Avertissement

Les Recueils poétiques de François Rasse des Neux offrent un miroir de l’actualité politique et religieuse des premières guerres civiles. Par leur diversité même, ils reflètent l’espace idéologique qu’ils traversent et interpellent par le biais de puissants réseaux de diffusion, dont on chercherait vainement ailleurs un semblable déploiement. Confronté à un corpus épigrammatique exceptionnellement riche, le lecteur est ainsi témoin d’une littérature de propagande pratiquée à grande échelle dans les milieux lettrés de l’époque. Rasse des Neux, collectionneur réformé, passionné de pasquils, est le passeur par excellence d’une production polémique sans commune mesure avec celle des décennies précédentes. Ses Recueils nous plongent au cœur de cercles de production poétique très actifs, pour lesquels la littérature pasquillaire est au service d’une sociabilité intellectuelle engagée dans les luttes partisanes du siècle.

Les manuscrits que le chirurgien parisien a confectionnés tout au long de sa vie posent, de fait, une série de difficultés qu’il serait vain de vouloir dissimuler. Parmi elles, celle d’une masse pasquillaire entièrement inédite, à l’exception de quelques fragments ponctuels qui ne rendent pas compte de l’immense massif disponible.

La présente édition ne prétend évidemment pas combler une telle lacune, soit l’équivalent de milliers d’épigrammes dont la publication dépasserait nos forces. Plus simplement, le choix qui s’est porté sur le Ms fr 22565 de la Bibliothèque nationale de France a été motivé par le désir d’éditer un manuscrit qui, du point de vue chronologique et thématique, est représentatif des aspects les plus caractéristiques de la collection rassienne. Choix renforcé par notre intérêt pour le Journal du règne de Henri III de Pierre de L’Estoile, en raison des nombreux points de contact que les « ramas » réunis par le diariste parisien établissent avec l’album de Rasse. Inscrite dans la longue durée, l’interface pasquillaire des deux registres met opportunément à jour les évolutions formelles et thématiques que connaît la poésie militante des guerres de religion. 8Elle favorise aussi, à plus d’un titre, la perception de pratiques littéraires qui, replacées dans le contexte de leur création et de leur circulation, permettent d’apprécier et de légitimer le phénomène croissant qui s’empare de la polémique au sein de la poésie renaissante. À cet égard, le Recueil 22565 témoigne de la dynamique d’une poésie conquérante qui dépasse, et de loin, le cadre restreint de simples pièces de circonstance, auxquelles on les a trop facilement réduites. Habent sua fata libelli ! De ce point de vue, le Recueil 22565 montre à quel point le rôle de Rasse des Neux est essentiel, non seulement comme passeur de pasquils, mais aussi comme poète insoupçonné qu’il sait être à l’occasion.

Nous voudrions exprimer ici notre gratitude à Christian Nicolas, notre collègue, dont la collaboration a été déterminante dans la réalisation de ce livre. Grâce à ses compétences et à sa particulière sagacité, la traduction et les commentaires des épigrammes néo-latines trouvent les nuances les plus subtiles appelées par une littérature pétrie de jeux verbaux et d’« oulipismes » divers.

Gilbert Schrenck