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Classiques Garnier

[La Farce du Munyer de qui le Diable emporte l'âme en enfer] Préface de l'éditeur

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Recueil de farces, soties et moralités du xve siècle
  • Pages : 277 à 278
  • Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 2
  • Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
  • EAN : 9782812444326
  • ISBN : 978-2-8124-4432-6
  • ISSN : 2261-0804
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4432-6.p.0277
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2010
  • Langue : Français
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PRÉFACE DE L’éDITEUR

La Farce du Munyer, comme nous l’avons dit dans la préface de la moralité précédente, fut représentée publiquement à Seurre, petite ville de Bourgogne, en 1496, à la suite du Mystère de saint Martin, composé par André de la Vigne, qui est aussi l’auteur de la moralité et de la farce. Cette farce n’a été imprimée qu’une seule fois, en 1831, par les soins de M. Francisque Michel, qui a négligé de joindre aucune note au texte qu’il publiait un peu trop servilement, d’après le manuscrit de la Bibliothèque nationale.

Le sujet de cette Farce très-divertissante se retrouverait probablement dans les fabliaux des trouvères. C’est un petit diable, nommé Berith, que Lucifer envoie sur la terre pour faire son apprentissage et qui a promis de rapporter à son maître une âme damnée. Or ce diable novice ne sait où prendre l’âme au sortir du corps d’un pécheur. Lucifer, qui partage l’opinion de certains philosophes goguenards ou naïfs du moyen âge, apprend à Berith que tout homme qui meurt rend son âme par le fondement. Muni de cette savante instruction, le chasseur d’âmes va se mettre en embuscade dans le lit d’un meunier, qui est à l’agonie et qui se confesse à son curé : il attend le dernier soupir du mourant, et reçoit précieusement dans son sac ce qui s’échappe du derrière de ce larron. Lucifer, en ouvrant le sac, n’y trouve pas ce qu’il y cherchait : il en conclut que les meuniers ont l’âme infecte, et il ordonne à ses diables de ne lui apporter jamais âmes de meuniers.

André de la Vigne a encadré ce sujet bouffon et fantastique, où l’âme immortelle est traitée avec assez d’irrévérence, dans une scène de mœurs populaires où sont représentées les amours du curé avec la meunière et les querelles du mari avec sa femme. Cette Farce est un petit chef-d’œuvre de malice et de joyeuseté. On y remarque des traits d’un excellent comique.

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La Farce du Munyer, qui est encore pour nous si plaisante, devait produire sur les spectateurs un merveilleux effet de rire inextinguible, à une époque où les meuniers, à cause de leurs fourberies et de leurs vols dans la manutention des farines, avaient fourni au conte et à la comédie un type traditionnel d’épigrammes et de plaisanteries1. Le public accueillait avec des éclats de grosse gaieté ce personnage matois et narquois, dont il disait proverbialement : « On est toujours sûr de trouver un voleur dans la peau d’un meunier. » Cette disposition railleuse et aggressive des gens du peuple à l’égard des meuniers devint pour ceux-ci une sorte de persécution permanente, que le Parlement de Paris dut faire cesser, en défendant, sous peine de prison et d’amende, d’injurier les meuniers dans les rues ou de les poursuivre par des quolibets.

Nous ne doutons pas que le meunier de la Farce du xve siècle ne se soit transformé, au xviie siècle, en Pierrot enfariné, sur les tréteaux du Pont-Neuf et de la place Dauphine.

1 Voy. le Tracas de Paris, par François Colletet ; dans le recueil intitulé : Paris burlesque et ridicule, édition de la Bibliothèque gauloise.