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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Polutropia : d’Homère à nos jours
  • Auteur : Demont (Paul)
  • Pages : 11 à 13
  • Collection : Rencontres, n° 72
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812418037
  • ISBN : 978-2-8124-1803-7
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1803-7.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 02/06/2014
  • Langue : Français
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Préface

Danièle Aubriot-Sevin est née le 25 novembre 1939 à Vraignes-les-Hornoy, en Picardie, où, à l’exception de cinq ans en lycée comme jeune et brillante agrégée, elle a mené toute sa carrière et toute sa vie aux côtés du docteur Bernard Aubriot.

Au Centre universitaire d’Amiens, rattaché à l’université de Lille, puis à l’Université de Picardie (Amiens), qui prit ensuite le nom d’Université de Picardie – Jules-Verne, Danièle a activement participé à l’installation et à la vie des études de lettres classiques proprement dites, comme assistante, maître-assistant, maître de conférences et professeur. Elle a aussi créé des enseignements universitaires pour les non-spécialistes, participé à la formation continue des enseignants de langues anciennes des lycées et collèges, défendu les classes de latin et de grec de ces établissements, enrichi l’animation culturelle picarde par ses interventions à l’université du troisième âge et à la prestigieuse Maison de la Culture d’Amiens. Bref, elle a bien servi la cause des Lettres, malgré les obstacles, et il est juste qu’on lui en rende hommage ici.

Chacun connaît son magnum opus, sa thèse de doctorat d’État, soutenue le 13 janvier 1990 à la Sorbonne. On ne sait pas nécessairement que l’exemplaire de soutenance faisait près de 1600 pages, ce qui était exceptionnel même pour une thèse d’État « à l’ancienne ». Le fait est caractéristique de la méticulosité et de la volonté d’exhaustivité de Danièle. Elle en a tiré, en 1992, dans la collection lyonnaise de la Maison de l’Orient méditerranéen, un livre plus maniable, qui fait encore 604 pages très serrées, Prière et conception religieuse en Grèce ancienne jusquà la fin du ve siècle avant J.-C., et qui a aussitôt obtenu le prix Reinach de l’Association des Études grecques. Il n’existait pas jusque-là de synthèse d’ensemble sur ce vaste sujet. L’approche même de la question était grevée par des présupposés anachroniques comme l’assimilation de la prière antique à un procédé magique, à un marchandage do ut des, et on se demandait même parfois, en définissant par opposition la véritable

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prière comme recueillement et effusion intérieure, si la prière antique atteignait jamais à cet idéal. À partir de la définition de la prière comme « la démarche par laquelle l’homme recourt à la divinité ou à des puissances supérieures pour obtenir un résultat », Danièle Aubriot-Sevin décrit d’abord la très grande flexibilité des prières que la littérature a conservées ou décrites, dans un tableau nuancé et précis de la condition de l’orant, des circonstances, gestes et attitudes de la prière, et du rôle qu’y joue la voix. Une deuxième partie regroupe trois études sémantiques qui permettent, au-delà des prières effectivement prononcées, de comprendre les conceptions religieuses des Grecs à travers les trois verbes qu’ils emploient principalement : εὔχομαι, ἀράομαι, λίσσομαι. Le premier exprime « une juste prétention dont on demande la reconnaissance », comme l’avait montré Jean-Louis Perpillou, envers qui Danièle reconnaît sa dette ; cette analyse lui permet de revenir de façon critique sur le schéma traditionnel qui divise la prière en invocation, argumentation et requête. Le second verbe et son groupe désignent, « sans que l’idée de malédiction soit première, le souhait et la mise en route d’une sanction, en bien ou en mal, visant à rétablir la justice » – il y a là des remarques particulièrement attentives à la nature de ce que les Grecs entendaient par la justice. Enfin, le troisième verbe, « fondamentalement religieux », est soigneusement distingué du « vocabulaire, si proche, de la supplication », qu’elle décrit de façon extrêmement utile aussi – et à cette occasion Danièle se livre à des analyses très neuves de l’Iliade. Au-delà de sa thèse, l’épopée homérique est en effet, depuis les débuts de ses travaux de recherche, qu’elle a entrepris sous la direction de Fernand Robert, son domaine de prédilection. Les nombreuses études qu’elle a consacrées à la religion homérique n’ont pas pour seul but de préparer, préciser ou compléter les analyses de sa thèse : elles visent à la compréhension de l’œuvre homérique dans son ensemble. À lire ses autres articles, notamment sur le bouclier d’Achille, ou sur Achille lui-même, se dessinent peu à peu les contours d’une interprétation générale de l’humanité d’Achille et de la composition de l’Iliade qui retient l’attention par son originalité et sa force.

Au cours de ses années d’enseignement et de recherche, Danièle s’est constitué un solide capital d’amitié et d’estime, en Picardie, en France et en Europe. Les collaborations qu’elle a entretenues avec nos amis belges de Liège et nos amis suisses de Lausanne et de Genève ont particulièrement

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compté dans l’évolution et le rayonnement de ses travaux. De tout cela, témoigne ce volume, que je suis très heureux de préfacer. Si c’est à moi qu’est échu cet honneur, c’est parce que j’ai bénéficié pendant dix ans, à Amiens, de l’aide rigoureuse, droite et amicale de Danièle : je lui en rends personnellement hommage ici.

Paul Demont

Professeur à l’université de Paris-Sorbonne

Ancien professeur à l’université d’Amiens

(et doyen de la Faculté des lettres
en 1997-1998)