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Classiques Garnier

Avertissement de l'éditeur

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Recueil de farces, soties et moralités du xve siècle
  • Pages : 7 à 11
  • Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 2
  • Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
  • EAN : 9782812444326
  • ISBN : 978-2-8124-4432-6
  • ISSN : 2261-0804
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4432-6.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2010
  • Langue : Français
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AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR

La plupart des ouvrages primitifs de notre ancien théâtre comique et satirique ont disparu : ceux qui nous restent et qui sont empreints à un si haut degré du véritable esprit gaulois, méritent d’être conservés, non-seulement comme les préludes naïfs de la comédie de Molière et de Beaumarchais, mais encore comme d’irrécusables documents pour servir à l’histoire des mœurs en France. Ces farces, ces soties, ces moralités, composées par les acteurs de la Basoche, des Enfants-sans-Souci, et des troupes nomades qui transportaient çà et là leurs tréteaux dramatiques, ont été, depuis cinquante ans, réimprimées ou imprimées pour la première fois à un petit nombre d’exemplaires qui suffisent à peine pour les sauver de la destruction. On peut prévoir un temps peu éloigné où ces éditions modernes seront aussi rares, sinon aussi chères, que les éditions et les manuscrits originaux.

Il est cependant impossible de se faire une idée de ce qu’était le théâtre aux xve et xvie siècles, si l’on ne connaît pas ces farces joyeuses, ces folies piquantes, ces ingénieuses moralités, qui, malgré la licence effrontée du langage, sont quelquefois des chefs-d’œuvre de bon sens, de malice et de gaieté. C’est une branche de notre vieille littérature, pleine de séve et de force, qu’on avait laissée tomber dans l’abandon et dans l’ombre. Car, au dernier siècle, le duc de La Vallière, qui s’était occupé avec tant de soin et à si grands frais de rassembler dans sa magnifique bibliothèque tous les livres relatifs au théâtre, ne possédait, outre la farce de Pathelin souvent réimprimée, comme le modèle du genre, qu’une très-petite quantité de farces, de soties et de moralités ; encore, la plupart étaient-elles manuscrites. Quant aux mystères et aux grandes moralités, ils avaient été sauvés et 8protégés en quelque sorte par leur importance même : chacun de ces ouvrages remplissant d’ordinaire un volume in-folio ou in-quarto, on en avait du moins quelques exemplaires échappés par hasard au naufrage général de notre ancien théâtre.

Aujourd’hui le répertoire de la Basoche et des Enfants-sans-Souci est mieux connu : Antoine Caron n’avait réimprimé que le Jeu du prince des Sots, de Gringore, et le Recueil de plusieurs farces, recueillies déjà en 1612 par Nicolas Rousset ; MM. Leroux de Lincy et Francisque Michel ont mis au jour les soixante-quatorze farces, moralités, monologues et sermons joyeux, inédits, que contient le manuscrit du duc de La Vallière ; M. de Montaiglon a publié les soixante-quatre farces et pièces de même genre qui sont comprises dans l’exemplaire unique du British Museum de Londres ; M. de Montaran a continué la collection de Caron, en y ajoutant plusieurs farces et moralités dont les éditions primitives n’existent plus ; les bibliophiles les plus distingués se sont fait à l’envi les éditeurs des livrets de la même famille qu’ils ont pu arracher à l’oubli ; MM. Durand de Lançon, le premier de tous, Pontier d’Aix, de Monmerqué, Silvestre, le prince d’Essling, Duplessis, Veinant, Gustave Brunet, etc., ont accru successivement ce trésor de découvertes bibliographiques qui nous permettent maintenant d’apprécier, en pleine connaissance de cause, ce qu’était la comédie, chez nos ancêtres, cent vingt ans avant Molière. Voilà comment on a ressuscité, pour ainsi dire, le répertoire théâtral des clercs de la Basoche et des Enfants-sans-Souci.

Nous nous proposons de réunir, dans un seul recueil classé chronologiquement, en profitant des recherches et des travaux de nos devanciers, toutes ces publications isolées, qui ont entre elles un lien commun d’origine et d’analogie, puisqu’elles représentent l’ancien théâtre français et qu’elles en forment la base historique. Nous nous abstiendrons cependant de reproduire dans ce recueil aucune des pièces qui se trouvent déjà dans l’une ou l’autre collection de farces et de moralités, publiées d’après le manuscrit de La Vallière et d’après l’imprimé du British Museum.

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Notre recueil ne fera pas double emploi avec ces deux recueils du même genre, qui ont paru en 1831 chez Techener, et en 1854 chez P. Jannet.

Le premier volume, que nous présentons aujourd’hui aux amateurs comme un spécimen de notre plan et de notre travail, est consacré aux farces du xve siècle ; il devait renfermer naturellement la farce de Maistre Pierre Pathelin, ainsi que les deux petites farces qui font suite à cette farce célèbre et qui ne sauraient en être séparées.

En effet, les trois farces de Pathelin forment une espèce le trilogie dramatique et sont par cela même inséparables, quoiqu’elles n’aient été imprimées ensemble que dans deux éditions gothiques à peine citées par les bibliographes et à peu près inconnues.

Il est certain que la farce de Maistre Pierre Pathelin, qui eut une vogue si populaire dans la seconde moitié du xve siècle, sous le règne de Louis XI, avait fait naître un grand nombre de farces, dans lesquelles figurait aussi le personnage de Pathelin, qu’on peut regarder comme la création personnelle d’un acteur célèbre de la troupe des Enfants-sans-Souci ou de celle de la Mère-Sotte. Deux de ces farces, outre la grande farce primitive, ont seules survécu à toutes les autres ; on doit donc les conserver comme de précieux monuments de notre ancien théâtre comique et comme les annexes inséparables du chef-d’œuvre attribué tour à tour à Pierre Blanchet, à François Villon, à Antoine de La Sale.

Peu de temps avant sa mort, Génin a publié une édition de la farce de Maistre Pierre Pathelin ; cette édition, à laquelle il avait travaillé toute sa vie, ne se recommande que par le luxe typographique dont elle brille ; le texte, quoique plus correct que celui de l’édition de Coustelier, est loin d’être irréprochable ; le commentaire est farci d’inutilités grammaticales et très-pauvre d’explications nécessaires ; la notice littéraire, où Génin s’efforce de prouver qu’Antoine de La Sale est le véritable auteur du Pathelin, manque absolument de critique et laisse beaucoup à désirer sous le rapport du style et de l’érudition. En un mot, cette édition n’a pas tenu ce qu’elle promettait.

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Nous nous sommes donc bien gardé de suivre les mêmes errements pour réimprimer la farce de Maistre Pierre Pathelin. Notre édition reproduit le texte des premières éditions ; nous avons toutefois adopté de préférence dans ce texte la meilleure leçon, la plus logique, la plus claire, en rejetant les variantes dans les notes : la plupart de ces variantes sont celles que Génin avait choisies comme les plus remarquables parmi une multitude d’autres insignifiantes, qui résultent de la corruption du texte original et de l’ignorance des éditeurs. Nous avons rectifié arbitrairement certains vers dont l’altération nous semblait évidente et facile à corriger ; nous avons aussi ajouté, à l’exemple de Génin, l’indication des jeux de scène, qui sont fort rarement signalés dans les éditions gothiques et qui peuvent souvent éclaircir le sens du dialogue. On trouvera cependant mentionnés tous les jeux de scène que nous fournissait le texte de l’auteur et que l’ancienne orthographe distinguera seule de ceux qui nous appartiennent.

Dans la préface dont chaque farce est précédée, nous avons cherché à découvrir le nom du véritable auteur et la date de la composition de son œuvre. Aurons-nous mieux réussi que nos devanciers à résoudre ces deux problèmes littéraires ? Notre travail était fait et imprimé, quand on nous a conseillé de lire plusieurs excellents articles que M. Charles Magnin, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, a consacrés à l’examen des mêmes questions, dans le Journal des Savants. L’opinion du savant académicien aurait certainement influé sur la nôtre, si nous avions eu connaissance de ses articles avant de chercher à établir, dans la préface de la farce de Maistre Pierre Pathelin, que Pierre Blanchet est réellement l’auteur de cette farce et qu’elle a été écrite et représentée à Paris entre les années 1465 et 1470. Mais, notre travail achevé, nous aurions à faire trop de chemin pour changer d’avis et pour revenir au système de M. Charles Magnin, qui nous pardonnera de nous arrêter à celui que nous avons soutenu, sans dire notre dernier mot sur cette farce célèbre et sur son auteur anonyme.

Aux trois farces de Pathelin, qui appartiennent incontestablement à la seconde moitié du xve siècle, nous avons jugé convenable de réunir la farce du Munyer de qui le Diable emporte l’âme en enfer, et la moralité de 11l’Aveugle et du Boiteux, qui furent jouées publiquement en 1496. Cette moralité et cette farce sont d’André de La Vigne, qui fut acteur comme Pierre Blanchet et François Villon, peut-être avec eux, avant de devenir poëte secrétaire de la reine Anne de Bretagne. Enfin, a côté d’André de la Vigne, secrétaire d’Anne de Bretagne, on trouvera le médecin de Louis XII, Nicolas de La Chesnaye, qui avait composé aussi, pour l’ébattement du roi et de la reine, une moralité très-singulière, intitulée : La Condamnation de Bancquet, que l’on vit sans doute représenter à la même époque sur les mêmes théâtres et par les mêmes acteurs. Cette pièce, peu connue et bien digne de l’être, est un des plus rares et des plus curieux monuments de la poésie dramatique de ce temps-là ; elle eut certainement une grande vogue et devint très-populaire, puisqu’on avait reproduit alors, dans une suite de belles tapisseries de haute lisse, les principales scènes du drame, qui se recommande par l’originalité du sujet, par la vivacité du dialogue et par les détails de la mise en scène. C’est à coup sûr la plus intéressante de toutes les moralités allégoriques qui soient venues jusqu’à nous.

On a donc ainsi dans le même volume les plus anciens compositeurs de farces et de moralités, les plus anciennes pièces de la Basoche et des Enfants-sans-Souci.

P. L.