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Classiques Garnier

Les anamorphoses de Bossuet mises en perspective Les précédents d’un motif et son évolution

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Revue Bossuet
    2016, n° 7
    . varia
  • Author: Libral (Florent)
  • Abstract: Bossuet’s anamorphosis are indebted to a long tradition which both contrasts and associates God’s unity and the multiplicity of creatures. By incorporating anamorphosis into a set of images suggesting the ontological transition from time to eternity, its centre, Bossuet focuses the mind’s eye on invisible. Anamorphosis reduces the Augustinian gap between the shining of truth, and the darkness of sin. This “perspective curieuse” invites the reader to meditate the divine element hidden in this world, as the reflect of another one.
  • Pages: 13 to 35
  • Journal: Bossuet Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406066798
  • ISBN: 978-2-406-06679-8
  • ISSN: 2494-5102
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06679-8.p.0013
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 12-22-2016
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
13

Les anamorphoses de Bossuet
mises en perspective

Les précédents dun motif et son évolution

Les anamorphoses dissimulent, derrière une image anodine ou illisible, une représentation cachée. Selon une première modalité de ce jeu pictural, fréquente dès le xvie siècle, lobservateur contemple limage dun point de vue oblique afin de voir apparaître un dessin caché, comme le crâne dans les Ambassadeurs de Holbein1. Grâce à un second stratagème venu dOrient vers 1630, le dessin caché apparaît dans un miroir cylindrique ou conique posé directement sur le dessin – cest ce que nous nommerons « anamorphose catoptrique2 ». Des prédicateurs post-tridentins, dont Bossuet lorsquil prêche à Dijon en 1656, ont récupéré, en un sens religieux, ces « perspectives curieuses3 » :

Le monde comparé [sic] à ces tableaux qui sont, comme un jeu de loptique, dont la figure est assez étrange ; la première vue ne vous montre quune peinture qui na que des traits informes et un mélange confus de couleurs : mais sitôt que celui qui sait le secret vous le fait considérer par le point de vue ou dans un miroir tourné en cylindre quil applique sur cette peinture confuse, aussitôt, les lignes se ramassant, cette confusion se démêle, et vous produit une image bien proportionnée. Il en est ainsi de ce monde : quand je le contemple dans sa propre vue, je ny aperçois que désordre ; si la foi me le fait regarder par rapport au Jugement dernier et universel, en même temps jy vois reluire un ordre admirable4.

Dans son Carême du Louvre prêché en 1662, il reprend ce passage :

14

Quand je considère en moi-même la disposition des choses humaines, confuse, inégale, irrégulière, je la compare souvent à certains tableaux, que lon montre assez ordinairement dans les bibliothèques des curieux comme un jeu de la perspective. La première vue ne nous montre que des traits informes et un mélange confus de couleurs, qui semble être ou lessai de quelque apprenti, ou le jeu de quelque enfant, plutôt que louvrage dune main savante. Mais aussitôt que celui qui sait le secret vous fait regarder par un certain endroit, aussitôt, toutes les lignes inégales venant à se ramasser dune certaine façon dans votre vue, toute la confusion se démêle, et vous voyez paraître un visage avec ses linéaments et ses proportions, où il ny avait auparavant aucune apparence de forme humaine. Cest, ce me semble, Messieurs, une image assez naturelle du monde, de sa confusion apparente et de sa justesse cachée, que nous ne pouvons jamais remarquer quen le regardant par un certain point que la foi en Jésus-Christ nous découvre5.

La critique récente a pris la mesure de la profondeur de ces deux passages. Sur le plan intellectuel, le motif est au cœur de la réflexion bossuétiste sur le temps et lHistoire (A. Régent-Susini). Du point de vue de lart oratoire, lanamorphose symbolise une communication indirecte entre le prédicateur et son royal auditoire (C. Cagnat-Debœuf), et senracine dans une logique de lamplification (St. Macé). Dans le domaine spirituel enfin, cette image renvoie tant à une méditation sur lIncarnation (O. Leplâtre) quà une interrogation sur la Providence organisatrice du cosmos (Chr. Belin)6. La présente étude reprend ces précieux résultats en tenant compte du fait que Bossuet nest pas le premier à traiter le motif dans le siècle. Avant lui, outre le jésuite Joseph Filère en 1636, Jean-Pierre Camus en 1615 et 1621, le dominicain Charles Roussel en 1627 et lancien oratorien Charles Hersent en 1644 ont composé des anamorphoses pieuses7. 15Face à cet état de fait, la question se pose de loriginalité des deux sermons sur la Providence : est-elle surfaite, ou bien réelle ? À lévidence, même si Bossuet axe comme ses devanciers sa peinture à secret sur la foi, il semble le premier à sinterroger sur le temps, alors que les autres orateurs évoquaient la beauté des créatures, la lecture de lécriture, la foi ou la double nature du Christ. Extrayant ainsi le motif dune dialectique facile entre apparence et réalité, le prédicateur royal le place au cœur du hiatus entre le fini et linfini, afin dinviter ses auditeurs à porter un regard méditatif sur le monde, qui se change en un regard oblique et indirect, pénétrant jusquau centre même de léternité divine.

Bossuet resitué
dans la longue tradition de lanamorphose

Lhéritage lointain de Nicolas de Cues :
unité et pluralité

À la lumière de la production oratoire des années 1610 à 1640, Bossuet ne semble pas original dans son traitement quelque peu fidéiste du motif anamorphique. Pour sen assurer, il nest que de remonter, par-delà ses prédécesseurs immédiats, jusquau xve siècle. Avant même linvention de lanamorphose proprement dite au siècle suivant8, certaines images à secret inspiraient déjà le Nicolas de Cues du De Icona (1453)9. Le célèbre cardinal y évoque, par exemple, un portrait qui semble regarder dans toutes les directions simultanément ; et cette figuration dun « omnivoyant10 » est loccasion dun exercice spirituel par analogie, qui concilie la pluralité de laction ou de la connaissance divines (représenté par les regards multiples) avec la simplicité de lessence divine (incarnée par le portrait unique). Ainsi, deux cents ans environ avant le sermon de Bossuet la Providence divine était déjà représentée grâce à un trucage 16optique11. Au xviie siècle, le jésuite Joseph Filère reprend fidèlement cette dialectique de lun et du multiple. Après avoir expliqué le processus de création dune anamorphose catoptrique, il en décrit ensuite leffet notable : redresser une image cachée sur un plan horizontal.

[] ainsi, bien que ce qui est representé sur le plan, nait point de beauté, ny de proportion, y jettant lœil directement, mais semble plutôt une confusion de couleurs ; si est-ce que par le rapport, que toutes ces parties ont avec lœil dans le rencontre de la reflexion du cylindre [i. e. le miroir cylindrique], vient12 à en resulter une image, qui represente parfaitement le dessein du peintre, avec une tres-juste et tres-agreable proportion13.

La logique héritée du Cusain subsiste en investissant une curiosité doptique plus complexe ; le jésuite oppose en effet la multiplicité des couleurs de lanamorphose non redressée à leur inscription dans une forme unique que permet le miroir, manière dindiquer que lensemble de la création reflète la beauté et la perfection divines.

Mais lhomme sage les regarde dun autre biais, et dun aspet tout different. Cest dans Dieu, comme dans un miroir rond et cylindrique, pour recevoir la reflexion de toutes les lignes du plan de lUnivers, qui aboutissent à luy comme à leur centre ; et cest aussi dans luy, quil en voit resulter une image dune parfaite beauté, toutes les perfections des choses creées nétans que les couleurs et les lignes, pour representer en cette reflexion les excellences de la Divinité14.

Les anamorphoses de Bossuet, en 1656 comme en 1662, sont proches de celle-ci, ainsi que le montre le lexique commun. Comme dans louvrage du Lyonnais, au sein des deux sermons sur la Providence, la « confusion » (Filère) ou le « mélange confus » (Bossuet) qui caractérisent limage naissent dune abondance de « couleurs », qui par la suite se combinent pour créer un dessin cohérent caractérisé par la « proportion » (Filère) ou « les proportions » (Bossuet), même si la portée de la réflexion varie quelque peu : il sagit pour Bossuet de montrer comment la pluralité des événements disparates révèle un dessein divin, là où Filère évoque 17plutôt la divinité sensible à travers la beauté de la création. Lun choisirait le temps historique, lautre lespace du cosmos.

Outre cette logique duelle, ses prédécesseurs lèguent à Bossuet une forme capable de la mettre en œuvre : la similitude15, comparaison longue qui prend la forme dun parallèle. Lexplication du phénomène dillusion est dabord détaillée, sur plusieurs pages, dans le cas de Filère, et bien moins pesamment par Bossuet ; il sensuit une moralisation de cette même curiosité optique, dans une structure binaire. Ainsi construite dans une parfaite cohérence de la forme et du fond, la comparaison fondée sur lanamorphose permet de consolider lanalogie, cruciale pour le christianisme, qui existe entre le créé et le Créateur. Or, N. de Cues, Filère et Bossuet écrivent à des périodes où la pensée analogique est en crise, sous le coup du nominalisme dOckham pour le premier, et sous linfluence de celui de la science moderne pour les seconds. Si le prélat allemand propose des outils mathématiques pour atteindre linfini par la coïncidence des opposés, Filère et Bossuet, en tant quorateurs, préfèrent sans doute opposer lapparence et la vérité, en harmonie avec le contexte intellectuel du xviie siècle. En effet, lanamorphose est alors un fleuron de la science cartésienne, une preuve de la supériorité de la raison géométrique capable de tromper les sens par un piège sophistiqué, voire de rivaliser de prodiges avec les prétendus magiciens : elle rationalise la merveille et le surnaturel en les démystifiant16. Les prédicateurs soutiennent au contraire opportunément que la raison peut être trompée aussi bien que les sens, si elle nest éclairée par la révélation. Cette merveille issue du rationalisme moderne est ainsi détournée au profit de la foi, doù son importance dans la lutte contre les libertins. Loriginalité de Bossuet semble donc réduite, tant dans le fond que dans la forme, ou même dans lintention polémique.

Vers 1630, un tournant fidéiste

Un point important oppose pourtant Filère et Bossuet, et laisse supposer chez ce dernier linfluence dune autre tradition des métaphores 18anamorphiques. Le jésuite lyonnais, dans Le Miroir sans tache, tente de concilier lordre de la nature et celui de la grâce, la philosophie et les mathématiques avec la foi17 ; son anamorphose, tout en opposant la « confusion » des couleurs à la beauté du dessin, porte néanmoins la marque de cet optimisme théologique. Selon lui, le pécheur qui sarrête à la beauté des créatures

est semblable à celuy, qui sans savoir le dessein du peintre, de representer une image parfaite dans le miroir cylindrique, sarrêteroit à regarder seulement les couleurs, quil a couchées sur le plan, qui ne donnent que peu de contentement à lœil : parce que la principale piece de la beauté leur manque ; sçavoir est, la proportion, laquelle ne paroît pas, quand on les regarde directement. Toutes les creatures, prises à part, ont châcune leur beauté sur la surface de lUnivers, comme les couleurs ont châcune leur lustre sur ce plan : mais cest peu de chose ; et celuy, qui les regarde sans sçavoir le dessein de Dieu, ny voit quasi quune confusion dans le mélange de leur diversité18.

De fait, dans lekphrase de Filère, les couleurs de lanamorphose non redressée donnent « peu de contentement », et offrent donc un agrément relatif ; les créatures ont donc une ombre de « beauté », un « lustre » même si cet attrait négale nullement lharmonie parfaite de limage cachée de la divinité. Bossuet, quant à lui, oppose nettement les deux images : loin davoir une quelconque beauté, même imparfaite, limage vue hors du point de vue nest que « lessai de quelque apprenti », car elle est proprement « informe », terme péjoratif totalement absent chez le jésuite19. Lorateur accroît ainsi la distance entre le cosmos vu par le mondain, et celui que révèle la foi. Un Filère coloriste, rubénesque, sopposerait à un Bossuet poussinien, plus attaché à la netteté du dessin. Lemphase sur la croyance, présente chez ce dernier, nest pourtant pas originale : plusieurs prédicateurs, dès les années 1620, ont exploité cette capacité de lanamorphose à opposer foi et raison ordinaire. Par exemple, le dominicain Charles Roussel décrit la vie modeste du Christ comme un « tableau à deux faces » où seul le croyant perçoit le Dieu incarné, là où le regard ne voit dabord quun homme misérable et humilié20 – 19lappellation ancienne ne doit pas nous leurrer, le mot danamorphose nexistant pas encore en 162721. Charles Hersent, qui fut un temps oratorien, écrit en termes proches :

Et comme les Peintres font certains tableaux par les regles de lOptique, où ils representent dans toute leur estenduë certaines figures confuses et tres-desagreables à la veuë, au milieu desquelles neantmoins, si vous mettés un mirouër dune figure ronde et longue en forme de Cylindre, vous appercevrés dans cette glace une figure tres-belle, tres-proportionnée par lassemblage et labbregé qui se fait de tous les traits et de toutes les couleurs épanduës confusement dans le carré, qui fait le tableau. Ainsi tout ce qui est de Jesus Christ, je veux dire son incarnation, sa vie, sa mort, sa doctrine, son dessein de racheter le monde, est une chose extravagante et ridicule au sens humain et à la raison humaine, si le mirouer et la divine lumiere de la Foy ne corrige sa foiblesse par une vertu qui na rien dhumain, ne luy fasse voir dans ces choses, un aymable et agreable prodige de la bonté, sagesse et puissance du Createur22.

Le contexte permet dapprécier le ton polémique de ce sermon (1644), qui fit scandale : Hersent le prêche devant le futur cardinal de Retz, quil accuse de favoriser les Jésuites en leur permettant denseigner le molinisme, contraire selon lui à la vraie théologie de la grâce, telle quenseignée par Saint Augustin. Après cet épisode, Hersent est dailleurs interdit de prédication et publie son discours sans privilège, ni nom déditeur23. Afin de traduire ses intentions en image, le prédicateur expérimenté use dun parallèle antithétique pour souligner lopposition de la figure « très désagréable » avant lapplication du miroir, et du dessin « très proportionné ». Ainsi veut-il suggérer la totale hétérogénéité entre la foi et la sagesse humaine, que la Compagnie de Jésus voudrait, à tort selon lui, rapprocher. Quoique Hersent et Roussel parlent du Christ, et Bossuet de la marche du monde, la même alternative radicale entre deux vérités opposées se retrouve dans les sermons de 1656 et de 1662. En somme, Bossuet reçoit un double héritage. Comme Filère, il affirme que la créature sinscrit dans un cosmos harmonieux voulu par le Créateur ; mais, le traitement particulier que lAigle de Meaux choisit rappelle la veine des anamorphoses plus fidéistes. Même sil ne sagit 20pas pour Bossuet de combattre le molinisme comme le fait Hersent mais plutôt les incroyants à linstar de Roussel, la subversion propre au christianisme, qui refuse le bon sens ordinaire au profit de la « folie de la croix » et du scandale causé par Jésus-Christ aux yeux du monde24 est bien présente en 1656 comme en 1662.

La radicalisation dun motif préexistant

Pourtant, il est un domaine où Bossuet innove relativement à ses prédécesseurs immédiats, Filère et Hersent (1636 et 1644) : de même que Jean-Pierre Camus en 1615-162125 et Roussel en 1627, il utilise lanamorphose à point de vue plutôt que lanamorphose à miroir, et cela, même dans le sermon de 1656, où se manifeste une hésitation, un repentir, « le point de vue » y côtoyant le « miroir tourné en cylindre ». Même dans la littérature profane, lexemple du romancier réformé Nicolas Gougenot et celui de Madeleine de Scudéry semblent indiquer que lanamorphose à miroir, théorisée dès les années 1630 par Jean-Louis de Vaulezard, a les faveurs du public mondain26. En se contentant dun jeu de perspective moins sophistiqué, Bossuet opère un choix inattendu, mais sans doute fondé sur la sémantique des deux types danamorphoses. Dans une anamorphose à miroir, un réflecteur cylindrique (ou conique) est posé sur le plan où se situe limage à redresser ; limage cachée apparaît en hauteur, perpendiculairement au plan, dans le miroir. Par conséquent, les deux images, confuse et lisible, peuvent être perçues dun seul regard par lobservateur, qui na pas à se déplacer pour le faire. De ce fait, lanamorphose catoptrique semble plus propre à concilier des contraires, et convient à loptimisme jésuite dun Filère plutôt quà laugustinisme intransigeant dun Hersent : ce dernier caricature sans doute ses adversaires théologiques dans son sermon de 164427

Lanamorphose à point de vue, au contraire, opère la métamorphose du visible si lobservateur regarde limage dune position oblique : on 21aperçoit ou bien limage redressée, ou bien limage confuse, sans perception simultanée des deux. Ainsi, tout en suggérant lidée que lillusion et la vérité ne sont pas sans rapport, lanamorphose à point de vue les oppose de manière ferme : au sens figuré, Bossuet dévalorise la vision du libertin pour exalter celle du croyant ; alors que lerreur est multiple, il existe une seule vérité, un seul point de vue qui permet de latteindre ; la négation exceptive prend ainsi tout son sens : « sa justesse cachée, que nous ne pouvons jamais remarquer quen le regardant par un certain point que la foi en Jésus-Christ nous découvre28. » En somme, le passage de la fascination baroque pour le miroir au thème du point de vue divin, qui joue dailleurs un rôle central chez Pascal29, représenterait, plutôt que la nécessité baroque de la synthèse des discordances, la recherche plus classique dune vérité une et claire, qui fonderait lordre rationnel.

Loriginalité de Bossuet :
le voile du temps

Subjectivité ou objectivité ?

Pourtant, au sein de ses œuvres oratoires, Bossuet nadopte pas une position purement fidéiste, comparativement à certains de ses contemporains, tel le carme Léon de Saint-Jean, qui dépeint à laide dune esthétique ténébriste et concettiste lhétérogénéité de la foi et de lintelligence. Pour Bossuet, la raison reste tout de même « une étincelle de ce feu divin qui éclaire les créatures intelligentes30 ». Bien sûr, il est possible que lorateur trahisse sa façon habituelle de penser pour adopter stratégiquement, au début des sermons de 1656 et 1662, une position fidéiste contre les libertins quil entend combattre ; mais en réalité, le traitement bossuétiste de lanamorphose transcende les variations un peu convenues sur la foi et la raison en abordant les 22parages de léternité. Il existe en effet schématiquement deux manières de poser la problématique de lillusion et de la vérité, dans le cas précis de linterprétation spirituelle de lanamorphose. Ou bien lillusion est la propriété subjective dun esprit incapable de saisir le vrai – comme un œil malade –, ou bien elle réside dans les choses extérieures – comme lorsquon regarde un miroir trompeur. Tandis que ses prédécesseurs mettent laccent sur la nature psychique de lillusion, Bossuet le place sur les causes objectives qui, dans le réel, la produisent. Il en résulte dans le premier cas une analyse de moraliste religieux, et dans le second une réflexion eschatologique.

Cette théorie, loin dêtre spéculative, découle dindices textuels. Lintention de Filère par exemple, dans son traitement de lanamorphose, apparaît expressément dans le titre du chapitre qui la contient : « La connoissance des creatures en Dieu, comme dans un miroir cylindrique31 ». Par ailleurs, il écrit à la suite du passage où est exposé le jeu de perspective :

[] Dieu nous-a voulu representer la connoissance, que nous devons acquerir de luy par la reflexion, que toutes les creatures sont à luy, comme au miroir, où il les faut regarder, pour les voir en la beauté quelles ont en Dieu, et Dieu en elles, par le resultat entier de toutes leurs perfections32.

Là aussi, la paronymie entre la « réflexion » spéculaire et lopération intellectuelle quelle représente indique que le propos concerne la pensée. Pareillement, Hersent évoque « le sens33 humain », « la raison humaine » ou encore les yeux « de lesprit » pour montrer la nécessité de la foi34. En dépit de leurs positions théologiques contraires, Hersent et Filère saccordent donc tous deux à parler de représentations intellectuelles. Le lecteur pourrait objecter que Bossuet place lui aussi laccent sur la subjectivité ; ainsi, en 1656, il mobilise lœil de lesprit : « je le contemple », « ma foi me le fait regarder35 ». En 1662 toutefois, lorateur identifie explicitement son anamorphose à « une image du monde, de sa confusion apparente et de sa justesse cachée ». En ce sens le sermon de 1656 évoquait déjà le « monde comparé à ces tableaux ». Sil adoptait réellement la même ligne que ses prédécesseurs, Bossuet dirait quil crée une image de la connaissance 23ou bien encore quil compare la connaissance à un tableau comme le fait Filère. Bien au contraire, il construit une représentation du « monde », dans le contexte dun réel historique36. Cette spécificité se retrouve dans la signification métaphorique de lanamorphose. Chez Hersent, le miroir cylindrique qui redresse lanamorphose est nommément associé à la foi, en laquelle lœil de lentendement contemple le monde réordonné par la sagesse divine. En revanche, se révélant plus proche de Filère qui faisait de Dieu un miroir, Bossuet évoque le « point que la foi en Jésus-Christ nous découvre ». Si ce point est révélé par la foi, il ne se confond pas pour autant avec elle ; celle-ci constitue seulement une propédeutique qui permet de le découvrir et de sy tenir métaphoriquement parlant. Une lecture qui laisserait croire quHersent et Filère avaient épuisé, avant Bossuet, toutes les modulations de lanamorphose doit être révisée.

À la recherche dun point :
une évolution visible entre les deux sermons ?

Pour ce faire, il importe de saisir la nature de ce point révélé par la foi. Les deux sermons de 1656 et 1662 sont en cela, daprès nous, à la fois semblables et dissemblables, et trahissent une évolution de la pensée comme de lécriture. Au début de chacun de ces textes, le lecteur assiste à un phénomène de spatialisation du temps. Les deux images de lanamorphose, confuse et claire, représentent deux chronologies. Le dessin brouillé est lhistoire humaine, où les méchants sont mêlés avec les bons ; limage redressée est cette même histoire envisagée simultanément au futur indéterminé du Jugement, où élus et réprouvés seront « rétribués » en fonction de leurs actes. De ce fait, Bossuet oppose deux pans de lHistoire de lhumanité, lun myope et profane, lautre plus large de vue et religieux. Bien quil soit facile de déterminer ce que Bossuet entend par ces deux images, il savère plus délicat de préciser quel est le point où se placer pour que le théâtre du temps profane soit balayé par la révélation de lhistoire sacrée. Dans le sermon de 1656, ce point de vue représente, sans ambiguïté aucune, le jour du Jugement lui-même, qui marque la rupture avec létat de confusion et la naissance de létat de vérité37. Envisager ce fameux point signifierait alors que le 24chrétien se transporte par avance, par le moyen dexercices spirituels, dans la contemplation de la fin des temps à venir. En 1662 pourtant, Bossuet est beaucoup plus énigmatique par son usage de lindéfini : « un certain point que la foi en Jésus-Christ nous découvre ». Le propos aurait-il évolué de telle manière que ce point ne serait plus, ou du moins plus seulement identifié au jour du Jugement ?

Pour répondre à cette incertitude du sermon de 1662, il convient dévoquer la réflexion globale consacrée par le prédicateur au problème du temps. Jacques Lebrun a montré que Bossuet, après lévêque dHippone, voit dans le temps une image mobile, cest-à-dire déchue, remplie de néant de léternité divine38. Du point de vue subjectif ou ontologique, le temps est illusion (Béatrice Guion39). Cest pourquoi le point par lequel sordonnent les âges successifs ne pourrait pas exister dans le temps lui-même, puisque le temps est néant : il ne peut sy manifester, à loccasion du Jugement, quà la fin des temps. Par élimination, ce point ordonnateur ne peut donc se situer, avant le Jugement à venir, que dans le modèle stable des événements, à savoir léternité. En ce sens, dans le sermon de 1662, Bossuet utilise, de manière apparemment incidente, une image révélatrice :

Mais Dieu, qui est larbitre de tous les temps, qui, du centre de son éternité, développe tout lordre des siècles, qui connaît sa toute puissance ; et qui sait que rien ne peut échapper ses mains souveraines, ha ! il ne précipite pas ses conseils40.

Ce « centre de léternité41 » désigne le lieu métaphorique où Dieu ordonne toute la suite des temps, avant même lorigine du monde : or, en bonne géométrie, le centre dune figure est un point, et peut-être même celui que nous cherchons. En effet, Bossuet semble renvoyer en ces lignes à la symbolique du cercle – ou de la sphère – dont le centre est léternité divine, tandis que les âges sordonnent autour delle comme les points de 25la circonférence, qui sont chacun une image du centre reliée à lui par les rayons ; il en découle un dynamisme du rayonnement, de lexpansion, du développement : en somme, la sphæra lucis de lancienne métaphysique lumineuse laisserait place à la sphæra Providentiæ qui engloberait en son orbe le temporel et léternel, en une image qui nest pas sans évoquer lomnivoyant du Cusain, portant en tous lieux des regards infinis. Ainsi, en 1662, alors que le début du premier point du sermon oppose, avec lanamorphose, confusion et netteté, à la fin du même premier point, la métaphore du cercle – ou de la sphère – dessine la façon dont toutes les époques de lhistoire humaine sordonnent harmonieusement, autour dun dessein transcendant lorigine du monde et du temps : les deux figures sorchestrent en contrepoint. Cette symbiose de deux images rappelle un sermon de Jean-Pierre Camus (1615), où les deux motifs de lanamorphose (appelée par lui « double tableau ») et du centre étaient déjà étroitement associés, au sein dun propos consacré à la connaissance de Dieu. Les créatures

sont autant de doubles tableaux, et de visages de Janus, lune face nous monstre à lœil du corps, la nature de la creature, et à celuy de lentendement, linfinité du facteur.

Toutes ses œuvres le regardent, et visent à luy comme les lignes au centre, les branches au tronc, les rays au Soleil, les membres au corps, les ruisseaux à leur source42.

Mais ce duo dimages que Camus traite comme en passant, dans sa prose copieuse qui enchaîne les comparaisons sans répit, Bossuet lamplifie dans le premier point de 1662, précisant linfini camusien en éternité. En somme, le point du Jugement en cache donc un autre, plus lointain et plus central encore, pivot du cosmos. La question est dactualité ; chez Bossuet comme chez Pascal, la perspective est un opérateur de centralité ; et, même si, contrairement à N. de Cues ou Pascal, Bossuet et les autres prédicateurs restent conservateurs en physique, ils nignorent pas quune partie de leurs auditeurs vit déjà dans un univers décentré, cest-à-dire infini selon Bruno, ou indéfini selon Cues ou Descartes. Pour Hersent et Filère, cette harmonie cosmique perdue se recrée autour dune certitude subjective : la foi ou la sagesse divine qui donne sens au monde. Selon Bossuet, lordre sous-jacent est 26de nature à la fois objective et subjective : il gît dans laccord de lesprit humain avec la Providence éternelle, « lumière ordonnatrice extérieure au tableau » quest le temps médité par le croyant, et finalement « point perspectif », comme lindique Christian Belin43. Le point de vue humain est appelé à se décentrer pour coïncider avec la vision divine, ce qui est exprimé dans un autre sermon : « je crois hardiment où je ne vois rien, parce que jen crois celui qui voit tout44 ». Or, ce point de vue divin est extérieur à la durée humaine avant la fin des temps, car, comme lécrit Tertullien, le temps est semblable à un voile qui nous sépare de léternité, et qui couvre la vérité45 : cest la foi et la parole divine qui en permettent une approximation.

Deus pictor : le temps comme tableau

Le motif anamorphique perd donc chez Bossuet la dimension danalyse moraliste privilégiée par ses devanciers, pour articuler lobjectif et le subjectif, la question de la croyance et celle de leschatologie. Lathée, loin de nêtre quun débauché selon les stéréotypes théologiques attachés aux libertins46, apparaît aussi privé de sagesse, insipiens : il se laisse abuser par les apparences du temps présent qui, Bossuet le lui accorde avec Qohélet, apparaît comme le royaume de linjustice et de labsurdité. À cette vanité, seule une connaissance surnaturelle peut trouver du sens ; et si lanamorphose est une imago mundi, une cartographie du temps, lorateur ne peut que faire miroiter la curiosité optique élaborée par un peintre à nos yeux ébahis, un Deus Pictor qui a caché son dessin, ou plutôt son dessein, derrière une apparente confusion. Si lanamorphose, du fait de sa technicité optique, est un hapax dans la production oratoire du futur Aigle de Meaux, ce jeu optique touche en revanche au domaine artistique, la perspectiva artificialis, dont les images abondent au contraire sous la plume de Bossuet orateur. Lune delles, dès 1654, compare le progrès de la révélation 27divine à une toile ; une accumulation de touches successives donne forme à une œuvre aboutie.

La comparaison est prise de la peinture. Le peintre dessine le portrait du roi. Vous en voyez déjà quelque ressemblance dans les premiers crayons du tableau ; ce sont ses traits, cest sa taille, cest son air, cest limage du prince que vous y voyez ; mais quand louvrage sera accompli, cest alors que le roi paraîtra avec sa majesté naturelle. Ainsi la Loi avait Jésus-Christ dans des ombres et dans des figures, et comme dans un crayon imparfait ; mais elle navait pas limage finie. Et de même que la peinture achevée efface les linéaments imparfaits, ainsi la beauté parfaite de lÉvangile efface limperfection de la Loi par des couleurs plus vives et plus éclatantes47.

Ailleurs, Dieu, en maître du chiaroscuro, fait servir les plus noirs desseins des comploteurs comme les lumières des vertus à lachèvement de son œuvre48. La métaphore des temps comme tableau est donc un invariant de la prédication bossuétiste, dont lanamorphose nest quun avatar circonstancié, dirigé en particulier contre les libertins. Cest ainsi que, passant de la simple peinture en 1654 à lanamorphose dans ses sermons sur la Providence, le prédicateur accentue à loisir lopposition entre la toile inachevée, « jeu denfant », et le tableau terminé. Adoptant une position fidéiste, il tente de prouver aux libertins quils sont incapables de voir la beauté de cette fresque par eux-mêmes : car, selon un sermon de 1661, le tableau de la révélation, aussi beau soit-il, napparaît quune fois éclairé par la lumière divine, et son relais, la prédication49. Aussi est-il nécessaire de fournir à lauditeur une mystagogie optique qui redresse lœil de lesprit, aveuglé par les vanités de ce monde.

28

Lanamorphose chez Bossuet,
motif anecdotique ou central ?

Marginalité de lanamorphose
face au symbolisme lumineux ?

À la suite des réflexions précédentes, on ne laisse davoir un sentiment ambigu face à lanamorphose. Quoiquéblouissante de maestria rhétorique et spirituelle, et révélant quelque peu le chiffre du cryptogramme du monde, elle laisse à désirer. Le texte reste en effet muet sur la nature de ce sens qui reste à révéler dans un avenir indéterminé. Cette aporie semble condamner le motif à un statut dhapax, employé dans deux sermons seulement. Pour savoir si lanamorphose est un motif anecdotique ou bien capital, il faut la replacer, plus généralement, dans le réseau des comparaisons visuelles qui court dans les œuvres oratoires, au sein du cabinet doptique de Monsieur Bossuet. Ainsi remise en perspective, lanamorphose est infiniment plus rare que la métaphore récurrente de la clarté. Pour Bossuet, qui reste à sa manière un métaphysicien de la lumière50, lessence divine, lUni-Trinité, est lumineuse en elle-même51, mais encore davantage dans ses manifestations : le bien de Dieu, sa grâce, se communiquent, comme la lumière du soleil, à toutes les créatures52. De cette plénitude lumineuse, on ne trouve guère de trace dans les deux sermons consacrés à la Providence, qui névoquent pas Dieu mais le gouvernement du monde. De plus, le point de vue divin reste inaccessible en cette vie, où il nest approché que par la foi ; lanamorphose est donc en tension avec une absence, une incertitude. Elle ne saurait révéler pleinement la « lumière éternelle » du Jugement, qui seul mettra en évidence la beauté du dessein divin, comme laffirmait déjà un sermon de 165353. La rhétorique bossuétiste supplée à cette infériorité visuelle de lanamorphose face à la puissance 29de la thématique lumineuse, en présentant des évocations du Jugement à venir sous forme dhypotyposes frappantes, faisant appel à toutes les ressources de la sensibilité : ouïe, vue, etc. Mais nest-ce pas donner à la sensibilité et à limagination des gages de peu de prix pour emporter la conviction des athées ?

En réalité, lanamorphose dispose dun avantage stratégique sur le métaphorisme lumineux : là où la lumière manifeste le divin, ce trucage permet de se placer du point de vue de Dieu. Regard de catoblèpe en quelque sorte, qui tombe du ciel sur la terre, cest là un point de vue absolument inverse à celui de la coupole baroque, di sotto in su. Cest un point de vue proche de celui des Anges54. Or, ce regard de haut en bas évoque un motif de la tradition néoplatonicienne, puis chrétienne : la skopia, en latin specula. Ce terme désigne un état intermédiaire entre lattachement aux biens matériels et la véritable contemplation : lâme a déjà délaissé les vanités, et les regarde dune hauteur (tour de guet, observatoire ou montagne), mais ne voit pas les secrets de Dieu, encore cachés55. Lanamorphose reprend lidée dun regard venu dun autre monde, mais elle annule limage de la hauteur qui dominait dans la skopia : elle reste rivée à lhorizontalité de lici-bas ; elle nest ascension quen pensée et en anticipation, contrairement au regard réellement surplombant des Anges et bienheureux. Ainsi, lanamorphose ne se rattacherait quincidemment à la lumière divine, elle ne serait peut-être quune figure du début de la conversion, destinée plutôt aux mondains et aux libertins ; ou alors, elle enseigne la patience même aux chrétiens éprouvés, en retardant à un autre temps la révélation des secrets divins. Par opposition, lautre vie est le seul lieu où la lumière triomphera ; alors, les corps des élus seront lumineux, la Jérusalem céleste sera éclairée par le Fils lui-même56.

Nécessité de lanamorphose : dune mystagogie optique

Pourtant, si lanamorphose est coupée de la plénitude de la lumière divine, elle est tout de même une forme de vision ; en cela, elle soppose au thème de thème de laveuglement spirituel indissociable de la condition 30humaine depuis le péché originel, que Bossuet traite avec constance depuis les débuts de sa prédication57. Nétant pas lumineuse, la sagesse humaine nest pas non plus purement ténébreuse. Or le clair-obscur est pour Bossuet, après Saint Augustin, la condition même de lhomme en cette vie, déchiré entre grâce et péché, par exemple en 1660 :

« de même, dit Saint Augustin, que nous pouvons ne nous plaire pas dans les ténèbres, encore que nous ne puissions pas arrêter la vue sur une lumière très éclatante » : Potest oculus nullis tenebris delectari, quamvis non possit in fulgentissima luce defigi58

Lêtre humain est ainsi tragiquement renvoyé des ténèbres du péché à laveuglante clarté divine. Cest pourquoi le prédicateur fournit les instruments optiques pour que son public puisse voir cette lumière inaccessible sans sy brûler les yeux. Lanamorphose, au même titre que le miroir, est limage de la vision indirecte de la divinité cachée. Dans les œuvres oratoires, lIncarnation apparaît bien sûr comme le dispositif optique par excellence par lequel Dieu sest rendu visible en tempérant sa grandeur par la bonté59, mais cest précisément cet abaissement de la vie du Christ qui constitue pour le mondain orgueilleux un obstacle, car il refuse de voir dans cet être humilié un dieu incarné60. Avant de contempler justement, lœil de lâme blessé a donc besoin dêtre épuré de lamour-propre et de la vanité des glorioles humaines. La sagesse divine et son relais la prédication agissent sur lui comme un collyre (1669) :

Laissez traiter vos yeux malades, souffrez quon les nettoie, quon les fortifie : après, si vous ne pouvez pas encore porter le grand jour, vous jouirez du moins agréablement de la douceur accommodante dune clarté tempérée61.

Ce thème de laccommodation à la lumière concerne toute la spiritualité de lorateur. Sermon comme méditation doivent dévoiler 31graduellement laveuglante clarté divine, qui éblouirait sinon une humanité trop imparfaite : lhomme nest capable que dune « lumière tamisée ou filtrée62 ». Afin de remplir cet objectif, les figures optiques servent avant tout, chez Bossuet, au discernement entre la vérité et la vanité. Comme la montré Stéphane Macé63, limaginaire visuel dans la rhétorique chrétienne procède dun double mouvement damplification : diminuer lerreur et grossir la vérité. De fait, les métaphores et comparaisons dordre visuel employées par Bossuet sont toutes réversibles : le miroir symbolise tantôt lamour-propre en quête de flatteurs64, tantôt lentendement juste qui ne distord pas les choses65 ; pareillement, la lumière représente la présence divine, ou bien la fausse clarté des gloires mondaines66. Lune des mises en œuvre frappantes de cette dualité figure dans le sermon du Vendredi Saint des Carmélites, où léclipse miraculeuse consécutive à la Passion représente la manière dont le Christ met fin à léclat trompeur des gloires humaines67. Aussi Bossuet met-il en place de manière cohérente une prédication en chambre noire, qui renverse les fausses lumières en vraies ténèbres, lerreur en vérité68. Par conséquent, lanamorphose est une figure capitale de cette conversion des apparences, puisquelle combine, à linstar de léclipse du Golgotha, lantithèse opposant lillusion à la sagesse, avec le renversement dynamique de lune en lautre : pourfendant la vanité pour instaurer la vérité, cette forme de perspective curieuse est un épitomé de la symbolique visuelle de Bossuet et de son temps.

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Lénigme dun visage caché

Lanamorphose apparaît donc comme lun de ces tempéraments indispensables entre les ténèbres du péché et la lumière divine, en particulier dans un détail curieux en 1662. Si les prédicateurs évoquent en leurs anamorphoses lapparition dune image cachée, le lecteur constate avec surprise que la nature de cette représentation cryptée est laissée floue. Filère mentionne simplement une « image » très belle ; Hersent révèle « une figure tres-belle, tres-proportionnée », autre terme assez anodin. Bossuet, en 1656, met simplement en scène une « image » bien proportionnée. Il faut remonter jusquen 1627 pour trouver chez Charles Roussel la mention explicite de portraits révélés par lanamorphose : le pauvre Irus devient riche Crésus, Héraclite qui pleure devient Démocrite rieur, de même que lhumanité du Christ cache sa divinité69. En lointain écho au dominicain, en 1662, Bossuet précise à son tour ce qui apparaît dans le dessin vu en son point : « un visage avec tous ses linéaments et ses proportions, là où il ny avait pas apparence de forme humaine », sans toutefois indiquer à qui appartient ce visage anonyme. Ce détail pourrait simplement jouer un rôle pittoresque, ou encore renvoyer aux anamorphoses populaires qui représentaient souvent un portrait : par exemple, celui de Charles Stuart circulait chez les partisans de la monarchie anglaise70. Pourtant, il ne semble guère y avoir de logique à comparer le monde vu sous le regard de Dieu à lapparition dun visage : un paysage aurait sans doute mieux convenu à la spatialisation du temps caractéristique des deux sermons. En 1662, la confusion devient visage ; autrement dit, le temps devient le lieu où se révèle cette étrange face.

Un éclairage contextuel est sans doute nécessaire pour comprendre cette bizarrerie. Une tradition oratoire au xviie siècle voyait dans le monde le miroir où Dieu aime à considérer son reflet, ou encore la glace où lhomme découvre le visage de la divinité invisible71. Ainsi, dès 1615, un sermon de Camus associe lanamorphose au thème de Phidias cachant son portrait sur sa Minerve72, pour montrer que le visage de Dieu apparaît dans les choses. De plus, dans le fragment de 1654 déjà 33cité, Bossuet montrait que la vaste fresque des deux Testaments laissait apparaître le Christ en personne73. Parler de visage, cest évoquer le corps, « une forme humaine74 » dans le langage du sermon sur la Providence de 1662, donc peut-être lIncarnation. Plutôt que de visage de Dieu, il conviendrait mieux de parler de la divinité incarnée. En effet, non seulement le syntagme « forme humaine » rappelle la formam servi accipiens75 de lépître aux Philippiens, mais plusieurs passages du texte de 1662 semblent corroborer cette hypothèse. Outre le fait que le sermon, contrairement à celui de 1656, se trouve dans un cycle de Carême couronné par le spectacle de lhomme de douleur, qui présente sa tête « couronnée dépines76 », Bossuet névoque pas simplement en 1662 la foi, comme ses prédécesseurs, mais la « foi en Jésus-Christ », replaçant ainsi le Messie au centre du dispositif optique. Lidentification du visage se justifie également au vu de la multiplication des figures christiques anamorphosées dans lart pictural, non seulement dans les illustrations des traités de Du Breuil et Niceron, mais encore dans la tabula scalata de Mario Bettini77 : le corps glorieux du Christ ressuscité y apparaît dans un miroir. Si le visage énigmatique du deuxième sermon sur la Providence est bien celui du Christ, il convient de donner raison de sa présence énigmatique. La suite du texte fournit selon nous la clé de lénigme, car Jésus-Christ y est présent, à travers la figure de la sermocination78, pour exhorter le juste à croire et à persévérer dans la foi :

Ouvrez les yeux, cest Jésus-Christ qui vous exhorte79.

Il croit toujours entendre le Seigneur Jésus qui lui grave dans le fond du cœur ces belles paroles : « Ne craignez pas, petit troupeau, parce quil a plu à votre Père de vous donner un royaume80 ».

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Mais si ce visage peut jeter un regard aimant et compatissant sur le pécheur, la face divine symbolise également le châtiment, en apparaissant bienveillante aux bons, et terrible aux mauvais81. Cette dernière hypothèse est en adéquation avec linsistance du sermon de 1662 sur le Jugement à venir. En somme, par ce détail, le motif de lanamorphose a une profonde affinité avec les deux venues du Christ, lIncarnation comme la Parousie.

Lintérêt du motif de lanamorphose chez Bossuet est confirmé par une triple mise en perspective critique qui prend en compte ses prédécesseurs, lévolution entre les deux sermons de 1656 et 1662, ainsi que les autres motifs visuels de lœuvre oratoire. Même si une telle tâche dépasse de loin les limites de cet article, voici quelques constatations provisoires. Si lon considère Bossuet en son siècle, ni le motif, ni son traitement ne sont originaux. Bossuet innove pourtant en projetant son regard dans léternité, quand ses devanciers restent rivés au temps, quil sagisse du passé de la vie humaine du Christ ou du présent de la réflexion. Par ailleurs, lévolution du motif est perceptible entre les deux sermons : alors que le texte de 1656 est clair, celui de 1662 est bien plus énigmatique et obscur, du fait de ce « certain point » que Bossuet nest pas pressé de définir : la Providence éternelle y prend la place du Jugement comme point ordonnateur du monde. De ce fait, le motif, quoique rare, tient une place cruciale dans lœuvre oratoire par sa logique : lanamorphose fait partie de ces figures qui ne relèvent ni de la symbolique lumineuse du divin, ni de celle des ténèbres du péché, mais qui ont un rôle intermédiaire, chargées quelles sont de dépeindre la vision en clair-obscur de lhomme en cette vie, et laccommodation progressive de lœil de lesprit à la lumière aveuglante du vrai.

Lanamorphose fait donc partie de ces « clartés tempérées82 », de ces lumières incertaines. Elle sinscrit ainsi dans une mystagogie oratoire, et ce, dautant plus quelle combine en elle la logique sémantique de trois métaphores phares de la rhétorique sacrée de son temps. De la chambre noire, qui inverse les images, elle retient le sème de linversion : la vérité est le contraire de la sagesse ordinaire. Du tableau, elle garde le 35dynamisme de la révélation progressive, de lordonnancement du théâtre du cosmos autour dun point qui lui est extérieur, nimbé de transcendance. Au miroir enfin, elle emprunte lidée dune vision réflexe du visage du créateur dans le créé. Aussi traite-t-elle de concert la question de la vérité, celle du sens de lHistoire et de la connaissance de Dieu. Cest une figure monde, justement parce quelle est une figure énigme ; ainsi, lécriture même du sermon de 1662, en augmentant encore la difficulté du décryptage, fait bien de cet exercice oratoire un « œuvre ouverte83 » car, loin de simplement verser dans une veine catéchétique, le texte se construit comme une invitation à lever le voile de léternité. Loin de donner toutes les réponses, lanamorphose incite le mondain à se lancer dans la quête du vrai, et constitue une de ces injonctions à méditer dont le prédicateur est coutumier au sein même de ses sermons. En cela, cette illusion savante semble un motif éminemment spirituel.

Florent Libral

Il Laboratorio (EA 4590 –
Toulouse II)

1 Nous appellerons pour plus de commodité ce dispositif « anamorphoses à point de vue ».

2 Du grec katoptron, miroir.

3 Du titre de louvrage de Jean-François Niceron qui les théorisa (Paris, P. Billaine, 1638).

4 Premier sermon sur la Providence (1656), Œuvres oratoires, éd. Lebarq, revue et aug. par Urbain et Levesque, Paris-Bruges, Desclée de Brouwer, t. II, 1914, p. 158-159. Nous citons les œuvres de Bossuet dans cette édition, dite OO en note : t. I : 1926 (première parution, 1914) ; t. 2 : 1914 ; t. 3 : 1916 ; t. 4 : 1921 ; t. 5 : 1922 ; t. 6 : 1923 ; t. 7 : 1926.

5 Sermon sur la Providence, Le Carême du Louvre, éd. Constance Cagnat-Debœuf, Paris, Gallimard, 2001, p. 114-115. Nous citons ce cycle de sermons dans cette édition, dite CL en note.

6 Anne Régent-Susini, « Perspectives dépravées, perspectives rectifiées : lHistoire universelle peinte par Bossuet », Littératures classiques, 82 (2013), p. 201-218. C. Cagnat-Debœuf, « Un sermon en anamorphose : Le discours au roi dans le Carême du Louvre », Lectures de Bossuet, Le Carême du Louvre, dir. Guillaume Peureux, Rennes, PUR, 2001, p. 111-128. Stéphane Macé, « Lanamorphose dans le Carême du Louvre de Bossuet (1662) », [in] LOptique des moralistes de Montaigne à Chamfort, Actes du colloque de Grenoble, éd. Bernard Roukhomovsky, Paris, Champion, 2005, p. 405-418. Olivier Leplâtre, « Spiritualité de lanamorphose », LInformation littéraire, 4 (2002), p. 38-46. Christian Belin, La Conversation intérieure. La méditation en France au xviie siècle, Paris, Champion, 2002, p. 216.

7 Jean-Pierre Camus, Premieres homelies quadragesimales, Paris, Claude Chappelet, 1615, p. 237 ; Homelies panegyriques de S. Ignace de Loyola, Lyon, Jacques Gaudion, 1623, p. 196-197. Pour les autres références, nous renvoyons la suite de cet article.

8 Jurgis Baltrušaitis, Anamorphoses ou Thaumaturgus opticus, Paris, Flammarion, 1996, p. 25 sq.

9 Diffusé en latin dans les Opera du cardinal, réédité et traduit en français par Gilbert de Golefer sous le titre Traité de la vision de Dieu (Paris, C. Chappelain, 1630). Michel de Certeau, La Fable mystique II, Paris, Gallimard, 2013, chap. i, p. 51.

10 Nicolas de Cues, Le Tableau ou la vision de Dieu, intro. et trad. Agnès Minazzoli, Paris, Cerf, 1986, p. 31-32.

11 Idem, en part. p. 36.

12 Comprendre : « il vient » (omission du pronom).

13 Joseph Filère, Le Miroir sans tache, Lyon, veuve de Claude Rigaud, et Philippe Borde, 1636, p. 515-516.

14 Idem, p. 518.

15 Sur la « similitude », nous renvoyons à notre ouvrage Le Soleil caché, rhétorique sacrée et optique au xviie siècle en France, Paris, Garnier, 2016, p. 39-57, p. 423-436, ainsi quà notre article « Entre similitudes et métaphores. Amplification et optique dans la prédication en France (v. 1600-1670) », Sur lamplification, Exercices de rhétorique, dir. Stéphane Macé, 4 (2014, en ligne), p. 3-4 de la version pdf de lart.

16 Niceron, La Perspective curieuse, op. cit., p. 5 ; Le Soleil caché, op. cit., p. 206-208.

17 Pour une vision densemble de louvrage de Filère, impossible à donner ici, voir Le Soleil caché, op. cit., p. 342-355.

18 Le Miroir sans tache, op. cit., p. 517-518.

19 CL, p. 114.

20 Charles Roussel, LOuverture des sept sceaux faite par les sept cornes de lAgneau immaculé Jesus, Paris, Denis Moreau, 1627, p. 429.

21 Sur cette expression, voir Le Soleil caché, op. cit., p. 253-254.

22 Charles Hersent, Le Scandale de Jesus Christ dans le Monde. s. l., s. n., 1644, p. 10-11.

23 Peter Bailey, French Pulpit Oratory, 1598-1650 : a Study in Themes and Style, Cambridge, Cambridge University Press, 1980, p. 250.

24 Deuxième dimanche de lAvent, sermon sur Jésus-Christ comme objet de scandale (Metz, 7/12/53), OO, I, p. 446-476.

25 Homelies Panegyriques, op. cit., p. 237 : « Mais tout ainsi que le Janus des anciens, et ces Tableaux à deux perspectives, ainsi lescriture comme vous sçavez a deux sens ; lun litteral et materiel, lautre Spirituel et mistique, []. »

26 Le Soleil caché, op. cit., p. 181-182.

27 Nous renvoyons à notre analyse plus détaillée du sermon : Id., p. 360-364.

28 CL, p. 115.

29 Pensées, éd. Philippe Sellier, fr. 55, Paris, Garnier, 2011, p. 175.

30 Sermon de la Pentecôte, « Littera occidit » (Metz, 1657), OO, I, p. 552. Léon de Saint-Jean, La France convertie, Paris, Florentin Lambert, 1661 ; Les Divins Paradoxes de lEucharistie, Bruxelles, Jean Mommart, 1663.

31 Le Miroir sans tache, op. cit., p. 513. Nous soulignons (ainsi que dans les citations suivantes).

32 Id., p. 516-517.

33 Au sens ancien de jugement intellectuel.

34 Charles Hersent, Le Scandale [], op. cit., p. 10.

35 OO, II, p. 159.

36 Anne Régent-Susini, « Perspectives dépravées [] », art. cité, p. 213.

37 « [] la foi me le fait regarder par rapport au Jugement dernier et universel [] », OO, II, p. 159.

38 Jacques Le Brun, La spiritualité de Bossuet prédicateur, Paris, Klincksieck, 2002, p. 180-181.

39 Béatrice Guion, « Lillusion dans la spiritualité de Bossuet », Bossuet. Le Verbe et lhistoire. Actes du colloque du 3e centenaire, publ. par Gérard Ferreyrolles, Paris, Champion, 2006, p. 143.

40 Bossuet, Sermon sur la Providence, Carême du Louvre (1662), CL, p. 119.

41 Lexpression « centre de léternité » figure également après 1662 dans un sermon sur lendurcissement (Avent de St-Germain, 1/12/1669, OO, t. V, p. 555) ; et dans un autre consacré au Jugement dernier (Avent du Louvre, 29/11/1665, OO, IV, p. 641).

42 Jean-Pierre Camus, Premieres Homelies quadragesimales, op. cit., p. 237.

43 Christian Belin, La Conversation intérieure, op. cit., p. 217.

44 Bossuet, Sermon sur la soumission à la parole de J.-C. (22/2/1660), Carême des Minimes, IIe dimanche, OO, III, p. 251.

45 Bossuet, Sermon sur la Pénitence, Carême des Carmélites, Premier dimanche (6/03/1661), OO, III, p. 610 : « Le temps est comme un grand voile et un grand rideau qui est étendu devant léternité, et qui nous la couvre. »

46 Louise Godard de Donville, Le Libertin, des origines à 1665, un produit des apologètes, Paris-Seattle-Tubingen, Biblio 17 [51], 1989.

47 Bossuet, Reprise de lallocution sur les deux Alliances, IIe dimanche après lépiphanie, 1654, Premier point nouveau, OO, I, p. 483.

48 Bossuet, Sermon pour le Vendredi Saint, Carême de St-Germain (23/4/1666), OO, V, p. 211 : « il ordonne les ténèbres aussi bien que la lumière ».

49 Bossuet, Sermon sur la parole de Dieu, Carême des Carmélites, IIe dimanche (13/03/1661), OO, III, p. 631 : « Cest en vain que lon nous désigne avec le doigt les peintures de cette église ; en vain que lon nous remarque la délicatesse des traits et la beauté des couleurs, où notre œil ne distingue rien, si le soleil ne répand sa clarté dessus []. »

50 Jacques Le Brun, La Spiritualité de Bossuet prédicateur, op. cit., p. 130-134.

51 « [] cette lumière inaccessible nous sera ouverte, et [] la Trinité adorable nous découvrira ses secrets [] » (Bossuet, Sermon sur le Mystère de la Ste Trinité (1655), OO, II, p. 49).

52 Sermon pour lexaltation de la Ste Croix (Metz, 1653) OO, I, 441.

53 « [] alors [au Jugement] la lumière éternelle venant à se découvrir à nos cœurs, quel ordre, quelle sagesse, quelle beauté ne verrons-nous pas dans ce qui paraissait à nos sens si confus et si mal digéré ! » Bossuet, Sermon sur Jésus-Christ comme objet de scandale, IIe dimanche de lAvent (Metz, 7/12/1653), OO, I, p. 473).

54 Bossuet, Sermon pour la fête des Anges gardiens (Feuillants, 1659), OO, III, p. 98.

55 Plotin, Ennéades, iv, 4, 5, trad. Bréhier, Paris, Les Belles Lettres, 1927, « CUF », p. 106. Jean Daniélou, Platonisme et théologie mystique. Essai sur la doctrine spirituelle de S. Grégoire de Nysse, Paris, Aubier, 1944, p. 131 sq.

56 Sermon sur le Mystère de la Ste Trinité (1655), OO, II, p. 61.

57 Sermon pour la Fête de tous les Saints (Chapelle de Navarre, 1/11/1646), OO, I, p. 60 – par exemple.

58 Bossuet, Sermon pour le jour de Pâques, Carême des Minimes (1660), OO, III, p. 402.

59 « Que fait ce grand Dieu pour nous attirer ? Il nous cache tout ce qui léloigne de nous, et il ne nous montre que ce qui lapproche. » (Bossuet, Sermon de Noël (Metz, 1656), OO, II p. 283-284).

60 Bossuet, Sermon pour le dimanche de la Quinquagésime (Paris, 1667), OO, V, p. 237.

61 Bossuet, Sermon pour la Toussaint (prêché devant le roi en 1669, Avent de St-Germain), OO, V, p. 496. Cf. la première rédaction qui évoque la notion daccommodation à la lumière (Ibid., n. 5).

62 Christian Belin, La Conversation intérieure, op. cit., p. 218, n. 39.

63 Stéphane Macé, « Lanamorphose [] », art. cité, p. 408.

64 Bossuet, Sur la haine de la vérité, Carême des Carmélites, Dimanche de la Passion (3/4/1661), OO, IV, p. 33-34.

65 Ibid., et aussi le sermon pour le dimanche de la Quinquagésime (Paris, 1667), OO, V, p. 228-229 : « Saint Thomas, voulant nous décrire ce que cest quun bon entendement, et quel est lhomme bien sensé, dit que cest celui dont lesprit est disposé comme une glace nette et bien unie, où les choses simpriment telles quelles sont, sans que les couleurs saltèrent ou les traits se courbent et se défigurent []. »

66 Bossuet, Sermon pour le Vendredi Saint, Carême des Carmélites (1661), OO, IV, p. 86 : lhonneur est appelé la « partie la plus éclatante » de la vanité, ou encore désigné par la périphrase « ce qui brille ».

67 Ibid.

68 « Entre similitudes et métaphores [] », art. cité, p. 9. Cf. ce que dit Anne Régent-Susini de la camera oscura à propos du Discours sur lhistoire universelle (« Perspectives dépravées [] », art. cité, p. 207).

69 Charles Roussel, LOuverture des sept sceaux, op. cit., p. 429.

70 Jurgis Baltrušaitis, Anamorphoses ou Thaumaturgus opticus, op. cit., p. 42-44.

71 Florent Libral, Le Soleil caché, op. cit., p. 44-46.

72 Voir la réf. à la note 42.

73 Bossuet, Reprise de lallocution sur les deux Alliances, IIe dimanche après lépiphanie, 1654, Premier point nouveau, OO, I, p. 483.

74 CL, p. 114.

75 Philipp. II, 7 : « sed semet ipsum exinaniuit formam servi accipiens in similitudinem hominum factus ».

76 Bossuet, Sermon sur la Passion de Notre-Seigneur (1662), CL, p. 269.

77 Mario Bettini, Apiaria universæ philosophiæ mathematicæ, Bologne, typis J. B. Ferronii, 1645, part. V, chap. ii, p. 28-29. Jean-Vincent Blanchard, LOptique du discours au xviie siècle, Laval, Presses de lUniversité, 2005, p. 172.

78 Sur cette figure et en part. sur son lien au contexte polémique : Anne Régent-Susini, Bossuet et la rhétorique de lautorité, Paris, Champion, 2011, p. 476.

79 Bossuet, Sermon sur la Providence, CL, p. 117.

80 Idem, p. 126.

81 Bossuet, Sermon pour le Vendredi Saint, Carême des Carmélites (1661), OO, IV, p. 101 ; René de la Broise, Bossuet et la Bible, Genève, Slatkine Reprints, 1971, p. 57-58.

82 Voir note 61 supra.

83 Constance Cagnat-Debœuf, « Un sermon en anamorphose [] », art. cité, p. 111.