Conclusion de la deuxième partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Renaissance de Giono. La reconstruction de l’auteur après la Seconde Guerre mondiale
- Pages : 561 à 562
- Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 121
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406159063
- ISBN : 978-2-406-15906-3
- ISSN : 2260-7498
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15906-3.p.0561
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/01/2024
- Langue : Français
Conclusion
de la deuxième partie
Dans Giono : l’humeur belle, Jacques Chabot, s’inspirant de l’analyse des Ménines de Vélasquez que propose Michel Foucault dans Les Mots et les choses, décrit le roman des Âmes fortes comme une façon pour Giono de se représenter sans jamais coïncider tout à fait avec l’image projetée, dans un jeu de « cache-cache avec soi-même » : « car [l’écrivain] ne produit pas son image en reflet, il se produit en kaléidoscope, en beauté d’autant plus chatoyante qu’elle est éclatée, fragmentée1 ». Cette réflexion éclaire bien, à notre sens, la quête identitaire que Giono engage dans son œuvre tout entière, et non seulement dans Les Âmes fortes : à travers l’écriture, Giono se construit des personnages avec lesquels il ne se confond jamais entièrement. Si certains de ces personnages correspondent peu ou prou à des Moi passés ou présents, d’autres renvoient à des Moi futurs, d’autres encore à des Moi possibles, craints ou désirés, qui resteront toujours de l’ordre du fantasme. Jusqu’à quel point Giono a-t-il coïncidé avec la figure de l’observateur désabusé des passions humaines, ou encore avec celle, proche et en même temps distincte, du cynique s’étant totalement détaché de ses semblables ? Ces questions sont insolubles pour le lecteur comme, sans doute, pour l’auteur lui-même, tant leur tentative de séparer un Moi « profond », « authentique », de ses mises en scène fantasmatiques, paraît vaine. La construction de l’identité auctoriale repose fondamentalement sur un processus de fictionnalisation de soi, non seulement dans l’œuvre romanesque, mais aussi dans les formes de discours qui comportent a priori le moins de médiations entre la personne de l’auteur et le « je » qui s’exprime. Sous des modalités diverses, Giono se forge de multiples figures auctoriales – le simple conteur d’histoires, l’ermite de Manosque, le contempteur des temps modernes, l’égoïste heureux, 562l’anthropologue, l’héritier de Don Quichotte. Il expérimente ainsi une refonte de son auctorialité au travers de laquelle il invente des réponses plurielles à la crise, elle-même pluridimensionnelle, traversée au tournant de la guerre.
1 Jacques Chabot, Giono : l’humeur belle, op. cit., p. 244-245.