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Classiques Garnier

[Le Nouveau Pathelin] Préface de l'éditeur

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PRÉFACE DE L’ÉDITEUR

Les historiens du théâtre ont à peine daigné citer le Nouveau Pathelin, comme s’ils avaient confondu cette farce avec celle de Maître Pierre Pathelin. Quelques-uns même, entre les plus savants et les plus exacts, n’en parlent seulement pas. Ainsi, n’en est-il pas question dans le Dictionnaire portatif historique et littéraire des théâtres ; par de Leris (2e édition, 1763, in-8), qui dit positivement que la grande farce de Maître Pierre Pathelin a été représentée à Paris sur l’échaffaud, en 1470, et que François Villon en est l’auteur.

Cependant Simon Gueulette, savant amateur de curiosités littéraires, avait fait réimprimer le Nouveau Pathelin (sans nom de lieu, 1748, in-12) comme un ouvrage presque inconnu de François Villon. « M. Coustelier, libraire dit-il en tête de cette nouvelle édition, qui semble n’avoir jamais été mise dans le commerce, fit réimprimer, on 1723, la Farce du Pathelin et son Testament. Apparemment qu’il n’avoit pu trouver le Nouveau Pathelin à trois personnages, sçavoir Pathelin, le Pelletier et le Prestre, puisqu’il n’en fit point part au public. Cette farce, que je lui présente aujourd’hui, n’est pas moins originale que celle du Testament : elles ne sont ni l’une ni l’autre du même auteur que celle de Pathelin avec le Drapier…

« Il y a plus de trente ans que j’avois copié, dans la bibliothèque des Petits-Pères de la place des Victoires, les deux farces de Pathelin et son Testament, sur une édition gothique sans date, avec des figures en bois, à la tête de chacune de ces trois pièces, au-dessus desquelles il y avoit seulement : On les vend à Paris en la rue Neuve-Nostre-Dame, à l’enseigne de saint Nicolas. Je prêtai, quelques années après, ce manuscrit, sur lequel j’avois mis mon nom, à une personne à qui il ne m’étoit pas permis de rien refuser ; après plusieurs remises pour me le rendre, 158on me dit qu’il étoit perdu. Je le crus de bonne foi, et comme j’avois mis beaucoup de temps à le transcrire, je ne jugeai point à propos de recommencer cet ouvrage ; je n’y pensois plus, lorsqu’il me fut rapporté, il y a quatre ans, sous enveloppe. Je ne fus pas aussi sensible a cette restitution que je l’aurois été avant l’édition de Coustelier, et j’aurois laissé encore longtemps ce manuscrit dans ma bibliothèque, sans les instances du libraire, qui, en m’engageant de lui communiquer la Farce de Pathelin et du Pelletier, qui est extrêmement rare, m’a prié d’y joindre des notes et quelques conjectures sur celui qui peut en être l’auteur. L’exemple de M. de Beauchamps m’a encouragé et m’a fait hasarder de dire que ce pourroit bien être à Villon à qui l’on auroit cette obligation.

« L’édition gothique sur laquelle j’ai copié cette farce étoit jointe aux œuvres de Villon, poëte françois de ce temps-là : même papier, même gravure en bois, à peu près même style, même impression, et même conformité d’une des friponneries de cet auteur avec la pièce de Pathelin et du Pelletier. »

L’édition gothique qui contient le Nouveau Pathelin n’était pas alors absolument introuvable, car, outre l’exemplaire de la bibliothèque des Petits-Pères, il en existait au moins deux, l’un dans la bibliothèque théâtrale de Pont de Vesle (et cet exemplaire y est resté, en quelque sorte, ignoré et oublié jusqu’à l’époque de la vente et de la dispersion de cette précieuse collection en 1847), et l’autre dans la bibliothèque de Delaleu. Voici comment cette édition est décrite en 1774 dans le Catalogue de Pont de Vesle : « N° 156. Maître Pierre Pathelin, le Testament et le Nouveau Pathelin. Paris, in-16 goth. » Dans le Catalogue de Delaleu, publié en 1775, la description de ce rare recueil semblerait annoncer une édition différente : « N° 532. Pathelin grand et petit, c’est-à-dire l’Ancien et le Nouveau, avec le Testament à quatre personnages en rime françoise Paris, sans date, in-16 goth. » C’est là une description de fantaisie, car M. Brunet nous apprend, dans son Manuel du libraire et de l’amateur, que l’exemplaire de Delaleu, qui fut vendu 19 fr. 19 s. (et non 15 fr., comme le prix est indiqué dans le Manuel), était de l’édition sans date, portant le nom de Jehan Bonfons. Cet exemplaire 159fut acheté par le duc de La Vallière ; mais les rédacteurs du premier Catalogue de l’immense bibliothèque de cet amateur éclairé de la littérature dramatique ont négligé d’y mentionner la présence du Nouveau Pathelin, qui ne fut vendu, à cause de cette omission, que 9 fr. 1 s., en 1788.

Un autre exemplaire de cette même édition, relié en maroquin bleu par Derome, est décrit, comme il le fallait, sous le no 666 du Catalogue Soleinne : « Maistre Pierre Pathelin, – le Testament de maistre Pierre Pathelin, – le Nouveau Pathelin, à trois personnages, c’est assavoir : Pathelin, le Pelletier et le Prestre (en vers, attribué à Villon). – Cy fine le grant Maistre Pierre Pathelin, à trois personnages. Ensemble Testament d’iceluy. Et après s’ensuyt un Nouveau Pathelin à trois personnages. Nouvellement imprime à Paris par Jehan Bonfons, demeurant en la rue Neufve-Nostre-Dame à l’enseigne Sainct-Nicolas, sans date, in-8 goth. de 80 ff. y compris le dernier où se trouve la marque du libraire, fig. s. b. » Cette édition serait postérieure à l’année 1548, si le libraire-éditeur Jean Bonfons est le même que celui dont la réception, dans la compagnie des libraires de Paris, est fixée à cette année-là dans le Catalogue chronologique de Lottin. Quoi qu’il en soit, il y a une autre édition des trois Farces de Pathelin, beaucoup plus ancienne que la précédente, également sans date et dont nous ne connaissons qu’un seul exemplaire, qui est à la bibliothèque de l’Arsenal. Voici, d’après le Manuel du libraire, la description de la partie qui contient le Nouveau Pathelin et qui forme une édition séparée : « Le Nouveau Pathelin, à troys personnages. C’est assavoir Pathelin, le Pelletier et le Prebstre. On les vend à Paris en la rue Neufve-Nostre-Dame, à l’enseigne Sainct-Nicolas, 24 ff. Sign. A. C. Au verso du dernier feuillet se voit la même vignette en bois qui est sur l’édition de G. Nyverd et qui représente Pathelin au lit. »

Il n’est donc pas étonnant, vu la rareté du Nouveau Pathelin, que cette farce soit restée à pou près inconnue.

D’ailleurs, la célébrité de la farce de Maître Pierre Pathelin avait absolument étouffé le souvenir de cette autre farce contemporaine, qui n’est, à vrai dire, qu’une imitation et un complément de la première, mais qui, pourtant, passerait aussi pour un chef-d’œuvre, si elle avait 160été seule conservée. Génin l’a jugée avec une incroyable légèreté. On pourrait presque croire qu’il ne l’avait pas lue ; car, malgré les lubies de son goût partial et systématique, il était homme à savoir apprécier les œuvres originales qui portent le cachet de l’esprit gaulois. Or le Nouveau Pathelin est une de ces œuvres où se reflète le mieux le génie de l’ancien théâtre des farces.

« Le Nouveau Pathelin est moins mauvais que le Testament de Pathelin, dit Génin (p. 73 de son édition monumentale) : il y a de l’esprit dans les détails. L’idée en est prise du second chapitre des Repues franches : « La manière comment ils eurent du poisson. » Tout le monde connaît cette industrieuse friponnerie de maître Villon s’en allant acheter une provision de marée et mettant le porte-panier aux prises avec le pénitencier de Nôtre-Dame, qui s’imagine avoir affaire à un fou et veut à toute force le confesser, tandis que l’autre réclame obstinément le prix de son poisson. Le quiproquo avait été préparé par Villon, qui s’esquive et court se régaler et rire avec ses amis aux dépens de l’une et de l’autre dupe :

C’estoit la mère nourricière

De ceulx qui n’avoient point d’argent ;

A tromper devant et derrière

Estoit un homme diligent.

« A Villon, substituez Pathelin ; au marchand de poisson, un Pelletier ; le personnage du Prêtre demeure comme dans le conte, et vous avez la farce du Nouveau Pathelin. La première partie en est copiée servilement sur l’Ancien Pathelin, moins le rôle de Guillemette qui disparaît ici. Le patelinage auprès du Pelletier pour emporter ses fourrures à crédit, est le même exactement qui avait escroqué son drap à Guillaume Jousseaume. Pathelin se forge de même une parenté avec sa victime ; il l’invite de même à dîner ; seulement, l’oie proverbiale est ici remplacée par une belle grosse anguille. Rien ne manque à l’imitation. que la verve et le trait de l’original. La scène de la confession, qui forme la seconde partie, pouvait être comique ; mais elle n’est qu’ennuyeuse à force de prolixité. Tout ce verbiage, d’ailleurs, ne la fait point avancer 161d’un pas ; c’est toujours la même chose. Cependant, à défaut d’autre mérite, l’auteur a celui d’une versification facile ; parfois, il rencontre un vers heureux, un mot fin et naïf. En un mot, le Nouveau Pathelin me semble très-inférieur au Testament de Pathelin. Il pourrait être, comme les Repues franches, l’ouvrage d’un disciple de Villon ; mais on n’y saurait reconnaître la main de Villon lui-même à qui Gueulette essaye de l’attribuer dans la préface de son édition du Nouveau Pathelin, donnée en 1748. Au surplus, Gueulette ne produit pas le moindre argument à l’appui de son hypothèse. »

Voici le chapitre des Repues franches, où l’on trouve, en effet, l’idée de la tromperie que Pathelin met en œuvre à l’égard du Pelletier :

la manière d’avoir du poisson.

Lors partit de ses compagnons

Et vint à la Poissonnerie,

Et les laissa de là les ponts

Quasi pleins de merencolie.

Il marchanda à chère lie,

Ung pannier tout plain de poisson,

Et sembloit, je vous certiffie,

Qu’il fust homme de grant façon.

Maistre Françoys fut diligent

D’achapter, non pas de payer,

Et qu’il baillerait de l’argent

Tout comptant au porte-panier.

Ils partent donc sans plaidoyer

Et passèrent par Nostre-Dame,

Là où il vit le Penancier

Qui confessoit homme ou bien femme.

Quant il le vit, à peu de plaist,

Il luy dist : « Monsieur, je vous prie,

Que vous despechez, s’il vous plaist,

Mon nepveu, car, je vous affie,

Qu’il est en telle resverie :

Vers Dieu il est fort négligent ;

Il est en tel’ merencolie,

Qu’il ne parle rien que d’argent.

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– Vrayement, ce dit le Penancier,

Très-volontiers on le fera. »

Maistre Françoys print le pannier,

Et dist : « Mon amy, venez çà ?

Vela qui vous despechera,

Incontinent qu’il aura fait. »

Adonc maistre Françoys s’en va

A-tout le pannier, en effect.

Quant le Penancier eut parfaict

De confesser la creature,

Gaigne-Denier, par dict parfaict,

Accourut vers luy bonne allure,

Disant : « Monsieur, je vous asseure,

S’il vous plaisoit prendre loysir

De me despecher à ceste heure,

Vous me feriez ung grant plaisir.

– Je le veuil bien, en vérité,

Dist le Penancier, par ma foy ;

Or, dictes Benedicite,

Et puis je vous confesseray.

Et en après, vous absouldray,

Ainsi comme je doy le faire ;

Puis, penitence vous bauldray,

Qui vous sera bien necessaire.

– Quel confesser ? dit le povre homme.

Fus-je pas à Pasques absoulz ?

Que bon gré sainct Pierre de Romme !

Je demande cinquante soulz.

Qu’esse-cy ! A qui sommes-nous ?

Ma maistresse est bien arrinée !

A coup, à coup, despechez-vous :

Payez mon pannier de marée.

– Ha, mon amy, ce n’est pas jeu,

Dit le Penancier, seurement :

Il vous fault bien penser à Dieu

Et le supplier humblement.

– Que bon gré en ayt mon serment

Dist cet homme ; sans contredit-

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Despechez-moi legierement.

Ainsi que le Seigneur a dit ? »

Adonc le Penancier vit bien

Qu’il y eut quelque tromperie :

Quant il entendit le moyen,

Il congneut bien la joncherie.

Le povre homme, je vous affie,

Ne prisa pas bien la façon,

Car il n’eut, je vous certiffie,

Or ne argent de son poisson.

Dans le Nouveau Pathelin, comme dans les Repues franches, la tromperie repose sur l’équivoque des deux mots despecher et depescher, l’un signifiant expédier, et l’autre, confesser ; mais l’objet et les particularités de cette tromperie sont totalement différents dans les deux ouvrages. On ne saurait donc dire quelle est la source primitive de l’aventure. Pathelin a-t-il imité Villon ? Villon a-t-il imité Pathelin ? Les Repues franches ont été composées vers 1485 ; c’est un point d’histoire littéraire à peu près fixé. Quant au Nouveau Pathelin, qui a été appelé ainsi pour le distinguer de l’Ancien, on a prétendu qu’il devait être du même temps que le Testament, qui, selon les frères Parfaict, daterait de l’année 1520 environ. Nous ignorons d’après quelles preuves ou quelles inductions les auteurs de l’Histoire du Théâtre-François ont été amenés à placer sous cette date la composition et la représentation du Testament ; mais nous pouvons, nous, établir, d’une manière presque certaine, que le Nouveau Pathelin a été composé en 1474, c’est-à-dire quelques années plus tard que le premier Pathelin.

Il y a, dans cette seconde farce, un passage qui équivaut à une date : c’est la valeur de l’écu d’or ou écu à la couronne, valeur qui, à cette époque, variait sans cesse suivant les conditions du change et de l’état financier du pays. Il s’agit de savoir en quelle année dix écus d’or valaient seize francs. Or cette évaluation du taux de l’argent ne se rapporte exactement qu’à l’année 1474, pendant laquelle l’écu d’or eut cours pour trente sols.

Ce n’est pas tout ; un autre passage de cette farce est évidemment l’origine du nom de jeu des pois piles, que le peuple donnait 164aux représentations des Enfants-sans-Souci, de la Mère Sotte et de la Bazoche. Il est évident, pour nous, que le Nouveau Pathelin fut composé à l’imitation de Maître Pierre Pathelin, qui avait fait la fortune d’une de ces troupes de joueurs de farces, qu’on vit naître au milieu du xve siècle pour faire concurrence aux Confrères de la Passion. Le Nouveau Pathelin fut joué certainement à Paris, sans doute aux Halles, comme on y joua plus tard, en 1511, le Jeu du Prince des Sots et de Mère Sotte ; le Nouveau Pathelin eut une vogue prodigieuse, et les gens du peuple, qui couraient à ce spectacle, disaient entre eux : « Allons voir piler les pois par maitre Pathelin. » Ce fut donc le peuple de Paris qui, dans une de ses boutades, inventa ce mot de pois pilés, que les savants dénicheurs d’étymologies du xviie siècle ne comprenaient déjà plus.

Le Nouveau Pathelin est incontestablement de l’année 1474 ; mais on peut, on doit supposer que le langage de cette farce fut tout naturellement rajeuni, lorsqu’on l’imprima pour la première fois vers 1512. Le Mystère de la Passion a été, comme on sait, retouché et refait deux ou trois fois dans le courant du xve siècle ; la farce du Nouveau Pathelin, jouée par les Enfants-sans-Souci qui comptaient dans leurs rangs Clément Marot, André de la Vigne, Jean Bouchet et d’autres bons poëtes, a dû subir aussi une sorte de rajeunissement littéraire, que la représentation publique rendait indispensable, et qui n’a pas trop changé ce curieux monument de l’esprit, de la langue et des mœurs de nos ancêtres.