Préface de Jean-Pierre Gutton
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Pauvres et pauvreté en Europe à l’époque moderne (xvie-xviiie siècle)
- Auteur : Gutton (Jean-Pierre)
- Pages : 7 à 8
- Collection : Rencontres, n° 256
- Série : Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance européenne, n° 88
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782812434907
- ISBN : 978-2-8124-3490-7
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3490-7.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/07/2016
- Langue : Français
préface
de Jean-Pierre Gutton
L’histoire des pauvres et de la pauvreté, en France et en Europe, a été « inventée » par Michel Mollat au début des années 1960. Des communications, d’abord présentées dans des modestes – et très précieux – cahiers ronéotés, rendant compte des travaux du séminaire d’Histoire médiévale de la Sorbonne ont, rapidement, donné lieu à des publications de synthèse qui ont mis au premier plan ce thème historiographique. Et, d’emblée, ces recherches donnèrent une place égale aux réalités sociologiques et économiques de la pauvreté, à l’image des pauvres dans la société et aux traitements que proposaient les « donneurs d’avis » du temps ou qu’imposaient des États, avec des résultats variés.
Les actes du Colloque organisé, en mai 2012, par l’Université du Havre s’inscrivent dans cette tradition scientifique et historiographique. Ils ont comme thème fédérateur la notion de l’image des pauvres et de la pauvreté. C’est-à-dire qu’ils interrogent gravures, peintures, littérature de fiction, mais, bien évidemment aussi législation des États et règlement des institutions. Le cadre géographique de ces études est résolument européen mais, outre le cas français, ce sont ceux des péninsules italienne et espagnole qui retiennent plus particulièrement l’attention. Avec un avantage certain au cas espagnol. Le type social du pauvre, du vagabond est, en effet, un thème essentiel de la littérature ibérique, et pas seulement dans ce qui est communément nommé la littérature picaresque. L’Historia de la asistencia social en España en la edad moderna, publiée en 1968 par María Jiménez Salas, est ici à citer. Un certain nombre de monographies urbaines vont dans le même sens, notamment, dès 1967 celle de Bartolomé Bennassar, Valladolid et ses campagnes au xve siècle. De Juan Luis Vives et Juan de Medina à Miguel de Ginginta et Pérez de Herrera, le xvie siècle espagnol ne cesse de réfléchir sur la question de la pauvreté. Comme dans beaucoup d’autres pays européens dira-t-on.
Certes. Mais contrairement à la majorité des autres pays européens, la réflexion conduit ici à valoriser, à protéger les idées traditionnelles sur le caractère sacré de la pauvreté et de la mendicité.
À cet égard, le recueil de textes présenté par Raphaël Carrasco et Michel Cavillac sous le titre Le débat sur les pauvres et la pauvreté dans l’Espagne du Siècle d’or (1520-1620), Toulouse, 1991, est éclairant.
Inversement, au xviiie siècle, au temps du despotisme éclairé, l’Espagne manifeste beaucoup d’audace. Chez Bernard Ward, la mendicité n’est plus sacrée. Le Triomphe de l’Évangile (1757-1798) de Pablo de Olavide a de vives imprécations contre l’aumône. Et, dans l’Espagne de Charles III, l’enfermement et l’assistance par le travail, sont à l’ordre du jour, non sans rencontrer des résistances comme les travaux de Jacques Soubeyroux, par exemple, le montrent.
On aura garde de ne pas réduire l’apport de ce colloque au seul cas ibérique. La pauvreté en France y tient la place qu’il se doit. L’image du pauvre et de la pauvreté dans le royaume fait l’objet de communications qui disent l’apport de la littérature et de la gravure dans l’analyse de la construction du regard sur le monde de la misère, voire des « classes dangereuses », comme on ne disait pas encore en ces siècles, même si on le pensait. On lira aussi d’importants textes consacrés aux cas italiens. Par exemple, l’analyse des représentations des « pauvres glorieux », catégorie de miséreux que Giovanni Ricci avait sortie de l’ombre dès son Povertà, vergogna, superbia. I declassati fra Medioevo e Età moderna, Bologna, Il Mulino, 1998.
L’approche pluridisciplinaire, conduite dans un cadre européen, de l’histoire des pauvres et de la pauvreté par les participants à ce colloque, éclaire la réception par la société de ce qui est, dès ces siècles anciens, une des questions majeures du vivre ensemble. Et c’est dans ce souci d’écrire une histoire à résonances civiques qu’émerge actuellement un thème nouveau chez les historiens de la pauvreté : l’existence, le poids d’une hérédité de la pauvreté.
Jean-Pierre Gutton
Université Lyon 2
Institut universitaire de France