Madame de Sévigné et la prédication La réception des oraisons funèbres de Condé dans la Correspondance
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue Bossuet Littérature, culture, religion
2018, n° 9. varia - Auteur : Wydler (Arnaud)
- Pages : 129 à 144
- Revue : Revue Bossuet
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406087854
- ISBN : 978-2-406-08785-4
- ISSN : 2494-5102
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08785-4.p.0129
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 11/12/2018
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
Madame de Sévigné
et la prédication
La réception des oraisons funèbres de Condé
dans la Correspondance
La prédication au siècle classique a été principalement étudiée sous les angles théologique, rhétorique et stylistique. Sa réception et ses effets en revanche, ont moins retenu l’intérêt de la critique qui s’est tout au plus attachée à mettre en lumière les polémiques et les lectures savantes auxquelles les sermons pouvaient donner lieu dans les cercles religieux. Il reste ainsi beaucoup à dire sur les réactions que ces discours pouvaient susciter au sein des publics de l’époque, et notamment dans les milieux mondains, dont on connaît l’intérêt pour la prédication. L’un des témoignages les plus évocateurs en la matière est sans doute la Correspondance de Mme de Sévigné, qui ne cesse de référer aux « chefs d’œuvre » oratoires de son temps, sous forme de simples allusions ou de commentaires plus substantiels. Si les travaux de J.-P. Landry1 ont mis en évidence, par le passé, la réceptivité de la Marquise aux discours de Bossuet, Fléchier, Mascaron et surtout Bourdaloue, ils n’ont pas fini d’explorer les différents effets que ces discours exerçaient sur elle. À ce titre, les Oraisons funèbres de Condé par Bossuet et Bourdaloue, auxquelles se limitera notre contribution par souci de concision, permettent d’évaluer les modes de consommation de l’épistolière en matière d’art oratoire : auditrice régulière des oraisons funèbres qu’elle apprécie en premier lieu pour l’éloquence et la beauté du cérémonial, la Marquise se montre également attentive, en lectrice avertie des versions imprimées, à la valeur rhétorique et à la portée morale de ces textes. Aussi, elle n’hésite pas à juger de leur qualité ou à en débattre avec ses correspondants, capable 130de distinguer, dans le vaste répertoire de la prédication, les discours véritablement édifiants ; ceux qui l’aident à réfléchir à sa condition de chrétienne ou lui inspirent les petits hommages qu’elle dédie à ses proches défunts. À la fois spectatrice fascinée, critique et « auteure » de sermons, Mme de Sévigné entretient ainsi avec l’art oratoire de son temps un rapport privilégié et complexe que cette contribution se propose d’étudier.
Mme de Sévigné, spectatrice
et critique d’oraisons funèbres
Parmi les raisons qui expliquent l’intérêt particulier de Mme de Sévigné pour le genre oratoire, la valeur esthétique du discours est sans doute la plus évidente. En effet, les commentaires de sermons que l’auteure nous a laissés dans ses lettres traduisent, avec force emphase, la fascination que ces derniers exerçaient sur elle :
Nous entendîmes l’autre jour l’abbé de Montmor. Je n’ai jamais ouï un si bon jeune sermon ; je vous en souhaiterais autant à la place de votre minime2.
Le P. Bourdaloue fit un sermon le jour de Notre-Dame, qui transporta tout le monde ; il était d’une force à faire trembler les courtisans, et jamais prédicateur évangélique n’a prêché si hautement et si généreusement les vérités chrétiennes3.
Nous entendîmes, après dîner, le sermon du Bourdaloue, qui frappe toujours comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant contre l’adultère à tort et à travers4.
Il est toutefois un type d’événement qui retient davantage encore l’attention de la Marquise : il s’agit de l’oraison funèbre, un discours d’autant plus attendu et exceptionnel qu’on ne le prononce qu’en l’honneur 131de quelques personnalités illustres du royaume. Entre la quinzaine d’oraisons auxquelles l’épistolière fait référence dans ses lettres5, deux titres reçoivent un écho particulièrement important. Il s’agit des oraisons funèbres de Louis de Condé par Bossuet et Bourdaloue, auxquelles la Marquise a assisté en mars et avril 1687. La première impression qu’elle livre de l’oraison de l’évêque de Meaux rend compte de la splendeur du cérémonial :
Voici encore de la mort et de la tristesse, mon cher cousin. Mais le moyen de ne vous pas parler de la plus belle, de la plus magnifique et de la plus triomphante pompe funèbre qui ait jamais été faite depuis qu’il y a des mortels ? C’est celle de feu Monsieur le Prince, qu’on a faite aujourd’hui à Notre Dame. Tous les beaux esprits se sont épuisés à faire valoir tout ce qu’a fait ce grand prince, et tout ce qu’il a été. Ses pères sont représentés par des médailles jusqu’à saint Louis, toutes ses victoires par des basses-tailles, couvertes comme sous des tentes dont les coins sont ouverts et portés par des squelettes dont les attitudes sont admirables. Le mausolée, jusque près de la voûte, est ouvert d’un dais en manière de pavillon encore plus haut, dont les quatre coins retombent en guise de tentes. Toute la place du chœur est ornée de ces basses-tailles, et de devises au-dessous, qui parlent de tous les temps de sa vie. Celui de sa liaison avec les Espagnols est exprimé par une nuit obscure, où trois mots latins disent : Ce qui s’est fait loin du soleil doit être caché. Tout est semé de fleurs de lis d’une couleur sombre, et au-dessous une petite lampe qui fait dix mille petites étoiles. J’en oublie la moitié, mais vous aurez le livre qui vous instruira de tout en détail. Si je n’avais point eu peur qu’on ne vous l’eût envoyé, je l’aurais joint à cette lettre, mais ce duplicata ne vous aurait pas fait plaisir. Tout le monde a été voir cette pompeuse décoration. Elle coûte cent mille francs à Monsieur le Prince d’aujourd’hui, mais cette dépense lui fait bien de l’honneur. C’est Monsieur de Meaux qui a fait l’oraison funèbre ; nous la verrons imprimée. Voilà, mon cher cousin, fort grossièrement, le sujet de la pièce. Si j’avais osé hasarder de vous faire payer un double port, vous seriez plus content. Nous revoilà donc encore dans la tristesse6.
Passant rapidement sur le discours de l’oraison funèbre, sachant qu’il sera imprimé et qu’elle pourra vraisemblablement le relire7, l’épistolière partage ici le plaisir qu’elle éprouve pour un événement qui suscite moins de tristesse que d’admiration. D’un œil attentif, elle ne néglige d’ailleurs aucun détail du somptueux décor qui se dresse devant elle, 132réalisé par Bérain sur un thème emprunté au Père Ménestrier8. Fascinée par les jeux d’ombre et lumière, les décorations qui ornent la chapelle et la structure colossale du mausolée, elle est particulièrement frappée par la richesse du tombeau qu’elle décrit avec finesse, évoquant les « médailles », les « fleurs de lis », et les devises qui rappellent la noble lignée du défunt. À l’émotion provoquée par le discours et le décor dans lequel il prend place, s’ajoute le plaisir de se trouver en « bonne société ». Si la Marquise n’y fait pas directement allusion dans ce passage, elle ne manque pas à d’autres occasions de signaler la présence, à ses côtés, des courtisans les plus estimés :
J’ai dîné aujourd’hui chez Mme de Lavardin, après avoir été en Bourdaloue, où étaient les Mères de l’Église ; c’est ainsi qu’on appelle les princesses de Conti et de Longueville. Tout ce qui est au monde était à ce sermon, et ce sermon était digne de tout ce qui l’écoutait9.
La structure en chiasme qui clôt le propos, évoque les plaisirs qu’associe le sermon : d’une part, celui du discours, dont on admire la véhémence, et d’autre part, celui de la sociabilité, occasionnée par la rencontre avec les beaux esprits. On peut dès lors aisément concevoir l’attrait de la Marquise pour ces cérémonies mondaines qu’elle fréquente avec assiduité, regrettant, lorsque les foules se pressent dans les églises, de ne pouvoir goûter à ces « merveilles » d’éloquence :
J’avais grande envie de me jeter dans le Bourdaloue mais l’impossibilité m’en a ôté le goût ; les laquais y étaient dès mercredi, et la presse était à mourir10.
Fervente admiratrice des grands maîtres de la chaire, prête à entendre « tous les matins ou Bourdaloue ou Mascaron11 », Mme de Sévigné ne s’intéresse pas pour autant qu’à la dimension esthétique de ces discours qui l’« emportent12 » : elle se plaît également à les relire et les évaluer dès qu’en paraissent les éditions imprimées.
133Nous relisons aussi, à travers nos grandes lectures, des rogatons que nous trouvons sous notre main, par exemple toutes les belles oraisons funèbres de Monsieur de Meaux, de M. l’abbé Fléchier, de M. Mascaron, du Bourdaloue. Nous repleurons M. de Turenne, Mme de Montausier, Monsieur le Prince, feu Madame, la reine d’Angleterre. Nous admirons ce portrait de Cromwell. Ce sont des chefs-d’œuvre d’éloquence qui charment l’esprit. Il ne faut point dire : « Oh ! cela est vieux. » Non, cela n’est point vieux ; cela est divin. Pauline en serait instruite et ravie, mais tout cela n’est bon qu’aux Rochers13.
Se plaisant à revivre les « douces frayeurs » des sermons aux Rochers, en petite compagnie choisie, la Marquise se positionne ici en critique littéraire expérimentée et légitime des œuvres oratoires, habilitée à juger ce qui est vieux et « ce qui ne l’est point ». Parmi les discours oratoires qui suscitent le débat littéraire dans la Correspondance, les oraisons funèbres de Condé sont ceux qui font l’objet du plus grand nombre de commentaires. Alors que la Marquise juge très favorablement la performance de l’évêque de Meaux, estimant qu’« il s’était surpassé lui-même », et que « jamais on n’a fait valoir ni mis en œuvre si noblement une si belle matière »14, elle recueille autour d’elle des témoignages plus contrastés. Son cousin par exemple, qui n’a pourtant pas assisté à l’oraison, lui écrit un courrier dans lequel il évoque la maladresse que Bossuet aurait commise en prononçant son discours, comparant le prince de Condé avec le plus grand général de Louis XIV, le vicomte de Turenne :
Comme j’ai ouï parler de l’oraison funèbre qu’a faite Monsieur de Meaux, elle ne fait honneur ni au mort ni à l’orateur. On m’a mandé que le comte de Gramont, revenant de Notre-Dame, dit au roi qu’il venait de l’oraison funèbre de M. de Turenne. En effet, on dit que M. de Meaux, comparant ces deux grands capitaines sans nécessité, donna à Monsieur le Prince la vivacité et la fortune, et à M. de Turenne la prudence et la bonne conduite15.
Bussy-Rabutin affiche en effet une certaine réserve vis-à-vis de ce parallèle16. Si les lois du genre épidictique préconisent le rapprochement du défunt avec une « célébrité » historique, de façon à accentuer 134la singularité et la grandeur de celui-ci, la comparaison entre les deux hommes semble avoir donné l’avantage à Turenne : alors que ce dernier est loué pour sa « prudence » et sa « bonne conduite », vertus supérieures du bon commandant – mais aussi du bon chrétien –, Condé reçoit les qualités et attributs de moindre importance que sont la « vivacité » et la « fortune ». Ainsi, dans un éloge dédié au Prince de Condé, la supériorité morale, telle qu’elle était « accordée » à Turenne, devait paraître inopportune17. Dans des courriers plus tardifs, Bussy-Rabutin revient sur cette affaire, faisant parvenir à sa cousine deux billets de Corbinelli qui rejoignent son point de vue :
Le parallèle de Monsieur le Prince et de M. de Turenne n’est pas de votre goût, à ce que j’ai vu dans votre lettre. Il n’est pas non plus de celui des connaisseurs de ce pays-ci, et je pris l’autre jour la liberté de dire à Monsieur de Meaux qu’il aurait pu ne le pas pousser jusqu’à la comparaison de leur mort18.
Ce que vous avez dit à Monsieur de Meaux pourra peut-être l’empêcher une autre fois de s’entêter de son ouvrage19.
En dépit des arguments dont il fait part à sa cousine, Bussy-Rabutin ne parvient pas à la convaincre. Critique habile de sermons, la Marquise a reconnu dans ce détournement du discours emphatique un procédé commun de l’art oratoire qui consiste à « se servir de la mort d’un Grand » pour rendre hommage à un troisième personnage, inégalable sur tous les plans : le roi. D’un seul coup, la distinction maladroite entre les deux hommes s’annule et devient matière à complimenter Louis XIV sur ses exploits militaires :
Elle l’oraison funèbre de l’évêque de Meaux est fort belle et de main de maître. Le parallèle de Monsieur le Prince et de M. de Turenne est un peu violent, mais il s’en excuse en niant que ce soit un parallèle, et en disant que 135c’est un grand spectacle qu’il présente de deux grands hommes que Dieu a donnés au Roi, et tire de là une occasion fort naturelle de louer Sa Majesté, qui sait se passer de ces deux grands capitaines, tant est fort son génie, tant ses destinées sont glorieuses. Je gâte encore cet endroit, mais il est beau20.
Indépendamment de leurs différences, Turenne et Condé sont complémentaires : ils représentent la grandeur de la France et leur retrait des armes ne fait que prouver l’habileté du monarque à gérer ses campagnes, quand bien même il est privé de ses plus honorables serviteurs :
Quel spectacle de voir et d’étudier ces deux hommes, et d’apprendre de chacun d’eux toute l’estime que méritait l’autre ! C’est ce qu’a vu notre siècle ; et, ce qui est encore plus grand, il a vu un roi se servir de ces deux grands chefs, et profiter du secours du ciel ; et, après qu’il en est privé par la mort de l’un et les maladies de l’autre, concevoir de plus grands desseins, exécuter de plus grandes choses, s’élever au-dessus de lui-même, surpasser et l’espérance des siens et l’attente de l’univers : tant est haut son courage, tant est vaste son intelligence, tant ses destinées sont glorieuses21 !
Loin d’en tenir rigueur à Bossuet, la Marquise place la performance de ce dernier à égalité avec l’Oraison funèbre de Condé par Bourdaloue22, qu’elle considère comme le maître incontesté de l’éloquence sacrée. Cependant, les deux discours n’ont pas sur elle les mêmes effets : par rapport au texte de Bossuet, que Sévigné évalue sous les angles de la rhétorique et de l’esthétique, la version de Bourdaloue retient davantage l’attention de la Marquise par son enseignement spirituel et ses instructions morales qui doivent la rendre « sainte23 ».
136Les fonctions morales de l’oraison funèbre : instruction et méditation
En un certain sens, Mme de Sévigné n’attend rien de moins du prédicateur jésuite que ce qu’elle reçoit habituellement de ses sermons, soit des discours qui la « transportent » et l’aident en même temps à se rapprocher de Dieu :
Le P. Bourdaloue fit un sermon le jour de Notre-Dame, qui transporta tout le monde ; il était d’une force à faire trembler les courtisans, et jamais prédicateur évangélique n’a prêché si hautement et si généreusement les vérités chrétiennes. Il était question de faire voir que toute puissance doit être soumise à la Loi, à l’exemple de Notre Seigneur, qui fut présenté au Temple : enfin, ma bonne, cela fut porté au point de la plus haute perfection, et certains endroits furent poussés comme les aurait poussés l’apôtre saint Paul24.
Ce n’est donc pas un hasard si la Marquise, enchantée de la sévérité de celui qu’elle surnomme quelquefois le « Grand Pan25 » et qu’elle compare ici à saint Paul, est d’abord attentive à la valeur morale de l’oraison de Condé. Du reste, le commentaire qu’elle en fait s’attache entièrement à synthétiser les propos consacrés à la spiritualité du prince :
Il était question de son cœur celui de Condé (car c’est son cœur qui est enterré aux Jésuites). Il en parla donc, et avec une grâce, et une éloquence qui entraîne, ou qui enlève, comme vous voudrez. Il fit voir que son cœur était solide, droit et chrétien.
Solide, parce que dans le haut de la plus glorieuse vie qui fut jamais, il avait été au-dessus des louanges, et là il repassa en abrégé toutes ses victoires et nous fit voir comme un prodige qu’un héros en cet état fût entièrement au-dessus de la vanité et de l’amour de soi-même. Cela fut traité divinement.
Un cœur droit, et sur cela, il se jeta sans balancer tout au travers de ses égarements et de la guerre qu’il a faite contre le Roi. Cet endroit qui fait trembler, que tout le monde évite, qui fait qu’on tire les rideaux, qu’on passe des éponges, il s’y jeta lui à corps perdu et fit voir, par cinq ou six réflexions 137dont l’une était le refus de la souveraineté de Cambrai, et l’offre qu’il avait faite de renoncer à tous ses intérêts plutôt que d’empêcher la paix, et quelques autres encore, que son cœur dans ces dérèglements était droit, et qu’il était emporté par le malheur de sa destinée, et par des raisons qui l’avaient comme entraîné à une guerre et à une séparation qu’il détestait intérieurement, et qu’il avait réparées de tout son pouvoir après son retour, soit par les infinies tendresses, et par les désirs continuels de plaire au Roi et de réparer le passé. On ne saurait vous dire avec combien d’esprit tout cet endroit fut conduit, et quel éclat il donna à son héros par cette peine intérieure qu’il nous peignit si bien et si vraisemblablement.
Un cœur chrétien, parce que Monsieur le Prince a dit dans ses derniers temps que, malgré l’horreur de sa vie à l’égard de Dieu, il n’avait jamais senti la foi éteinte dans son cœur, qu’il en avait toujours conservé les principes. Et cela supposé, parce que le Prince disait vrai, il rapporte à Dieu ses vertus mêmes morales, et ses perfections héroïques, qu’il avait consommées par la sainteté de sa mort. Il parla de son retour à Dieu depuis deux ans, qu’il fit voir noble, grand et sincère, et il nous peignit et dans celui de tout l’auditoire, qui paraissait pendu et suspendu à tout ce qu’il disait d’une telle sorte que l’on ne respirait pas. De vous dire de quels traits tout cela était orné, il est impossible, et je gâte même cette pièce par la grossièreté dont je la croque. C’est comme si un barbouilleur voulait toucher à un tableau de Raphaël. Enfin mes chers enfants, voilà qui vous doit toujours donner une assez grande curiosité pour voir cette pièce imprimée.
Celle de Monsieur de Meaux l’est déjà. Elle est fort belle et de main de maître26.
Évoquant les sensations sonores et visuelles du cérémonial, qu’elle compare à un « tableau de Raphaël », Mme de Sévigné retient surtout l’enseignement religieux que Bourdaloue a développé à partir du « cœur » du défunt. Point par point, elle reprend dans sa lettre le développement du prédicateur, dont la peinture du prince révèle les caractéristiques d’un chrétien vertueux2727. En dépit d’une vie passée dans le monde à courir les campagnes et les honneurs, ce dernier n’a jamais succombé à la vanité de la gloire et de l’amour propre. Le prince a agi par une douloureuse nécessité, se préoccupant moins des intérêts personnels qu’il pouvait trouver dans ses campagnes – gloire, argent, notoriété, etc. – que d’œuvrer à la paix du royaume de France. Aussi, malgré les 138doutes que sa piété pouvait inspirer, il « n’a jamais senti la foi éteinte dans son cœur » et n’a pas manqué de se préparer à quitter le monde en bon chrétien.
Si ce portrait de Condé est moins fidèle à la réalité que conforme aux lois du discours épidictique, la Marquise y reconnaît tout de même les qualités d’un chrétien honnête dont elle cherchera à s’inspirer. Contrairement aux prêches mondains et mauvais sermons qui se réduisent le plus souvent à de simples « spectacles d’éloquence28 », l’oraison de Condé par Bourdaloue lui donne ici un exemple de piété édifiant qui animera ses réflexions sur la vanité de l’existence terrestre ou le « détachement », topoi de l’art oratoire sur lesquels le prédicateur jésuite discourt avec insistance. Mais par-dessus tout, Mme de Sévigné est attentive aux effets de la piété : la ferveur qui anime Condé dans ses derniers instants lui a permis de connaître une « belle mort29 », ce qui encourage la Marquise à entrer dans les mêmes dispositions. Malgré sa tiédeur spirituelle qu’elle déplore dans les premières lettres30 ou sa crainte de mourir qu’elle évoque dans des élans pathétiques31, Mme de Sévigné 139semble, au fil des années, plus sensible à ses devoirs de chrétiennes : les sermons, les oraisons funèbres, mais aussi les traités de morale, et en particulier les Essais de Morale de Nicole qu’elle lit assidûment dès la parution des premiers volumes en 1671, l’aident à dédramatiser le passage du temps et à mieux accepter l’approche de la mort :
Je regarde ce mal [la décrépitude], qui n’est point tombé sur moi, avec un courage héroïque ; je me prépare à toutes les conséquences avec paix et tranquillité, et voyant qu’il faut se résoudre et que je ne suis pas la plus forte, je m’occupe de l’obligation que j’ai à Dieu de me conduire si doucement à la mort. Je le remercie de l’envie qu’il me donne de m’y préparer tous les jours, et même de ne pas souhaiter de tirer jusqu’à la lie. L’excès de la vieillesse est affreux et humiliant. […] Voilà comme nous philosophons chrétiennement32.
Loin de paraître alarmée, l’épistolière, dans ces quelques lignes, médite sur le défilement des jours avec calme, dans une posture qui ne va pas sans évoquer le motif artistique de la Madeleine pénitente. La mort n’est plus source d’angoisse mais de désir pour la Marquise qui « philosophe chrétiennement », résignée devant l’inéluctable et bien déterminée à « faire son salut ». Mme de Sévigné s’était-elle convertie ? Bien que la question ait été largement débattue par la critique33, il faut constater, à l’issue de ces réflexions, une progression spirituelle dans laquelle sermons et oraisons funèbres ont joué un rôle évident.
Assimilation et réécriture de l’oraison :
Mme de Sévigné « prédicatrice »
De l’admiration pour le spectacle de l’oraison funèbre à la méditation sur la mort, en passant par la lecture et la critique du texte imprimé, Mme de Sévigné, en consommatrice assidue d’œuvres oratoires, semble peu à peu assimiler les codes et les formes de l’oraison funèbre, au point de les reproduire. Plusieurs études ont mis en lumière les nombreux 140emprunts que la Correspondance fait à la production littéraire de son temps, sous forme de citations, de commentaires ou de pastiches34, mais on n’a guère relevé l’influence exercée par le genre oratoire sur les lettres.
On peut cependant observer une nette évolution dans le « style nécrologique » de la Marquise, à mesure qu’elle entend et lit des sermons. Alors que les premiers récits du genre n’ont le plus souvent pour seule fonction que d’annoncer la mort de l’autre ou de reproduire les accents tragiques des morts extraordinaires du Grand Siècle, à l’instar du suicide de Vatel35 ou de l’exécution publique de la Brinvilliers36, les lettres plus tardives retranchent largement ce goût pour le sensationnel dans des hommages plus spirituels et plus proches de la forme de l’oraison funèbre. L’un des premiers témoignages remarquables apparaît d’ailleurs dans une lettre datée – coïncidence ou non – de quelques mois seulement après les oraisons funèbres de Condé :
Je ne m’amuserai point, mon cousin, à répondre à vos réponses, quoique ce soit la suite d’une conversation. Je veux commencer par vous dire avec douleur que vous avez perdu votre bon et fidèle ami le duc de Saint-Aignan. Sept ou huit jours de fièvre l’ont emporté, et l’on peut dire qu’il est mort bien jeune, quoiqu’il eût, à ce qu’on dit, quatre-vingts ans. Il n’a senti, ni dans l’esprit, ni dans l’humeur, ni dans les corps, les tristes incommodités de la vieillesse. Il a toujours servi le Roi à genoux, avec cette disposition que les gens de quatre-vingts ans n’ont jamais. Il a eu des enfants depuis deux ans. Enfin tout a été prodige en lui. Dieu veuille le récompenser de ce qu’il a fait pour l’honneur et pour la gloire du monde ! J’ai senti vivement cette mort par rapport à vous. Il vous a aimé fidèlement. Vous étiez son frère d’armes, et la chevalerie vous unissait. Il vous a rendu des services que nul autre courtisan n’aurait osé ni voulu rendre. Il avait un air et une manière qui paraient la cour. Quand la mode viendrait de faire des parallèles dans les oraisons funèbres, je n’en souffrirai jamais dans la sienne, car il était assurément unique en son espèce, et un grand original sans copie37.
Revenant sur la question des « parallèles » de l’oraison de Bossuet, qui avait fait l’objet d’un petit débat littéraire avec Bussy-Rabutin, Mme de Sévigné semble encore fortement imprégnée de ce discours lorsqu’elle rédige son hommage au duc de Saint-Aignan, dans lequel on reconnaît la forme 141conventionnelle et les codes de l’oraison funèbre. Évoquant l’agonie du défunt à travers une brève déploration, la Marquise s’attèle rapidement à son éloge, mentionnant les solides amitiés qu’il a entretenues ou les loyaux services qu’il a rendus au roi, dans un style emphatique rappelant les traits « baroques » du discours obituaire. Fidèle en ce sens à la forme de l’oraison, la Marquise ne dit pourtant rien des qualités spirituelles du défunt, un constat d’autant plus surprenant que l’on connaît l’importance qu’elle accorde à la dimension morale de la prédication. Dans un récit de mort plus tardif, dédié cette fois-ci à Coulanges, cette « lacune » est comblée :
Il n’y a point de bien qu’il ne m’ait fait, soit en me donnant son bien tout entier, soit en conservant et en rétablissant celui de mes enfants. Il m’a tirée de l’abîme où j’étais à la mort de Monsieur de Sévigné. Il a gagné des procès, il a remis toutes mes terres en bon état, il a payé nos dettes, il a fait la terre où demeure mon fils la plus jolie et la plus agréable du monde, il a marié mes enfants. En un mot, c’est à ses soins continuels que je dois la paix et le repos de ma vie. Vous comprenez bien que de si sensibles obligations, et une si longue habitude, fait souffrir une cruelle peine quand il est question de se séparer pour jamais. La perte qu’on fait des vieilles gens n’empêche pas qu’elle ne soit sensible, quand on a de grandes raisons de les aimer, et qu’on les a toujours vus. Mon cher oncle avait quatre-vingts ans ; il était accablé de la pesanteur de cet âge. Il était infirme, et triste de son état ; la vie n’était plus qu’un fardeau pour lui. Qu’eût-on donc voulu lui souhaiter ? une continuation de souffrances ? Ce sont ces réflexions qui ont aidé à me faire prendre patience. Sa maladie a été d’un homme de trente ans : une fièvre continue, une fluxion sur la poitrine. En sept jours, il a fini sa longue et honorable vie avec des sentiments de piété, de pénitence et d’amour de Dieu, qui nous font espérer sa miséricorde pour lui38.
On le voit, l’épistolière donne ici une résonnance particulière aux qualités humaines et spirituelles du défunt. Elle évoque non seulement la générosité, la charité ou le dévouement dont son oncle a fait preuve tout au long de sa vie, mais souligne également la ferveur et la piété de celui-ci devant la mort, autant de qualités qui « font espérer sa miséricorde pour lui ». Comme il en est d’usage dans l’oraison, la mort est assimilée ici à une libération présentée comme l’unique remède aux souffrances du vieil homme. Les questions rhétoriques – « Qu’eût-on donc voulu lui souhaiter ? une continuation de souffrances ? » – semblent en effet exclure pour le mourant toute éventualité de se rétablir. Loin de n’être 142que fatalité, la mort intervient dans des circonstances heureuses pour le chrétien qui s’y est bien préparé.
On reconnaît ici l’adhésion de Mme de Sévigné à la conception chrétienne de la mort qui ne cessera de s’affirmer dans ses lettres tardives. Le courrier qu’elle envoie à sa fille en novembre 1688 pour lui annoncer le décès de l’abbé de Coulanges est particulièrement révélateur de cette évolution :
Je ne suis point retournée à Brévannes avec Mme de Coulanges, ma chère Comtesse, parce que j’ai trouvé mon pauvre Saint-Aubin trop près du grand voyage de l’éternité. Voilà donc le mien fini pour vaquer à ce que je dois à ce pauvre garçon que j’ai toujours aimé ; il a été touché de me voir tout autant qu’on peut l’être au faubourg Saint-Jacques. Il m’a tenu longtemps la main en me disant des choses saintes et tendres ; j’étais tout en larmes. C’est une occasion à ne pas perdre que de voir mourir un homme avec une paix et une tranquillité toutes chrétiennes, un détachement, une charité, un désir d’être dans le ciel pour n’être plus séparé de Dieu, un saint tremblement de ses jugements mais une confiance entière, fondée sur les seuls mérites de Jésus-Christ. Tout cela est divin. C’est là qu’il faut apprendre à mourir tout au moins, quand on n’a pas été assez heureux pour y vivre39.
Dans ce passage, les réjouissances heureuses de la vie éternelle se sont complètement substituées à l’horreur des derniers instants : les relations entre la Marquise et son oncle sont apaisées – « Il a été touché de me voir », « Il m’a tenu longtemps la main en me disant des choses saintes et tendres » – et les larmes de celle-ci sont moins liées à la tristesse qu’à la joie de trouver le vieil homme dans un état de sainteté, désirant « être dans le ciel pour n’être plus séparé de Dieu ». Bien sûr, le discours de Sévigné, comme celui des prédicateurs, suppose de nombreux arrangements : il est moins question de représenter l’attitude du mourant de façon réaliste que de l’idéaliser en la conformant au modèle de « belle mort ». Dans cette perspective, le récit de l’agonie de Saint-Aubin constitue l’un des témoignages les plus représentatifs de la Correspondance :
Oui, c’est une chose délicieuse que de voir une mort où il n’est uniquement question que de Dieu, où les affaires temporelles et même les remèdes et l’espérance de guérir n’a point de part, et où l’on entend dire à un malade tout ce que la religion bien entendue et la charité peut inspirer à un homme fort éclairé, et voir aussi un homme mourant, tout détaché des choses de la terre, et ne s’occuper, ni respirer que Jésus-Christ, et lui demander miséricorde jusqu’au 143dernier soupir, avec un amour ardent et une crainte pleine de confiance. J’avoue, Madame, que je n’avais rien vu de pareil. On ne meurt point ainsi dans les autres quartiers de Paris. Je n’oublierai jamais cette mort, et je serais très fâchée de ne l’avoir point vue. Dieu me fasse la grâce de m’en souvenir en temps et lieu40 !
Même si, dans les faits, les morts sereines telles que celle-ci sont rares41, l’hommage a pour fonction de « corriger » la réalité et de transformer la brutalité de la mort en un moment serein, annonciateur de la vie éternelle. Loin de négliger cet aspect, Mme de Sévigné « règle » tous ses petits sermons de façon à ménager le décès de ceux qu’elle estime le plus, écartant du même coup les craintes de la damnation que suscitait une mort violente ou douloureuse. Les exemples cités plus haut révèlent en ce sens les intentions consolatoires et « pacificatrices » des petits sermons de l’épistolière :
C’est là qu’il faut apprendre à mourir tout au moins, quand on n’a pas été assez heureux pour y vivre42.
Je n’oublierai jamais cette mort, et je serais très fâchée de ne l’avoir point vue. Dieu me fasse la grâce de m’en souvenir en temps et lieu43 !
Respectant scrupuleusement les fonctions de l’oraison funèbre, Mme de Sévigné double ses éloges de péroraisons, exhortant ses lecteurs à prendre exemple sur la bonne mort qu’elle leur présente ; à œuvrer au même détachement salutaire que celui dont ont fait preuve le prince de Condé et ses oncles, Coulanges et Saint-Aubin. L’enseignement vaut pour la Marquise elle-même, dont le souci de l’au-delà va grandissant, mais il s’adresse également aux lecteurs privilégiés des lettres que sont Bussy-Rabutin, Charles, son fils et surtout, sa fille, Mme de Grignan, pour lesquels elle espère le salut. Avec ses petites oraisons funèbres, l’épistolière agit ainsi en moraliste chrétienne. À l’instar du prédicateur qui cherche à convertir son auditoire, elle sensibilise ses proches aux 144exigences qui incombent au chrétien désireux de connaître une « belle mort ».
Conclusion
À l’issue de cette brève étude consacrée à la réception des oraisons funèbres dans la Correspondance, il faut constater les diverses influences que la prédication religieuse exerce sur Mme de Sévigné. Admiratrice des spectacles d’éloquence, la Marquise se présente en même temps comme une habile lectrice de sermons : les différents commentaires qu’elle rédige à propos des deux Oraisons funèbres de Condé révèlent en effet une connaissance fine de l’oraison funèbre et du champ de la prédication. Capable d’apprécier une œuvre oratoire selon les critères esthétiques et rhétoriques propres au genre, l’épistolière sait également distinguer les styles des prédicateurs : admirant les deux versions de l’oraison de Condé, qu’elle a entendue puis lue, la Marquise ne les apprécie pourtant pas pour les mêmes raisons. Alors qu’elle estime la beauté et l’éloquence du texte de Bossuet, elle retient plutôt de Bourdaloue ce qui touche à l’enseignement moral. Quoi qu’il en soit, ces deux textes complémentaires lui procurent une vive émotion et une instruction religieuse qu’elle se plaît à prolonger, dans le cadre intime de la réflexion spirituelle ou par le biais de l’écriture, « pliant » les hommages mortuaires de ses proches aux formes et structures de l’oraison funèbre.
Étude circonscrite à la réception de deux œuvres oratoires dans la Correspondance, cette contribution espère avoir également ouvert des perspectives sur les rapports entre religion et mondanité au xviie siècle. Alors que nos catégories herméneutiques ont tendance à opposer ces deux sphères culturelles, l’examen de la littérature révèle ici une véritable perméabilité que de nouveaux travaux seraient peut-être tentés d’explorer plus en avant.
Arnaud Wydler
Université de Fribourg
1 Landry, Jean-Pierre, « Madame de Sévigné et les prédicateurs », Madame de Sévigné (1626-1696). Provence, spectacles, lanternes, R. Duchêne (dir.), Grignan, AACCDD, 1998, p. 319-334.
2 Madame de Sévigné, Correspondance, éd. Roger Duchêne, 3 vol., Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972-1978. Pour le présent extrait, voir la lettre à Mme de Grignan, 1er avril 1671, II, p. 207.
3 À Mme de Grignan, 5 février 1674, III, p. 692.
4 À Mme de Grignan, 29 mars 1680, II, p. 887.
5 Voir « Index », éd. Duchêne, III, p. 1840.
6 À Bussy-Rabutin, 10 mars 1687, III, p. 283-284.
7 La première édition des Oraisons funèbres de Bossuet est publiée en 1689.
8 Voir « Notes », éd. Duchêne, III, p. 1287.
9 À Mme de Grignan, 13 mars 1671, I, p. 183.
10 À Mme de Grignan, 27 mars 1671, I, p. 202.
11 À Mme de Grignan, 11 mars 1671, I, p. 180.
12 C’est toujours avec le même émerveillement que Mme de Sévigné parle des beaux sermons qu’elle entend, en tête desquels figurent ceux de Bourdaloue. Voir notamment les passages suivants de l’édition Duchêne, I, p. 173, 180, 183, 185, 200 et 207.
13 À Mme de Grignan, 11 janvier 1690, III, p. 807-808.
14 À Bussy-Rabutin, 10 mars 1687, III, p. 284.
15 De Bussy-Rabutin, 31 mars 1687, III, p. 285.
16 Voir également sur ce point Cinthia Meli, « La marquise et le prédicateur », dans Le Livre et la Chaire. Les pratiques d’écriture et de publication de Bossuet, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 270-279.
17 Le parallèle en question reste perceptible dans la version imprimée de l’Oraison : « Vit-on jamais en deux hommes les mêmes vertus avec des caractères si divers, pour ne pas dire si contraires ? L’un Turenne paraît agir par des réflexions profondes, et l’autre Condé par de soudaines illuminations ; celui-ci par conséquent plus vif, mais sans que son feu eût rien de précipité ; celui-là, d’un air plus froid sans jamais rien avoir de lent, plus hardi à faire qu’à parler, résolu et déterminé au-dedans lors même qu’il paraissait embarrassé au dehors. » Voir Bossuet, Oraison funèbre du Prince de Condé, Oraisons funèbres, éd. J. Truchet, Paris, Garnier, 1961, p. 392.
18 De Bussy-Rabutin, 31 mai 1687, III, p. 296.
19 De Bussy-Rabutin, 4 juin 1687, III, p. 298.
20 À Bussy-Rabutin, 25 avril 1687, III, p. 293.
21 Bossuet, Oraison funèbre du Prince de Condé, op. cit., p. 393.
22 Signe de son succès, l’oraison de Bourdaloue est publiée dans le Parallèle des Anciens et des Modernes en ce qui regarde l’éloquence de Perrault.
23 On peut constater avec J. Truchet que la version de Bossuet est « relativement pauvre en enseignements religieux » et qu’elle s’attache surtout à rappeler la gloire et les campagnes militaires de Condé. Voir la « Notice » de J. Truchet, dans Bossuet, Oraisons funèbres, éd. citée, p. 362. À l’inverse, l’oraison de Bourdaloue s’arrête longuement sur les vertus spirituelles du défunt et se soucie davantage de l’instruction morale du public.
24 À Mme de Grignan, 5 février 1674, I, p. 692. D’autres commentaires élogieux sur la prédication de Bourdaloue se rencontrent dans la Correspondance. Voir par exemple la lettre à Guitaut, 5 mars 1683, III, p. 103 ou le courrier à Moulceau, 3 avril 1686, III, p. 247-248.
25 À Mme de Grignan, 28 mars 1689, III, p. 562.
26 À Bussy-Rabutin, 25 avril 1687, III, p. 292-293.
27 Louis Bourdaloue, Oraison funèbre de Condé, dans Œuvres, vol. III, Paris, Firmin Didot, 1840, p. 68. « Ce cœur de héros qui, après s’être rassasié de la gloire du monde, s’est, par une humble pénitence, soumis à l’empire de Dieu, je veux l’exposer à vos yeux ; je veux vous en faire connaître la solidité, la droiture et la piété. »
28 Mme de Sévigné a certainement lu les textes phares de la critique oratoire de son époque que sont « Des moyens de profiter des mauvais sermons », huitième traité des Essais de Morale de Nicole, et le chapitre « De la chaire » des Caractères, qui lui permettent de distinguer les chefs d’œuvre de la prédication des mauvais sermons, que La Bruyère réduit à de simples « spectacles » d’éloquence.
29 La « belle mort » est la mort du chrétien vertueux qui a fait preuve, entre autres, de détachement, de repentance et de soumission à Dieu. Ces exigences, fixées par la Contre-Réforme, demeurent durant tout le xviie siècle au cœur de la pédagogie de la mort, telle qu’elle est enseignée aux fidèles à travers les traités de morale ou dans les sermons. Voir sur ce point le chapitre de Ph. Ariès, « Mors repentina », L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, p. 18-20.
30 « Une de mes grandes envies, c’est d’être dévote, j’en tourmente La Mousse tous les jours ; je ne suis ni à Dieu, ni au diable ; cet état m’ennuie, quoiqu’entre nous, je le trouve le plus naturel du monde. On n’est point au diable, parce qu’on craint Dieu et qu’au fond on a aussi un principe de religion ; on n’est point à Dieu aussi, parce que sa loi est dure et qu’on n’aime point à se détruire soi-même. Cela compose les tièdes, dont le grand nombre ne m’inquiète point du tout ; j’entre dans leurs raisons. Cependant Dieu les hait ; il faut donc en sortir, et voilà la difficulté. » (À Mme de Grignan, 10 juin 1671, I, p. 271).
31 Voir ce passage célèbre dans lequel Mme de Sévigné confie à Mme de Grignan la peur que lui cause l’idée de devoir mourir un jour : « Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse ; je suis embarquée dans la vie sans mon consentement. Il faut que j’en sorte ; cela m’assomme. Et comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte ? Quand sera-ce ? En quelle disposition ? Souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? Aurai-je un transport au cerveau ? Mourrai-je d’un accident ? […] » (À Madame de Grignan, 16 mars 1672, I, p. 459).
32 À Moulceau, 6 janvier 1687, III, p. 269-270.
33 Cet aspect de la vie de Mme de Sévigné fait l’objet d’intéressants commentaires dans la monographie de R. Duchêne, Madame de Sévigné, Paris, Desclée de Brouwer, 1968.
34 Voir notamment Pierre Zobermann, « Épistolarité et intertextualité : Mme de Sévigné et l’écriture de la lettre », Dix-septième siècle, 216, 1998, p. 511-525.
35 Mme de Sévigné en fait un récit trépidant dans sa lettre du 26 avril 1671, I, p. 235-236.
36 À Mme de Grignan, 17 juillet 1676, II, p. 342-343.
37 À Bussy-Rabutin, 17 juin 1687, III, p. 299-300.
38 À Bussy-Rabutin, 2 septembre 1687, III, p. 312.
39 À Mme de Grignan, 15 novembre 1688, III, p. 397.
40 À Mme de Guitaut, 19 décembre 1688, III, p. 436.
41 On trouve dans la Correspondance des scènes plus réalistes où la dernière agonie se déroule dans la douleur et le « bruit » de chambres pleines de monde. Voir cet extrait d’une lettre à Mme de Grignan, 3 février 1672, I, p. 429 : « Cette nuit, Mme la princesse de Conti est tombée en apoplexie. Elle n’est pas encore morte, mais elle n’a aucune connaissance ; elle est sans pouls et sans parole. On la martyrise pour la faire revenir. Il y a cent personnes dans sa chambre, trois cents dans sa maison ; on pleure, on crie. Voilà tout ce que j’en sais jusqu’à l’heure qu’il est. »
42 À Mme de Grignan, 15 novembre 1688, III, p. 397.
43 À Mme de Guitaut, 19 décembre 1688, III, p. 436.