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Classiques Garnier

Bible et liturgie dans la Correspondance de Mme de Sévigné

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Bossuet Littérature, culture, religion
    2018, n° 9
    . varia
  • Auteur : Garroté (Nicolas)
  • Résumé : Plus encore qu’avec les textes littéraires, Mme de Sévigné entretient avec les textes bibliques et liturgiques dont elle se nourrit un lien privilégié. Un lien qui l’amène à en faire la matière de son idiolecte. Cette proximité avec ces textes autorise certains détournements, tantôt irrévérencieux, tantôt amoureux. Toutefois, dans la deuxième partie de la Correspondance, les références bibliques et liturgiques retrouvent leur sens originel et offrent même des modèles d’écriture.
  • Pages : 145 à 160
  • Revue : Revue Bossuet
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406087854
  • ISBN : 978-2-406-08785-4
  • ISSN : 2494-5102
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08785-4.p.0145
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/12/2018
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Bible et liturgie
dans la Correspondance
de Madame de Sévigné

Hanc igitur, dit Abélard au seuil de sa Correspondance, reprenant les mots du canon de la messe pour évoquer lapparition dHéloïse1. Cest ce que lon pourrait aussi inscrire au frontispice des Lettres de Mme de Sévigné. Plus encore quavec les textes littéraires quelle lit, relit et mémorise, lépistolière cultive avec les textes bibliques et liturgiques quelle entend, récite et peut-être médite tout au long de lannée (liturgique), un lien privilégié. Mais, précisément, parce quelle est quotidienne et intime, cette proximité avec ces textes religieux ninterdit pas certains jeux où référence ne rime pas toujours avec révérence. Avant danalyser ces jeux, on étudiera la façon dont Mme de Sévigné sapproprie ces textes ; puis on verra comment elle met les références bibliques et liturgiques au service de lexpression de lamour ; et enfin, comment, au crépuscule de sa vie et dans la deuxième partie de la Correspondance, elle leur rend leur vrai sens.

« Cela sest familiarisé2 » :
une appropriation

Bible et liturgie ne forment pas seulement la matière dheureuses applications dans les Lettres, elles contribuent à la formation de lidiolecte de Mme de Sévigné, de sa langue intime, son « lexique 146familial3 ». Mme de Sévigné utilise de nombreuses expressions tirées des Écritures déjà présentes dans la langue – par exemple : « à la vallée de Josaphat » (le lieu du Jugement dernier), « des marguerites devant les pourceaux4 » (notre confiture aux cochons), le « tu autem5 », « la loi 147et les prophètes », etc. – mais elle emploie encore plus volontiers des expressions quelle forge elle-même, à partir de la Bible ou des offices. Ainsi, dans les Lettres, la dernière nouvelle devient « lévangile du jour » ; les anciennes (et mauvaises) habitudes sont rebaptisées « le vieil homme » ; une indésirable (Mme Verdurin dirait « une ennuyeuse ») devient une « trompette du jugement » ; les plaintes sont les « lamentations de Jérémie ». Le non sum dignus de saint Jean-Baptiste et du « centenier6 » devient aussi une expression : ainsi, à sa fille, Mme de Sévigné écrit : « les lieutenants de Roi ne sont pas dignes de porter votre robe » (I, 322)7 ; et à propos de la Champmeslé : « je ne suis pas digne dallumer les chandelles quand elle paraît » (I, 417). La formule de communi martyrum, empruntée au missel, est employée comme synonyme dordinaire : « cest une Mlle de Mauron, qui est de communi martyrum dans le nombre des partis » (II, 806)8. Répétées de lettre en lettre, ces applications deviennent de véritables expressions : elles entrent dans le « lexique dauteur9 » qui forme la trame des Lettres.

Du reste, sans quelles deviennent forcément des expressions, on trouve des applications singulières dans les Lettres, des trouvailles, forgées au gré des circonstances par une épistolière toujours prête à employer un mot pour 148un autre. Ainsi, pour exprimer la façon dont Louis XIV prétend « honorer » ses sujets par les charges de son domestique, Mme de Sévigné ne parle pas de la maison du Roi mais de « la maison du seigneur » (II, 791). De même, en 1680, le mariage du prince de Conti na pas lieu en plein jour mais « à la face du soleil », dans la chapelle de Saint-Germain (II, 798)10. En 1685, on attend la réponse aux lettres « avec beaucoup de crainte et de tremblement » (III, 232). En 1687, Mme de Sévigné dit quelle parle de son ami Moulceau « à temps, à contretemps » (III, 331), comme saint Paul (Timothée, II, 4, 2). Lorsque sa petite-fille Pauline emprunte un mot au duc de Vendôme, Mme de Sévigné dit quelle « se saisit ainsi de toutes les miettes qui tombent » (III, 851), exactement comme le pauvre de lÉvangile se saisit « des miettes qui tombaient de la table du riche » (Luc, 16, 21). En 1680, elle compare avec les mots mêmes du Christ (Jean, 8, 58) la nouvelle dame dhonneur de la Dauphine, Mme de Richelieu, à la fille de la marquise de Rambouillet, qui avait épousé Montausier : « avant que Mme de Montausier fût au Louvre, lhôtel de Rambouillet était le Louvre » (II, 794). La même année, un paragraphe sur Montgobert, la dame de compagnie de Mme de Grignan, qui envoyait régulièrement des nouvelles de sa fille à Mme de Sévigné, nous fait assister en quelque sorte à la genèse dune application :

Voilà ce qui sappelle de lamitié ; je men vais len remercier. Voilà ce qui sappelle avoir des yeux, et vous regarder. Je me moque de tout le reste ; ils ont des yeux et ne voient point, et nous avons les mêmes yeux, elle et moi. Aussi je nécoute quelle. (29 décembre 1679, II, 777)

On voit la préparation de lapplication (voilà ce qui sappelle avoir des yeux), son apparition (la citation biblique et sa suite sous-entendue : ils ont des yeux et ne voient point, des oreilles et nentendent point) et son développement, à partir de la suite sous-entendue (aussi je nécoute quelle). On voit ainsi toute la richesse du texte, et à quel point lépistolière mise sur une connivence avec un lecteur – une lectrice – capable de déchiffrer une prose profondément ouvrée. Les applications de ce type sont dans les Lettres comme la postérité dAbraham, cest-à-dire comme les étoiles dans le ciel ou les grains de sable dans la mer, indénombrables.

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La langue de lÉglise ne fournit pas moins de matière à lépistolière. Ainsi, pour annoncer le décès de labbé de La Victoire – lévangile du jour du 9 décembre 1676 – elle reprend les mots du Credo : « Labbé de La Victoire mortuus et sepultus est » (II, 454). En 1690, lorsque la Bretagne se voit attribuer un intendant de façon permanente, elle commente : « voilà qui est in sæcula sæculorum, et sur le pied des autres provinces, au grand mépris du contrat et des prérogatives de la duchesse Anne. » (2 avril 1690, III, 856).

Lappropriation est telle que Mme de Sévigné couple parfois des allusions bibliques entre elles, ou avec ses propres créations. Ainsi, en 1679, après avoir évoqué les charges et les dignités dispensées à loccasion des mariages du Dauphin et de la fille de Monsieur, elle écrit : « Quand on ne peut aller par le maître, il faudrait que quelque ministre vous prît à tâche, et cest la loi et les prophètes, mais le nombre est petit de ceux qui leurs sont agréables » (II, 658), où lon retrouve tissées dans le texte à la fois lexpression biblique la loi et les prophètes et lallusion au petit nombre des élus dont parle le Christ (Matthieu, 22, 14)11. Mieux, en avril 1694, au moment où lon raisonne sur le mariage de son petit-fils, futur chef de la maison (ruinée) de Grignan, Mme de Sévigné dit :

à moins que, par un miracle, il ne se fît un prodige qui changeât les pierres en pain, comme par exemple la vente dune terre, je ne crois pas quil y ait à balancer entre ce qui soutient votre fils et votre maison ou ce qui achèvera de vous accabler. (21 avril 1694, III, 1037-1038)

Après un jeûne de quarante jours dans le désert, le Christ est tenté par le diable, qui lui suggère de changer les pierres en pain (Luc, 4, 3). Dans la lettre précédente, Mme de Sévigné disait quil allait falloir « choisir entre lor et les pierres » (III, 1034) pour marier son petit-fils. Changer les pierres en pain cest donc faire un prodige comme celui que Satan propose à Jésus de faire, cest changer les terres (les pierres) en argent (or ou pain). Mme de Sévigné reprend à la fois les mots de la Bible et sa propre métaphore pour forger cette expression unique. Lallusion est coulée dans le texte, suffisamment distinctement pour être reconnue et appréciée comme telle, suffisamment indistinctement pour nêtre pas perçue comme un élément étranger mais, tout naturellement, comme 150un mot du lexique personnel de lépistolière, de sa langue propre, de son idiolecte.

Richesse textuelle de ces applications, mais aussi sémantique : elles permettent souvent à Mme de Sévigné de commenter ce quelle énonce. Les citations fonctionnent alors comme des inscriptions, des légendes au pied dune vignette quelles expliquent. Ainsi cette référence au livre de Job (1, 21), lorsquon apprend que les Grignan ne percevront plus les revenus du Comtat dAvignon12 : « Je pleure le pape ; je pleure le Comtat dAvignon : Dieu la donné, Dieu la ôté » (4 septembre 1689, III, 683). Souvent, la citation intervient pour commenter une perte ou un décès. Elle constitue alors une sorte dépitaphe, de micro-oraison funèbre :

Qui nous eût dit : « Dans un an il [Lauzun] sera prisonnier », leussions-nous cru ? Vanité des vanités ! et tout est vanité. (2 décembre 1671, I, 385-386)13

Cette belle petite de Monchy a la petite vérole ; on pourrait encore dire : ô vanité ! (29 novembre 1679, II, 749)

La belle Fontanges est morte : sic transit gloria mundi. (30 juin 1681, III, 73)

On le voit, Bible et liturgie figurent parmi les fils les plus essentiels – les plus robustes mais aussi les plus élastiques – de la trame des Lettres. Pour reprendre un mot de Richard Simon, on peut dire que Mme de Sévigné fait « parler les évangélistes à la rabutine14 ». Reste à savoir si ce rabutinage est un libertinage.

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« Dieu me pardonne ! » :
les Écritures travesties

Mme de Sévigné aime les rapprochements irrévérencieux. Ainsi, en 1675, elle compare le pape à Trivelin, le valet de la comédie italienne : « Le bon pape a fait, ma très chère, sans comparaison, comme Trivelin ; il a fait et donné la réponse avant que davoir reçu la lettre. » (II, 5). Lannée suivante, elle parle de « notre saint-père le Turc » (II, 296). Comme la bien noté la critique, « tout sert à Mme de Sévigné pour égayer les lettres, même le vocabulaire de la religion15 ». Elle détourne ainsi volontiers les textes bibliques et liturgiques, en les appliquant à des réalités profanes. Par exemple, en 1680, elle compare la guérison dune maladie vénérienne que son fils a attrapée au contact de la duchesse de Villeroy au remède dÉlisée pour la lèpre de Naaman (Rois, IV, 5, 14) : « Il a abandonné huit ou dix jours de mauvais temps pour être ensuite comme sil avait été lavé sept fois dans le Jourdain. » (III, 35)16. Il faut comprendre que Charles de Sévigné restera huit ou dix jours aux Rochers, dans leur domaine breton, avant daller à Paris se faire soigner par un médecin compétent. Et encore, quelques jours plus tard :

il ne faut quun bon traitement, et ce sera ce Jourdain dont je vous parlais lautre jour, mais, en attendant, ma bonne, son état fait pitié. [] Nous avons tout déménagé en deux jours, et nous voici dévorés du désir darriver et de nous baigner dans le Jourdain, car cest proprement cela. (23 octobre 1680, III, 47)

Mme de Sévigné détourne aussi volontiers les textes des prières. Ainsi, pour conjurer les désirs de son gendre (les grossesses de sa fille mettaient toujours sa santé en péril), elle nhésite pas à reprendre les paroles du Pater, comme Voltaire17 : « M. de Grignan a bien du caquet ; 152il commence à gratter du pied, cela me fait grandpeur. Sil succombe à la tentation, ne croyez point quil vous aime » (6 janvier 1672, I, 411). Quelques jours plus tard, évoquant son attachement excessif à sa fille, elle récidive avec le Kyrie (ou les litanies) : « Monsieur Nicole, ayez pitié de moi » (I, 419).

Mais lirrévérence ne passe pas uniquement par le détournement. Le mélange du sacré et du profane y contribue aussi beaucoup. Ainsi, en 1679, parlant du mariage du prince de Guéméné avec son ancienne amante (primo amor del cor mio), et des économies entraînées par ce mariage secret, Mme de Sévigné affirme : « Nest-il pas vrai, ma fille, que tout tourne à bien pour ceux qui sont heureux ? LÉvangile le dit ; il le faut croire. » (II, 758). Elle couple ainsi un passage de saint Paul (Romains, 8, 28), sans doute connu à travers les Pensées de Pascal18, avec la citation dune fable où La Fontaine disait, après avoir affirmé que le dauphin est lami de lhomme : « Pline le dit, il le faut croire19 ». La seconde citation ne dément pas précisément la première, mais elle invite à en rire, à en sourire, exactement comme La Fontaine repoussait ironiquement lautorité de Pline. Ce nest pas tant le mélange des genres (sacré et profane) qui est irrévérencieux, que la charge dironie attachée à la citation de La Fontaine, qui contraint, en quelque sorte, à rire de la Bible. Mais cest une ironie qui en cache une autre : elle nest pas à prendre au sérieux. On rit de là-propos de la citation, de laudace du rapprochement, plus que du texte et de lautorité (déchue) de la Bible. On rit davoir dû rire – on sourit.

Mme de Sévigné fait preuve de plus de hardiesse dans la parodie. En décembre 1678, à Bussy exilé, elle envoie une parodie du sermon sur la montagne ou sermon des Béatitudes (Matthieu, 5, 1-10) :

Ô gens heureux ! ô demi-dieux ! si vous êtes au-dessus de la rage de la bassette, si vous vous possédez vous-mêmes, si vous prenez le temps comme Dieu lenvoie, si vous regardez votre exil comme une pièce attachée à lordre de la Providence, si vous ne retournez point sur le passé pour vous repentir de ce qui se passa il y a trente ans, si vous êtes au-dessus de lambition et de 153lavarice ; enfin, Ô gens heureux ! ô demi-dieux ! si vous êtes toujours comme je vous ai vus et si vous passez paisiblement votre hiver à Autun avec la bonne compagnie que vous me marquez ! (28 décembre 1678, II, 639)

Non contente de remplacer les béatitudes par les épisodes triviaux de la vie de campagne de son cousin, Mme de Sévigné remplace encore lanaphore du Christ (Bienheureux les…, Bienheureux ceux qui…) par une formule tirée dun huitain anticlérical du xvie siècle :

Mes beaux pères religieux

Vous soupez pour un grand merci.

Ô gens heureux, ô demi-dieux

Plût à Dieu que je fusse ainsi !

Comme vous, vivrais sans souci ;

Car le vœu qui largent vous ôte,

Il est clair quil défend aussi

Que ne payiez jamais votre hôte20 !

Elle se livre ainsi à une réécriture doublement burlesque, par le fond et par la forme, par les octosyllabes et par la prose, travestissant les Écritures comme Scarron avait travesti Virgile. Mais là encore, il ne faudrait pas donner un sens trop fort, trop voltairien, à une telle parodie. Il est vrai que plusieurs lettres de Mme de Sévigné témoignent dun « esprit éclairé21 », mais elle nest pas un esprit fort. Le temps de la « crise de la conscience européenne » nest pas encore venu et la sincérité de sa foi est hors de doute22. Il faut plutôt replacer un tel travestissement dans le sillon de la plus pure tradition comique, celle de Rabelais. Dailleurs, en parodiant le sermon des Béatitudes, Mme de Sévigné se souvient 154peut-être du Beati lourdes de Pantagruel23. En tout cas, comme dans Gargantua, tout cela nest « que par ris24 ». Le vrai détournement, dans la Correspondance, consiste plutôt à mettre les références sacrées au service dun amour profane, celui de sa fille.

« Je faisais de vous une idole dans mon cœur » :
un culte profane

Les textes sacrés sont en effet souvent détournés dans les Lettres pour célébrer Mme de Grignan, « le fond et le centre », celle auprès de qui « tout passe, tout glisse, tout est par-dessus et ne fait que de légères traces » (II, 976). En 1675, Mme de Sévigné se voit même refuser labsolution par son confesseur janséniste à cause de son attachement excessif à sa fille : aversio a Deo, conversio ad Eam songeait sans doute le bon père. Dès 1671, Arnauld dAndilly lui reprochait – citant Ézéchiel (14, 3-5) – de faire de sa fille « une idole dans [s]on cœur » (I, 238). Ce sera encore le jugement de Saint-Simon25 et, de nos jours, de certains lecteurs26. Il est vrai que Mme de Sévigné semble sourde à la parole du Christ qui veut que « celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi nest pas digne de moi » (Matthieu, 10, 37). Elle en est dailleurs tout à fait consciente. Ainsi, en 1676 :

Vous me demandez si je suis dévote, ma bonne ; hélas ! non, dont je suis très fâchée, mais il me semble que je me détache un peu de ce qui sappelle le monde. [] Mais, ma chère bonne, ce que jépargne sur le public, il me semble que je vous le redonne ; ainsi je navance guère dans le pays du détachement (8 juin 1676, II, 313-314)

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Dans la Correspondance, en effet, Mme de Grignan est « révérée » (I, 726), « célébrée » (II, 467), « honorée » (III, 362) et, après quelques réticences (I, 419), « adorée » (III, 159 ; III, 370). Mme de Sévigné va même jusquà bâtir ce quon pourrait appeler une ecclésiologie amoureuse. À plusieurs reprises, en effet, elle applique à sa fille un passage de lÉvangile où le Christ définit le rapport de lecclesia à Dieu (« en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je my trouve au milieu delles » Matthieu, 18, 20) :

comme vous disiez, ma chère bonne, nous sommes tellement assemblés en votre nom, que nous ne pouvons plus souffrir de ne plus voir entrer cette chère bonne, que nous aimons si passionnément. Je parle en communauté, car votre enfant sent fort bien votre absence (22 décembre 1688, III, 440)

Ce mest une véritable consolation de parler avec lui [le frère de M. de Grignan] de vous et de toutes vos affaires ; cela fait une grande liaison. On se rassemble pour parler de ce qui tient uniquement au cœur (11 avril 1689, III, 573)

En 1691, à propos de Mme de Vins, belle-sœur de Pomponne et amie de sa fille, elle dit : « Je nécris plus à Mme de Vins, que jaime et que jestime au dernier point ; nous nous aimons dans le silence en Mme de Grignan » (19 janvier 1691, III, 957). Exactement comme Bossuet disait que « la consommation du divin amour, cest daimer en Jésus-Christ27 », ou comme saint Paul saluait et exhortait les premiers chrétiens in Christo28.

Plus étonnamment encore, Mme de Sévigné va jusquà détourner les paroles de la messe pour célébrer Mme de Grignan :

Adieu, ma très chère et très aimable. Je ne puis jamais rien aimer tant que je vous aime, ni rien à légal ni rien après ; nai-je pas vu une oraison qui ressemble à ce que je dis ? Jen demande pardon à Dieu, mais il veut que ce soit une vérité et jignore pourquoi. (5 janvier 1680, II, 788-789)

Il sagit en effet de loraison du cinquième dimanche après la Pentecôte, que Mme de Sévigné a pu lire en français dans les Heures de Port-Royal, sous le titre « Pour aimer Dieu en toutes choses, et plus que toutes choses » :

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Ô Dieu, qui avez préparé les biens célestes et invisibles, pour ceux qui vous aiment, répandez dans nos cœurs le mouvement et limpression de votre amour : afin que vous aimant en toutes choses, et plus que toutes choses, nous puissions jouir un jour de cette félicité que vous nous avez promise, qui supasse tous nos souhaits et tous nos désirs29.

Non seulement des oraisons, mais aussi le canon de la messe. Se souvenant de la formule per ipsum et cum ipso et in ipso, quelle a également pu lire en français dans des ouvrages pieux, comme lIntroduction à la vie dévote de son « grand-père » saint François de Sales30, Mme de Sévigné dit à sa fille :

Enfin tout tourne ou sur vous, ou de vous, ou pour vous, ou par vous (23 mars 1671, I, 199) ;

Nous sommes toujours dans une grande amitié, le Chevalier et moi. Ne soyez point jalouse, ma chère enfant ; nous nous aimons en vous, et pour vous, et par vous (22 octobre 1688, III, 375) ;

Sollery vous a représenté notre société, qui ne subsiste quen vous et pour vous, car vous êtes notre véritable lien (27 décembre 1688, III, 446).

Étonnants détournements, auxquels lépistolière se livre, comme dit R. Duchêne, « sans sourciller31 ». Ce ne sont pas seulement les mots de la Bible, cest un certain rapport au Dieu caché, un mode de présence (ecclésial) et une voix dadoration (sacramentelle) que Mme de Sévigné détourne au profit de lexpression de lamour. La parole divine donne alors véritablement lieu – dans le texte – à un culte profane. Mais Mme de Sévigné, qui sent bien cette concurrence dans son cœur entre Dieu et sa fille, et qui la regrette (« je voudrais bien que mon cœur fût pour Dieu comme il est pour vous »), ne sen tient pas là. Le temps et les lectures aidant, sans jamais que son amour pour sa fille en pâtisse32, elle parviendra à rendre aux Écritures leur vrai sens.

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« Voilà mon oraison » :
un chant sacré

La foi de Mme de Sévigné connaît en effet un tournant autour de 1680. Certes, elle nest pas illuminée comme Pascal, ni touchée par la grâce, comme Conti ou dautres, qui se convertissent subitement33. Mais à la faveur de ses « bonnes lectures » (saint Augustin, les écrivains de Port-Royal, la Bible et les Heures), des « réflexions morales et chrétiennes », voire des « abîme[s] de méditation » que lui inspirent la solitude, « la vieillesse et un peu de maladie » (celle de sa fille autant que la sienne), ainsi que la série de deuils qui la frappe (labbé Bayard, le cardinal de Retz, La Rochefoucauld, Fouquet), sa vie chrétienne connaît un infléchissement décisif. Elle commence alors à émailler ses lettres de citations bibliques, souvent tirées de ses lectures pieuses. « Cest saint Augustin qui ma dit tout cela » dit-elle en juin 1680, après avoir cité saint Jean et saint Paul (II, 963-964). De même, quelques jours plus tard, elle cite des phrases de lApôtre quelle a lues dans les Conversations chrétiennes de Malebranche (II, 973) et dans La Prédestination des saints, un livre de saint Augustin « plein des passages de la sainte Écriture, de saint Paul, des oraisons de lÉglise » (II, 983) quelle relit en Bretagne. Loin des allusions et des applications badines – qui ne disparaissent pas pour autant – les citations sont désormais signalées comme telles, et convoquées uniquement pour elles-mêmes. Pour être « appliquées » à la vie, non au texte – en esprit et en vérité, non à la lettre. Ainsi, le 14 juillet 1680 :

Jésus-Christ le dit lui-même : Je connais mes brebis ; je les mènerais paître moi-même ; je nen perdrai aucune. Je les connais, elles me connaissent [Jean, 10, 14]. Je vous ai choisis, dit-il à ses apôtres, ce nest pas vous qui mavez choisi [Jean, 15, 16]. Je trouve mille passages sur ce ton ; je les entends tous. Et quand je vois le contraire, je dis : cest quils ont voulu parler communément. (II, 1010-101134)

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À partir de 1680, cest aussi la prière qui fait aussi son entrée dans les lettres : « Fiat voluntas tua, sicut in coelo et in terra : devrait-on dire autre chose à Dieu, ma chère fille ? » (9 juin 1680, II, 967). Il arrive aussi que Mme de Sévigné rappelle à sa fille des textes quelles ont entendu à léglise, chacune de leur côté :

Quelle facilité ! Quelle éloquence ! Avec quel respect les mots viennent soffrir à vous ! Et larrangement que vous en faites ! Vous êtes ingrate et insensible à ce que vous avez reçu de Dieu, car lépître de dimanche vous assure que vous navez rien de vous-même ; ainsi on peut examiner ses bienfaits pour en avoir de la reconnaissance. Si on sentendait bien, la vanité serait bannie du commerce des honnêtes gens ; on laisserait ce sot vice aux ignorants, qui se font honneur de ce qui ne leur appartient pas. (24 mai 1694, III, 881)

Lécriture épistolaire voisine alors, le temps de quelques paragraphes, avec la prédication : elle cite et explique la parole divine ; elle éclaire et exhorte son destinataire.

Conduite à « envisager les ordres de la Providence » avec plus de soumission35, Mme de Sévigné engage sa fille, mais aussi son cousin Bussy et ses autres correspondants, à sy soumettre également. Alors quelle disait encore, en 1677, « nous devons nous soumettre à sa volonté ; cela est amer, mais nous ne sommes pas les plus forts » (II, 497), elle parle, à partir de 1680, de sa chère Providence et « ne trouve rien au monde de si aisé à comprendre » (II, 938). Cest ce qui lengage à changer, comme elle dit, « [son] langage aussi bien que [ses] idées » (II, 897). Ainsi, tandis quen 1676, elle disait à propos des campagnes de Louis XIV « létoile du Roi sur tout » (II, 269), on voit apparaître36, après le long intervalle de 1680-1688 (pendant lequel Mme de Grignan résida à Paris), la formule « Dieu sur tout ! » (avec sa variante « Dieu et sa Providence sur tout ! »), que Mme de Sévigné répète de lettre en lettre, comme une prière ou une bénédiction. Mais surtout, lorsque son petit-fils Louis-Provence entre dans larmée (à seize ans, comme Saint-Simon, avec qui il fut élevé) et participe aux combats de la guerre de la Ligue dAugsbourg, une autre formule apparaît, que les épistolières séchangent de lettre en lettre :

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Mais Dieu le conserve ! De ce ton que je connais, qui sort de votre cœur et qui pénètre le mien (6 avril 1689, III, 571)

Dieu le conserve ! vous ne doutez pas du ton, ma chère enfant. (5 mai 1689, III, 592)

Dieu le conserve ! Il faut toujours en revenir là. (5 juin 1689, III, 609)

Enfin, Dieu le conserve ! Voilà ma chanson ordinaire. (10 juillet 1689, III, 637)

La formule est parfois appliquée à dautres personnes, mais elle revient toujours à propos du « petit colonel ». Répétée, remaniée, déclinée, elle devient un véritable rituel, une « ritournelle37 » sacrée, qui innerve les lettres à la manière des citations latines dans les sermons de Bossuet38. Elle forme la matière dun dialogue entre mère et fille qui confine à la litanie ou à la psalmodie, lune la citant toujours à la suite de lautre, comme les voix des chantres se répondent sous les voûtes dun chœur. Mme de Sévigné et sa fille en viennent ainsi à forger une sorte de liturgie infime et intime, un rituel de poche, un bréviaire (au sens étymologique du mot, un abrégé), par lequel leurs deux voix, unies en un chant plain, conjurent leur crainte de voir le sang de cet enfant versé pour la gloire du Grand Roi.

Signe de lévolution spirituelle (et poétique) de lépistolière, ces mots quelle envoie à sa fille en 1690, à soixante-quatre ans, où se mêlent le souvenir du badinage impie (au passé), laiguillon de la crainte de Dieu (au présent) et la résignation teintée de nostalgie quinspire leur collision (au futur) :

Nous lisons ici des livres qui font trembler, ce que je dis bien sincèrement : Domine, non sum dignus, et dans cette vérité où je suis abîmée, je fais comme les autres. Vous souvient-il, ma bonne, quand vous me dîtes en cet endroit de la messe dun certain prêtre : « Ah ! quil dit vrai ! » Jamais rien ne sera si plaisant (2 juillet 1690, III, 902)

Matière dun badinage irrévérencieux, support dun culte profane, les textes bibliques et liturgiques, qui appartiennent pleinement au dictionnaire tout à part soi de Mme de Sévigné, retrouvent finalement, dans la 160dernière partie de sa Correspondance et de sa vie, leur vrai rôle. Celui de médiateur, sans lequel il nest point de commerce avec le Dieu catholique. Par un effet inverse, ce sont même, dans les années 1689-1690, les mots des deux femmes qui prennent le ton et la forme dune prière. Ainsi, à la faveur du temps, de ses lectures et de ses réflexions, de ses transports et de ses deuils, Mme de Sévigné a su replacer dans lordre (de la Providence) les grandes matières de sa vie : « Dieu, moi, vous, vos lettres et mon livre » (III, 635).

Nicolas Garroté

1 Abélard et Héloïse, Correspondance, éd. R. Oberson, Paris, Hermann, 2008, p. 40.

2 Toutes les citations de Mme de Sévigné sont tirées de lédition de Roger Duchêne (Correspondance, Paris, Gallimard, 1972-1978), dont nous indiquons le tome en chiffre romain et la page en chiffre arabe. Celle-ci provient de la lettre du 4 novembre 1676 (II, 439), à Mme de Grignan, fille de lépistolière.

3 On ne trouve pas dans la Correspondance dindications précises sur les lectures bibliques de Mme de Sévigné, ni sur ses éventuelles méditations de la parole divine. Ph. Sellier pense quelle ne la lisait guère (Port-Royal et la littérature II, Paris, Champion, 2012, p. 402). Elle en connaît pourtant de nombreux épisodes, y compris de lAncien Testament, et dinnombrables passages, par cœur. Tout porte à croire quelle disposait des traductions de la Bible de Port-Royal : elle se procurait toutes leurs traductions de saint Augustin et évoque en 1680 cette Écriture « traduite par les plus honnêtes gens du monde » (II, 931). On pourrait douter, à la lumière des travaux de L. Timmermans notamment, quelle en fasse grand usage. Ne serait-ce pas oublier lénergie avec laquelle « ces Messieurs » de Port-Royal quelle admire tant se sont battus pour promouvoir la lecture de la Bible en vernaculaire dans les milieux laïcs ? Il est vrai que cétait une entreprise nouvelle, et que Mme de Sévigné a grandi dans un monde où les laïcs, et en particulier les femmes, navaient accès à la Bible quà travers des médiations – les offices et la prédication, mais aussi, pour elle, les Heures de Port-Royal (1650), le Missel de Voisin (1660) et toutes ses lectures pieuses (saint Augustin, Abbadie, Nicole, Le Tourneux, etc.), avec leur lot de citations bibliques. Dailleurs, ne dirait-on pas que cest à elle que pense B. Chédozeau lorsquil dessine le portrait du destinataire idéal des Heures de Port-Royal : « Ce fidèle laïc sait lire, point évidemment fondamental ; il sait se retrouver dans lorganisation complexe de louvrage, dans les rubriques et renvois quil suppose ; il est cultivé (il lui est présenté le texte latin des psaumes et la traduction sur lhébreu) ; il est pieux et cherche des réflexions méditatives, morales et de dévotion, plus que des explications historiques, philologiques – ou mystique. [] Ce fidèle a des exigences de qualité : il aime la langue française » (Port-Royal et la Bible, Paris, Nolin, 2007, p. 125). En tout état de cause, on ne peut affirmer, comme le fait E. Avigdor, que les connaissances bibliques de Mme de Sévigné « proviennent surtout de la lecture de la Bible dite de Royaumont ou Histoire du Vieux et du Nouveau Testament » de Nicolas Fontaine (Mme de Sévigné : un portrait intellectuel et moral, Paris, Nizet, 1974, p. 129), une série de gravures assorties de textes explicatifs illustrant lhistoire sainte, dédiée au Dauphin (et non au Roi, comme les Heures), que le prince de Conti lisait à ses enfants, et que Mme de Sévigné découvre en 1676, à cinquante ans…

4 Doù le fait que Mme de Sévigné dise marguerites alors que Sacy traduisait déjà margaritas par perles (Matthieu, 7, 6) : elle tire la formule de la langue, non de la Bible, exactement comme son cousin Coulanges et comme, en plein xviiie siècle, Saint-Simon. Toutes les références bibliques renvoient à la traduction de Port-Royal, aussi dite de Sacy (1667-1693), celle dont disposait très certainement Mme de Sévigné, et dont Ph. Sellier a procuré lédition moderne (Paris, Robert Laffont, 1990).

5 Lexpression nentre dans le Dictionnaire de lAcadémie quen 1762 (« façon de parler familière empruntée du latin, et dont on se sert pour dire, le point essentiel, le nœud, la difficulté dune affaire »), mais elle était déjà répertoriée par Oudin dans les Curiosités françoises (1656) et on la trouve sous la plume de Rabelais, Brantôme, La Fontaine et Scarron. Elle est tirée dune formule qui servait de clausule dans le bréviaire : Tu autem Domine, miserere nobis. Leo Spitzer la analysée, montrant quon la retrouve dans plusieurs dialectes romans (gascon, provençal, piémontais) et quun tel emploi parodique de la langue sacrée était caractéristique de la culture populaire du temps, profondément religieuse (« Dieu possible – die Grammatikalisierung der nomina sacra », Stilstudien, Munich, Hueber, 1961, t. I, p. 126-145). Lexemple de Mme de Sévigné et de ses cousins Coulanges montre cependant que de tels détournements nétaient pas uniquement le fait de la langue populaire, ou du moins que cette langue nétait pas toujours dédaignée par la sanior pars du royaume.

6 Voir Jean, 1, 27 et Matthieu, 8, 8. La formule était aussi reprise dans le rituel de la messe. Le 18 septembre 1680, Mme de Sévigné cite à ce propos un bon mot de sa fille : « Nous approuvons fort votre préparation pour cette bénédiction de Flandre ; elle est bien meilleure que celle des bons prêtres à qui lon répond toujours, quand on leur entend dire : Domine non sum dignus, comme vous fîtes si à propos aux Filles bleues : “Ah ! quil a raison !” Je men souviens comme de la plus plaisante chose du monde. » (III, 18-19).

7 M. de Grignan était lieutenant général, et exerçait les fonctions de gouverneur en labsence du duc de Vendôme ; les lieutenants de Roi étaient les adjoints des gouverneurs et des lieutenants généraux.

8 Il sagit de Marguerite de Mauron, la future belle-fille de lépistolière. On retrouve lexpression en 1689 : « le maréchal parla fort bien, mieux quon ne pensait ; le Premier Président, de communi martyrum ; M. de Pommereuil fort vivement à sa mode, moins bien que Fieubert et de Harlay qui enlevaient par la beauté de leurs harangues. » (26 octobre 1689, III, 737).

9 Le mot est de Barthes, qui consacra un séminaire à ce thème en 1973-1974.

10 La formule permet à Mme de Sévigné dévoquer la présence bienveillante et intéressée du Roi, qui mariait sa bâtarde, la première Mlle de Blois, à un Bourbon. Dans la haute aristocratie, les mariages étaient souvent célébrés après la tombée du jour. Ce fut justement le cas pour Mme de Sévigné.

11 Ce sera dailleurs le titre dun sermon de Massillon, « Sur le petit nombre des élus » (1699).

12 À lélection dAlexandre VIII, pour aplanir les relations entre la France et le Vatican, Louis XIV fit restituer au pape le Comtat dAvignon que M. de Grignan occupait en son nom, et dont il percevait les revenus.

13 Ici, la citation de lEcclésiaste est sans doute mêlée à un souvenir de loraison funèbre dHenriette dAngleterre de Bossuet, dont cétait justement le texte (vanitas vanitatum, et omnia vanitas). Dautant que Mme de Grignan avait été attachée cette princesse, quelle connaissait bien, et la beaucoup regrettée. Ainsi, il faut peut-être lire la question qui précède la citation (leussions-nous cru ?) comme une réécriture resserrée de la question que posait Bossuet dans les premiers mots de loraison funèbre, juste avant de citer le même texte, également en français (« Leût-elle cru il y a dix mois ? Et vous, Messieurs, eussiez-vous pensé, pendant quelle versait tant de larmes en ce lieu, quelle dût si tôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ? », Oraison funèbre de Henriette dAngleterre, Œuvres oratoires, éd. Ch. Urbain et E. Levesque, Paris, Desclée de Brouwer, 1911-1926, t. V, p. 653).

14 Richard Simon, Difficultés proposées au R. P. Bouhours sur sa traduction française des quatre évangélistes, Amsterdam, Braakman, 1697, p. 23 (la formule se trouve dans la réponse de Simon à la réponse de Bouhours, qui donne lieu à une nouvelle pagination).

15 R. Duchêne, Naissances dun écrivain : Mme de Sévigné, Paris, Fayard, 1996, p. 230.

16 La référence donnée par R. Duchêne (III, 35, note 2) est erronée : le passage auquel Mme de Sévigné fait référence est tiré du livre des Rois, IV, 5, 14 (dans les versions modernes de la Bible : Rois, II, 5, 14).

17 Voir par exemple la lettre du 29 août 1762 au comte et à la comtesse dArgental : « Mes chers anges, je ne ferai point imprimer Cassandre ; que votre volonté soit faite dans la terre comme aux cieux » (Correspondance, éd. Th. Besterman, Paris, Gallimard, 1978-1993, t. VI, p. 1031).

18 Pascal, Pensées, éd. Sellier, fr. 472 : « Tout tourne en bien pour les élus ». Dans lédition de Port-Royal (Desprez, Paris, 1670), dont disposait Mme de Sévigné, le texte se trouve au chapitre xviii, p. 138. Le texte de lépistolière est beaucoup plus proche de celui de Pascal que de la traduction de Sacy. Cest loccasion de remarquer à nouveau combien ses connaissances bibliques passent (aussi) par des médiations.

19 Fables, IV, VII, « Le Singe et le Dauphin », v. 10.

20 Victor Brodeau, Poésies, « Huitain à deux cordeliers » (éd. H. M. Tomlinson, Genève, Droz, 1982, p. 121).

21 Par exemple, celle où elle doute de lenfer (20 septembre 1671, I, 348) ou celle où elle expose sa vision « peu en usage » de la vraie dévotion (24 mai 1690, III, 881).

22 Sur ce point, on pourra consulter les études désormais classiques qui, après les pages dHenri Busson (La Religion des classiques, Paris, PUF, 1948, p. 5-66), ont mis en lumière la nature et les enjeux de la foi de Mme de Sévigné : R. Duchêne, Mme de Sévigné, Bruges, Desclée De Brouwer, 1968 ; Bernard Chédozeau, « Religion et morale chez Mme de Sévigné », Marseille, no 95, 1973, p. 53-60 ; Eva Avigdor, Madame de Sévigné : un portrait intellectuel et moral, op. cit., p. 153-201 ; Mireille Gérard, « Mme de Sévigné et Port-Royal : le milieu familial (1619-1644) », Chroniques de Port-Royal, no 38, 1989, p. 9-31 ; Bernard Chédozeau, « Quelques notes sur la religion de Mme de Sévigné », Europe, no 801-802, 1996, p. 113-122 ; Ph. Sellier, Port-Royal et la littérature II, op. cit., p. 369-447.

23 Au chapitre xi, Baisecul se livre lui aussi à une parodie du sermon des Béatitudes, affirmant que « comme disent les canonistes : Beati lourdes, quoniam trebuchaverunt. » (éd. Defaux, Paris, LGF, 1994, p. 371).

24 Gargantua, XVI, op. cit., p. 89. M. Bakhtine et M. Screech ont parfaitement montré le sens quil faut donner aux formules bibliques, aux kyrielles de saints et de martyrs burlesques et autres facéties à consonnance liturgique dont lœuvre de Rabelais est pétrie. Une grande partie de leurs analyses peut aussi sappliquer au « rire scripturaire » de Mme de Sévigné.

25 Mémoires, éd. Coirault, Paris, Gallimard, 1983-1988, t. I, p. 282.

26 Par exemple J. Rohou, qui voit en Mme de Grignan « le Dieu caché de son anxieuse mère » (Histoire de la littérature française du xviie siècle, Rennes, PUR, 2000, p. 308).

27 « Sermon pour la fête de lAnnonciation », Œuvres oratoires, op. cit., t. IV, p. 294.

28 Philippiens, 4, 19 ; Thessaloniciens, I, 5, 18 ; etc. Cest loccasion de prendre la mesure du détournement que Mme de Sévigné fait subir à de telles formules. Malgré les irrévérences que nous avons relevées, elle naurait jamais écrit comme Voltaire à Mme dÉpinay : « je vous salue en Belzébuth » (c. 10 août 1760, op. cit., t. V, p. 1050) ; ou à dAlembert : « je vous embrasse en Confucius, en Lucrèce, en Cicéron, en Julien » (15 octobre 1759, t. V, p. 641).

29 LOffice de lÉglise, Paris, Le Petit, 1672, p. 274 (nous soulignons). Cest bien à loraison du cinquième dimanche après la Pentecôte que pense Mme de Sévigné, et non au graduel, comme le dit R. Duchêne dans les notes de son édition.

30 On y trouve en effet la formule suivante : « Il est la lumière du monde, cest donc en lui, par lui et pour lui que nous devons être éclairés et illuminés » Introduction à la vie dévote, II, I (Œuvres, éd. Ravier, Paris, Gallimard, 1969, p. 79). Cest pour plaisanter que Mme de Sévigné appelle François de Sales, lami en Dieu de sa grand-mère Jeanne de Chantal, son « grand-père » (III, 690). Elle connaît bien lIntroduction et la cite plusieurs fois dans les Lettres.

31 Madame de Sévigné et la lettre damour, Paris, Klincksieck, 1992, p. 269.

32 On se souvient quau contraire, pour entrer en religion, sa grand-mère sainte Jeanne de Chantal navait pas hésité à enjamber le corps de son fils, étendu à terre pour len empêcher.

33 Doù la difficulté à dater, voire même à apprécier, à travers les lettres, sa « conversion ». R. Duchêne, la situe à la fin de 1680 (Mme de Sévigné, op. cit., p. 84 et 101). Ph. Sellier, qui préfère parler dun « approfondissement », au printemps de la même année (Port-Royal et la littérature II, op. cit., p. 396-400).

34 Cela se poursuit jusquà la fin de la Correspondance. Voir par exemple les lettres du 4 mars 1689 (III, 533), du 15 février 1690 (III, 839), du 20 juillet 1694 (III, 1049).

35 Notamment à la lumière de ce traité de Nicole quelle lit et cite souvent, « De la soumission à la volonté de Dieu » (Essais de morale, I, II).

36 Ou plutôt réapparaître, car Mme de Sévigné la connaissait déjà, par Montreuil, qui la lui avait envoyée trente-huit ans plus tôt, dans une lettre du 19 janvier 1651 : « Mais Dieu sur tout : cest une sentence que je viens de trouver dans mon almanach » (I, 15).

37 Voir la lettre du 18 septembre 1689 : « Dieu le conserve ! je ne changerai point cette ritournelle » (III, 698).

38 Pour une étude de ces jeux et de leurs effets musicaux, on pourra consulter létude dAgnès Lachaume, Le Langage du désir chez Bossuet, Paris, Champion, 2017, p. 486-491.