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Classiques Garnier

Introduction

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Poésies complètes
  • Pages : 7 à 10
  • Collection : Études montaignistes, n° 66
  • Série : La Boétie : études et textes, n° 1
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406071433
  • ISBN : 978-2-406-07143-3
  • ISSN : 1775-349X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07143-3.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 13/11/2018
  • Langue : Français
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INTRODUCTION



Alors que le Discours de la servitude volontaire a fait l'objet, depuis la Renaissance, d'une diffusion importante, surtout à partir de la période révolutionnairel, pour le reste, l'histoire éditoriale de l'oeuvre complète de La Boétie demeure sommaire et ne compte que quelques publications. La première fut celle de Léon Feugère en 1846 et elle fut suivie en 1892 de celle de Paul Bonnefon qui rend hommage aux travaux de Reinhold Dezeimeris publiés en 1864. Puis ce fut celle de Louis Desgraves en 1991 chez William Blake, la dernière en date.
Fait remarquable, l'édition préparée pax Montaigne en 1570 avait jus- tement exclu ce Discours, mais avait réuni outre les traductions grecques, l'oeuvre poétique latine et française, alors privée des Vingt-neuf sonnets retrouvés plus tard chez lui par le sieur de Poyferré et qui furent publiés dans chacune de ses éditions des Essais, du moins jusque l'Exemplaire de Bordeaux. Depuis, toutefois, La Boétie poète reste méconnu et mériterait que l'on s'exclame comme Nodier
Oserais-je demander pourquoi nous n'avons pas encore une ... [traduction complète de l'ceuvre poétique latine] d'Etienne de La Boétie, cet autre lui que Montaigne préférait àlui-même, et en qui la postérité moins prévenue aimerait du moins à reconnaître le digne ami de Montaigne ? (cité par Feugère, in Manuel de bibliographie, publié par Téchener, février 1835.)
Pourtant, Montaigne loue non seulement l'ami et l'auteur du Discours, mais déclare dans les Essais que
...si en l'âge que je l'ai connu plus avancé, il eût pris un tel dessein que le mien, de mettre par écrit ses fantaisies, nous verrions plusieurs choses rares, et qui nous rapprocheraient bien près de l'honneur de l'antiquité, car notamment en cette partie des dons de nature, je n'en connais point qui lui soit comparable (I, XXVIII, «De l'Amitié »).
1 Simone Goyard-Fabre, édition du Disrours de la servitude volontaire, introduction p. 46, G.F.
1983.
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À son tour, Léon Feugère rappelle l'hommage régional, certes conventionnel, rendu par le poète Pierre de Brach à tous les parlemen- taires bordelais qui honorèrent leur ville de leurs écrits, et en particulier notre poète
De là sortit Valée, & Boëtie homme digne
De luire dans les cieux comme une étoile insigne
Homme d'un grand espoir, si le malheur fatal
N'eust amorti le feu de son tison vital
Au fort de sa chaleur, qui toutesfois encore
A laissé des fragments que tout le monde honore (Hymne de Bouddeaux,

p. 83, chez Simon Millanges, 1576).
Le travail entrepris se propose donc de redonner sa place au poète et de compléter l'image de l'ami et du philosophe politique en offrant pour la première fois une traduction complète des PcemataZ et une nouvelle édition des Poésies françaises, du moins des pièces dont l'attribution paraît sûre. D'autres poésies françaises pourraient avoir été écrites pax La Boétie, si l'on se réfere par exemple au Recueil des Dames, poésies et tombeaux, de Brantôme3. Un manuscrit ayant appartenu à cet auteur a révélé une version plus courte de La Chanson que celle transmise par Montaigne, ce qui constitue un inédit, et est l'indice d'une circulation de ses poésies dans les milieux lettrés. Il est alors légitime de se demander si d'autres pièces anonymes de ce recueil ne seraient pas de son fait. Quoi qu'il en soit, le poète La Boétie n'a rien à envier au penseur politique.
Étienne de La Boétie naît le let novembre 1530 à Sarlat, en Périgord. Il appartient à une famille de noblesse récente, enrichie par le commerce dans les générations précédentes. Son père, Antoine, est lieutenant du sénéchal de Périgord. La maison qu'il a fait bâtir se voit encore, dans Sarlat, et fait partie des belles demeures de la Renaissance. Sa mère, Philippe (au féminin) de Calvimont, est la soeur d'un président du par- lement de Bordeaux. Étienne a deux soeurs plus jeunes que lui, Anne et Clémence. Tous les espoirs sont permis à ce jeune noble issu d'une famille aisée et bien intégrée dans la société locale. Malheureusement, la disparition prématurée de son père, puis de sa mère, laisse Étienne
2 Certaines pièces ont été traduites par L. Feugère, R. Dezeimeris, M. Riveline, P. Galand — Hallyn, M. Magnien et R. D. Cottrell.
3 Recueil der Damer, poérier et tombeaux, Brantôme, Édition d'Étienne Vaucheret, Bibliothèque de la Pléiade, 1991, p. 53.
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et ses soeurs orphelins. Il a dix ans et est recueilli par son oncle, un ecclésiastique nommé Étienne comme lui. C'est donc ce paient qui se chargera de son éducation, l'orientant vers le droit et les bonnes lettres plutôt que vers les aimes.
Où fait-il ses études ? Il est du moins certain qu'il ne fréquente pas le collège de Bordeaux, le fameux «collège de Guyenne » dont Michel de Montaigne et ses frères seront les plus illustres élèves. Mais il fait ses humanités de manière brillante, au point non seulement de maîtriser parfaitement le latin, ce qui était assez courant à l'époque, mais aussi de devenir un excellent helléniste, chose beaucoup plus rare et qui suppose la fréquentation d'un véritable maître dans les études grecques. Qui a bien pu être son professeur ? Il se trouve que les poésies latines de La Boétie mentionnent le nom de Dorat, professeur au collège parisien de Coqueret et que la pièce XIV des Pcemata est dédiée à Marguerite de Laval, l'épouse de Dorat. On peut alors supposer que le jeune Étienne a connu le couple Dorat à Paris, et qu'il a pu être un familier de leur maison. Si notre jeune Périgourdin a été envoyé au collège de Coqueret pour faire ses études, il a pu avoir pour maître Dorat, qui était un des meilleurs hellénistes de son temps.
Un autre indice pourrait aller dans ce sens. Jean-Antoine de Baïf, l'un des poètes de la Pléiade, semble avoir entretenu des rapports amicaux avec La Boétie. Un sonnet des Amours de 1554 est dédié à La Boétie4, et en 1572, après la publication par Montaigne du volume des oeuvres de son ami, Baïf publie dans l'un de ses recueils «Six sonets d'Estienne de La Boitie », qui présentent une autre version des sonnets correspon- dants édités par Montaigne5. Cela signifie que Baïf possédait de son côté une copie de ce groupe de sonnets et qu'il a jugé bon de la publier en regard de la version donnée par Montaigne. Bien entendu, Baïf peut avoir connu La Boétie plus tard, mais si ce dernier était élève de Dorat au collège de Coqueret, ils ont pu être en relation, puisque Baïf avait Dorat comme précepteur à la même époque. Des liens ont donc pu se tisser dès cette époque entre eux deux.
En septembre 1553, La Boétie est reçu avec le grade de licencié à la faculté de droit d'Orléans où il a suivi les leçons d'Anne du Bourg et qui est la seconde université de France après Paris, et l'une des plus célèbres
4 Voir Annexes, V.
5 Voir Annexes, VI.
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écoles de droit de son temps en raison des méthodes nouvelles d'analyse mises en oeuvre. Admis au serment le 17 mai 1554 avant l'âge légal de vingt-huit ans, le jeune diplômé devient conseiller royal au parlement de Bordeaux, occupant l'office résigné en sa faveur par Guillaume de Lur-Longo, parti à Paris poursuivre sa carrière. Par sa mère, il est neveu de Jean de Calvimont, président de ce parlement en 1553, et à la fin de 1554 ou au début de 1555, il a épousé Marguerite de Carle, fille de Jean de Carle et soeur de Pierre de Carle, tous deux également présidents. La Boétie entre donc par la grande porte dans ce parlement bordelais, grâce à la parenté puissante de ces familles «présidentielles » et y pour- suit sa carrière jusque sa mort prématurée en 1563.