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Classiques Garnier

Leopardi et la langue de Bossuet

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Bossuet Littérature, culture, religion
    2020, n° 11
    . Bossuet et l’Italie (xviie-xxe siècle)
  • Auteur : Papàsogli (Benedetta)
  • Résumé : L’anti-bossuétisme de Leopardi est un aspect capital pour comprendre les relations du poète italien avec cette langue et cette culture française qui ont représenté pour lui, par excellence, l’« altérité », nécessaire à la définition de sa propre identité. Sa critique virulente, qui semble naître d’un amour déçu, a des traits aigus que les études bossuétistes ont, le plus souvent, passés sous silence. Des jeux intertextuels, rares mais fascinants, font surface et suggèrent de possibles approfondissements.
  • Pages : 125 à 146
  • Revue : Revue Bossuet
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406110491
  • ISBN : 978-2-406-11049-1
  • ISSN : 2494-5102
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11049-1.p.0125
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2020
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : langue, Bossuet, Leopardi, romantisme des classiques, hardiesse, enthousiasme
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Leopardi et la langue de Bossuet

La critique française ne sest jamais beaucoup inquiétée de la place, à certains égards étonnante, que Giacomo Leopardi a faite dans ses écrits à lombre de Bossuet1. Cependant il laurait fallu, pour plusieurs raisons : pour lintérêt de ce dialogue des morts entre lun des génies tutélaires du classicisme français et la voix la plus poignante, sans doute aussi la plus haute, du romantisme italien (qui se déclarait, par surcroît, antiromantique) ; pour léclairage que la position de Leopardi apporte sur une certain réception de Bossuet en Italie au tournant du xviiie siècle ; et, finalement, pour la cruauté des jugements que « il giovane favoloso2 » formule sur le prédicateur et, daffilée, sur la langue, la culture et la nation dont il ne cesse de le considérer comme une icône incontournable. Vu la profondeur et lacuité des réflexions esthétiques et critiques que recèle le Zibaldone, peut-on négliger lanti-bossuétisme de Leopardi, comme une anomalie sans conséquence à laube dun siècle dont ladmiration pour Bossuet, en Italie comme en France, sera, disons-le avec Sainte-Beuve, « une religion3 » ?

Quant à la critique italienne, elle a presque tout dit sur le sujet, mais un peu en survol et sans mesurer tous les enjeux de la question. On peut la soupçonner, me semble-t-il, dune certaine froideur à légard dun auteur si présent à lhorizon de lenquête critique de Leopardi, et cependant si absent de lhorizon de sa poésie : Bossuet est presque muet dans ce jeu de résonances intertextuelles quil est tentant détablir entre lécriture de lItalien et celle des prédicateurs ou moralistes du xviie siècle français. Dans un beau livre consacré aux liens entre Leopardi et lapologétique chrétienne des xviiie et xixe siècles4, Chiara Fenoglio 126considère comme acquis lenracinement de la pensée de Leopardi dans lapologétique du xviie siècle, y compris celle de Bossuet ; mais en fait, elle préfère consacrer un chapitre exhaustif et novateur aux relations entre Leopardi et lapologétique de Fénelon. Un article de Lorenzo Polato5 sur Leopardi, Bossuet, Massillon développe les intuitions déjà présentes dans la riche introduction de Giulio Bollati (1968) à la Crestomazia italiana de Leopardi, projet danthologie de la littérature italienne calqué sur ces Leçons de littérature et de morale de Noël et Delaplace, qui figurent dans la bibliothèque du comte Monaldo Leopardi à Recanati et qui ont souvent filtré les lectures françaises du jeune poète. Noublions pas que lœuvre complète de Bossuet y figure aussi et permet de supposer des lectures plus étendues.

Notre propre enquête ne prétend pas reconfigurer les lieux ni élargir considérablement les informations déjà connues. Nous nous proposons plutôt de rappeler rapidement des contextes et, surtout, de lire de plus près des textes dont on na pas encore évalué léclairage quils projettent sur la figure de Bossuet, dun côté, sur les traits de Leopardi lui-même, de lautre. Car il sagit dune rencontre où le poète de Recanati est impliqué jusquà la souffrance, comme si une immense attente était frustrée, comme si la lecture, lenthousiasme, la déception prenaient âme et corps, coupaient le souffle, généraient des obsessions. Dans lhistoire des fortunes de Bossuet, cest lun des rares cas où lapproche de son œuvre a lieu dans une intimité profonde et, à la fois, depuis une réelle et radicale altérité.

À une époque où « lEurope parlait français » (Fumaroli, 2001), un discours comparatif sur les langues et en particulier une réflexion sur la langue française semble avoir une importance vitale pour ces milieux lettrés italiens qui, tout au long du siècle – entre Orsi, Vico et Muratori, Algarotti e Bettinelli, Cesarotti et Alfieri, etc. – tentent de redessiner, par le biais de la question de la langue, lidentité littéraire et sociale de cette non-nation quétait alors lItalie. Lon connaît les lieux communs anti-français de la linguistique des Lumières et leur élargissement progressif dune dimension strictement littéraire, qui avait ses 127nobles antécédents dans lémulation franco-italienne de la Renaissance, à un préjugé culturel et idéologique assombri par la dénonciation de la « gallomanie », voire de lhégémonie culturelle, politique et militaire de la France à lépoque de la Révolution et du bonapartisme. Ce « misogallisme » qui se donne comme réponse patriotique à la « gallomanie » traverse les écrits du jeune Leopardi6, qui dautre part, nous navons pas à le démontrer, a trouvé dans la langue et la culture française ce genre daltérité qui devient indispensable à la définition de sa propre identité. Lisons Francesca Romana Andreotti (s. d.) : « Le français – pris globalement en tant que système linguistique-culturel [] – est la seule langue moderne (pratiquée par le poète dans toutes ses formes) qui ait joué un rôle crucial dans la pensée et dans lœuvre de Giacomo Leopardi, dès les toutes premières années de sa formation philosophique et littéraire jusquà sa dernière production7 ».

La bibliothèque des Leopardi exhibait les nombreux auteurs italiens qui, au fil du siècle, avaient puisé chez Fénelon ou Voltaire leurs arguments contre la modernité anti-poétique de la langue française. « Niuno potrà maravigliarsi abbastanza come una lingua così regolata, così ristretta, così timida, quale ella è ridotta presentemente, sia nelle bocche di una nazione così viva, pronta e animosa, quale è la francese8 » écrivait Francesco Algarotti dans son Saggio sopra la lingua francese, que Leopardi cite dans le Zibaldone ; et il renchérissait sur une image célèbre de Fénelon concernant 128lordre du discours français – où, dit Fénelon, « on voit toujours venir dabord un nominatif substantif qui mène son adjectif comme par la main9 » – par la représentation pittoresque dune langue obligée de marcher toujours de la même manière, « come fanno le camerate de seminaristi i più picciolini innanzi e dietro i più grandicelli di mano in mano col prefetto in coda10 ». Ce défilé quelque peu surréel de mots bien rangés semble être le module générateur dun imaginaire qui senferme dans la même représentation au moment dexprimer des jugements, positifs ou négatifs, sur les auteurs qui ont illustré la langue française ou qui simplement lui ont donné des règles. Il nest pas rare que ces auteurs, mentionnés au pluriel, se tiennent par la main, comme ces « seminaristi picciolini » ou « grandicelli » qui marchent dun pas égal, et viennent témoigner sur la scène du long débat pour et contre leur langue. Lisons encore Algarotti : « Insieme col Vaugelas, che ebbe la cura del Dizionario e della Grammatica, erano di grande autorità i Capellani, i Faret, i Desmarets, i Colletet, i Saint-Aman, i Baudoin, i Godeau []11 ». Dautre part, daprès Bettinelli, lécole de léloquence française peut, seule, rivaliser avec celle de la Grèce et de Rome, « co suoi Bossuet, et Bourdaloue, Massilon, et Cheminais, la Rue, e Flechier e tantaltri []12 ». Et Cesarotti délargir le cercle : « Fu prima lautor del Cinna, degli Orazi e del Polieuto, e dopo lui la Rochefoucault, il Card. di Retz, Pascal, Bossuet, Bourdaloue, Moliere, Pelisson, Boileau, Racine, Fenelon, La Bruyere, che formarono lo spirito, la lingua e l gusto della nazione13 ».

Bossuet est donc rangé dans une troupe aux contours incertains. Notons en particulier une ambivalence dans le regard porté sur Bossuet prédicateur, dont le polygraphe jésuite Saverio Bettinelli avec son œuvre critique vive et variée, familière à Leopardi, nous servira ici de repère. Dans Delleloquenza del pulpito14, Bettinelli exalte le trio Bossuet, Bourdaloue, 129Massillon et attribue en particulier à Bossuet les « hautes contemplations », les « images sublimes », le vol de laigle et lélévation des pensées, tout comme la puissance du « sommovimento » (bouleversement) quil provoque ; plus encore, il ébauche un portrait efficace de lorateur au « regard trouble et lent » qui contemple à ses pieds la Cour en deuil au milieu des sépulcres des rois. Mais le même Bettinelli, dans son essai sur LEntusiasmo, manifeste face au génie français, représenté par les peintres ou les musiciens tout comme par les prédicateurs du xviie siècle, linsatisfaction de quelquun qui a trop goûté lart, les airs et la parole dItalie, et qui ressent un manque de « bellezza nativa, animata, compiuta15 » dans les suprêmes beautés de la civilisation dOutremont. Ailleurs il évoque les nécessités de la controverse qui ont amené, dit-il, les prédicateurs français à une « eloquenza ragionatrice », capable de « abbracciare ampiamente, e in giusta estensione il soggetto », sans insister sur ces « pause opportune alle figure energiche et a movimenti daffetto, con cui la pietà, e il terrore a poco a poco sinsinua nellanimo, e perturba fino alle lagrime []16 ».

Et pourtant, il a loué le « noble, et sage enthousiasme » que des auteurs comme « Bossuet, Fénelon, Pluche, Buffon » ont su joindre à la « raison philosophique17 » : en filigrane, on entrevoit le double profil de Bossuet qui semble avoir hanté certaines consciences italiennes prises dans un entre-deux-langues où saffrontent aussi raison et émotions. Laigle, qui sélève vers le sublime, est entravé dans son vol par des résistances dordre philosophique, linguistique et rhétorique. Les pauses lui manquent, et le silence, qui ont affaire à la musique profonde des affects. Il lui manque cette beauté « nativa » qui avait été lambition ou peut-être la nostalgie du classicisme, et qui dans le crépuscule des Lumières est en quête dune nouvelle définition.

Avant daborder les textes de Leopardi, il convient de faire halte auprès des Leçons de littérature et de morale de Noël et Delaplace : y figurent des 130pages choisies, dont deux au moins pourraient avoir coloré limagination de Leopardi, et des extraits dÉloges avec lesquels Leopardi est manifestement en dialogue ou en contraste dans ses propres considérations autour de Bossuet.

Lanthologie, relativement avare dans le choix de textes de Bossuet, exploite plus dune fois loraison funèbre du Prince de Condé, en faisant une large place à la « péroraison » finale où lorateur laisse mourir sa voix sur la perspective de sa propre mort : « [..] heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie les restes dune voix qui tombe, et dune ardeur qui séteint18 » ; nous reviendrons sur leffet très vif que cette intrusion de la subjectivité de lorateur a opéré sur Leopardi. Jamais mentionné dans les réflexions léopardiennes, un passage célèbre de Bossuet sur la « Rapidité de la Vie19 » pourrait avoir déposé dans limagination du poète une semence encore plus profonde, au confluent des réminiscences littéraires ensevelies dans la genèse du Canto notturno di un pastore errante dellAsia

Cest surtout par leur répertoire déloges que les auteurs de lanthologie manifestent un véritable culte pour Bossuet. Nous nous attarderons ici sur léloge de Bossuet par Antoine-Léonard Thomas20, car il nous semble avoir fourni, en filigrane, la trame même du discours anti-bossuétiste de Leopardi. Paradoxalement, Thomas, cet honnête rhéteur mort en 1785, érige son monument à Bossuet sur des principes desthétique dans lesquels Leopardi ne pouvait que se reconnaître. Le fil rouge de léloge semble être, ante litteram, ce quon appellera plus tard « le romantisme des classiques21 » ; si Thomas propose Bossuet comme exemple dune éloquence « sublime », cest par un lexique de la « force irrésistible », du mouvement irrégulier, de lélan et de lélévation, qui se ressent non seulement des définitions du sublime longinien mais aussi du renouveau apporté par lEnquiry de Burke. Si les idées « de la vie, de la mort, de 131léternité, du temps » sont au centre de léloquence de Bossuet, cest moins par leur gravité morale que par leur halo poétique : « Ces idées, par elles-mêmes, inspirent à limagination une espèce de terreur qui nest pas loin du sublime ; elles ont quelque chose dindéfini et de vaste, où limagination se perd [] » ; si elles sont la mer où la pensée fait naufrage, comme dans LInfinito léopardien, dautre part elles exercent la fascination de ces bruits nocturnes qui résonnent si mystérieusement dans maint poème de Leopardi : « comme les cris interrompus que le voyageur entend quelquefois pendant la nuit, dans le silence des forêts, et qui lavertissent dun danger quil ne connaît pas ». Si lidée de sublime sallie à un imaginaire du mouvement, elle saccorde également à des similitudes du point de vue den haut : « Mais ce qui le distingue le plus, cest lardeur de ses mouvements, cest son âme qui se mêle à tout. Il semble que du sommet dun lieu élevé, il découvre de grands événements qui se passent sous ses yeux, et quil les raconte à des hommes qui sont en bas. Il sélance, il sécrie, il sinterrompt ; cest une scène dramatique qui se passe entre lui et les hommes quil voit [] » ; or les lecteurs de Leopardi ne pourront quêtre frappés par limportance que revêt ici un argument cher à notre poète, qui écrivait dans son Zibaldone22 : « Il poeta lirico nellispirazione, il filosofo nella sublimità dellispirazione, luomo dimmaginativa e di sentimento nel tempo del suo entusiasmo, luomo qualunque nel punto di una forte passione, nellentusiasmo del pianto ; ardisco anche daggiungere, mezzanamente riscaldato dal vino, vede e guarda le cose come da un luogo alto e superiore a quello in che la mente degli uomini suole ordinariamente consistere » (26 août 1823)23. Pour finir, Thomas attribue à Bossuet le génie de celui qui invente sa propre langue, pliant à sa guise celle dont il se sert et restituant une vigueur primitive ou « antique » à cet outil civilisé : « Il force impérieusement la langue à le suivre ; et au lieu de se plier à elle, il la domine et lentraîne ; elle devient lesclave de son génie, mais cest pour acquérir de la grandeur. Lui seul a le secret de sa langue ; elle a je ne sois quoi dantique et de fier, et dune nature 132inculte, mais hardie ». Or, Leopardi recommandera à tout prosateur italien de « apprestarsi prima di tutto una lingua con le sue mani24 » où faire revivre les richesses primitives de litalien, cette langue « dismessa » ma « infinita25 » ; et quant au poète, que fait-il, daprès Leopardi, sinon écrire dans une langue autre, apte à dire lindéterminé, et antithétique aux critères dutilité des langues modernes ?

Les Leçons de Noël et Laplace ont été lues par un tout jeune Giacomo Leopardi, si la date de lexemplaire présent dans la bibliothèque de famille (1810) ne nous trompe pas26. On peut rêver sur limmense attente que cet éloge de Bossuet, accompagné dautres dans la même anthologie, a dû réveiller dans cet enfant. Lon se demande aussi si son rapport damour/haine à légard de Bossuet ne participe pas quelque peu du trajet bien autrement dramatique que, de la jeunesse aux années mûres du poète, a tracé la perte des « illusions ».

Car il y a encore beaucoup damour dans les considérations sur Bossuet parsemées dans lœuvre de Leopardi. Dans les Operette morali, en crayonnant le portrait de ce héros étrange –alter ego en quelque sorte – quest Filippo Ottonieri, examiné minutieusement dans ses goûts et ses dégoûts, Leopardi sexprime avec passion en faveur de lécriture de soi et de laccent de vérité quelle implique : « Non riprendeva, anzi lodava ed amava, che gli scrittori ragionassero molto di se medesimi : perché diceva che in questo, sono quasi sempre e quasi tutti eloquenti, e hanno per lordinario lo stile buono e convenevole, eziandio contro il consueto del tempo, o della nazione, o proprio loro27 ». Ce moi lyrique, il ne ladmire pas tant chez les poètes que chez les orateurs, où il est plus émouvant et inattendu. Il a le mérite de préserver les textes « dalle grazie e dalle bellezze false, o che hanno più apparenza che di sostanza, dallaffettazione, e da tutto quello che è fuori dal 133naturale28 », et dintéresser vivement le lecteur, qui dans la vérité de lorateur retrouve sa propre vérité. À côté du mouvement final de la Miloniana de Cicéron qui lui semble le chef-dœuvre du genre, il se souvient alors de loraison funèbre du prince de Condé : « Come similmente bellissimo ed eloquentissimo nelle orazioni del Bossuet sopra tutti gli altri luoghi, è quello dove chiudendo le lodi del Principe di Condé, il dicitore fa menzione della sua propria vecchiezza e vicina morte29 ». Le fait que la même louange revienne plus dune fois sous la plume de Leopardi montre quil ne sagit pas dune affection éphémère30 ; et dautre part, en isolant ce passage il utilise, pour ainsi dire, Bossuet contre Bossuet : Anne Régent-Susini31 a assez souligné limportance que le rejet de la figure auctoriale, le silence de lauteur sur lui-même, acquièrent dans un discours de vérité dautant plus autoritaire quil se fonde sur une dépossession du je. Bien plus tard, toujours dans le Zibaldone, Leopardi en arrivera à sinterroger sur la capacité de Bossuet à atteindre à loriginalité dun « style individuel32 », et à cette originalité – « pochissima », mais rare, dit-il, dans sa nation ! – il rattachera ladmiration dont il est lobjet.

En général, le Bossuet cher à Leopardi représente la relative « antiquité » dune langue, la langue française, qui a évolué jusquà devenir moderne par excellence, et universelle, cest-à-dire « al tutto matematica e scientifica33 ». Dans une page bien connue du Zibaldone, le poète de Recanati développe la distinction ébauché par Cesare Beccaria entre « termes » et « paroles » : « Le parole [] non presentano la sola idea delloggetto significato, ma, quando piú quando meno, immagini accessorie. Ed è pregio sommo della lingua laver di queste parole. Le voci scientifiche presentano la nuda e circoscritta idea di quel tale oggetto, e perciò si chiamano termini, perché determinano e definiscono la cosa da tutte le parti. Quanto più una lingua abbonda di parole, tanto più è adattata alla letteratura e alla 134bellezza []34 ». Or la langue française souffre dun déséquilibre entre termes et paroles, car cest grâce à la surabondance des termes quelle a pu devenir facile et « commune », mais – en même temps – aride et nue au point de produire des « squelettes de style » (« regolari ma puri scheletri », ibid.). Comment pourra-t-elle se ressourcer, si ce nest par un retour aux modèles dune époque où fleurissait la parole : « Perciò ha bisogno di grandi scrittori che appoco appoco la tornino ad assuefare allo stile e alle voci del Bossuet, del Fénélon e degli altri sommi prosatori del loro buon secolo, e cosí nella poesia35 ». Notons que le Grand Siècle, cette première modernité qui constitue déjà un passé au regard des Lumières, par sa réforme de la langue ne garde, à son tour, que des restes dun état précédent où la langue française était « pieghevole, robusta o delicata secondo loccorrenza ; piena di sève, di sangue e di colorito ec. ec. Delle quali proprietà qualche avanzo se ne può notare nella Sévigné e nel Bossuet e in altri scrittori di quel tempo36 ». Tour à tour ancien et déjà moderne, Bossuet mérite en tout cas dêtre envisagé comme un écrivain « non médiocre37 » et même, parfois, « magnifique38 ». Inutile de souligner que la « langue pleine de sève », dont lorateur conserve des restes, jouit du privilège de représenter par rapport au français moderne – tout comme cette langue italienne absente, morte à la modernité, que le poète poursuit à travers ses vestiges littéraires – une radicale altérité.

Cest au mois daoût 1820, à vingt-deux ans, au cœur dune période sombre et féconde qui voit la naissance de ses premières Idylles ainsi quune première mise en forme de son système philosophique, que Giacomo Leopardi écrit dans le Zibaldone ses réflexions les plus étendues 135sur Bossuet. Il avait pris depuis trois ans lhabitude de noter ses pensées et, depuis cette même année, de les dater, pour mieux se repérer dans un manuscrit déjà labyrinthique où le vécu personnel, lourd de douleur, sallégeait dans lexercice dune intelligence extraordinairement vigilante. Il avait beaucoup cité, cet été-là, des auteurs français comme Montesquieu, Chateaubriand, Mme de Staël et il venait de relire, le 13 août, lEssai sur les éloges de Thomas, dont il sétait fait un allié dans sa énième attaque contre le manque de « grâce39 » de la langue française. Entre le 18 et le 20 août il sétait attardé longuement sur des motifs caractéristiques du pli que prenait alors sa spéculation : limagination des enfants, la force des illusions… Le 20, dans le discontinu de cette écriture journalière, se souvenant, croyons-nous, de léloge de Thomas, il écrivait sur Bossuet une page frémissante, toute marquée par le revirement amer de la clôture qui en déclare la vanité :

Ripetono tutto giorno i francesi che Bossuet ha soggiogato la sua lingua al suo genio. Io dico che il suo genio è stato soggiogato dalla lingua, costumi, gusti del suo paese. [] losar poco in Francia, dove la regola è di vivre et faire comme tout monde, costa assai piú che losar molto altrove. Ma in fatti poi, cercando in Bossuet questo grande ardire e questa robustissima eloquenza, trovate piuttosto impotenza che forza, e vedrete che appena alzato si abbassa. Questo senza fallo è il sentimento chio provo sempre leggendolo ; appena mi ha dato indizio di un movimento forte, sublime e straordinario, ed io son tutto sulle mosse per seguitarlo, trovo che non cé da far altro, e chegli è già tornato a parler comme tout le monde. Cosa che produce una grande pena e disgusto e secchezza nella lettura. Questo non ha che fare colle inuguaglianze proprie dei grandi geni. Nessun genio si ferma cosí presto come Bossuet. Si vede propriamente chegli è come incatenato e fa sforzi piú penosi che grandiosi per liberarsi. E il lettore prova appunto questo medesimo stato. E perciò volendo convenire che Bossuet sia stato veramente un genio, bisogna confessare che tentando di domar la sua lingua e la sua nazione, né stato domato. Me ne appello a tutti gli stranieri e italiani. Se non che la voce di tutta la Francia ha tanta forza che forma il giudizio dEuropa. E il ridirsi è quasi impossibile. Sicché queste parole intorno a Bossuet sieno dette inutilmente (20 agosto 1820)40.

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On notera le renversement ponctuel des arguments de léloge de Thomas : la « force irrésistible » est devenue « piuttosto impotenza che forza », la tendance à « sélancer, sélever encore » est avortée : « appena alzato, sabbassa », lagilité du mouvement se mue en effort pénible pour se défaire de ses chaînes, la maîtrise sur la langue bascule en asservissement… Lidée dasservissement sincarne dans des verbes crus : lorateur est « subjugué », « dompté », et de façon encore plus concrète, il est « enchaîné », sans avoir la grandeur des Prisonniers de Michel-Ange qui montrent leur puissance dans leffort même de se libérer. La métaphore de lorateur dans les chaînes se double dune représentation quasi physique de lacte de lecture, qui passe par des élans, des arrêts brusques, des arrière-goûts arides, et finit par reproduire, avec « grande peine », létat dimpuissance dont pâtit lauteur. Cette lutte, cet échec, et la vanité même de les dire, sont enveloppés dans lécho de ladverbe grinçant et funèbre : « inutilement41 ».

Les mots-clés de ce portrait irrité et douloureux sont deux notions centrales dans lesthétique de Leopardi : « ardire », « sublime ». La théorie léopardienne des « ardiri », longuement étudiée par les spécialistes du poète, a ses racines dans les sources mêmes de sa réflexion sur le sublime : Longin, théoricien de la « synthesis onomàton » comme voie technique au sublime ; Horace et sa rhétorique de la « callida iunctura », principe dun art de « relier les éléments essentiels des choses et des événements pour les transférer dans une syntaxe de la transposition qui incendie lémotion du lecteur par les mouvements abrupts du style42 ». Cest avec une vive 137mémoire des manuels de rhétorique qui, depuis toujours, associaient la synthesis longinienne aux procédés de linversion stylistique – celle-ci étant linstrument pour transmettre lintuition de nouvelles relations, purement imaginatives, des choses – que Leopardi arrive à évaluer par ce mètre la dimension poétique des langues : « Una lingua non è bella se non è ardita, e in ultima analisi troverete che in fatto di lingua, bellezza è lo stesso che ardire []43 ». Dans son Discorso sopra lepigramma, œuvre juvénile, Leopardi avait emprunté des mots de Voltaire pour déclarer la langue française « sprovveduta dinversioni, [] sterile in giri arditi44 ». Limage de lorateur chargé de chaînes, dont lardire sest plié à la langue au lieu de la régénérer, nous dit à quel point une souffrance dordre esthétique pouvait affecter lâme du jeune homme qui se sentait lui-même, à lépoque, emmuré dans une crise sans issue, et rêvait de liberté.

Le lendemain, 21 août, Leopardi revient sur le sujet avec des accents par lesquels sa sensibilité décorché sexprime encore plus vivement. Il introduit cette fois une autre notion capitale pour son esthétique et, bien sûr, omniprésente à lhorizon du crépuscule des Lumières comme des aurores romantiques : enthousiasme, au centre dune constellation où figurent encore une fois le sublime, et le feu, la vie, laffect, la nature, lâme et le corps, les ailes.

Non è cosa così dispiacevole come il vedere uno scrittore, dopo intrapreso un gran movimento, immagine, sublimità ec., mancar come di fiato. È cosa che in certo modo rassomiglia agli sforzi impotenti di chi si vede che vorrebbe esser grande, bello ec. nello scrivere e non può. Ma questa è piú ridicola, quella piú penosa. In Bossuet lincontri a ogni momento. Una grande spinta ; credi che seguiterà limpulso, ma è già finito. Quando anche il seguito del suo parlare sia forte, magnifico ec., non è piú fuoco naturale, ma artificiale e preso dai soliti luoghi. Lascio quando Bossuet non ha niente di vita neppur momentanea e queste lacune sono immense e frequentissime. Perché, se la morale chegli sempre predica è sublime, sono sublimità ordinarie e appartengono al consueto stile degli oratori, non hanno che fare collentusiasmo proprio e presente. Ma tu vorresti chegli esaurisse laffetto ec. Non mi state a insegnare quello che tutti sanno. Dalleccesso al difetto ci corre un gran divario. Ed è contro natura che un uomo, quando si è abbandonato allentusiasmo, ritorni in calma, appena incominciata lagitazione. 138E non cè cosa piú dispettosa che lessere arrestato in un movimento vivo e intrapreso con tutte le forze dellanimo o del corpo. Leggendo i passi piú vivi di Bossuet, il passaggio istantaneo e lalternativa continua e brusca del moto brevissimo e della quiete perfetta vi fa sudare e travagliare. Si accerti lo scrittore o loratore, che finattanto che non si stancano le sue forze naturali (non dico artifiziali, ma naturali) nemmeno il lettore o uditore si stanca. E fino a quel punto non tema di peccare in eccesso. Il quale anzi è forse meno penoso del difetto, in quanto il lettore sentendosi stanco lascia di seguir lo scrittore, e anche leggendo, riposa ; ma, obbligato a fermarsi prima del tempo, non può, come nellaltro caso, disubbidire allo scrittore, il quale per forza gli taglia le ali. Insomma, se leloquenza è composta di movimenti ed affetti della specie descritta e di freddezze e trivialità mortali nel resto, allora Bossuet sarà veramente eloquente in mezzo agli eleganti del suo secolo, come dice Voltaire (21 agosto 1820)45.

Parmi les nombreuses occurrences du nom de Bossuet dans les écrits de Leopardi, cest la seule fois où le poète fait mention de la doctrine ou de la morale du prédicateur, en manifestant à leur égard une impatience qui na rien à voir avec un refus idéologique. En 1820 Giacomo Leopardi nest pas encore le prophète du néant qui a contribué à fonder sur des 139assises tragiques le nihilisme moderne. Le problème infiniment complexe de la religion de Leopardi a peu de pertinence pour ce qui concerne sa lecture des moralistes et des prédicateurs du Grand Siècle, avec lesquels il partage le geste du dévoilement du théâtre du monde, la conscience de la précarité, lanalyse de lamour-propre et de lennui, « cet inexorable ennui, qui fait le fond de la vie humaine depuis que lhomme a perdu le goût de Dieu » (a dit Bossuet dans sa Lettre sur les spectacles). En fait, la voix dombre des auteurs davant les Lumières inspirera la résistance de Leopardi contre lidéologie du progrès propre à la modernité – « secol superbo e sciocco » (La Ginestra, v. 53) – et, par ce biais, elle connaîtra non seulement un regain dactualité mais le rayonnement dune pureté intemporelle. Cest plutôt, encore une fois, un refus dordre esthétique que Leopardi oppose contre les « sublimités ordinaires » de la morale de Bossuet : notons que, même au plus fort de son athéisme, Leopardi ne cessera de définir le don dinspiration qui préside à la grande poésie, avec son cortège de feu et de larmes, de fièvre et de folie, comme une « scintilla divina » ou la présence de Dieu dans lhomme46.

On devrait objecter à Leopardi quil va ici à lencontre de sa propre poétique, où poésie et prose sont distinguées nettement, et des critiques quil adresse ailleurs à Bossuet comme exemple dune éloquence dépourvue de familiarité, abusant de cette « perpetua, dirò cosí, traslazione e μετεωρία e concitazione di stile, chè propria della poesia47 ». Mais pour rendre justice à Leopardi, il suffit de rappeler que son idée de poésie dépasse toute frontière générique, jusquà ne pas exclure les grands philosophes, et que Descartes figure dans un défilé de génies poétiques où nous chercherions en vain Bossuet. « I più profondi filosofi, i più penetranti indagatori del vero, e quelli di più vasto colpo docchio, furono espressamente notabili e singolari anche per la facoltà dellimmaginazione e del cuore, si distinsero per una vena e per un genio decisamente poetico. [] Fra gli antichi Platone [] Fra moderni Cartesio, Pascal, quasi pazzo per la forza della fantasia sulla fine della sua vita []48 ». Demandons-nous plutôt 140si lanti-bossuétisme de Leopardi, exemplaire de son « misogallisme » mais irréductible à celui-ci, est réellement une passion « inutile » ou sil apporte, en creux, quelques éléments féconds pour une reconsidération critique de ladversaire quil sétait choisi.

Le Romantisme, français et italien, a tenté parfois de sassimiler lauteur des Oraisons funèbres : il revient à ce jeune poète qui ne se voulait pas romantique dinterpréter avec rigueur un contraste dâges, de cultures, de poétiques, de spiritualités. La critique romantique la plus sévère contre le génie classique de Bossuet vient dun bourg ensoleillé où les lumières et les ombres sont nettes comme dans certains paysages de la Grèce, et passe par des arguments anciens quune puissante subjectivité vient rajeunir. Lorsquil affirme, à travers lexemple de Bossuet, linaptitude de la langue française au sublime, qui est manie, naïveté, langue absolue49, Leopardi est lhéritier des Lumières italiennes (Giambattista Vico docet) et, en même temps, le témoin de ce quon peut appeler, symétriquement au « romantisme des classiques », le « classicisme des romantiques », leur nostalgie de lorigine. Lorsquil dit son corps-à-corps avec le texte de Bossuet, il suscite des questions que personne ne recueillera, mais quen fait, la critique ultérieure ressasse, dans un débat qui ignore le soupçon semé par Leopardi mais qui lui répond implicitement.

On pourrait imaginer, à la manière ancienne, un « dialogue des morts » de deux poètes, Leopardi et Valéry, autour de Bossuet. Bossuet dit ce quil veut, affirme Valéry50. Son style « en voûte » monte vers le haut et redescend par des prodiges déquilibre ; lorateur que Leopardi se figure dans les chaînes, est, au contraire, le meneur dun jeu parfaitement maîtrisé. Cette description dun art suprême provoquerait la répartie amère du poète de Recanati qui ne cherche que lâme et le moi, la familiarité et le « feu naturel ». La critique récente apporte des arguments dans ce dialogue : elle aime définir la « variété » du style oratoire de Bossuet par cette alternance du « grand style » et du style moyen qui, daprès des rhéteurs anciens, était une condition nécessaire à faire ressortir lélévation du discours51. Dautre 141part, Philippe Sellier a illustré limaginaire des classiques comme un imaginaire cyclique, une rhétorique de la réversibilité des contraires : celle-ci domine le rythme de Bossuet en faisant de limpuissance un tempo musical de la puissance52. On insiste moins sur le portrait de Bossuet en majesté que sur sa « faiblesse53 » paradoxale, sur sa rhétorique de lanti-rhétorique ou rhétorique au deuxième degré. La notion de « kénose » est lâchée, avec celle dun dépouillement eucharistique qui transforme le langage de façon presque sacramentelle, au cœur dun rite consommé sur la chaire comme il lest sur lautel54. Entre-temps, lidée du sublime de Bossuet, ce sublime que Bossuet lui-même tendait à interpréter comme grand style, sestompe et se complique, en quête de nouvelles définitions. Détracteurs et admirateurs de lévêque de Meaux ne révoquent pas en doute la fascination de cette « langue morte55 » où Valéry et tant dautres ont vu la plus haute réussite dun écrivain, mais la richesse même des analyses impose, quant aux clés pour la faire revivre, un temps de réflexion.

Pour conclure, relisons le morceau de Bossuet sur la rapidité de la vie, en contraste avec une strophe de Leopardi, la deuxième du Chant nocturne dun berger errant de lAsie, qui pourrait en garder la trace. Pour le premier on a parlé dune sonate, que lalternance des pronoms sujets vient dramatiser ; cette sonate est, dautre part, une Incompiuta : la continuelle brisure du discours atteste létat débauche dun sermon non entièrement développé. Pour la seconde, les métaphores musicales sont celles dun crescendo : un seul sujet, le « Vecchierel bianco, infermo », régit une longue phrase principale qui « court » elle-même vers sa catastrophe et son silence.

Labrégé de Bossuet est réaménagé comme un morceau de bravoure dans lanthologie :

La vie humaine est semblable à un chemin, dont lissue est un précipice affreux : on nous en avertit dès le premier pas, mais la loi est prononcée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner sur mes pas ; marche, marche. Un poids invincible, une force invincible nous entraîne ; il faut sans cesse 142avancer vers le précipice. Mille peines, milles traverses nous fatiguent et nous inquiètent dans la route ; encore si je pouvois éviter ce précipice affreux. Non, non, il faut marcher, il faut courir, telle est la rapidité des années. [] On se console parce quon emporte quelques fleurs cueillies en passant, quon voit se faner entre ses mains du matin au soir, quelques fruits quon perd en les goûtant. Enchantement ! Toujours entraîné, tu approches du gouffre. Déjà tout commence à seffacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires, tout se ternit, tout sefface : lombre de la mort se présente ; on commence à sentir lapproche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord, encore un pas. Déjà lhorreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux ségarent, il faut marcher. On voudrait retourner en arrière, plus de moyen ; tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé56.

Au lieu dimpliquer lauditoire / le lecteur dans le jeu des pronoms tu, je, nous, on, et dans le pathos dune histoire déroulée par le bas, Leopardi adopte le point de vue den haut, quil considère propre au sublime, et traite son sujet à la distance de lallégorie. Au lieu dinsister sur la note élégiaque des fleurs fanées – ô combien familière à lauteur dA Silvia – il évoque un locus horribilis, paysage-état dâme de lhomme qui na pas pu éviter « di vecchiezza / la detestata soglia » (Il Passero solitario, v. 50-51). Au lieu de montrer labîme dès le début, et den contempler avec effroi linexorable approche, il en fait limprévu, linconcevable, chargé dune horreur apophatique. Au lieu de présenter la course comme la réponse à une intimation extérieure, à laiguillon du temps qui passe, il lintériorise comme une nécessité qui coïncide avec labsurde et la folie.

Vecchierel bianco, infermo,

Mezzo vestito e scalzo,

Con gravissimo fascio in su le spalle,

Per montagna e per valle,

Per sassi acuti, ed alta rena, e fratte,

Al vento, alla tempesta, e quando avvampa

Lora, e quando poi gela,

Corre via, corre, anela,

Varca torrenti e stagni,

Cade, risorge, e più e più saffretta,

Senza posa o ristoro,

Lacero, sanguinoso ; infin charriva

Colà dove la via

143

E dove il tanto affaticar fu volto :

Abisso orrido, immenso,

Ovei precipitando, il tutto obblia.

Vergine luna, tale

È la vita mortale.

(Canto notturno di un pastore errante dellAsia, v. 21-38)57.

La critique léopardienne a assez dit la richesse du jeu intertextuel58 doù naissent le personnage du « vecchierel » et sa via crucis sous le poids dun « fascio » quune réminiscence de Pétrarque suggère dassocier à lidée de culpabilité : Pétrarque, et Dante, et Ésope, voire La Fontaine avec la fable La Mort et le Bûcheron ont présidé à linvention dun âge de lhomme comme miroir de la « vita mortale » (les sept vieillards de Baudelaire sont à laffût…). Mais cest le « marche, marche » de Bossuet qui pourrait avoir donné le branle à ce piteux héros précipité par Leopardi dans labîme de l« infinita vanità del tutto » (A se stesso, v. 16). Daprès les aveux que nous avons lus dans le Zibaldone, on imagine Leopardi lecteur de Bossuet, « tutto sulle mosse » pour suivre « un movimento forte, sublime e straordinario », déçu par la musique de lorateur et prêt à lui substituer sa propre musique : le crescendo de langoisse, la course mimée dans la fuite des vers où la brièveté des septénaires fait urgence à la régularité des endécasyllabes. Une page du Zibaldone antérieure à lécriture du Canto notturno nous montre que la métaphore du vieil homme sest imposée à Leopardi seulement après celle dun boiteux ou dun infirme, et que la transformation de la « marche » en « course » ne sest pas faite demblée : « Che cosa è la vita ? Il viaggio di un zoppo e infermo che con un gravissimo carico in sul dosso per montagne ertissime e luoghi sommamente aspri, faticosi e difficili, alla neve, al gelo, alla pioggia, al vento, allardore del sole, cammina 144senza mai riposarsi dì e notte uno spazio di molte giornate per arrivare a un cotal precipizio o un fosso, e quivi inevitabilmente cadere59 ». Le dialogue des textes confirme à quel point lautre, Bossuet, a pu devenir pour Leopardi une présence intérieure, fût-ce au prix dune prise de distance ou dun refoulement.

Benedetta Papasogli

Université de Rome Lumsa

145

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1 Cela, à partir de louvrage de Nicolas Serban (Leopardi et la France. Essai de littérature comparée, Paris, Champion, 1913), fondateur pour ce qui concerne létude des relations entre Leopardi et la France.

2 Titre du film de Mario Martone sur Leopardi (2014).

3 Voir Causeries du lundi, lundi 29 mai 1854.

4 Chiara Fenoglio, Un infinito che non comprendiamo. Leopardi e lapologetica cristiana dei secoli xviie e xixe, Alessandria, Ed. dallOrso, 2008.

5 Lorenzo Polato, Leopardi, Bossuet, Massillon : qualche considerazione, dans R. Donatella (dir.) Miscellanea di studi in onore di Giovanni da Pozzo, Rome-Padoue, Antenore, 2004, p. 529-535.

6 Voir à ce propos Saverio Ieva, « Amor di patria e misogallismo nel giovane Leopardi. L“Orazione in occasione della liberazione del Piceno” tra esercizio retorico e tradizione letteraria », Italies, VI, 1, 2002, p. 233-258. La problématique de la langue italienne et, en général, des langues est dune telle richesse chez Leopardi que nous ne voulons pas proposer une bibliographie à ce sujet ; nous soulignons pourtant lintérêt des études suivantes : Alfredo Luzi, « Leopardi : la lingua, la nazione », dans Studi sul Settecento e lOttocento, no 11, 2016, p. 109-114 ; Stefania Iannizzotto, La lingua “perfetta”. Litaliano nello “Zibaldone di pensieri” di Giacomo Leopardi, dans Biffi Marco (dir.), Italia linguistica : discorsi di scritto e di parlato. Nuovi studi di linguistica italiana per Giovanni Nencioni, Calabrese Omar e Salibra Luciana, Sienne, Protagon Editori Toscani, 2005, p. 147-160 ; id., Una lingua “diversa”. Litaliano nella percezione storico-linguistica di Leopardi, dans Identità e diversità nella lingua e nella letteratura italiana, Florence, Cesati, 2007, p. 723-736 ; Stelvio Di Spigno, « La lingua e la civiltà francesce nello Zibaldone di Giacomo Leopardi », Trame di Letterature Comparate, no 3-4, 2002, p. 247-308.

7 Nous traduisons (incipit).

8 Francesco lgarotti, Opere, t. IV, Cremona, Manini, [1750], 1779, p. 54) « Personne ne pourra assez se surprendre du fait quune langue si réglée, si rétrécie et timide, telle quelle [la langue française] est à présent, se trouve dans les bouches dune nation aussi vive, prompte et spirituelle que la française ».

9 Fénelon (François de Salignac de la Mothe-Fénelon), Œuvres, éd. Jacques Le Brun, Paris, Gallimard, 1983-1997, vol. 2, p. 1159.

10 « Ainsi que font les classes des séminaristes, les tout jeunets à lavant et les grandelets à larrière, les uns après les autres, au fur et à mesure, avec le préfet au bout de la file ».

11 Francesco lgarotti, Opere, op. cit., p. 44.

12 Saverio Bettinelli, Saggio sulleloquenza, Appendice II, Predicazione, o sacra eloquenza”, dans Opere, t. VIII, Venise, Zatta, 1782, p. 168.

13 Melchiorre Cesarotti, Rischiaramenti apologetici, dans Saggi sulla filosofia delle lingue e del gusto, Milan, 1820 [1800], p. 221.

14 Saverio Bettinelli, DellEloquenza del pulpito, Addizione allAppendice sulleloquenza sacra, dans Opere edite e inedite in prosa e in versi dellAbate Saverio Bettinelli, seconda edizione, t. XXIV, Venise, Adolfo Cesare, 1801, p. 24.

15 Saverio Bettinelli, LEntusiasmo, in Opere, t. II, Venise, Zatta, 1780, p. 225. « Beauté naïve, animée, accomplie ».

16 Saverio Bettinelli, DellEloquenza del pulpito, op. cit., p. 171-172. « Éloquence raisonneuse », capable d« embrasser son sujet avec largeur et justesse », sans insister sur ces « pauses profitables aux figures énergiques et aux mouvements daffect, par lesquels la pitié et la terreur peu à peu sinsinuent dans lâme et la troublent jusquaux larmes ».

17 Saverio Bettinelli, DellEloquenza del pulpito, 1769, p. 376.

18 Voir, dans les Leçons de Noel et Delaplace, la section « Péroraisons ».

19 Nous avons consulté une édition tardive des Leçons françaises de littérature et de morale, Paris, Le Normant, 1828, t. I, p. 410. Nous nous proposions de vérifier lédition de 1810 conservée dans la bibliothèque Leopardi à Recanati, mais lémergence de la pandémie ne nous la pas permis.

20 François Noël et François de Laplace, Leçons françaises de littérature et de morale, Paris, Le Normant, 1828, p. 663-665.

21 Émile Deschanel, Le Romantisme des classiques, Paris, Calmann-Lévy, 1883.

22 Giacomo Leopardi, Zibaldone, éd. R. Damiani, Milan, Mondadori, « I Meridiani », 1997 [désormais Zib.]

23 Zib., p. 3269. « Le poète lyrique en état dinspiration, le philosophe dans la sublimité de linspiration, lhomme dimagination et de sentiment au temps de son enthousiasme, nimporte quel homme dans une forte passion, dans lenthousiasme des pleurs, et, osé-je ajouter, médiocrement réchauffé par le vin, voit et regarde les choses comme dun lieu élevé et supérieur à celui où lesprit des hommes a lhabitude de résider ».

24 Zib., p. 3328. « Se forger avant tout une langue par ses propres mains ».

25 Ibid.

26 Rien nest moins sûr que la date où Leopardi a réellement lu les Leçons. Dans le Zibaldone, il en parle en 1828, mais il le connaissait depuis longtemps. Toute date proposée par la critique est indiciaire et conventionnelle. Nous assumons ici comme possible que des lectures successives de différentes éditions aient inspiré les remarques sur Bossuet.

27 Giacomo Leopardi, Operette morali, Milan, Garzanti, 1984, p. 211 : « Il ne blâmait pas, au contraire, il louait et aimait les écrivains qui causent beaucoup deux-mêmes : car il disait quen cela, ils sont presque toujours et presque tous éloquents, et ils ont ordinairement un style juste et convenable, même contre la coutume du temps, ou de la nation, et leur propre » (Detti memorabili di Filippo Ottonieri, chap. vi).

28 Ibid., p. 212 : « Des grâces et des beautés fausses ou qui ont plus dapparence que de substance, de laffectation, et de tout ce qui est hors du naturel ».

29 Ibid. : « Ainsi que dans les oraisons de Bossuet, le lieu entre tous le plus beau et le plus éloquent est celui où en concluant les éloges du Prince de Condé, lorateur mentionne sa propre vieillesse et la mort qui sapproche ».

30 Voir aussi Zib, p. 30.

31 Anne Régent-Susini, Bossuet et la rhétorique de lautorité, Paris, Champion, 2011.

32 Zib., p. 2198.

33 Zib., p. 110.

34 Ibid. « Les paroles [] ne présentent pas seulement lidée de lobjet signifié, mais, dans une certaine mesure, des images accessoires. Et cest la qualité la plus haute de la langue que davoir de telles paroles. Les expressions scientifiques présentent lidée nue et circonscrite dun certain objet, cest pourquoi elles sappellent “termes”, parce quelles déterminent et définissent la chose de tous côtés. Plus une langue abonde en paroles, plus elle est apte à la littérature et à la beauté ».

35 Ibid. « Cest pourquoi elle a besoin de grands écrivains qui peu à peu lui rendent à nouveau familiers le style et les expressions de Bossuet, de Fénelon et de tous les plus hauts prosateurs de leur bon siècle, et de même pour la poésie ».

36 Zib., p. 689. « Flexible, robuste et délicate en loccurrence ; pleine de sève, de sang et de coloris etc. Qualités dont on peut reconnaître des restes chez Mme de Sévigné et chez Bossuet et chez dautres écrivains de cette époque ».

37 Zib., p. 334.

38 Voir Zib., p. 218.

39 Zib., p. 208.

40 Zib., p. 217-218. « Les Français répètent toujours que Bossuet a soumis sa langue à son génie. Moi je dis que son génie a été soumis par la langue, les coutumes, les goûts de son pays. [] un peu dhardiesse en France, où la règle est de vivre et de faire comme tout le monde, coûte bien plus que beaucoup dhardiesse ailleurs. Mais en fait, en cherchant chez Bossuet cette grande hardiesse et cette éloquence si vigoureuse, vous trouvez plus dimpuissance que de force, et vous verrez quà peine levé il sabaisse. Cest le sentiment que jéprouve infailliblement en le lisant ; dès quil ma donné des signes dun mouvement fort, sublime et extraordinaire, et moi je suis tout apprêté à le suivre, je trouve quil ny a rien dautre à faire, et quil a déjà recommencé à parler comme tout le monde. Ce qui cause beaucoup de peine et de dégoût et de sécheresse dans la lecture. Cela na rien à voir avec les inégalités propres aux grands génies. Aucun génie ne sarrête si tôt que Bossuet. On voit proprement quil est comme enchaîné et quil fait des efforts plus pénibles que grandioses pour se libérer. Et le lecteur éprouve exactement le même état. Cest pourquoi si lon veut convenir que Bossuet a été un génie, il faut avouer quen essayant de dompter sa langue et sa nation, il a été dompté par elle. Jen appelle à tous les étrangers et aux Italiens. Cependant la voix de toute la France a une telle force quelle forme le jugement de lEurope. Et se désavouer, cest presque impossible. Que ces mots autour de Bossuet soient donc dits inutilement ».

41 Pour la centralité de la catégorie dinutilité chez Leopardi, voir Rolando Damiani, Leopardi e il principio di inutilità, Ravenne, Longo, 2000.

42 Giovanni Lombardo, « Introduction » à Raffaele Gaetano, Giacomo Leopardi e il sublime, Soveria Mannelli, Rubbettino 2002, p. 7-8. Sur lutilisation dHorace par Leopardi, voir Alessandro Schiesaro, « Leopardi, Orazio e la teoria degli “ardiri” », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, Classe di Lettere e Filosofia, serie III, vol. XVI, 2, 1986, p. 569-601 ; Giuseppe Panella, Leopardi e lestetica del sublime, dans id., Il sublime e la prosa. Nove proposte di analisi letteraria, Florence, Editrice Clinamen, 2005, p. 23-45.

43 Zib., p. 2415. « Une langue nest pas belle si elle nest pas hardie, et en dernière analyse, vous trouverez quen matière de langue, beauté est la même chose que hardiesse ».

44 « Dépourvue dinventions [] stérile en tours hardis ».

45 Zib., p. 218-220. « Rien nest si déplaisant que de voir un écrivain qui, après avoir entrepris un grand mouvement, image, sublimité etc., est comme à bout de souffle. Cela ressemble dune certaine façon aux efforts impuissants de quelquun qui, visiblement, voudrait être grand, beau etc. dans son écriture et ne le peut pas. Mais ceci est plus ridicule, cela plus pénible. Chez Bossuet cela arrive à tout moment. Un grand élan ; tu penses quil suivra limpulsion, mais cest déjà terminé. Même si la suite de son oraison était forte, magnifique etc., ce nest plus quand même du feu naturel, mais artificiel et tiré toujours des mêmes lieux. Je laisse de côté les moments où Bossuet manque totalement de vie, même momentanée, et ces lacunes sont immenses et fort fréquentes. Car, si la morale quil prêche est sublime, ce sont des sublimités ordinaires et relevant du style habituel aux orateurs, elles nont rien à voir avec lenthousiasme réel et présent. Mais tu voudrais quil épuisât laffect, etc. Ne vous souciez pas de mapprendre ce que tout le monde sait déjà. De lexcès au défaut lécart est grand. Et il est contre nature quun homme, quand il sest abandonné à lenthousiasme, revienne au calme, juste au commencement de lagitation. Et il ny a rien daussi décevant que dêtre arrêté dans un mouvement vif que lon a entrepris avec toutes les forces de lâme et du corps. Lorsquon lit les morceaux les plus vivants de Bossuet, le passage instantané et lalternance continuelle et brusque entre le mouvement très bref et le repos absolu, vous font suer à grosses gouttes. Que lécrivain ou lorateur soit assuré que, aussi longtemps que ses force naturelles (je ne dis pas artificielles, mais naturelles) ne se fatiguent pas, le lecteur ou auditeur ne se fatiguera pas non plus. Et jusquà ce moment, quil ne craigne pas de pécher par excès. Lequel excès est, au contraire, moins pénible peut-être que le manque, parce que le lecteur, se fatiguant cesse à suivre lécrivain, se repose tout en lisant ; mais, obligé de sarrêter à lavance, il ne peut pas, comme dans lautre cas, désobéir à lécrivain, qui forcément lui coupe les ailes. En somme, si léloquence se compose de mouvements et daffects du genre que je viens de décrire et, pour le reste, de froideurs et de trivialités mortelles, alors Bossuet sera vraiment éloquent parmi les élégants de son siècle, comme le dit Voltaire (21 août 1820) ».

46 On peut consulter à ce propos Raoul Bruni, « Entusiasmo ed ispirazione in Leopardi », Lettere italiane, vol. 59, no 2, 2007, p. 281-296.

47 Zib., p. 375. « Perpétuelle, pour ainsi dire, translation et μετεωρία et excitation de style, qui est propre de la poésie ».

48 Zib., p. 3245. « Les philosophes les plus profonds, les plus pénétrants enquêteurs du vrai, et les doués du plus vaste coup dœil, furent expressément remarquables et singuliers aussi par la faculté de limagination et du cœur, ils se distinguèrent par une veine et par un génie décidément poétique. Parmi les anciens, Platon []. Parmi les modernes, Descartes, Pascal, presque fou par la force de la fantaisie vers la fin de sa vie [] ».

49 Voir Zib., p. 246.

50 Paul Valéry, « Sur Bossuet » [1926], Variétés II, Paris, Gallimard, 1948, p. 42-43.

51 Anne Régent-Susini, « Le grand style dans le Carême du Louvre de Bossuet », dans Lectures des sermons de Bossuet, dir. G. Peureux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002, p. 43-59.

52 Philippe Sellier, Essai sur limaginaire classique, Paris, Champion, 2003.

53 « Faiblesse » est également un mot-clé des travaux dAnne Régent-Susini (voir en particulier Régent-Susini, Bossuet et la rhétorique de lautorité, op. cit.).

54 Laurent Thirouin, « Bossuet/Mallarmé : le mystère dans les lettres », Cahiers du Gadges, 3, 2006, p. 267-284.

55 Jean-Michel Delacomptée, Langue morte. Bossuet, Paris, Gallimard, 2009.

56 Abrégé dun sermon prêché à Meaux pour le jour de Pâques.

57 Traduction de Michel Orcel : « Vieillard fragile et blanc, / Vêtu à peine, les pieds nus, / Le dos chargé dun lourd fardeau, / Par les monts, les vallées, / Dans les rochers coupants, le sable, les buissons, / Sous le vent, la tempête, lorsque senflamme / Lheure et puis quelle se glace, / Il court, halète et court, / Passe torrents, marais, / Tombe, et se relève, et plus en plus se presse, / Sans pose, sans repos, / Ensanglanté, meurtri, jusquà venir / Là où sa route / Et sa longue fatigue le menaient : / Abîme horrible, immense, / Où, tombant, il perd mémoire du Tout. / Lune sans tache, telle / Est la vie du mortel. » URL : https://lyricstranslate.com

58 Voir à ce propos, en particulier, Emanuela Scarpa, « Un “vecchierel” esopiano », Studi di filologia italiana, LXVI, 2008, p. 285-291, et Antonella Del Gatto, « “Una lunga lirica” : La Divina Commedia di Leopardi », URL : https://www.academia.edu/37315437/_Una_lunga_lirica_la_Divina_Commedia_di_Leopardi

59 Zib., p. 4162-4163. « Quest-ce que la vie ? Le voyage dun boiteux et dun infirme qui, le dos chargé dun immense fardeau, par des montagnes raides et des lieux extrêmement âpres, pénibles et difficiles, sous la neige, le gel, le vent, la pluie ou lardeur du soleil, marche nuit et jour sans jamais reposer pendant plusieurs journées pour arriver à tel précipice ou ravine et y tomber inexorablement ». Nous soulignons.