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Classiques Garnier

Établissement du texte

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Établissement du texte

Questions de langue

Les remarques qui suivent sadressent tant aux non-spécialistes quaux spécialistes de linguistique ou de philologie. Toute édition critique de textes anciens fait, obligatoirement, le point sur les faits de langue les plus notables que présente lobjet de lédition. Les remarques sur la langue du texte ou des textes édités ne constituent, bien entendu, quun aspect textuel entre autres, mais quels que soient les autres messages quapporte un vieux texte français, il est de par son existence porteur et témoin dun état de langue antérieur à celui, le nôtre, dont lappellation « français moderne » dénote (quon en soit conscient ou non) une longue et irrépressible évolution. Sans les travaux de linguistique historique, les textes anciens – ou « prémodernes » si on préfère – resteraient illisibles et incohérents pour les lecteurs daujourdhui qui disent ne sintéresser quà la littérature ou quà lhistoire. À ces lecteurs non-spécialistes de linguistique historique nous espérons réserver quelques bonnes surprises, et peut-être même en amener quelques-uns dentre eux, quelques-unes dentre elles, sinon à prendre goût aux recherches en diachronie, du moins à se découvrir une appréciation neuve ou renouvelée pour lépoustouflante complexité des mécanismes constitutifs de cet organisme grouillant de vitalité quest la langue, celle que nous parlons et écrivons et qui est – tout en nétant pas – la même que celle que nous lisons dans les textes de ce volume. Celui-ci sefforce donc de sadresser à un lectorat mixte dont nous imaginons la diversité un peu comme les cercles qui se rejoignent et se superposent partiellement à la manière dun diagramme de Venn ; en clair, ce volume sadresse, inclusivement,

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aux philologues et linguistes à qui les textes du théâtre ancien offrent de la langue parlée une image plus fidèle et plus vivace que ne font les textes proprement littéraires ; aux lecteurs de ce groupe nous devons un texte transcrit avec toute la fidélité possible pour que ne soit pas faussée dès le départ, par linexactitude des données, la recherche diachronique en phonologie et morphologie, syntaxe et lexique, voire en sémantique et pragmatique du discours théâtral. Ainsi toute correction et émendation, si petite soit-elle, est signalée et justifiée au besoin dans les Notes critiques et dans le relevé des « Corrections textuelles et leçons rejetées » ;

aux historiens (littérature, théâtre, institutions, idées, religions), public qui exige avant tout un texte lisible, et fourni de notes explicatives destinées à éclairer, développer et approfondir les idées du texte et les nuances de leur expression (doù nos commentaires accompagnant les notes critiques) ;

aux étudiants, et en particulier aux jeunes chercheurs et chercheuses qui nous succéderont en nous dépassant, ainsi quaux comédiens amateurs à qui nous devons de faciliter laccès à ces pièces pleines de verve, aux accents lointains et pourtant familiers ;

en dernier ou en premier lieu, à ce corps mystique de personnes désuètes ou en voie de désuétude que jadis on appelait « lecteurs cultivés » sans autre étiquetage spécialisant.

Sachant que nous ne pourrons pas satisfaire de façon égale et compréhensive tous les goûts et toutes les compétences, nous espérons obtenir du moins lindulgence des uns pour les exigences des autres.

Corrections et leçons rejetées

Nous avons respecté scrupuleusement la leçon du manuscrit partout où nous avons pu le faire, tout en corrigeant les erreurs manifestes (et en les signalant de la manière décrite plus haut), selon les conventions actuelles de lédition critique, nous interdisant de « corriger » inutilement le mètre dun vers en apparence « défectueux » que lorsquune telle correction soffre spontanément et comme naturellement, conforme aux habitudes de lauteur en question, pour remédier à un lapsus évident du copiste ou de lauteur. Toute intervention de ce genre sentoure naturellement de crochets, selon lusage. 

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Graphies modernes et ponctuation

Les consonnes j et v (i et u dans le manuscrit ou limprimé)sont rendues de la façon moderne. La ponctuation est la nôtre. Comme celle-ci détermine ou peut déterminer le cheminement de la pensée lisante (« décodage »), la ponctuation participe de la sémantique et de linterprétation dont léditeur doit assumer – ne pouvant léviter – une certaine responsabilité. Or si les points et les deux-points, les virgules et les point-virgule inscrits à lintérieur des vers doivent servent à articuler avec autant de clarté possible lexpression de la pensée, ils ne doivent pas, ce faisant, empêcher la bonne articulation de lexpression vocale de celle-ci (liaisons, enchaînements vocaliques, prononciation des « e muets » latents…)1.

Accentuation

Laccentuation est conforme à lusage moderne dans les cas suivants :

1. accent aigu : sajoute dans les terminaisons comportant –e final tonique dans des lexèmes pouvant prêter à confusion, que ce soit des substantifs (auctorité, pié[pied]) ou des formes verbales : participes passés (arrivé, touché, joué), futurs (je pourré, je verré), présents et impératifs (vous puissés, taisés, [tu]sçés, pesé-je) ;

2. accent grave : pour faciliter les recherches textuelles informatisées nous avons distingué a (forme verbale) de à (préposition) ; ou (conj., prép [= avec, en le]) de (pron., adv) ; la (art., pron.) de (adverbe) ;

3. accent circonflexe : pour différencier limparfait du subjonctif du passé simple (prît/prit ; fît/fit) ;

4. le tréma sajoute pour marquer la mesure du vers en séparant des combinaisons vocaliques pouvant former diphtongue en ancien et en moyen français (et pouvant par conséquent se scander en une syllabe) là où le compte des syllabes exige un débit dissyllabique. Se rappeler que -ee en ancien et en moyen français est toujours dissyllabique1.

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En passant du français moderne au moyen français, nous transcrivons, par exemple, Eglise et Anerie dans le texte de lédition des pièces où paraissent, en loccurrence, les personnages qui portent ces noms, mais Église et Ânerie partout ailleurs, selon les normes des Éditions Classiques Garnier2.

Segmentation

Au niveau des morphèmes, nous navons rien changé au texte, que si la lisibilité en dépend et quaucun principe important de linguistique historique nest en jeu. Ainsi nous transcrivons par exemple pourquoy pour ms pour quoy quand il sagit de ladverbe interrogatif, mais pour quoy pour le syntagme préposition + pronom. Les composés adjectivaux et adverbiaux du type tresgrand, tresbien nous transcrivons normalement en deux mots, très grand, très bien. Dautres composés rappelleront au lecteur moderne que la segmentation morphologique, vers 1530-1540, tout comme la graphie, est loin dêtre standardisée, et que toute normalisation abusive, dans ces conditions, serait arbitraire et anachronique.

1 Je me permets de reprendre ici un certain nombre dobservations que jai formulées pour des éditions précédemment parues dans le RGM, considérant que le labeur intellectuel, long et pénible, a sa place dans une économie de recyclage-réutilisation. Les lecteurs désireux dindications plus amples (mais simples, sur ce quil faut savoir du moyen français afin daborder aisément la lecture des textes de ce volume), sont invités à se reporter à « “Correction” et lisibilité : Comment lire le français dune époque où “il ny a pas dorthographe, il ny a que des graphies” », Recueil général des moralités dexpression française, t. 2, p. 154 sqq. ; cf. idem, t. 3, p. 25-32.

2 Ces normes ont guidé mes choix en ce qui concerne la forme et le format de lédition des textes, aussi bien que pour lélaboration de lappareil critique : Notes et commentaires, Glossaire, Index (Index des proverbes et locutions proverbiales, Index des noms). Comme ces derniers ont pu susciter des questions de la part de certains lecteurs des volumes précédents du Recueil général des moralités, il ma paru utile de signaler quen tant quéditeurs nous nous laissons guider par les protocoles de cette collection, nous ne les inventons pas.