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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Relire La Fortune des Rougon
  • Auteurs : Glaudes (Pierre), Pagès (Alain)
  • Pages : 7 à 9
  • Collection : Rencontres, n° 150
  • Série : Études dix-neuviémistes, n° 31
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812460388
  • ISBN : 978-2-8124-6038-8
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-6038-8.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 06/12/2015
  • Langue : Français
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Avant-propos

En choisissant de mettre La Fortune des Rougon au programme de lagrégation des lettres, en 2015-2016, linstitution universitaire consacre lauteur des Rougon-Macquart pour la troisième fois depuis 1954. Cette année-là, cest Germinal qui avait été proposé aux agrégatifs. Une trentaine dannées plus tard, en 1987, le choix sest porté sur La Curée. Trois fois seulement sur une période de soixante ans, cest bien peu, dira-t-on, surtout si lon compare ce score à celui, beaucoup plus flatteur, quont obtenu, par exemple, les œuvres de Baudelaire ou de Hugo. Mais un tel jugement doit être nuancé quand on observe que LAssommoir, puis Nana ont été mis successivement au programme du concours en 1993-1994 et en 2009-2010 par lintermédiaire des questions de littérature comparée. En 1993, on demandait aux agrégatifs de sinterroger sur « le roman naturaliste » à partir dun corpus qui comprenait LAssommoir, Les Malavoglia de Giovanni Verga et Les Buddenbrook de Thomas Mann ; et en 2009, on leur demandait de réfléchir aux « destinées féminines dans le contexte du naturalisme européen » à partir de Nana, de Tess dUrberville de Thomas Hardy et de Effi Briest de Theodor Fontane.

Les questions de littérature comparée des années 1993-1994 et 2009-2010 mettaient laccent sur la notion de naturalisme, définie au sein de lespace européen. En 2015, le programme de lagrégation saffranchit de ce cadre. Il se borne à désigner un auteur, Émile Zola, et une œuvre qui lui est associée, La Fortune des Rougon. Il invite les candidats à lire dabord un texte, à réfléchir à sa situation dans lhistoire littéraire et à sinterroger sur ses interprétations possibles. Après avoir retenu La Curée, en 1987, il nous conduit à porter notre regard, non pas sur le pôle naturaliste de lœuvre zolienne (qui serait représenté par LAssommoir et Nana), mais sur les frontières du cycle, marquées par le roman inaugural, dont la fonction est de tracer un panorama densemble, et par lépisode qui lui a succédé, dont le rôle est douvrir la dynamique de la

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série en commençant à distribuer les personnages dans lespace social du Second Empire.

Il faut relire avec attention La Fortune des Rougon, œuvre introductrice plus complexe quil ny paraît au premier abord. On y découvre un romancier jeune encore, déjà maître de son esthétique, ayant délimité la place quil souhaite occuper à la suite de ses prédécesseurs – Balzac, Hugo, Flaubert ou les frères Goncourt –, mais donnant parfois limpression de tâtonner, sessayant à différentes formules possibles, qui vont du roman historique à la satire, de lépopée au lyrisme. La méthode du dossier préparatoire demeure encore flottante : comme on le sait, elle ne se mettra vraiment en place que quelques années plus tard1.

La Fortune des Rougon surgit à laube de la IIIe République, au moment où sécroule le Second Empire, dans le désastre de Sedan et la tragédie de la Commune. Le roman apparaît comme une œuvre charnière, partagée entre un avant et un après, portée par un imaginaire narratif qui sefforce dinventer un monde pour restituer les drames qui viennent de se dérouler. Cest ce mouvement créateur quentendent souligner les trois sections de ce volume. La première partie fait le point sur les sources et les influences : elle analyse le dossier préparatoire, revient sur le roman grec de Longus, sinterroge sur la progression du cycle et sur les influences subies, celles de Balzac et de Hugo, notamment. La deuxième partie entre dans la logique narrative de La Fortune des Rougon : elle étudie la fonction inaugurale du premier chapitre (« partition douverture », comme lécrit Henri Mitterand), la figure du narrateur, le regard du personnage à sa fenêtre, les retournements de lintrigue, les nécessités du romanesque, la « fortune » du récit ou la « fabrique » du héros… Quant à la troisième partie, elle pose la question de lécriture de lHistoire, en analysant la représentation de lespace politique et social : le jeu entre le « naturel » et le « social », le thème de la guerre, la vision qui est donnée de la lutte des républicains insurgés – image sanglante sur laquelle se greffe, pour le lecteur de 1871, une évocation indirecte des morts de la Commune.

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En livrant cet ouvrage au public, nous souhaitons rendre hommage à la mémoire de David Baguley (1940 – 2014). Ce dernier a été emporté par la maladie alors quil venait dachever une édition critique de La Fortune des Rougon qui a pu être publiée aux Classiques Garnier au début de cette année. Nous avons repris la bibliographie quil avait établie pour cette édition ; nous nous sommes contentés de lactualiser en ajoutant quelques références à des études parues ou à paraître en 2015.

Dans les articles qui suivent lédition de référence est celle de la collection « Folio classique2 » : les numéros de pages indiqués entre parenthèses, à la suite des citations, renvoient au texte de cette édition.

Pierre Glaudes et Alain Pagès

1 Le manuscrit des notes préparatoires aux Rougon-Macquart et le dossier de La Fortune des Rougon ont été publiés, avec une transcription linéaire, par Colette Becker dans le premier tome de La Fabrique des Rougon-Macquart (Paris, Honoré Champion, 2003). Numérisés par la BnF, ils sont également accessibles en ligne. On peut y avoir accès grâce au site des Archives zoliennes (www.archives-zoliennes.fr) qui en propose une table des matières détaillée.

2 La Fortune des Rougon, préface de Maurice Agulhon, édition établie et annotée par Henri Mitterand, Paris, Gallimard, « Folio classique », 2014 [1981], 559 p.