Skip to content

Classiques Garnier

Avant-propos

  • Publication type: Article from a collective work
  • Collective work: Première œuvre, dernière œuvre. Écarts d’une écriture
  • Authors: Petey-Girard (Bruno), Plagnol-Diéval (Marie-Emmanuelle)
  • Pages: 7 to 10
  • Collection: Encounters, n° 76
  • Series: Literary theory, n° 2
  • CLIL theme: 4053 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Théorie Littéraire
  • EAN: 9782812421327
  • ISBN: 978-2-8124-2132-7
  • ISSN: 2261-1851
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-2132-7.p.0007
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 06-02-2014
  • Language: French
7

Avant-propos

Les textes qui composent ce volume Première œuvre, dernière œuvre : écarts dune écriture sont issus du colloque international organisé par l’Équipe d’Accueil Lettres, Idées Savoirs1 (EA LIS 4395) de l’Université Paris–Est-Créteil qui s’est tenu les 20 et 21 septembre 2012 à Créteil (UPEC). Équipe transdisciplinaire et transséculaire qui rassemble des spécialistes de littérature (française, comparée et francophone) et des philosophes de l’Antiquité au xxie siècle, le LIS travaille à l’intersection des discours esthétiques et des discours de savoir en sciences humaines. Les recherches entreprises par cette équipe résolument transdisciplinaire ont pour objet d’approfondir les phénomènes d’élaboration, de circulation et de réception des textes philosophiques ou littéraires, dans une perspective critique, intertextuelle et interculturelle. C’est pourquoi dans le prolongement du colloque fondateur de l’EA LIS, intitulé « Constitution du champ littéraire : limites, intersections, déplacements » les 20-22 septembre 2007, dont les actes ont été publiés en 20082, l’EA LIS a organisé un colloque international sur le thème « Première œuvre, dernière œuvre : écarts d’une écriture3 ».

Ce vaste sujet de réflexion a été conçu pour appeler les collaborations croisées des littéraires et des philosophes, au-delà des logiques de disciplines et de siècles. Il s’intègre dans le cadre d’un approfondissement du séminaire d’équipe lancé en 2009 sur « La conquête de la langue », poursuivi pendant trois ans, dont les conférences réorganisées sous forme de volume sont actuellement disponibles sur le site « Fabula4 ».

8

Il s’est agi, sans réduire le sujet à une série de monographies juxtaposées d’auteurs dont on aurait interrogé les deux extrémités de l’œuvre, de travailler sur la problématique de la première et de la dernière œuvre. Les questions qui se sont posées sont principalement celles-ci. Comment définir la première et la dernière œuvre ? Entend-on par première œuvre le premier texte écrit ou publié par un auteur : gardera-t-on à ce titre le premier texte écrit par un futur auteur (et comment définir ce statut) ou la première œuvre qui signerait l’entrée dans une forme plus institutionnalisée de la littérature (mais comment alors définir les bornes institutionnelles : de l’extérieur, de l’intérieur et de la marge ?). Le fait que la critique se soit plutôt intéressée « aux débuts », montre la difficulté et la richesse du sujet ainsi envisagé. Le problème est comparable avec la dernière œuvre, quoique la limite soit ici plus aisée à fixer… : dernière œuvre publiée, dernière œuvre restée inédite ou inachevée du fait de la mort de l’écrivain, voire dernière œuvre retrouvée dans les papiers de l’auteur qui vient bouleverser la chronologie de la production écrite. Les derniers films ont ainsi intéressé la critique en tant qu’œuvres du crépuscule, soit que la mort du réalisateur jette un éclairage particulier sur cette dernière production, soit que l’œuvre s’annonce et se conçoive comme telle, comme Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman5 de même que les derniers textes ou ultima verba ont toujours retenu l’attention en vertu de leur caractère testamentaire inscrit ou supposé6 ou rompant avec le reste de l’œuvre. Témoin la dernière toile de Giovanni Bellini, peinte à plus de 83 ans, représentant un nu privé, non mythologique, que le peintre, par son inscription « faciebat », signale comme dernière œuvre, tout en l’arrachant à la mort comme le montre Daniel Arasse7.

Mais au-delà des travaux déjà entrepris par la critique, ce sont les modalités de la confrontation de ces deux œuvres que l’on peut

9

envisager comme deux moments, de l’œuvre totale ou complète8 (notion également problématique) : deux moments de création purement datés, symboliques ou exemplaires dans un ensemble complexe de genèses, tensions, métamorphoses qui ont retenu l’attention des contributeurs… C’est en effet à partir de ce questionnement que se placent le critique et le chercheur et que s’élaborent selon le point de vue adopté en fonction de l’œuvre complète, le rapport entre œuvres mineures et œuvres majeures9, l’étude de l’entrée en littérature, du genre choisi, de l’esthétique en train de se construire, de la pensée en train de s’élaborer… Les communications de littéraires et de philosophes, spécialistes d’auteurs, de domaines et de siècles différents, se sont retrouvées autour d’axes problématiques forts tels que la notion même d’œuvre (qu’est-ce qui fait œuvre en philosophie, en littérature, entre théâtre lu et représenté), la question des limites de l’œuvre (chez un auteur, dans un système politique dirigiste, selon un point de vue génétique, stylistique ou éditorial), la difficile, voire impossible, définition de le première œuvre (au sein de chronologies complexes et parfois volontairement brouillées) et enfin de cette interrogation sur la continuité, la trajectoire et l’interprétation possible entre ces deux emplacements stratégiques – ou du moins lus comme tels – de la création.

Que ce soit donc en termes d’annonce, d’opposition, de continuité, d’enjambement ou d’itinéraire, il semble bien que ces écarts, cette confrontation, ce « choc » ou ce conflit, aussi bien du côté de l’auteur réfléchissant sur son œuvre que des critiques commentateurs, ne peuvent se comprendre sans ce lien entre les deux moments d’une œuvre et d’une vie de création. Paul Valéry, à qui l’on demandait comment reconnaître que des textes sont du même auteur et comment les dater les uns par rapport aux autres, le résumait admirablement dans un « Avis au lecteur » précédant le volume intitulé Mélange publié en 1941, rassemblant des textes divers (poésies, pensées, maximes et fragments parfois autobiographiques) :

10

J’avoue que ces questions m’embarrasseraient fort, si, par définition, je n’en connaissais la réponse. C’est là un problème de vieil homme : on sait bien qu’on est le même, mais on serait fort en peine d’expliquer et de démontrer cette petite proposition. Le « Moi » n’est peut-être qu’une notation commode, aussi vide que le verbe « être » – tous les deux d’autant plus commodes qu’ils sont plus vides.

Bruno Petey-Girard

Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval

UPEC, EA LIS

1 http://lis.u-pec.fr

2 Constitution du champ littéraire : limites, intersections, déplacements, sous la direction de Pierre Chiron et Francis Claudon, cahiers de philosophie de l’Université de Paris 12 Val de Marne No 5, Paris, L’Harmattan, 2008.

3 Comité d’organisation : Marie-Emmanuelle Plagnol, Bruno Petey-Girard, Nicolas Le Cadet et Pascal Séverac. Comité de lecture Pierre Chiron et Élisabeth Lecorre.

4 http://www.fabula.org

5 Françoise Calvez (dir.), La Dernière œuvre, Cinéma et littérature 10, 17 au 22 novembre 1992, Valence, CRAC, Centre de recherche et d’action culturelle Valence, 1992

6 Michel Deneken (dir.) L’Œuvre ultime, Journées de l’action culturelle, Université Marc Bloch, Strasbourg, 26-27-28 avril 2005, Université Marc Bloch, DL 2005 ; Myriam Boucharenc (dir.) La Dernière ŒuvreRevue des Sciences humaines, 287, 3, 2007.

7 Daniel Arasse, « La dernière toile ou la liberté de peindre », in La Dernière œuvre, Cinéma et littérature 10, 17 au 22 novembre 1992, Françoise Calvez (dir.), Valence, CRAC, Centre de recherche et d’action culturelle Valence, 1992, p. 13-17.

8 La Notion dœuvres complètes, textes présentés par Jean Sgard et Catherine Volpilhac-Auger, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, Studies on Voltaire and the eighteenth century 370 (Communications d’un colloque tenu à l’université de Grenoble III, les 24 et 25 novembre 1994).

9 Catherine Volpilhac-Auger (dir.), Œuvres majeures, œuvres mineures ? Avec les contributions de Daniel Bilous, Dominique Hölzle, Catherine Larrère et al., Lyon, ENS éd., 2004.