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Classiques Garnier

Glossaire

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Glossaire

Advertissement(s) : les avvertimenti appartiennent au genre littéraire de laphorisme politique qui connaîtra une fortune remarquable au xvie et au xviie siècle, avec des résultats extraordinaires chez des auteurs comme Michel de Montaigne et Francis Bacon. La recueille des advis et conseils de Guicciardini (G.), plus politique quintimiste, vise à offrir un vademecum dexemples et de suggestions dans lesquels puiser au besoin pour le bon politicien. Les enseignements contenus permettent den déduire des règles universellement valables, des maximes à réutiliser dans des circonstances à venir, exploitables à la cour par des fondés de pouvoir, secrétaires, fonctionnaires, ambassadeurs. Voir aussi Advis, Conseils.

Advis : voir Advertissements.

Affaires : chez G. les affaires concernent le domaine de la pratique, qui soppose à celui de la scientia politica. Dans la traduction française, avec ses articles Antoine de Laval vient couvrir un domaine, celui de ladministration du quotidien, des aspects économiques, sociaux, stratégiques, gestionnaires de lÉtat – cest à dire des affaires – laissé à découvert par Jacopo Corbinelli, premier éditeur des Ricordi, qui avait réalisé un commentaire plus abstrait. Voir aussi Entreprinses.

Ambassadeur : ce terme dépend de lexpérience personnelle de G. comme ambassadeur en Espagne, auprès de Ferdinand le Catholique, quand il avait 28 ans. Lexpérience le marque profondément : au contact du souverain aragonais, il réalise sa formation politique, il comprend la différence entre la république italienne et la monarchie nationale et il élabore une réflexion sur le rôle de lambassadeur et du secrétaire, qui doivent contrôler les contingences spatio-temporelles pour prendre les décisions politiques et entreprendre des choix tactiques. Pour le traducteur Laval, auteur des Desseins des professions nobles et publiques (1606), le secrétaire, défini comme « celuy auquel le Prince Souverain, ou celuy qui le represente, commet la charge de declarer son intantion par écrit an toutes sortes daffaires de son État secretes ou publiques », acquiert les compétences requises au terme dun long parcours : « longue observation, usage, nourriture et habitude ». Notamment, il doit posséder des qualités bien précises : le secrétaire est celui qui a « de la connoissance de lhistoire, y a observé les theorêmes des Gouvernemans Politiques de toutes especes dÉtats, les a conferé ansamble, et raporté à nôtre Monarchie ; a remarqué dilijammant la pratique de toutes ces belles notions an lentregent

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et conversations des personnes, et surtout lhumeur et lesprit du Chef de lÉtat, ou de celuy qui le represente, pres duquel il desseigne le bâtiment de sa fortune », comme on peut le lire dans les Desseins.

Ambition : pour G. est souvent et surtout une vertu, une qualité positive, nécessaire au véritable homme dÉtat. ça nous révèle un regard désenchanté sur lambition et la soif de pouvoir et de gloire, donnée incontournable de la nature humaine, que pour G. provient de son expérience dhomme politique à Florence.

Articles : la traduction française des Ricordi réalisée par Laval contient une section originale de 42 articles. Il sagit dune anthologie daphorismes – inspirés par lhistoriographie classique et moderne – qui ramènent le lecteur dans le domaine des affaires parlementaires de la cour française. Les articles de Laval sont des sentences, des maximes historico-politiques, des aphorismes tirés des Historiens qui contiennent des suggestions pour la praxis quotidienne. La version de Laval connaîtra en France une fortune toute particulière, car elle sera à son tour le point de départ dautres versions et remaniements, par exemple les Résolutions Politiques et Maximes dEstat de Jean de Marnix et les Maximes populaires de Adam Scaliger – deux textes significatifs dans lélaboration de la théorie politique moderne et premières témoignages du genre de laphorisme politique en France.

Authorité (Autorité) : si le pouvoir (potestas) est ce qui confère une fonction publique, lautorité (auctoritas) est la renomatio, ce qui provient du prestige et de lhonneur personnel.

Cité, citoyens : lindividu qui a des droits politiques. À Florence ce terme est lié aux institutions républicaines de la Libertas, en opposition au terme sujet, et concerne soit la définition géographique, qui concerne la réalité urbaine de la ville, soit le niveau socio-économique, qui provient du rang.

Conseils : voir Advertissements.

Convoitise : en italien appetito, cest le désir extrême et immodéré de puissance, de gloire, de pouvoir, cet à dire un excès dambition.

Dessein : chez G. cest le programme politique, la stratégie daction, mais aussi le complot, même lintrigue. Pour Laval, auteur du volume Desseins des professions nobles et publiques, « Dessein signifie le but, le scope, la fin, la visée de laction ».

Discrétion : La discrétion consiste à adapter sa propre action à linstant contingent. La discretione est la raison pratique aristotélicienne, le jugement du juriste qui entend son savoir comme prudentia et non seulement comme scientia. La discrétion est le résultat de la médiation entre luniversalité des règles et les cas spécifiques. La perspicacité, lintuition, le discernement représentent aussi lattitude envers lhistoire et sa revendication dêtre exemplaire. Lhorizon dans lequel lattitude personnelle est combinée avec la faveur des événements est complètement mondain, de même que la nature de la discretione est tout-à-fait humaine. En polémique avec Machiavel, qui avait fait de limitation des anciens le pivot de sa théorie politique, G. met en jeu lutilité pour lhomme politique des exempla avec la nécessité de la discretione, 175qui peut compenser les différences entre passé et présent.

Dissimulation : Lexpérience personnelle amène lhistorien à une lucide conscience du pouvoir et à considérer les avantages du secret en politique, un des canons du comportement de lhomme sage, étant donné la folie, la vanité et méchanceté des hommes. Le secret est à la base aussi de la raison dÉtat, la ratio reipublicae, de Cicéron jusquaux théories plus modernes, inséparables du nom de Machiavel : principe daction politique, la raison dÉtat donne lieu à des pratiques très variées, diplomatiques et guerrières. Laction politique saffranchit de la morale pour constituer une sphère autonome : la raison dÉtat désigne en ce sens la séparation moderne entre la sphère de la morale, valable pour les actes individuels, et la sphère politique, valable pour les actes publics du gouvernement. Dans le débat de la Renaissance tardive, le thème de la dissimulation est central, alimenté par des auteurs comme Leon Battista Alberti et Giordano Bruno et, dans ce contexte, les propositions de G. deviennent également une source précieuse pour trouver de nouvelles solutions politiques.

Droit : pour G. le droit concerne soit la forme du régime politique soit le style de vie du bon citoyen. Le droit définit la façon de vivre sous les lois.

Ennemi : cest ladversaire politique, quil faut connaître au mieux, suivant les mots de Machiavel : « io voglio sapere chi è mio amico o mio inimico » : le champ politique imprègne celui militaire et viceversa.

Entreprinses (Entreprises) : voir Affaires.

Experience : lexpérience soppose à linclination naturelle. La culture acquise par lexpérience et la doctrine améliorent lintelligence innée. Lhomme politique doit se former grâce à lexpérience, qui permet dacquérir la discretione qui le mène à lacquisition du jugement propre de lhomme sage.

Folie : G. appelle folie linconstance du peuple, ce qui est un topos chez les humanistes. La folie du peuple est souvent liée à sa vanité et à sa méchanceté.

Force : en opposition à la raison de la loi. La force de la violence est associée au tyran tandis que la raison de la loi au bon politicien.

Fortune : le thème est central chez les écrivains politiques du xve siècle ; G. valorise la relativité de la fortune, aussi bien au niveau collectif quau niveau individuel, qui rend compte de la complexité du réel. Ma la fortune soppose aussi à la vertu, cest à dire la capacité humaine de changer le cours de lhistoire.

Gloire : voir Honneur.

Gouvernement(s) : le terme indique lexercice réel du pouvoir parce que gouverner est un art pratique, un métier quon apprend surtout à travers lexpérience.

Honneur : Honneur et gloire ne sont pas simplement des corollaires qui sajoutent à lart de la simulatio pour le politicien : lhonneur est la « boussole » requise pour la praxis politique, et correspond à la bonne réputation, à la dignité de lhomme de pouvoir. Chez G. indique surtout la valeur qui dérive de lexercice des charges publiques et les dignités qui en découlent. Voir aussi Gloire.

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Interet (Intérêt) : voir Util.

Justice : G. est avant tout homme de loi : sa formation juridique lui enseigne la logique judiciaire ciblée à la recherche de la vérité. La justice pour G. est tout à fait laïque. Le factionnalisme idéologique laisse sa place à la recherche des réponses laïques, cest à dire proprement politiques, qui surmontent lopposition entre spirituel et temporel.

Liberté : dans la tradition politique florentine ce terme désigne lordre républicain réglé par les lois en opposition à la tyrannie. Pour les citoyens de Florence la Libertas est la racine de leurs institutions.

Magistrat : est lhomme qui recouvre un charge publique. G. affronte le thème du contrôle du pouvoir politique par le délai des charges et le devoir du magistrat de rendre compte de ses propres actes. La nécessité de partager le pouvoir remonte à la République de Platon, le Politique dAristote et les Histoires de Polybe.

Multitude : désigne la majorité des citoyens, qui font partie des grandes familles, bien au-dessus de la mêlée, mais aussi la plèbe, le volgo, qui ne fait pas partie du monde des citoyens. Voir aussi Peuple.

Mutation(s) : pour G. le cycle de la vicissitude est le rythme qui scande – tout en les liant – nature, culture et société, monde originel et monde artificiel. La vision de G. du monde réunit la limite constitutive du temporel et la force unique de la dimension individuelle. À tous les niveaux de la variété, lalternance des États et des conditions ne se déroule pas selon un simple processus de dépassement, puis de substitution : la mutation saccompagne de la persistance et la variété garde, pour ainsi dire, le rythme constant de la vicissitude universelle. Voir aussi Variété.

Occasion : le kairos, le moment favorable, parce que pour G. tout est inexorablement voué à changer. La variété, les vicissitudes imprévisibles et soudaines de la prospérité et de ladversité, dans le domaine militaire tout comme dans les affaires politiques et dans toutes celles qui touchent les différents aspects de la vie des individus, suggère de ne pas trop se laisser abattre dans le mauvais sort, de ne pas trop sexalter aux moments fastes, et de saisir loccasion.

Particulier : cest un terme « tecnique » de la langue politique de G. et de son système théorique, fondé sur la prudence critique et sur le juste milieu. La force de la médiation est heritée de laurea mediocritas, la capacité du sage de déterminer ce qui est juste pour toute circonstance. Dans les articles de Laval le verbe particulariser témoigne clairement de son intention de contextualiser le texte par rapport à la cour parisienne.

Peuple : voir Multitude.

Prince : en opposition au tyran, qui détient un pouvoir absolu, soustrait aux lois. Au même temps, le bon prince doit se tenir éloigné des suggestions démocratiques parce que les régimes populaires peuvent se transformer en tyrannies. Son but est toujours le bonum commune.

Profit : voir Util.

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Prudence : lusage politique de ce terme remonte à Aristote : la prudence est le fondement dune philosophie pratique de laction humaine. La prudentia correspond à la discrétion du bon politicien, cest-à-dire la précaution dans les actions politiques, qualité éminente de lhomme sage, qui laide à distinguer et évaluer, dans la complexité du réel, les particularités de chaque cas, et à les résoudre par les moyens le plus appropriés. Dans ses Desseins Laval aussi souligne le rôle politique de la prudence.

Reigle(s) : La solution de G. pour résoudre le problème de la relation entre la pratique et les règles, entre les cas particuliers et la loi universelle, entre lexception et la norme – entre accidentel et essentiel, pour reprendre les termes dAristote – est dans les vertus de la prudence et de la discrétion, qui consistent dans la médiation entre luniversalité de la loi et la spécificité de chaque cas. Quand G. atteint luniversel, cest pour la nécessité de déterminer en fonction de la situation concrète, saisie dans sa complexité. Lauteur souligne également la valeur des règles et la difficulté à les observer. Ses avertissements doivent aider linclination naturelle pour une action politique efficace : G. est un politicien qui écrit dabord pour comprendre, mais aussi et surtout pour agir.

République : pour G. le gouvernement populaire a des mérites et des risques que déjà Aristote dans ses Politiques avait remarqué en parlant de juste milieu. Mais pour le Florentin du début du xvie siècle vivre dans la cité cest vivre dans la république : le vivre politique renvoie à la liberté des institutions républicaines.

Réputation : voir Honneur.

Sagesse, sage : lhomme sage est prudent, cest à dire celui qui possède la qualité de la prudence, qui laide à distinguer et évaluer, dans la complexité du réel, les particularités de chaque cas, et à les résoudre par les moyens le plus appropriés.

Temporiser : le temps est un facteur que le bon politicien (vir bonus) ne peut négliger. Temps et pouvoir sont des éléments que le politicien doit mettre en accord sans cesse. Lappel à la précaution met en jeu, outre la dissimulation, le motif du temps et ses variables. Parfois la prudence ne se traduit pas en action immédiate mais en capacité à gagner du temps.

Tyran : le tyran est le prince qui abuse de son pouvoir pour son gain personnel, contre le bonum commune.

Util : le terme indique les avantages, les richesses, les ressources. Voir aussi Profit et Interet.

Variété : voir Mutation.

Vertu : en opposition à la fortune, elle représente la faculté humaine de changer le cours des événements. Certaines vertus se signalent comme fondamentales pour lofficium du prince : la dissimulatione, qui est la faculté de doser lespoir et le réalisme ; la discretione, à savoir la précaution qui aide à identifier et évaluer chaque cas pris singulièrement afin de planifier et mettre en œuvre une action efficace ; la prudentia, la faculté de saisir la succession des événements, parfois imprévisibles même pour le gouverneur le plus sage.