ». [Baudrillart, H. (1878-1880), T. I, p. 153 ; T IV, p. 2 ; T. IV, p. 3 et p. 610]

Le luxe a accompli le mouvement niveleur qui distingue le siècle.

Les Gouvernements appuyés sur ces théorisations ont orienté leur politique dans un sens favorable au luxe et déjà au début du xvie siècle les classes dirigeantes sont convaincues que les dépenses de luxe sont nécessaires et positives pour la collectivité. Ce que ces auteurs apprécient par-dessus tout cest le fait de développer les marchés. Une des caractéristiques des changements du produit de luxe, à laube du xixe, siècle réside dans le fait quavec le développement de lindustrialisation il entre dans la sphère privée, dans lintimité de la famille, de lhabitation, de lindividu. Il se développe en relation avec lurbanisation et à son tour celle-ci conditionne et pousse au développement de nouvelles formes et de nouveaux objets de luxe, quil sagisse du mobilier, du vêtement, de la table ou de lalimentation.

La question doit être analysée dans un contexte qui est à la fois la naissance de la nouvelle science de léconomie politique dune part et dautre part la nécessité pour les auteurs, qui portent cette nouvelle 101science, de sémanciper de lemprise des théories de lÉglise et de celles du pouvoir politique. À travers la question du luxe se livre un combat politique contre les arguments de lÉglise et de tous les moralistes. Pour résoudre les problèmes sociaux que sont la pauvreté, linégalité, le luxe, lenrichissement personnel, il faut développer le luxe de confort ou de commodité, qui permet de stimuler lindustrie et la consommation et dengendrer la prospérité publique.

Le but de cet article est dapporter un nouvel éclairage sur ce débat à travers la présentation de trois auteurs en Italie et en France entre 1751 et 1803 : Ferdinando Galiani (1728-1787), Pietro Verri (1728-1797), Jean-Baptiste Say (1767-1832). Les ouvrages sur lesquels va sappuyer notre analyse sont pour Galiani Della moneta (1751), Verri Considerazioni sul lusso (1763)1 et Meditazioni sulla economia politica (1771 b), Say Traité déconomie politique (1803) et le Cours complet déconomie politique pratique (1828-1829). Il sagit en quelque sorte de lécole italienne y compris à travers son influence déterminante sur Jean-Baptiste Say. Le point commun de ces trois auteurs est de développer une théorie de la valeur utilité-rareté, avec des formulations différentes, et de nadopter ni la position des physiocrates sur les sources de la richesse, ni la position de Smith sur la valeur travail. Chez ces trois auteurs tous les secteurs de lactivité économique concourent à la production des richesses.

Les contributions des trois auteurs sont dinégale importance. Elles couvrent la deuxième moitié du xviiie siècle et le début du xixe. Nous les aborderons dans lordre chronologique en essayant de préciser les apports respectifs de Galiani et Verri dune part et de Say dautre part. Pour Galiani nous verrons que son analyse est totalement centrée sur sa théorie de la valeur qui englobe aussi bien les marchandises, produits agricoles que les produits et services de luxe et les œuvres dart. Pour Verri, le luxe sanalyse comme un stimulant fondamental de la consommation et donc de la croissance économique tout en se situant dans la continuité des auteurs comme Hume et Forbonnais. Say achève cette trajectoire en finissant par refuser de distinguer superflu (luxe) et nécessaire et en centrant sa réflexion sur la question de linfluence de la consommation de luxe sur lallocation des facteurs de production.

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I. Le contexte du débat sur le luxe

Le débat sur le luxe, ses avantages et ses inconvénients, ses bienfaits et ses méfaits, les distinctions entre le luxe acceptable et celui qui ne lest pas, sa discussion dans lordre de la morale, de la philosophie, de léconomie et de lhistoire souvre très vite et ont déjà fait lobjet de beaucoup de considérations1. Face aux arguments des moralistes et des théologiens, dès le début du xviiie siècle un certain nombre dauteurs vont faire observer que la frugalité antique était en réalité pauvreté et manque de moyens. Puisque la moitié des hommes ne possède rien « le luxe pourvoit à la destinée de cette moitié dhommes que le besoin forcerait à ramener le premier chaos du droit matériel » [Cartaud de la Villate, F. (1736), p. 322].

Le luxe dans la première moitié du xviiie est un instrument de pouvoir, de domination, à lusage de la monarchie, de la haute aristocratie et du clergé. Il suscite bien plutôt la crainte et le respect que lenvie [Trousson, R. (2006)]. Au fil du temps et des mutations économiques et sociales la position de la question se modifie profondément. Le luxe dattribut des classes privilégiées [Baudrillart, H. (1880), T. IV, p. 445] se transforme en accompagnant la montée en puissance de la classe bourgeoise et le développement de la consommation de biens nouveaux qui apportent confort et plaisir nouveau [Baudrillart, H. (1880), Id.]2. Le faste et lostentation des classes privilégiées provoquent toutefois beaucoup de réactions chez les partisans dun christianisme rigoureux. Fénelon dans le Télémaque fait léloge de la frugalité et condamne la somptuosité de Versailles : « On dit que le luxe sert à nourrir les pauvres aux dépens des riches ; comme si les pauvres ne pouvaient pas gagner leur vie plus utilement, en multipliant les fruits de la terre » [Fénelon, (1699), p. 144]. Si à lépoque de Louis XIV la richesse et le luxe sont encore subordonnés à la prise en compte des titres de noblesse, cette distinction se réduit considérablement après le premier quart du xviiie siècle. Ainsi lEncyclopédie écrit : « Le faste nest pas le luxe. On 103peut vivre dans sa maison sans faste, cest-à-dire sans se parer en public dune opulence révoltante1 ».

Cest aussi la période du développement et de la modification des fonctions de lÉtat, accélérée par les conflits et la logique de puissance qui guide toutes les monarchies en Europe. Le premier rôle de lÉtat cest dabord de monopoliser à son profit tous les instruments de la force et pour ce faire de briser toutes les féodalités, les particularismes qui sopposent à sa puissance. Il doit capter une grande partie des ressources de la production nationale afin de financer ses propres dépenses : ladministration, la justice, la force armée. Afin dy parvenir il faut organiser et donner aux acteurs de léconomie les bases dun développement stable, lever les obstacles à la circulation des marchandises, stabiliser loutil des transactions quest la monnaie, libérer les initiatives et les forces de production, sassurer dune balance des paiements excédentaire ou en équilibre. Enfin il faut participer à la vie spirituelle sans laquelle nulle société nexiste et assigner à la religion la place qui doit être la sienne sans empiètement sur le pouvoir dÉtat. Les transformations de la société, le développement économique posent en dautres termes la question du luxe et lui donnent un sens radicalement différent. Cest la réflexion que fait en 1787 Sénac de Meilhan [(1787), p. 97] : « Le luxe sest établi sur les débris du faste qui a cessé avec le pouvoir de la noblesse ».

Cette argumentation sera poursuivie et développée par Bernard de Mandeville2 pour qui cest la prospérité du vice qui conduit à labondance : « Chaque ordre était ainsi rempli de vices, mais la Nation même jouissait dune heureuse prospérité [] Les vices des particuliers contribuaient à la félicité publique » [Mandeville, B. de (1740), p. 10]. Mandeville défend le luxe, car il donne du travail à tout le monde, en particulier à ceux qui en ont le plus besoin : « Le luxe fastueux occupait des millions de pauvres [] Lenvie et lamour-propre, ministres de lindustrie, faisaient fleurir les arts et le commerce » [Mandeville, B. de (1740), p. 11]3. Cette apologie se développe dans la remarque L de La Fable des abeilles. Le luxe 104cest : « Tout ce qui nest pas absolument nécessaire pour la subsistance de lHomme » [Mandeville, B de (1740), p. 11). La multiplication des besoins, la stimulation du désir et le plaisir que procure lutilisation des différents produits du luxe font de celui-ci un facteur de prospérité et de développement1. En ce sens le luxe est un indice de civilisation, de développement du bonheur social.

Les difficultés, ou les problèmes, que rencontre la société proviennent dautres causes, en particulier celle dune mauvaise politique ou dun mauvais gouvernement. Le luxe engendre donc un développement de la demande, parce que les désirs sont infinis, que les besoins se modifient, tout cela entraîne prospérité collective et accroissement du niveau de vie. Pour Mandeville : « le peuple peut nager dans le luxe, et consommer pour cela des marchandises étrangères, sans en être appauvri » pourvu que les dépenses ne surpassent pas les « revenus » [Mandeville, B. de (1740), p. 130]. Toutefois il ny a pas dopposition, ou alors simplement implicite entre luxe de faste et luxe de commodité. Ses distinctions sont dun autre ordre :

Le Luxe fastueux occupait des millions de Pauvres. (M) La Vanité cette passion si détestée, donnait de loccupation à un plus grand nombre encore. (N) LEnvie même et lAmour propre, Ministres de lIndustrie, faisaient bien fleurir les Arts et le Commerce. Les Extravagances dans le manger et dans la diversité des mets, la Somptuosité dans les équipages et dans les ameublements, malgré leur ridicule, faisaient la meilleure partie du Négoce. [Mandeville, B. de (1740), p. 11]

Lensemble des arguments présentés peut se retrouver dans larticle « Luxe » de lEncyclopédie, écrit par Saint-Lambert [(1751), p. 763-771]. Pour ce dernier le « luxe » nest pas seulement un phénomène économique, mais une question morale et politique centrale de la modernité. La définition courante du « luxe » est alors : la consommation individuelle excessive. Saint-Lambert [(1751) p. 202] suit Forbonnais2. Sa position est résumée dès le début de larticle : « LUXE, cest lusage quon fait 105des richesses et de lindustrie pour se procurer une existence agréable » [Saint-Lambert (1751), p. 765-770]. Le désir de senrichir et de jouir de ses richesses sont dans la nature humaine « dès quelle est en société ». Ces désirs « soutiennent, enrichissent, vivifient toutes les grandes sociétés » car le luxe est un bien et par lui-même il ne fait aucun mal, il ne faut donc « ni comme philosophe, ni comme souverain attaquer le luxe en lui-même » [Ibid.]. La rupture avec toute considération morale et religieuse est radicale quoique larticle contienne une série de considérations politiques et dintérêt général qui nuancent fortement le propos mais qui sont dun autre ordre : celui de lÉtat.

À la suite de cette première définition, Saint-Lambert énumère les thèses qui ont pu être avancées à propos du luxe et quil récuse lune après lautre. Ainsi il note que dans les ouvrages traitant de cette question, le luxe contribue à la population, enrichit les États, facilite la circulation des monnaies, adoucit les mœurs, développe les vertus privées, quil est favorable au progrès des connaissances et des beaux-arts, quil augmente la puissance des nations et le bonheur des citoyens, quil amollit le courage, quil éteint les sentiments dhonneur et damour de la patrie, etc. À ces différentes thèses il ajoute un certain nombre de remarques et de réflexions économiques. Il est faux de dire quil ny a jamais de « luxe sans une extrême inégalité dans les richesses » [Ibid.], de même que « le luxe fait sacrifier les arts utiles aux agréables, et quil ruine les campagnes en rassemblant les hommes dans les villes » [Ibid.]. Pour le comprendre il développe une théorie des stades de développement économique. Au commencement des nations, « la raison, lesprit, lindustrie, ont fait moins de progrès. Il est dans la nature des sociétés, des hommes et des choses quavec le temps les États senrichissent, les arts se perfectionnent et le luxe augmente » [Ibid.]. On retrouvera en partie cette approche chez Say.

En réalité le luxe est relatif à la situation des peuples, au genre de leurs productions, à la situation, et au type de productions de leurs voisins. On ne peut donc tirer aucune conclusion absolue en examinant le luxe, en tant que tel, comme produit isolé du reste du contexte de la société. Tout le problème se situe dans le rapport à la production des manufactures, à la production agricole, à léquilibre, ou au déséquilibre que cela entraîne entre les différentes branches de la production et de la consommation. Saint Lambert conclut : « le luxe est à cet égard pour les peuples ce quil est 106pour les particuliers, il faut que la multitude des jouissances soit proportionnée aux moyens de jouir » [Ibid.]. Lanalyse économique va totalement remplacer chez les auteurs les thèses fondées sur la morale religieuse, les principes politiques, les références à lhistoire antique.

II. Aperçu de la théorie de la valeur
de Galiani, Verri et Say

Pour Galiani la valeur1 est

une idée de proportion entre la possession dune chose et celle dune autre selon lopinion quen a quelquun [] La valeur est donc un rapport, et celui-ci se décompose en deux éléments, que jexprime avec les mots dUtilité et de Rareté. [Galiani, F. (1751), p. 6]

Pour Verri

La valeur est le mot qui indique lestime que les hommes ont dune chose et en mesure les degrés

mais puisque chaque homme possède des opinions et des besoins particuliers

« lidée de la valeur sera très variable », et il ajoute « Le prix des choses est formé par lunion de deux principes : le besoin et la rareté ». [Verri, P. (1771b), p. 251-252]

Enfin chez Jean-Baptiste Say « La valeur de chaque chose est arbitraire et vague tant quelle nest pas reconnue » [Say, J.-B. (1803), p. 79]. 107Pour lui créer des objets qui ont une utilité quelconque, cest « créer des richesses, puisque lutilité de ces choses est le premier fondement de leur valeur, et que leur valeur est de la richesse » [Say, J.-B. (1803), p. 80]1. Laffinité entre les positions des trois auteurs est encore plus marquée si lon considère que tous les trois quils sont opposés aux physiocrates et à « lesprit de système ».

III. Ferdinando Galiani

À lavènement du règne des Bourbon (1734), Naples représente le plus grand marché de consommation et le plus grand centre déchanges du Mezzogiorno. La Naples de Charles III et de Ferdinand IV est une ville pré-capitaliste fondée sur les besoins de consommation et les dépenses liées au frais de représentation du Gouvernement. Cette dernière activité est toutefois très insuffisante pour absorber la masse des sans-travail. Les industries de la laine, de la soie et de lartisanat en général sont en pleine décadence et accentuent le caractère parasitaire de la capitale. Les provinces sont sans argent, toujours endettées vis-à-vis de la capitale et incapables de supporter les impôts et taxes qui leur sont imposés. Les controverses sur lhistoire, la nature et la réforme du système monétaire constituent le débat2 économique et politique le plus important de lépoque.

Rappelons que la Naples de Galiani, ville capitale3, comporte un artisanat totalement orienté vers le luxe, en particulier la bijouterie et la vaisselle, luxe dostentation, ardemment pratiqué par laristocratie espagnole et le baronage du royaume mais aussi par le reste de lEurope qui importe ces biens. En France, Vauban voit dans Paris la ville qui 108absorbe toutes les énergies du royaume. Boisguilbert voit dans la capitale lorigine de tous les maux. Labbé de Saint Pierre à lopposé défend avec optimisme le développement de la capitale. Ce que disent Vauban et Boisguilbert pour Paris peut être repris pour Naples. Les deux tiers des habitants du Royaume vivent sur des terres féodales. Le clergé possède près du tiers des terres ; la moitié des terres du Royaume est inculte ; le pays na pas de routes, il est soumis à des centaines de douanes et de péages ; le brigandage est général. La classe moyenne de juristes (le royaume compte 26 000 dottori) est peu productive1.

La faible prise en compte de lapport théorique de Galiani sexplique en grande partie par labsence de traduction de son ouvrage majeur Della moneta avant une époque récente2. La forme et lobjet même de son ouvrage le rend peu apte à être lu par ceux des économistes qui ne sintéressent pas aux questions monétaires et ont une approche exclusivement centrée sur une approche purement déductiviste. Toutefois Galiani bénéficie en Italie dun renouveau dintérêt avec la publication de numéros spéciaux de revues, et darticles dans les revues internationales3. Les histoires de la pensée qui traitent des questions monétaires4 font peu ou pas du tout référence à Galiani.

Dès sa parution, louvrage de F. Galiani est connu en France dans les cercles de la physiocratie. Linventaire après décès de Vincent de Gournay montre que louvrage figure dans sa bibliothèque. Turgot possédait louvrage de Galiani et le cite dans son texte Valeurs et monnaies [Turgot (1769)] qui paraît près de vingt ans plus tard, lorsquil introduit son concept de « valeur estimative » et de « valeur appréciative ». Au moment où paraît le Della Moneta (1751), Turgot a publié la 109Deuxième lettre à lAbbé de Cicé sur le papier monnaie (1749), qui critique les opinions de J. Law mais ne dit rien sur le problème de la valeur quil introduira vingt ans après en faisant explicitement référence à F. Galiani. Les nouveaux ouvrages, sont vite connus, commentés, voir traduits. Chez Galiani la réflexion sur le luxe sinsère dans le chapitre ii du Livre I du Della Moneta : « Déclaration des principes doù naît la valeur de toute chose. De lutilité et de la rareté, principes stables de la valeur, où lon répond à de nombreuses objections » [Galiani F. (1751), p. 63-102]. Cette question a suscité des interprétations divergentes chez les commentateurs à commencer par Schumpeter, puis Hutchison et enfin plus récemment dautres ont ajouté leur contribution à une interprétation qui reste ouverte1.

Luxe et valeur

Dans ce chapitre Galiani développe une analyse de la valeur et de la formation des prix2. Le concept de valeur englobe celui des produits de luxe. La valeur est un rapport quil exprime avec les mots « dUtilité et de Rareté » [Galiani, F. (1751), p. 69]. Cest dans la définition de lutilité que la justification du luxe trouve sa place au même titre que tous les autres biens et services. Galiani appelle utilité « laptitude que possède une chose à nous procurer le bonheur3 ». Lhomme étant un composé de passions en conséquence pour celui-ci « les satisfaire, cest le plaisir. Lobtention du plaisir, cest le bonheur » [Galiani, F. (1751), p. 69]. Est utile, ce qui produit un vrai plaisir, cest-à-dire « qui apaise laiguillon dune passion ». Or nos passions ne sont pas seulement le désir de manger, de boire, de dormir ; une fois satisfaites, dautres de « force égale surgissent, car lhomme est ainsi constitué que, à peine satisfait un désir, un autre surgit, qui avec une force égale au premier laiguillonne » [Galiani, F. (1751), p. 69], et il est ainsi, perpétuellement tenu en mouvement et ne parvient jamais à se satisfaire totalement.

Le développement des besoins est continu. Le mot utilisé systématiquement pour désigner le mobile daction est celui de passion et en 110aucune façon celui dintérêt. Il ny a aucune rationalité au sens dun calcul des avantages et des inconvénients et pas plus lidée de préférences. Son approche si elle reste subjective ne lamène pas jusquà la théorie de lutilité marginale. Linfluence de G. Vico, quil a connu dans les salons de son oncle Celestino Galiani1, est très présente à travers la critique quil a faite du point de vue constructiviste où les lois, les noms, le langage, la monnaie sont tous le produit de conventions que Vico remplace par la création de lesprit des hommes2. Les observations de Galiani dans le Della moneta sur la tendance de lesprit humain à prendre des concepts ayant un sens relatif dans un sens absolu et sur le fait que lutile est relatif va se transformer dans les Dialogues sur le commerce des blés en une critique de la tendance des économistes physiocrates, favorables au laisser-faire, à tirer des conclusions pratiques mécaniques de principes abstraits. La nature humaine selon Galiani nest pas un concept abstrait semblable à celui de lindividu utilitariste et matérialiste. La nature humaine correspond à lhomme avec toutes ses passions, ses besoins dans un contexte historique déterminé.

À côté des besoins vitaux de conservation il note quil ny a aucune passion qui soit plus forte chez lhomme que celle « du désir de se distinguer et dêtre supérieur aux autres ». Celle-ci dépasse toute autre passion et fait en sorte que « les choses utiles à sa satisfaction ont la plus grande valeur », jusquà menacer lexistence de la personne qui soumet à leur acquisition tout autre plaisir et « souvent la sécurité de la vie même » [Galiani, F. (1751), p. 29]. Lestime et la considération dautrui représentent un élément fondamental de la consommation, au même titre que la faim, la soif et le sommeil et de cela « nous ne pouvons pas en rendre compte ou raison à quiconque » [Galiani, F. (1751), p. 69].

Les dispositions de lesprit des hommes étant « diverses et divers les besoins, diverse est la valeur des choses ». Certaines qui sont plus appréciées par un grand nombre et recherchées ont une valeur que lon appelle « courante ; dautres sévaluent seulement daprès le désir de la personne qui les convoite et de la personne qui les donne » [Galiani, F. (1751), p. 69]. Cette remarque précède un paragraphe intitulé « Passion des hommes pour le faste ». Il y distingue ce quil appelle les choses 111incorporelles : les titres, les honneurs, la noblesse, les commandements. Immédiatement après viennent toutes les choses qui représentent le luxe et la beauté. Elles relèvent du luxe dostentation puisque ceux qui les possèdent « en ont été estimés et enviés » [Galiani, F. (1751), p. 69]. Ce sont les joyaux, les pierres rares, certaines peaux, lor et largent et quelques œuvres dart, qui « concentrent beaucoup de travail et de beauté » [Galiani, F. (1751), p. 71]. Ce luxe est un instrument de pouvoir et dautorité. En effet « les rois eux-mêmes doivent la plus grande part de la vénération de leurs sujets à cet apparat extérieur qui toujours les entoure » [Galiani, F. (1751), p. 71].

Le luxe ne peut naître que lorsque « les arts qui lui sont nécessaires » sont suffisamment pourvus douvriers, soit dans deux cas : « quand la population augmente [or] la population naît de la paix et des bonnes lois » ; ou bien quand on perfectionne les arts, en découvrant de nouvelles voies pour réaliser un ouvrage avec « moins de gens ou ce qui revient au même en moins de temps quavant » [Galiani, F. (1751), p. 93]. Alors, beaucoup restent sans travail, et pour ne pas mourir de faim, ils cherchent à satisfaire les hommes à travers des travaux moins nécessaires : « voilà le luxe ». À cette défense du luxe Galiani napporte que quelques restrictions : que les Princes prennent garde de ne pas « laisser leurs sujets être la proie du luxe des marchandises étrangères » [Galiani, F. (1751), p. 75]. Mais vouloir empêcher le luxe dans la prospérité, cest vouloir que « les blés si longtemps cultivés ne donnent pas de fruits lété, ou quaprès la moisson, ils restent encore verts » [Galiani F. (1751), p. 75].

La mode

Il développe ensuite son analyse par un élément qui se révélera par la suite être central dans toute lindustrie du luxe : la mode. Laquelle est une maladie de lesprit, « qui gouverne bien des choses » [Galiani, F. (1751) p. 93], cette variété du goût naît, en grande partie, de « limitation des mœurs des nations dominantes » [Galiani, F. (1751), p. 93]. Son analyse conduit à souligner le fait quau point de départ la mode ne repose en rien sur lutilité. Lorsque quelque chose devient à la mode parce que plus utile et plus commode, il ne parle pas de mode mais plutôt « damélioration des arts ou des commodités de la vie » [Galiani, F. (1751), p. 93].

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Il introduit une distinction entre luxe et amélioration du niveau de vie par accès à des biens qui répondent à la satisfaction des besoins, au-delà du strict nécessaire physiologique. Galiani pointe le caractère relatif de la notion de luxe. Celle-ci ne désigne pas la qualité de lobjet possédé, mais la qualité de la possession. La mode ne relève pas spécifiquement de ce qui est beau. Il y a deux catégories de beau : la première est fondée sur certaines idées, qui sont gravées dans notre esprit dès la naissance ; la deuxième cest seulement « une accoutumance des sens qui la fait paraître belle » [Galiani, F. (1751), p. 93]. Seule cette deuxième catégorie, qui est bien plus vaste que la première, est pour Galiani sous lempire de la mode. Cest là une exception à sa loi générale car ce qui agit sur la valeur et sur nos idées, cest aussi la mode. Sur le sens de ce mot il donne par la négative cette définition : « affection du cerveau propre aux nations européennes, par laquelle de nombreuses choses ne sont guère appréciées pour la seule raison quelles ne constituent pas des nouveautés ». La mode est donc ce qui est nouveau et en cela elle constitue un cas à part dans le luxe sans relever nécessairement de celui-ci.

Valeur, luxe et œuvre dart

Il existe une autre exception que Galiani celle des œuvres darts uniques où le prix correspond toujours aux « besoins ou aux désirs de lacheteur ainsi quà lévaluation du vendeur ; lunion conjuguée de ces éléments constitue une raison composée ». Il sensuit que parfois « la valeur peut même être égale à rien et elle est toujours réglée, bien quelle ne soit pas universellement la même ». Mais à côté de ces biens de luxe qui nécessitent beaucoup de travail, de qualification, dexpérience, il relève quil existe des biens de luxe qui ne le sont que parce quils sont des choses uniques « cest-à-dire de ce qui ne peut être compensé par rien dautre, comme par exemple la Vénus des Médicis, ou de ce qui est unique parce quil ny a quun vendeur » [Galiani, F. (1751), p. 93]. Au bout du compte la valeur des talents des hommes « sapprécie exactement selon les mêmes critères que lon applique aux choses inanimées, et quelle se règle sur les mêmes principes conjugués de rareté et dutilité » [Galiani, F. (1751), p. 93]. La valeur de ces biens de luxe repose sur le travail ; non seulement dans toutes les œuvres, comme les tableaux, les sculptures, les gravures, etc., mais aussi dans de nombreux corps, tels que : les minéraux, les pierres, les fruits des bois, etc. La valeur 113des œuvres dart est totalement subjective en effet si la valeur chez les femmes tire son origine de leur charme et celui-ci de leur beauté « cette valeur saccroît avec les ornements, et alors il est par trop évident que nécessairement la valeur de ces objets est très grande dans lidée quelles sen font » [Galiani, F. (1751), p. 71].

Galiani raisonne à partir des besoins et non pas des préférences ou alors seulement par exception ; il intègre dans une seule approche théorique de la valeur utilité rareté à la fois la valeur des biens de consommation, des biens de luxe et des œuvres dart. Tout en relevant les particularités propres aux œuvres dart qui sont uniques, du luxe qui relève de la mode et en soulignant fortement le caractère relatif du concept de luxe dans le temps et dans lespace.

IV. Pietro Verri

En ce qui concerne Pietro Verri1 celui-ci a fait lobjet dès la publication des Méditations sur léconomie politique dune traduction en français2. Pietro Verri3 commence de façon très classique par une définition. Le problème du luxe ne se pose pas dans une relation entre deux personnes mais dans la relation à la nation toute entière4. Laccord sur la valeur et le prix ne peut pas être larbitraire entre deux personnes il nexiste 114vraiment que lorsque cet accord concerne tout le monde, quil est constant et répété. On retrouve linfluence de Vico : « observons quelles sont les choses sur lesquelles ils se sont toujours accordés et plus encore sur lesquelles saccordent tous les hommes, parce que ces choses pourront nous donner les principes universels et éternels, qui doivent être la base de toute science » [Vico, G. (1725), p. 129]1. Verri donne de la question du luxe une définition très large : « par luxe jentends toutes choses réellement inutiles aux besoins et aux commodités de la vie, dont les hommes font usage pour le faste, ou bien encore par simple opinion » [Verri, P. (1763), p. 336] et reprend lanalyse de Mandeville : « le luxe est un vice [] mais tout vice moral nest pas un vice politique, de même que tout vice politique nest pas un vice moral » [Verri, P. (1763), p. 336].

Ayant éliminé toutes les considération dordre moral ou religieux, Pietro Verri en vient au fond de la question : la relation entre consommation des produits de luxe et croissance économique dans une économie agricole. Il soppose totalement aux lois somptuaires parce que celles-ci portent un tort majeur à la croissance de lagriculture. Même si cest un mal que le superflu dune nation sorte pour payer les artisans étrangers qui produisent les biens de luxe, et donc affaiblissent léquilibre de la balance commerciale. Avant daller plus loin il ajoute : « Si le luxe a pour objet les manufactures nationales, cest chose évidente que le fait de le restreindre naura dautre effet [] que de désoler les citoyens industrieux et utiles » [Verri, P. (1763), p. 337]. Mais cest un mal encore plus grand que de « diminuer le superflu dune nation ». Cest un principe universel que lorsque la principale source de la richesse nationale provient des produits de lagriculture toute « loi qui limite la faculté de convertir largent en un certain type de marchandises soppose à la prospérité de lagriculture » [Verri, P. (1763), p. 338].

Luxe et inégalités des richesses

Au lieu de faire du luxe le symbole et lexpression des inégalités Verri inverse la proposition : le luxe permet de réduire les inégalités. Linégale répartition des richesses est un obstacle au développement économique et par conséquent le luxe : « est un bien politique dans la mesure ou en dissipant les patrimoines il contribue à les diviser » 115[Verri, P. (1763), p. 341] et donc à réduire les inégalités. Pour quil y ait croissance de léconomie il faut que lespérance de senrichir soit présente et en conséquence il est nécessaire que les patrimoines des « riches qui dépensent sans compter en produits de luxe soient un point de référence », présent et visible aux yeux des pauvres industrieux qui dans lespérance de parvenir à la même situation vont « travailler, inventer, perfectionner les arts et les métiers » [Verri, P. (1763), p. 343] et maintenir le niveau de lactivité économique. Lenvie et la volonté dimiter ceux que lon croit plus heureux que nous, aboutissent à ce que du souverain jusquau dernier individu de la « plèbe se déroule cette chaîne qui commence par lexcès du superflu et à travers différents degrés sachève dans les besoins les plus élémentaires » [Verri, P. (1763), p. 346]. Après avoir comparé deux stades de développement de léconomie, le premier étant celui où la production suffit à peine à satisfaire les besoins primaires, le deuxième étant celui où la production permet de dégager un excédent, que les habitants chercheront à vendre aux nations voisines, se procurant ainsi de nouvelles commodités de la vie, Verri conclut que, là où il y a du luxe, il y a de lexcédent ou du superflu et « une division des richesses inégales » [Verri, P. (1763), p. 337]. Plus classiquement une autre catégorie darguments insiste sur le fait que les dépenses de luxe fournissent du travail à un grand nombre de manufactures, douvriers : les riches font travailler les pauvres, que les produits de luxe sexportent facilement et permettent dobtenir en échange des produits qui nous manquent.

Le luxe moteur de la consommation
et de lactivité économique

Lessentiel cest le moteur de la croissance économique. Quel que soit le motif, la passion qui amène les citoyens à sortir de linertie et de linaction est positive pour le gouvernement. Si la vanité de ceux qui travaillent la terre les poussent à la recherche du luxe, alors elle est une incitation puissante à développer lactivité des cultivateurs de telle sorte quils néconomisent aucun effort pour y parvenir. Toute cette argumentation lamène à la conclusion suivante car « si le luxe naît de linégale répartition des biens et si linégale répartition des biens est contraire à la prospérité de la nation » alors le luxe en tant que tel est un bien politique dans la mesure où il pousse « à dissiper les patrimoines, à les diviser, à les répartir » [Verri, P. (1763), p. 341], et à réduire linégale 116division des patrimoines. De là il résulte que le luxe est un remède au mal quil a fait naître. Quelle que soit la passion qui anime lâme des citoyens, et qui les éloigne de « cette langueur mortelle qui est le dernier moment qui précède lanéantissement des nations » ; quelle que soit cette passion lorsquelle est dirigée « elle est bonne aux yeux dun politique ». La vanité des propriétaires fonciers qui les pousse à la consommation de luxe, sert daiguillon et de stimulation incessante pour « maintenir éveillée lindustrie des cultivateurs » [Verri, P. (1763), p. 339].

Non seulement Verri ne récuse pas lostentation du luxe mais il la juge nécessaire. Pour que lactivité économique se développe, il faut quil y ait lespoir de senrichir. En conséquence il est nécessaire que les patrimoines des riches inconséquents soient exposés aux yeux des pauvres industrieux, de telle sorte que dans « lespoir de posséder les mêmes biens de luxe [il] travaille, invente, perfectionne les arts et les métiers et maintient la nation tout entière dans un activité économique » [Verri, P. (1763), p. 343]. Suit une comparaison entre le rôle du luxe au sein dun système monarchique et son rôle au sein dune République repris de Montesquieu. Pietro Verri constate que le luxe de faste peut entraîner le dépérissement de la République mais quà linverse il est nécessaire au maintien du système monarchique. Verri a utilisé plusieurs arguments. Tout dabord il emprunte à Mandeville la justification morale de ce vice quest le luxe comme seul remède aux deux autres vices la paresse et lindolence. Il reprend largument de Montesquieu selon lequel le luxe a toujours représenté la base du commerce des États soumis à la Monarchie. Il soppose à toutes les dispositions qui veulent limiter la consommation de luxe. Il ne défend, ni ne propose, aucune réforme en ce qui concerne le luxe. Enfin son orientation se situe dans la continuité des auteurs qui lont précédé avec une séparation nette entre dimension morale et dimension économique.

Son originalité consiste plutôt dans le fait que même sil reconnaît un rôle prioritaire dans léconomie dun pays à la production et à la consommation des biens de première nécessité il attribue au luxe un rôle moteur dans les activités manufacturières et donc par conséquent également pour les rentrées fiscales. Dans un système monarchique la différence, linégalité entre les gouvernants et les gouvernés, est fondée seulement sur lopinion, sur la splendeur et la magnificence que montre dans leur capitale et dans leurs cours les monarques. Verri en conclut que :

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les hommes naturellement poussés à envier et à égaler ceux quils croient plus heureux queux-mêmes, cherchent à les imiter par autant de splendeur et de magnificence à la mesure des moyens quils possèdent. [Verri, P. (1763), p. 344]

Enfin la raison de lutilité, la nécessité du luxe et lexpérience enseignent que les

vertus sociales, lhumanité, la douceur, la perfection des arts, la splendeur des nations, la culture des esprits ont toujours marché de concert avec le luxe et que les siècles les plus cultivés ont été les siècles du plus grand luxe. [Verri, P. (1763), p. 348]

V. Jean-Baptiste Say

Des consommations improductives
à la consommation reproductive

Dans son Traité déconomie politique, Jean-Baptiste Say (1803) revient sur la question du luxe, à travers ce quil appelle les consommations « bien ou mal entendues ». Lessentiel cest délucider les causes de la croissance économique cest pour cette raison quil critique les nations où les « besoins factices sont excités, où le faste et le luxe obtiennent des honneurs, et sintroduisent par conséquent jusque dans les dernières classes de la société ». Dès lors une grande partie des capitaux de ce pays prend une direction « improductive de produits matériels » [Say, J.-B. (1803), p. 224]. La distinction sur la nature des produits et introduit finalement une distinction de nature morale entre une bonne et une mauvaise consommation. Ainsi il y a beaucoup de produits qui ne peuvent servir quaux « consommateurs stériles, comme la plupart des objets de luxe, et beaucoup dautres qui ne peuvent servir quaux consommateurs reproductifs » [Say, J.-B. (1803), p. 157] comme celles du fondeur, du tanneur, du mécanicien, etc.

Cette analyse se poursuit dans le chapitre xiv intitulé : « De la dissipation des capitaux ». Ce quil conteste cest le fait dutiliser des ressources qui pourraient être consacrées à linvestissement au lieu de les affecter à la consommation : « La dissipation qui détruit les capitaux 118est lacte opposé à lépargne qui les grossit ». Cest dissiper un capital que de satisfaire ses besoins avec des « valeurs auparavant employées à fournir des avances aux opérations productives » [Say, J.-B. (1803), p. 157]. Il faut rejeter laction de ceux qui disposent dune fortune et dun patrimoine et qui ne lutilisent pas pour développer léconomie nationale : « Mais que fait le prodigue ? []. Il échange de même un capital qui lui a été laissé par sa famille, en objets qui puissent lui procurer quelque jouissance en se consommant ; et sous cette forme il consomme le capital » [Say, J.-B. (1803), p. 163].

Il faut veiller à une bonne allocation des moyens de production. Ceci lamène à contester lidée selon laquelle le luxe fait travailler la classe des ouvriers, en effet :

Largent que lon refuse de donner à ses fantaisies et à ses plaisirs, si on le place, sert à faire des constructions qui font travailler des ouvriers ; il sert à acheter des ustensiles, des machines, des matières premières qui ont également fait travailler des ouvriers. [Say, J.-B. (1803), p. 164]

Il récuse lutilité de la production des objets de luxe par rapport à la production de biens qui satisfont les besoins du plus grand nombre. Analysant la situation du commerce extérieur de la France, Jean-Baptiste Say remarque quelle exporte en direction de lAllemagne quantité dobjets de luxe et quelle reçoit en retour des objets dutilité commune. Cest un mauvais calcul pour une nation de se faire marchande dobjets de luxe, et de recevoir en retour des choses dune

utilité commune. La France envoie en Allemagne des modes, des colifichets qui sont à lusage de peu de personnes, et lAllemagne lui fournit des rubans de fil et dautres merceries, des limes, des faux, des pelles et pincettes, et dautres quincailleries dun usage général. [Say, J.-B. (1828-1829), p. 712]

Lencouragement donné à un genre de production par les « dépenses fastueuses est nécessairement ravi à un autre genre de production » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 909]. Cest ce qui lui permet de justifier limpôt sur les biens de luxe et dy voir un moyen de réaliser une allocation efficace des moyes de production. Limpôt, agissant comme une amende, « peut décourager les consommations stériles, et alors, il produit le double bien de ne prendre point une valeur qui aurait été employée reproductivement » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 1004]. Il concède par ailleurs quil vaut 119mieux que les impôts, si on les considère comme nécessaires, portent sur des consommations à lusage des riches plutôt que sur les pauvres et sur des objets dune utilité secondaire plutôt que sur ceux dune utilité première. À la défense passionnée dune bonne allocation des facteurs de production, de la renonciation à la consommation du luxe pour favoriser la croissance, Say ajoute un certain nombre de remarques plus originales. Ainsi il dénonce ce quil appelle lexcès de solidité. En effet : pour la construction des bâtiments des entreprises « Lexcès de solidité est un luxe aussi nuisible que tout autre » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 296]. Il met en cause la passion très française de constructions de prestige en particulier pour les manufactures elles-mêmes, ce qui est encore vrai aujourdhui.

Du luxe à la consommation

Dans une analyse de la définition de ce quest le commerce, il récuse les distinctions faites par Montesquieu [Montesquieu (1748), 4e partie, livre xxi]. Entre commerce de luxe, commerce de consommation et économie, car il ny a

aucune manière possible de faire le commerce qui admette ces modificatifs. Si lon entend par commerce de consommation celui qui procure ce quon doit consommer, tous les commerces sont de consommation. [Say, J.-B. (1828-1829), p. 326 et p. 170]

Tout est englobé dans la tripartition production-répartition-consommation. Enfin il formule une critique qui apparaît comme beaucoup plus moderne lorsquil parle du luxe de précautions qui : « nappauvrit pas moins que le luxe dostentation. Les quarantaines nous font plus de tort que la peste » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 340].

La notion de luxe est relative. Ce qui est luxe dans un pays est objet courant dans un autre. La consommation des produits de luxe, ou des produits de commodité, est un indice de civilisations dans la mesure où « Quiconque emploie son revenu en produits de lindustrie, augmente ses jouissances, mais perd le pouvoir de dominer sur les autres hommes » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 517]. Son argumentation nest toutefois pas absolue et Say concède que lon peut légitimement se procurer toutes les jouissances que comporte la fortune ; il note simplement quil faut : « que lon convienne que ces jouissances naugmentent ni le bien du particulier ni la richesse du pays » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 911].

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Dans le chapitre iv intitulé : « Des effets de la consommation improductive en général », Say précise que les consommations les mieux entendues sont avant tout celles qui satisfont des besoins réels. Par besoins réels, il faut comprendre ceux liés à la satisfaction desquels tient notre existence, notre santé. Il soppose aux besoins qui proviennent dune sensualité « recherchée », de lopinion, du caprice. Ainsi les consommations dune nation seront, en général, « bien entendues, si lon y trouve des choses commodes plutôt que splendides ». Dans une telle nation, les établissements publics auront « peu de faste et beaucoup dutilité » ; les indigents ny verront pas des « hôpitaux somptueux, mais ils y trouveront des secours assurés ». Les villes noffriront peut-être pas de « si beaux palais, mais on y marchera en sûreté sur des trottoirs » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 712]. La distinction classique entre luxe dostentation et luxe de commodité sinscrit alors dans la logique de la croissance économique car :

Le luxe dostentation ne procure quune satisfaction creuse ; le luxe de commodité, si je peux mexprimer ainsi, procure une satisfaction réelle. Ce dernier est moins cher, et par conséquent il consomme moins. [Say, J.-B. (1828-1829), p. 713]

Valeur relative des termes de superflu et de nécessaire

Au fil des éditions du Traité il fait évoluer sa position et son analyse. En particulier il récuse la distinction classique quil avait reprise à son compte définissant le luxe comme usage du superflu opposé à celui du nécessaire. Car si lon maintient cette distinction il faut nommer luxe tout ce quun Européen consomme en nourriture, en habillement, en logement.

Enfin à partir de la 4e édition du Traité il considère quil nest pas possible de séparer le nécessaire du superflu. La distinction entre superflu et nécessaire est sans valeur. Dans un chapitre intitulé « Du luxe et de la misère » il souligne le caractère relatif de ces deux notions, qui ne peuvent pas être séparées car lorsque lon définit le luxe « lusage du superflu » il nest pas possible de séparer le nécessaire du superflu car « ils se lient et se fondent lun dans lautre par des nuances insensibles » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 904]. Les goûts, léducation, les tempéraments, la fortune des particuliers, ce qui est nécessaire dans une ville, dans une profession établissent des différences infinies entre « les différents 121degrés dutilité et de besoins ; et il est impossible de se servir, dans un sens absolu, de deux mots qui ne peuvent jamais avoir quune valeur relative » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 904]. Le nécessaire et le superflu varient même selon les différents états où se trouve la société. On ne peut donc pas tracer la ligne qui sépare le superflu du nécessaire.

Le refus de cette distinction népuise toutefois pas les différences que lon peut établir entre les différentes catégories de luxe. Ainsi, en général, le luxe est lusage des choses chères. Même si ce terme a un sens relatif, en français le mot luxe signifie plus lostentation que la sensualité. Say donne comme exemple le luxe des habits faits pour frapper les yeux de ceux qui les regardent, le luxe de la table qui rappelle la somptuosité. De ce point de vue le luxe a principalement pour but dexciter ladmiration par la rareté, la cherté, la magnificence. Les objets de luxe sont les choses que lon nemploie ni pour leur utilité réelle, ni pour leur commodité, ni pour leur agrément, mais seulement pour éblouir les regards et pour agir sur lopinion des autres hommes. Say nous rappelle que la France reste une société de Cour. Mais le luxe nest pas simplement ce qui va outre le nécessaire. Il faut encore distinguer entre le luxe quantitatif qui est synonyme de gaspillage, de dilapidation, du luxe qualitatif qui concerne la consommation des biens de classe supérieure.

Le raffinement de la réalisation de lobjet correspond à un besoin très excessif par rapport à sa fonction. Ainsi une montre, une horloge simple peut tout aussi bien fonctionner quun chronomètre ou quune horloge sophistiquée. Lexigence du raffinement est celle que Say appelle l« exigence de luxe ». Mais en réalité le luxe peut servir à beaucoup dobjectifs et obéir à beaucoup de motifs très différents. Acheter un habit de soie, une montre élaborée, ériger à Dieu un hôtel couvert dor, ce sont là des actes de luxe complètement distincts. Derrière cette terminologie et ces distinctions il y a la recherche de la compréhension des motivations objectives de laction humaine dans la société. La catégorie du luxe qui concerne les motifs égoïstes est celle quil condamne. Say énumère les différentes origines de la naissance du luxe personnel : le pur divertissement, la jouissance des sens. Le luxe domine tous les lieux dans lesquels se développent la richesse et la vie amoureuse lorsquelle présente un caractère de licence désordonnée. Mais une fois que le luxe apparaît dans une société donnée il y a différentes causes qui vont concourir à son accroissement : lorgueil, la soif de pouvoir, lambition, le 122désir exhibitionniste, la tendance à vouloir apparaître comme le premier vis-à-vis de tous les autres. Il sagit évidemment ici de la description au premier chef de la société aristocratique dans laquelle la dépense excessive jusquà la folie, est linstrument daffirmation de sa supériorité vis-à-vis de tous les autres mais aussi de la bourgeoisie montante qui imite laristocratie comme il a pu le voir avec le Directoire et lEmpire napoléonien.

Ce bref passage en revue nous permet également de rappeler que le luxe de cour sest diffusé graduellement dans les cercles de la société qui prenaient laristocratie de cour comme modèle. Les « nouveaux riches » sans ce modèle nauraient pas éprouvé une véritable soif de luxe, de mondanités, telles quils pouvaient les observer dans la cour des princes. Sans lostentation du faste, le luxe naurait pas atteint des proportions aussi démesurées.

Conclusion

En partant dune même orientation théorique fondée sur la valeur utilité-rareté pour les deux premiers et utilité pour le dernier les trois auteurs que nous venons danalyser avec une condamnation identique du point de vue moral et religieux sur la question débouchent sur des conclusions fortement marquées par le contexte dans lequel ils élaborent leur position. Galiani aura élaboré une théorie de la valeur intégrant les différents biens et service jusquà ceux de luxe et aux œuvres dart en élaborant leur spécificité. Théorie qui, comme la indiqué Schumpeter, ne sera dépassée quà la fin du xixe. Verri va faire du luxe un outil du développement de léconomie agricole et marquer le passage du luxe vers la consommation. Say va faire du concept de consommation la catégorie intégrant tous les biens et services tout en soulevant le problème de lallocation des facteurs de production liés à la nature des biens et services consommés. Les apports théoriques de ces trois auteurs sont loin dêtre datés et justifieraient une confrontation avec la littérature actuelle sur le sujet. La question du luxe à travers nos trois auteurs est celle du révélateur de la hiérarchie existante dans 123la société. Celle de limportance de la consommation de luxe à la fois comme question cruciale du passage dun système à un autre et comme support des désirs et des passions, à ce titre le luxe a quelques points communs avec la monnaie.124Références bibliographiques

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Turgot, A. [1769], Valeurs et Monnaies : Projet darticle, in Œuvres de Turgot, T. 1 et T. 2, E. Daire, Paris, 1844, reprint O. Zeller, 1966.

Vauban [1707], Projet dune dixme royale, publié par E. Coornaert, Alcan, Paris, 1933.

Venturi, F. [1969], Da Muratori a Beccaria. 1730-1764, in F. Venturi [1969-1990], Settecento riformatore, Einaudi, Turin, T. 1, 1998.

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Verri, P. [1763], Considerazioni sulla proposizione di restringere il lusso nello Stato di Milan, in Scrittori Classici italiani di economia politica, parte moderna, T. XVII, De Stefanis, Milan, 1804.

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Vico, G. [1725], Principi di una scienza nuova intorno alla natura delle nazioni per la quale si ritrovano i principi di altro sistema del diritto naturale delle genti, Letteratura Italiana, Einaudi, Turin, 1959.

1 La prise en compte des auteurs italiens reste faible, en dehors de lItalie, à lexception de Karl Pribram [(1983), p. 116-121] et de Schumpeter J. A. [(1954), p. 409 et p. 418-423]. Cela tient pour une part à labsence de traduction pendant une très longue période en français ou en anglais du Della moneta, des Méditations sur léconomie politique. Mark Blaug (1985) ne cite Galiani quen bibliographie, pas du tout Pietro Verri, et bien plus récemment aucune mention de Galiani ou de Verri par D. P. OBrien, (2007). Louvrage dirigé par Béraud, A. & Faccarello, G. (1992) ne cite Galiani quen relation avec la polémique contre les physiocrates et pour Verri quelques mentions sans aucune analyse densemble de son œuvre. Des publications récentes de Bartoli, H. [(2003), p. 141-145 pour Galiani et pour Verri, p. 121-129], ainsi que Blanc, J. & Desmedt, L. (dir.) (2014), représentent une prise en compte tardive mais réelle et traitent très largement de ces auteurs.

1 Voir Diemer (2013) et Provost (2011).

2 Henri Joseph Léon Baudrillart (1821-1892), est un économiste et journaliste français de lécole libérale.

1 Rappelons que larticle de Saint-Lambert est de 1751, et que louvrage de Condillac est paru en 1776. Par ailleurs, il ny a aucune influence reconnue ou établie de Condillac sur Galiani, Verri et Jean-Baptiste Say.

1 Voir Morize (1909), Mandeville (1740), Carrive (1980), Courcelle-Seneuil (1873), Diemer (2012), Labriolle-Rutherford (1965), Gusdorf (1994), Rétat (1994).

2 Voir Carnino (2014).

1 Article « Faste », [(1751), T. VI, p. 418-421].

2 Dans La Fable des Abeilles, Mandeville sinspire de la méthode des moralistes comme La Rochefoucauld, Esprit, Nicole et Bayle. Son poème La Fable des Abeilles, est publié une première fois en 1705 sous le titre The Grumbling Hive, or Knaves Turnd Honest puis republié et commenté en 1714-1723 sous le titre Fable of the Bees : or, Private Vices, Publick Benefits.

3 Cest ce que lon va retrouver presque mot pour mot chez Verri. Voir plus avant.

1 On retrouvera intégralement cette approche sans aucun changement chez Verri.

2 Voir Forbonnais (1751), dans larticle « Commerce » dont il est lauteur (il est le rédacteur initial de larticle « Luxe »), (T. 3, p. 690-700) : « La nourriture et le vêtement sont nos seuls besoins réels : lidée de la commodité nest dans les hommes quune suite de ce premier sentiment, comme le luxe à son tour est une suite de la comparaison des commodités superflues dont jouissent quelques particuliers. »

1 Galiani [(1751), p. 29]. La littérature secondaire est divisée. Les interprètes qui tiennent compte de la « fatica » de la quantité de travail sont amenés à croire que Galiani est un précurseur de la théorie de la valeur du travail. Il sagit, par exemple, de la position de Marx et dans une moindre mesure de Schumpeter. Lopinion contraire est celle de ceux qui, comme Hutchison et Pribram, estiment que dans Galiani il y a une seule théorie de la valeur, sur la base des principes généraux de lutilité et de la rareté. Voir : Schumpeter [(1954), p. 368]) et Hutchison [(1988), p. 257-258]. Par conséquent, la « fatica » nest pas une quantité objective de travail, mais une grandeur subjective, la désutilité du travail ou la pénibilité. Voir sur ce point les articles de Giocoli (1999) et de Patalano (2005).

1 Say marque son lien avec lécole italienne dès la parution du Traité puis dans le Cours complet : « Verri est un des esprits les plus judicieux qui aient écrit sur léconomie politique. Il voyait mieux le fond des choses que les économistes » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 1272].

2 Parmi les principaux représentants de cette discussion deux Napolitains, un Toscan et un Vénitien : Carl Antonio Broggia, Ferdinando Galiani, Pompeo Neri, Gian Rinaldo Carli. La parution du Della Moneta, en 1751, sinscrit dans ce cadre. Voir « Il dibattitto sulle monete » in Venturi (1969).

3 Voir Venturi (1971), Vauban [(1707), p. 214], Boisguilbert, [(1966), p. 799], le long essai de labbé de Saint Pierre (1658-1743) [(1733), p. 102-164].

1 À lépoque de F. Galiani, Naples compte près de 340 000 habitants sur une population de 4 000 000 pour tout le Royaume. Certains auteurs de lépoque estiment que 200 000 habitants de la capitale sont improductifs alors que les campagnes manquent cruellement de bras.

2 La traduction anglaise de 1977 nest disponible quen microfiche. Cest par ailleurs une traduction qui pose beaucoup de problèmes dexactitude. Signalons que des traductions sont disponibles en français, en portugais, en allemand, depuis une dizaine dannées. La traduction assez récente en anglais éditée Peter Groenewegen (1986) na pas entraîné jusquà présent une prise en compte de lapport de Pietro Verri dans le monde anglophone. La publication en cours de lédition nationale des œuvres de Pietro Verri représente une reconnaissance très importante.

3 Costabile (2014) ; Cesarano (1976) ; Faucci & Giocoli (éd.) (2001) ; Tiran (2001) ; Patalano & Realfonzo (2001) ; Rosselli (2012) ; Stapelbroek (2006) ; Groenewegen (2001).

4 À lexception de louvrage dirigé par Blanc & Desmedt (2014).

1 Schumpeter, J. A. [(1954), p. 368] et Hutchison, T. W. [(1988), p. 257-258]. Voir les articles plus récents de R. Patalano et N. Gioccoli déjà cités.

2 Pour un traitement combinant les deux approches voir : Sewall (1901).

3 Il est nécessaire de préciser que lanalyse de Galiani sinscrit en continuité avec celle des scolastiques, voir : Roover (1955).

1 Voir lIntroduction de A. Tiran à Galiani (1751).

2 Voir larticle fondamental de Tagliacozzo (1968).

1 En 1771, il publie Meditazioni sulla economia politica. Sept éditions paraissent en moins de deux ans. Verri devient successivement Vice-Président de la Cour des comptes (1772) et Conseiller dÉtat (1773).

2 Traductions publiées très rapidement voir : Méditations sur léconomie politique, trad. J. H. Pott, Lausanne, 1773 ; Méditations sur léconomie politique, trad. I. Grevier, Gênes, A. Grant, Londres-Paris, 1776 ; Méditations sur léconomie politique, trad. Ducaroy, Paris, 1799 et Méditations sur léconomie politique, Delaunay, Maison fils, Paris, 1823.

3 Verri (1763). Toutes les citations sont traduites par nous.

4 Cest une approche qui est commune à tous les scolastiques et sans que Verri sy réfère, et même pour Galiani, on peut faire lhypothèse quil sagit dune connaissance commune. Roover, R. de [(1955), p. 163-164] précise : « The first who refined it considerably was John Buridan (1300-1358), a pupil of William of Ockham a rector of the University of Paris. He insisted on the point that value was measured by human wants : not by those of a single individual, but by those of the entire community (rei venalis mensura est communis indigentia humana). He made it clear, also, that he considered the market price as the just price. Buridans analysis even anticipates the modern concept of a consumer scale of preferences, since he states that the person who exchanges a horse for money would not have done so, if he had not preferred money to a horse ».

1 Notre traduction.