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Classiques Garnier

Avant-Propos Retour à Bissy

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Pontus de Tyard Errances et enracinement
  • Auteur : Kushner (Eva)
  • Pages : 7 à 11
  • Réimpression de l’édition de : 2008
  • Collection : Rencontres, n° 235
  • Série : Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance européenne, n° 60
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812454509
  • ISBN : 978-2-8124-5450-9
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-5450-9.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 30/04/2009
  • Langue : Français
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Avant-propos

Retour à Bissy

Pourquoi ce titre : « Retour à Bissy », puisque vous êtes nombreux à rendre visite pour la première fois au village natal de Pontus de Tyard ? À vrai dire, c'est une pensée quelque peu personnelle qui me l'a inspiré : au cours des années 80 je suis déjà venue à Bissy-sur-Fley. J'ai exploré le château dans son état délabré d'alors ; je me suis promenée dans les environs, et j'ai vainement cherché le cours d'eau où pouvait se situer l'île de Pontus et de Pasithée. Auparavant, avec l'archiviste de la Saône-et- Loire de l'époque, qui souhaitait ardemment que le château soit restauré, nous avons évoqué quelques possibilités d'action dans ce sens, mais sans beaucoup d'espoir, puisqu'on France l'accès au budget des sites et monuments historiques est fortement concurrentiel ; et que sur le plan international organiser une action coopérative dans ce sens me paraissait, à l'époque, utopique. Jugez donc de ma joie lorsque j'ai appris l'existence et l'activité de l'Association Renaissance du Château, et lorsqu'un peu plus tard celle-ci m'a consultée sur la possibilité d'un colloque à l'occasion du 400® anniversaire de la mort du poète. Me voici donc de retour à Bissy, avec la recormaissance que vous devinez à l'égard de ceux qui ont créé cette occasion de rencontre, et tant travaillé pour conserver un patrimoine qui nous conceme tous. Mais revenir à Bissy c'est aussi, comme l'indique notre thème principal, nous pencher sur le mystère de la relation entre enracinement et errance. Ne serait-ce qu'à cause du titre des Erreurs amoureuses, et du rôle que joua Tyard dans le mouvement pétrarquiste et dans l'histoire du dialogue philosophique, on a souvent eu tendance à lui attribuer un goût de l'universel. Après tout, il n'a pas craint d'intituler L'univers une partie de ses Discours philosophiques, et d'introduire en France Copernic et sa pensée sur la structure de l'univers. Mais chez Tyard, ce contemporain de Montaigne, l'universel n'est nullement à l'opposé du particuHer ; il en est plutôt le rayonnement. C'est bien ici, dans ce village, dans les salles sans doute austères de ce château, dans ces jardins, à l'ombre de ce clocher.

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que Pontus fut formé - corps, esprit et âme. C'est ici qu'il conviait ses amis pour parler de science et de philosophie, et ses dialogues reflètent l'ambiance sereine de ces entretiens. C'est ici que l'imagerie qui anime sa poésie se ressourçait au contact de la nature ; et c'est sans doute ici qu'il rêva longuement à Pasithée. Je n'irai pas jusqu'à dire que Pasithée y fut présente, car à vrai dire, malgré tous les efforts des chercheurs, son identité demeure mystérieuse. Nous sommes plusieurs à avoir cherché ses traces, sans succès jusqu'à présent, parmi les grandes famiUes qui habitaient la région lyonnaise ainsi que cette région-ci, ou du moins y passaient leurs loisirs. Toujours à l'affût d'indices nouveaux, ces recherches se poursuivront. L'enracinement de Tyard ne se limite pas à son village. Nous appren¬ drons du nouveau, au cours de ce colloque, sur ses autres engagements locaux et régionaux, notamment son épiscopat à Chalon-sur-Saône, dont on n'a pas fini de montrer l'exemplarité sur le plan religieux, civique et littéraire. Il est vrai qu'à la suite de son épiscopat Tyard se retira au château de Bragny, où il passa de longues années studieuses en dépit de l'adversité dont il y fut la cible. À bien des égards les deux châteaux jouèrent dans sa vie, me semhle-t-il, le même rôle, qui fut d'ancrer sa solitude dans la nature et dans des commxinautés humaines, qu'il aimait sans se laisser absorber par elles. Son dernier écrit, un traité d'onomasti¬ que en latin intitulé De recta nominwn impositione, comporte nombre de vivantes remarques persormelles sur le milieu qui fut le sien. Autant de raisons de notre retour à Bissy qui ont trait à la biographie de Tyard. Mais nos études ne se limiteront pas au thème de l'enracine¬ ment ; elles suivront notre auteur dans ses errances. Notre colloque ne sera pas le premier à être entièrement consacré à Tyard : celui qui fut organisé par Sylviane Bokdam en 1998 à l'université Paris XII-Val-de-Mame à Créteil, et dont les actes, publiés par Champion, sont intitulés Pontus de Tyard : poète, philosophe, théologien, constitue un substantiel apport aux études tyardiennes. Nous y avons pris con¬ science de la diversité des milieux de son temps avec lesquels Tyard était en rapport : société lyormaise, cour des deriers Valois, groupes de poètes dont la Pléiade est le principal mais non le seul, milieux de l'imprimerie et de l'édition et, au temps de la Ligue, milieu des défenseurs du roi, sans compter les relations familiales que nous révèlent les documents légaux. Nous avons pris conscience également, au colloque de Créteil, de l'étendue et de l'interdisciplinarité du savoir de notre auteur. Nous y avons aussi constaté sa varietas rhétorique, et la manière toute persormelle

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dont il manie les genres. C'est ainsi qu'en ce qui concerne le dialogue philosophique Tyard passe d'un modèle - celui des Solitaire - où le locuteur principal et son interlocutrice, même si la discussion entre eux est parfois vivace, s'entendent sur une même vision fondamentale, à un modèle où s'affrontent des visions divergentes, comme dans les deux Curieux. Ή nous est donc appara qu'en fait l'interdisciplinarité de Tyard, et la varietas rhétorique qui le caractérise, expriment deux dimensions complémentaires d'un esprit qui n'a cessé de poursuivre le vrai et de chercher les moyens d'expression appropriés à cette quête. Il le fait en humaniste attentif aux langues et sources anciennes, mais aussi en poète accueillant aux formes nouvelles et en penseur ouvert, dans le domaine philosophique et scientifique, aux découvertes même les plus perturbantes, comme celle de Copernic. Au colloque de Créteil nous avons également été sensibles au fait que Tyard poète, philosophe et théologien ne perd jamais de vue le contexte simplement humain des ses travaux. Si le Solitaire second, par exemple, parle avant tout de problèmes relatifs aux modes et intervalles, quantités scientifiquement mesurables, Tyard ne laisse de s'y intéresser passionné¬ ment aux effets théurgiques de la musique sur le psychisme humain. Et si les Homilies poursuivent consciencieusement leur vocation rehgieuse et pédagogique, elles le font avec beaucoup de sensibilité à l'égard des besoins affectifs de l'auditeur. Ce ne sont là que quelques-uns des acquits du colloque de Créteil, et le nôtre ne manquera pas d'en ajouter de nouveaux aux recherches en cours, avec l'attention à l'historicité de Tyard que promet le programme. Ces recherches sont activées, depuis un certain temps, par les travaux de préparation de l'édition critique des oeuvres complètes de Tyard chez Champion. Un premier volume, contenant l'ensemble de l'oeuvre poétique de Tyard, a paru en 2004. Ή est fondé sur l'édition de 1573, et rassemble aussi les poèmes de Tyard en langue latine ainsi qu'en appendice les Douze fables de fleuves et fontaines. Dans sa présentation nous avons tenté de montrer la spécificité de la poésie de Tyard vis-à-vis de la Pléiade et en particulier ses affinités avec d'autres traditions poétiques tant itahennes que françaises et en particulier lyonnaises. Nous avons également souligné le degré auquel Tyard a su exploiter tout le multiple potentiel de l'ode dans Le livre de vers liriques ; et à quel point les NouvelVoeuvres poétiques relèvent d'une esthétique renouvelée qui est celle de la poésie de cour à l'échelle europénne, poésie écrite pour elle- même et à la gloire du (ou de la) destinataire plutôt que dans un esprit de pure adoration.

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Les éditions Champion nous ayant pemtis de faire paraître les sept volumes de l'édition critique dans l'ordre de leur achèvement plutôt que selon la chronologie historique des oeuvres originales, le prochain volume à paraître (volume 7) contient la dernière oeuvre écrite par Tyard, le De recta nominum impositione, jamais réédité depuis 1603. Dans sa présentation, Jean-Claude Margolin fait ressortir la profondeur du savoir humaniste de Tyard, et la manière dont il est tenté, en tant que philosophe du langage, par le cratylisme, qu'il finit par dépasser. La « droite imposition des noms » implique en effet une étroite relation entre le nom et la chose nommée, et il s'agit de savoir si le nom obéit à un ordre préétabH, quelle est la langue de nomination la plus autorisée (donc la plus proche de la réalité des choses) ; et comment opèrent les étymologies dans les langues naturelles pour sanctionner les noms des Heux, des persormes, des objets, des aitimaux, des plantes, des corps célestes... Tyard est ainsi amené à passer en revue, dans ce but, toute une série de domaines du savoir ; il fait preuve d'une extraordinaire connaissance des sources hnguistiques de son temps, ce qui montre que même dans son extrême vieillesse il ne cessa jamais de philosopher. Jean Céard a consacré à ce volume une superbe traduction du De recta nominum impositione. Le volume suivant (vol. 6) contiendra les quatre livres d'Homilies, les Modèles de phrases et lettres d'amour, et un ensemble oeuvres de circonstance dont chacune à sa façon prouve la vitahté et l'engagement poHtique et social de notre auteur. Les Homélies n'ayant jamais été rééditéés, c'est une très substantielle contribution non seulement aux études tyardiermes mais également à l'histoire de l'hontilétique que nous devons à Marie-Madeleine Fragonard. Son étude replace les fonctions épiscopales de Tyard dans l'ensemble de l'histoire de l'épiscopat français de sa génération, afin de ntieux montrer le caractère persormel de son apport à l'histoire de la prédication. La httérature religieuse post-tridentine cormaît une extraordinaire floraison, et les sujets des textes tyardiens : l'Oraison domirticale, la Passion, la Croix, le Décalogue, sont à l'hormeur. Marie-Madeleine Fragonard analyse en profondeur la place de l'homélie en tant que genre au sein de la littérature de prédication, son caractère famiher, et le lien étroit entre les normes du genre et le texte de l'Écriture à commenter. Elle met en relief l'humilité intellectuelle de Tyard qui est le mobile, et à maintes reprises le sujet même des homélies. Quant aux Modèles de phrases et lettres d'amour, on y constatera deux autres dimensions de l'activité intellectuelle de Tyard : son rôle de professeur de

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rhétorique auprès d'Henri ΙΠ, et l'imagination passionnée qui fait vivre ces textes. Le volume suivant à paraître (vol. 2) sera De l'amour, traduction par Tyard des Dialoghi d'amore de Léon l'Hébreu. Cette édition soulignera particulièrement la spécificité de Tyard traducteur, qui nous vaut tant de preuves de son sens et de son amour du langage, et de sa précision philosophique. L'élaboration critique du texte des trois dialogues nous donne également l'occasion d'y saisir la rencontre d'un esprit chrétien et d'un esprit judaïque en une vision platonicienne (mais l'est-eUe ?) ; et tous les questionnements herméneutiques que Pontus traducteur met en oeuvre dans les détails du texte. L'édition des Discours philosophiques de 1587 occupera le volume 3 {Solitaire premier et Solitaire second) ; le volume 4 {Le discours du tems, de l'an et de ses parties. Le premier curieux, et Le second curieux) ; et le volume 5 {Mantice, accompagné d'une présentation des Ephemerides octavae spherae). Les homéhes furent contemporaines de la réédition, en 1587, de l'ensemble de ces discours philosophiques ; et l'on peut se demander quel est en définitive le rapport entre ces deux groupes d'écrits. S'agit-il de perspectives différentes déterminées par leurs genres respectifs ; ou y a-t-U là véritablement un fossé difficile à expliquer ? Certes, il sera plus facile de débattre de l'unité ou de la dualité de l'œuvre tyardienne une fois que tous les éclarcissements textuels seront en place. En attendant ces travaux de plus longue haleine, notre retour collectif à Bissy nous permettra au moins de tracer ensemble une image plus fidèle de Pontus de Tyard dans son enracinement et dans ses errances.

Eva kushner Victoria CoUege, University of Toronto