Avant-propos
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Penser les cinq sens au Moyen Âge. Poétique, esthétique, éthique
- Auteur : Laurichesse (Jean-Yves)
- Pages : 9 à 10
- Collection : Rencontres, n° 121
- Série : Civilisation médiévale, n° 14
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782812436857
- ISBN : 978-2-8124-3685-7
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3685-7.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/12/2015
- Langue : Français
Avant-propos
L’axe central de notre laboratoire « Patrimoine, Littérature, Histoire », celui qui réunit ses chercheurs dans la pluralité de leurs disciplines, est le rapport à la fois riche et problématique que le présent entretient avec le passé, qu’il s’agisse d’histoire, de littérature, de mémoire individuelle ou collective. Or, les cinq sens dont il va être question ici semblent relever bien plutôt du pur présent de l’expérience sensible, d’un être au monde par le corps, tel que le définissait Merleau-Ponty :
C’est dans l’épreuve que je fais d’un corps explorateur voué aux choses et au monde, d’un sensible qui m’investit jusqu’au plus individuel de moi-même et m’attire aussitôt de la qualité à l’espace, de l’espace à la chose et de la chose à l’horizon des choses, c’est-à-dire à un monde déjà là, que se noue ma relation avec l’être1.
Rien n’est donc plus éloigné en apparence de cette question de la longue durée qui nous occupe, que cette « vie immédiate » de notre rapport sensible aux choses. Et pourtant… D’abord, nous savons bien que la sensation peut être la voie d’accès la plus foudroyante au passé, quand l’odeur et la saveur portent à elles seules, écrit magistralement Proust, « l’édifice immense du souvenir2 ». Nous avons exploré il y a peu d’années cette notion de « réminiscence » à travers l’histoire de la littérature, au cours d’un séminaire qui, déjà, nous avait fait remonter au Moyen Âge, avec Chrétien de Troyes et certaines gouttes de sang sur la neige qui forment l’une des plus belles images sensorielles de notre littérature3. Voilà qui déjà articulait fortement les cinq sens à la dimension du temps.
Mais ce dont il s’agit ici, c’est de s’établir entièrement dans ce passé lointain pour tenter de comprendre comment les hommes et les femmes du Moyen Âge vivaient la sensation, la pensaient, la représentaient, comment s’organisait pour eux le monde sensible et, à travers ou par-delà lui, l’univers entier. Entreprise passionnante que ce décentrement, ce déplacement dans le temps par lequel nous accédons à des modes de sentir différents des nôtres, mais qui peuvent nous apprendre beaucoup sur notre humanité.
Jean-Yves Laurichesse
Université Toulouse – Jean-Jaurès
Directeur du laboratoire PLH
(EA 4601)
1 Rapport sur ses travaux présenté au Collège de France, 1951.
2 Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, vol. I, Du côté de chez Swann, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), p. 46.
3 L’Ombre du souvenir. Littérature et réminiscence, du Moyen Âge au xxie siècle, éd. J.-Y. Laurichesse, Paris, Classiques Garnier, 2012. Voir Philippe Maupeu, « Réminiscences littéraires et memoria rhétorique au Moyen Âge. Pétrarque et Chrétien de Troyes » (p. 17-34).