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Classiques Garnier

Elfride Fibiger Réflexions sur le départ de Madame Nora Helmer

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Elfride Fibiger

Réflexions sur le départ
de Madame Nora Helmer1

Traduit du danois par Marthe Segrestin

Loin de moi lidée de vouloir bricoler lœuvre du célèbre poète et grand technicien dramatique, mais il me semble que lauteur dUne maison de poupée, sans ajouter un seul mot au dialogue, par une simple parenthèse finale, aurait pu donner à la pièce une fin assez cohérente et passablement apaisante en même temps, au lieu de cette dissonance aiguë sur laquelle elle sarrête.

Voici ce que jai imaginé :

Nora dit sa réplique de départ – comme dans la pièce – à savoir que « la plus grande des merveilles » devrait se produire pour quil y ait un espoir de retrouvailles, puis elle sen va.

Helmer est assis – toujours comme dans la pièce – seul et désespéré, puis, captivé par cette pensée lumineuse, se lève brusquement, et sécrie : « la plus grande des merveilles ». Boum ! – le portail claque – tout comme dans la pièce.

Mais le rideau ne tombe pas directement cette fois. Ce sont plutôt les habituels applaudissements qui tombent tandis que le malheureux mari 246est assis au comble du désespoir. Puis on entend retentir la sonnette de la porte, très légèrement, timidement. Helmer reste interdit, il ne sait pas sil peut en croire ses oreilles. Puis la sonnette retentit avec force. Il se lève et se précipite vers le fond, une lampe dans la main droite et le porte-clés dans la gauche.

Le rideau tombe.

1 « Tanker ved Fru Nora Helmers Bortgang », København, Dagens Nyheder, 1er février 1880. Lécrivaine danoise Elfride Fibiger (1832-1911) sest fait connaître pour ses positions sur la question des femmes, et ses actions en faveur de léducation de celles-ci. Opposée aux revendications féministes en matière dégalité des sexes, elle militait pour que les femmes au foyer et les domestiques bénéficient dune véritable formation leur permettant dassumer pleinement leur rôle dans la société, la mère de famille ayant selon elle la lourde responsabilité dêtre la gardienne des valeurs morales. Dans cet article paru quelques semaines après la création de la pièce au Kongelige Teater de Copenhague, elle brosse un portrait au vitriol dune Nora vaniteuse et égoïste, avant de proposer un amendement permettant de préserver la morale, sans toucher à la pièce elle-même.