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Classiques Garnier

Avant-propos George Sand agrégée

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Relire Mauprat
  • Auteurs : Bercegol (Fabienne), Philippot (Didier), Reverzy (Éléonore)
  • Pages : 7 à 16
  • Collection : Rencontres, n° 497
  • Série : Études dix-neuviémistes, n° 56
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406113089
  • ISBN : 978-2-406-11308-9
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11308-9.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/12/2020
  • Langue : Français
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AVANT-PROPOS

George Sand agrégée

Banale, pour dautres écrivains régulièrement distingués par linstitution universitaire, linscription dun roman au programme de lagrégation dans le cas de George Sand fait événement et vaut avènement. Cest en effet la première fois que George Sand a droit à cet honneur. On y verra le geste symbolique dune canonisation académique, dont témoigne également la publication récente dune sélection de romans dans la Bibliothèque de la Pléiade1.

Pourquoi une entrée aussi tardive dans le canon officiel ? Comment expliquer que lœuvre de Sand ait été en grande partie éclipsée, ou reléguée dans les rayons inférieurs au mieux de la para-littérature pour la jeunesse, au pire de la « littérature bourgeoise » du Second Empire ? Les manuels scolaires sont éloquents : la place de celle qui publia soixante-dix romans, traversa les grandes crises du siècle, que les hommes de février 1848 appelèrent à eux, lautrice dHistoire de ma vie, presque unanimement saluée y compris et surtout par ses détracteurs (les Goncourt2 notamment), y est restreinte aux romans champêtres, ces Veillées du chanvreur qui permirent une partielle canonisation de Sand sous la Troisième République, au moment de « la fin des terroirs3 ».

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Comme le rappelle Françoise Van Rossum-Guyon4, il faut garder à lesprit que la romancière, bientôt brocardée et caricaturée comme lincarnation exemplaire des bas-bleus littéraires honnis, exposée à la verve féroce dun Baudelaire5 ou dun Barbey dAurevilly6, nen a pas moins fait lobjet dune reconnaissance immédiate par ses contemporains, au premier chef comme lautrice dIndiana et de Lélia (1833) : si les romans de 1830 ont été supplantés, dans la faveur collective, par les romans champêtres à partir de la fin du xixe siècle, cest bien comme historienne des mœurs modernes dans ses fictions et comme émule de Balzac, quelle est acceptée et reconnue dès son premier grand succès littéraire signé de son pseudonyme, Indiana, en 1832. Reconnaissance dont témoigne le jugement rétrospectif élogieux de Taine en 1872 : « Nous avons été réalistes à outrance []. Des deux grands créateurs en fait de nature humaine, Balzac et vous, cest Balzac que nous avons suivi7. » Cet éloge à lheure tardive du bilan contient à la fois un « repentir » (« Nous avons 9été réalistes à outrance ») et un appel – à revenir à la vocation « idéaliste » de la littérature, dont lui-même souhaite le retour. La réponse que George Sand lui adresse le 5 avril 1872 témoigne dans linquiétude dune profonde perception des enjeux. Après avoir avoué ses doutes sur son « pouvoir dexprimer [s]on idéal comme [elle] le sen[t] » et avoir affirmé quelle avait « toujours cru que lart et la conscience cétait la même chose », elle poursuit :

Et puis létrange révolution, je devrais dire la réaction littéraire qui a succédé au romantisme ma fait douter aussi parfois de la bonté de mes moyens pour en combattre le déchaînement excessif. Je trouvais que cette recherche du vrai positif avait du bon, du très bon ; quelle nous débarrassait de labus de là peu près en philosophie et en littérature. Je préférais une phase dathéisme en toutes choses à linvasion du catholicisme hypocrite et bigot. [Mais on est allé trop loin dans ce sens]. Et voilà ces bons esprits dont vous me parlez [] qui ne savent où se prendre entre le merveilleux et le réel. Ils voudraient le vrai. Le vrai est-il beau ou laid ? That is the question. Moi, je crois que le laid est transitoire, le beau éternel8.

Mais léloge de Taine nen fait que mieux sentir par contraste la position en porte à faux de George Sand romancière, son étrange « déphasage » après le tournant positiviste des années 1850 – sans doute en partie imputable à lorientation téléologique de lhistoire littéraire vers le triomphe de la formule réaliste et naturaliste du roman, et vers lidentification abusive du roman au seul roman dit « réaliste ». Larticle nécrologique que consacre Zola à la romancière en 1876 vaut condamnation et profère comme définitivement léviction dun modèle romanesque, dont les descendants – Cherbuliez, Feuillet – poursuivraient inlassablement, auprès de lectrices adeptes de « lectures héroïques », la même entreprise fallacieuse. Certes, Zola fait de Sand et de Balzac les deux figures de proue du début du xixe siècle quont suivies les romanciers, mais il précise :

Ils mapparaissent comme les deux types distincts qui ont engendré tous les romanciers daujourdhui. De leurs poitrines ouvertes coulent deux fleuves, le fleuve du vrai, le fleuve du rêve. [] G. Sand est donc le rêve, une peinture de la vie humaine, non pas telle que lauteur la observée, mais telle quil voudrait avoir la puissance de la créer []. Balzac est le vrai, au contraire. [] Balzac et G. Sand, voilà les deux faces du problème, les deux éléments qui se disputent lintelligence de tous nos jeunes écrivains, la voie du naturalisme 10exact dans ses analyses et ses peintures, la voie de lidéalisme prêchant et consolant les lecteurs par les mensonges de limagination9.

Cette antithèse mythique (« le fleuve du vrai, le fleuve du rêve ») vise à travers George Sand lhéritage du romantisme – héritage que Zola nest si soucieux de conjurer que parce quil ne sen sait pas indemne lui-même10.

le roman romanesque :
romance et novel

Pour mieux apprécier lœuvre de George Sand, sans doute convient-il de se défaire dun certain nombre de clichés véhiculés par lhistoire littéraire et de corriger lorientation qui lui a été donnée, et qui reste pour une très large part accréditée. Cest ce quont fait, chacun à sa manière, Albert Thibaudet, Northrop Frye, Thomas Pavel, dans leur réflexion sur le roman, en inscrivant celui-ci dans une histoire longue qui remonte, non pas seulement à Don Quichotte, mais à la tradition des romans grecs. Cest du reste autour de la notion didéalisme, de la mise en scène dun idéal de perfection morale, que Thomas Pavel situe la pensée du roman : lhistoire du roman lui apparaît comme « un long débat axiologique » jamais résolu, et jamais interrompu ; le roman moderne, depuis le xviiie siècle, na rejeté quen partie « lancienne tendance idéalisatrice », il la reprise et continuée « dans lespoir de trouver au sein du monde empirique une place plausible pour la manifestation de lidéal11 ». En ce sens, « lidéalisme » reste la constante du roman, il soppose moins au réalisme quau scepticisme moral ; le réalisme nest pas anti-idéaliste, il constitue une étape dans lévolution du genre vers 11« lenchantement de lintériorité12  » (lintériorisation de lidéal avec La Nouvelle Héloïse notamment) et « la naturalisation de lidéal13 ».

Thomas Pavel avait été précédé dans cette réflexion ouverte sur le genre romanesque par Albert Thibaudet et Northrop Frye, qui tous deux mettent laccent, non sur lidéalisme (même sils admettent lidéalisation comme un critère définitoire), mais sur la catégorie (trans-générique) du romanesque, sur sa tradition, sa pérennité, sa continuation jusque dans le roman dit « réaliste », sous une forme renouvelée, adaptée et ironique14. Lun des grands mérites de leur approche du roman est de refuser les dichotomies tranchées (romanesque vs réalisme) et de leur préférer les modulations ou les dosages variables entre composantes ou tendances en apparence contraires. Le romanesque devient alors ce que Northrop Frye désigne comme un mode15, un ensemble dinvariants qui traversent les genres en même temps quune esthétique qui suppose une poétique – leuphémisation en est une des clefs, mais non la seule, les forces dÉros y sont motrices, linattendu et la surprise y figurent les aléas de lexistence, la femme, pour citer Albert Thibaudet, y « existe » et « le monde tourne autour delle16 ». Ainsi défini non par des critères formels mais par une topique éternelle (lamour et laventure), le romanesque renvoie à un enjeu à fois littéraire et existentiel : littéraire (une logique de linvention), existentiel (les transactions nécessaires de limagination avec la réalité). Ce faisant, Northrop Frye et Albert Thibaudet sinscrivent dans le droit fil de la tradition anglaise, qui distingue, comme le fait Walter Scott, volontiers cité par Balzac et par Sand, entre deux notions, le romance, qui renvoie au romanesque éternel et au merveilleux, et le 12novel, qui ne fait pas disparaître entièrement le romanesque mais opère sa transposition ironique, parodique, dans et par le roman moderne.

Cette approche permet déclairer la manière dont George Sand envisage le roman, le sens du roman pour elle, lequel implique à la fois une logique de linvention – comme le prouverait lexemple de Corambé, à la fois vecteur, personnage et incarnation de la « vie poétique », indissociable de la « vie morale17 » – et un très fort engagement moral et existentiel. Pour elle, le romanesque se confond avec un « penchant », une pente de la rêverie et du moi, « un appétit du beau idéal18 ». Or ce besoin didéal (amoureux, moral, social, religieux) quelle ne cesse de proclamer sous-tend lélan de linvention et sa réalisation formelle. « Pour être romancière », ne faut-il pas, prétend-elle encore, « être romanesque19 » ? Nest-elle pas persuadée que « chacun veut trouver dans un roman une sorte didéal de la vie20 » ? Autant de formules décisives qui définissent un éthos littéraire (celui de lauteur) et une éthique du roman – comme mise en forme, et mise en œuvre, dun idéal de vie, dun « modèle21 » offert au lecteur et poursuivi par le personnage.

Jugée périmée à laune du roman réaliste et naturaliste, cette adhésion de George Sand au roman romanesque, à ce fonds immémorial du romance dont Mauprat soffre comme un compendium exemplaire, a eu de plus en plus de mal à être acceptée. Cest pourtant ainsi que Friedrich Schlegel définissait le roman en songeant, au même titre que George Sand, à lhéritage de la courtoisie et de la chevalerie, à lArioste et au Tasse. Dans sa Lettre sur le roman, il définit le roman comme « un livre 13romantique », et peut-être comme le livre romantique par excellence, renvoyant à lorigine romane du terme, dans une confusion entre romanesque et romantique quautorisent également lallemand et langlais : « Cest là que je cherche et que je trouve le romantisme, chez les premiers Modernes, dans Shakespeare, Cervantès, dans la poésie italienne, dans cette époque des chevaliers, de lamour et des contes, doù provient la chose et le mot lui-même22 ». Cest aussi dans cette perspective quil faut comprendre la préférence de Sand pour le romanesque23 – laquelle, faut-il corriger aussitôt, nest nullement exclusive de toute préoccupation sociale, politique ou historique, même si, conformément aux lois du « roman historique » depuis La Princesse de Clèves, cest le roman, le romanesque, qui occupe le premier plan. Les deux aspects (romanesque et historique) ne sexcluent donc pas – ce que se chargent dillustrer les études rassemblées ici. Elles montrent également combien ce fonds romanesque sest révélé propice à une ethnopoétique ici centrée sur lexamen des rapports de lhomme à lanimalité.

La poÉtique de lapologue

Lire Mauprat, cest aussi accepter la fonction didactique attachée à la littérature, sa dimension figurative essentielle, chargée darticuler le romanesque et lhistoire dans un itinéraire, celui dune éducation, qui conduit, grosso modo, de lobscurantisme féodal aux Lumières, non sans rechutes ni défaillances difficilement surmontables. Lomniprésence des Lumières et de la philosophie dans ce roman évoque, par le biais dune prophétie rétrospective (post eventum), le passage dune époque (lAncien Régime) à une autre (la société postrévolutionnaire) – une période de transition entre deux mondes et entre deux âges conformément à la poétique de lhistoire dun Walter Scott.

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Lintérêt de Mauprat est de ce point de vue dillustrer lévolution de George Sand de ce que Isabelle Hoog Naginski a appelé son « romantisme bleu », période au cours de laquelle la quête individuelle de lidéal se solde par léchec et la désillusion (Lélia, et encore Spiridion en 1839), à un « romantisme rouge » caractérisé, à partir de 1840, par linscription de lidéal, désormais recherché de façon collective, dans une perspective sociale et politique : la notion didéal « désigne dorénavant une société perfectionnée qui avance vers une meilleure organisation du travail et des ressources, une société qui se base sur de nouvelles valeurs dégalité entre les sexes et les classes, sur la liberté de pensée et dexpression, et sur la fraternité entre les êtres24 ». Pour faire advenir cette société espérée, George Sand continue donc de miser sur les ressources propres du roman, sur lattrait de son imaginaire, sur « le don démouvoir » dont Germaine de Staël avait bien vu quil était « la grande puissance des fictions25 ». En sen remettant à lefficacité polémique du romanesque, à la dimension critique que contient lutopie quil déploie, elle met en avant la « teneur révolutionnaire » de lhistoire romanesque que Northrop Frye nhésite pas à opposer à l« élément résolument conservateur » qui reste « au cœur du réalisme » et de son « acception de la société sous sa forme présente26 ».

Aussi convient-il, à la lecture de Mauprat, déviter deux écueils symétriques.

Ne pas prendre au sérieux la fonction exemplaire et éthique du roman. La confession de Bernard octogénaire est portée par une interrogation philosophique (« un problème philosophique », 37) sur la perfectibilité individuelle, et peut-être aussi collective, quest chargée de rappeler la leçon finale, ajoutée en 1851. Il sagit pour Bernard de raconter prioritairement « [son] histoire morale et philosophique » (219), quitte à rejeter à larrière-plan allusif du roman des pans entiers de lhistoire. Mauprat est une fable exemplaire et qui le dit. La situation même du conteur et de lauditeur, la veillée tout comme le sujet de lhistoire (la transformation dun « loup » en homme), relèvent de cet affichage éthique fort du 15roman sandien. Le lecteur est appelé à écouter lhistoire de Bernard et à en tirer une leçon. La dimension parabolique du roman, qui raconte un apprentissage singulier parallèle à celui dune société en marche vers le changement et retrace un cheminement intérieur en même temps quune transformation collective, est capitale, à une époque où Sand, dans les Lettres à Marcie, affirme sa « foi en la puissance des exemples27 ». Elle qui croit, comme Michelet et Leroux, au symbole, à la fois comme signe dun engagement et comme dualité (forme et sens)28, est toujours en quête dune communauté, dun accord ; elle cherche à inscrire un lien, dont Nicole Mozet a bien montré le caractère central, et pour ainsi dire originel, dans toute lœuvre sandienne29.

La prendre trop au sérieux, en sen tenant à la thèse apparente, au risque de raboter les aspérités de lœuvre, de réduire les dissonances et les failles perceptibles, dignorer lhybridité dun roman travaillé souterrainement par de très fortes tensions qui ne semblent pas entièrement résorbées par le schéma optimiste et consolant de la perfectibilité. Notamment parce que, à linstar de linstabilité rémanente de Bernard, sujet à des retours de violence intérieure, le discours de la maîtrise est sans doute en partie suspect dans Mauprat, comme le suggère larticle dYvette Bozon-Scalzitti, invitant à une lecture « latérale » du roman, sensible à la violence de ses ébullitions volcaniques30. Et que dire des valeurs aristocratiques (orgueil du nom, courtoisie, loyauté, honneur, etc.) portées par le romanesque31 qui continuent de guider les personnages principaux, au risque de troubler leur ralliement à lidéal républicain dégalité et de remettre en cause la lecture démocratique de Mauprat ?

Un des enjeux centraux de Mauprat – comme y insiste un certain nombre détudes regroupées dans ce volume – nest autre que le rapport de la sauvagerie et de la civilisation, des passions et du « devoir », des 16passions et de la politesse ou de leur polissage, quon peut envisager de diverses façons à la lumière (aux Lumières) du roman, mais aussi dune écriture de lhistoire à distance ou en creux, tapie dans lintériorité des personnages. Le roman visible demande à être complété par une manière de roman invisible, de sous-texte allégorique, dont le modèle pourrait nous être fourni par la lettre sanglante aux passages mutilés, et qui, daveu passionnel (332-333), se fait pièce à conviction accusatrice au moment du procès (381) ? Le roman, qui multiplie les épisodes de vertige, de malaise, de fièvre hallucinatoire ou onirique, évolue vers des moments de crise (au sens médical et théâtral du terme) qui dévoilent son fond sublime (la violence de lÉros), difficilement réductible : moments de crise cathartique, que sont laccident de chasse éminemment romanesque et la confession publique du procès où la vérité la plus intime sexpose dans la lumière suprême de la Justice. Au cœur du roman, il y aurait ainsi la violence du désir redoutée, contrainte, éduquée, secrètement souhaitée, et, à travers le portrait à demi-galant dEdmée en Sphinx impassible et cruel, le mystère féminin difficilement pénétrable.

Fabienne Bercegol,
Didier Philippot,
et Éléonore Reverzy

1 George Sand, Romans, éd. José-Luis Diaz, avec la collaboration de Brigitte Diaz (t. I et II) et dOlivier Bara (t. II), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2019.

2 « Nous étions, surtout lun de nous, assez injustes pour le talent de Mme Sand. Nous avons lu les 20 volumes de lHistoire de ma vie. Au milieu du fatras dune publication de spéculation, il y a dadmirables tableaux, des renseignements sans prix sur la formation dune imagination décrivain, des portraits de caractères saisissants, des scènes simplement dites, comme la mort dix-huitième siècle de sa grand-mère, et son héroïsme douillet, la mort de Parisienne de sa mère, qui arrachent ladmiration et les larmes ! Cest un grand document, malheureusement délayé, de psychologie et danalyse où le talent de Mme Sand, dans le vrai, lobservation des autres et delle-même, sa mémoire qui peint, étonne et surprend. » (Journal des Goncourt, éd. de Jean-Louis Cabanès, Paris, Champion, 2019, t. IV, p. 444-445).

3 On renverra à ce propos à larticle de Naomi Schor : « Idealism in the Novel : Recanonizing Sand », publié dans Yale studies en 1988 (no 75, p. 56-73) et traduit par Marie Baudry dans le volume George Sand et lidéal, Damien Zanone (dir.), Paris, Champion, 2017, p. 427-447.

4 Françoise Van Rossum-Guyon, « Puissances du roman : George Sand », Romantisme, no 85, 1994, p. 79-92.

5 Voir par exemple, Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, no 26 : « La femme Sand est le Prudhomme de limmoralité. Elle a toujours été moraliste. [] Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a [la morale] dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues » ; et no 27 : « [] Voyez George Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre chose, une grosse bête ; mais elle est possédée. Cest le Diable qui lui a persuadé de se fier à son bon cœur et à son bon sens, afin quelle persuadât toutes les autres grosses bêtes de se fier à leur bon cœur et à leur bon sens. Je ne puis penser à cette stupide créature sans un certain frémissement dhorreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais mempêcher de lui jeter un bénitier à la tête. » (éd. André Guyaux, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1975, 1976 et 1986, p. 99-100).

6 Dans « Mme George Sand jugée par elle-même » (texte quil écrit à loccasion de la publication des Souvenirs et impressions littéraires en 1862), Barbey fustige la romancière pour l« abondance » et la « facilité » de son inspiration, sa naïveté, son manque doriginalité qui lui vaut « laffreuse fortune de plaire à tous les publics ». Il sacharne contre « cette femme qui neût pour tout génie dinvention que dêtre mal mariée, bohème et démocrate, et qui na jamais que ces trois sources dinspiration : le mauvais ménage, le cabotinisme et la mésalliance, par haine du noble et amour de louvrier ». Voir Les Bas-bleus, éd. Pascale Auraix-Jonchière, dans Œuvre critique, éd. Pierre Glaudes et Catherine Mayaux, Paris, Les Belles Lettres, 2006, p. 79-92.

7 Cité par Georges Lubin dans George Sand, Correspondance (avril 1872-mars 1874), éd. George Lubin, Paris, Classiques Garnier, 2019, t. XXIII, p. 12, n. 1. Notons que, dès 1865, dans sa Philosophie de lart, Taine avait célébré le principe de bienfaisance du caractère – la générosité native – dans les romans de Sand, dont Mauprat.

8 George Sand, Correspondance, éd. citée, t. XXIII, p. 12-13.

9 Émile Zola, « George Sand », Le Messager de lEurope, juillet 1876 (article repris dans Documents littéraires, 1881), dans Henri Mitterand (éd.), Écrits sur le roman, Paris, Librairie générale française, coll. « Le Livre de poche », 2004, p. 168.

10 Les enjeux de la dichotomie dans laquelle lhistoire littéraire a enfermé lœuvre de George Sand ont été très bien résumés par Damien Zanone dans la notice « Idéalisme/Réalisme » du Dictionnaire George Sand, Simone Bernard-Griffiths et Pascale Auraix-Jonchière (dir.), Paris, Champion, 2015, t. I, p. 543-551.

11 Thomas Pavel, La Pensée du roman, Paris, Gallimard, 2003, p. 12.

12 Titre de la IIe partie, ibid.

13 Titre de la IIIe partie, ibid.

14 Cette réflexion a été poursuivie par les contributeurs du volume Le Romanesque, Gilles Declercq et Michel Murat (dir.), Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004. Alain Schaffner conclut larticle quil y donne (« Le romanesque : idéal du roman ? ») en soulignant lui aussi cette permanence du romanesque jusque dans sa contestation : « Depuis Cervantès, le romanesque est donc devenu une sorte didéal paradoxal du roman : il en est à la fois le paradis perdu et le repoussoir » (p. 282).

15 Voir Anatomie de la critique[1957], Paris, Gallimard, 1969 (trad. fr.), LÉcriture profane. Essai sur la structure romanesque [1976], Paris, Circé, coll. « Bibliothèque critique », 1998.

16 Albert Thibaudet note dans ses Réflexions sur le roman : « un roman en français, cest où il y a de lamour » et il ajoute : « Le roman, cest le genre où la femme existe, où le monde tourne autour delle, où lon se passionne pour ou contre elle. » (Réflexions sur le roman, Paris, Gallimard, 1938, p. 73 et 246).

17 Voir George Sand, Histoire de ma vie, éd. Martine Reid, Paris, Gallimard, « Quarto », 2004, IIIe partie, chap. viii, p. 812 sq. Corambé est le nom que George Sand a donné (nom qui lui a été soufflé en rêve) au personnage du roman virtuel par lequel elle est entrée, enfant, dans le monde de la fiction. Dans la logique de linvention romanesque dont il constitue à la fois le centre et lemblème, se rejoignent les élans et les désirs de sa « vie poétique » et de sa « vie morale » (« religion et roman poussèrent de compagnie dans mon âme », ibid., p. 815).

18 Ibid., IIIe partie, chap. viii, p. 815.

19 George Sand, Monsieur Sylvestre[1864], Paris-Genève, Slatkine Reprints, coll. « Ressources », 1980, p. 17.

20 Cité par Damien Zanone, notice « Idéalisme/réalisme », op. cit., t. I, p. 550 (George Sand, Histoire de ma vie, éd. citée, IIe partie, chap. xv, p. 646).

21 Bernard Pingaud est revenu sur cette mission assignée au roman, qui se combine plus quelle ne soppose à lambition de se faire le « miroir » de la réalité, dans les pages suggestives de son essai La Bonne aventure. Essai sur la « vraie vie », le romanesque et le roman, Paris, Seuil, 2007 (chap. iii notamment).

22 Friedrich Schlegel, Lettre sur le roman, dans Entretien sur la poésie, texte recueilli dans LAbsolu littéraire, Ph. Lacoue-Labarthe et J.L. Nancy (dir.), Paris, Le Seuil, 1978, p. 327.

23 Avouée par exemple dans Impressions et souvenirs en 1873 : « Jai toujours eu pour opinion que, dans un sens ou dans lautre, événements ou sentiments, un roman devait être avant tout romanesque. »

24 Isabelle Hoog Naginski, « Lidéal sandien dans tous ses états : la rêverie, la quête, la figuration », dans George Sand et lidéal, Damien Zanone (dir.), Paris, Champion, 2017, p. 26 et p. 29.

25 Germaine de Staël, Essai sur les fictions, dans Œuvres de jeunesse, éd. Simone Balayé et John Isbell, Paris, Desjonquères, 1997, p. 150.

26 Northrop Frye, LÉcriture profane, op. cit., p. 170-171.

27 George Sand, Lettres à Marcie[1837], deuxième lettre, dans Les Sept Cordes de la lyre, Paris, Michel Lévy frères, 1869, p. 181.

28 Voir à ce propos Michèle Hecquet : « Contrats et symboles. Essai sur lidéalisme de George Sand », dans George Sand une œuvre multiforme. Recherches nouvelles II, Françoise Van Rossum-Guyon (dir.), CRIN 24, 1991, p. 29-41, p. 32.

29 En particulier dans George Sand écrivain de romans, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 1997.

30 Yvette Bozon-Scalzitti, « Mauprat ou la Belle et la Bête », Nineteenth-Century French Studies, vol. 10, no 1/2, Fall-Winter 1981-1982, p. 1-16.

31 Sur les affinités du romanesque avec la morale aristocratique, voir Northrop Frye, LÉcriture profane, op. cit., p. 167 sq.