Introduction

Étudier la reconstruction de la figure auctoriale de Giono après la Seconde Guerre mondiale requiert d’abord de retracer les étapes de ce processus, en suivant une approche diachronique. Celle-ci s’avère en effet indispensable pour saisir pleinement ce phénomène complexe qu’est la (re)figuration auctoriale, tributaire de l’écrivain aussi bien que du public. L’interaction qui s’établit entre ces deux acteurs, que l’on tentera de restituer en alternant tout au long de cette première partie leurs points de vue respectifs, ne peut être analysée que sur l’axe temporel.

Cette historicisation conduit dans un premier temps à tourner son regard vers la période de l’avant-guerre. La « renaissance » gionienne que célèbre la critique de l’après-guerre est de fait préparée par une crise qui a rendu nécessaire cette profonde réinvention de soi. En retraçant le parcours de Giono des années 1930 à la Libération, nous analyserons les éléments multiples qui composent cette crise et tenterons de déterminer ses limites poreuses, afin d’évaluer les fondements – ou plutôt les ruines – à partir desquels s’élabore la reconstruction de l’après-guerre.

La réinvention de Giono comporte en outre différentes phases, dont les caractéristiques et les enjeux doivent être clairement distingués. De 1945 à 1951, Giono se trouve dans une forme d’urgence : son statut de proscrit le pousse à redoubler d’efforts afin de réintégrer le champ littéraire. Dès sa sortie de prison, il entreprend de construire une grande œuvre romanesque susceptible d’accomplir le renouvellement que paraît exiger sa destitution et de lui faire regagner son statut. Il conviendra de retracer la genèse de cette œuvre et de cette identité auctoriale nouvelles, de rappeler les conditions de leur invention et de leur diffusion, mais aussi d’étudier leur réception. Observer l’accueil que le public réserve aux nouveaux romans de Giono permettra de rendre compte du processus de réintégration de l’auteur, inséparable de la réinvention de sa figure et de la célébration de sa « renaissance ».

Après le succès du Hussard sur le toit, grâce auquel Giono retrouve sa stature d’avant-guerre, le régime d’écriture et la posture de l’auteur évoluent, s’adaptant à des enjeux nouveaux. Nous soulignerons la décélération, voire l’essoufflement de l’écriture romanesque au cours des années 1950, qui s’accompagne d’un travail plus important de gestion : tout en confirmant son identité auctoriale nouvelle, Giono tente de contrer la menace d’éclatement qui pèse sur sa figure et sur son œuvre et profite de sa seconde consécration pour se réapproprier son image, présente ou passée. Nous nous tournerons enfin à nouveau du côté de la réception, afin de mesurer l’évolution du discours de la critique et d’interroger en particulier le devenir du mythe de la renaissance gionienne.