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Classiques Garnier

À l’école des psaumes La pédagogie domestique chez les réformés de l’âge classique

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Bossuet Littérature, culture, religion
    2018, n° 9
    . varia
  • Auteur : Kirschleger (Inès)
  • Résumé : Depuis la Réforme les psaumes constituent l’un des enjeux symboliques de l’affirmation de l’identité huguenote et l’un des éléments-clefs de compréhension de leur « langue de Canaan » : les réformés les connaissent par cœur dès leur plus jeune âge, ils les citent et les récitent abondamment. L’article s’intéresse à la façon dont les psaumes étaient inculqués aux enfants au sein du foyer réformé, afin de mieux comprendre comment ils ont pu nourrir si intensément le langage spirituel des réformés.
  • Pages : 21 à 34
  • Revue : Revue Bossuet
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406087854
  • ISBN : 978-2-406-08785-4
  • ISSN : 2494-5102
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08785-4.p.0021
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/12/2018
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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À lÉcole des psaumes

La pédagogie domestique
chez les réformés français de lâge classique

Que le chant des psaumes soit lun des marqueurs de lidentité huguenote à partir de la Réforme et pendant tout lâge classique, cest un fait entendu : tous les historiens du protestantisme saccordent sur ce point1. Et de fait, lhistoire tourmentée des protestants aux xvie et xviie siècles témoigne en la matière dune opiniâtreté à nulle autre pareille : malgré les nombreuses interdictions du chant des psaumes qui avaient été faites aux huguenots2 « dans tous les lieux où ils pouvaient être entendus des catholiques (arrêts de 1659, 1661, 1666, 1669, 1681, 1684)3 », rien navait pu enrayer cet usage tonitruant et persistant des 22psaumes qui les caractérisait. En témoigne encore par exemple, vingt ans après la révocation de lédit de Nantes, cette anecdote de la région nîmoise rapportée par Antoine Court :

On ne pouvait pas voir les quatre coins de Calvisson sans grande quantité de monde avec ses Psaumes à la main. On voyait partout dans les rues prier Dieu, on entendait dans toutes les maisons chanter des psaumes, jour et nuit, on navait crainte de rien, tout le monde était fort content, croyant que cela durera toujours4.

Il y avait là « quelque chose dinsaisissable » qui sest perpétué dans le temps, comme « une contestation diffuse et périlleuse », note Roger Zuber : « Le clergé dabord, les autorités civiles ensuite [] se sentaient un peu cernés par ces chanteurs souvent allègres, que rendait libres lesprit de Dieu5 ». Cette pratique familière, quotidienne du chant des psaumes nétait pas seulement une habitude que les années avaient ancrée en tradition bien établie ; ce nétait pas seulement non plus un acte politique de revendication ou de provocation à lattention des autorités civiles et religieuses ; cétait avant tout un acte de foi et une affirmation spirituelle. Partout, en tous temps et de toutes manières, sur le chemin de léchafaud, par les routes de lexil ou dans les basses fosses de la détention, les huguenots savaient à bon escient chanter les psaumes, non sans une certaine mise en scène parfois. Chanter les psaumes publiquement était ainsi devenu le signe le plus éclatant du ralliement à la foi réformée. Cétait dune part un moyen de se sentir pleinement membre dune communauté spirituelle menacée mais résistante et combattive ; cétait aussi un gage de victoire spirituelle adressé à loppresseur, et une façon toute symbolique dafficher une liberté de conscience pleine et inaliénable au moment même où lon semployait à la leur refuser.

Mais lempreinte des psaumes sur la spiritualité réformée ne fut pas seulement musicale, loin sen faut : les mots et les images des psaumes ont si fortement imprégné le langage des réformés quils ont constitué lun des éléments essentiels de compréhension et de reconnaissance de cette fameuse « langue de Canaan » qui innerve tous les textes de 23littérature réformée de lâge classique, quel que soit le genre littéraire (sermon, prière, méditation, récits de vie et de Dernières heures), mais pour laquelle on ne dispose daucun descriptif ni mode de fonctionnement, pas plus au xviie siècle quaujourdhui dailleurs6. Il nest pas rare, en effet, de trouver tout au long du xviie siècle des textes qui exposent de façon générale la nature et les spécificités de ce « saint langage », ou « langage de Sion », ou qui y font plus brièvement allusion. Ainsi, chez Drelincourt, peut-on lire cette explication :

Dieu, qui a autrefois confondu le langage de ceux qui bâtissoient la Tour de Babel, a en quelque maniere réuni le langage de ceux qui rebâtissent la Jerusalem celeste. Car outre quil parle à nous aujourdhui en toutes [sor]tes de Langues ; & que sa Parole est traduite, en François, en Allemand, en Flamand, en Danois, en Suedois, en Polonais, en Anglois, en Ecossois, & meme en Italien & en Espagnol ; il parle à tous les Elus, & à tous les Fideles de toutes ces Nations là, dans la même Langue. Il parle à tous les méchans en une Langue, qui est comme un feu devorant : mais à tous les Elus & à tous les Fideles, de quelque Nation quils puissent être, il parle en une Langue qui est un feu damour, un feu qui réjouït, & qui console. [] La Verité du Dieu vivant [] nest ni Hébraïque, ni Grecque, ni Latine, ni Barbare. Elle nest ni Françoise, ni Allemande, ni Angloise, &c. Elle est toute celeste & toute divine, & elle sexprime dune même façon, & dun même accent. De même, quoi que nous puissions tous parler chacun en notre Langue des choses magnifiques de Dieu, le Père des misericordes nous a appris à tous le vrai langage de Canaan. Il nous a donné à tous la langue des bien appris. Nos cœurs ont tous une même langue, par laquelle nous crions, Abba Père. Nous avons tous un même cri & de mêmes gemissemens7.

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En revanche, pour ce qui est des mots et des tournures qui appartiennent en propre à cette langue, ou de la façon dont il convient de tourner la syntaxe pour donner un effet « langue de Canaan », les auteurs réformés se montrent peu diserts ; ils ne disent rien non plus sur la manière dont on lapprend, dont elle se transmet et se perpétue, de génération en génération. Et même pour ce qui concerne les psaumes, qui constituent une part essentielle de linspiration et de la formation de ce langage de Canaan, alors que lon dispose de témoignages nombreux sur leur utilisation par les huguenots dans des circonstances diverses et variées, on ne sait que peu de choses sur la façon dont on les enseignait aux jeunes générations, et en particulier aux enfants. On sait néanmoins que lapprentissage du chant des psaumes était une constante de lenseignement dispensé dans les écoles et les collèges : des heures de musique étaient prévues spécialement à cet effet8, la possession de petits psautiers pouvait être rendue obligatoire9, et les cours de récréation résonnaient du chant de ces psaumes déjà si bien connus des jeunes enfants, selon ce que rapporte Orentin Douen du collège de Guyenne par exemple :

Les enfants eux-mêmes chantaient avec non moins dardeur : « Chaque jour, à lheure de la récréation, dit M. E. Gaullieur [dans Histoire du collège de Guyenne], les élèves du collège de Guyenne (à Bordeaux) se réunissaient dans la grande cour et entonnaient en chœur les psaumes de Clément 25Marot, en dépit dun arrêt du parlement, qui en interdisait le chant. Les gens du dehors se groupaient dans la rue, tout contre la porte dentrée, pour écouter ces voix enfantines qui chantaient la gloire de Dieu, non point en latin déglise, mais dans cette jeune et magnifique langue française, qui, depuis un demi-siècle à peine, commençait à se débarrasser des vieilles formes qui lentravaient. Les protestants, accourus de tous les points de la ville, ne tardèrent pas à faire chorus, et un beau jour, le 14 avril (1561), les portes cédèrent à la pression de la foule ; quatre ou cinq cent huguenots, pénétrant dans la cour, se réunirent aux écoliers, et tous en chœur, animés dun enthousiasme que les persécutions et les supplices expliquent assez, entonnèrent les louanges du Seigneur10.

Mais les sources traitant de lenseignement des psaumes dans les écoles, les collèges et les académies demeurent malgré tout assez minces, et lapprentissage des psaumes (texte ou chant) à la maison est encore plus mal connu. Cest sur ce dernier point que nous nous arrêterons ici, pour évoquer les prémices dune enquête quil conviendra délargir, menée au travers dun corpus de textes de nature intimiste de la seconde moitié du xviie siècle11, centrés sur la sphère familiale, a priori les plus aptes à contenir des éléments relatifs à la pédagogie domestique.

des psaumes À lire et À entendre

Même si cela peut paraître paradoxal à première vue, puisquil sagit dabord et avant tout dun acte de célébration cultuelle et liturgique à destination de la cellule familiale, le temps dapprentissage privilégié des psaumes à la maison était assurément celui quoffrait le culte de famille. Initié matin et soir sous lautorité du père de famille12, dès les 26premiers temps de la Réforme13, selon les préconisations de Calvin14, pratiqué avec plus ou moins dassiduité dans les foyers réformés sous le régime de lédit, poursuivi ensuite tout au long du xviiie siècle « dans toute famille bien réglée15 », avec même parfois une ardeur accrue portant à trois le nombre dexercice quotidien16, ce culte privé apparaît assurément sur la durée comme lun des éléments les plus stables de la 27pédagogie réformée, dans la mesure où il donnait une occasion régulière de lire, dentendre et dapprendre la Bible et les psaumes. Les mémoires de Jacques Fontaine en 1722 témoignent bien de limpact et du bénéfice collatéral de ce culte privé sur les enfants, par le désir dimitation des gestes vus et des paroles entendues quil faisait naître :

À lâge de quatre ans seulement, je fus tellement impressionné en entendant mon père lire les Écritures et prier en famille, que jeus la fantaisie de limiter. Je réunis en conséquence mes sœurs et les domestiques, je les fis mettre à genoux et je me mis à prier. On sempressa den informer mon père, et dans des termes tels, que ma mère et lui eurent la curiosité de mentendre. Ils vinrent donc à mon culte, mais je ne voulus pas commencer avant de les voir à genoux comme les autres. [] tout ce que je savais ne provenait que de cette double source : ou ce que je pouvais voir par moi-même, ou ce que jentendais lire chaque jour par mon père, au culte de famille, dans les saintes Écritures17.

Ce type de témoignage nest pas rare, on le trouve aussi par exemple dans la littérature spécifiquement réformée des Dernières Heures18, et même si, par une exigence inhérente au genre lui-même, ces textes dressent des portraits plus normatifs que réalistes, il nen demeure pas moins que les psaumes y figurent souvent en bonne part et que la rigueur dune éducation pieuse et scripturaire y est fréquemment soulignée ; cela est dautant plus vrai lorsque le récit concerne des anonymes ou des gens du peuple, et non dillustres personnalités politiques ou pastorales. Ainsi les Dernières Heures de Suzon de Terson, lune des rares femmes poètes de son temps, mais dont le nom napparaît pas dans le titre de louvrage qui la concerne pour mieux en souligner la portée générale, insistent sur ce processus didentification et dimitation qui est à lœuvre dans léducation réformée, et qui concerne à la fois le père et la mère :

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La mort lui ravissant alors un Père quelle honoroit & quelle chérissoit extrêmement, & dont elle étoit une fidele representation, elle préféra, à toute autre compagnie, hors de sa maison, celle dune Mere dévote & craignant Dieu, ce fût alors quon sapperçût quelle avoit une devotion extraordinaire19.

Le récit montre en acte les bienheureux fruits de cette éducation en soulignant la fréquence et laisance avec laquelle Suzon de Terson convoque dans son quotidien les citations bibliques, et en particulier psalmiques :

En pratiquant ce Divin Précepte [ne pas travailler tant pour la viande qui périt, que pour celle qui est permanente en vie éternelle – Jn 5, 27], elle avoit accoûtumé de dire, plusieurs disent qui nous fera voir des biens ? Léve sur nous la clarté de ta Face, ô Éternel ! tu as mis plus de joye en mon cœur, que nen ont ceux à qui le froment & le meilleur vin ont foisonné [Ps 4, 6-7]20. [] Elle se souvenoit toûjours de ce Précepte, aimez le Seigneur vous tous ses bien aimez [Ps 31, 24], & tirant de-là, la régle de ses affections, elle disoit avec le Prophete qui y parle : Je taimerai ô Dieu, daffection cordiale [Ps 18, 1]21.

La conclusion simpose delle-même à lauteur :

Vous eussiez dit que le langage de Canaan étoit son langage naturel, & quun Ange parloit par sa bouche22.

Plus encore, ce climat général de piété et cette pratique déducation dispensée conjointement par les deux parents se trouvent redoublés dans le texte sur deux générations, Suzon de Terson les appliquant avec son époux auprès de leur jeune fils, au demeurant particulièrement précoce :

[Père & Mere] ne souhaitoit davoir des Enfans, quafin quils devinssent des Instruments en la main de Dieu, pour lavancement de son Règne, & pour lédification de son Eglise.

Lextrême satisfaction quils recevoient des dons merveilleux de leur aîné, le leur faisoit regarder comme un gage précieux de lamour de leur Créateur. Ils en conçurent dés ses premiéres années de hautes espérances, lors quils considéroient léclat de ce Soleil levant, ils attendoient beaucoup de la lumière quil promettoit en son midi. Cest peu pour faire lÉloge de cet Enfant, de dire quà lâge de trois ans il sçavoit plusieurs Priéres & des Pseaumes entiers par cœur, quil retenoit de longues périodes des Sermons quil alloit ouïr, quil 29copioit merveilleusement jusquaux moindres gestes du Prédicateur dont il avoit retenu les paroles23.

Mais mis à part le culte de famille, on ne sait pas très bien quels étaient les vecteurs et les temps forts de cet apprentissage des psaumes à la maison, et bien quon trouve mention, dans un ouvrage anonyme de 1733, de lutilité de faire apprendre les psaumes aux tout jeunes enfants à raison de six versets par jour24, il semble en réalité quil ny ait pas de méthode propre à cet apprentissage autre que la répétition régulière (pour ne pas dire continuelle), afin que la mémorisation des psaumes (paroles et musique) se fasse de façon naturelle et presque automatique, à force dentendre père et mère chanter, lire et réciter des psaumes.

apprendre À « parer son cœur »

On sait, en effet, que la lecture et le chant des psaumes nétaient pas réservés aux seuls cultes de famille, mais que les réformés, tout au contraire, prenaient plaisir à chanter ou à réciter les psaumes en toutes sortes de circonstances et doccupations. Les écrits historiques sur le sujet reviennent à lenvi sur cette pratique25. Dune manière générale, les textes qui évoquent les pratiques éducatives dans les familles réformées, insistent donc davantage sur le climat permanent de piété qui règne dans la maison que sur la manière dont il faut précisément apprendre 30les psaumes aux enfants. Léducation réformée consiste ainsi à proposer aux enfants des modèles de vie de foi quils sont invités à imiter dès que lâge le leur permet. Et une éducation réussie sera celle où lenfant perpétuera le modèle familial huguenot, en vivant pieusement, à limage de ses parents, cest-à-dire dans « la crainte de Dieu » et en « [employant] le principal de son temps à donner à son ame la pâture quelle devoit prendre, à parer son cœur des ornemens quil devoit porter, & à y allumer les saintes flâmes qui y devoient brûler26 ».

Au quotidien, le foyer réformé se plie donc à une certaine discipline de vie, qui trouve dans la lecture de la Bible son fondement, sa justification et son horizon despérance. Et comme un prolongement naturel des effets de la grâce divine, les enfants du foyer sont mis au bénéfice de cet acte quotidien de lecture ou de récitation. Toutefois, même si les figures paternelles, piliers du culte de famille, sont bien présentes et garantes de lefficacité de cette atmosphère de piété mise en place au sein du foyer, comme nous venons de le voir, ce sont souvent les mères, de manière attendue27, que le détail du texte met en relief. Dans ses Mémoires le pasteur Isaac Meissonnier dresse ainsi le portrait de sa mère, elle-même instruite par sa propre mère :

Quant à ses bonnes qualités que je ne veux pas passer complètement sous silence, pour la faire encore mieux connoître, et suivant son mérite, elle a esté bien instruite en la piété dès son enfance ; sa mère, qui estoit bien elevée, y prit tous les soins possibles et lui fit apprandre tous les psaumes par cœur, et les airs, quelle sçait encore, tant elle a la mémoire excellente. 31Elle a bien lu lescriture Sainte et la aussi bien en main quune femme puisse lavoir28.

Ce rôle maternel, qui samplifiera encore par la force des choses au lendemain de la révocation de lédit de Nantes au sein du foyer réformé résistant29, se trouve relayé le cas échéant par dautres figures féminines : grand-mère certes, mais aussi tante, et même sœur. Ainsi, dans un autre récit de Dernières Heures, celui dune jeune fille inconnue morte à lâge de seize ans30, on voit la jeune mourante égrener tout un flot de citations bibliques, en particulier psalmiques, et rendre hommage à celles qui les lui ont apprises, mère et tantes :

regardant sa mére fort tendrement, elle dit, ayant égard à un songe quelle avoit fait : ma chere mere donnez-moy encore à boire de vos bonnes consolations : & Madame sa mere luy ayant repondu, cest lÉternel qui ten donnera, mon enfant, Ha ! vous men avez bien aussi donné, luy dit-elle31.

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Et de manière encore plus précise par la suite :

Loué soit Dieu le grand Dieu dIsraël, / Dun chant perpétuel []. Elle recita plusieurs fois cette fin du Pseaume 41, que M.D.L.S. sa tante luy avoit apprise : & temoigna quelle souhaitoit fort de la voir, repétant plusieurs fois ; Que je vous aime ma chére tante ! que je souhaitterois vous avoir près de moy ! vous maideriez si bien à loüer Dieu, que je vous aime de mavoir si bien apprise à le bénir ! ouy / Tant que je dureray, / Pseaumes je luy chanteray [Ps 146]32. [] O que cette parole mest un grand secours ! cest ma chere mere qui me la apprise ; & se tournant de son côté ; cest vous, ma chere mere, luy dit-elle, qui nous avez si bien instruits, vous nous avez donné de si bons exemples, je voudrois en avoir mieux profité33 [].

Comme en miroir, la jeune mourante dispense à son tour instructions et conseils à ses sœurs, ce que la solennité du moment autorise et favorise particulièrement, même si lon imagine quil sagit là de paroles maintes fois entendues auparavant :

Sadressant à Mesdemoiselles ses sœurs, elle leur dit, mes chères sœurs, soyez toûjours attachées à la sainte parole de Dieu, pour en faire un bon tresor. Seigneur tu as magnifié ta parole par-dessus tout ce dont tu es renommé [Ps 138]. Elle leur recommanda fort dapprendre les Pseaumes de la version de feu Monsieur Conrart & de Monsieur Gilbert, & de choisir ceux qui sont les plus consolans : elle en sçavoit 25 des premiers, & 12. des derniers dés lâge de treize ans : elle sçavoit tous les 150. de lancienne version, quelle avoit appris chez feu Madame la Marquise D.V. sa Tante & sa Marraine. Elle en sçavoit aussi plusieurs en prose, & les aimoit extrémement : & quoy quelle sceût encore plusieurs chapitres de lÉcriture, & presque tous les plus beaux passages, elle se plaignoit souvent de son peu de mémoire34.

Et comme dans les Dernières Heures de Suzon de Terson, le texte souligne la familiarité de la jeune fille avec les psaumes quelle récite quotidiennement, et manifeste donc en acte les fruits dune éducation réussie, puisque la jeune fille possède à la fois une très bonne connaissance du texte des psaumes, dans différentes traductions (en prose et en vers, celles de Marot-Bèze bien entendu, et celles, plus récentes, de Valentin Conrart et Gabriel Gilbert), mais aussi une bonne compréhension de lapplication que lon peut en faire dans sa vie personnelle, en fonction de la nature propre des psaumes.

33

Elle disoit ce Ps. 34 tous les jours en prose & en rime vieille & nouvelle, & elle en recitoit souvent ce verset. Que jamais du prochain, / Ta langue nattaque lhonneur, / Ne sois ny fourbe ny trompeur, / Ny querelleux ny vain35.

La fréquentation assidue du texte, sous lautorité bienveillante de sa mère et de ses tantes, a entraîné une mémorisation riche et précise, de même quelle a contribué à forger un amour pour les mots des psaumes eux-mêmes qui fait que la jeune fille éprouve un indicible bonheur à répéter des termes qui lui sont si familiers :

Elle dit plusieurs versets des Pseaumes 18. & 35. & se servoit fort à propos des endroits les plus tendres, sur tout de ceux qui sont dans les Pseaumes penitentiaux, pour tâcher de fléchir son Dieu en sa faveur. Chaque parole de ces Pseaumes divins êtoit pour elle un sacré baume, quelle appliquoit si heureusement à ses playes, quaussi tôt elle en apaisoit en quelque sorte la douleur36.

La pédagogie domestique exercée au sein des foyers huguenots se révèle ainsi à la fois ferme dans ses principes qui sont tacitement reproduits dune génération à lautre, et souple dans son application, pourvu que la piété règne. Lapprentissage du texte biblique, à lire ou à dire, repose exclusivement sur la répétition, sous des formes variées, du texte mais aussi des airs des psaumes qui viennent en complément du texte de la Bible. Mais il ny a dautre rythme et de progression souhaitée que celle de la vie même : lenfant apprend les psaumes à son rythme, il apprend à les dire, à les chanter, puis à les lire et à les réciter, jusquà ce quil soit capable à son tour de les restituer, soit pour son usage propre, soit pour lédification dautrui. Plus que léglise elle-même, persécutée, détruite, et enfin chassée, la famille huguenote a pu apparaître ainsi comme le seul sanctuaire inviolable de la foi réformée, parce quelle opérait par-delà les rites et par-delà les lieux consacrés, au plus près des consciences et dès le plus jeune âge. Cest ce qui faisait écrire avec enthousiasme à Samuel Mours : « Nous en avons dit assez pour quil ny ait aucun doute. La famille huguenote a sauvé le protestantisme37 ». Nul doute, en effet, que cest cet apprentissage mémoriel des psaumes (et des Écritures) qui a permis des comportements de résistance si étonnants, si éclatants et si 34fermes : cest lui qui a rendu possible les prêches au Désert par des gens qui nétaient pas institutionnellement formés pour une telle pratique, des « prédicants illettrés, prêchant sans livres », mais avec des « paroles pleines defficace38 », comme « Pintarde, fille de paysans, âgée de 16 à 17 ans », qui, en 1689, « tirait ses prières de passages mémorisés des Psaumes et des Prophètes » mais aussi des « sermons de prédicants39 ». Cest bien cette pédagogie domestique menée avec constance sur le long terme qui a permis ces sursauts individuels, assurant ainsi la propagation et la survie de la foi réformée.

Inès Kirschleger

Université de Toulon,
BABEL EA 2649

1 Voir notamment Luc Daireaux, « Le chant des psaumes marqueur de lidentité huguenote au xviie siècle », Les Protestants à lépoque moderne, une approche anthropologique, dir. Olivier Christin et Yves Krumenacker, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 165-174. Voir aussi Raymond Mentzger, « Une nouvelle langue liturgique parmi les réformés », Albineana, Cahiers dAubigné, 24, 2012 : « La Cour de Nérac au temps de Henri de Navarre et de Marguerite de Valois », p. 113-122, ici p. 118 : « Être protestant, cétait sans doute renoncer aux “abus” et à “lidolâtrie” de la messe latine en faveur dune prédication en langue française. Mais chanter les psaumes en vers français définissait visiblement dans le for public lappartenance à la communauté réformée. Les fidèles se réjouissaient du chant des psaumes. Henri de Navarre sétait nourri du Psautier dans sa jeunesse. Lintroduction des traductions des psaumes en langue vulgaire transformait la participation du peuple au culte et a défini plus quaucun autre élément la signification collective de lidentité réformée. » Voir encore par exemple Roger Zuber, « Les Psaumes dans lhistoire des huguenots », Bulletin de la Société de lHistoire du Protestantisme Français, Paris, vol. 123, 1977, p. 350-361, ici p. 356 : « Partout où vibre collectivement lâme huguenote, même dans une fête civile (comme lors dun feu de joie), même en cérémonie tragique (comme une exécution capitale), toujours, le chant des psaumes souligne la conscience du groupe. Cest une affirmation didentité ».

2 « Interdiction de les entonner trop fort, interdiction doffenser les oreilles des catholiques voisins, interdiction de retourner les chanter sur les ruines des temples démolis par décision royale » (R. Zuber, « Les Psaumes dans lhistoire des huguenots », art. cité, p. 354).

3 Yves Krumenacker, « La place du culte privé chez les protestants français au xviiie siècle », dans Revue de lhistoire des religions, 2000/3 : « La prière dans le christianisme moderne », p. 630. Voir également sur le même sujet Élisabeth Labrousse, La Révocation de lÉdit de Nantes. Une foi, une loi, un roi ? [1985], Paris, Payot, 1990, p. 124.

4 A. Court, Journal dun bourgeois de Calvisson, 1704, propos rapporté par Philippe Joutard, Les Camisards, Paris, Gallimard, 1979, p. 194, et repris par Y. Krumenacker, « La place du culte privé… », art. cité, p. 630.

5 R. Zuber, « Les Psaumes dans lhistoire des huguenots », art. cité, p. 354.

6 Une étude de synthèse reste à faire sur ce sujet, qui na donné lieu jusquici quà quelques contributions isolées : voir en particulier Véronique Ferrer, « La langue de Canaan : les clairs desseins dun verbe inspiré », Cahiers Textuels, 27, 2003, p. 31-41 ; Carine Skupien-Dekens, « Du Corbeau enroué au Patois de Canaan, linfluence des traductions bibliques sur le sociolecte protestant », dans Les Protestants à lépoque moderne, une approche anthropologique, op. cit., p. 397-416. Voir aussi Patrick Cabanel, « “Patois” marial, “patois de Canaan” : le Dieu bilingue du Midi occitan au xixe siècle », dans Les Parlers de la foi : religion et langues régionales, éd. Michel Labgée, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1995, p. 117-131.

7 Les Visites charitables ou les consolations chrétiennes, pour toutes sortes de Persones Afligées [1665-1669] ; par Charles Drelincourt, Nouvelle édition retouchée, Par J. Brutel de la Riviere, Pasteur de lÉglise wallonne dAmsterdam, tome second, Amsterdam, Pierre Mortier, 1731, « Visite vingt-huitieme », p. 239-240. Sur cet ouvrage, voir létude de Marianne Carbonnier-Burkard, « Un manuel de consolation au xviie siècle : les Visites charitables du pasteur Charles Drelincourt », Bulletin de la Société de lHistoire du Protestantisme Français, Paris, vol. 157, 2011, p. 331-356.

8 Voir Luc Daireaux, « Le chant des psaumes marqueur de lidentité huguenote », art. cité, p. 168 : « Si le rôle joué par les petites écoles demeure mal connu, on en sait davantage sur les modalités dapprentissage dans les classes supérieures. Les sources plongent parfois dans les premières années de la Réforme. Ainsi le règlement du collège de Saint-Lô (Normandie), texte édicté en 1563, dispose dans la rubrique “Du devoir des escoliers” : “Avant que se mettre à estudier, chacun en son rang face les prières au matin, quon chante continuellement le pseaume 119, afin que les enfans lapprennent petit à petit”. Quelque quarante ans plus tard, le règlement de lacadémie de Montauban indique que le chant des psaumes concerne dabord les “plus petits”, instruits par un chantre dans la “salle pour les [écoliers] classiques”. En date de 1604, le règlement du collège de Die (Dauphiné) prévoit lélection dun “musicien qui enseignera à certaines heures la musique, afin quon puisse apprendre le chant des psaumes” ».

9 Voir les conclusions de Philippe Chareyre, à partir de létude des registres du consistoire de Nîmes : il explique que la possession de ces petits psautiers avec les paroles seules « était obligatoire pour les écoliers et pour les étudiants de lacadémie de la ville, qui devaient apprendre le chant dans le cadre de leurs études et en apporter un exemplaire au temple » (« Antoine Lardenois et la rénovation du chant des psaumes au xviie siècle », Bulletin de la Société de lHistoire du Protestantisme Français, Paris, t. 152, 2006, p. 57-94, ici p. 61).

10 Orentin Douen, Clément Marot et le Psautier huguenot, t. 1, Paris, Imprimerie Nationale, 1878, p. 8.

11 Récits des Dernières heures, témoignages et récits dexil et de persécution postérieurs à la Révocation notamment.

12 Sur les composantes et le déroulement de ce culte de famille, voir Samuel Mours, La Vie protestante dautrefois, Valence, Imprimeries Réunies, 1946, p. 76 ; voir aussi Marianne Carbonnier-Burkard, « La pratique réformée du culte de famille », La Vie spirituelle, mai-juin 1995, p. 307-317.

13 Lexemple le plus célèbre de ce culte de famille est assurément celui que lon trouve dans les Mémoires de Coligny, sans doute rédigés par Cornaton, « lun des plus fidèles serviteurs de lamiral », selon Guillaume de Félice, Histoire des protestants de France, septième éd., Toulouse, Société des livres religieux, 1880, p. 98 : « Aussitôt quil était sorti du lit, assez matin, ayant pris sa robe de chambre, et sétant mis à genoux, comme aussi tous les autres assistants, il faisait lui-même la prière en la forme accoutumée aux églises de France ; après laquelle, attendant lheure du prêche qui se faisait de deux jours lun avec le chant des psaumes, il donnait audience aux députés des églises qui lui étaient envoyés, ou donnait le temps aux affaires publiques dont il continuait encore un peu à traiter après le prêche, jusquà lheure du dîner. Étant debout près de la table dressée, et sa femme à son côté, sil ny avait point eu de prêche, lon chantait un psaume, et puis lon disait la bénédiction ordinaire []. Le même se pratiquait au souper ; et voyant que tous ceux de sa maison se trouvaient malaisément à la prière du soir, au temps quil fallait reposer, il ordonna que chacun vînt à lissue du souper, et quaprès le chant des psaumes, la prière se fît. Et ne se peut dire le nombre de ceux dentre la noblesse française qui ont commencé détablir dans leur famille cette religieuse règle de lamiral, qui les exhortait souvent à la véritable pratique de la piété, disant que ce nétait pas assez que le père de famille vécût saintement et religieusement, si par son exemple il ne réduisait les siens à la même règle » (ibid., p. 99-100).

14 Voir à ce propos Yves Krumenacker, « La place du culte privé chez les protestants français au xviiie siècle », Revue de lHistoire des Religions, « La prière dans le christianisme moderne », art. cité, p. 625 : « Pour Calvin, un homme pieux doit être comme un pasteur dans sa famille quil transforme en “petite église de Jésus-Christ”. Cependant le culte familial ne fait lobjet daucune prescription dans la Discipline des Églises réformées de France, sans doute parce quil ressort entièrement du domaine privé et que ce texte réglemente essentiellement lexercice public de la religion. Mais les synodes nationaux de 1565, 1583, 1626 rappellent que les chefs de famille doivent “faire ordinairement les prières dans leurs maisons, le soir et le matin”, pratique illustrée par la gravure dA. Bosse, “La bénédiction de la table” (vers 1635) ».

15 Expression tirée de la Liturgie pour les Protestants de France, Pierre Dangirard, 1757, définissant le culte domestique comme « lexercice de piété que dans toute famille bien réglée le Chef de la maison doit faire matin & soir en présence de tous ceux qui la composent, autant que la chose peut être pratiquée », cité par Y. Krumenacker, « La place du culte privé … », art. cité, p. 624.

16 Voir Y. Krumenacker, « La place du culte privé … », art. cité, p. 625 : « Dès 1716, le synode du Dauphiné (et en 1721 celui du Vivarais) demande aux pères de famille de prier avec leurs enfants et leurs domestiques trois fois par jour, matin, midi et soir. La pratique nest pas partout répandue, puisque le synode national de 1726 demande aux pasteurs et aux proposants de faire la prière deux à trois fois par jour dans les maisons où ils sont afin dinciter les fidèles à le faire. De nouveaux recueils de prières sont demandés dans les années 1730. Mais le synode du bas Languedoc de 1733 doit encore rappeler quil est nécessaire de prier tous les jours. »

17 Mémoires dune famille huguenote victime de la révocation de lédit de Nantes par Jacques Fontaine, éd. E. Castel, Toulouse, Société des livres religieux, 1877, chap. iii, p. 59-60.

18 Pour une typologie précise des mourants concernés par ce type de récit on pourra se reporter à létude de M. Carbonnier-Burkard, menée à partir dune trentaine de titres, « Lart de mourir réformé. Les récits des “dernières heures” aux xviie et xviiie siècles », dans Homo religiosus. Autour de Jean Delumeau, Paris, Fayard, 1997, p. 99-107. Pour une scénographie détaillée de ces récits, voir plus spécifiquement Julien Gœury, « Une légende rodée : la scène de lagonie dans le récit de la mort des pasteurs (xvie-xviiie siècles) », Bulletin de la Société de lHistoire du Protestantisme Français, Paris, vol. 155, 2009, p. 581-604.

19 Les Dernières Heures de Mlle de R***, Amsterdam, Henri Desbordes, 1688, p. 15.

20 Ibid., p. 12.

21 Ibid., p. 14-15.

22 Ibid., p. 35.

23 Ibid., p. 30.

24 Voir ce que rapporte Paul de Felice, Les Protestants dautrefois, Paris, Fischbacher, 1897, t. 4, p. 56 : « Lauteur de La Mère chrétienne, sans doute un pasteur réfugié, conseille, en 1733, de faire apprendre des psaumes en vers français aux enfants dès lâge de 5-6 ans, trois versets le matin, trois laprès-midi », cité par Y. Krumenacker, « La place du culte privé … », art. cité, p. 632.

25 Voir R. Zuber par exemple : « Les gens simples les psalmodiaient en travaillant. Les gens distingués les portaient sur eux pour pouvoir les lire et les méditer. Les familles les répétaient dans le culte domestique, ou au moment de bénir les repas. Aux enfants, on les enseignait avant le catéchisme, et presque en même temps quon leur apprenait à lire []. À la veillée, dans les campagnes, et, dans les villes, aux réunions damis, on se plaisait à les chanter, souvent à quatre voix : cétait même à cet usage (“pour séjouir en Dieu, particulièrement ès maisons”) que le grand musicien Goudimel avait mis à quatre voix les mélodies si simples du psautier original » (« Les Psaumes dans lhistoire des huguenots », art. cité, p. 355).

26 Les Dernières Heures de Mlle de R***, op. cit., p. 11-12.

27 Les historiens du protestantisme ont souligné le rôle des mères dans léducation religieuse de leurs enfants : voir à ce sujet Raymond A. Mentzer, « La place et le rôle des femmes dans les Églises réformées », Archives de sciences sociales des religions [en ligne], no 113, 2001, § 31 : « La contribution de lépouse et de la mère au bien-être de la famille était immense mais discrète, car elle sexerçait davantage dans la sphère privée que dans la sphère publique réservée au mari. Son rôle restait pourtant essentiel. Après la naissance des enfants, la femme soccupait en effet de les élever et de les instruire pendant les six ou sept premières années de leur vie. Le devoir maternel et domestique sétendait jusquà la surveillance quotidienne de léducation morale et religieuse des enfants ». Voir aussi Samuel Mours, La Vie protestante dautrefois, op. cit., p. 70 : « Cest la mère qui a plus spécialement la responsabilité des enfants dans le premier âge. Elle veille sur leur corps, sur leur intelligence et surtout sur leur âme. Elle les accoutume à fléchir leurs petits genoux et à joindre leurs mains, pour “que leur petit corps rende par avance hommage au Créateur”. Puis dès que leur langue est déliée et quils peuvent un peu prononcer, leur mère leur apprend à prier Dieu avec respect ».

28 Mémoires dIsaac Meissonier ci-devant ministre à St-Sauveur en Vivarais (1630-1709), suivis dExtraits de son Livre de Raison (1661-1674), publiés pour la première fois par M. Charles Aurenche, Aubenas, Imprimerie Habauzit, 1916, p. 22. Ces mémoires étaient connus à travers plusieurs copies, mais dont les premières pages manquaient (voir lIntroduction de C. Aurenche, p. 1, n. 1). On ignore la date de rédaction de ces mémoires, dont les premiers chapitres sont consacrés à la biographie et aux portraits des parents et aïeux de lauteur. On sait par ailleurs que lauteur abjura en 1685 et resta catholique jusquà sa mort en 1709, ce qui napparaît pas dans ces mémoires (voir Introduction, p. 5).

29 Voir R. Mentzer, « La place et le rôle des femmes [] », art. cité, § 32 : « Après la révocation de lÉdit de Nantes, le rôle décisif des mères et des grands-mères dans léducation des enfants a pris une importance accrue. La responsabilité traditionnelle confiée à la mère en matière de formation religieuse des enfants a contribué énormément à la conservation de la tradition réformée en France. Les efforts maternels comptèrent parmi les moyens principaux de la transmission de la foi protestante après 1685, puisque la pratique religieuse sest alors déplacée du domaine public au privé, de lextérieur à lintérieur, du masculin au féminin ». Mentzer cite ainsi plusieurs exemples de couples qui ont mis en place un « stratagème » (conçu au départ pour « une courte durée » puisque personne ne pouvait imaginer que la révocation serait définitive) visant à permettre à la femme de continuer à exercer sa foi et son influence spirituelle dans lespace restreint du foyer familial, ces femmes souhaitant rester « sans bruit et en privé, linstrument familial de la conservation des croyances et des pratiques protestantes » (§ 33-35).

30 Lanonymat présent dans le titre lors de la publication du récit à La Haye en 1684 a ensuite été souvent levé dans les éditions postérieures par lindication du nom de Mlle de La Musse. Pour une réflexion sur cette stratégie de publication et une analyse détaillée du récit, voir I. Kirschleger, « “Mourir de la mort des justes” : la mort édifiante dans les récits des Dernières Heures au xviie siècle », Foi et Vie, Cahier Biblique 52, « La mort en lien », 2013, p. 49-63. Dans les lignes qui suivent, lédition de référence est la suivante : Mort édifiante ou recit des dernieres heures de Mademoiselle ***, Amsterdam, Estienne Roger, 1705.

31 Mort édifiante [], op. cit., p. 22.

32 Ibid., p. 37.

33 Ibid., p. 52.

34 Ibid., p. 43-44.

35 Ibid., p. 38.

36 Ibid., p. 67-68.

37 La vie protestante dautrefois, op. cit., p. 82.

38 Marianne Carbonnier-Burkard, « Une prédication “laïque”. Les prêches des prédicants du “premier Désert” (1685-1700) », dans Annoncer lÉvangile (xve-xviie siècle). Permanences et mutations de la prédication, dir. Matthieu Arnold, Paris, Cerf, 2006, p. 233.

39 Id.